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Uruguay : un pas de plus vers la légalisation de la marijuana

mercredi 7 août 2013 à 20:27

La Chambre des représentants d'Uruguay a approuvé un projet de loi visant à légaliser et à réglementer la production, la distribution et la vente de marijuana. Si elle est approuvée par le Sénat et est signée par le président Jose Mujica, l’Uruguay deviendrait le premier pays au monde à légaliser la marijuana.

Dans le projet de loi validé par la Chambre, « le gouvernement pourra être autorisé à vendre de la marijuana », comme l’a rapporté la BBC News, le 1er août dernier :

L’Etat assumerait « le contrôle et la règlementation de l’importation, l’exportation, la plantation, la culture, la récolte, la production, l’acquisition, le stockage, la commercialisation et la distribution du cannabis et ses produits dérivés ».

Les acheteurs devront être enregistrés dans une base de données et devront avoir plus de 18 ans. Ils pourront en acheter jusqu’à 40 g par mois dans des pharmacies spécialement autorisées ou cultiver jusqu’à six plants de marijuana chez eux.

Mais le projet de loi doit faire face à une « opposition féroce », comme l’explique The Economist dans un article intitulé « L’Expérience » :

Le mois dernier, un sondage démontre que 63% des sondés sont contre, et les opposants affirment que la consommation va augmenter. Mais ses partisans clament que la prohibition de cette drogue a causé davantage de problèmes – le crime organisé et les risques de consommation clandestine – que les drogues elles-mêmes.

The Economist a également publié un article expliquant le projet de loi.

Photo shared by @CannabisMagazin on Twitter.

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Le débat a commencé l’an dernier, lorsque le gouvernement uruguayen a dévoilé son plan pour dépénaliser la vente contrôlée de marijuana.

Le débat s’est poursuivi en ligne, où les citoyens et analystes d’Uruguay et ailleurs ont examiné les conséquences de la légalisation de la marijuana.

Sur Twitter, Seba Sanchez (@SebaSanchezuy) a fait référence aux récentes initiatives prises par les législateurs uruguayens concernant l’avortement et le mariage homosexuel :

Je vous rappelle que vous prenez part à un moment unique. Les lois sur l’avortement, le mariage homosexuel et la marijuana. Ca se passe ici.

Pendant ce temps, Alejandro Figueredo (@afigue2010) soulignait l’opposition publique au projet de loi :

Quelque chose est à noter quant à ceux qui soutiennent et votent pour la réglementation de la marijuana. Ils se soucient peu de l’opinion des autres.

Carlos Aloisio a écrit dans son blog Razones y personas: repensando Uruguay (Les raisons et le peuple : repensons l’Uruguay) que la règlementation de la marijuana est « une solution, pas une panacée ». Carlos a examiné le débat national sur le projet de loi et fait valoir que de nombreux Uruguayens ne soutiennent pas le projet de loi car « il nous met dans la situation inconfortable de devoir choisir entre deux maux » :

Por un lado, esto implica aceptar que tenemos un problema, y que estamos en la peor situación. Por otra parte, también implica reconocer que la regulación es una solución, pero está muy lejos de ser una panacea. La literatura internacional sobre el tema reconoce la ausencia de soluciones o recetas universales al problema, y admite de hecho que no hay diseños óptimos. La solución para Uruguay será algo que iremos descubriendo juntos a medida que ganemos conocimiento y experiencia en el problema. Pero, para hacer esta búsqueda posible, el primer paso es regular.

D’une part, cela signifie accepter que nous avons un problème, et que nous sommes dans la pire situation. D’autre part, cela signifie aussi reconnaître que la réglementation est une solution, mais elle est loin d’être une panacée. Les études internationales sur ce sujet reconnaissent l’absence de solutions ou de prescriptions universelles, et admettent qu’en réalité il n’existe aucun projet optimal. La solution pour l’Uruguay serait de découvrir, ensemble, quelque chose qui nous permettrait d’acquérir des connaissances et de l’expérience sur le problème. Mais pour que cette recherche soit possible, la première étape consiste à règlementer.

