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8 Iraniens influents expliquent comment l'accord sur le nucléaire va influencer les droits humains

samedi 25 avril 2015 à 21:33
The photo was mixed by the International Campaign for Human Rights in Iran.

Le montage photo a été fait par la Campagne internationale des Droits de l'Homme en Iran.

Ce post est apparu pour la première fois sur iranhumanrights.org et est reproduit ici en collaboration avec la Campagne internationale pour les Droits de l'Homme en Iran.

“Notre prochain accord portera sur nos droits civils !” a été l'un des slogans chantés par les gens qui défilaient dans les rues de Téhéran lors des célébrations, quelques heures seulement après que l'accord nucléaire a été conclu, le 2 avril.

Pendant sa campagne électorale, le Président Hassan Rouhani avait plaidé plusieurs fois pour le respect des droits des citoyens, pour cesser d'assigner à résidence des leaders de “l'insurrection verte” et pour relâcher tous les prisonniers politiques. Pourtant, presque deux ans après sa prise de fonction, la plupart de ces promesses n'ont jamais été tenues.

Certains des soutiens du Président pensent que, suite à la résolution de l'impasse dans laquelle était la question du nucléaire, l'ambiance va changer et va permettre la mise en œuvre de ces promesses, tandis que certains de ses critiques pensent quant à eux que les actes du Président montrent que, malgré ses déclarations récentes, les droits de l'homme ne sont pas au programme du gouvernement.

La Campagne internationale pour les Droits de l'Homme en Iran a interviewé plusieurs Iraniens influents qui représentent plusieurs professions comme les avocats, les écrivains, les réalisateurs, les analystes, les universitaires et les artistes, à propos des effets qu'ils attendent de l'accord sur le nucléaire sur les droits de base et les libertés au sein du pays.

Mahmoud Dolatabadi, auteur et romancier : Le seul choix possible, c'est l'espoir

Comme beaucoup d'autres citoyens, j'attends moi aussi de cet accord sur le nucléaire qu'il change un peu les conditions à l'intérieur du pays. Dans ses discours et ses promesses de campagne, Hassan Rouhani avait dit qu'il s'occuperait des questions culturelles. Nous devrions maintenant supposer que s'il en trouve le moyen, il devrait probablement se pencher dessus. Nous n'avons pas d'autre choix que celui d'espérer.

Mohammad Saleh Nikbakht, avocat des droits de l'homme et universitaire : nous ne devons pas revenir à l'ère Khatami

Si l'accord sur le nucléaire est réellement obtenu en juin, les conditions économiques de l'Iran s'amélioreront. Une meilleure économie devrait naturellement modifier les libertés politiques. Même s'il en est ainsi, il serait une erreur d'attendre que les portes s'ouvrent devant les iraniens, et pour ce qui concerne la liberté, d'espérer le retour de la direction qui aurait pu être prise dans les premiers jours de la présidence de Mohammad Khatami. Le pouls de la société iranienne d'aujourd'hui doit être mesuré avec ses propres caractéristiques. Je crois qu'après l'accord [sur le nucléaire], il est certain que des solutions pour aller vers la liberté vont se dessiner, et la situation des droits civiques ou de ce que l'on appelle “les droits du peuple” dans la Constitution iranienne vont s'améliorer, au moins un peu.

Naghmeh Samini, auteur et professeur d'art dramatique à l'université de Téhéran : des meilleures conditions pour le théâtre

Il serait impossible de ne pas attendre d'un accord sur le nucléaire des effets et des améliorations dans les champs artistique et culturel du pays. Par exemple, après l'accord sur le nucléaire, la relation entre des troupes de théâtre iraniennes et des troupes de théâtre d'autres pays vont certainement s'améliorer. Nos problèmes actuels concernent la traduction des pièces de théâtre iraniennes dans d'autres langues, la relation avec d'autres troupes de théâtre dans d'autres pays, et la possibilité de pouvoir jouer là-bas. Sans même tenir en compte ce que le gouvernement veut faire, je pense qu'après l'accord sur le nucléaire et après l'amélioration des relations entre l'Iran et l'Occident, toutes ces choses vont automatiquement s'améliorer pour les troupes professionnelles et étudiantes en Iran, et l'ambiance de travail s'améliorera. Un autre argument est qu'après l'accord sur le nucléaire, la situation économique du pays deviendra meilleure, ce qui affectera automatiquement la situation culturelle.

