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L'Amérique latine en deuil d'Eduardo Galeano, un des grands écrivains du continent

dimanche 19 avril 2015 à 14:05
#Galeano by #Chumbi. Image from Instagram

Eduardo Galeano par le dessinateur argentin  Pablo Fernando Chumbita “Chumbi”. Image reprise sur  Instagram avec autorisation

L'écrivain uruguayen Eduardo Galeano aimait beaucoup écrire sur des événements historiques qui ont tous eu lieu au mois d'avril. Il a écrit sur le coup d'Etat militaire au Brésil de 1964, sur la mort de Picasso en France en 1973, sur l'achèvement de la construction d'un mur à travers le Sahara au Maroc en 1987, et sur bien d'autres choses. Et c'est par une journée d'avril que Galeano est mort cette année, à l'âge de 74 ans, après une lutte de plusieurs mois contre un cancer des poumons.

Le journal uruguayen Brecha, que Galeano avait fondé et où il écrivait depuis longtemps, a publié un avis de décès à l'annonce de sa mort :

A veces, la muerte miente, escribió hace poco más de un año, impactado por el fallecimiento de su amigo Juan Gelman. Y dijo más, aseguró que el poeta seguiría “vivo en todos los que lo quisimos, en todos los que lo leímos, en todos los que en su voz hemos escuchado nuestros más profundos adentros”.

Hoy, cuando su propia muerte nos obliga a miramos en el espejo de aquellas palabras, amanecemos con tristeza a la noticia de que se nos fue Eduardo Galeano, fundador y referente de nuestro semanario, integrante durante años de su Consejo Asesor y colaborador asiduo de sus páginas.

Hasta siempre.

Tus compañeros de Brecha

Parfois, la mort ment, écrivait-il il y a un an sous le choc de l'annonce de la mort de son ami Juan Gelman. Il disait que le poète “continuerait à vivre à travers tous ceux qui l'aiment, qui le lisent et à l'intérieur de ceux en qui la voix atteint sa part la plus intime”.

Aujourd'hui, quand sa mort nous force à nous regarder dans le miroir de ces mots, nous nous réveillons avec tristesse à l'annonce du départ d'Eduardo Galeano, notre fondateur, membre de notre Conseil consultatif depuis de nombreuses années et notre collaborateur assidu.

Adieu.

Tes amis de Brecha

Dans les années 70, la reconnaissance mondiale lui vient avec son livre “Les veines ouvertes de l'Amérique latine” – le livre-même que Chávez a offert à Obama lors de leur première rencontre en 2009. Plus tard dans sa vie, Galeano a critiqué son propre livre, qui est toujours au programme des cours d'histoire politique de l'Amérique latine.

Dans “Les veines ouvertes” Galeano a écrit que le Chili avec ses larges dépôts de nitrate, le Brésil avec ses forêts tropicales luxuriantes, et les petites villes vénézuéliennes avec leurs réserves pétrolières “avaient fait la douloureuse expérience de a précarité des fortunes accordées par la nature et usurpées par l'impérialisme”.

Leonardo Boff, théologien brésilien et fondateur de la théologie de la libération, a déploré la perte de Galeano sur Twitter :

Eduardo Galeano était un grand styliste. Il était toujours du côté des victimes. Il y a quelques jours, j'ai essayé de le voir à Montevideo, mais c'était déjà trop tard.

Avant de travailler comme journaliste, Galeano a alterné plusieurs métiers : employé de banque, ouvrier en usine et dessinateur humoristique. Mais c'est dans le journalisme, au journal Marcha (qui a publié Juan Carlos Onetti et Mario Benedetti) et plus tard au magazine Brecha que Galeano a trouvé sa vocation. Quand l'Uruguay est devenu une dictature, il a dû quitter le pays et a vécu pendant des années en exil en Argentine et en Espagne. Plus tard, en 1985, Galeano est retourné en Uruguay. Il a soutenu le premier gouvernement de gauche d'Uruguay, en écrivant un célèbre article pro-gouvernemental dans le magazine The Progressive, intitulé “Là où les gens ont voté contre la peur”. L'année dernière, ses fans ont accueilli avec joie une rumeur qui annonçait que Galeano allait se présenter à un poste de sénateur, mais Galeano a vite fait de couper court à cette idée. Pourtant, même sans être élu, Galeano avait une forte influence politique. Comme l'écrit le journal uruguayen El Pais:

El 1° de marzo pasado recibió al mandatario boliviano, Evo Morales, en su casa y eso le significó un esfuerzo muy grande ya que se encontraba desde hacía tiempo con problemas de salud.

Le 1er mars dernier, Galeano a reçu à la maison le président bolivien Evo Morales, mais cela représenta un effort particulier car il souffrait déjà de problèmes de santé.

Hier, de nombreux chanteurs, politiciens, journalistes et universitaires de toute l'Amérique latine ont publié leurs condoléances suite à la mort de Galeano. L'auteur mexicain Elena Poniatowska a tweeté :

Galeano collectionnait des épisodes, des sentiments et des idées de notre histoire qui le choquaient et qu'il nous restituait pour qu'on ne les oublie pas.