Sur Asuntos del Sur, l’analyste chilien Eduardo Vargas a expliqué ce que le projet de loi implique pour la légalisation de la drogue en Amérique latine.

El desafío para Uruguay es grande. Ser pionero no es fácil. Sin embargo, el éxito de esta política también depende del resto de América Latina. Urge que el resto de países inicien revisiones profundas a sus leyes de drogas y tomando la experiencia uruguaya, junto con la de los estados de Colorado y Washington, finalmente piensen, diseñen y ejecuten políticas de drogas más humanas, serias y responsables. Es el momento para que nuestra región se sume a la visión y pragmatismo que llevará al país de Pepe Mujica a liderar con responsabilidad, con una regulación responsable.

Le défi est grand pour l’Uruguay. Etre un pionnier n’est pas facile. Cependant, le succès de cette politique dépend aussi du reste de l’Amérique Latine. Les autres pays ont besoin d’initier des modifications majeures quant aux lois sur la drogue. En tenant compte de l’expérience uruguayenne, ainsi que celles des Etats du Colorado et de Washington, ils pourront finalement penser, concevoir et mettre en œuvre des politiques plus humaines, sérieuses et responsables. Il est temps pour notre région de joindre la vision et le pragmatisme qui mènera le pays de Pepe Mujica à diriger de manière responsable, avec une règlementation réfléchie.

“Tchip”, “Tchippée”, les nouveaux mots d'Afrique francophone

mercredi 7 août 2013 à 09:15

Nadéra Bouazza explique la signification de “tchippée” en Afrique francophone. ‘Tchip’ est une onomatopée de désapprobation que l'on émet devant le comportement ou l'action d'une autre personne (un vague équivalent de  ” je secoue la tête [en signe de désapprobation]“ sur le web anglophone). “Tchip” est utilisé dans la plupart des communautés noires et est devenu un ‘mème’ sur Internet .

Will Smith as the animated illustration of the sound "Tchip" by the blog La Tchipie - Public Domain

Le blog La Tchipie utilise une photo d'une expression de l'acteur Will Smith pour illustrer le sens de ‘Tchip’ – Domaine public

 

Le Mexique, nouvelle terre d'immigration

mardi 6 août 2013 à 23:31

Ce billet fait partie de notre série sur l’Amérique latine: voyages de migrants, en collaboration avec le Congrès nord-américain sur l'Amérique latine (NACLA). Plus d'articles et de podcasts à venir. Article écrit par Levi Bridges.*

La plupart des immigrés que l'on rencontre à Tochan rêvaient à l'origine d'atteindre les États-Unis. Mais la violence des cartels le long des voies de chemin de fer ainsi que le renforcement de la frontière entre Mexique et États-Unis ont fait du Mexique un nouveau pays d'accueil pour les immigrés.

Rudi Solaris a dû quitter son pays natal, le Honduras, car ses collègues ont essayé de le tuer. Cet ancien membre des forces de l'ordre âgé de 27 ans était entré dans la police à la recherche d'un revenu stable et d'une vie meilleure pour sa famille. Mais, dans les faits, son travail s'est transformé en un cauchemar sans échappatoire qui a duré dix ans.

The entrance of Tochan, a migrant shelter in a lower class Mexico City neighborhood, serves as a point of refuge for many Central Americans fleeing gang violence in their home countries. While most Central American migrants leave home with dreams of reaching the U.S., many are thwarted by the dangerous journey north and decide to start a new life in Mexico.

Entrée de Tochan, un foyer pour immigrés dans un quartier populaire de Mexico, qui accueille de nombreux Centre-Américains fuyant la violence des gangs qui sévit dans leur pays d'origine. Si la plupart partent avec l'espoir d'atteindre les États-Unis, beaucoup sont découragés par les dangers de ce voyage vers le nord et décident de s'arrêter au Mexique pour y commencer leur nouvelle vie.

