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Un clip de rap défiant la junte thaïlandaise devient viral, malgré les menaces d'arrestation

mardi 4 décembre 2018 à 17:15

“Le pays dont les habitants se font tuer des deux côtés” La vidéo fait ici référence aux violences perpétrées contre les opposants de la junte militaire thaïlandaise et aux nombreux affrontements entre les sympathisants des différents partis politiques. Capture d'écran d'une vidéo YouTube.

[Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais]

Un clip de rap qui dénonce la junte militaire au pouvoir en Thaïlande est devenu viral, malgré les menaces qui pèsent sur les artistes à l'origine de ce clip populaire, dénoncé par les autorités et considéré comme “inapproprié” par le Premier ministre thaïlandais.

Publié le 22 octobre dernier, le clip d'environ cinq minutes intitulé “Prathet Ku Mi” (C'est ça, mon pays), du groupe “Rap Against Dictatorship”, a été visionné plus de 600 000 fois sur YouTube, en seulement deux jours. À peine quatre jours après, le clip dépassait déjà les 40 millions de vues.

Le groupe, composé de 10 rappeurs dont certains souhaitent garder l'anonymat, s'est rassemblé pour écrire ce morceau qui dénonce la violence de l'État, la corruption du gouvernement ainsi que le régime militaire actuellement au pouvoir.

Menée par le général Prayuth Chan-ocha, l'armée s'est emparée du pouvoir en Thaïlande par un coup d'État en 2014. Une nouvelle constitution a alors été rédigée de manière à garantir la mainmise des militaires sur les appareils d'État, et ce même en cas de fin du régime militaire. Le général Prayuth a annoncé que des élections seraient organisées l'année prochaine, mais le gouvernement a imposé de nombreuses restrictions à l'organisation des campagnes électorales.

Le groupe de rap a été salué pour le courage et la créativité dont il a fait preuve pour dépeindre la situation actuelle du pays. Différentes captures d'écran du clip sont présentées ci-dessous :

“Une constitution écrite et effacée par les bottes de l'armée” Les images font ici référence à la constitution de 2016 censée encourager la transition du pays vers la démocratie et qui n'a en réalité fait que renforcer la domination de la junte militaire. Capture d'écran d'une vidéo YouTube

“Le pays qui vous pointe un fusil sur la gorge” Il s'agit ici d'une référence au coup d'État de l'armée qui s'est produit en 2014 et à la dictature militaire en place en Thaïlande. Capture d'écran d'une vidéo YouTube

“Même le premier ministre continue à être choisi par l'armée” Le Premier ministre Prayuth Chan-ocha était le chef des armées qui a dirigé le coup d'État de 2014. Capture d'écran d'une vidéo YouTube

La vidéo met en scène un groupe de jeunes gens qui semblent applaudir quelque chose. En arrivant vers la fin de la vidéo, on découvre qu'il s'agit en fait de la foule et des forces paramilitaires qui ont attaqué et massacré des dizaines d'étudiants de l'université de Thammasat qui protestaient contre la loi martiale de 1976.

Le clip reconstitue l'une des scènes les plus brutales du massacre de l'université de Thammasat en 1976. Capture d'écran d'une vidéo YouTube

Interrogé à propos de sa décision d'inclure dans la vidéo le terrible massacre par pendaison de l'université de Thammasat, et du risque de faire ici l'apologie de la violence, le réalisateur Teerawat Rujintham s'explique dans un entretien pour le site internet Prachatai :

Sometimes we also have to present violence using a straightforward method, so that people will feel and see certain truths.

Society that lives under fear and self-censorship doesn’t work. If we believe in something, we must be brave enough to fight and take a stand for it.

Parfois, il est aussi nécessaire de montrer la violence sans aucun filtre, afin que les gens puissent voir et ressentir certaines vérités.

Une société dirigée par la peur et l'autocensure, cela ne fonctionne pas. Nous devons être suffisamment courageux pour nous lever et nous battre pour les choses en lesquelles nous croyons.

Les autorités thaïlandaises dirigées par Prayut ont accusé le morceau de rap de “mépriser” le pays et les chefs de la police ont menacé de lancer une procédure à l'encontre du groupe de rap et d'attaquer toute personne qui ferait la promotion du clip sur les réseaux sociaux. Aucune arrestation n'a été enregistrée à ce jour.

Le gouvernement a en revanche décidé de diffuser son propre morceau de rap afin de célébrer l'innovation et le progrès, mais ce dernier n'a pas fait le buzz sur les réseaux sociaux.

Il semblerait que le gouvernement de Prayut Chan-ocha, conscient de la popularité de cette vidéo auprès des jeunes, veille à ne pas enflammer davantage l'opinion publique, dans une période où il s'efforce de gagner le soutien de son électorat.

Et force est de constater que de nombreux internautes et représentants des différents groupes politiques thaïlandais ont affiché leur soutien aux rappeurs :

J'ai toujours dit que la ‘puissance douce’ comme la musique et la littérature constituaient des leviers essentiels pour permettre à une société d'avancer et de se tourner vers l'avenir. Rap Against Dictatorship a fait du très bon travail avec #ประเทศกูมี. Ils ont prouvé au monde que nous les Thaïlandais n'avons pas cédé face à la junte militaire.

Dans un entretien avec le site d'actualité Coconuts, le groupe “Rap Against Dictatorship” a répondu aux détracteurs qui les accusent de ternir l'image de la Thaïlande :

To the people who say we’re ‘ruining Thailand’s reputation’, I ask what looks worse: turning a blind eye on the problems that everyone already knows about anyway or recognising our problems and starting a conversation to look for solutions?

À ceux qui disent que nous “salissons la réputation de la Thaïlande”, je demande ce qui est pire : fermer les yeux sur les problèmes que tout le monde connaît de toute façon déjà ou bien reconnaitre nos problèmes et en discuter pour trouver des solutions ?

Visionnez le clip complet de “Prathet Ku Mi” :

Pourquoi les Vénézuéliens voient-ils leur pays dans « 1984 » de George Orwell?

mardi 4 décembre 2018 à 15:08

« Big Brother vous regarde ». Montage de César Courbenas, reproduit avec autorisation.

