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Deux femmes qui ont osé défier le président rwandais Paul Kagame

vendredi 7 septembre 2018 à 10:00

La candidate d'opposition Victoire Ingabire attend le juge à la Cour suprême de Kigali. Source : kigaliwire.com via Flickr, utilisation autorisée : Attribution Non-Commercial 2.0 Generic (CC BY-NC 2.0)

En 2015, le président rwandais Paul Kagame a mis en place des réformes constitutionnelles lui permettant de briguer un troisième mandat, ce qui lui garantit un maintien à la présidence jusqu'à 2034. Sous la direction de Kagamé le Rwanda s'est métamorphosé de nation hantée par un passé génocidaire en pays de modernité et de développement.

Néanmoins, la remarquable transformation du Rwanda s'est faite au prix, élevé, d'une constante répression des droits de la personne et de la liberté d'expression. Un rapport de 2017 de Human Rights Watch sur le Rwanda révèle un gouffre abysmal d'affaiblissement de la libre parole et du pluralisme politique, accompagné d'exécutions extra-judiciaires, de détentions arbitraires, de voies de fait et de torture de citoyens.

Deux femmes qui ont chacune défié Kagame en tant que candidates d'opposition aux élections présidentielles, Victoire Ingabire et Diane Rwigara, sont désormais en prison pour des charges largement considérées comme montées de toutes pièces en vue de faire taire les voix d'opposition :

2010 : Victoire Ingabire (1ère image) a voulu se présenter à la présidence du Rwanda comme candidate unique de l'opposition contre le DICTATEUR Paul Kagamé, elle a été arrêtée et emprisonnée pour 15 ans.
2017 : Diane Rwigara (2ème image) a voulu se présenter à la présidence, arrêtée, encourt maintenant 20 ans. Debout les FEMMES Libérez Diane Rwigara

Victoire Ingabire

Victoire Ingabire. Photo utilisée avec l'autorisation de Friends of Victoire.

Victoire Ingabire est rentrée en janvier 2010 au Rwanda après avoir vécu 16 ans aux Pays-Bas, en vue de participer à l'élection présidentielle de 2010.

Cette même année, elle a été la présidente des Forces démocratiques unies (FDU-Inkingi) au Rwanda.

Son crime, selon Friends of Victoire (l'organisation Les amis de Victoire) a commencé avec son discours au Mémorial du génocide à Kigali :

On 16 January 2010, her first day in the country after 16 years abroad, she made a speech at the Genocide Memorial Centre in the capital, Kigali, and laid a remembrance wreath. Her speech, which referred to problems with reconciliation and ethnic violence, addressed issues that are rarely discussed openly in Rwanda. Victoire Ingabire was arrested in April 2010. She was bailed on house arrest and prevented from leaving Kigali. She was subsequently re-arrested on 14 October 2010 and was remanded in pre-trial detention.

Le 16 janvier 2010, son premier jour dans le pays après 16 ans à l'étranger, elle a prononcé un discours au Mémorial du Génocide dans la capitale Kigali, et a déposé une gerbe en souvenir. Son discours, qui traitait des questions de réconciliation et de violence ethnique, abordait des sujets rarement discutés ouvertement au Rwanda. Victoire Ingabire a été arrêtée en avril 2010. Elle a été assignée à résidence sous caution et empêchée de quitter Kigali. Elle a été arrêtée à nouveau le 14 octobre 2010 et est restée en détention préventive.

Entre 1994 et 1995, le Rwanda a connu un génocide pendant lequel les populations d'ethnie Hutu et Tutsi se sont livrées à des massacres de masse, sous l'impulsion des nationalistes hutus. Près de 800.000 personnes, essentiellement tutsies ont été massacrées dans l'espace d'une année. Les Twa, un peuple autochtone, ont perdu, de leur côté, presqu'un tiers de leur population.

Conséquence du génocide, presque deux millions de Rwandais, essentiellement des Hutus, ont fui en République démocratique du Congo (RDC) pour se mettre à l'abri des violences. Les violences de l’invasion en RDC des Forces de défense rwandaises (FDR) tutsies de Paul Kagamé ont provoqué des atrocités qui ont surtout visé des milliers de Hutus.

Le Rwanda a édicté un certain nombre de lois proscrivant “l'idéologie génocidaire”, “la minimisation du génocide” et le “négationnisme,” mais Amnesty International estime que ce sont des “textes vagues qui imposent des restrictions non nécessaires à la liberté d'expression des personnes”.

Quand Ingabire, une Hutue, a demandé pourquoi il n'y avait pas de mémorial pour les Hutus modérés également tués dans le génocide, arguant que “son frère était l'un d'eux,” elle a été perçue comme une “négationniste” et par conséquent interdite de concourir à l'élection présidentielle de 2010.En 2013, la Cour suprême rwandaise lui a infligé une peine de prison de quinze ans pour :

…threatening state security and ‘belittling’ the 1994 genocide. The Supreme Court also pronounced her guilty of spreading rumors intended to incite people to revolt — charges on which she had earlier been cleared.

… mise en danger de la sécurité d'État et “minimisation” du génocide de 1994. La Cour suprême l'a aussi déclarée coupable de propagation de rumeurs avec l'intention d'inciter les gens à l'insoumission — des charges dont elle avait été antérieurement innocentée.

Le 24 novembre 2017, la Cour africaine des des droits de l'homme et des peuples (AfCHPR) a jugé que le Rwanda avait enfreint le droit de Victoire Ingabire à la liberté d'opinion et d'expression, ainsi que son droit à une défense adéquate. La cour a maintenu que l'État (rwandais) n'avait  pas respecté différents aspects de ses droits :

Ingabire’s right to various aspects of her defense and to freely express her opinions within the law. The judges found that Ingabire had not minimized the genocide against Tutsis and had not spread false rumors about the government, charges that were central to Ingabire’s conviction by Rwandan courts.

Le droit d'Ingabire à divers éléments de sa défense et à librement exprimer ses opinions dans le cadre de la loi. Les juges ont établi qu'Ingabire n'avait pas minimisé le génocide contre les Tutsis et n'avait pas propagé de rumeurs fausses contre le gouvernement, des charges centrales de la condamnation d'Ingabire par les tribunaux rwandais.

Diane Rwigara

La femme d'affaires rwandaise Diane Shima Rwigara a été candidate indépendante à l'élection présidentielle rwandaise de 2017. Son père, Assinapol Rwigara, a été un des principaux financiers du Front patriotique rwandais de Kagame dans les années 1990, et en 2015, il a été tué dans ce que sa fille a dit être un assassinat. La police a affirmé qu'il était mort dans un accident de la route.