L'histoire de Solaris commence dans la petite ville de Choluteca, non loin de la côte Pacifique au sud du Honduras, et se termine à Monterrey, cité industrielle du Mexique, à plus de 2 500 km au nord. Dernier né de sept enfants d'une mère décédée jeune, il se rend, comme de nombreux jeunes Honduriens de la campagne, à la capitale, Tegucigalpa, à la recherche d'un travail et d'argent à envoyer à sa famille. Il a alors tout juste 14 ans.

Tout jeune adolescent, seul dans Tegucigalpa, Solaris a d'abord trouvé du travail sur les chantiers. Puis à 17 ans, il est entré dans la police où il a vite découvert à quel point le crime organisé infiltrait les forces de l'ordre honduriennes.

Selon Solaris, “Au moins la moitié des effectifs de police de Tegucigalpa travaille avec les gangs.”

Le Honduras présente actuellement le taux d'homicide le plus élevé au monde, un phénomène qui résulte des violences liées à la drogue et de la corruption de la police. La sécurité a commencé a se détériorer en 2009, quand l'armée a chassé du pouvoir le président Manuel Zelaya. Les cartels de la drogue mexicains ont profité de l'instabilité de la région pour travailler avec les gangs honduriens comme la Mara Salvatrucha pour envoyer la drogue qui arrive sur la côte Caraïbe du pays, peu peuplée, vers les États-Unis.

Au cours de ses dix années dans la police hondurienne, Solaris a découvert cette réalité de ses propres yeux. Il a notamment dû travailler plusieurs années comme gardien de prison. Il explique qu'au Honduras, un prisonnier qui a de l'argent peut faire ce qu'il veut en corrompant des fonctionnaires, même quitter la prison sur de courtes périodes. Un jour, un supérieur l'a informé qu'on allait l'envoyer garder un prisonnier pour quelques jours.

Solaris a escorté le prisonnier hors du centre pénitencier où une voiture les attendait. À l'intérieur, deux hommes l'ont dépouillé de ses armes. Il a rapidement découvert que le prisonnier appartenait à un gang puissant et que son rôle n'était pas celui d'un garde du corps mais d'une monnaie d'échange dans un accord permettant au prisonnier une rapide visite chez lui à condition que les deux hommes retournent à la prison peu de temps après. Ces hommes ont conduit Solaris dans les montagnes, hors de Tegucigalpa où il a passé trois jours dans une vaste demeure, entouré de gardes armés.

Solaris raconte: “Il m'ont dit que tant que je n'essaierais pas de m'échapper, tout se passerait bien. J'y ai passé trois jours et j'avais tellement peur que je n'ai pas fermé l’œil une seule fois.”

Au fil des ans, alors que le Honduras plongeait de plus en plus dans l'instabilité, et surtout après 2009, le travail de Solaris est devenu plus dangereux. De nombreux policiers ont ainsi reçu une note leur disant qu'ils seraient tués s'ils n'acceptaient pas de travailler avec les gangs. Le jeune homme a vu ses collègues être éliminés les uns après les autres. Il explique qu'au final les policiers non corrompus ont décidé de faire front commun pour se protéger et se sont établis dans un dortoir à l'intérieur même des locaux de la police de Tegucigualpa.

Rudi Solaris, a former police officer in Tegucigalpa, Honduras, writes a thank you letter to send to several Mexican social workers who helped him apply for Mexican residency. Just like in the U.S., Central Americans have difficulty finding work in Mexico without the proper documents.

Rudi Solaris, ex-agent de police de Tegucigalpa, au Honduras, écrit une lettre de remerciement à plusieurs travailleurs sociaux mexicains qui l'ont aidé à solliciter un permis de séjour. Comme aux États-Unis, les Centre-Américains ont du mal à trouver du travail au Mexique si leurs papiers ne sont pas en règle.

“Je ne sortais du bâtiment que pour le travail, raconte Solaris. Sans les collègues, c'était dangereux à l'extérieur. Je ne pouvais pas mener une vie normale. Je n'ai jamais eu de petite amie.”