Pour beaucoup d'internautes au Venezuela et à l’étranger, Big Brother renforce son étau sur la nation. Les références comparant le roman populaire de George Orwell à la situation vénézuélienne ne sont ni rares, ni isolées, ni récentes.

Dans le roman, Winston Smith, le personnage principal, veut se rebeller et participer au renversement du gouvernement, qui contrôle ses citoyens et punit brutalement ceux qui commettent ou ne font que penser à des délits.

Orwell réussit à dépeindre un gouvernement totalitaire qui contrôle et dirige la vie publique et privée de ses citoyens. Et au-delà du livre et de son histoire, il a aussi créé un univers de symboles et de métaphores dans lequel la langue et l’histoire font partie de stratégies solides de contrôle social.

La représentation totalitaire d’Orwell présente un caractère universel que peu de romans ont atteint. Les Vénézuéliens ne sont pas les premiers à comparer “1984” au régime qui gouverne leur pays.

Cependant, de par la crise profonde que traverse actuellement le Venezuela dans de nombreux domaines et l’effondrement économique et social, décors de l'histoire moderne du pays, beaucoup comparent les caractéristiques de l'État d’Océania créé par Orwell au système politique établi par Hugo Chávez et perpétué par son successeur Nicolás Maduro.

Un « Angsoc Bolivarien »

Caracas, le 5 mars 2014. Commémoration de la mort du Président Hugo Chávez Frías. Photographie : Xavier Granja Cedeño. Partagée sous licence CC-BY-SA 2.0 France.

En 2017, le roman a même été mis en scène dans une adaptation théâtrale, qui a fait l'objet d'une importante promotion. Ses producteurs affirment que c'est le caractère universel de l'oeuvre qui a encouragé ce projet, mais les comparaisons entre l'Angsoc, le système politique fictif du roman et le Parti socialiste unifié du Venezuela, qui ont accompagné ses représentations, ne peuvent que soulever des questions. Sur Twitter, des tags mentionnant le Venezuela et 1984 apparaissent régulièrement :

J’ai écouté des extraits du livre audio 1984, le roman d’Orwell. C’était comme écouter une description du Venezuela actuel. Des affiches avec des personnages au regard inquisiteur, des coupures de courant, des célébrations patriotiques, de la propagande politique au sujet des grandes réussites du régime.

Je me souviens du roman d’Orwell 1984 comme allant de paire avec La ferme des animaux. Je pense que l’auteur n’aurait jamais imaginé que le Venezuela serait la meilleure mise en scène de ses œuvres. Quiconque aura lu ces romans comprendra !
Le Grand Cochon Moustachu commande l’Angsoc bolivien !

Maintenant, les opposants au gouvernement ne sont plus les seuls à voir le reflet d’Océania au Venezuela. Des pénuries de nourriture et de médicaments, ainsi qu’une série de manifestations violentes ont suscité des opinions semblables parmi des partisans du gouvernement de Nicolás Maduro. Cependant, la répression vient, de leur point de vue, de l’influence étrangère et de l’opposition. Guillermo Moreno l’exprime ainsi sur le site (généralement en faveur du gouvernement) Aporrea :

…recordé las largas colas para un pote de leche, para un pañal, para una medicina Y no pude dejar de asociar ese sufrimiento y esa tortura como una forma mas de manipulación que ejerce un estado para lograr sus objetivos […] Y es que el antiguo estado capitalista en Venezuela aun mantiene intacto todo su poder. Ese que tiene para dejarnos sin la leche para nuestros hijos, sin sus pañales, sin las medicinas y que nos manipula a través de los medios de comunicación tratando de convencernos de que el enemigo es el estado socialista y popular

… Je me suis rappelé les longues files d’attente pour une bouteille de lait, une couche, ou des médicaments. Et je n’ai pu m’empêcher de considérer la souffrance et la torture comme une manipulation de l'État pour atteindre ses objectifs […] Le fait est que l’ancien régime capitaliste vénézuélien a encore tout son pouvoir. Le pouvoir de ne pas nous laisser de lait, de couches pour nos enfants, de médicaments. Il nous manipule à travers les médias en essayant de nous convaincre que l’ennemi est l'État socialiste populaire.

Sur le même site, Pedro Patiño partage une vision similaire :

El partido único de gobierno, la hegemonía comunicacional del estado político, la propaganda de guerra por parte de sectores nacionales y extranjeros opositores, el uso de tecnologías para avanzar en la disociación psicótica de los ciudadanos, todo esto nos lleva a decir que esta magnífica novela que está enmarcada en la “Distopía” es decir en la “anti utopía” nos cae como anillo al dedo.

Le parti-unique, la communication hégémonique de l'État politique, la propagande belliqueuse émanant de groupes nationaux et d’opposants étrangers, l’utilisation de la technologie incitant plus encore la dissociation psychotique parmi les citoyens… Tout cela nous amène à dire que ce roman magnifique, revêtant la forme d’une « dystopie », ou « anti-utopie », nous sied comme un gant.

« Big Brother vous regarde »

Photogaphie prise à Guarenas, au nord du pays, montrant un panneau d’affichage avec les yeux de Chávez. Image partagée par l’utilisateur The Photographer, publiée sous licence CC0 1.0 Transfert dans le domaine public.

Dans 1984, Big Brother est le dirigeant suprême d’Océania. Sa voix et son visage ne domine pas seulement les médias, mais sont également omniprésents dans la vie quotidienne. Qu’il vive ou non n’a pas d’importance, il est le visage de l'État. La majorité de ceux qui commentent en ligne l’utilisation de l’image d’Hugo Chávez, et particulièrement de ses yeux, sur les posters, les tableaux d’affichage, les graffitis et même les logos des entités gouvernementales dans plusieurs villes vénézuéliennes, s’accordent à dire qu’elle est comparable à l’omniprésence du Big Brother d’Orwell. Voici comment Pedro Villa le décrit, sur le site internet Contenido Web :

Los ojos de Chávez se despliegan por toda Venezuela, en todas las instituciones, en vallas, en instalaciones militares y más. Todo con la misma intención que en la novela, decirnos: “Somos el poder y te estamos vigilando”. Lo más tétrico es que en la realidad venezolana el “Gran hermano” vigilante son los ojos de un muerto.

