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Les politiques xénophobes qui balaient l'Europe centrale et orientales criminalisent l'aide aux réfugiés

mardi 25 septembre 2018 à 15:51

Des migrants illégaux vivant dans une chambre d'un foyer à Sofia, Bulgarie. Photo aimablement communiquée par le Projet “Voix en Bulgarie” du Centre d'aide juridique/José Antonio Sanchez Manzano via BlueLink Stories.

Cet article, écrit par . est basé sur “Les politiques de la peur ciblent les ONG“, originellement publié par BlueLink Stories dans le cadre du projet “Mémoire de l'Europe : la société civile à nouveau sous pression”, mis en œuvre par la Fondation BlueLink avec un co-financement du Programme l'Europe pour les Citoyens de l'Union européenne, et est republié dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices.,

L'hystérie politique contre les réfugiés arrivant en Europe est à la hausse bien que l'immigration dans la région ait décru depuis 2017. Le premier ministre hongrois Viktor Orbán a pris les positions anti-migrants les plus dures, suivi par les hommes politiques du groupe des ‘Quatre de Visegrád’ ou V4 (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie).

Le 20 juin 2018, Journée mondiale des réfugiés, le Parlement hongrois a ironiquement adopté une législation criminalisant l'aide aux demandeurs d'asile, réfugiés ou migrants sans papiers. Une majorité des deux tiers du parti actuellement au pouvoir Fidesz a voté le nouvel article 353/A du Code pénal, qui dispose que toute personne apportant une aide juridique ou distribuant des tracts ou autre matériel sur les droits et possibilités de logement des réfugiés sera arrêtée et poursuivie pour “facilitation de l'immigration illégale.”

En cas d'activité répétée ou dans le cadre d'une organisation ou d'un réseau, la sanction va jusqu'à un an de prison. L’État peut aussi fermer ces organisations, faire cesser ou sévèrement limiter leurs activités, ou leur infliger une amende.

La Commission de Venise du Conseil de l'Europe a publié un document expliquant en détail en quoi ce code bafoue les principes de base des droits humains, limite le travail des organisations non-gouvernementales (ONG), et enfreint les normes et les protocoles internationaux. Il conclut que la loi ne cible pas efficacement l'immigration illégale, pour laquelle des dispositions régulières sont déjà en place avec l'article 353.

M. Orbán, convaincu que le philanthrope étasunien [d'origine hongroise, NdT] George Soros tire les ficelles de l'immigration en Europe, a baptisé la loi “Stop Soros,” et a clairement dans le viseur le Comité Helsinki hongrois (HHC en anglais), une ONG qui apporte de l'aide juridique aux réfugiés et demandeurs d'asile, et est financé par la Fondation Open Societies de Soros. [Note de la rédaction : Global Voices est aussi bénéficiaire d'un financement de la Fondation Open Societies]. 

La loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2018, avec des interrogations des partis Jobbik (extrême droite) comme Socialiste  (ex-communiste) sur le fonctionnement concret de la loi. Les ONG hongroises sont encore dans le flou sur l'impact qu'aura la nouvelle loi sur leur activité.

Dans un communiqué de presse consécutif à l'adoption de la loi anti-migrants, le HHC a déclaré :

[Nous] continuerons à apporter une assistance juridique légitime et gratuite aux demandeurs d'asile, et saisirons toutes les possibilités judiciaires et de plaidoyer pour contester cette loi qui viole les droits fondamentaux et les lois de l'Union européenne.

Staff of Hungarian Helsinki Committee in their office in Budapest.

Au siège du Comité Helsinki hongrois. En 2017, il a reçu le prix Calouste Gulbenkian des droits de l'Homme pour leur caractère “unique et exemplaire” dans l'apport d'assistance juridique régulière et gratuite aux demandeurs d'asile, réfugiés et apatrides en Hongrie. Photo : Ákos Stiller, utilisation autorisée.

“Le texte de loi le plus ridicule vu depuis longtemps”

Cette loi anti-migrants a déclenché un débat enflammé parmi les partis politiques et les citoyens de Hongrie. Les deux principaux partis politiques de Hongrie, le Fidesz au pouvoir et le parti Jobbik d'extrême droite, défendent tous deux la loi, forts de leurs 80 % ensemble des sièges au parlement.

Le troisième plus grand parti, le Parti socialiste hongrois (MSZP), considère la loi comme sans utilité dans la lutte contre l'immigration illégale. Le président du MSZP Bertalan Tóth affirme :

L'intérêt de ce gouvernement est de garder ce problème en vie au lieu de le résoudre.