Rene, membre du groupe de musique portoricain Calle 13, a publié une lettre sur Facebook où il relate sa première rencontre avec Galeano:

“Eduardo, tengo un problema, soy muy despistado y a veces se me hace muy difícil seguir una conversación”. A lo que él me contesto, “yo también soy despistado y de los peores”. Desde ese momento en adelante todo fluyó de forma natural, como si fuésemos amigos de antaño. Eduardo empezó a hablar mientras mi esposa y yo escuchábamos. Fue como escuchar al tiempo narrando historias.

“Eduardo, j'ai un problème, je suis très distrait et parfois j'ai du mal à suivre une conversation. ” Ce à quoi il a répondu: “je suis complètement paumé et je suis un des pires cas”. A partir de là, tout a coulé de façon naturelle, comme si on était de vieux amis. Eduardo a commencé à parler, et ma femme et moi, on a écouté. C'était comme si on écoutait le temps nous raconter des histoires.”

La présidente brésilienne Dilma Rousseff a écrit sur Facebook:

Hoje é um dia triste para todos nós, latino-americanos. Morreu Eduardo Galeano, um dos mais importantes escritores do nosso continente. É uma grande perda para todos que lutamos por uma América Latina mais inclusiva, justa e solidária com os nossos povos.

Aos uruguaios, aos amigos e à nossa imensa família latino-americana, quero prestar minhas homenagens e lembrar que continuamos caminhando com os olhos no horizonte, na nossa utopia.

Aujourd'hui est une journée de tristesse pour nous tous Sud-Américains. Eduardo Galeano, qui était un des écrivains les plus importants de notre continent, est mort. C'est une grande perte pour tous ceux qui luttent pour une Amérique latine plus inclusive, plus juste et plus en solidarité avec nos pauvres.

A tous les Uruguayens, amis, et à notre grande famille d'Amérique latine, je veux rendre hommage et vous rappeler de marcher en regardant l'horizon, vers notre utopie.

¡Hasta siempre Galeano! Tu es peut-être parti, mais ta voix restera présente dans tes textes.

La blogueuse Fernanda Canofre de Global Voices a contribué à ce texte.

La situation dans le camp de réfugiés de Yarmouk a atteint un niveau catastrophique

dimanche 19 avril 2015 à 13:30
Residents of Yarmouk Refugee Camp in Damascus, Syria. Photo: UNRWA/Walla Masoud

Des habitants du camp de réfugiés de Yarmouk, à Damas, en Syrie. Photo: UNRWA/Walla Masoud

La situation dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, à Damas en Syrie, a atteint un niveau catastrophique, d'après [anglais, comme les liens suivants] l'Organisation des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine auProche-Orient (UNRWA). Il est encore difficile de savoir exactement ce qui se passe à l'intérieur du camp, mais des comptes-rendus d'activistes locaux suggèrent qu'une grande partie du camp a été envahie par les groupes Etat Islamique et Front al-Nosra, un groupe affilié à Al Qaida, qui combattent à la fois les Palestiniens et les milices syriennes dans le camp.

Pour rendre les choses encore pires, le gouvernement syrien bombarde le camp depuis dimanche [5 avril], d'après ce qu'ont rapporté l'activiste local Hatem al-Dimashqi et l’Observatoire syrien des droits de l'homme, organisme basé à Londres qui suit le conflit syrien via un réseau d'activistes locaux.

Dans une déclaration officielle, Pierre Krähenbühl, Commissaire général de l'UNRWA, a affirmé que la situation à Yarmouk était “plus désespérée qu'elle ne l'a jamais été”, ajoutant qu'il était désormais “tout simplement trop dangereux d'aller à Yarmouk”. Ils sont pour le moment 18.000 civils piégés à Yarmouk, dont 3.500 enfants, à vivre dans des conditions dramatiques. “Pour l'instant, ce qui occupe l'esprit des gens de Yarmouk, c'est simplement de survivre”, a-t-il ajouté. Tweetant de Jordanie, Krähenbühl exorte la communauté internationale à agir immédiatement, pour sauver les civils de Yarmouk.

C'est le moment de se mobiliser au niveau international pour sauver les Palestiniens et les civils syriens de Yarmouk. Il faut appeler les leaders mondiaux à agir avant qu'il ne soit trop tard. #SaveYarmouk [SauverYarmouk]

Le carnage à Yarmouk est épouvantable. La crédibilité de la solidarité internationale est en test. Les politiciens, chefs religieux et autres leaders mondiaux doivent agir pour #SaveYarmouk  [SauverYarmouk]

S'adressant à la chaine d'information allemande Deutsche Welle, Christopher Gunness, porte-parole de l'UNRWA, a souligné que la situation était déjà catastrophique avant l'escalade de ces dernières semaines, décrivant Yarmouk comme “un endroit où des femmes sont mortes en donnant naissance à leur enfant à cause du manque de soins médicaux, et où il a été rapporté que des enfants sont morts de malnutrition. Donc les choses étaient déjà dramatiques. En septembre dernier, la principale source d'eau dans le camp avait été détruite. Les gens sont donc extrêmement dépendants des fournitures de l'UNRWA. Les choses étaient absolument inhumaines. Franchement, Yarmouk était une descente aux enfers. Et avec le début de ces combats sanglants, les choses se sont dramatiquement empirées.”