Les yeux de Chávez sont représentés à travers le Venezuela, dans toutes les institutions, sur tous les panneaux d’affichage, au sein des aires militaires et autres. Avec la même intention que dans le roman, celle de nous dire : « Nous sommes le pouvoir et nous te regardons ». Et le plus déprimant c’est que, dans la réalité vénézuélienne, les yeux du « Big Brother » justicier sont ceux d’un homme mort.

Les diverses stratégies de contrôle de l’information ont également été un des éléments qui ont fortement inspiré cette comparaison avec le gouvernement vénézuélien. Dans cet article du Caraota Digital se trouve une analyse du projet de loi pour la « régulation de la haine » sur internet. Ce projet de loi n’a pas été rendu accessible aux citoyens avant les débats, mais il a été encouragé puis approuvé par les représentants de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) au milieu de protestations qui remettaient entre autres en question la légitimité de l’Assemblée elle-même. L'ANC a été créée en 2017 pour dissoudre l'Assemblée Nationale, dont les membres avaient été élus en 2015 et étaient en majorité d'opposition :

La Ley del Odio, recién aprobada por la ANC, cuenta con estructuras que permitirían acabar con los “traidores de la Revolución” […] De igual manera [se prohibe a] los usuarios de redes emitir mensajes que, de acuerdo con la interpretación de la ley, promuevan el odio o la intolerancia hacia un determinado grupo político.  

La Loi de la haine, récemment approuvée par l’ANC, offre le moyen au gouvernement d’en finir avec les « traîtres de la Révolution » […] De même, [elle interdit] aux usagers des réseaux sociaux d’émettre des messages qui, selon l’interprétation de la loi, promeuvent la haine et l’intolérance contre une groupe politique spécifique.

La guerre, c’est la paix !

D’autres similitudes émanent, et pas seulement de l’interprétation des projets de loi, des discours ou du pouvoir. La création, en 2003, du vice-ministère pour le Bonheur social suprême du peuple a fait l’objet de nombreuses critiques en ligne et avait un air de déjà vu pour de nombreux lecteurs d’Orwell. Les changements apportés aux manuels scolaires, et tout particulièrement concernant l’histoire vénézuélienne, sont un autre sujet d’inquiétude. Ces changement font partie de plusieurs efforts qui semblent avoir pour objectif d’établir de nouvelles interprétations sur  l'indépendance du Venezuela, ainsi que de nouvelles visions de la vie et de l’œuvre de Simón Bolívar, le héro national le plus important du pays. Certaines de ces initiatives ont été constatées dans de nouvelles enquêtes sur la mort de Bolívar et dans des longs métrages qui recréent sa biographie.

Veda Everdum du journal El Nacional commente à ce sujet :

Los que nacieron de 1980 a 1995 y vivieron en Venezuela saben perfectamente quién fue, qué hizo, y todo lo que «en realidad» pasó de 1998 al 2012 con el gobierno del ex-presidente […] el gobierno oficialista ha empezado, desde que murió el Presidente Chávez, a cambiar la historia, a cambiar el pasado; a pintarnos algo que en realidad sabemos que no fue así.

Ceux qui sont nés entre 1980 et 1995 et [ceux qui] ont vécu à cette époque au Venezuela savent très bien ce qui était [Hugo Chavez], ce qu’il a fait et tout ce qu’il s’est vraiment passé de 1998 à 2012, sous le gouvernement de l’ancien président […] Depuis le décès du président Chávez, le gouvernement a commencé à changer l’histoire, à changer le passé et à nous présenter quelque chose que, en réalité, nous savons incorrect.

Dans ces conversations, on parle aussi de la manière dont le pouvoir utilise la langue et les adjectifs pour parler d’autres groupes politiques. Des auteurs en ligne, tel que Andoni Abedul, dans son espace Medium, affirment :

Esto se puede ver claramente cuando llaman a los opositores [“golpistas”], pero el gobierno celebra el 4 de Febrero, una fecha en la que el ex-presidente [Hugo Chávez] hizo su primer intento de golpe de estado contra el presidente de aquel entonces. 

On peut voir cela clairement quand ils appellent l’opposition [« des putchistes »], alors qu’en parallèle, le gouvernement célèbre le 4 février, la première tentative de coup d’état de l’ancien président [Hugo Chávez] contre le président de l’époque [Carlos Andrés Pérez].

Finalement, certaines visions datant de quelques années soulèvent des questions fondamentales au sujet de la manière dont le gouvernement attribue des étiquettes. Après des années de symboles et de discours liés aux rébellions et mouvements anti-pouvoirs émanant de ceux au pouvoir, qui sont les rebelles et qui est le pouvoir ? Voici comment Adam Pervez le formule :

One thing I wondered, though, was at what point does this propaganda stick and just become part of common knowledge, or when does it becomes ridiculous and embarrassing. Here, a lot of things are labeled “revolution” or “revolutionary”. […] Doesn’t the revolution become the powers that be at some point?

Je me demande cependant, à quel point la propagande reste-t-elle gravée dans les esprits et fait partie du savoir collectif, ou quand devient-elle ridicule et embarrassante. Ici, de nombreuses choses sont qualifiées de « révolution » ou de « révolutionnaires ». […] Mais, à un moment donné, la révolution ne devient-elle pas à son tour le pouvoir en place?

La version originale espagnole de cet article est parue le 24 juillet 2018.

« Le Petit Prince » parle désormais le tzotzil

mardi 4 décembre 2018 à 08:15

Le Petit Prince, ou Ch’in Ajvali en tzotzil. Reproduction de l'image autorisée.

L'un des livres les plus traduits au monde vient d’ajouter une langue à son palmarès : « Le Petit Prince » est maintenant disponible en tzotzil, une langue indigène parlée par 400 000 personnes dans le Chiapas, un État du Sud-Est du Mexique.