La Coalition démocratique (DK) s'est aussi  opposé à cette loi, que son président Ferenc Gyurcsany a appelée un “péché pas seulement politique mais historique” et

une attaque contre les gens cherchant à se mettre à l'abri de la persécution, et [contre] ceux qui réalisent un travail admirable pour leur venir en aide.

Étonnamment, même le chef du Jobbik Márton Gyöngyösi, dans son commentaire sur BlueLink.info, a reconnu :

Ceci est le texte de loi le plus ridicule que nous ayons vu depuis longtemps.

Il explique que son parti a été confronté à un “dilemme difficile” avant le vote du projet de loi, qui reste non résolu. Il admet que

…les mesures concrètes ont été omises dans le nouveau texte, tandis que plusieurs éléments nouveaux ont été ajoutés, concernant les réformes judiciaires ou un amendement constitutionnel. C'est pourquoi nous voyons [cette loi] comme un texte à l'évidente motivation politique, son unique objectif est de satisfaire les électeurs du Fidesz qui attendent une rhétorique agressive du gouvernement. Dans notre opinion, les mesures envisagées dans cette loi sont ridicules et non susceptibles d'avoir un effet réel. Voter pour cette législation était sans importance réelle.

Les représentants du Fidesz sollicités pour commenter au moment de publier cet article n'ont pas donné suite.

Les opposants à la loi font valoir qu'elle ne correspond pas à la réalité des chiffres actuels, qui montrent une baisse significative du nombre de réfugiés entrant en Hongrie. En 2017, près de 20.000 personnes ont été empêchées d'entrer à la clôture sur la frontière, ou escortées à l'extérieur. Selon le HHC, 267 réfugiés se sont vu accorder une protection en 2018, et au moins 326 demandeurs ont été refusés, pour la plupart venant d'Afghanistan, d'Irak et de Syrie.

Propagation du sentiment anti-migrants

Dans la Slovaquie voisine, 79 % environ des personnes interrogées indiquent des perceptions négatives de l'immigration. Des sentiments attisés par les politiciens pour s'assurer des voix aux élections parlementaires tenues en mars 2016.

Malgré cela, depuis août 2015, l’État se concerte régulièrement avec les associations d'aide aux migrants et a alloué 500.000 euros à l'assistance humanitaire immédiate et à des projets en cours. En 2016, le gouvernement a créé un fonds de “réserve” de 20 millions d'euros pour les questions touchant aux migrations.

Selon les statistiques, la Slovaquie a l'un des nombres les plus faibles de demandeurs d'asile de tous les pays de l'UE.

Alena Krempaska, directrice de programme à l’Institut des Droits humains de Slovaquie, a confirmé dans une réponse à BlueLink.info que l’État slovaque aide les ONG travaillant sur les questions de migration. La Ligue des droits de l'homme a reçu une subvention du ministère de l'Intérieur en 2016 pour son travail avec les migrants. Krempaska n'y voit pas moins “un jeu politique, un discours, plutôt que des mesures concrètes.”

Les ONG font le travail et sont accusées

Les gouvernements d'Europe centrale et orientale (ECC) se conforment généralement aux normes internationales et de l'UE en assurant un financement aux ONG qui fournissent un large éventail de services d'assistance aux réfugiés, totalement gratuits pour leurs bénéficiaires. Mais, de la Pologne à la Bulgarie, l'assistance n'a pas le même visage à travers la région ECC en fonction de la plus ou moins bonne coopération entre les ONG et les autorités étatiques.

Selon Radostina Pavlova, une juriste de Voice in Bulgaria, les autorités bulgares aident souvent les organisations de soutien aux migrants que l’État, en principe, a l'obligation de financer. L'accès aux financements de l'Agence d’État pour les réfugiés (AER) est difficile, souvent dépendant d'horaires stricts peu compatibles avec les besoins en temps réel. Mme Pavlova note cependant que

Le ministère de l'Intérieur a fait des progrès significatifs depuis deux ans, et beaucoup d'organisations travaillent maintenant dans les centres fermés pour migrants qui sont sous sa supervision.

Un rapport [en] du Conseil de l'Europe publié en avril 2018 corrobore ces impasses de financement, et l'AER elle-même a noté dans son rapport annuel que la coopération entre ONG locales et internationales d'une part, et autorités publiques d'autre part, est limitée, ce qui laisse un immense fardeau d'aide aux ONG.

