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Les prochaines élections au Cambodge seront libres à en croire le gouvernement. La société civile affirme le contraire

lundi 9 juillet 2018 à 09:57

Capture d'écran de la vidéo YouTube : “pourrait être considérée comme la meilleure élection de l'histoire du Cambodge”

“Libéral, pluraliste, démocratique, pacifique, libre, juste et non-violent”. Ce sont les mots utilisés par un bureau de presse cambodgien affilié à l'État pour décrire la manière dont le gouvernement mènera les élections générales prévues pour le 29 juillet 2018. La campagne commence le 7 juillet.

Une vidéo produite par l'Unité de presse et de réaction rapide du bureau du Conseil des Ministres s'est même vantée que la prochaine élection “pourrait être considérée comme l'une des meilleures élections (sic) de l'histoire du Cambodge”.

La vidéo visait probablement à répondre aux critiques des groupes de la société civile locale et mondiale concernant la détérioration de la démocratie au Cambodge. Le Parti du peuple cambodgien est au pouvoir depuis 33 ans sous la direction du Premier ministre Hun Sen, considéré comme le plus ancien chef d’État de l'Asie du Sud-Est.

La vidéo suggère que, contrairement à ce que les critiques ont dit dans les forums internationaux, l'élection est ouverte à tous les candidats. Elle inclut même un discours de Hun Sen demandant aux fonctionnaires d'assister tous les partis politiques enregistrés durant la période de la campagne.

“Nous ne devons ni interdire ni créer d'obstacle à ces partis politiques” Le Premier ministre Hun Sen prononçant un discours. Capture d'écran de la vidéo YouTube

Mais le mot clé est “enregistré”. En effet, il est vrai que les partis enregistrés sont libres de participer aux élections.

Mais le principal parti d'opposition du pays, le Cambodia National Rescue Party (CNRP), a été dissous par la Cour suprême en novembre 2017, après que Hun Sen l'a accusé d'avoir conspiré avec des pays étrangers pour renverser son gouvernement. Les principaux dirigeants du CNRP soit ont fui le pays, soit sont actuellement détenus, ses députés démis de leurs fonctions et empêchés de se présenter à des élections pendant cinq ans.

La vidéo affirme même que le Cambodge offre une leçon aux autres pays sur la manière de promouvoir le pluralisme, soulignant le fait qu'en 2013 [fr], il n'y avait que huit partis en lice pour les élections générales. Le gouvernement a enregistré 20 partis politiques aujourd'hui.

Le Cambodge comme modèle de pluralisme ? Capture d'écran de la vidéo YouTube

La vidéo souligne également la présence d'observateurs internationaux qui peuvent se rendre dans les bureaux de vote sans aucune restriction. Le gouvernement a indiqué que 50 000 observateurs avaient été invités et que 300 journalistes de 35 médias avaient été accrédités pour l'élection de cette année.

La vidéo affirme que contrairement à d'autres pays, le Cambodge n'impose aucune restriction aux observateurs électoraux internationaux. Capture d'écran de la vidéo YouTube

Mais la vidéo ne mentionne pas qu'en mai 2018, le gouvernement a publié un code de conduite pour les observateurs électoraux qui, selon les médias, restreindrait le travail des journalistes. Le code de conduite interdit aux journalistes d'exprimer des “opinions personnelles ou des préjugés” ou de mener des entretiens non autorisés dans les bureaux de vote. Le code criminalise également la diffusion de nouvelles susceptibles de causer “confusion et perte de confiance” lors des élections.

En réponse à ce code de conduite, la Fédération internationale des journalistes a déclaré : “Ces dernières directives ont privé les Cambodgiens de toute possibilité d'information vitale pour prendre des décisions politiques éclairées.”

Dans une autre partie de la vidéo, l'élection est présentée comme un événement pacifique “libre de toute querelle rhétorique”.