La décision de Rwigara de se présenter contre Kagame a été louée comme ‘brisant un plafond de verre’. Mais elle n'a pas tardé à être salie par la publication de photos de nus partagées sur les médias sociaux. Rwigara a déclaré que ces images étaient des montages destinés à la réduire au silence.

La Commission électorale rwandaise a donné le coup de grâce à ses ambition avec des documents disqualifiants accusant Rwigara d'avoir falsifié le nombre de signatures requises pour candidater contre Kagame au scrutin. Elle a même été accusée de soumettre des noms de morts, ce qu'elle a nié.

Dans une tribune publiée par le Washington Post, Rwigara affirme :

Screen shot of Diane Shima Rwigara, Rwandan opposition candidate, whose arrest sparked the hashtag #FreeDianeRwigara

It’s no longer news that I have been disqualified as a candidate in Rwanda’s presidential election. Unfortunately, Rwandans will not see my name on their polling cards when they go to vote on Aug. 4. President Paul Kagame will eventually be crowned as an undisputed king of Rwanda and will continue to rule the country in a climate of fear and lack of fundamental freedoms. By extending his 23 years in power, Kagame is denying Rwandans an opportunity to experience the first-ever peaceful transition of power in their country.

On sait désormais que j'ai été disqualifiée comme candidate à l'élection présidentielle du Rwanda. Malheureusement, les Rwandais ne verront pas mon nom sur leurs bulletins quand ils iront voter le 4 août. Le président Paul Kagamé finira par être couronné roi incontesté du Rwanda et continuera à régner sur le pays dans un climat de peur et d'absence des libertés fondamentales. En prolongeant ses 23 années de pouvoir, Kagame refuse aux Rwandais une opportunité de connaître la toute première transmission pacifique du pouvoir dans leur pays.

Rwigara a été arrêtée l'an dernier sur des charges de “provocation et fraude” et envoyée en prison pour 20 ans. Ses biens ont été confisqués et vendus aux enchères par Kagame. Des membres de sa famille ont aussi été expédiés derrière les barreaux pour évasion fiscale; et plusieurs de ses partisans ont signalé des faits de harcàlement :

Aujourd'hui cela fait 1 AN que l'activiste politique et aspirante présidentielle Diane Shina Rwigara et sa mère Adeline ont été illégalement arrêtées sur des charges fabriquées par les autorités rwandaises. Libérez Diane Rwigara Libérez les Rwigara

Les Rwandais ont connu une croissance économique soutenue autour de huit pour cent par an entre 2001 et 2014, selon le Forum économique mondial. La part de Rwandais vivant en-dessous du seuil de pauvreté a chuté de 57 % en 2005 à 45 % en 2010. Et Kagame a positionné le Rwanda comme le champion mondial pour le nombre de femmes députées au parlement.

Cependant, ReportsAfrique argue que la “haute-main [de Kagame] contre les opposants politiques est susceptible d'ébranler cette apparente bonne réputation qu'il s'est bâtie”.

L’autoritarisme de Kagame est habilement dissimulé aux touristes et aux donateurs internationaux. A la tête d'une machinerie communicante bien huilée; on l'appelle aussi le dictateur bienveillant du Rwanda.

WordFrames : les Rohingyas, “insurgés” ou “terroristes” : quand nommer c'est prendre parti

jeudi 6 septembre 2018 à 15:27

Carte en anglais illustrant l'accroissement du nombre de réfugiés rohingyas au Bangladesh. L'image a été largement diffusée. Source : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, UNrefugees.org ([1] [2]).

Traduction du texte du graphique à gauche :
647.000 Rohingyas auraient fui au Bangladesh depuis le 25 août 2017 selon les estimations de l'ONU au 7 janvier 2018.
Estimation du nombre de réfugiés rohingyas au Bangladesh avant le 25 août 2017 : 307 500.
Estimation du nombre de réfugiés rohingyas au Bangladesh à compter du 26 décembre 2017 : 954 500.

Traduction de la légende de la carte à droite, de haut en bas :
Implantations, Implantations spontanées, route des réfugiés

Avec la série WordFrames, NewsFrames de Global Voices explore le discours médiatique à partir des associations de mots, en comparant et contrastant leur usage et leur possible signification dans le débat publique.

Hors mention contraire, l'ensemble des liens de cet article dirigent vers des pages en anglais.

Malgré le climat tropical, les icebergs semblent nombreux en Birmanie. En septembre 2017, Aung San Suu Kyi, secrétaire générale de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) et députée, accuse les « terroristes » de colporter un « iceberg de désinformation » concernant les violences ayant eu lieu dans l'ouest de la Birmanie. Selon les Nations Unies, ces violences ont forcé plus de 688 000 Rohingyas à chercher refuge au Bangladesh voisin. Au même moment, les associations de défense des droits humains ont indiqué que les incidents déclarés impliquant les milices birmanes, les forces de sécurité locales et l'armée dans la crise des musulmans rohingyas n'étaient que la partie « émergée de l'iceberg ».

Comment alors explorer sous la surface ? Dans cet article de WordFrames, nous allons explorer l'usage complexe et délicat des termes « insurgés » et « terroristes » pour désigner les Rohingyas dans les médias, et plus spécifiquement les membres de l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA).

Qui sont les Rohingyas et l'Armée du salut des Rohingya de l'Arakan (ARSA) ?

Les Rohingyas constituent une minorité ethnique et religieuse birmane. L'Organisation des Nations Unies (ONU) les considère comme la minorité la plus persécutée au monde, qualifiant de « nettoyage ethnique » les violences commises par les autorités birmanes à leur encontre.

Selon Engy Abdelkader, chercheure et professeure agrégée à l'université de Georgetown, ces persécutions sont apparues en 1948 au moment où le pays acquit son indépendance du Royaume-Uni qui l'avait colonisé.

The British ruled Myanmar (then Burma) for over a century, beginning with a series of wars in 1824.

Colonial policies encouraged migrant labor in order to increase rice cultivation and profits. Many Rohingya entered Myanmar as part of these policies in the 17th century. According to census records, between 1871 to 1911, the Muslim population tripled.