Ghasem Sholeh Sadi, avocat, ancien membre du parlement, ancien professeur de droit international, et ancien prisonnier politique : je ne suis pas optimiste

Je doute que l'accord sur le nucléaire ait un impact positif sur la résolution des questions des droits humains dans le pays, car il existe plusieurs raisons à la situation actuelle de ces droits en Iran. La première chose, c'est une différence de vision idéologique sur la question. Par exemple, lorsqu'elle vise des choses comme la torture et la loi de la Qisas [la peine de mort en réponse à un meurtre], la Déclaration Universelle des Droits et du Citoyen est vue par les officiels iraniens comme en contradiction avec nos lois. Un autre argument est qu'il n'existe pas de vrais systèmes de contrôle en Iran qui pourraient superviser la mise en œuvre des droits humains.

Quand Hassan Rouhani est devenu Président, on pensait que les droits humains seraient mieux respectés dans la société, mais on constate que beaucoup plus d’exécutions ont été menées à leur terme dans le pays. Il n'y a pas très longtemps, Ali Younesi, conseiller spécial de Hassan Rouhani, ancien procureur de Téhéran et ancien ministre des Renseignements, a dit à l'agence de presse iranienne ISNA (Iranian Student News Agency) que des violations des droits humains avaient lieu dans les prisons et les tribunaux du pays. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas optimiste sur le fait que la conclusion d'un accord sur le nucléaire puisse avoir un énorme impact sur l'amélioration des droits humains en Iran.

Massoud Shafiee, avocat : l'accord va impacter les libertés des citoyens 

Avant le discours de Mr Khamenei le 9 avril, je ne pouvais pas avoir une idée arrêtée sur ce sujet. Mais dans son discours, il a mentionné un facteur clé qui rend tout très clair. Pendant qu'il contestait le travail des négociateurs nucléaires, soulignant que l'accord était toujours en phase de rédaction et qu'un accord complet n'avait pas encore été atteint, il a dit que si l'accord était finalement atteint et que l'Iran sortait des négociations satisfait et si l'autre partie avait prouvé son honnêteté, alors il serait possible, plus tard, de parler avec les États-Unis et les pays Occidentaux d'autres sujets. Mon interprétation de cette partie du discours du Guide Suprême est qu'après l'accord sur le nucléaire, il y aura, c'est sûr, des ouvertures faites dans d'autres domaines de la société, et que tout cela aura certainement un impact sur nos libertés civiles également.

Kambozia Partovi, auteur et réalisateur : le changement n'est pas la priorité d'Hassan Rouhani

Je pense que créer du changement dans les structures artistiques et culturelles du pays ne fait pas partie des priorités de l'administration Rouhani. Néanmoins, quand l'Iran aura acté cet accord sur le nucléaire, la situation économique du pays va s'améliorer et naturellement, cette amélioration va entrainer plus d'investissements, et la possibilité de faire plus de films. Mais de manière générale, il n'est pas possible de donner une opinion définitive sur le fait de savoir si oui ou non le champ culturel du pays va s'ouvrir. Je peux seulement dire avec assurance qu'après l'accord sur le nucléaire, les choses iront mieux que maintenant, et qu'au moins les artistes pourront continuer leur travail avec moins de soucis d'ordre économique.

Fariborz Raisdan, économiste, ancien professeur d'université, ancien prisonnier politique : pas de changement dans les libertés, à cause du manque d'engagement du gouvernement

Il y aura certainement une amélioration économique limitée, et une partie de la classe moyenne va sentir une embellie, mais cette amélioration ne voudra pas dire que les pauvres du pays seront sauvés. Actuellement, nous avons 5.5 millions de personnes sans emploi, et le salaire mensuel minimum pour les travailleurs est presque 50% au dessous du seuil de pauvreté. Ces problèmes ne seront pas résolus par un accord sur le nucléaire avec les États-Unis et les autres pays. Même avant que les questions nucléaires ne deviennent centrales, nous avions déjà beaucoup de pauvreté et des chômage dans notre pays. Actuellement 70% du revenu disponible est entre les mains de 5% de la population. Est-ce que la structure politique et économique du pays va changer après l'accord sur le nucléaire ? La structure économique de l'Iran est entre les mains de deux factions puissantes, chacune d'entre elles contrôlant une partie du pouvoir économique, et elles se battent pour ce pouvoir. Pour [la partie de la société] ayant les plus bas revenus, les travailleurs, ou encore les femmes chefs de famille, cet accord sur le nucléaire ne va rien changer pour eux.