Un événement pacifique “libre de toute querelle rhétorique” Capture d'écran de la vidéo YouTube

La vidéo ne mentionne pas le prakas (décret) interministériel publié le 28 mai 2018, qui a étendu le contrôle sur le web et les médias sociaux dans le pays. La nouvelle directive impose à plusieurs agences gouvernementales de bloquer les sites Web dont le contenu est considéré comme “incitation, rupture de la solidarité, discrimination et création délibérée de troubles qui menacent la sécurité nationale, l'intérêt public et l'ordre social”.

Plus de 116 groupes de la société civile basés au Cambodge ont signé une déclaration critiquant les prakas, arguant qu'ils “menacent le droit à la vie privée et la liberté d'expression de tous les utilisateurs d'Internet et des médias sociaux au Cambodge en restreignant davantage l'espace, déjà limité, pour le débat public après des mois d'atteintes aux libertés des médias.” La déclaration poursuit :

L'ordre peut être utilisé pour étouffer toutes les formes de discussion publique au Cambodge. Pratiquement toute opinion jugée inacceptable par les autorités pourrait tomber sous des critères vagues et radicaux tels que “rupture de la solidarité” ou “atteinte à l'ordre social”.

En plus d'attaquer l'opposition, le gouvernement de Hun Sen a également été accusé de saper la liberté d'expression après avoir ordonné le dépôt d'accusations d'évasion fiscale contre des stations de radio locales et des journaux qui critiquaient le parti au pouvoir.

Ces accusations ont déclenché la disparition des deux seuls journaux indépendants du pays – The Phnom Pehn Post et The Cambodia Daily. Après avoir reçu des avis d'impôt rédhibitoires, le Daily a cessé ses activités en septembre 2017, tandis que le propriétaire du Post a vendu le journal [fr] à une société de relations publiques qui a travaillé pour le compte du gouvernement.

Curieusement, la vidéo souligne également que “la participation électorale n'est pas un facteur déterminant dans le processus de démocratisation”. Elle cite même le faible taux de participation électorale dans des pays comme les États-Unis et la France. Ces éléments ont peut-être été inclus à la lumière du fait que le CNRP exhorte ses partisans et le public à boycotter les élections.

S'exprimant devant les Nations Unies à la fin du mois de juin 2018, la Commission internationale des juristes a résumé la critique des groupes de défense des droits de l'homme sur le déclin de la démocratie au Cambodge :

Les autorités continuent d'utiliser le système judiciaire pour réprimer la société civile, les médias indépendants, l'opposition politique et, de plus en plus, les individus.

Le gouvernement a menacé de poursuivre toute personne qui appelle au boycott des élections déjà hautement compromises. Il a mis en place un groupe de travail pour surveiller et contrôler toutes les informations sur les sites Web ainsi que les médias sociaux. Des personnes ordinaires sont arrêtées, inculpées et détenues en vertu d'une nouvelle loi sur la lèse-majesté.

Ci-dessous la vidéo complète de l'Unité de presse et de réaction rapide du bureau du Conseil des Ministres :

Les Ougandais disent non à la taxation des médias sociaux aux dépens des femmes, des jeunes et des pauvres

samedi 7 juillet 2018 à 19:14

“Je refuse la taxe sur les paiements par mobile et les réseaux sociaux !” “Cette taxe doit s'en aller” : les Ougandais sont vent debout contre le projet de taxation.

Depuis le 1er juillet 2018, le gouvernement de l'Ouganda impose des frais de 200 shillings ougandais (0,05 dollars US) sur l'utilisation des médias sociaux, suscitant la condamnation virulente des citoyens. Avec un PNB par tête de 604 dollars, l'usage quotidien des médias sociaux ou des applis de messagerie pourrait absorber trois pour cent des revenus annuels de l'Ouganda.

La résistance à la taxation des médias sociaux a pris un tour judiciaire le 2 juillet quand des citoyens inquiets se sont rapprochés des tribunaux en arguant que la taxe est contraire à la constitution de l'Ouganda. Les requérants ont fait valoir que la taxation contrevient aux droits fondamentaux des Ougandais contenus dans “les dispositions spécifiées de la Constitution de la république d'Ouganda de 1995″.