The British also promised the Rohingya separate land – a “Muslim National Area” – in exchange for support. During the Second World War, for example, the Rohingya sided with the British while Myanmar’s nationalists supported the Japanese. Following the war, the British rewarded the Rohingya with prestigious government posts. However, they were not given an autonomous state.

After independence (1948), the Rohingya asked for the promised autonomous state, but officials rejected their request. Calling them foreigners, they also denied them citizenship.

These animosities continued to grow. Many in Myanmar saw the Rohingya as having benefited from colonial rule. A nationalist movement and Buddhist religious revival further contributed to the growing hatred.

Les Britanniques ont gouverné la Birmanie pendant plus d'un siècle, après plusieurs guerres à partir de 1824.

Les politiques coloniales ont encouragé l'immigration de travailleurs afin d'accroître la production du riz et les bénéfices en découlant. Beaucoup de Rohingyas sont entrés en Birmanie à la faveur de l'une de ces politiques au XVIIe siècle. Entre 1871 et 1911, la population musulmane recensée a triplé.

Les Britanniques avaient également promis aux Rohingyas un territoire distinct – un espace national musulman –  en échange de leur soutien. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Rohingyas ont pris le parti des Britanniques contre les nationalistes birmans soutenant les Japonais. Après la guerre, les Britanniques ont récompensé les Rohingyas en leur attribuant des postes prestigieux dans l’administration. Cependant, ils n'ont pas reçu un État indépendant.

Après l'indépendance [de la Birmanie] (1948), les Rohingyas ont réclamé le territoire autonome promis, mais cette demande a été rejetée par les autorités. Ils ont également été considérés comme des étrangers, et la citoyenneté leur a été refusée.

L'animosité est allée croissant. Beaucoup de Birmans considèrent que les Rohingyas ont profité de la colonisation. Le mouvement nationaliste et le renouveau du Bouddhisme ont contribué à attiser davantage cette haine grandissante.

Tel est le contexte historique des conflits les plus récents dans l’État de Rakhine [Fr] où la population rohingya à majorité musulmane a subi des persécutions. Des opérations militaires – comme Nagamin (1978) et Pyi Thaya (1991-1992)ont eu lieu antérieurement dans cette zone, ainsi que des conflits plus récents entre les communautés bouddhistes et musulmanes de la région en 2012 [Fr] et 2013.

La situation actuelle, qui commence en octobre 2016, marque le début du conflit en cours avec le groupe connu sous le nom de l'Armée du salut des Rohingya de l'Arakan [Fr], que opére dans l’État de Rakhine et affirme agir au nom des Rohingya de Birmanie. La couverture médiatique de ces évènements mentionne inévitablement l'ARSA.

Le rapport de l'International Crisis Group (ICG) sur l'ARSA, rendu publique le 15 décembre 2016, indique que le groupe est dirigé par des Rohingyas vivant en Arabie Saoudite. Bien que l'ARSA, ou de son nom officiel Harakah al-Yaqin (le « Mouvement de la Foi » en arabe), ait des connexions avec des groupes djihadistes, son objectif déclaré, selon le rapport de l'ICG, n'est pas le djihad mais l'arrêt des persécutions des Rohingyas :

It has called for jihad in some videos, but there are no indications this means terrorism.

Elle [l'ARSA] a appelé au djihad dans certaines vidéos, mais il n'y aucune indication que cela fasse référence au terrorisme.

Cependant, un porte-parole de l'ARSA a réfuté cela, en déclarant au journal Asia Times que l'ARSA n'a aucun lien avec des groupes djihadistes et n'existe que pour se battre pour la reconnaissance des Rohingyas en tant que groupe ethnique.

Le 25 août 2017, l'ARSA a lancé une attaque contre l'armée birmane, entraînant sa qualification d'organisation terroriste par la Commission centrale birmane de l’antiterrorisme en accord avec les lois birmanes sur ce sujet.

Cette déclaration a encouragé les grands médias officiels du gouvernement à utiliser le terme terroriste pour évoquer l'ARSA, tandis que les quelques médias indépendants et modérés comme Frontier Myanmar ont décidé de les décrire comme des militants.

Comment le monde anglophone fait-il référence à la question des Rohingyas ?

Concernant les actualités sur les Rohingyas, la couverture anglophone du sujet semble se caractériser par l'emploi du terme insurgé plutôt que terroriste.

Pour commencer notre analyse, nous avons utilisé l'outil d'analyse de données Media Cloud (voir encart) pour rechercher les sujets liés à la famille de mots utilisés pour se référer aux Rohingyas dans les médias américains entre le 6 février 2017 et le 6 février 2018. Considérant la prédominance des médias américains sur le marché anglophone, nous avons choisi un corpus de textes américains comme représentant des discussions du monde anglophone dans son ensemble.**

Qu'est-ce que Media Cloud?

Media Cloud est une plateforme libre développée par le MIT Center for Civic Media et le Harvard Berkman Klein Center for Internet and Society. Media Cloud est conçu pour agréger, analyser, délivrer et visualiser des informations tout en répondant à des questions qualitatives et quantitatives complexes sur le contenu de médias en ligne.

En utilisant le navigateur de MediaCloud, nous avons trouvé un couple de termes prédominants qui apparait fréquemment dans les mêmes phrases que le terme Rohingya : terroriste et insurgé. MediaCloud a identifié 6 323 récits et textes reliés dans le corpus américain avec le terme « Rohingya », 1 443 récits et commentaires reliés au radical insurgé* (insurgent* en anglais) et 499 récits et commentaires reliés au radical terreur* (terror*). Voir la capture d'écran ci-dessous du 27 mars 2018.

Termes fréquents (mis en évidence par soulignage ou surlignage en jaune) dans les récits contenant “Rohingya” dans le corpus de textes américains de février 2017-2018. Source: Media Cloud (agrandir l'image)

La prédominance des termes reliés à insurgé au lieu de terroriste dans cet échantillon est d'un rapport de plus de deux à un :

Fréquence des récits reliés à insurgé ou insurrection (en violet) et terreur (en vert) dans les résultats de “Rohingya” pendant la période étudiée. La fréquence des récits mentionnant « l'ARSA » (en rouge)  est également incluse. Source: Media Cloud (agrandir l'image)

Lorsque l'on creuse l'analyse des récits avec le mot terroriste,on constate qu'au lieu d'être utilisé directement dans le texte, le terme apparait souvent dans des propos rapportés ou est cité entre guillemets.