« Ch’in Ajvali » a été publié en Novembre 2018 par l’éditeur indépendant argentin Los Injunables, qui avait réalisé une version en aymara de ce même livre en 2016.

Traduite par le poète Xun Betán, la version tzotzile paraît avec des illustrations inspirées de la civilisation maya ainsi qu'avec une typographie particulière développée spécialement pour cette langue.

Le poète Xun Betán, auteur de la traduction de « Ch’in Ajvali » en tzotzil, présentant l'un des livres. Reproduction autorisée de l'image.

Global Voices a échangé quelques mots avec Javier Merás, le cerveau de Los Injunables, sur cette interprétation complètement inédite pour les 75 ans du livre d'Antoine de Saint-Exupéry.

Global Voices (GV): Quelle est l'origine de la traduction en tzotzil du « Petit Prince » ?

Javier Merás (JM): Xun Betán, el traductor de esta edición, se acercó a la lectura a los nueve años con El Principito. No solamente fue su primer contacto con la lectura, también lo usó para aprender castellano. Más adelante, tuvo la iniciativa de traducir el libro al Tsotsil, iniciativa que emprendió con sus propios medios y fondos. Su intención era que más personas en su comunidad pudieran leer la obra.

Javier Merás (JM): C'est précisément grâce au « Petit Prince » que le traducteur de cette édition, Xun Betán, est tombé amoureux de la lecture à l'âge de neuf ans. C'était son tout premier contact avec la lecture ! Mais il lui a aussi permis d'apprendre l'espagnol. Plus tard, avec ses propres moyens, il prit l'initiative de le traduire en tzotzil. Pour lui, le plus important c'est que davantage de personnes de sa communauté puissent lire le livre.

GV: On peut le dire. Ce n'était pas gagné d'avance, non ?

JM: En realidad, no. La traducción estaba lista para salir a imprenta, pero las editoriales a las que Xun contactó no acababan de asimilar los dibujos de Héctor Morales Urbina, tan diferentes a los de todas las versiones clásicas. En 2016, a través de Los Injunables, tienda de libros virtual que administro, lo contactamos, después de dos años de rechazos. Xun nos hizo llegar un ejemplar del libro, y nosotros lo trabajamos y le dimos forma. Su faceta como editora surge por necesidad.

Los Injunables, la editora a cargo de esta versión, es un proyecto de salvación personal, donde cabe de todo. Tenemos libros en braille salidos de las cárceles, tipógrafos que rescatan fuentes coloniales y hasta traducción de clásicos de la literatura realizadas por hablantes de lenguas mestizas, como ha ocurrido con El Principito en tsotsil.

JM: Non, en effet. La traduction était prête à être imprimée. Xun Betán a donc contacté des maisons d'édition. Mais elles n'accueillaient pas bien les dessins de Héctor Morales Urbina, car ils différaient des versions classiques. Et comme je gère une librairie virtuelle, « Los Injunables », nous l'avons contacté en 2016, après deux années de refus. Xun Betán en a alors envoyé une copie. Nous avons travaillé dessus et l'avons mise en page. C'est par la force des choses que nous sommes devenus éditeur.

Los Injunables, la maison d'édition de cette version, est un projet de salut personnel, où tout se rejoint. Nous avons des livres en braille issus des prisons, des typographes qui sauvent les polices de caractère coloniales et même des traductions de classiques réalisées pas des intervenants en langues indigènes. La publication du « Petit Prince » en tzotzil en est le parfait exemple.

GV: Il est très intéressant de constater que la version tzotzile a ses propres dessins, et comment ceux-ci préservent l'essence de la tradition que nous connaissons tous.

JM: Efectivamente, las ilustraciones son completamente de inspiración maya. Fue un ofrecimiento del traductor, Xun Betán. Los dibujos son de Héctor Morales Urbina y tienen una evidente influencia maya. La contraportada y otros detalles los aportó Alejandro Fiadone, experto en iconografía indígena argentina, especialmente para Ch’in Ajvalil. También se usaron números mayas para numerar los capítulos.

JM: Tout à fait, les dessins sont complètement inspirés de la civilisation maya. C'était une proposition du traducteur Xun Betán. Les dessins résultent du travail de Héctor Morales Urbina, et sont influencés indéniablement par la civilisation maya. La quatrième de couverture et les autres détails ont été réalisés par Alejandro Fiadone, expert en iconographies autochtones argentines, particulièrement pour Ch’in Ajvalil. Nous avons aussi utilisé les chiffres mayas pour numéroter les chapitres du livre.

GV: Qu'avez-vous appris en traduisant « Le Petit Prince » en langues indigènes ?

JM: Podría decir que aprender a relacionarme con esta historia se ha convertido en lo que podría llamar una especialidad. También es un pretexto por el que tengo que estar agradecido. Me he encontrado con muchísimas personas valiosas que me brindaron su amistad, inspiración y apoyo a lo largo de este hermoso viaje.

JM: Je dirais que je me suis spécialisé en apprenant comment s'imprégner de cette histoire. Je suis vraiment reconnaissant de cette chance. J'ai pu rencontrer de nombreuses personnes inestimables qui m'ont offert leur amitié, leur inspiration et leur soutien tout au long de ce beau voyage.

GV: Comment a été reçue l'édition du « Petit Prince » en aymara ?

JM: “Pirinsipi Wawa” tuvo mucha demanda entre coleccionistas y la sigue teniendo. Un grupo peruano vinculado a la educación mandó a comprar un lote grande para un trabajo en colegios bilingües. La idea original era donar libros para que se usaran como material escolar. Sin embargo, debo destacar que nuestro rol no es benéfico. Asumimos que nuestro ciclo ya concluyó, y en breve cederemos los derechos de esa edición al traductor, Roger Gonzalo Segura, para que el texto se pueda publicar en el Perú y que siga su camino. ¿Qué más puede soñar un editor?

JM: « Le Petit Prince » a été très demandé par les collectionneurs, et continue à l'être. Un groupe péruvien associé à l'éducation publique a acheté un grand lot de livres pour des écoles bilingues. À l'origine, l'idée était de donner des livres à des fins scolaires. Toutefois, je dois souligner que nous ne sommes pas des philanthropes. Nous savons que notre programme est terminé. Bientôt nous transférerons les droits de cette édition à son traducteur, Roger Gonzalo Segura, afin que le texte puisse être publié au Pérou et poursuive son propre chemin. Le rêve pour un éditeur, non ?