Solaris vivait dans la peur. Un jour, pendant le travail, il a été témoin d'une transaction d'armes entre plusieurs membres de la police et un gang mexicain impliqué dans le trafic de drogue. Le lendemain, il a reçu des menaces de mort à cause de ce qu'il avait vu. Il s'est donc enfermé dans sa chambre pendant deux jours avec plusieurs armes automatiques, attendant à tout moment les premiers coups de feu de ses agresseurs à sa porte. Pour sauver sa vie, Solaris s'est enfui de Tegucigalpa, avec l'espoir d'atteindre les États-Unis et d'y demander l'asile.

À la frontière du Guatemala, Solaris est monté dans un bus pour le nord du Mexique mais, arrêté à un point de contrôle des services d'immigration, il a été renvoyé au Honduras. Il a immédiatement repris la route. Beaucoup des Centre-Américains qui entreprennent ce voyage pour les États-Unis utilisent les trains de marchandises mexicains pour éviter les contrôles des services d'immigration. C'est le moyen qu'a choisi Solaris pour sa seconde tentative.

Seuls quelques-uns des migrants qui tentent ce périple réussissent à atteindre les États-Unis. Il est bien connu que des bandes criminelles ainsi que des policiers corrompus rackettent, tabassent, volent et violent les infortunés passagers de ces trains. D'autres sont enlevés pour être échangés contre une rançon ou servir de main d'œuvre aux cartels.

“Mais rien de tout ça ne me faisait peur, affirme Solaris. Comparé avec là d'où je viens, ce train, c'était presque le paradis.”

Solaris est arrivé à Tochan, un foyer pour migrants de taille modeste situé dans un quartier populaire de Mexico dont le nom signifie “notre maison” en nahuatl, langue autochtone du Mexique. Ce foyer abrite aujourd'hui de nombreux Centre-Américains. La plupart expliquent qu'ils ne voulaient pas quitter leur pays mais qu'ils y ont été contraints par le racket des gangs et les menaces de mort dont ils faisaient l'objet lorsqu'ils n'étaient pas en mesure de payer.

Si la plupart de ceux qui arrivent à Tochan se rendaient au départ aux États-Unis, ils finissent souvent par faire une demande d'asile au Mexique. Les plus chanceux obtiennent des papiers de résidents temporaires qui leur permettent de trouver un emploi. Toutefois, bien souvent, même les dossiers solides sont refusés et beaucoup de migrants sont contraints de travailler dans le secteur informel mexicain pour joindre difficilement les deux bouts.

Avec un de ses compatriotes, Solaris a trouvé du travail dans une usine qui fabrique des fortune cookies chinois à l'extérieur de Mexico. Solaris a dû attendre près de cinq mois avant de recevoir un permis de résidence temporaire. Quand il a reçu ses papiers, il est parti à Monterrey, au nord du Mexique : il pouvait enfin monter dans un bus sans craindre d'être expulsé.

À Monterrey, les usines qui s'étendent à perte de vue fabriquent pour des multinationales des produits destinés à l'exportation aux États-Unis. Des autoroutes à huit voies bordées de centres commerciaux abritant un Pollo Loco ou d'autres chaînes de restauration rapide s'étirent depuis le centre-ville. À environ 200 km au sud du Texas, l'influence américaine venant de la frontière toute proche est presque palpable.

The green hills which tower above the city of Monterrey, in northern Mexico, overlook a sprawl of factories owned by multinational corporations that use cheap labor to produce goods for export over the nearby U.S. border. Monterrey's factories attract a large Central American population, many of whom have failed crossing the U.S. border and have decided to instead seek work in Mexico.

Les collines verdoyantes qui dominent la ville de Monterrey au Nord du Mexique surplombent une étendue d'usines appartenant à des multinationales qui profitent ici d'une main d'œuvre bon marché pour fabriquer des produits destinés au marché américain voisin. Ces usines attirent une importante population centre-américaine : beaucoup n'ont pas réussi à franchir la frontière des États-Unis et ont alors choisi de chercher du travail au Mexique.