Le nouveau dispositif anti-migrants de la Hongrie fait craindre à Mme Pavlova que la Bulgarie puisse suivre la même voie. Alors que le nombre de réfugiés en Bulgarie est aussi en forte baisse depuis 2017, les autorités bulgares continuent à surveiller les frontières turques, où, disent-elles, une clôture nouvellement construite, munie d'un système de surveillance, ne fonctionne pas tout le temps, et que des réfugiés arrivent encore à franchir illégalement.

“Pas chez moi”

Tandis que de nombreux gouvernements d'Europe centrale et orientale reconnaissent l'obligation de financer les activités d'aide aux réfugiés, les ONG déplorent l'absence de soutien à leur travail sur le terrain, les pouvoirs donnant la priorité aux opérations extérieures dans les zones de crise.

Children in a classroom in Raqqa, Syria, sitting at desks and looking at the photographer.

Un projet éducatif en Syrie de la Fondation Syrie libre avec les dons collectés en Pologne. Photo : wolnasyria.org.

Samer Masri de la Fondation Syrie libre en Pologne a admis dans sa réponse à BlueLink.info que les ONG polonaises peinent à coopérer avec les autorités étatiques bien que sa fondation reçoive au moins la moitié de ses ressources du ministère polonais des Affaires étrangères :

Nous réalisons des projets qui sont en phase avec la politique du gouvernement polonais … Nous marquons aussi notre projet comme un acte de don de la grande nation polonaise aux Syriens … et nous utilisons les symboles nationaux polonais … Ainsi, tout le monde nous aime bien et nous pouvons faire ce que nous voulons et évidemment nous recevons l'appui dont nous avons besoin.

Pendant le Sommet du Conseil européen de juin 2018, une majorité de chefs d’État et de gouvernement a soutenu des politiques de prévention des migrations vers l'Europe, consistant à renforcer les relations avec les pays “d'origine et de transit”, à faire cesser les franchissements illégaux de frontières, et à financer les centres de réfugiés en Turquie — tout pour garder les réfugiés hors de chez soi.

Trois ans après, le mouvement libanais « Vous puez » trouve de nouvelles raisons de manifester

mardi 25 septembre 2018 à 12:38

Manifestation anti-incinérateurs à Beyrouth, le 29 août 2018. Photo Hassan Chamoun, utilisation autorisée.

[Article d'origine publié le 10 septembre 2018] De nouvelles manifestations du collectif libanais « Vous puez » ont éclaté à Beyrouth après que les autorités ont annoncé l’installation d’incinérateurs afin de résoudre la crise chronique des ordures que connaît la ville.

Les manifestants ont marché jusqu’au parlement libanais et aux bureaux du ministère de l’environnement le 29 août, jour du troisième anniversaire de ce mouvement né à Beyrouth et mené par la jeunesse beyrouthine. En 2015, « Vous puez » a mobilisé des milliers de personnes contre la mauvaise gestion des déchets par les autorités, dans les manifestations non partisanes les plus importantes au Liban depuis la fin de la guerre civile en 1990.

Les autorités beyrouthines ont d’abord révélé les projets concernant les incinérateurs en octobre 2016, à la suite d’une consultation avec leurs homologues de Copenhague, considérée comme la capitale européenne la plus propre. Les Danois auraient recommandé l’usage d’usines de valorisation énergétique des déchets afin de remédier à la crise.

Cependant, plusieurs organisations de la société civile et scientifiques libanais ne sont pas satisfaits de cette solution. Ils soutiennent que les résidus de cendres posent de graves risques environnementaux dont la gestion est difficile et coûteuse.

Les résidents de Karantina, quartier industriel de Beyrouth qui possède déjà deux sites d’élimination des déchets à ciel ouvert, figuraient parmi les plus farouches opposants à ces usines de valorisation des déchets. En 1997, avec l’aide de Greenpeace, ils avaient organisé une campagne acharnée, et finalement fructueuse, contre les projets des autorités de construire un incinérateur sur le territoire.

Vingt ans plus tard, le 30 août 2017, ils ont pris les rues à nouveau suite aux rumeurs comme quoi la région avait été choisie pour la nouvelle usine de valorisation des déchets. Le maire de Beyrouth, Jamal Itani, a cependant indiqué que l’endroit n’avait pas encore été décidé.

L’une des autres voix à s’élever contre la solution d’incinération à Beyrouth est la Coalition de gestion des déchets, qui préconise des solutions durables au problème des ordures. Ils soutiennent que bien que des incinérateurs aient été déployés avec succès en Europe, le Liban ne possède pas les infrastructures nécessaires pour assurer leur utilisation en toute sécurité.