L'inaccessibilité actuelle de Yarmouk a déjà des conséquences terribles pour les civils piégés là-bas, mais il est désormais impossible d'estimer correctement les dégâts. Selon l'habitant de Yarmouk Hakim Said, qui a parlé à “Syria Direct” [lien supprimé] le mois dernier, avant la prise de contrôle par le groupe Etat Islamique, l'aide envoyée par l'UNRWA est loin d'être suffisante pour subvenir aux besoins des civils, qui sont déjà extrêmement dépendants de l'UNRWA pour survivre – 95 % de la population palestinienne en Syrie est totalement dépendante de l'UNRWA. “Nous ne sommes pas satisfaits car nous ne savons pas quand nous pourrons avoir d'autres colis d'aide”, a-t-il déclaré. “Nous allons finir ceux que nous venons de recevoir en une semaine. La quantité de pain n'est pas suffisante pour tenir plus de deux jours.”

Funeral of two killed by shelling inside of Yarmouk refugee camp in Syria, April 2015. (Photo: Jafra Foundation for Youth Development and Relief)

Les funérailles de deux personnes tuées par un bombardement dans le camp de réfugiés de Yarmouk, en Syrie, en avril 2015. (Photo: Jafra Foundation for Youth Development and Relief)

Parmi les groupes armés combattant le groupe Etat Islamique et le Front al-Nosra, il y a Jaysh al-Islam et, de manière plus présente, Aknaf Beit al-Maqdis. Un porte-parole de Jaysh al-Islam a déclaré au journal The Guardian que son groupe avait tué 80 combattants du groupe Etat Islamique et qu'ils “pouvaient évidement répéter cet assaut”. En outre, dans une déclaration officielle publiée sur Twitter, Aknaf Beit Al-Maqdis a déclaré être actuellement en train de combattre les groupes Etat Islamique et Front al-Nosra :

Au nom de Dieu, le Plus Gracieux, le Plus Miséricordieux, […] vos frères, Aknaf Beit Al-Maqdis, font face à l'attaque barbare du camp de Yarmouk par les criminels du groupe Etat Islamique, qui sont en coopération avec Front al-Nosra depuis 4 jours. […]  Nous, Aknaf Beit Al-Maqdis, défendons la capitale de la diaspora palestinienne et le sang des nôtres […]

Jaysh Al Islam a aussi relayé cette déclaration, publiée sur son Twitter anglais, félicitant Aknaf Beit Al-Maqdis et condamnant le Front al-Nosra pour son alliance avec le groupe Etat Islamique :

Déclaration à propos des événements récents dans le camp de Yarmouk pic.twitter.com/WchHaIVrNf

Sur Mondoweiss, la Fondation Jafra pour le secours et le développement de la jeunesse [arabe], une ONG humanitaire basée à Yarmouk, a tenu une chronique entre le 1er et le 4 avril pour raconter les événement récents. En plus des informations relatées ci-dessus, la Fondation Jafra a documenté les meurtres d'activistes de Yarmouk, à la fois par le groupe Etat Islamique et par le régime syrien. Parmi les victimes, figuraient Jamal Khalifeh et Majed Al Omari. Jamal Khalifeh, 27 ans, qui a été tué par un bombardement du régime, était un activiste sur les médias et le co-réalisateur du court métrage ‘Siege‘, qui mettait en lumière la vie sous le siège de Yarmouk. Majed Al Omari était un coordinateur des services de l'équipe de Jafra, il avait 21 ans. Il a été tué le 3 avril par les forces du groupe Etat Islamique, “d'une balle d'un sniper dans la rue près de chez lui”.

Left: Jamal Khalifeh. Right: Majed Al Omari.

Gauche: Jamal Khalifeh. Droite: Majed Al Omari. Photos: Jafra Foundation for Youth Development and Relief

Mohamad Bitari, le porte-parole basé en Espagne du Réseau d'organisations de la société civile palestinienne en Syrie, et lui même né à Yarmouk, a été interviewé par la contributrice de Global Voices Leila Nachawati pour le journal espagnol El Diario. Dans l'interview, il décrit la situation sur place. Voici quelques extraits de ses réponses:

[…] Les combats se déroulent sur plusieurs fronts, contre le groupe Etat Islamique et les forces de Bachar Al-Assad en même temps. C'est très dur, mais ça ne s'arrête pas […] Le camp est occupé depuis deux ans, isolé, avec des gens qui meurent de faim, mais il résiste toujours. Le régime n'a pas réussi à soumettre le camp et il utilise l'entrée du groupe Etat Islamique pour justifier sa destruction totale.

Quand Nachawati lui demande s'il sous-entend que Bachar Al-Assad a joint ses forces à celles de l'Etat Islamique pour “en finir avec Yarmouk”, il répond:

Le jour où le groupe Etat Islamique est entré dans le camp, les avions de Bachar Al-Assad ont lâché entre 15 et 20 bombes-barils pendant des heures, ainsi que des dizaines de roquettes. Ils se sont concentrés sur les zones occupées par des civils, pas sur les zones où le groupe Etat Islamique avançait. C'est facile à vérifier. Le fait que ces deux là [le régime syrien et le groupe Etat Islamique] se soient affrontés officiellement ne veut pas dire qu'ils n'aient pas d'objectifs communs.