Maintenant, Solaris vit à Monterrey où il partage un appartement miteux avec un immigré salvadorien. Tous les matins, ils se réveillent à 4 heures pour se rendre dans une usine proche où ils trient des pommes de terre. Il arrive qu'ils travaillent jusqu'à 18 heures de suite.

Il y a cinq ans que le colocataire de Solaris, Douglas, a quitté le Salvador pour les États-Unis. Il a franchi la frontière mais, arrêté par les services migratoires, il a été envoyé dans un centre de rétention où il est resté deux mois avant d'être expulsé. Frustré par le manque de perspectives économiques au Salvador, il est rapidement reparti en direction du nord.

“Lors de ma seconde tentative je voulais atteindre l'Arizona, raconte Douglas, mais je n'ai pas pris le bon train et je me suis retrouvé à Monterrey. J'y ai trouvé du travail et je suis resté. Ça me permet d'envoyer un peu d'argent à ma femme et mes enfants, restés au Salvador. Pas autant que ce que je gagnerais aux États-Unis mais chaque centime compte.”

Dans les propositions actuelles pour réformer l'immigration aux États-Unis, les dispositions visant à rendre étanche la frontière avec le Mexique sont légion. Mais tant que la violence liée au trafic de drogue persiste, les Centre-Américains continueront à être nombreux à tenter leur chance au nord. S'ils ne réussissent pas à passer aux États-Unis, ils s'installeront au Mexique, créant une nouvelle génération d'immigrés sans-papiers.

L'actuel projet de loi pour une réforme exhaustive de l'immigration récemment adopté par le Sénat américain prévoit d'allouer près de 40 milliards de dollars pour accroître la surveillance de la frontière, notamment en multipliant par deux les effectifs des garde-frontières pour atteindre les 40 000 mais aussi en clôturant plus de 1 100 kilomètres supplémentaires et en mobilisant des drones de surveillance aérienne. Ce projet rend plus difficile l'entrée aux États-Unis pour les migrants mais il ne prévoit rien pour calmer la violence au Honduras, qui continuera à susciter une immigration d'une région dangereuse à l'autre pour des migrants qui entreprennent un voyage toujours plus périlleux afin de passer la frontière mexicaine.

Un cousin de Solaris a travaillé pendant trois ans dans la même usine de pommes de terre, à Monterrey. Il a économisé pour se payer un coyote – comme on appelle ici les passeurs – qui l'a conduit à New York.

Lors d'un récent séjour à Monterrey, j'ai demandé à Solaris s'il comptait faire de même.

“Plus maintenant, m'a-t-il répondu. Je veux seulement un travail et me sentir en sécurité. Ici, au Mexique, j'ai tout ça.”

* Levi Bridges est un écrivain et journaliste indépendant basé en Amérique latine. Il bénéficie actuellement d'une bourse Fulbright en création littéraire et il a choisi de passer l'année à Mexico pour commencer l'écriture d'un livre sur le vécu des travailleurs immigrés latino-américains. Retrouvez ses textes sur bridgesandborders.com.

Le pianiste syrien Malek Jandali : “L'art véritable a besoin de la liberté”

mardi 6 août 2013 à 23:09

Ce billet est également publié sur Syria Untold.

Quand les Syriens sont descendus dans la rue en mars 2011, ce n'est pas seulement contre le pouvoir de la famille Assad qu'ils se rebellaient, mais aussi contre l'obscurantisme qui leur était imposé depuis des décennies. L'art en général, et la musique en particulier, ont eu un rôle crucial dans le glissement de paradigme qui a accompagné la révolution : les Syriens découvrent pour la première fois qu'ils ont une voix.

Syria Untold s'est entretenu avec le compositeur et pianiste célèbre Malek Jandali à propos de l'émergence de formes artistiques et musicales nouvelles en Syrie. Jandali, qui a composé la chanson “Watani Ana” (Ma terre natale) au début de la révolution, nous a dit ce qui est pour lui sa contribution personnelle à son pays : une musique pour la liberté et la justice, une musique pour une nouvelle Syrie.