Le journal kényan The Daily Nation raconte :

The petition, filed by a team of young advocates under their Cyber Law Initiative (U) Limited and four individuals, Mr Opio Bill Daniel, Mr Baguma Moses, Mr Okiror Emmanuel and Mr Silver Kayondo against the attorney-general, is challenging the Constitutionality of the (200 USH) [$0.05 USD] daily charge for access to social media platforms.

[…]

The petition is particularly targeting several sections of the Excise Duty Amendment Act 2018, which provided for taxes on Over The Top (OTT) services from mobile telephone usage.

La requête, déposée par une équipe de jeunes avocats au nom de leur société Cyber Law Initiative (U) et quatre particuliers, MM. Opio Bill Daniel, Baguma Moses, Okiror Emmanuel et Silver Kayondo, contre le ministre de la Justice, conteste la constitutionnalité de la facturation quotidienne de 200 shillings ougandais pour accéder aux plates-formes de médias sociaux.
[…]
La requête vise en particulier plusieurs sections de l’Excise Duty Amendment Act 2018 [la loi de 2018 de réforme des impôts indirects] relatives aux taxes sur les services par contournement (OTT) dans l'utilisation de la téléphonie mobile.

La taxe menace les droits fondamentaux de la liberté de parole et de l'accès à l'information qui sont non seulement garantis par la constitution ougandaise mais aussi protégés par les traités internationaux : la Convention internationale sur les droits civiques et politiques et la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont l'Ouganda est signataire.

Les requérants ont aussi prié le tribunal d'émettre une ordonnance qui mette fin définitivement au versement de la taxe sur les médias sociaux. Le magazine PCTech détaille :

They want the court to issue an order, permanently stopping the government and all her agencies, authorities and officials from imposing any tax on internet or social media usage. In addition, they also want an order, directing the government and government regulatory body of the communications sector; Uganda Communication Commission (UCC) to only regulate OTT services in a manner that guarantees free access, net neutrality, and open internet.

Ils veulent que le tribunal émette un ordre empêchant de façon permanente le gouvernement et tous ses organismes et fonctionnaires d'imposer une taxe quelle qu'elle soit sur l'usage d'internet ou des médias sociaux. En outre, ils veulent aussi un ordre imposant au gouvernement et à l'organe régulateur public du secteur des communications, la Commission ougandaise des Communications (UCC) de réglementer les services d'OTT exclusivement de façon à garantir le libre accès, la neutralité du net et l'internet ouvert.

L'avocat ougandais Silver Kayondo s'est engagé à “porter le combat jusqu'à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples” :

Les requérants contre la taxe sur les médias sociaux ont été rejoints par Raymond Mujuni en défense des sources journalistiques OTT et de la diffusion numérique. En chemin vers la Cour pour déposer la requête contre le ministre de la Justice, la Commission ougandaise des communications et l'URA [les services fiscaux] se sont ajoutés pour des ordonnances consécutives. Nous nous battrons jusqu'à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples

La communauté Global Voices, que nous représentons, a également pris position sur la question, et organise un ‘tweetathon’ en solidarité avec les militants d'Ouganda, qui se déroulera lundi 9 juillet.

L'affiche de la campagne #NoToSocialMediaTax. (Image réalisée par Innocent Amanyire @NinnoJackJr et utilisée avec autorisation) [heure de Paris : de 13h à 16h]

Pendant la bataille judiciaire, les questions sur l'équité, la justice sociale et l'accès demeurent, et nécessitent un examen plus approfondi. Selon un sondage de l'Autorité nationale de la technologie de l'information, 77 % des Ougandais ne peuvent pas s'offrir les coûts de base de l'internet et seulement 22 % de la population l'utilisent actuellement.

Au lieu d'investir dans l'infrastructure qui pourrait élargir l'accès des Ougandais à la connectivité large bande, le pouvoir impose une taxe sur les médias sociaux qui limite sévèrement l'accès tout en remplissant ses propres caisses.