Pour en savoir plus, consultez la page Facebook de Los Injunables — qui inclut cette vidéo illustrant l'histoire de la traduction et le processus de publication :

Comment Google va-t-il se connecter au système chinois de censure généralisée de l'internet ?

lundi 3 décembre 2018 à 16:36

Un événement musical de Google en Chine en 2009. Photo : Keso via Flickr (CC BY 2.0)

Cet article est publié ici dans le cadre d'un partenariat de contenus entre Global Voices et Ranking Digital Rights.

Ce n'est plus un secret : Google développe un moteur de recherche pour la Chine.

Après avoir éludé pendant des mois les questions des journalistes, le PDG Sundar Pichai a admis en octobre le projet de Google de construire une appli mobile au service des utilisateurs chinois – et donc de se conformer aux exigences du gouvernement chinois en matière de censure.

Restent les grosses interrogations. Et précisément, comment cela fonctionnera en pratique ? Pour satisfaire les censeurs, Google devra consacrer d'importants moyens humains, financiers et techniques pour rester en phase avec la méthode exhaustive et unique en son genre de la Chine pour contrôler l'information et le discours en ligne. La compagnie peut bien être disposée à faire quelques concessions (et des investissements substantiels) afin de pénétrer le marché chinois, cette décision forcera Google à compromettre ses propres engagements ”à promouvoir le respect de la vie privée et la liberté d'expression pour [ses] utilisateurs dans le monde entier”.

Comment censurer l'internet (selon les normes chinoises)

A la différence des entreprises dont le siège est aux USA, largement à l'abri de toute responsabilité pour les contenus illégaux, les géants chinois de l'internet ont l'obligation de censurer préventivement les contenus illégaux et politiquement sensibles, et d'en faire rapport aux autorités. En entrant sur le marché chinois, Google peut s'attendre à se voir appliquer les mêmes règles.

Qu'est-ce qui rend un contenu illégal ? C'est la tentaculaire loi chinoise sur la Cybersécurité qui l'édicte, à côté de la liste constamment évolutive des exigences de hiérarques du parti et de hauts responsables dans l'administration du Cyberespace.

La loi chinoise sur la Cybersécurité interdit aux internautes de publier des informations “nuisant à l'honneur national”, “troublant l'ordre économique ou social” ou visant à “renverser le système socialiste”. La loi exige aussi des compagnies internet qu'elles collectent et vérifient les identités des utilisateurs chaque fois qu'ils utilisent les principaux services et sites web.

La censure des mots-clés politiquement sensibles est un élément puissant de ce système. Aux côtés d'expressions hors-la-loi de longue date, comme “droits de l'homme” et “place Tienanmen”, il y a un flot constant de nouvelles requêtes de censure venant d'en-haut, alimenté par l'actualité et les sujets brûlants sur les médias sociaux. En janvier par exemple, les censeurs se sont mis à bannir des expressions telles que “anti-harcèlement sexuel” dans le sillage de la diffusion du mouvement #metoo en Chine.

En vue de se conformer et s'adapter aux réquisitions étatiques, les grandes entreprises de technologies en Chine consacrent de substantiels moyens humains et financiers au travail de maintenir la “propreté” et la légalité de leurs sites. Les firmes enrôlent des strates d'individus pour participer à cette tâche, allant de salariés à plein temps à des “conseillers” communautaires et des “volontaires civilisateurs” pour promouvoir les messages positifs sur le parti communiste (et noyer ceux qui sont négatifs). Une estimation non officielle par un média japonais en 2014 a chiffré à huit millions le nombre d'employés dans le secteur de la censure d'internet.

L'intelligence artificielle est aussi en train de prendre une place grandissante dans ce secteur, bien qu'on en sache encore très peu sur la manière dont les compagnies incorporent les mécanismes décisionnels de censure à leurs systèmes.

Pour des entreprises étrangères comme Google, il y a aussi des obstacles supplémentaires s'agissant du stockage des données. Comme Google collectera les données des utilisateurs (The Intercept rapporte que les utilisateurs en Chine devront se connecter préalablement toute recherche), la firme devra gérer un data center avec un partenaire local, aux termes de la loi chinoise sur la Cybersécurité. S'appuyant sur une note interne qui a fuité, The Intercept affirme que la société chinoise partenaire aura “accès unilatéralement” aux données de recherche des utilisateurs.

Pour s”aligner sur ces exigences, Google pourrait devoir modifier substantiellement son modèle de distribution et de modération de contenu, sans parler de collecte de données. Les principes de Google d'ouverture et de préservation de la libre parole ne manqueront pas d'être mis à l'épreuve.

Les profits avant les droits humains : ‘un nivellement par le bas’

Dans ses premières années, Google s'est bien conformé aux demandes de censure du gouvernement chinois. Mais la firme a cessé de censurer les résultats de recherche en Chine en 2010, après avoir subi une cyberattaque massive depuis l'intérieur du pays, qui ciblait les défenseurs chinois des droits humains. Suite à l'attaque, la compagnie s'est mise à diriger le trafic de la Chine continentale vers sa version de Hong Kong, relativement ouverte, comme dans le reste du monde. En quelques mois, les services de l'entreprise furent totalement bloqués en Chine continentale.

La décision de Google fut aplaudie par les militants de la liberté d'Internet, à l'intérieur et l'extérieur de la Chine, et plaça Google dans une catégorie singulière, celle d'une compagnie ayant choisi de changer ses priorités (et probablement de renoncer à des profits) afin de sauvegarder les droits humains.

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Google fut contraint de quitter la Chine en 2010. Photo sur Flickr de Josh Chin (CC BY-NC 2.0)

Isaac Mao, un entrepreneur basé à Hong Kong et fondateur du projet Musicoin, dit rétrospectivement de la décision de 2010 que “l'acte de Google a alors incité beaucoup de gens à prêter attention aux problèmes de censure, ce [fut] historique.”