Termes fréquents (mis en évidence par soulignage ou surlignage en jaune) dans les récits contenant « Rohingya » et « terreur » (« terror » en anglais) dans le corpus de textes américains de février 2017-2018. Source: Media Cloud (agrandir l'image)

Par exemple, dans cet article de CNN, en réponse à 5 questions à propos de l'ARSA, le mot terroriste apparait seulement en citation dans la déclaration du gouvernement sur l'organisation :

The Rohingya militant group known as ARSA has since proposed a ceasefire to allow aid groups to respond to the humanitarian crisis, which the government has rejected, saying it doesn't “negotiate with terrorists.”

Le groupe de militants rohingyas connu sous le nom de ARSA a depuis proposé un cessez-le-feu pour permettre aux associations humanitaires de répondre à la crise humanitaire ; ce que le gouvernement a rejeté, déclarant qu'il ne « négociait pas avec les terroristes ».

Et dans celui-ci, nous voyons que le mot terroriste apparait entre guillemets :

Atah Ullah insists that al-Yaqeen are not “terrorists”, saying they will never attack civilians.

Atah Ullah soutient que al-Yaqeen ne sont pas des « terroristes », indiquant qu'ils n'attaqueraient jamais des civils.

Cette publication de l'AP cite le gouvernement birman décrivant l'ARSA comme « des terroristes bengalis extrémistes » :

After the latest attacks, Myanmar’s government has insisted they should only be referred to as “extreme Bengali terrorists.”

Après les dernières attaques, le gouvernement birman a soutenu qu'ils devaient être désignés uniquement comme « des terroristes bengalis extrémistes ».

Cependant, les articles utilisant le terme insurgé (insurgent en anglais) ou insurrection (insurgency) étaient plus directs :

Termes fréquents (mis en évidence par surlignage en jaune) dans les récits contenant « Rohingya » et « insurgé* » (« insurgent*» en anglais) dans le corpus de textes américains de février 2017-2018. Source: Media Cloud (agrandir l'image)

Thousands of Rohingya flee ‘no man's land’ after resettlement talks
February 18, 2018. Reuters.

“Nearly 700,000 Rohingya fled Myanmar for Bangladesh after insurgent attacks on Aug. 25 sparked a military crackdown that the United Nation as has said amounted to ethnic cleansing, with reports of arson attacks, murder and rape.”

Des milliers de Rohingyas fuient le « no man's land » après les négociations sur les réinstallations
18 février 2018, Reuters

« Près de 700 000 Rohingya ont fui la Birmanie pour le Bangladesh après que les attaques d’insurgés du 25 août ont déclenché une répression militaire que l'Organisation des Nations Unies a déclaré équivaloir à un nettoyage ethnique, avec la description d'incendies volontaires, de meurtres et de viols ».

Le Daily Mail fait référence aux évènements du 25 août dans tous les articles concernés comme étant des « attaques d'insurgés » :

Bangladesh gives names to Burma to begin Rohingya repatriation
February 18, 2018. Mail Online.

“The violence erupted after an underground insurgent group, the Arakan Rohingya Salvation Army, attacked security outposts in Rakhine in late August.”

Le Bangladesh fournit des noms à la Birmanie pour commencer le rapatriement des Rohingyas
18 février 2018, Mail Online

« La violence a éclaté après qu'un groupe d'insurgés clandestins, l‘Armée du salut des Rohingya de l'Arakan, a attaqué des avant-postes de l'armée au Rakhine fin août. »

Et dans cet article de l'Indian Express, l'ARSA est introduit comme « un groupe de militants armés » :

Myanmar’s armed Rohingya militants deny terrorist links
March 29, 2017. The Indian Express.

“In October last year, armed men killed nine Myanmar border guards, triggering a savage counterinsurgency sweep by the army in the Rohingya area of Rakhine.”

Brimanie : Les milices armées rohingya nient tout lien terroristes
29 mars 2017, The Indian Express.

« En octobre de l'année dernière, des hommes armés ont tué neuf garde-frontières birmans, provoquant une contre-insurrection brutale menée rapidement par l'armée dans la région rohingya du Rakhine. »

De la même manière, l'exploration des articles avec la seule mention « ARSA » montre une difficulté généralisée pour qualifier le groupe avec d'une part « terroriste » et de l'autre « insurgé ». Ainsi, un échantillon Media Cloud fait sur la période d'un an ramène 99 phrases avec « ARSA » et « terroriste » contre 84 phrases avec « insurgé ».

Termes fréquents (mis en évidence par surlignage en jaune) dans les récits contenant «ARSA» dans le corpus de textes américains de février 2017-2018. Noter  la fréquence similaire d'apparition de « terroriste » (« terrorist » en anglais) en lien avec « insurgé » (« insurgent »). Source: Media Cloud

En se basant sur la lecture des articles proposés par Media Cloud, l'une des raisons de la préférence du terme « insurgé » sur celui de « terroriste » semble provenir de la réponse de certains Rohingyas aux actions des forces de sécurité birmanes et des milices locales dans un contexte général de crise humanitaire.

Par exemple, dans un effort conscient ou inconscient d'équilibrer la présentation des principaux acteurs de ces évènements, cet article du Washington Post de septembre 2017 introduit la situation en Birmanie en décrivant les Rohingyas comme des « individus terrorisés conjointement par l'armée birmane et des villageois bouddhistes, sous le prétexte de débusquer les insurgés islamistes ».

Près de deux mois plus tard, dans un autre récit du Washington Post, l'auteur parle des actes de violence commis par l'ARSA contre des Birmans et des bouddhistes bengalis, en utilisant tout au long de l'article les termes d'« insurgés » et de « militants » pour décrire l'organisation.

Le classement de la terreur

Malgré le classement de l'ARSA comme un « groupe terroriste » par le gouvernent, l'ARSA a répondu peu de temps après avec un communiqué déclarant que, en réalité, c'était l’État lui-même qui était coupable de terrorisme :

COMMUNIQUÉ : ARSA classe le « régime militaire birman » comme « Organisation Terroriste » causant terreur et destruction à l’ethnie Rohingya.

Cela a conduit à des investigations supplémentaires de notre part : à partir de quand un évènement est-il classé de « terrorisme » ? Selon la Base de Données sur le terrorisme Global Terrorism Database, 430 incidents reliés aux Rohingyas ont eu lieu en 2016.