Les critiquent voient dans la taxe une forme de double imposition puisque le temps en ligne et les données étaient déjà taxés. Désormais, de nombreux utilisateurs se disent simplement incapables de payer le supplément de 200 shillings par utilisateur et par jour pour accéder aux plates-formes web sociales et de communication, ce qu'on appelle aussi services de contournement (OTT).

Cette taxe élargit la fracture de l'accès internet non seulement pour les jeunes et les pauvres, mais aussi pour les femmes, aggravant la fracture numérique hommes-femmes.

Exempter les riches, taxer les pauvres.

Les jeunes Ougandais à l'avant-garde des médias sociaux se sentent pressurés

L'Ouganda se débat avec les taux de chômage les plus élevés d'Afrique de l'Est. Un rapport sur le recensement de 2014 en Ouganda indiquait que sur 18 millions de personnes de 14 à 64 ans, 58 % étaient sans emploi. Au même moment, 52 % des Ougandais possédaient un téléphone mobile et 71 % de ces utilisateurs vivaient dans des zones rurales, selon un rapport de 2014 de la Commissions ougandaise des communications.

Les jeunes de 15 à 24 ans sont à l'avant-garde de l'utilisation des smartphones et représentent 28 % de la population. Beaucoup dépendent de leurs téléphones et de WhatsApp pour se lancer dans des entreprises qui fonctionnent avec le paiement mobile. Ils disent que la taxe sur les médias sociaux ne fera qu'étrangler l'entreprenariat, et réduire les affaires et la créativité.

La Collaboration sur la politique des TIC en Afrique de l'Est et du Sud (CIPESA) relève qu'un seul gigabyte (GB) de données coûtera désormais aux utilisateurs près de 40 % de leur revenu moyen mensuel :

Le coût de la connexion pour les Ougandais les plus démunis va bondir de 10 %, avec pour effet qu'1 GB seulement de données leur coûtera presque 40 % de leur revenu mensuel moyen. Les Ougandais les plus riches sentiront une hausse de 1 % de leur coût de connexion !

 Un affront à des citoyens déjà surchargés

La taxe sur les médias sociaux arrive sur les talons de la controversée “taxe sur les commérages” d'avril 2018, et est ressentie comme un affront aux citoyens ployant déjà sous les charges. A l'époque, le président Museveni avait écrit :

I am not going to propose a tax on internet use for educational, research or reference purposes… these must remain free. However, olugambo (gossip) on social media (opinions, prejudices, insults, friendly chats) and advertisements by Google and I do not know who else must pay tax because we need resources to cope with the consequences of their lugambo.

Je ne vais pas proposer un impôt sur l'utilisation d'Internet à des fins éducatives, de recherche ou de référence… celles-ci doivent rester gratuites. Cependant, le lugambo (commérage) sur les médias sociaux (opinions, préjugés, insultes, conversations amicales) et les publicités de Google et je ne sais qui d'autre doivent payer un impôt car nous avons besoin de ressources pour faire face aux conséquences de leur lugambo.

La catégorisation par le gouvernement des plates-formes de médias sociaux comme une activité de luxe dénotait un profond manque de culture numérique chez les décisionnaires du gouvernement Museveni.

Le journaliste ougandais Daniel K. Kalinaki a résumé succinctement l'impact des deux taxes “commérage” et “médias sociaux” sur les Ougandais ordinaires :

There are basically two problems with the social media tax. First, it shoots the wrong person twice: A Facebook user has already paid tax on the mobile phone, data and electricity; they are, except in a few cases, the product, not the revenue. The tax is like taking money at the gate then also charging for the seats in an empty stadium.

Secondly, people generally don’t gossip or insult others for a living; they do so because they are idle, sad and often unemployed. Imposing a tax to keep them quiet is the cyber equivalent of asking starving people who don’t have millet to eat red velvet chocolate cake instead. This and the mobile money tax have taken many young and poor people, including many in the countryside who have never paid a direct tax, through the organ grinder of our tax system. You can hear the screams from Kidera to Kyotera.