Si Google a officiellement retiré ses serveurs de Chine en 2010, il maintient cependant une présence sur le marché chinois en investissant dans des start-ups locales et un centre de recherche sur l'intelligence artificielle à Pékin. Mais la décision de réintroduire ses produits phares en Chine, aux conditions du gouvernement chinois, représente un vrai glissement de paradigme pour l'ensemble du secteur d'activité.

Isaac Mao voit le plan de retour en Chine de Google comme entièrement motivé par le profit.

“Les internautes chinois souffrent beaucoup et voudraient vraiment voir Google garder un haut niveau de moralité… au lieu de ne s'intéresser qu'aux seuls chiffres de part de marché”, nous a-t-il déclaré.

Outre les changements que cela apportera à Google, les spécialistes disent que ce retournement va encourager d'autres entreprises (dont les services sont actuellement bloqués en Chine) à briguer leur propre part du marché chinois.

“Cela va enhardir d'autres compagnies à abaisser elles aussi leurs normes de droits humains pour le marché chinois. Et on aura un nivellement par le bas”, prédit Yaqiu Wang, chercheur pour la Chine à Human Rights Watch.

Lokman Tsui, professeur à l'Université chinoise de Hong Kong et ancien collaborateur de Google, nous a déclaré que cette décision va aussi faciliter à des gouvernements autour du monde l'imposition de régimes de censure plus serrés à Google. Il explique :

“Dans les négociations avec les gouvernements à travers le monde, chaque gouvernement peut maintenant dire, ‘vous pouvez faire ce genre de censure pour la Chine, mais pas pour nous ?’”

Adhérer au parti à Pékin

La décision de Google de faire revenir ses produits phares sur le marché chinois était prévisible et paraît suivre une tendance plus large des grandes compagnies étasuniennes. Facebook, LinkedIn et Apple, pour ne citer que celles-là, cherchent toutes à prendre plus solidement pied en Chine ces dernières années — bien que seulement quelques-unes y soient parvenues.

En 2014, LinkedIn lançait une version chinoise de son service, qui empêche les utilisateurs du continent d'accéder aux contenus interdits par le gouvernement chinois. Dans un entretien avec le Guardian après que des utilisateurs se soient plaints du caviardage de contenus politiques sur le site, le collaborateur de LinkedIn Asie-Pacifique Roger Pua expliqua que c'était délibéré “pour protéger la vie privée et la sécurité de l'usager qui avait posté ce contenu”.

Les produits Apple sont disponibles à l'achat depuis longtemps en Chine. Au long des années, le géant de la haute technologie s'est aussi fait le complice dans la censure de ses utilisateurs chinois en sévissant contre les VPN, en retirant l’appli du New York Times de sa boutique chinoise d'applis, et en censurant l'émoji du drapeau taïwanais. Début 2018, Apple a accepté de stocker les données utilisateurs localement pour se conformer à la loi de 2017 sur la Cybersécurité, une décision fustigée par les groupes de droits humains et les défenseurs de la vie privée.

Si le chemin a été pavé d'obstacles pour Apple et LinkedIn, la décision stratégique d'aller en Chine semble avoir été jusqu'à présent payante pour les deux compagnies. Cela dit, aucune de ces deux firmes n'a, de loin, autant de pouvoir que Google sur ce que disent et voient les gens sur Internet.

Quelle est la prochaine étape ?

Il ne fait pas de doute que les décisionnaires et la direction de Google placent les profits avant l'ouverture dans cette politique. Ce qui reste nébuleux, c'est jusqu'où l'entreprise est prête à aller pour obtenir la bénédiction du gouvernement chinois.

Google va se heurter à la concurrence féroce des entreprises chinoises des technologies, en particulier à Baidu qui domine le marché des moteurs de recherche dans le pays. Si de nombreux utilisateurs en Chine peuvent être tentés de passer chez Google à la faveur du mécontentement des internautes envers Baidu, les compagnies chinoises ont un avantage : leurs liens étroits avec le gouvernement chinois.

La plupart des compagnies chinoises “ont des relations très étroites avec les autorités locales ou centrales, et en Chine les relations sont essentielles”, dit Isaac Mao. “Si [les autorités] ne sont pas contentes elles peuvent vous faire fermer du jour au lendemain.”

Les compagnies chinoises “ont de meilleures relations avec le gouvernement chinois”, ajoute Tsui. “C'est quelque chose que Google ne pourra jamais concurrencer, et mieux vaut qu'il ne s'y essaie pas.”

En avril de cette année, les autorités ont ordonné à Toutiao (‘Le Titre d'aujourd'hui’), la plateforme d'information la plus populaire de Chine, de fermer son application affiliée de médias sociaux, NeihanShequ, qui permettait aux utilisateurs d'envoyer des blagues et des devinettes à commenter. NeihanShequ a été interdit au motif qu'il “allait dans une mauvaise direction avec son contenu banal et vulgaire.” Ceci, malgré les excuses publiques du PDG de la compagnie Zhang Yiming qui a aussi promis que Toutiao allait renforcer son dispositif d'auto-censure en faisant passer le personnel de pré-filtrage de 6.000 à 10.000 personnes.

Parmi les principales entreprises des nouvelles technologiques du pays, beaucoup, dont Baidu, ont même constitué une section dédiée du Parti communiste dans leur structure. En 2017, le gouvernement y a fortement incité les compagnies, en leur offrant de l'argent frais et d'autres avantages en échange d'un accès encore plus grand aux activités et au contrôle de l'entreprise.

En novembre, la plateforme de micro-blogs Weibo a donné à 1.322 comptes affiliés à des entités gouvernementales, dont les services de sécurité publique et les administrations du cyberespace le pouvoir direct d'étiqueter des posts “rumeurs”. Weibo ne participera même pas au processus de filtrage.

On a du mal à imaginer que Google donne un jour aux autorités chinoises la capacité d'étiqueter ses contenus, ou que la super-puissance de la Silicon Valley daigne ouvrir une section du Parti communiste chinois dans ses bureaux de Pékin. Mais la compagnie sera certainement invitée à faire des concessions substantielles au gouvernement. Alors, où Google tracera-t-il la limite ? Si et quand cela arrivera, la compagnie sera-t-elle priée de plier bagages ?