Cependant, aucun de ces évènements n'a été perpétré par l’État, et c'est intentionnel. Le manuel de Global Terrorism Database définit une attaque terroriste comme « la menace de recourir à une force ou une violence illégale ou son usage effectif par un acteur non-étatique afin d'atteindre un objectif politique, économique, religieux ou social par la peur, la coercition ou l’intimidation.» [Il est souligné que] :

3. The perpetrators of the incidents must be sub-national actors. The database does not include acts of state terrorism.

3. Les responsables de ces incidents doivent être des acteurs locaux. La base de données n'inclut pas d'actes de terrorisme d’État.

La base Global Terrorism Database aborde les chevauchements entre les actes de terroristes et les autres formes de crime et de violences politiques telles que l'insurrection. Par exemple, cette action du groupe Armée de l'État Shan du Nord en novembre 2015 a été classée comme une « action d'insurrection/guérilla ».

En tentant d'approfondir la question de la difficile distinction entre les actions de guérilla et l'insurrection, les chercheurs Erin Miller, Gary LaFree et Laura Duga vont plus loin dans leur livre en mettant en évidence comment le temps et l'espace sont aussi des facteurs ayant un impact :

If terroristic violence became really sustained and extensive in an area—if it was no longer fitful or sporadic—the activity was generally no longer called terrorism, but rather war or insurgency.

Si la violence terroriste devenait vraiment nourrie et intense dans une région – si elle n'était plus intermittente ou sporadique – cette activité n'était alors généralement plus appelée du terrorisme, mais plutôt une guerre ou une insurrection.

Ou, si l'on examine la classification suivante : parmi les évènements suivis par la base de données Global Database of Events, Language, and Tone (GDELT) et associés aux militaires birmans au cours des derniers mois, la classe « Violence de masse et non conventionnelle » y est décomptée 120 fois.

Carte d'activité du Global Database of Events, Language, and Tone (GDELT) visualisant les évènements du 6 avril 2016 au 2 mai 2018 enclenchés par les militaires birmans et classés en type 20 « Violence de masse et non conventionnelle (20) » (pour voir l'image d'origine)

Cette incursion dans l'exploration des actualités anglophones sur les Rohingyas n'est que la « partie émergée de l'iceberg » – beaucoup de questions sont encore à traiter concernant la qualité et la diversité de la couverture médiatique.

Mais nous avons peut-être, pour l'instant, assez d’éléments pour simplement conclure que dans cette bataille de termes, et finalement dans certaines situations de crise, les luttes lexicales sont représentatives de luttes plus larges sur le contexte. Dans le cas qui nous concerne, la lutte est entre la caractérisation des évènements par le gouvernement birman et celle de l'ARSA. Et cette lutte – dans laquelle on estime que 647 000 Rohingyas ont fui au Bangladesh entre le 25 août 2017 et le 7 janvier 2018 [voir le graphique au début de l'article du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés] – révèle également, dans une certaine mesure, les limites du langage.

Propositions de lectures similaires sur Global Voices :

Connie Moon Sehat a contribué à l'écriture de cet article. L'auteur tient également a remercié Andrea Brás et Thant Sin pour leur aide.

**les médias anglophones basés en Birmanie peuvent être en prise avec des terminologies légèrement différentes – militants (plutôt que insurgés) et terroristes (comme le montre cette recherche Media Cloud dans l'un des corpus de NewsFrames) ; militants semble également plus fréquemment utilisé que terroristes. Pour le cadre de cet article, nous n’entreprenons pas une analyse approfondie de ces résultats préliminaires.

Le Brésil en deuil de ses plus anciens trésors réduits en cendres dans l'incendie de son musée national

jeudi 6 septembre 2018 à 00:36

Les pompiers ont tenté pendant des heures d'éteindre l'incendie du Musée National. Le manque d'eau a été un problème | Image : Arrêt sur image du Facebook live de Felipe Milanez

Les Brésiliens ont le cœur brisé depuis que le Musée National du Brésil, le plus ancien, et probablement le plus important, gardien de la plus vaste collection d'histoire naturelle et d'anthropologie d'Amérique latine, a entièrement brûlé dimanche 3 septembre, dans un incendie qui a fait rage une nuit entière.

Le musée national a été fondé à Rio de Janeiro en 1818 par le roi du Portugal Dom João VI. Il était logé dans un palais de la même époque. Le site avait été la résidence des familles royales portugaise et brésilienne jusqu'en 1889. C'est aussi là que s'est réunie la première assemblée constituante du Brésil.

En plus de 200 ans d'existence — un anniversaire qui venait d'être célébré en juin de cette année –, le musée avait assemblé une collection de quelque 20 millions d'objets. Si la liste complète des objets anéantis reste encore à publier, des trésors comme le plus vieux fossile humain trouvé dans les Amériques, des pièces d'Égypte ancienne et l'original de la lettre qui a aboli l'esclavage au Brésil en 1888 sont irrémédiablement perdus.

Des individus, parmi lesquels le personnel et les scientifiques du musée, ont risqué leur vie en pénétrant dans le brasier pour sauver quelques objets.

Si le nombre de visiteurs diminuait d'année en année — plus de Brésiliens ont visité le Louvre en 2017 que le Musée national –, les réactions en ligne se sont multipliées à l'annonce de l'incendie.

Le journaliste et professeur Felipe Milanez a diffusé un live-stream du brasier du musée :

Un utilisateur de Twitter a posté une longue série, avec des images, des pertes possibles dans l'incendie :

[Tweet au-dessus : restes du squelette de Luzia, le nom du plus ancien fossile humain ancien jamais retrouvé dans les Amériques, daté d'il y a 11.500 à 13.000 années]

L'esquif de dame Sha-Amun-in-su. Egypte, Basse époque, vers 750 avt JC

[en haut : Indiens Ricbatas. Poupée en céramique (Statuette Litxocô), non datée]

Indiens Ricbactas. couronne radiale, sans date.

[en haut :peuple Yoruba. Masque de société secrète féminine Gelede, sans date]

Et il y a toujours le bâtiment lui-même

Une vidéo publiée par la page Facebook Realidade Simulada donne une vue aérienne du musée avant l'incendie :

Le prix de la négligence

Après la tragédie, les gens se sont souvenus de la façon dont les autorités négligeaient depuis des années le musée national. Le musée est géré par l'Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) publique et de plus en plus sous-financée.

Luísa Nunes, une étudiante de cette université, s”est rappelée sur Twitter que ceci était le sixième incendie majeur dans les locaux de l'UFRJ depuis 2011.