Il y a en gros deux problèmes avec la taxe sur les médias sociaux. D'abord, elle frappe deux fois la mauvaise personne : un utilisateur Facebook a déjà payé des taxes sur le téléphone mobile, les données et l'électricité ; ce sont sauf rares exceptions, le produit et pas le revenu. La taxe revient à faire payer à la fois l'entrée et les sièges dans un stade vide.
Deuxièmement, les gens en général ne cancanent ou n'injurient pas pour gagner leur vie ; ils le font parce qu'ils sont oisifs, déprimés et souvent chômeurs. Imposer une taxe pour qu'ils se tiennent tranquilles est l'équivalent cyber de demander à des affamés qui n'ont pas de millet à se mettre sous la dent de manger un gâteau rouge velours au chocolat à la place. On entend hurler de Kidera à Kyotera.

A la veille des élections au Mali, une évaluation mitigée du 1er mandat du président Ibrahim Boubacar Keïta

samedi 7 juillet 2018 à 13:11

Le président de la république malienne, Ibrahim Boubacar Keïta au Parlement européen de Strasbourg par © Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons

[Cet article a été écrit par Alfa Sissoko, auteur invité. L'article a ensuite été édité par Global Voices pour ajout de précisions et de contexte]

A moins d’un mois du premier tour de l’élection présidentielle malienne, le bilan d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est au centre de toutes les attentions. De l’aveu général, le président sortant serait loin d’avoir tenu ses promesses de réconciliation avec le nord du Mali et d’éradication de la corruption.

« Une fois élu, corruption : tolérance zéro. Nul ne sera au-dessus de la loi ». Prononcée lors de la dernière campagne présidentielle de 2013, cette déclaration d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) joue aujourd’hui en sa défaveur à l’approche du scrutin du 29 juillet 2018, qui devrait désigner les deux candidats restant en lice pour le deuxième tour des élections. Car depuis son élection à la tête du Mali, IBK fait face à une pluie d’accusations de détournement de l’argent public, qui entachent aujourd’hui son bilan quinquennal. Et pour cause, en cinq ans de mandat, le chef de l’État malien a été mis en cause dans moultes affaires de sommes d’argent dilapidées ou disparues, de surfacturations de marchés publics et autres conflits d’intérêts.

Dès 2014, le Fonds monétaire international (FMI) a demandé des comptes à l’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Bouaré Fily Sissoko, suite à l’achat d’un avion présidentiel à 30 millions d’euros et la signature d’un contrat d’équipements passé par le ministère de la Défense pour un montant de 105 millions d’euros. Ils n’avaient, en effet, pas fait l’objet d’appels d’offres. Soupçonnant un délit de surfacturation, l’institution internationale a suspendu le versement de l’aide financière au Mali pendant plusieurs mois. Parmi les autres scandales de dépense publique suspecte qui ont marqué le quinquennat d’IBK – tels que l’achat d’engrais frelatés, de tracteurs au prix exorbitant ou l’attribution de logements à des personnes non-éligibles –, plusieurs anciens et actuels membres du gouvernement – dont le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga – doivent encore répondre à la disparition de 153 milliards de FCFA (230 millions d’euros) du budget de l’État entre 2013 et 2014, ainsi qu’à la dilapidation de plus de 28 milliards de FCFA (40 millions d’euros) dans l’achat d’un aéronef et d’équipements militaires. Une plainte a été déposée ce 18 mai par le BIPREM (Bloc d’intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali).

Le gouvernement [a été] obligé de se séparer de ses ministres, […] mais il n’y a pas eu de sanction puisque tous ceux-ci ont été rétablis dans leurs fonctions,

déplore Soumaïla Cissé, président de l’URD (Union pour la république et la démocratie) et candidat désigné par la principale coalition d’opposition à l’élection présidentielle. Certains se sont retrouvés à des postes encore plus prestigieux, deux se sont retrouvés à l’international. En fin de compte, on les a fait sortir par une porte et ils sont rentrés par une autre porte. » Le finaliste malheureux des suffrages de 2002 et 2013 n’est pas le seul à dénoncer les largesses financières d’IBK au détriment de son peuple. Comme lui, l’autre opposant malien Tiébilé Dramé accuse le chef de l’État d’avoir dilapidé les ressources budgétaires publiques dans des achats de matériels pour l’armée, qui n’ont cependant pas permis de diminuer les violences djihadistes dans le nord du pays.