Parallèlement, en Palestine, le Hamas [arabe] basé à Gaza ainsi que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) basée en Cisjordanie ont sévèrement condamné le groupe Etat Islamique et relaient l'appel de l'UNRWA pour une aide internationale. Le Hamas a tenu une conférence à Gaza, suivie par des centaines de personnes, avec l'officiel du Hamas Salah Al-Bardawil s'adressant à eux en disant : “pour la millième fois: qu'on s'en aille du camp de Yarmouk, qu'on laisse notre peuple tranquille, que le massacre, les meurtres, et la privation de nourriture s'arrêtent”. De son côté, Saeb Eraka, un responsable Palestinien négociateur de l'OLP, a déclaré que “des enlèvements, des décapitations et des meurtres massifs sont rapportés… venant de Yarmouk, qui est soumis à une campagne brutale de meurtres et d'occupation par le groupe terroriste Daech [mot arabe pour désigner l'Etat Islamique] et ses alliés.”

Enfin, les activistes impliqués dans les luttes en Palestine et/ou en Syrie expriment leur colère sur Twitter. La journaliste indépendante Rania Khalek s'est insurgée contre l'attention tardive accordée à Yarmouk à l'international :

Les médias arabes parlent de ça sans arrêt, ce qui est plutôt bien. Mais les gens sont piégés, affamés et bombardés à Yarmouk depuis maintenant des années.

L'activiste Daniel Wickman, basé à Londres, a listé sur son Twitter suivi par 17.000 personnes un grand nombre d'acteurs [internationaux] qu'il accuse d'abuser les Palestiniens depuis des années:

Israël les occupe, Bachar Al-Assad les affame, l'Egypte les bloque, les Etats-Unis sourient et laissent faire, et maintenant le groupe Etat Islamique se joint à la fête. #Yarmouk

Jenan Moussa, basée à Dubaï, a de son côté Twitté à ses 88.000 abonnés avec le hashtag #SaveYarmouk [SauverYarmouk] :

La tragédie des réfugiés palestiniens à Yarmouk : d'abord le siège, ensuite les bombes, et maintenant le groupe Etat Islamique. Les gens ont besoin d'une issue sécurisée. #SaveYarmouk pic.twitter.com/XtVkanrP35

Inondations au Chili : les immigrants colombiens font mentir les préjugés et organisent les premiers secours

dimanche 19 avril 2015 à 13:15

Une région entière du Chili inondée à cause de pluies torrentielles. Veoverde.com (photographie publiée sous licence de réutilisation)

Ces dernières années, plusieurs communautés d'immigrants colombiens, ayant quitté leur pays à la recherche de meilleures opportunités, se sont rassemblées dans le nord du Chili. Ces migrants ont d'abord été attirés par la stabilité politique du Chili, sa croissance économique ainsi que les promesses d'une industrie minière lucrative. D'autres ont fui la violence qui sévit continuellement dans de nombreuses régions colombiennes. La plupart d'entre eux est parvenue à une certaine stabilité économique et sécurité personnelle dans leurs nouveaux foyers, mais ils font également face aux préjugés à l'encontre des Colombiens en général et des personnes d'ascendance africaine en particulier.

Certains Chiliens affirment que les immigrants colombiens sont responsables de l'augmentation de la criminalité, et les actes symboliques contre les Colombiens sont devenus plus visibles. Les importantes manifestations anti-immigration dans la ville d'Antofagasta n'en sont qu'un exemple parmi d'autres.

A la suite d'affrontements entre immigrants et locaux, Global Voices, en association avec d'autres organes de presse, a organisé une vidéo-bulle Google (Hangout) le 13 mars 2015 pour discuter de l'exode des citoyens colombiens à Antofagasta. Cet événement a inclus des témoignages de migrants colombiens au Chili, des commentaires d'experts sur les migrations dans la région, et de journalistes qui suivent ces histoires de près.

Le nord du Chili a récemment été frappé par la pire tempête des quatre-vingt dernières années. Celle-ci a en particulier endommagé les villes d’Atacama et Antofagasta, où les pluies torrentielles ont fait déborder la rivière Copiapó. Alors que les habitants tentent de faire face aux inondations et coulées de boue qui ont recouvert routes, maisons et ponts, des groupes de migrants colombiens ont attiré l'attention du public en organisant un premier secours efficace. Les internautes ont partagé des photographies de volontaires colombiens portant les T-shirts de leur équipe nationale de football, creusant dans la boue à la pelle, dégageant les routes, et donnant un coup de main partout où leur aide était nécessaire.

Sur Facebook, Maite Vanessa Castro, colombienne originaire de Cali et habitant maintenant à Copiapó, a partagé des photographies de ce travail.

Pendant ce temps, sur place, certains affirment que les premiers à arriver et à offrir leur aide furent les volontaires colombiens et non les autorités chiliennes.

Les immigrants colombiens travaillant ensemble à Copiapo. Voici les photos.

[Frères] Des immigrants colombiens s'organisent pour aider ceux qui en ont besoin à Copiapó.

Sur internet, beaucoup disent que ces images devraient amener le public à repenser la façon dont il considère les immigrants.