Le groupe a lancé une pétition en février 2018 demandant aux autorités de développer des politiques de réduction des déchets, de mettre en place des programmes de recyclage et d’adopter des méthodes d’élimination conformes aux réglementations environnementales nationales et internationales. La pétition a regroupé 727 soutiens sur l’objectif des 50 000 fixé au départ.

De plus, un groupe d’universitaires de l’Université américaine de Beyrouth a tenu une conférence en mars 2017 et a présenté des preuves scientifiques contre l’adoption d’incinérateurs.

Au début de l’année 2018, Ziad Abichaker, éminent activiste environnemental et entrepreneur dans le domaine des déchets, a sorti un documentaire analysant toutes les menaces liées à l’incinération et les raisons pour lesquelles les habitants de Beyrouth s’inquiéter de son impact sur l'environnement et la santé des gens.

Les Russes exposés à des poursuites judiciaires s'ils partagent des mèmes sur les réseaux sociaux, du fait des lois anti-extrémistes

mardi 25 septembre 2018 à 11:37

Méta-mème circulant sur les réseaux sociaux russes. Un flic regardant un mème : «C'est un article du code pénal?»

Sauf mention, les liens de cet article renvoient vers des pages en russe.

Imaginez-vous sur internet en train de repérer un mème amusant sur la série «Game of Thrones»: la résurrection d'un des héros principaux, John Snow, y est comparée à celle du Christ. En souriant à part vous, vous partagez le mème sur votre page Facebook et n'y pensez plus.

Quelques jours plus tard, la police fait irruption dans votre appartement et vous accuse d'extrémisme. En plus des années de prison qui vous attendent, vos comptes en banque sont bloqués.

Bienvenue dans la réalité à laquelle sont confrontés les utilisateurs (qui ne se doutent de rien) des réseaux sociaux sur tout le territoire russe, alors que les autorités intensifient leurs campagnes contre l’extrémisme en ligne.

Bien que les poursuites judiciaires pour des publications en ligne n'aient rien de nouveau [en anglais] en Russie, ce nouveau round attire l'attention parce que la grande majorité des accusations est basée exclusivement sur des mèmes. Daniil Markin, un jeune homme de 19 ans vivant à Barnaoul, est poursuivi en vertu de l'article 148 du Code pénal russe pour «offense aux sentiments des croyants». L'offense est constituée par une série de mèmes à thématique religieuse que Daniil a partagés – parmi lesquels le mème avec John Snow évoqué plus haut.

En conséquence, le jeune homme a été fiché au niveau national comme extrémiste, et son compte bancaire bloqué. Dans un entretien avec le média «Meduza», Markine déclare ceci:

Я считаю, что для определённого процента людей это могло показаться оскорбительным, но не настолько, чтобы заводить уголовное дело.

Je conçois que cela puisse être offensant pour certaines personnes, mais pas au point de porter plainte.

Rien qu'à Barnaoul même, Markine n'est pas le seul dans cette situation. Dans un tweet du 23 juin, une autre habitante de la ville, Maria Motouznaïa, raconte qu'un groupe de policiers est arrivé chez elle avec un mandat de perquisition. Ils ont interrogé la jeune fille sur des mèmes qu'elle avait postés (certains étaient racistes, d'autres constituaient une offense au sentiment religieux), et ont confisqué son téléphone portable.

Mlle Motouznaïa a tout d'abord voulu en rire, mais les policiers lui ont parlé sur le même ton qu'à une autre femme qui croyait elle aussi à une blague, et s'est retrouvée en détention pour trois ans. Ils ont ensuite notifié à la jeune fille une accusation d'extrémisme fondée sur l'article 283 du Code pénal russe.

Si les mèmes partagés par D. Markine et M. Motouznaïa pouvaient certes offenser le sentiment religieux, ils ne représentaient pas une menace directe, n'appelaient pas à la violence ni ne promouvaient l'extrémisme ou autre idéologie agressive. La Toile russe est pleine de ce genre de mèmes. Qu'est-ce qui a motivé l’action des pouvoirs publics ? Et comment ont-ils fait pour identifier si vite D. Markine et M. Motouznaïa?

Les deux affaires ont commencé par des déclarations d'une poignée d'étudiants de l'université locale. C'est pourquoi Markine soupçonne qu'il y a autre chose derrière son inculpation.

Оперативники обнаруживают меня каким-либо образом, предлагают студенткам написать заявления за определенные «плюшки» на учебе или даже финансовую помощь.

Les forces de l'ordre m'ont trouvé je ne sais comment, et ont suggéré aux étudiants de faire des dépositions contre un coup de pouce dans leurs études, et même une aide financière.