Échec de la lutte anti-djihadiste 

D’importants moyens auraient été acquis pour mettre nos forces en état d’accomplir leur mission. […] Malheureusement pour les Maliens, plus le président et ses ministres parlent de nouvelles acquisitions de moyens de défense, plus l’insécurité augmente. Les Maliens ont le droit de s’interroger sur la vraie destination des centaines de milliards votés par l’Assemblée nationale pour mettre l’armée dans les conditions [de faire face à la menace djihadiste].

souligne l’ancien ministre Tiébilé Dramé et actuel président de PARENA (Parti pour la renaissance nationale), en référence aux 1 230 milliards de FCFA (1,875 milliard d’euros) alloués par la loi quinquennale de programmation militaire adoptée en 2015. Et Tiébilé Dramé de rappeler d’autres achats douteux de l’État malien : celui de six avions de combat à une entreprise brésilienne, qui n’en aurait livré que quatre ; et de deux hélicoptères, dont un payé en espèces.  Des accusations d’autant plus alarmantes qu’IBK entretient depuis longtemps des liens très proches avec le troublant homme d’affaires français Michel Tomi, qualifié d’« empereur de la Françafrique » par le journaliste Frédéric Ploquin. Celui que « les plus hautes autorités de l’État » appellent « patron », et qui fait l’objet de plusieurs enquêtes policières, aurait joué le rôle d’intermédiaire dans plusieurs contrats passés avec le Mali. Les rapports « fraternel » d’IBK avec Michel Tomi ajoutent encore davantage à l’opacité de l’action du président malien, alors que ses administrés continuent de craindre pour leur sécurité, faute d’avoir réussi à rétablir totalement le contrôle du territoire. Malgré l’intervention de la France en janvier 2013 et la signature d’un accord de paix en juin 2015, des zones entières sont encore sous le joug des terroristes dans le nord du pays.

Face à l’épidémie de morts violentes touchant tout le pays, les Nigérians réclament des actions concrètes des gouvernants

vendredi 6 juillet 2018 à 11:52

Une bannière appelant à une marche vers Aso Villa, le lieu de travail et résidence officielle du président nigérian, situé dans la capitale Abuja, pour protester contre les incessants massacres au Nigeria, juin 2018.

Le 23 juin 2018, des hommes armés ont attaqué 11 villages et tué plus de 200 personnes près de Jos, la capitale de l’État du Plateau au Nigeria central, sans la moindre intervention des forces de sécurité nationale, dans l'un des conflits pastoraux les plus sanglants du pays.

Après les attaques du 23 juin, les Nigérians disent que cela suffit, et se sont tournés vers les réseaux sociaux afin de protester contre la recrudescence de meurtres brutaux à l'échelle nationale, en utilisant des hashtags tels que #MakeNigeriaSafeAgain (Rendre la sécurité au Nigeria) et #StoptheKillings (arrêter les tueries). D'autres sont descendus dans les rues manifester.

Dans cette nation la plus peuplée d'Afrique, avec 87 millions d'habitants vivant dans la pauvreté, l'insurrection de Boko Haram, les affrontements communautaires, le banditisme et d'autres formes de conflits sont également responsables du nombre croissant de morts violentes dans le pays. Depuis janvier 2018, au moins 1.813 personnes ont été assassinées dans 17 États – soit le double des 894 personnes tuées en 2017 au Nigeria.

Gimba Kakanda, un écrivain et influenceur des médias, est descendu dans la rue avec ses compatriotes nigérians pour exprimer son mécontentement et a déclaré ceci :

Nous sommes ici pour demander à nos politiciens de trouver des solutions !

Oby Ezekwesili, ancien ministre de l'éducation et vice-président de la Banque mondiale a également rejoint les manifestations :

J’ai marché aussi loin que je le pouvais afin de rallier Villa pour protester contre l'incapacité du Président M. Buhari à lutter contre les tueries terroristes.
La police, les militaires et les forces de sécurité ont piétiné mes droits, j'ai saisi ma bannière.