2011, Palais de la Praia Vermelha.
2012, Faculté des Lettres
2014, Laboratoire du Centre des Sciences de la santé
2016, Rectorat
2017, Résidence étudiante
2018, Musée National

Voici les bâtiments sous la garde de l'UFRJ qui ont souffert d'épisodes d'incendie dans la dernière décennie.

L'État de Rio de Janeiro connaît lui aussi une crise budgétaire sans précédent : les coupes dans les salaires des fonctionnaires affectent également ceux des pompiers. Les deux prises d'eau voisines du musée étaient à sec, et les pompiers ont dû improviser en cherchant l'eau d'un lac proche, ce qui a retardé de 40 minutes leur intervention.

Le budget annuel du musée, d'environ 500.000 reais (103.700 euros), a subi de grands coups de rabot dans les cinq dernières années, a révélé le journal brésilien Folha de S.Paulo dans un article de mai 2018. L'utilisateur de Twitter DanPimpao a publié un graphique montrant les baisses du budget du musée depuis 2013 :

Les budgets du Musée National de 2013 à 2018. Analysez vous-mêmes et tirez vos propres conclusions.

Le musée en feu. Image par Felipe Milanez, utilisée avec son autorisation.

Lors de son 200e anniversaire, la direction du musée a lancé une campagne de financement participatif pour rouvrir une intéressante salle de collection, où se trouvait le squelette du Maxakalisaurus, le premier grand dinosaure assemblé au Brésil. 58.000 reais furent collectés sur un objectif de 30.000 reais – cependant l'idéal aurait été de lever 100.000 reais.

Le professeur Stevens Rehen a commenté sur Facebook :

Na festa dos 200 anos, nenhum ministro de estado compareceu. O orçamento despencou de R$ 531 mil em 2013, para R$ 54 mil em 2018.

Esse ano todo o investimento do governo no Museu Nacional foi o equivalente a 1/4 do que cada deputado de Brasília recebe por mês somente para contratar assessores.

A la fête du 200e anniversaire, aucun ministre de l'État n'était présent. Le budget a plongé de 531.000 reais en 2013 à 54.000 reais en 2018.

Cette année, l'investissement public total dans le Musée National équivaut au quart de ce chaque député de Brasilia reçoit pour engager ses assistants.

Un utilisateur de Twitter en a comparé la somme avec d'autres dépenses publiques :

Le budget annuel du Musée National correspond à :

- 30′ de propagande électorale

- 0.0004% du coût de rénovation du stade de Maracanã

- au coût annuel d'un juge fédéral

- au coût du changement de la moquette du Sénat il y a 3 ans.

- au prix des boucles d'oreilles en tourmaline de la collection de joaillerie de Sergio Cabral [ancien gouverneur de Rio de Janeiro, actuellement en prison pour des charges de corruption]

Le musée était sur le point de recevoir des ressources exceptionnelles de la Banque nationale pour le développement économique et social pour mettre en place un plan de sécurité incendie. Le premier versement était prévu en octobre.

Le journaliste Breiller Pires a résumé le sentiment d'impuissance des Brésiliens voyant se consumer le bâtiment :

L'incendie du Musée National est la métaphore impitoyable d'un pays qui méprise la science, le savoir; et, par-dessus tout, l'histoire.

La Birmanie condamne deux journalistes de Reuters à sept ans de prison

mardi 4 septembre 2018 à 23:03

Image d'une des nombreuses campagnes en ligne réclamant la remise en liberté des journalistes accusés à tort.

Deux journalistes du Myanmar (Birmanie) qui travaillaient sur les tueries de Rohingyas dans l'État Rakhine l'an dernier ont été condamnés à sept années de prison le 3 septembre au terme de neuf mois de procès, pour avoir enfreint la loi de 1923 sur les secrets d'État.

Wa Lone, 32 ans, et Kyaw Soe Oo, 28 ans, travaillaient pour Reuters lors de leur arrestation en décembre 2017 pour possession de documents d'État concernant les opérations militaires dans l'État Rakhine. Au courant de la procédure judiciaire il y a quelques mois, des policiers ont témoigné avoir remis lesdits documents aux reporters sans explication, juste avant qu'ils soient arrêtés.

Les deux reporters enquêtaient sur le massacre de 10 villageois rohingya par des soldats à Inn Din, dans le Nord-Ouest du Rakhine à la suite des affrontements entre l'armée birmane et l'Armée du salut des Rohingya de l'Arakan (ARSA) en août 2017. Ces affrontements avaient été suivis de l’exode de plus de 700.000 réfugiés rohingya au Bangladesh.

Le gouvernement du Myanmar (Birmanie) ne reconnaît pas les Rohingyas nés en Birmanie, qui sont pour la plupart des musulmans, comme des citoyens ni comme une minorité ethnique installée en Birmanie. Et le gouvernement classe l'ARSA comme une organisation terroriste.

En avril 2018, le capitaine de la police Moe Yan Naing a témoigné devant un tribunal qu'un collègue et lui avaient reçu l'ordre de piéger les deux reporters. Il a été condamné à un an de prison après ce témoignage, pour infraction au Règlement disciplinaire de la police. Après l'audience de son verdict, il a dit aux reporters que “[le] mettre en prison empêche d'autres policiers de dire la vérité”.

Sitôt après le jugement, Free of Expression Myanmar (FEM), un collectif local de la société civile, a publié une déclaration dénonçant l'incapacité de l'État à protéger les journalistes.

The conviction shows the lengths to which the Myanmar state is willing to go to hide its wrongdoing. In the past, the state has mostly bullied and jailed local journalists, but now it has picked on one of the most renowned media houses in the world.”

La condamnation montre jusqu'où l'État du Myanmar est prêt à aller pour dissimuler ses méfaits. Par le passé, l'État harcelait et emprisonnait surtout les journalistes locaux. Voilà qu'il s'en prend à une des maisons de médias les plus renommées du monde.

Des voix du pays demandent justice

Le procès a provoqué l'indignation non seulement à l’international, mais aussi en Birmanie.

De nombreuses personnes dans le pays, y compris des organisations de la société civile et des activistes, donnent de la voix depuis l'année dernière contre l'arrestation des journalistes .