Des inconnues qui, avec de nombreuses autres, conduisent beaucoup à se demander si Google adopte ici réellement “une vision à long terme”, comme le prétend son PDG.

Les résidents étrangers des Pays-Bas jugent Zwarte Piet, le serviteur noir de Saint Nicolas

lundi 3 décembre 2018 à 15:09

Pierre le Noir ou Zwarte Piet, le bras droit de Saint Nicolas, est une institution dans les célébrations du 6 décembre aux Pays-Bas. Photographie de Hans Pama (CC BY 2.0).

La première fois que j'ai célébré la Saint Nicolas (Sinterklaas) avec des amis néerlandais, j'étais étudiante à New York. Il y avait des poèmes ingénieux, des charades, des cadeaux marrants et des coutumes un peu dépassées. J'étais sous le charme, quelle merveilleuse fête c'était !

Ce qui manquait, c'était Zwarte Piet (Pierre le Noir), le domestique au visage noir de Saint Nicolas. Il ne serait pas très bien passé dans Brooklyn, et il n'avait eu l'air de manquer à personne. Quand j'ai vu Zwarte Piet pour la première fois aux Pays-Bas en 2002, j'ai exprimé mon indignation face à ce personnage au visage noirci lancant des bonbons à la foule en liesse. On m'a immédiatement dit que j'étais “trop sensible”, “trop politiquement correcte” et “trop américaine”.

“… des plaisanteries que certains ne trouveront pas drôles…”

En fait, je n'étais ni la première ni la dernière Américaine à être choquée par l'apparence de cet histrion. En 1944, des soldats noirs-américains stationnés au Limbourg ont protesté contre Zwarte Piet, et les habitants ont dû leur expliquer que tout ça n'était qu'une plaisanterie. Les soldats ne l'ont pas trouvée drôle, d'après le récit de l'incident dans Geschiedenis van de Zwarte Piet-kritiek [Histoire de la critique de Zwarte Piet, NdT] de Jon Euwijk et Frank Rensen :

Men moest den protesteerenden [de zwarte Amerikaanse soldaten] duidelijk maken, dat Pietermanknecht een hoogst onschuldige grap is. Men moest Nederlanders uitleggen, dat er grapjes zijn, die anderen met den besten wil van de wereld niet onschuldig kunnen opvatten, hoe goed ook bedoeld.

Ils expliquèrent aux protestataires [les soldats noirs-américains] que les domestiques Piet à la peau grimée en noir n'était qu'une plaisanterie innocente. Ils se sont vus répondre qu'il existe des plaisanteries que d'autres, avec la meilleure volonté du monde, ne trouveront pas innocentes, quelle qu'en soit la bonne intention.

“Si vous voulez comprendre les Pays-Bas, regardez qui a le droit de manifester.”

"If you want to understand the Netherlands, look at who has the right to demonstrate. Nazis, Pegida [right wing political group from Germany]…Instead of blocking Nazis, you block people struggling for inclusive societies. We receive threats of violence from the right and the police shut down our march and let the Nazis march. They give them the whole stage.”

Ces dernières années, les manifestations contre Zwarte Piet ont repris avec insistance. Les gens sont descendus dans les rues. En 2016, quelques 200 personnes, la plupart noires, ont été arrêtées. Des militants ont été les cibles de harcèlement et de menaces de mort. L'artiste et militante Naomi Pieter décrit ce jour comme l'un des plus traumatisants de sa vie :

“The police surrounded us, they caged us. And then they pulled black people into our circle, even those who were not part of our group. That’s what happened to Jerry [Jerry King Luther Afriyie]. He wasn’t part of our group…First they [the police] singled him out. He was standing across the street. Then they loaded him onto the arrest bus. Then they pulled him out. Then they beat him…It was the most traumatic experience of my life.

If you want to understand the Netherlands, look at who has the right to demonstrate. Nazis, Pegida [right wing political group from Germany]…Instead of blocking Nazis, you block people struggling for inclusive societies. We receive threats of violence from the right and the police shut down our march and let the Nazis march. They give them the whole stage.”

La police nous a encerclés, nous a embarqués. Et ensuite, ils ont attiré des Noirs dans notre cercle, même ceux qui ne faisaient pas partie de notre groupe. C'est ce qui est arrivé à Jerry [Jerry King Luther Afriyie]. Il ne faisait pas partie de notre groupe […] D'abord, ils [la police] l'ont repéré. Il se tenait de l'autre coté de la rue. Puis ils l'ont embarqué dans le bus. Puis ils l'en ont sorti. Ils l'ont battu… Ça a été l'expérience la plus traumatisante de ma vie…

Si vous voulez comprendre les Pays-Bas, regardez qui a le droit de manifester. Les nazis, Pegida [groupe politique allemand d'extrême-droite]… Au lieu de bloquer les nazis, vous bloquez les gens qui luttent pour une société plus inclusive. Nous recevons des menaces de violence de la part de la droite, la police arrête notre manifestation et laisse les nazis continuer [la leur]. Ils leur donnent toute la scène.

Cette illustration compare une image de Jim Crow avec celle de Zwarte Piet. Le commentaire dans la marge provient d'un article de 1945 d'un quotidien néerlandais : “Tant qu'il y aura des soldats nègres aux Pays-Bas, aucun homme ou femme grimé en noir ne se promenera dans les rues.”

“Ces Néerlandais bébêtes avec leurs coutumes vieillottes”

Pour écrire cet article, j'ai parlé à plus de trente résidents des Pays-Bas d'origine étrangère de leur première impression de Zwarte Piet, et de la façon dont ces impressions ont changé. Comme la plupart des personnes interrogées, Karl Webster s'est senti “paniqué et confus”. Beaucoup ne pouvaient en croire leurs yeux et l'ont décrit comme un rêve, un mirage, stupide et raciste. D'autres se sont sentis horrifiés et en colère.

La plupart des personnes interrogées viennent de pays anglophones.