Les photos des Colombiens à #Copiapó devraient faire taire ceux qui pensent que TOUS les immigrants sont des délinquants.

Voici les frères colombiens en train d'aider à dégager les rues de Copiapo. Dire qu'ils sont un problème pour certains.

Changez d'attitude, voici “ces Colombiens de merde” en train d'aider à dégager les rues.

Certains Chiliens ont eu à coeur d'exprimer leur reconnaissance pour le volontariat effectué par la communauté colombienne :

#Copiapo immigrants colombiens. Respect.

Je n'en attends pas moins des Cachacos [habitants de Bogota et des régions intérieures à la Colombie, NdT] et des Corronchos [habitants des côtes colombiennes, NdT]. Colombie, tu tiens une place dans mon coeur et je connais ta valeur et ta solidarité. Bah ! Les Sud-Américains.

Remplissons ce pays de Colombiens !

Ce billet a été rédigé en collaboration avec l'auteur de Global Voices Robert Valencia.

La coupe de la FIFA 2022 au Qatar, rendez-vous avec la mort pour les ouvriers migrants népalais

dimanche 19 avril 2015 à 13:06
A Nepali migrant worker killed in Qatar 'accident' being photographed by his brother. Image by Gail Orenstein. Copyright Demotix (20/2/2012)

Un travailleur migrant népalais mort dans un accident au Qatar, photographié par son frère. Photo Gail Orenstein. Droits de reproduction Demotix (20/2/2012)

Plusieurs milliers de travailleurs étrangers venant d'Inde et du Népal ont trouvé la mort au Qatar depuis que ce pays a été sélectionné au milieu de controverses pour accueillir la Coupe du Monde de la FIFA en 2022. L'année dernière, un travailleur immigré népalais est mort tous les deux jours au Qatar.

Plus d'un tiers de ceux qui sont morts sont soit-disant victimes d'arrêts cardiaques, mais le Qatar refuse de communiquer de nombreux détails sur ces accidents, car le pays se prépare à accueillir l'événement sportif le plus populaire au monde.

Il y a trois mois, le Qatar a promis d'enquêter sur le nombre croissant de décès des travailleurs immigrés, et d'introduire de nouvelles réglementations début 2015 pour mieux protéger les ouvriers, y compris une réforme du système du Kafala, soutenu par l'Etat, qui lie de façon indéfinie un travailleur à son employeur qatari, ce qui limite sérieusement la liberté de mouvement des ouvriers.

Toutefois, ces deux dernières années, en dépit de ses promesses, le Qatar n'a ni publié ni collecté de statistiques sur les décès ou les blessures des travailleurs migrants. Du coup, de nombreux observateurs redoutent que les dernières promesses du Qatar restent lettre morte. C'est pour cette raison que le Rapport sur le respect de la santé des travailleurs de décembre, dans lequel le pays prétend avoir amélioré les conditions de logement des travailleurs migrants et avoir créé des forums pour un dialogue entre entrepreneurs et ouvriers pour discuter des problèmes, a été accueilli avec un grand scepticisme.

Cette controverse sur la sécurité des travailleurs s'ajoute aux demandes faites à la FIFA – déjà accusée de corruption liée à la Coupe du Monde de 2022 – d'annuler le tournoi au Qatar et de le transférer ailleurs.

Avertissement: la vidéo qui suit sur les abus et l'exploitation des travailleurs migrants dans l'industrie de la construction au Qatar contient des images choquantes, y compris des séquences de cadavres rapatriés au Népal.

#FIFA : LAISSEZ TOMBER le Qatar ! Les esclaves népalais meurent comme des mouches ! #DroitsHumains #Racisme #Apartheid #ONU #OIT #Football

Une avocate des syndicats basée au Royaume-Uni et membre du Comité exécutif national du parti travailliste a exprimé son indignation dans un tweet :

Le journal télévisé de 18h indique que les travailleurs migrants au Qatar continuent à vivre dans des conditions sordides et ont leur passeport confisqué en raison du Kafala. Scandaleux.

Suryanath Mishra, le dernier ambassadeur népalais en date au Qatar, qui a été rappelé de sa mission à Doha pour avoir dénoncé les conditions de travail des Népalais en les comparant à une forme de ‘prison ouverte‘, a réitéré sa demande d'enquête sur la cause des décès.

Mishra demande aussi une hausse des salaires des travailleurs népalais : alors que le Qatar dépense plus de 200 milliards de dollars pour la Coupe du Monde, de nombreux Népalais ne sont pas payés, ou bien gagnent bien moins qu'un dollar par jour.

Sans grand espoir de changements, les familles touchées par la pauvreté dans les villages reculés de ce pays d'Asie totalement enclavé vont continuer à recevoir des cercueils rouges, envoyés comme des cadeaux contenant les cadavres bien emballés de leurs proches.

Avertissement: cet article retraçant la misère des familles des travailleurs migrants contient des images choquantes.

Une FIFA en perte de crédibilité qui n'assume plus ses responsabilités

Un rapport imminent contenant des allégations de corruption au sujet de l'appel d'offres doit être publié par la FIFA cette année, il n'est donc pas surprenant que beaucoup s'interrogent sur cette organisation et ses promesses de surveiller attentivement la situation:

Une caricature de bulletin de vote FIFA malheureusement trop proche de la réalité alors que leur système de corruption fait fi de toute discrétion

L'article tweeté ci-dessous a été reposté 3.000 fois, ridiculisant la décision d'organiser une Coupe du Monde en hiver et suggérant des pratiques de corruption au sein de la FIFA.