Une situation qui ressemble à une coïncidence, mais pas si l'on y regarde de plus près. La pression sur la police russe (notamment quant à sa mission d'éradiquer l’extrémisme) a mené à de nombreux cas où les autorités choisissent une cible puis trouvent ensuite de quoi justifier une accusation.

Mlle Motouznaïa s'est elle aussi demandé pendant son interrogatoire s'i n'y avait pas un motif caché. Il lui est arrivé de rédiger quelques posts au sujet d'Alexeï Navalny, figure de l'opposition russe, qui s'est fait connaître pour ses campagnes contre la corruption. Mais on ne sait pas si cela a un rapport quelconque avec son interpellation.

La théorie du «mème=prétexte», cependant, semble de plus en plus crédible. Récemment encore, une journaliste de Touva a été arrêtée suite à la publication en 2014 de deux articles accompagnés de photos d'Adolphe Hitler et des Jeunesses hitlériennes. La journaliste avait un passé de militante et avait travaillé sur des questions ayant trait à la qualité de vie dans sa ville, et était par ailleurs la directrice de campagne de Ksénia Sobtchak, candidate de l'opposition libérale à l’élection présidentielle de 2018.

Comment réagissent les principaux détenteurs des réseaux sociaux ?

Les grandes sociétés de médias sociaux jouent aussi un rôle central dans l'identification des mèmes et de ceux qui les publient. «VKontakte», l'un des deux réseaux sociaux les plus populaires en Russie, est sous le feu des critiques pour avoir aidé les autorités à localiser ses utilisateurs et volontairement divulgué leurs données personnelles. Selon les lois russes, l'administration des réseaux sociaux a l'obligation de collecter et de stocker les données personnelles des utilisateurs durant six mois, et de fournir un accès à ces données aux autorités sur leur demande. Depuis des années, «VKontakte» ne montre que trop de zèle à satisfaire ces exigences.

Devant l'avalanche récente d'articles négatifs sur des arrestations d'utilisateurs, le géant Mail.Ru, propriétaire de «VKontakte», s'est fendu d'une déclaration condamnant cette pratique qui consiste à emprisonner les gens pour des mèmes. Les observateurs n'ont pas manqué de relever l'hypocrisie de Mail.Ru.

Comme le déclare «Mediazona», publication en ligne indépendante qui travaille principalement sur les violences policières et les procès politiques :

VK (le principal auxiliaire [de la police] dans les procédures pour des republications) prend position contre les procédures pour des republications.

Les autorités considèrent ces arrestations comme un progrès : plus il y en a, mieux c'est

Pourquoi Barnaoul est-il devenu l'épicentre de ce genre d'affaires? Le Bureau régional de la Commission d'enquête de Russie, l'organe principal d'enquête de la Fédération de Russie, mène depuis 2016 une campagne pour prévenir l'extrémisme en ligne parmi les jeunes. Selon les rapports des spécialistes des droits de l'homme, environ 5 000 personnes ont été arrêtées pour avoir diffusé des contenus prétendument «extrémistes».

En juin 2018, les autorités ont sorti un clip vidéo en vue d'expliquer les actions déployés pour lutter contre l'extrémisme en ligne. Le clip définit un comportement extrémiste comme, entre autres choses, tout ce qui peut attiser le séparatisme, les dissensions religieuses ou la haine de l'autre sur fond de différences ethniques ou religieuses.

La vidéo s'achève sur cette adresse:

Ведь человечество — это содружество разных культур, каждая из которых интересна и духовно богата. Нет плохих или хороших, мы — единое целое.

Car l'humanité, c'est une communauté de différentes cultures, dont chacune a son intérêt et sa richesse spirituelle. Il n'y en a pas de bonne ou de mauvaise, ensemble nous formons un tout.

En soi, l'intention pourrait être louable. Mais pourquoi cet intérêt soudain pour les posts contenant des mèmes? Ilya Chelepine, correspondant de la chaîne indépendante «Dojd», explique cela ainsi:

Бюрократия.

Два года назад в Алтайском крае зарегистрировали экстремистских преступлений на 10% меньше, чем следовало. 26 вместо 29. В результате «край оказался в немногочисленной группе регионов, показавших отрицательную статистику по выявлению преступлений».

Просрали цифры, получили нагоняй от федерального министерства — и ух, как взялись за работенку. Ни одной картинки с патриархом и Игрой престолов не пропускают, на всё заводят дела.

И в 2017 году край показал резкий рост «выявленных экстремистских преступлений» почти вдвое больше — на 73%. Теперь седьмое место среди регионов России. Есть чем гордиться.