Le mois dernier, A-than (Voix), un groupe local de la société civile travaillant à l'abrogation de la loi anti-diffamation en ligne birmane, a lancé sur les médias sociaux une campagne vidéo montrant plusieurs militants du Myanmar demander la remise en liberté des journalistes. La déclaration d'intention des messages de la campagne dit ceci :

ရိုက်တာသတင်းထောက်နှစ်ဦးဖြစ်တဲ့ ကိုဝလုံးနဲ့ကိုကျော်စိုးဦးတို့ဟာ အင်းဒင်ရွာမှာ တပ်မတော်က ကျုးလွန်ခဲ့တဲ့ လူသတ်မှုအကြောင်းကို စုံစမ်းဖော်ထုတ်သတင်းရေးသားနေဆဲအချိန်မှာ ဖမ်းဆီးထိန်းသိမ်းခံခဲ့ရတာဖြစ်ပါတယ်။ အင်းဒင်ရွာမှာ ကျူးလွန်ခဲ့မှုတွေကို တပ်မတော်ကလည်းဝန်ခံခဲ့ပြီး တာဝန်ရှိတဲ့ တပ်မတော်သား(၇)ဦးကို စစ်ခုံရုံးကနေပြီး ပြစ်ဒဏ်အသီးသီး ချမှတ်ခဲ့ပြီးဖြစ်ပါတယ်။ ကိုဝလုံးနဲ့ကိုကျော်စိုးဦးတို့ဟာ ပြည်သူတွေ သတင်းအမှန်သိရဖို့ သတင်းသမားကျင့်ဝတ်နဲ့အညီ သတင်းရယူခဲ့တာဖြစ်ပါတယ်။ သူတို့ လိုက်နေတဲ့သတင်းကြောင့် ရဲတွေက ထောင်ခြောက်ဆင်ပြီး ဖမ်းဆီးခံခဲ့တာဖြစ်တယ်လို ဒုရဲမှူးမိုးရန်နိုင်က ထွက်ဆိုထားပါတယ်။

Les journalistes de Reuters Wa Lone et Kyaw Soe Oo ont été arrêtés et détenus alors qu'ils informaient de leurs investigation sur les massacres dans le village d'Inn Din commis par Ta-ma-taw [l'armée]. Le massacre du village d'Inn Din a été reconnu par Ta-ma-taw, et sept officiers de l'armée ont déjà été reconnus coupables en cour martiale. Wa Lone et Kyaw Soe Oo agissaient conformément à l'éthique pour donner des informations fiables aux gens. Le capitaine Moe Yan Naing a déjà témoigné que [les reporters] ont été piégés à cause des faits qu'ils traitaient.

Quelques jours avant l'audience du 3 septembre, une grande marche a eu lieu à Yangon, la capitale économique birmane, pour exiger la libération des journalistes.

Pour certains, l'affaire renforce la déception grandissante causée par le gouvernement de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dirigé de fait par la lauréate du prix Nobel Aung San Suu Kyi. Le militant pacifiste Moe Thway a dit son regret qu'Aung San Suu Kyi se soit abstenue de parler en faveur des journalistes.

ဝလုံးတို့မတရားထောင်ချခံရတာ
တရားရေးတခုတည်းရဲ့အပြစ်မဟုတ်ဘူး…

ဒီလိုဖမ်းဆီးတာကိုထောက်ခံခဲ့တဲ့
ဝလုံးတို့ဟာပြစ်မှုကျူးလွန်ခဲ့တာလို့ပြောခဲ့တဲ့
ဒေါ်အောင်ဆန်းစုကြည်နဲ့
သူ့အစိုးရမှာပါတာဝန်ရှိတယ်…

ဒေါ်အောင်ဆန်းစုကြည်ဟာ
အာဏာရှင်စရိုက်ကို
ထင်ထင်ရှားရှားပြလာပြီ…

Si Wa Lone (et Kyaw Soe Oo) ont reçu d'injustes condamnations à la prison, ce n'est pas le fait du seul  tribunal.

Daw Aung San Suu Kyi et son gouvernement sont aussi responsables d'avoir approuvé leur arrestation et de les avoir dit coupables.

Daw Aung San Suu Kyi a clairement révélé son type de dictature.

Dans une déclaration [pdf] condamnant le verdict, rédigée par A-than et signée par 63 ONG birmanes, les soutiens des journalistes ont écrit :

We believe that the decision by the court is irrational and the case was brought against the two journalists….to justify [their] arrest and imprisonment…We take this as a crackdown on the right of access to information and media freedom, and an oppressive gesture [against] all concerned people of Myanmar who are aspiring [to]….a society characterized by rule of law, accountability, freedom and justice.

Nous estimons que la décision du tribunal est irrationnelle et que l'affaire a été montée contre les deux journalistes… pour justifier [leur] arrestation et leur emprisonnement… Nous comprenons ceci comme un coup porté à l'accès à l'information et à la liberté des médias, et un geste oppressif [contre] toutes les personnes concernées du Myanmar qui aspirent [à]…  une société caractérisée par l'état de droit, la responsabilité, la liberté et la justice.

La décision du tribunal a également été condamnée par la communauté internationale, avec les déclarations publiées aussitôt par les ambassades des USA et de l’Union européenne au Myanmar.

Rapport Netizen : ce n'est pas qu'au Myanmar que le discours ethnique raciste envahit les réseaux sociaux mais aussi au Cameroun et en Inde

lundi 3 septembre 2018 à 18:28

Boutique de téléphone cellulaire au Bangalore, Inde. Photo par Victor Grigas, retouche de la Fondation Wikimedia. CC BY-SA 3.0

Le Netizen Report de Global Voices Advox offre un aperçu des défis, des victoires et des tendances émergentes en matière de droits numériques à travers le monde

Cette semaine, Facebook a supprimé plusieurs comptes et pages appartenant à des membres de l'armée du Myanmar. L'entreprise a effectué cette démarche dès que qu'une mission d'enquête de l'ONU a accusé les militaires du Myanmar de génocide dans l'Etat de Rakhine, où des attaques massives contre les musulmans Rohingya ont entrainé une importante émigration de prés de 700.000 personnes en 2017.

Des bribes d'histoires ont fait irruption sur internet, faisant un lien entre le communiqué de presse de Facebook et le rapport de l'ONU. Certains journaux, comme Myanmar Frontier, ont soulevé la question de la conformité de cette démarche avec les politiques de Facebook en matière de contenus.

Cela soulève cette interrogation : Facebook prend-il enfin ses distances avec le cycle des informations ? Depuis ses déclarations sur la censure des contenus et des comptes en Russie, en Iran, et aux États-Unis, jusqu'aux suppressions des discours haineux au Myanmar et le déploiement mal accepté d'un système “de classement de confiance” des utilisateurs, Facebook semble vouloir subitement se départir des contenus de presse, au lieu de se figer dans une position défensive, comme par le passé.