En ce qui concerne les droits d'expression, sociaux, ethniques et religieux, il n'y a pas grand chose qui va changer, car l'administration Rouhani ne souhaite pas autoriser les syndicats et partis politiques à être actifs, et ne tolère pas que les intellectuels parlent librement ou questionnent l'idéologie et les fondamentaux du pouvoir, ou encore qu'ils défendent leurs droits humains. Est-ce que nos problèmes ont toujours été liés à la question des sanctions et des relations avec les États-Unis ? Par exemple, l'Association des écrivains iraniens a été bannie pendant des années, quand Mr. Rouhani lui-même était à la tête du Conseil suprême de sécurité nationale. Je crois que les droits humains que sont la liberté d'association, la liberté d'expression, les droits des femmes, et l'abolition des discriminations de genre, ethniques et religieuses, ne sont pas compatibles avec l'idéologie du gouvernement. Par exemple, dans le cas des droits des femmes, après tout ce temps nous sommes encore en train de discuter de l'accès ou non des femmes aux stades sportifs. Ils disent que c'est parce que la police ne peux pas prendre la responsabilité de veiller sur la sécurité des femmes [dans les stades]. Mais comment se fait-il que la même police puisse punir une femme dont le voile islamique [hijab] n'est pas tout à fait parfait ?

Sadegh Zibakalam, analyste politique et chercheur: des changements, mais seulement sur le long terme

Je crois que l'accord sur le nucléaire jouera un vrai rôle dans l'amélioration des conditions dans le pays, mais pas sur un court terme : il montrera son impact sur le long terme. Cela pour la simple raison que l'accord sur le nucléaire va être un moteur pour avoir de meilleures relations et faire baisser les tensions entre l'Iran et les États-Unis et les pays occidentaux, et cela va indirectement susciter des améliorations sur beaucoup d'autres questions en Iran. Inversement, quand il y a une relation tendue et haineuse entre l'Iran et les autres pays, cela fait baisser l'énergie qui serait nécessaire pour susciter des changements en interne.

En ce qui concerne la [potentielle] ouverture des champs culturels et artistiques dans le pays et la liberté d'expression, je crois que si les intellectuels, l'élite, les étudiants et les artistes ne demandent pas à Hassan Rouhani de poursuivre sur ces questions, rien n'arrivera. Il doit être poussé dans cette direction. S'il est mis sous pression, il sera obligé de s'occuper de faire changer la situation de l'art et de la culture aussi.

Netizen report : un printemps de lois contre la cybercriminalité

samedi 25 avril 2015 à 21:07
Graphic by 7iber (CC BY-NC-ND 2.0)

Illustration  7iber (CC BY-NC-ND 2.0)

Notre bulletin de veille Netizen de Global Voices Advocacy donne un aperçu international des défis, victoires et tendances émergentes dans le domaine du droit d'internet et des libertés numériques.

Une vague de nouvelles lois sur la cybercriminalité déferle dans le monde entier ce mois-ci. Les nouvelles lois qu'ont concocté l'Egypte, le Pakistan et la Tanzanie veulent combattre un grand nombre de délits commis sur Internet. Reste que ce sont autant sinon plus de droits fondamentaux des usagers d'Internet qu'on menace dans le même temps.

Au Pakistan, le projet de loi sur la Prévention des Crimes Electroniques est sur le point d'être débattu à l'Assemblée Nationale. Voté, le texte élargirait de manière très importante la définition du cyber délit. Il incriminerait ainsi les critiques politiques et autres formes d'expressions en ligne, il autoriserait également les autorités à bloquer tout système d'information (site internet inclus) en cas d'atteinte “aux intérêt de la religion, de la sécurité ou de la défense du Pakistan, ses relations diplomatiques, l'ordre public, la civilité et les bonnes moeurs”. Cette loi établit en outre des nouveaux critères de collecte des données pour les fournisseur de services en ligne et donne de nouvelles compétences aux agences gouvernementales pour obtenir et échanger les données des utilisateurs avec d'autres gouvernements, dont les Etats-Unis.

Dans un article consacré aux failles du projet, le journal national Express Tribune considérait le texte comme “menaçant presque tous les acteurs d'Internet plutôt que de  les protéger  des cybercriminels”. Des ONG dont Human Rights Watch, Article 19, Digital Rights Foundation Pakistant et Bolo Hobi, ont publié un communiqué exprimant leurs inquiétudes quant aux texte en question. Il s'accompagne d'une pétition en ligne, demandant à ce que le législateur sonde l'opinion publique avant de procéder au vote.

Le gouvernement égyptien a ratifié un projet de loi visant à codifier de nombreuses pratiques de surveillance et de “sécurité” numériques devenues routinière sous le gouvernement en place. D'après le site d'info Alaraby, la loi rendrait passible de réclusion à perpétuité le blasphème et les crimes électroniques commis dans le but de troubler l'ordre public, de mettre en danger la sécurité de la société, ou de porter atteinte à l'unité nationale ou la paix social. La projet est en attente de ratification.