A travers son compte Twitter Africa Fact Zone, la publiciste primée et influente Isima Odeh a déclaré dans un tweet :

Priez pour le Nigeria
3 morts dans l'accident de camion à Ojuelegba la semaine dernière
Plus de 130 morts dans la crise du Plateau
4 morts à Igbeagu, Ebonyi & Ukelle, affrontements à Cross River
Aujourd'hui, plus de 30 véhicules avec leurs passagers ont brûlé, quand un camion-citerne a pris feu sur le pont d'Otedola
Les bouchers et les flics s'affrontent à Bodija, Oyo.

Des groupes de la société civile se sont également exprimés :

Nous sommes attristés par les événements dans l'État du Plateau qui ont fait des centaines de morts, orphelins et veufs et veuves.
En ces temps difficiles, nous devrions nous unir en tant que peuple au lieu de nous affronter les uns les autres. Nos pensées vont à toutes les victimes de ces attaques.
Nous sommes avec vous, nous pensons à vous # PrayForPlateau .

Même l'ancien vice-président, Atiku Abubakar, a condamné sévèrement l'incapacité du gouvernement à protéger ses citoyens :

“Tueries gratuites dans notre pays, nous ne pouvons pas être en mode continu d'effusions de sang et de deuil. Le gouvernement doit être à la hauteur de sa responsabilité première de protéger les vies et les biens. Mon cœur va aux victimes de [la zone de gouvernement local de] Barkin Ladi de l’État du Plateau.”

Dans une déclaration de presse, Amnesty International au Nigeria s'est jointe à l'émoi sur les réseaux sociaux :

The authorities have a responsibility to protect lives and properties, but they are clearly not doing enough going by what is happening. The latest incidence in Plateau state, where armed gunmen attacked 11 villages on 23 June for at least seven hours and killed at least 200 villagers without intervention from security forces should be investigated.

Les autorités ont la responsabilité de protéger les vies et les biens, mais elles ne font manifestement pas assez d'efforts pour faire face à ce qui se passe. Le dernier incident dans l'État du Plateau, où des hommes armés ont attaqué 11 villages le 23 juin pendant au moins sept heures et tué au moins 200 villageois sans l'intervention des forces de sécurité, doit faire l'objet d'une enquête.

Sur Twitter, l'ONG a également partagé une carte des massacres :

Nigeria : la cartographie des massacres à travers le Nigeria de Janvier 2018 au 27 Juin 2018.

Après la condamnation massive de l'attentat du 23 juin, le président Muhammadu Buhari a fait une visite de condoléances à Jos. Dans son discours aux citoyens en détresse, M. Buhari a félicité son gouvernement pour sa gestion des insécurités dans le pays, mais a fortement recommandé aux citoyens de prier pour une intervention divine :

Nobody can say that we haven’t done well in terms of security, we have done our best, but the way this situation is now, we can only pray.

Personne ne peut dire que nous n'avons pas fait ce qu’il fallait en termes de sécurité, nous avons fait de notre mieux, mais étant donnée la situation actuelle, nous ne pouvons que prier.

Les remarques du président n'ont fait que jeter de l'huile sur le feu alors que les citoyens du pays n'ont vu aucunes forces de sécurité intervenir :

Le président Buhari est allé à Jos pour dire aux gens qui venaient d'enterrer des centaines de leurs proches qui ont été massacrés qu'il n'y a rien qu'il puisse faire, qu'ils devraient prier Dieu, et il a pourtant une multitude d'agents de sécurité pour le protéger. Pourquoi n'a-t-il pas envoyé son service de sécurité à Jos et prié Dieu?

Avec la frustration qui ne cesse de croître dans le pays, les revendications pour une bonne gouvernance et pour la protection des biens et des personnes ne cessent de s'amplifier chez les Nigérians. Seul le temps dira si les choses vont s'améliorer.