Un examen sommaire de la couverture médiatique de Facebook en anglais pourrait faire penser aux lecteurs naifs que le Myanmar soit le seul pays où les campagnes de discours haineux et de désinformations contre les minorités ethniques s'intensifient au point de devenir des incidents de la vie réelle. Mais nous savons que c'est loin d'être le cas.

Deux événements récents le prouvent.

Cameroun : Les campagnes en ligne poussant à la violence ethnique sont devenues une force montante dans le conflit interne camerounais, où les mouvements séparatistes dans les zones anglophones ont provoqué des heurts entre les milices des sécessionnistes et les forces de l'ordre, avec des attaques de villages anglophones forçant des dizaines de milliers de personnes à fuir leurs domiciles. Des experts locaux de la communauté de Global Voices rapportent que ces campagnes de déssinformations et les messages ethniques hostiles viraux sur WhatsApp et Facebook s'intensifient et contribuent à la surenchère.

Inde : en juillet 2018, au moins neuf personnes ont été tuées en Inde durant des lynchages publics organisés sur WhatsApp. Déclenchés par des campagnes de désinformation conformes aux intérêts politiques du parti au pouvoir en Inde le BJP, les attaques ciblaient surtout les musulmans. Le site web indépendant de journalisme de données IndiaSpend rapporte que la minorité musulmane, qui constitue 14 pour cent de la population de l'Inde, a subi 56 pour cent des lynchages publics depuis 2014.

A tous nos lecteurs — en particulier ceux qui sont des références en reportage technologique et critique — nous conseillons de vivement garder à l'esprit ces exemples. Et attendez-vous à ce que ce stade de pandémie de désinformation ne soit que la pointe de l'iceberg.

Un journaliste palestinien arrêté pour ses publications sur Facebook

Le journaliste palestinien Ali Dar Ali est détenu par la police israélienne pour des articles sur Facebook que les autorités israéliennes qualifient d'incitation à la violence.

Ali est un journaliste indépendant très largement suivi en Palestine, qui diffuse en direct les incidents survenant entre les manifestants palestiniens et l'armée israélienne. Selon l'acte d'accusation, dans un des articles en question, Ali a sous-titré une photo d'un Palestinien jetant une pierre vers un panneau de rue indiquant “Nous sommes à votre service.” Dans un autre article, Ali a publié une vidéo d'une chanson sur la mosquée Al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem, un lieu saint très disputé, un symbole essentiel aussi bien dans islam que dans le judaïsme. La chanson contient des paroles disant, “Venge-toi, Arabe.” Ali est actuellement en détention, en vue d'être présenté à un tribunal militaire israélien.

La magnifique et brève vie de ‘This is Nigeria’

“This is Nigeria”, une adaptation du vidéoclip de Childish Gambino “This is America” , a été censuré par l'organisme de régulation de la radiodiffusion du Nigéria moins de trois mois après sa sortie. Dans la vidéo, le rappeur Nigérian Falz dénonce la corruption, le népotisme, et la violence au Nigéria. Dans ses paroles, il fait référence à la chanson originale en disant “This is Nigeria, que chacun devienne criminel”, une affirmation que les régulateurs taxent de “vulgaire”. Malgré les restrictions imposées aux radios et télévisions locales, la vidéo est encore diffusée sur YouTube.

Le système indien Aadhaar laisse encore transpirer des informations

Les données personnelles de plus de 64.000 étudiants de l'Andhra Pradesh, en Inde ont été publiées par le Commissaire à l'enseignement supérieur sans leur consentement. Dans ce qui semble être une grosse gaffe, le Commissaire a publié les données d'enregistrement des cartes d'identité nationales des étudiants, à travers le système indien Aadhar, après avoir recueilli ces informations auprès de ceux-ci pour éviter des distortions dans la gestion des bourses d'études et le remboursement des frais de scolarité. Aadhar est un système d'information biométrique géré par l'État, et le plus important du genre au monde. Depuis sa mise en place, plusieurs fuites d'informations importantes et privées des citoyens ont été constatées.

Le Parlement égyptien adopte la loi sur la cybercriminalité

Le Parlement égyptien a adopté une nouvelle loi sur la cybercriminalité renforçant les pouvoirs du gouvernement en matière de censure et de surveillance en ligne. Dans les faits, les autorités égyptiennes utilisent déjà ces tactiques, en bloquant une longue liste de sites d'informations et de droits humains depuis mai 2017. Mais la loi leur accorde des compétences légales accrues de censure d'internet : une requête de suspension immédiate de site peut être adressée aux fournisseurs d'accès, qui doivent ensuite envoyer la demande de déblocage pour approbation judiciaire dans les 48 heures.

Le nouveau gouvernement malaisien adopte une loi ‘anti-fausses nouvelles’

Le gouvernement malaisien a révoqué sa loi sur ‘les fausses nouvelles’ introduite en mars dernier par le gouvernement de l'ancien premier ministre Najib Razak et perçue en général comme un instrument de répression des critiques. Razak risque un emprisonnement de 125 ans pour corruption, et l'abrogation de la loi était une priorité électorale pour le nouveau premier ministre Mahathir Mohamad. La loi prévoyait des amendes pouvant atteindre 122,000.dollars américains et un emprisonnement de six ans pour publication classée “fausses nouvelles” par les autorités. Bien que plusieurs pays aient adopté une législation similaire, la Malaisie est le premier d'entre eux à l'abroger.

Le Commissaire européen à le sécurité envisage un délai de 60 minutes pour le retrait du contenu terroriste

Le Commissaire européen à la Sécurité, Julian King, réfléchit à un règlement qui obligerait les entreprises de technologie à retirer un contenu terroriste dans les 60 minutes suivant la réception d'une plainte des forces de l'ordre. Les entreprises risqueraient des pénalités progressives si elles ne se conformaient pas à la loi. La mesure soulèverait une multitude de questions difficiles sur l'indépendance de ces entités. Si elle est approuvée, les entreprises de technologie devraient collaborer avec les organismes européens de mise en oeuvre de la loi, un peu à l'image des relations que les entreprises chinoises de technologie entretiennent avec leur gouvernement. Le règlement proposé est encore à l'état de projet, mais il sera probablement soumis au vote des membres du parlement européen avant la fin de 2018.

Nouvelle recherche [en anglais]

 

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