Pendant ce temps en Tanzanie, le Parlement a voté une loi du même genre le 1er Avril, qui rend illégale la publication de d'informations “trompeuses et fausses” et dote la police en prérogatives larges en matière d'enquête et de perquisitions. Le texte incrimine également  l'envoi d'informations “sans sollicitation préalable” via moyens électroniques. Les militants assurent que le texte a été élaboré de manière précipité et regrettent qu'il donne trop de pouvoir discrétionnaire aux autorités.

Des blogueurs syriens ont survécu à une attaque violente en Turquie.

Assad Hanna est militant pour les droits humains et contribue à Global Voices. Ce dernier a été attaqué et poignardé à quatre reprises à l'estomac dans sa maison d'Istanbul le 20 avril dernier. Relatant son accident sur Facebook, il  écrit “Je n'accuse personne mais je ne peux pas croire qu'il s'agisse d'une coincidence dès lors que celui qui m'a fait ça a frappé à ma porte, m'a attaqué et n'a rien volé dans ma maison. J'ai déjà fait l'objet de menaces de différentes groupes”.

Foi aveugle : la Chine interdit les avatars politiquement incorrects

Les pseudos et images de profils sont la dernière cible des mesures restrictives chinoise en matière informatique. Les nouvelles mesures incriminent l'utilisation d'avatars ou d'identités numériques qui “violent les lois existantes, créeent une menace nationale pour la sécurité ou détruisent l'unité etnique”. Quelques jours avant que la régulation n'entre en vigeur, plus de 60 000 utilisateurs de réseaux sociaux ont vu leur comptes “purgés”. 7000 autres ont suivi le mouvement. Aussi étrange que cela puisse paraitre, les autorités ont pour cible la pratique bien enracinée des utilisateurs de réseaux sociaux d'utiliser leur identité numérique et images de profils pour témoigner de causes politiques. A l'autonme dernier par exemple, de nombreux netizens chinois ont changé leur image de profil pour un logo de parapluie, en témoignage de solidarité pour les manifestations pro-démocratie de Hong-Kong. Pour l'heure, il semble que ces paraluies doivent se cacher.

Une entreprise Indienne remet Facebook à sa place sur fond de neutralité du net

Les entreprises technologiques indiennes se retirent de l'initative Internet.org de Facebook. Elles considèrent qu'il y a là une menace pour les principes de la neutralité du net dès lors que le service est limité à l'accès de certains sites web. Internet. org s'autoproclame comme un projet qui cherche à réduire la fracture digitale en donnant à ‘la majorité non connectée du monde, le pouvoir de se connecter”. Or, cette connexion dont Facebook parle, n'est pas celle à laquelle on pense. Facebook prend en fait en charge les coûts de connexion, en échange de quoi il s'associe avec des sociétés de télécomunications pour proposer aux utilisateur un panel limité de sites relatifs à la recherche d'emploi, à la santé, aux actualité et à l'éducation, sans oublier son propre site, Facebook. A la suite de la participation de Mark Zuckerberg au Sommet des Amériques, la célèbre firme doit compter avec des critiques similaires de la part de membres de la société civiles d'Amérique Latine,

Un éléphant pour la surveillance de masse à La Haye

La semaine dernière à la Haye, des représentants du gouvernement, du secteur privé et de la société civile, se sont réunis pour la Conférence Mondiale sur le cyberespace. Malgré un nombre important de conversations consacrées au droit au respect de la vie privé, à la fois dans les stands et lors des conférences, les documents finaux de l'événènement ne contiennent que de maigres références aux implications de la surveillance de masse en terme de droits de l'homme. Pas de surprise pour les défenseurs des droits numériques présents. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs fait se dresser un éléphant gonflable grandeur nature près du lieu de la conférence – représentation littérale de l'éléphant dans la pièce (en référence à l'expression idiomatique anglaise “Elephant in the room”, un problème sérieux, connus de tous et volontairement omis du débat).

On voit Londres, on voit la France. Mais peut-on voir l'algorithme de Google ?  

Google continue de collectionner les réprimandes de l'Union Europenne qui lui repproche d'abuser de sa position dominante dans les recherches Internet, tout particulierement en privilégiant ses propres service dans son Google Shopping Service. Le Sénat Français est allé plus loin en votant en faveur d'un projet de loi qui permettrait de forcer le géant américain à révéler les dessous de son algorithme de référencement. Un tournant qui pourrait apporter plus de transparence.