Bureaucratie.
Il y a deux ans, le kraï de l'Altaï a déclaré 10% de délits d'extrémisme de moins que la réalité. 26 au lieu de 29. Résultat, «le kraï s'est retrouvé dans le petit groupe de régions qui affichent un faible taux de criminalité de ce type».
Ils avaient falsifié les chiffres, ils se sont fait passer un savon par le ministère, et là, comment ils se sont mis au boulot ! Ils ne laissent plus passer une seule petite image du patriarche et de Game of Thrones, ils ouvrent tout de suite une enquête.
Et en 2017, le kraï a connu une brusque hausse des cas de «crimes extrémistes», qui ont presque doublé, augmentant de 73%. Le voilà maintenant à la 7e place des régions russes. Il y a de quoi être fier.

Coincé sur le fichier russe des terroristes et de extrémistes

Les conséquences d'une accusation d'«extrémisme» basée sur les articles 282 et 146 du Code pénal de Russie se font sentir longtemps après la fin de la détention. En cas de telles accusations, la personne sera inscrite au le Fichier national des terroristes et des extrémistes, et ce à vie. Une fois inscrite sur cette liste, plus moyen de retirer plus de 10 000 roubles [environ 127 euros] en une fois ni d'utiliser sa carte de crédit.

Ces deux conséquences en génèrent une troisième: les employeurs potentiels ne seront pas pressés de vous embaucher si vous êtes officiellement fiché comme terroriste. Et si jamais ils le font, ils devront lever quantité d'obstacles administratifs, ne serait-ce que pour payer les taxes liées à votre emploi.

C'est pourquoi ceux qui se retrouvent sur cette liste sont souvent condamnés à la pauvreté, déchus de toute perspective de carrière, et même en butte à des problèmes de logement. Qui va accepter de louer, sans même parler d'accorder une hypothèque, à un terroriste ou un extrémiste officiel ?

Comme le dit un avocat spécialiste des droits de l'homme :

Около четверти всех дел, связанных с преследованием «за слова» по экстремистским и террористическим статьям, — это критика власти, пропаганда сепаратизма, критика аннексии Крыма и так далее. 75% остальных дел — это лайки и репосты в соцсетях.

Presque le quart de ces affaires de persécution «pour des paroles» et basées sur les articles de loi concernant l'extrémisme et le terrorisme sont en réalité des critiques du pouvoir, de la propagande séparatiste, des critiques après l'annexion de la Crimée, etc. Les trois quarts restants sont des likes et des reposts sur les réseaux sociaux.

Un mème en lui-même

Avec l'augmentation des procédures judiciaires pour échange de mèmes, l'affaire s'est bien entendu d'elle-même transformée… en mème.

Sur l'illustration ci-dessous, l'internaute utilise le mème «c'est un pigeon?» [en anglais] pour montrer comment les mèmes sont devenus prétextes à poursuites :

[«Moi» sur le visage, «mème» sur le papillon, texte: «C'est un délit?»] C'est à peu près ça.

Un autre a utilisé les héros du film de science-fiction «Interstellar» pour illustrer la situation surréaliste à Barnaoul en jouant sur le voyage stellaire et la distorsion temporelle, les motifs clés du film :

[Arrière-plan: Barnaoul», premier plan «Ici, un mème égale sept ans»]. Via Lepra.

Certains ont choisi une approche encore plus globale. Le célèbre blogueur et utilisateur de Twitter russe Anatoly Kapoustine, pour attirer l'attention sur le fait que les mèmes peuvent conduire en prison, a créé le compte Twitter «Les textes de mème qui t'envoient en prison», à base de vrais mèmes sources d'accusations d'extrémisme et d'affaires qui passent actuellement en jugement.

Kapoustine décrit les mèmes par un texte, en citant des phrases extraites de documents judiciaires pour citer ces mèmes en évitant d'être la cible d'accusations. Voici quelques exemples:

Image N°71: Photo représentant le patriarche Kirill en train de bénir une salle. La photo est accompagnée de ce texte: Le patriarche Kirill apportant au centre du ministère de l'Intérieur un nouvel antivirus pour ordinateur.

Image N°61: image de Staline et Mussolini accompagnée de cette légende : «Le fascisme est la plus terrible idéologie du XXe siècle».

Image N°41: en légende d'une photo d'un homme noir, «Tu n'es qu'un robot, une imitation de la vie. Est-ce qu'un robot peut écrire une symphonie, accomplir un chef-d’œuvre ?». En dessous, un autre personnage avec ce texte «Et en plus t'es un nègre.»