L'Hymne syrien des gens libres

La dernière oeuvre de Jandali, un chant appelé “Hymne Syrien des gens libres,” il la décrit comme “un hymne par les gens, pour les gens.” Il a travaillé avec l'orchestre philharmonique de Russie et le choeur de l'opéra du Caire pour créer ce chant, car il pensait que les Syriens méritaient un hymne qui représente le peuple.

L'hymne dit l'histoire des millions de Syriens touchés par l'actuel soulèvement : martyrs, femmes, enfants et réfugiés. “Il y a tant d'histoires, et nous, les artistes, surtout les musiciens, avons la chance de franchir les limites sociales et politiques et les frontières géographiques, et allons droit dans l'humanité, dans les coeurs de ces enfants,” a dit Jandali. “Nous pouvons être la voix, plutôt que l'écho de ces gamins. La musique, ce langage universel, peut raconter l'histoire et mettre un visage humain sur les sacrifices et l'histoire de ces gamins courageux.”

L'hymne national syrien actuel, “Humat al-Diyar” (Gardiens de la patrie), a été adopté en 1938. Il a été brièvement remplacé en 1958, lorsque la Syrie a formé la République arabe unie avec l'Egypte, mais est le symbole du pays depuis 1961.

Syrian pianist and composer Malek Jandali. Source: Malekjandali.com

Le pianiste et compositeur syrien Malek Jandali. Source: Malekjandali.com

Jandali dit n'avoir pas écrit l’ “Hymne syrien des gens libres” avec l'intention d'en faire le nouvel hymne national, mais qu'il serait honoré si les Syriens en décidaient ainsi. Il s'ouvre sur les mots Syrie et liberté, deux références manquantes dans l'hymne national :

Syrie, Syrie ! Patrie des personnes libres et pays de la liberté. Syrie, Syrie ! Pays des blés d'or

Malek Jandali est né en Allemagne, mais a fait sa scolarité dans sa ville natale de Homs. “Chaque matin, on nous forçait à scander et mémoriser les slogans du régime,” dit-il, ajoutant que le pouvoir Assad “liait le drapeau, le pays et l'hymne national au régime et à la famille Assad,” et que la Syrie était “la Syrie d'Assad.” Il dit avoir grandi “avec le sentiment d'être un hypocrite : louant la dictature des Assad à l'école, avant de rentrer chez lui dans une famille qui était contre ce régime brutal.”

La répression de l'art et de la culture

“[Les dictateurs, en général] craignent l'art et la musique, qui sont recherche de la vérité et de la beauté. Si je disais alors ma vérité, je serais tué, torturé ou banni,” dit-il, ajoutant que les portraits du dictateur Assad sont sur les timbres, les murs, les cahiers et dans les écoles d'une manière qui a colonisé les espaces de la Syrie, sa culture et même son histoire.

“La plupart des références dans l'hymne [national] vont à l'armée. Pourquoi ne parlons-nous pas d'inventions syriennes comme l'alphabet et la musique, au lieu des forces armées et de la guerre ?” demande Jandali.

Les côtes de la Syrie ont vu naître la plus ancienne notation musicale dans le monde, et l'alphabet ougaritique, considéré comme le premier de la civilisation. Mais au lieu de rendre hommage à la riche histoire du pays, l'hymne national commence par une référence aux militaires, “gardiens de la patrie.” “Paradoxe, l'armée arabe syrienne, en réalité les voyous d'Assad, est la cause de la destruction de ma patrie syrienne et commet des crimes de guerre contre l'humanité depuis 29 mois. Plus de 185.000 civils tués, plus de 6 millions de réfugiés à l'intérieur de la Syrie et un million en-dehors, cela sous les yeux du monde entier !”

Il y a deux ans, Jandali a produit un album appelé “Echoes from Ugarit (Echos d'Ougarit),” où il voulait redonner vie à la musique oubliée de Syrie. De retour dans son pays natal après une absence de 10 ans, il présenta le projet au ministère de la Culture et à l'orchestre symphonique de Syrie, mais se heurta à un refus. Jandali indique qu'il a été contraint finalement d'aller solliciter la permission du palais présidentiel.