Q'eswachaka, le pont qui resserre les liens entre les communautés

jeudi 5 juillet 2018 à 09:31

Crédit photo Rutahsa Adventures www.rutahsa.com – sur Wikipédia (CC BY-SA 1.0) reproduite avec la permission de Leonard G.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.

Durant leur règne au Pérou, les Incas ont mis en place un vaste réseau de chemins et de ponts qui couvrait l'ensemble de l'immense territoire [fr] de leur empire (aussi appelé Tahuantinsuyu [fr]. De tous les ponts suspendus qui existaient à cette époque, il n'en subsiste qu'un, le Q’eswachaka [fr] ou Queshuachaca (textuellement, “pont de corde” en quechua [fr]), qui enjambe les gorges de la rivière Apurímac [fr], dans la province de Canas, département du Cuzco, au sud du pays.

Le Q'eswachaka est fait en ichu [fr] (une fibre végétale qui abonde sur l'Altiplano andin), grâce à des techniques anciennes qui se perpétuent encore aujourd'hui, avec ses rituels et son système de travail communautaire traditionnels, et ce depuis plus de 500 ans.

Dernier pont inca

Chaque année au mois de juin, les communautés paysannes de Huinchiri, Chaupibanda, Choccayhua et Ccollana Quehuele se rassemblent [fr] en une longue célébration de cérémonies rituelles pour rénover le pont à l'aide de matières premières et de techniques traditionnelles qui datent de l'époque des Incas :

[que] consideran que este trabajo en común no es solamente un medio para mantener en buen estado una vía de comunicación, sino que es también una forma de estrechar los lazos sociales que existen entre ellas. El puente se considera un símbolo sagrado del vínculo que une a las comunidades con la naturaleza y con su historia y tradiciones […].

[Elles] considèrent que ce travail collectif n'est pas seulement un moyen d'entretenir un chemin d'accès, mais bien une façon de renforcer leurs liens sociaux. Le pont est considéré comme un symbole sacré du lien qui unit les communautés à la nature, à leur histoire et à leur traditions […]

La restauration d'un pont et le renouveau d'une tradition

Le rite de la restauration dure trois jours, avec des activités bien définies pour chaque journée.

Le premier jour commence par une offrande à l’apu protecteur. Les matériaux ont été récoltés à l'avance. L'après-midi, les hommes des communautés se divisent en deux groupes qui se rassemblent à chaque extrémité du pont. Ils tendent des cordelettes d'un bord à l'autre, que le chakaruhac (ingénieur inca) tresse pour former un gros câble.

Le jour suivant, on détache les vieilles cordes de leurs socles de pierre pour pouvoir y accrocher les nouvelles cordes tressées une fois terminées. Lorsque les cordes sont tressées et les câbles attachés, on place les quatre grosses cordes qui vont servir d'ossature et les deux rambardes ou mains-courantes.

Le dernier jour, on fixe les mains-courantes à la structure du pont pour faciliter la traversée. Le pont est inauguré au rythme de la musique et des danses traditionnelles de la région.

Traversée du #Queshuachaca, le dernier pont inca du  #Perou.

Un utilisateur a publié sur Twitter une vidéo qui montre comment le pont est tressé chaque année :

Le pont suspendu Q'eswachaka est restauré depuis des siècles encore et encore. Une beauté incaïque qui pourrait nous inspirer pour atteindre collectivement #elpuentequefalta. https://t.co/h8aJDuxQI3

En 2013, les connaissances, savoir-faire et rituels liés à la rénovation annuelle du pont Q’eswachaka ont été inscrits [fr] sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'Unesco.

On peut aussi voir des photos de gens qui traversent le pont sur Instagram :

#cuzco #Q’eswachaka en construcción.

Partage de Kenneth Figuerola Duthurburu (@kenneth_figuerola) le 

<script async defer src="//www.instagram.com/embed.js">

Q’eswachaka en construction

#cuzco #Q’eswachaka… ahora toca cruzar.

Partage de Kenneth Figuerola Duthurburu (@kenneth_figuerola) le 

<script async defer src="//www.instagram.com/embed.js">

Q’eswachaka… maintenant il faut traverser.