Image N°33: Un homme tenant des baskets avec la légende: «C'est la 300e fois que je le répète: les New Balance [en français] ont été conçues spécialement pour les nationalistes russes !»

L'éventail de thèmes réflété par ces mèmes, qui va de l'ouvertement raciste à la blague innocente, montre que la campagne des pouvoirs publics n'est pas assez ciblée pour s'attaquer de façon vraiment efficace aux menaces et aux appels à la violence sur la plateforme internet.

Même si on prend au pied de la lettre les buts affichés par la campagne contre l'extrémisme, il reste cette question de fond (en Russie comme dans d'autres pays) : quel doit être le rôle des organes d'application de la loi dans l'élimination du contenu indésirable, appelant à la haine, sur les réseaux sociaux ?

Dans le cas de la Russie, où les autorités comptent sur des peines d’emprisonnement disproportionnées et, semble-t-il, sur des conséquences financières sans fin, il devient évident que le refus de VKontakte d'assurer lui-même sa modération nuit à ses utilisateurs. Au lieu de transmettre les données des utilisateurs aux pouvoirs publics qui vont les poursuivre pour des mèmes racistes ou agressifs, l'entreprise doit faire plus activement le suivi des publications et supprimer les contenus qui peuvent être considérés comme offensants, et ce de manière cohérente, transparente et responsable.

Ce ne sera pas facile, mais alors que les débats sur la modération se poursuivent, les alternatives existantes — arrestations ou toxicité larvée — montrent qu'il faut essayer.

Les distributeurs automatiques au Japon continuent à surprendre, cette fois avec des pizzas et des crêpes

lundi 24 septembre 2018 à 11:24
vending machines in japan

Des distributeurs automatiques de Honmachi, le quartier des spectacles de Tsuruga au Japon. Photo : Nevin Thompson.

Les distributeurs automatiques japonais sont depuis toujours célèbres pour les curieux objets proposés à la vente : fleurs, parapluies, cravates… Pourtant, même avec un distributeur automatique pour 23 habitants et des ventes annuelles excédant 60 milliards de dollars, on peut encore être surpris par ce qui sort de leur bac.

L'utilisateur senegirl sur l'agrégateur japonais Naver Matome raconte l'histoire de trois singuliers distributeurs automatiques de nourriture apparus dans trois villes différentes, et qui ont captivé Twitter.

Une première au Japon ? On dirait bien… Un distributeur automatique de pizza fraîches ! (ha ha) Je parie qu'il y a un vieux dedans qui les cuit.

Les habitants d'Hiroshima ne parlent que de ça : l'apparition d'un distributeur automatique de pizzas situé à côté du lieu le plus fréquenté de la ville, TSUTAYA, un maillon d'une chaîne nationale de librairies au Japon. Le distributeur propose deux sortes de pizza: margherita (basilic, mozzarella et sauce tomate) pour environ 8,50 € et quatre-fromages pour environ 11 € avec une attente de seulement 3 minutes. La société-mère de TSUTAYA, qui vend les distributeurs, espère pourvoir les librairies de tout le Japon en machines de ce genre.

En attendant, les gens du coin sont agréablement surpris de trouver aussi savoureuses les pizzas cuites au four dans les machines.

Les premiers de la sorte au Japon ! Un distributeur automatique de pizzas sorties du four. (^^)

C'est près de mon travail, j'ai donc voulu aller voir et goûter. Le voilà avec mon Lemonsco. Je n'avais pas le temps d'en avoir une, mais la prochaine fois j'essaierai ! (*'▽'*)

Pendant ce temps, à Inashiki, une ville située dans la préfecture d'Ibaraki, à une heure de train au nord-est de Tokyo, un restaurant se trouvait avoir d'antiques distributeurs automatiques des années 1960 en parfait état de marche.

Le long de l'autoroute nationale, sur une vieille aire de repos se trouve un vieux distributeur automatique rétro où on peut acheter de boîtes à bento. Pour 300 yen (2,55 €), on peut acheter un bento préparé par un magasin voisin.

Pour 300 yens, les voyageurs peuvent acheter une élémentaire boîte à bento de viande et riz, avec des baguettes. Trois viandes sont proposées : poulet sauté, côtelette de porc, et viande grillée qui est le choix le plus fréquent.

La fameuse machine à bento de viande vue à la télé.

Enfin, discret dans son coin de Kagoshima, la ville à l'extrémité sud-ouest de l'île de Kyushu, se trouve un distributeur automatique de crêpes tout juste sorties de la poêle. Il est situé dans le quartier commercial de  Tenmonkan, caché près d'un arrêt de bus, et de l'avis général, malaisé à trouver.