“Il a fallu presque huit mois pour obtenir l'habilitation de sécurité et toutes les autorisations pour jouer de la musique syrienne en Syrie,” dit-il. “Cela montre à quel point le système est pourri, comment ils ont contraint les expatriés comme vous et moi à être diabolisés ou insultés.”

Comme son concert allait contre les voeux du ministère de la Culture et de l'orchestre symphonique, Jandali dit qu'on l'a accusé d'être un espion. “Ils voulaient m'empêcher de m'impliquer dans de tels projets à l'avenir. Ils avaient peur de la connaissance et peur de faire apparaître la vérité.”

Le musicien a le sentiment que la Syrie n'est pas seule à avoir réprimé l'expression artiste, c'est tout le monde arabe qui l'a fait. Il a donné l'exemple du canal de Suez en Egypte et de la commande à Verdi, compositeur italien, de l'opéra “Aïda” pour la cérémonie d'inauguration. “Pourquoi n'avons-nous pas eu un opéra arabe composé par un musicien arabe pour célébrer l'inauguration du canal de Suez ? Nos ancêtres n'ont-ils pas inventé la musique ?” interroge-t-il.

“C'est une insulte pour un musicien arabe,” dit-il. “Où sont nos symphonies, nos opéras ? C'est nous les inventeurs et pourtant nous n'avons pas de voix.”

Une nouvelle génération d'artistes syriens

Jandali dit que les dictateurs craignent la “puissance douce” qui peut transformer l'esprit des gens, et c'est pourquoi ils s'en prennent aux artistes et intellectuels. Il a personnellement subi de cette persécution. Bien qu'il ait quitté le pays depuis des années, les forces du régime ont plusieurs fois saccagé sa maison en Syrie et violemment battu ses parents en représailles à son activité d'opposition. Mais la révolution a permis l'éclosion d'une génération d'artistes, rompant avec les décennies de propagande officielle présente dans la production artistiques.

“Ce n'était pas de l'art,” affirme Jandali. “Il faut la liberté pour produire. Il faut la liberté pour l'art véritable, pour la connaissance et la culture, pour l'innovation et le progrès. Sans liberté, il n'y a rien.”

Toute l'oeuvre de Jandali depuis le commencement de la révolution syrienne a été auto-financée. il a généreusement donné son temps et sa musique pour aider les enfants syriens souffrants à travers des concerts de gala de par le monde. Et l'artiste de se demander “quand les organisations syriennes vont passer à l'action et soutenir les très rares artistes syriens qui se sont rangés au côté des gens dans leur recherche de liberté et des droits de base”.

Voici la traduction des paroles de son tout dernier chant, “Hymne syrien des gens libres” :

Syrie, Syrie ! Patrie des gens libres et terre de liberté

Syrie, Syrie ! Terre des blés d'or

O mon pays, berceau de civilisations, son patrimoine a inspiré les scribes

Patrie des hommes d'honneur, dernière demeure des martyrs

Notre soleil brille de tous ses feux, notre aigle monte au plus haut du ciel

O mon pays, fleuve de vertus

Sa gloire est gravée dans les tablettes et pierres

Patrie des Prophètes, de l'alphabet et de la musique

Nous prions Dieu de ne jamais quitter mon pays, ma famille

Les oliveraies de mes aïeux, et les mains des enfants

Pays des gens libres et patrie de la liberté

Syrie, Syrie ! Patrie des gens libres et pays de liberté.

 

Ce billet est également publié sur Syria Untold.