Ceci résume la corruption, la folie et le dégoût pour la #FIFA qui donne la Coupe au #Qatar2022.

Certains appellent à un boycott des jeux accompagné de messages critiquant le président de la FIFA, Joseph Blatter :

Ils sont ici… #BoycottQatar2022 & #BlatterOut t-shirts en vente maintenant !

L'incapacité du Népal à agir

Le Qatar a une population de 1,4 million de migrants, parmi lesquels on trouve 400.000 travailleurs népalais. Mais en dehors de critiques périodiques, il semble que l'Ambassade népalaise, ouverte à Doha en 2000 et privée de chef de mission en ce moment, est peu capable d'offrir quoique ce soit aux ouvriers népalais en détresse.

Près de dix ans après la fin d'une insurrection maoïste qui a secoué le pays de 1996 à 2006, le Népal n'a toujours pas réussi à créer un environnement dans lequel la majorité de la population peut accéder à un niveau de vie soutenable. La pauvreté a créé une vague de migration économique qui a débuté lentement dans les années 90 et explosé autour de l'an 2000. Une loi sur les conditions de l'emploi à l'étranger de 2007 était supposée contrôler les flux de migrations pour garantir la sécurité des travailleurs.

Un rapport soumis par le Népal à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) révèle qu'en dépit de la création de nombreux mécanismes — comme le Fonds d'assistance aux migrants supposé venir en aide aux familles de travailleurs en cas de décès ou de blessures ; le recours à des agences de recrutement réglementées par l'Etat, le bureau en charge de la vérification des permis des migrants et le Département de l'emploi à l'étranger en charge de la régulation des agences de recrutement, des enquêtes et des médiations suite aux plaintes des travailleurs ou au cas de fraude – les travailleurs migrants sont toujours vulnérables.

Les plaintes sont rarement rapportées au Département de l'emploi à l'étranger. Phénomène particulièrement choquant, le Département ne possédait aucune donnée venant d'ambassades ou de services consulaires au moment de la soumission du rapport. De plus, le Bureau pour la promotion de l'emploi à l'étranger en charge de l'évacuation des migrants en détresse n'est intervenu que dans de très rares cas mentionnés dans son rapport annuel.

Ce que le gouvernement népalais fait systématiquement, c'est le décompte des morts, des rapports sur la cause du décès et le versement d'allocations de compensation et de rapatriement. Ceci ne permet pas d'améliorer des conditions de vie des travailleurs migrants népalais, et ne réduira pas le flot de citoyens cherchant un emploi dans les pays du Golfe.

Si on empêchait physiquement les Népalais de quitter leur économie en crise pour trouver un emploi à l'étranger ‘le Népal exploserait’, selon un économiste de la Banque asiatique de développement.

A snapshot of the runway on a flight leaving Doha airport, heading for Kathmandu, Nepal on 31 August 2010.  This is a journey many will not make alive. Image by Flickr user @elmar bajora (CC BY-NC-ND 2.0)

La piste d'atterrissage lors d'un vol Doha-Katmandou le 31 août 2010. Un voyage que certains feront dans un cercueil. Image de l'utilisateur Flickr @elmar bajora (CC BY-NC-ND 2.0)

C'est pourquoi Tristan Bruslé, un chercheur qui s'est penché en détails sur les migrants népalais travaillant dans les pays du Golfe et au Qatar en particulier, affirme que c'est la responsabilité du gouvernement qatari et des compagnies de garantir que ceux qui contribuent à la richesse du pays soient traités de façon équitable. Il indique aussi que les migrant népalais, qui souvent ne savent pas lire ou parler anglais, sont extrêmement vulnérables dans le système du Kafala.

Une vidéo, la Coupe du Monde du Qatar, réalisée par Bluefoot Entertainment, suit plusieurs migrants népalais depuis leur arrivée au Qatar jusqu'au moment tragique où leur cercueil est renvoyé dans leurs villages.

Avertissement: cette vidéo contient des images très choquantes.

Les commentaires sur cette vidéo vont de réactions habituelles à des réactions moins habituelles :

Anshuman Bhattacharya:
Que font les organisations de défense des droits de l'homme par rapport à cette situation ? Elles sont si préoccupées par les conditions de détention des terroristes, et pour une question aussi importante, on ne les voit plus…

Udeep Shakya:
Pourquoi la FIFA reste muette à ce sujet ? Est-ce que Blatter et le Qatar pensent qu'ils ne vont pas y arriver pour 2022 sans le système du Kafala ? Pas d'autopsie sur les cadavres, le système Kafala, pas de syndicats…aucun droit. Les organisations de défense des droits de l'homme devraient être bien plus critiques et le Qatar devrait accorder de bonnes conditions de vie aux travailleurs. Les protestations vont se faire entendre de plus en plus fort quand le bilan des morts va augmenter et cela se terminera par un désastre pour Blatter, la FIFA et le Qatar et tous les fans de foot.