Ceux qui ont la chance de dénicher ce distributeur automatique inusité sont régalés de savoureuses crêpes en déboursant 200 yen (1,70€).

Le joyau caché de Kagoshima : un distributeur automatique de crêpes !

Ce distributeur sert des garnitures variées : chocolat, caramel, fraise, fromage. Les crêpes sont distribuées dans des récipients en verre, que les clients sont invités à rendre après consommation.

Face au succès exceptionnel de cette machine, des internautes se sont demandé si d'autres villes en avaient aussi :

“Ce distributeur automatique de crêpes se trouve à Kagoshima, est-ce que quelqu'un en a dans sa préfecture ?”

“Non. Vous en avez de la chance…”

En Syrie, les loyalistes du régime utilisent l'art au service de la guerre

dimanche 23 septembre 2018 à 11:16

Un collectif d'artistes a transformé un tunnel creusé par les rebelles à proximité de Damas en galerie d'art. Arrêt sur image d'un reportage de RT, le média proche du Kremlin. Source : Youtube.

La conflit syrien a plongé le pays dans un maelstrom de mort et de destruction, et déclenché une crise humanitaire dont il existe peu de précédents, au point qu'il paraît inconcevable que cette macabre réalité puisse être associée en quoi que ce soit à une esthétique.

Il n'empêche que les belligérants ont fait appel à des représentations de la guerre — frisant parfois le romantisme — pour tenter de faire passer des messages ajustés servant des fins de propagande. Un militarisme s'est insinué dans des formes d'expression généralement considérées comme en contradiction avec la guerre et la militarisation. Une évidence dans le théâtre, les arts plastiques, la mode, la musique pop et d'autres sphères. Et nulle part cela n'est plus flagrant que dans les cercles du régime.

Dès les premiers temps de la révolution, le régime syrien a idolâtré et idéalisé un État militaire. À l'entrée de la province de Lattaquié, le berceau familial du dictateur syrien, un brodequin militaire géant rempli de fleurs salue les arrivants. Des rangers du même genre émaillent les zones sous contrôle du gouvernement.

Les médias du régime syrien s'appliquent à prodiguer les témoignages d'affection pour l'armée syrienne, avec des images de personnalités éminentes comme de citoyens ordinaires ‘baisant’ les bottes militaires avec recueillement en gage de loyauté et gratitude.

Les séries dramatiques et les films en Syrie ont mis à profit les lieux ‘prêts à l'emploi’ de quartiers détruits, résultats des bombardements gouvernementaux qui ont arasé des quartiers entiers, ce qui a économisé des fortunes en réalisation de décors. Des films comme ‘Pluie à Homs‘ réalisé par Joud Saïd et ‘L'Homme de la révolution‘ de Najdat Anzour ont été critiqués pour avoir poli les actes du régime.

Beaucoup pensent que les scènes montrées font peu de cas des sentiments des habitants qui ont perdu des proches, perdu leurs maisons, ou tout à la fois, ce qui vise à aviver encore les blessures dans un pays sous le choc d'une guerre dévastatrice. Un ressenti particulier parce que ces séries cherchent à confirmer le narratif gouvernemental  des événements rejetant sur les rebelles la faute de la destruction à grande échelle de la cité.

En octobre 2017, une créatrice de mode syrienne loyaliste, Manal Ajaj, avait suscité la polémique quand elle a posé sur le podium avec des mannequins vêtues d'uniformes militaires syriens lors d'un défilé de mode à Beyrouth. Un “hommage à l'armée syrienne”, a-t-elle justifié.

Le mois dernier, Bachar al-Assad et sa femme Asma ont visité un tunnel créé par les rebelles (désignés comme des terroristes) après la prise de contrôle par le régime syrien de la Ghouta orientale en avril.

Un collectif d'artistes pro-Assad a transformé le tunnel en “galerie d'art”, selon l'agence d'information de l’État syrien.

Approuvant le travail de ces artistes, Bachar al-Assad a été cité disant :

Destruction, obscurité et mort sont la culture des terroristes, tandis que construction, lumière, vie et art sont notre culture.

Autre exemple, la vidéo devenue virale d'un soldat syrienr dansant sur l'air d'une chanson à succès en route vers la province d'Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, pour y combattre les forces de l'opposition. Les loyalistes font la promotion de cette vidéo comme preuve du ‘bon moral’ de l'armée syrienne avant la bataille imminente qui éliminera le dernier bastion de l'opposition, faisant craindre un bain de sang de plus dans la guerre syrienne.