Le site de code collaboratif Github a reçu entre 0 et 249 “Requêtes de Sécurité Nationale” l'an dernier

Dans son premier rapport sur la transparence, GitHub a indiqué avoir reçu 10 assignations au sujet d'informations sur les utilisateurs, touchant 40 comptes. Le site a aussi reçu entre 0 et 249 Requêtes de Sécurité Nationale touchant 0 à 249 comptes. Ces chiffres assez vagues montrent le respect de l’ordonnance de non-publication des courriers de Sécurité du Gouvernement par Github, et indique que le site collaboratif a reçu au moins une requête en ce sens émanant du gouvernement américain ou d'un ordre de la United States Foreign Intelligence Surveillance Court. 

Ellery Roberts Biddle, Weiping Li, Hae-in Lim, Sarah Myers West, and Mong Palatino ont contribué à ce rapport. 

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Chronique d'une institutrice à Gaziantep, ville des réfugiés syriens en Turquie

samedi 25 avril 2015 à 20:52

A 80 km des combats, à 100km de Kobane (la ville kurde conquise puis libérée du joug de l’Etat Islamique) et à 60km de la frontière syrienne, Gaziantep [français] fait office de dernière ville européenne avant l’entrée au Moyen-Orient. Cette métropole turque,  située plus au sud, est un concentré de religions, de traditions, de modernité et de contradictions, à mi-chemin entre le Moyen-Orient et l’Europe.

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Photo de l'auteure, Nicoletta de Vita

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Photo de l'auteure, Nicoletta de Vita

La vie de Gaziantep est rythmée par les cinq prières quotidiennes diffusées via les haut-parleurs, disposés dans chaque recoin de la ville. Structures modernes et mosquées anciennes se mélangent en plein centre historique, où les centres commerciaux s’entremêlent au grand bazar des épices. Une voiture sur trois possède une plaque syrienne : 500 000 d’entre elles appartenant au peuple meurtri par les bombardements et l’avancée de Daech sont en ville. A la différence de ceux vivant près de la frontière, les Syriens de Gaziantep dorment dans des camps de réfugiés ou d’anciens bâtiments occupés illégalement. Ces derniers ne font jamais de bruit ni n’élèvent la voix, tandis que les Turcs ne parlent presque jamais des « réfugiés syriens ».

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Photo de l'auteure, Nicoletta de Vita

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Foto dell'autrice, Nicoletta de Vita

Mais une petite partie de la population travaillant dans une ONG ou la GEGD (Gaziantep Eğitim ve Gençlik Dernegi) [turc], se charge d’accueillir, d’éduquer et d’instruire les enfants d’origine syrienne et afghane. J’ai visité ce centre grâce à une formation  organisée par une association turque qui veille à l’intégration culturelle à Gaziantep, en collaboration avec l’Union Européenne. Le siège du centre ressemble à un petit pavillon, avec un jardin et des manèges, mais il s’agit bien d’un centre où au moins dix nationalités et cultures diverses cohabitent, dialoguent et étudient.

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Irene Itria avec d'autres volontaires du centre. Photo de l'auteure, Nicoletta de Vita

Dès qu’une voix italienne se fait entendre, l’émotion se fait ressentir, car il est très difficile de trouver des touristes italiens, et plus encore des volontaires du Service Européen. “Notre centre fait également office d’école, j’enseigne personnellement l’arabe et l’anglais à des enfants d’origine syrienne et afghane.” Les paroles d’Irène me touchent soudainement et son sourire traduit parfaitement l’engagement et la passion qu’elle met dans son travail.

“Je suis italienne et je parle très peu le turc, les enfants parlent seulement le syrien et l’afghan; je leur enseigne ensuite l’arabe et l’anglais sans avoir besoin de langue commune, ce qui en fait un défi stimulant. Je leur donne les outils pour pouvoir apprendre mais ce sont leurs sourires et leur gestuelle qui conditionnent mon quotidien. Ils ont faim de culture, de connaissance, mais ils veulent surtout être acceptés ou au moins ne pas être ignorés du reste de la population turque”, me confie Irène. Et de poursuivre: “Si vous parlez du problème syrien ou du mot réfugié à un citoyen turc, il hausse les épaules et s’en va. En effet, bien qu’ils soient très accueillants avec la plupart des cultures qui cohabitent pacifiquement, la question des camps d’accueil et des enfants qui meurent de faim à deux mètres d’ici ne les préoccupe pas. Evidemment, tout les citoyens de Gaziantep ne pensent pas ainsi, mais nombreux sont ceux à ne même pas avoir connaissance de cette situation”.