Mais tout le monde n'est pas d'accord pour rejeter la faute au Qatar. Diana Lopez pense que c'est la faute des migrants :

On prétend que c'est la faute du Qatar si les conditions de vie sont si mauvaises. La seule raison pour laquelle les camps manquent d'hygiène, c'est que les gens ne font pas le ménage. S'ils ne le font pas, qui est supposé le faire ? Le Qatar est-il supposé recruter un autre groupe de travailleurs pour nettoyer les camps des autres travailleurs ? Dans ce cas, qui va nettoyer les camps des travailleurs qui font le ménage pour d'autres travailleurs ? C'est un cercle vicieux auquel on peut échapper uniquement s'ils décident de faire le ménage eux-mêmes.

En réponse à l'article du Guardian sur le taux de mortalité effarant des migrants népalais au Qatar, le commentaire le plus populaire sur Reddit a été posté par housebuye et a obtenu 2287 points.

On doit demander aux équipes de refuser de jouer. C'est la seule façon de changer la situation.

C'est aussi ce que pensent d'autres, comme Daniel Altman, le rédacteur en chef de la revue Foreign Policy qui pense que les seules personnes pouvant exercer une pression collective sur la FIFA sont les joueurs, à travers leurs représentant, la Fifpro.

Pour le moment, l'organisation s'est déclarée contre le système du Kafala, sans toutefois parler de boycott.

“L'abolition du système Kafala est une question de droits de l'homme qui doit être prise en considération car cela touche tous les travailleurs, y compris les footballeurs professionnels qui exercent leur métier au Qatar” a déclaré la Fifpro le mois dernier.

En attendant, une pétition pour ‘Libérer les esclaves des temps modernes du Qatar‘ cherche à réunir un million de signatures. Pour le moment, 800.000 signatures ont été réunies.

Mais est-ce que signer cette pétition va changer quelque chose?

Certains affirment que la Coupe du Monde est juste une étape vers un plan très ambitieux de développement du Qatar que les grandes entreprises comme Siemens ont hâte de signer. Siemens a obtenu un contrat de 8,2 milliards de dollars pour construire un nouveau métro très audacieux à Doha, et la France et le Royaume-Uni ont obtenu des contrats de construction et de consulting. Tout le monde a des intérêts directs dans cette affaire.

Finalement, les citoyens de base népalais se disent que la fermeture la semaine dernière du seul aéroport international du pays suite à un accident à l'atterrissage d'un vol de la Turkish Airlines, qui a occasionné des milliers d'annulations de tickets, a peut-être sauvé des vies. Pour ceux qui ont décidé d'acheter un autre ticket et d'aller au Qatar, on peut se poser la question de savoir quand et dans quel état ils rentreront dans leur pays.

Le Kremlin déclare la guerre aux mèmes

vendredi 17 avril 2015 à 23:30
A declaration of war on Internet memes. Edited by Kevin Rothrock.

Une déclaration de guerre aux mèmes internet. Illustration Kevin Rothrock.

Les censeurs russes viennent de décréter illégale l'une des formes les plus populaires du mème internet. Selon le Roskomnadzor, le cerbère des médias russes, il est désormais hors la loi d'utiliser des photos de célébrités dans un mème “lorsque l'image [obtenue] n'a rien à voir avec l'identité de ces dernières”.

La nouvelle loi marche sur les traces d'une décision de justice rendue à Moscou, où un juge a statué qu'un mème avec photo portait atteinte à la vie privée du chanteur russe Valeri Syutkine. La décision du tribunal vise un article sur Lurkmore, une sorte de Wikipédia très populaire spécialisé dans les sous-cultures du Web et les mèmes.

Un mème hors la loi

Le mème en question est une image macro réalisée à partir des paroles d'une chanson russe obscène de 2005. La phrase “Bei Babu po Ebalu” (souvent abrégée “BBPE”), que l'on peut traduire à peu près par “Gifle cette salope.” La chanson est l'oeuvre d'un obscur musicien dénommé Nambavan (“Number One”) et apparaît sur un album intitulé “Sex, Drugs, and Russian Girls” (“Sexe, drogues et filles russes”).

Selon Lurkmore, le mème basé sur les paroles insultantes de Nambavan a émergé en 2008 sur l'imageboard (ou forum à images) russe 2ch.ru, où les usagers postent des liens vers des vidéos musicales pour se “clasher” les uns les autres. Les habitués de 2ch ont ensuite joué avec différentes images macro, incrustant la phrase “BBPE” sur les photos de la pop star Filipp Kirkorov ou de l'acteur Alexeï Panine, mais c'est le chanteur Valeri Syutkine qui est finalement devenu le visage de ce mème.

“Bei Babu po Ebalu,” featuring Valeri Syutkin.

“Bei Babu po Ebalu,” interprété par Valeri Syutkin.

Si le mème fonctionne si bien avec Syutkine, c'est qu'il a une réputation de chanteur de romances guimauve destinées à la gent féminine. En d'autres termes, le côté comique de l'affaire, c'est qu'il semble bien être la dernière personne qui pourrait agresser une femme.

Adieu les images macro ?

Une image macro est “une image avec du texte en surimpression, produisant un effet humoristique”. Même si vous ne connaissiez pas ce terme, il y a de fortes chances que vous ayez déjà rencontré pas mal d'images macro.