La vague contestataire du Mercredi Rouge au Bénin

mardi 6 août 2013 à 15:35
Les partisans du Mercredi rouge-photo:page facebook mercredi rouge


Les partisans du Mercredi rouge- photo via la page facebook mercredi rouge avec leur permission

Depuis le 17 juillet, tous les mercredis, plusieurs béninois se mobilisent pour dire non à la révision de la constitution par le président de la République Boni Yayi en s'habillant en rouge. Cette révision selon les anti-révisionnistes devrait permettre à Boni Yayi de se représenter aux prochaines élections présidentielles.
Pourquoi Mercredi Rouge ? Dieu-Donné HOUNWANOU, militant pour ce nouveau mouvement explique :

Cette couleur évoque le courage. Cette révision constitutionnelle par le Président Boni Yayi est opportuniste et n'inclut en aucun cas les intérêts du peuple. Par cette mobilisation, nous refusons à grand jamais la révision. Le peuple a faim et en a marre du gouvernement incapable. Mercredi rouge, tout rouge. Touche pas à ma constitution !

 

En effet, lancée par l'organisation ”Alternative citoyenne”, le mouvement “Mercredi Rouge” veut rassembler tous les béninois déçus de la politique du gouvernement actuel depuis son arrivée en 2006. Mais aussi et surtout mettre un terme au projet de révision de la constitution béninoise qui selon les membres du mouvement permettrait au président de se représenter en 2016 et de “créer une nouvelle république”.

Pour rappel, la révision de la Constitution béninoise  déposée en avril 2013, prévoit, entre autres, la création d’une Cour des comptes, l'initiation populaire des lois, l’institutionnalisation de la Commission électorale nationale autonome (CENA) ou encore l’imprescriptibilité des crimes économiques.

Née sur Facebook, le mouvement  commence à avoir de l'ampleur  dans les rues du pays. T-shirt, pantalon, foulard, casquette rouge, tous les moyens sont bons pour soutenir le mouvement.

Selon l'ancien ministre de la Communication, Gaston Zossou, ce mouvement n'est pas du goût du gouvernement Boni Yayi puisqu'il dit sur son compte Facebook que sa maison avait été encerclée par des policiers le 1er Août dernier, jour de l'indépendance du pays pour l'empêcher d'aller rejoindre les manifestants du Mercredi Rouge.

Les militaires près de la maison de Gaston Zossou. Photo: Page Facebook mercredi rouge

Les militaires près de la maison de Gaston Zossou. Photo: Page Facebook mercredi rouge avec leur permission

Cependant, ce mouvement est loin de faire l'unanimité.

D'une part, certains  remettent en cause la bonne foi des acteurs principaux du mouvement tel que Joseph Djogbenou soupçonné de manipuler la cause avec l'appui de l'homme d'affaire Patrice Talon dont il est l'avocat dans l'affaire de la tentative d'empoisonnement du chef de l'État.

Et également de Gaston Zossou que le blogueur Alberic Gandonou qualifie de “prévaricateur qui trompe la jeunesse sur Internet”.

Selon Gandonou, les intentions de Zossou sont loin d'être désintéressées:

En mal de publicité, Gaston Zossou dont les béninois de bonne foi se souviennent encore de la gestion désastreuse qu'il a faite des secteurs GSM et du dossier TITAN pendant qu'il était ministre de la communication, s'active sur les réseaux sociaux notamment Facebook où il anime une opposition intellectuelle fondée sur sa nostalgie des affaires de l'Etat.

Il poursuit en disant que :

Les forces de l'ordre ont raison de veiller au grain pour empêcher que ce genre de personnage n'entraîne la jeunesse dans une aventure scabreuse.

 

Révélations qui bien sûr suscite déjà des défections tels que celui d' Andoche Amégnissè , un grand activiste connu sur les réseaux sociaux pour son engagement, au sein des activistes du mercredi Rouge.

D'autre part, les partisans du président  Boni Yayi ont répliqué en instaurant le mouvement du “Vendredi blanc”. Le ministre de l’Intérieur Benoît Dégla a déclaré que les “causes que défendent les initiateurs du Mercredi rouge sont non fondées” et a qualifié le mouvement “d’intoxication” :

Le mouvement qui mène la fronde est manipulé

 

Sur les réseaux sociaux, les partisans du Mercredi Rouge ont décidé de consacrer un blog au Mercredi rouge. Les mots clés #Mercredirouge et #patriotes229 regroupent aussi les avis et opinions des acteurs du mouvement.