Parmi les nombreuses personnes rencontrées lors de ce voyage, seule Irène réussit à fournir une réponse à mes interrogations et à me raconter comment les Syriens survivent avec tant de dignité.

Ils gagnent de quoi vivre principalement grâce aux ordures, en séparant les divers matériaux présents dans les bidons d'ordures pour les revendre par la suite. Ceux qui restent à Gaziantep et ne peuvent se déplacer dans une autre ville turque ou d’autres pays européens, cherchent à envoyer leurs enfants à l’école, et demandent, le cas échéant, de l’aide au centre culturel.

“Les familles syriennes que j’ai connues, malgré leurs conditions économiques et de logement vraiment précaires, ne recouraient pas à la violence ou à la délinquance pour vivre. Ils disent que leur maison, les hôpitaux, la ville entière peuvent être bombardées, tout ceci ne feront pas d’eux un peuple négatif, leur dignité ne sera pas détruite comme leurs immeubles”.

“Les Turcs ont l’habitude d’accueillir et de tolérer les autres cultures, car ils sont le pont entre l’Europe et l’Asie; pourtant, la tension entre le personnel et les citoyens syriens était évidente dans le camp de réfugiés situé à la frontière. Je venais à peine d’arriver que j’ai remarqué que les téléphones de tous les volontaires ne pouvaient plus émettre ou recevoir de coups de fil, ils étaient pratiquement tous bloqués”, me dit-elle.

Soudain, Irene commence à baisser la voix, et évite de prononcer les mots Syrie ou syriens. Car pour cela, il faudrait accepter le problème des réfugiés. “La situation à la frontière est difficile, et pour de nombreuses raisons, le gouvernement turc n’a pas trouvé de solutions. Plus la situation perdure, plus elle s’aggrave”.

Tandis que mes questions se font toujours plus pressantes, la fin de l’école voit les enfants s’apprêter à sortir. Des visages souriants, des cahiers et des livres entre les mains, tant de raisons de saluer affectueusement la maîtresse Irène. Et alors que je l’invite à poser pour une photo, leurs voix m’entourent de cette question: “Where are you from (D’où viens-tu ?) ? Where are you from ?”

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Les enfants de l'école d'Irene. Photo de l'auteure, Nicoletta de Vita

Irene me sourit, fière de son travail effectué auprès de ces enfants.

Certains jours, ces voix semblent encore résonner dans mon esprit: “Where are you from ? Where are you from ?”

Aujourd’hui, je me sens vraiment à Gaziantep.

Aéroports, habitations, usines, stades, palais, infrastructures : la longue liste des destructions de la guerre au Yémen

vendredi 24 avril 2015 à 18:56
The biggest airstrike reported shook the capital Sanaa on April 20. On Twitter, @ammar82 shares this photograph from the blast site, in a residential area. The bombing has left dozens of people dead and hundreds injured

La plus grosse frappe aérienne répertoriée a secouée la capitale Sanaa le 20 avril. Sur Twitter, @ammar82 publie cette photo du site de l'explosion, dans une zone d'habitation. les bombes ont tué des dizaines de personnes et en ont blessé des centaines

[Billet d'origine publié le 22 avril] Cela fait un mois que les forces de la coalition arabe écrasent le Yémen de raids aériens qui ne se sont pas limités aux sites militaires. L'agression de l'alliance Houthi/Saleh dans le Sud du Yémen a également semé la destruction dans la belle ville d'Aden.

Un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme (OHCHR) le 17 avril résume l'ampleur des destructions :

Les infrastructures civiles ont été détruites, endommagées et interrompues à la suite des combats, dont au moins cinq hôpitaux (Sana’a, Al Dhale’e and Aden), 15 écoles et établissements d'enseignement (Aden, Al Dhale’e et Sana’a), les trois principaux aéroports nationaux (Sana’a, Aden et Hudaydah), et au moins deux ponts, deux usines et quatre mosquées à Al Dhale’e. Des informations sont aussi parvenues de dommages à des marchés locaux, des centrales électriques et aux infrastructures d'eau, d'assainissement et d'hygiène [acronyme en anglais WASH] à Aden, Hajjah et Sa’ada. Les habitations de civils sont directement touchées par les frappes aériennes et les affrontements armés, particulièrement dans le sud.

L'Arabie Saoudite, chef de file de l'opération militaire dans la guerre au Yémen, a annoncé mardi 21 avril mettre fin à l'opération Tempête Décisive qui a atteint ses objectifs, et démarrer l'Opération Restaurer l'Espoir, visant à trouver une solution politique dans le pays bombardé depuis quatre semaines. Un total de 944 personnes ont été tuées et 3.487 blessées dans les combats au Yémen [à la date du 21 avril] depuis que l'Arabie Saoudite a lancé sa campagne le 26 mars.