L'une des techniques les plus répandues pour déclencher les rires avec ce type de mème est la juxtaposition. Les paroles sexistes et obscènes de la chanson de Nambavan sont à l'exact opposé de ce que véhiculent celles de Valeri Syutkine.

Dans ce sens, il peut être justifié de comparer le mème “BBPE” à quelque chose comme l'“Advice Dog,” (le “chien conseil”), où les internautes détournent la photo d'un adorable chiot en lui attachant un conseil idiot ou d'une éthique déplorable.

"Advice dog."

Le “chien conseil” : “Louez des clowns pour un enterrement”, “Buvez de l'huile de moteur pour garder le vôtre en état de marche”, “Achetez des capotes, faites un clin d'oeil à l'employé”, “Les fils électriques, c'est délicieux”, “Saute dans la lave et tu seras un homme”, “Sucez de l'hélium, défiez la gravité”

Reste que la nouvelle recommandation du Roskomnadzor est assez vague pour représenter plus qu'une menace de sanction en cas de juxtaposition diffamatoire. En décrétant qu'ajouter l'image d'une célébrité à un mème “qui n'a rien à voir avec son identité” est illégal, le Kremlin pourrait ouvrir la porte à l'interdiction de tout un genre d'humour absurde qui fleurit en ligne.

Untitled-1

Jeff Goldblum vous, bon, vous connaissez la suite.

D'autres images macro célèbres, comme “Jeff Goldblum vous regarde faire caca” (une blague “de cabinets” basée sur une capture d'écran du film d'horreur de 1986 La Mouche) ou sur le “Trololo” d'Eduard Khil (autre mème “musical”), utilisent des célébrités pour faire des blagues si obscures et dénuées de sens que l'on peut facilement en conclure qu'elles “n'ont rien à voir avec l'identité de la célébrité” en question. Si le Roskomnadzor le veut, il peut utiliser cette nouvelle loi pour interdire une large variété de mèmes internet.

Trois options nulles

“RuNet Echo” s'est entretenu avec le fondateur et administrateur principal de Lurkmore, Dmitry (David) Homak. Celui-ci dit que le problème pour contester la décision du tribunal contre l'article sur “BBPE” et Valeri Syutkine, c'est qu'il n'a pas reçu de documents officiels du gouvernement russe :

They evade the defendant [Lurkmore] by any means necessary. ‘You can’t challenge it,’ they tell you. ‘We don’t know if you’re the guys who own the site, and we don’t want to hear from you.’”

Ils évitent la partie défenderesse [Lurkmore] par tous les moyens. Ils vous disent “vous ne pouvez pas contester [la décision]”. “Nous ne savons pas si vous êtes le propriétaire du site, et nous ne voulons pas avoir affaire à vous.”

Homak sait qu'il doit désormais choisir entre trois solutions aussi peu satisfaisantes les unes que les autres : (1) trouver une façon d'établir son statut et contester la décision devant le tribunal, (2) bloquer l'article pour les internautes basés en Russie, et sinon (3) “il y a toujours la solution de les envoyer se faire foutre, ce qui nous fera bloquer en Russie, mais ce n'est probablement pas la plus judicieuse”.

Comme son historique pourrait l'indiquer, Lurkmore va probablement choisir de bloquer la page “BBPE” pour les internautes russes, une stratégie qu'il a déjà adoptée à plusieurs reprises, quand le Roskomnadzor a blacklisté le site ou menacé de le faire pour un contenu sur le suicide et les drogues illicites. Homak a jusqu'à début mai pour décider.

Quel est l'intérêt d'interdire ce genre de choses ?

En dehors des crooners sentimentaux, il n'est pas impensable que Roskomnadzor puisse un jour appliquer la nouvelle loi à des mèmes qui font intervenir un autre genre de personnalités publiques, comme les hommes politiques. Si cela arrive, il pourrait en théorie devenir illégal de photoshoper Vladimir Poutine torse nu à califourchon sur un oiseau, ou un ours, ou une douzaine d'autres animaux sur lesquels vous trouverez le président russe à cheval après une simple requête sur Google Images.

Vladimir Putin, as the Internet knows him.

Vladimir Poutine tel que le Net le connaît.

Interdire les mèmes de Poutine torse nu, sans parler de faire disparaître la photo “BBPE” de Syutkine, c'est bien sûr mission impossible. La pression du Roskomnadzor sur Lurkmore,comme beaucoup de ses interventions sur la Toile russe, s'entend comme une façon d’intimider les autres sites Web pour qu'ils s'autocensurent.

Ainsi, Syutkine a prétendu que c'était sa mère qui lui avait conseillé de poursuivre Lurkmore en justice pour son mème. “Je sais que je ne suis pas seul ici”, a-t-il dit au journal Izvestia. “Je veux contribuer à mettre un peu d'ordre sur la Toile russe, pour le respect des données personnelles.”

Sachant que le mème “BBPE” a plus de six ans, de nombreux internautes russes – dont beaucoup de membres de la communauté Lurkmore — suspectent pourtant que les motivations de Syutkine ont moins à voir avec la culture internet qu'avec la promotion de son dernier album, qui a débuté le mois dernier.