Ces photos et vidéos impressionnantes montrent pour la plupart la dévastation et les destructions à grande échelle causées par les frappes aériennes de “Tempête Décisive” par la coalition que conduit, avec l'appui des USA, l'Arabie Saoudite. Certaines se rapportent aux tirs des chars de l'alliance Houthi/Saleh.

Yemen Updates et d'autres comptes Twitter ont partagé des informations et images de la destruction apportée dans les villes du Yémen par la guerre.

Infrastructures civiles [et] de l'ONU, dont écoles, établissements médicaux, marchés, centrales électriques et entrepôts ont été endommagés par les combats.

Deux avions MEG29 détruits à l'aéroport de Sanaa en un seul raid saoudien.

Images des dommages à l'aéroport de Hodeidah visé hier soir par les raids de Tempête Décisive.

Les raids de Tempête Décisive ont ciblé l'aéroport récemment construit de Saada, Yémen du nord. Il avait ouvert ce mois.

Photos d'Aden où les forces Houthis/Saleh continuent à cibler les zones d'habitation.

Un homme assis sur les décombres de sa maison à Aden, Yémen

Un homme regarde sa maison détruite par une frappe aérienne saoudienne Mardi 31 mars près de l'aéroport de Sanaa

La chambre à coucher de mon amie Madih avant et après l'attaque des houthistes à Aden

Sources locales : plus de 16 stations d'essence visées aujourd'hui par les frappes aériennes de l'opération Tempête Décisive à Saada Yémen

Les frappes aériennes de la coalition ont visé hier le principal château d'eau, les générateurs d'électricité et le seul dépôt de gaz de cuisine de Saada dans le nord. D'après les habitants

Les plus grandes minoteries et silos d'Aden : 5.500 tonnes/jour, capacité : 170.000 tonnes. Une ressource principale pour tout le Yémen. En flammes.

Images de la destruction du Palais du Peuple à Taïz, à côté de mon université. Un symbole de fierté.

Gros-plans du Palais du Peuple de Taïz détruit. Ce palais avait été construit par le très aimé prince AlHamdi.

Exemples de dégâts dans la ville d'Aden qui subit l'agression brutale et ininterrompue des forces Houthi/Saleh.

silos à blé et fabrique de tabac Radfan à Aden ont été détruits par les frappes aériennes saoudiennes. Ils aident vraiment

Les frappes aériennes ont détruit cet hôtel de luxe à Aden

A présent les bâtiments de la rue Al-Mualla sont sous les tirs d'obus à Aden. #Yémen #Houthistes #TempêteDécisive

Destruction à Saada après que l'opération Tempête Décisive a bombardé des maisons et des sites non militaires, des innocent sont morts aussi

Des chars houthistes pilonnent un immeuble résidentiel à Mualla, Aden

Six raids aériens sur la ville frontalière de Haradt. Six morts… tous civils.

Destruction au coeur de Sanaa. Les frappes aériennes saoudiennes visent un immeuble d'appartements dans le quartier de Jiraf de la capitale yéménite.

Un ami à moi finissait juste de construire sa ferme à Hajja. Explosée par les avions saoudiens. Il nie tout lien avec les houthistes

Il y a tout juste 5 ans Aden Yémen accueillait la cérémonie d'ouverture de la Coupe du Golfe au Stade du 22 mai. Maintenant cassé en 2

Ceci était le stade de football d'Ibb avant un raid aérien saoudien… totalement détruit.

Au moins 29 tués la nuit dernière quand les Saoudiens ont attaqué une usine de lait et de yaourts à Hodieda.

Une école élémentaire visée par une frappe aérienne saoudienne à Sahar, province de Saada.

L'université de Hodieda après le raid aérien saoudien. Il n'y avait pas d'étudiants à l'intérieur les écoles étant fermées à cause de la guerre.

Le pont reliant Taïz à la province de Lahj… détruit par un raid aérien saoudien.

Le plus gros raid aérien répertorié a secoué la capitale Sanaa le 20 avril. Ciblant un dépôt d'armes à Faj Attan, un quartier résidentiel, l'énorme explosion a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés sans compter les destructions des bâtiments.

Quelle inconscience de larguer une bombe aussi énorme sur une ville densément peuplée ???

Photo montrant distinctement l'énorme explosion hier à Faj-Attan qui a entièrement détruit tout le quartier

La mère de toutes les explosions. Mon appartement est détruit.

Notre immeuble de cinq étages a été entièrement endommagé et des gens de mon voisinage sont sortis en perdant leur sang

Promener le chien ressemble à ça dans mon quartier aujourd'hui. Suites du bombardement de Faj Attan. Droits d'auteur.

Portes en verre brisées de l'Université de Sanaa, Faculté de commerce. C'est à 15 km de la zone de l'explosion d'aujourd'hui.

Images de la frappe de l'opération Tempête Décisive sur le pont Al-Daleel au bout de Sumarah Road à lbb.

Après les morts et destructions causées dans tous le Yémen par l'opération Tempête Décive et ses raids aériens, la poursuite des combats par les milices houthistes et pro-Saleh à Taïz, Marib et dans les gouvernorats, avec les nombreux civils innocents pris au milieux des tirs croisés, on se demande ce qu'apportera l'opération Restaurer l'Espoir ?!

Ruba Aleryani, tweete résolument :

#OpérationNotreYémen parce que nous n'avons pas besoin qu'un autre pays restaure l'espoir pour nous. Nous sommes résilients et ferons tout ce qu'il faudra pour restaurer le Yémen.

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Le Liban célèbre son héritage arménien et commémore le génocide

jeudi 23 avril 2015 à 22:52
Source: Derian Armenological Library of Haigazian University

Source: Derian Armenological Library of Haigazian University

Tandis que les regards du monde entier seront tournés vers Erevan [français], la capitale de l'Arménie, ce 24 avril, pour la commémoration du centenaire du génocide arménien, une autre nation, le Liban, célèbre la richesse de son héritage arménien.

Le Liban fait partie des nations qui ont accueilli les réfugiés arméniens qui fuyaient le génocide de 1915, et depuis 100 ans les Libanais arméniens sont au premier plan de la culture libanaise, avec des contributions importantes aux mondes de l'art et de la science. Aujourd'hui, les Libanais arméniens vivent essentiellement autour de Beyrouth, et principalement dans le quartier de Bourj Hammoud [en anglais, comme les liens suivants], qui a été fondé par des survivants, tandis que de plus petits groupes sont disséminés ailleurs. Le Liban possède la seule université arménienne en dehors de l'Arménie, l’Université d'Haigazian, qui a été le lieu d'un incroyable programme spatial dans les années 60. Il y a trois quotidiens arméniens publiés à Beyrouth, qui parlent au nom de trois partis politiques représentés au parlement libanais.

Lebanese Stamp featuring the Armenian Genocide Monument in Bikfaya, Lebanon. Source: Armenians in Lebanon

Un timbre libanais montrant le monument dédié au génocide arménien à Bikfaya, au Liban. Source: Armenians in Lebanon

Pour célébrer les contributions des Arméniens à la culture libanaise, le magazine Audio Kultur a fait un focus spécial sur les Libanais arméniens. Il a réalisé un court-métrage appelé ‘Still Here, Still Bleeding‘ [Toujours là, et saignant toujours], qui documente “l'impression du magazine avec du sang humain récolté auprès de 5 Libanais-Arméniens, qui ont décidé de donner du sang dans un geste symbolique, pour rappeler le sang du peuple arménien qui a coulé”. Les cinq personnes qui ont donné du sang sont deux designers, un photographe, un chef d'orchestre de l'Orchestre Philharmonique Libanais, et un chanteur-compositeur.

Le magazine met aussi en valeur la chanteuse libanaise-arménienne Eileen Khatchadourian, célébre la résistance arménienne face à l'empire ottoman à Anjar,  publie un guide de Bourj Hammoud, et a mis en ligne une playlist contenant une sélection de chansons arméniennes et une liste de films arméniens à voir. Une collecte de sang sera aussi organisée par l'ONG Donner Sang Compter ce dimanche 26 avril, et une course de vélo appelée ‘Ride To Remember‘ [Une course pour se souvenir] aura aussi lieu.

A Bourj Hammoud, les Libanais-Arméniens et d'autres Libanais ont commémoré le génocide avec le hashtag #AgainstAllGenocides [Contre tous les génocides], en envoyant des lanternes volantes dans le ciel la nuit du 19 avril.

Ça s'est passé la nuit dernière au #Lebanon #AgainstAllGenocides pic.twitter.com/IDyNW5UBoj

500 lanternes ont été lâchées dans le ciel de Beyrouth, pour l'événement #AgainstAllGenocides #ZavarianStudentAssociation pic.twitter.com/gVJskxaQJQ

L'image est issue du compte Twitter d'Aline Demirjian.