Voici une sélection de leurs réponses :

Shawna Snow :

“Our first experience was coming outside seeing the parade of when Saint Nicholas coming to Spain. I was with my five kids and my mother-in-law and we had no idea what was going on. We’re walking around going, what is going on. And then we see these white people in black faces throwing cookies with this really pious and sad looking Santa Claus on this white horse. And they’re screaming and the cookies are flying, and I’m thinking: this would never fly in the States…

“My mom was an antique collector, so I recognized the blackface, the mammy faces, from turn of the century [early 1900s] Vaudeville, and I knew this was a really racist presentation.”

Notre première expérience a été quand nous sommes sortis pour voir le défilé de l'arrivée de Saint Nicolas d'Espagne. J'étais avec mes cinq enfants et ma belle-mère et nous n'avions aucune idée de ce qui se passait. Nous marchions et nous demandions, Mais qu'est-ce que c'est que tout ça. Et puis nous avons vu ces personnes blanches aux visages grimés en noirs lancer des biscuits avec ce Père Noel à l'air vraiment pieux et triste sur son cheval blanc. Tout le monde crie, les biscuits volent partout, et je me dis: Ça ne passerait jamais aux États-Unis…

Ma mère était une collectionneuse d'antiquités, alors j'ai reconnu le “blackface”, les visages noirs caricaturaux du vaudeville du début du XXe siècle, et j'ai réalisé que c'était une représentation vraiment raciste.

Anne-Marie Roche, à Amsterdam, a été perplexe :

“I was taking my baby daughter to creche on one of the coldest mornings I have ever experienced in Amsterdam and I spotted some people who appeared to have painted their faces black running around with sacks. It felt more like a strange dream. A few years later I attended my first Sinterklaas intocht [welcoming ceremony] and realised it was not a dream. This really happened in Holland.”

J'emmenais ma fille à la crèche, c'était l'un des matins les plus froids que j'ai jamais vécus à Amsterdam, et j'ai vu quelques personnes qui avaient l'air d'avoir peint leur visage en noir courir dans tous les sens avec des sacs. Ça m'a plutot semblé un rêve étrange. Quelques années plus tard, j'ai assisté à mon premier Sinterklaas intocht [cérémonie d'arrivée de Sinterklaas aux Pays-Bas, NdT] et j'ai réalisé que ce n'était pas un rêve. Ça se passait vraiment en Hollande.

Une femme de vingt-cinq ans explique son inconfort avec une tradition qu'elle a d'abord connue enfant :

“I couldn't understand why white people, especially adults, would purposefully paint themselves fully black with exaggerated red lips, wear big afros, and then pretend that this happened to the piets going down the chimney (while sinterklaas was white as can be), who prior to that were fully white people with blond hair. I recall white kids (and through their silence, white parents) wickedly “joking around” that Black and Brown classmates were piets who should stick to helping (read serving) and picking up after Sint (read white people).”

Je ne pouvais pas comprendre pourquoi des Blancs, surtout des adultes, se grimaient volontairement et entièrement en noir, avec des lèvres rouges exagérées, des énormes afros, et prétendaient ensuite que c'était ce qui arrivaient aux Piet qui descendaient dans les cheminées (alors que Sinterklaas restait blanc comme neige), et qui, avant ça, étaient de vrais blancs aux cheveux blonds. Je me rappelle que les enfants blancs (et à travers leur silence, leurs parents blancs) “plaisantaient” méchamment que leurs camarades de classe à la peau noire ou brune étaient des Piet qui devraient se contenter d'aider (comprendre : servir) et nettoyer apres Sinterklass (comprendre : les Blancs).

Zwarte Piet Est souvent décrit comme un serviteur. Le terme néerlandais “knecht” se traduit aussi par “journalier” et porte une connotation négative de soumission.

“Débarrassez-vous d'une nostalgie raciste qui ne correspond pas à notre époque moderne.”

Comme de nombreuses personnes interrogées, le compagnon de Faten Busheri est néerlandais. La première fois qu'elle a vu des biscuits à l'effigie de Zwarte Piet en vente, elle a annoncé son intention de boycotter la boulangerie.

“I had a good conversation with my Dutch boyfriend about it, and he also heard many other perspectives of some of my friends. I heard the Dutch arguments about preserving culture and traditions, and my response was, if your tradition is to be racist you should change your tradition. Children don't care whether Piet is black or green or white, they are not going to miss it. Get rid of racist nostalgia that does not fit our modern time.”

J'ai eu un bonne conversation sur le sujet avec mon petit ami néerlandais, et il a aussi écouté beaucoup d'autres points de vue de certains de mes amis. J'ai entendu les arguments néerlandais sur la préservation de la culture et des traditions, et ma réaction est que si votre tradition est raciste, vous devriez changez de tradition. Les enfants se fichent que Piet soit noir, vert ou blanc, il ne va pas leur manquer. Débarrassez-vous d'une nostalgie raciste qui ne correspond pas à notre époque moderne.

Pour Lara, tout ca n'est “rien de plus que de voir les elfes du Père Noel. Un phénomène culturel. Je dois dire que j'ai entendu parler de tout ce débat avant la Saint Nicolas.”

Un homme de soixante-six ans, lui, a rencontré cette tradition en 1985 :

“I first saw Zwarte Piet thru the eyes of 3-year-old twins, so a naive sense of wonder and joy overrode my own thoughts. However, I’d heard a story about how he beat bad children with sticks and whisked them off to Spain in a sack. This created an unsettling ambivalence. Foreshadowing?”

J'ai vu Zwarte Piet pour la première fois à travers les yeux de jumeaux de trois ans, et un sentiment naif d'émerveillement et de joie l'a emporté sur mes propres pensées. Cependant, j'avais aussi entendu une histoire comme quoi il battait les méchants enfants avec un bâton et les enlevaient dans un sac pour les emmener en Espagne. Ça avait créé une ambivalence troublante. Un présage ?

Aujourd'hui, il se demande comment ces jumeaux présentent la tradition de Sinterklaas à leurs propres enfants.

Un Américain de trente-sept ans se souvient :

“I thought it was a racist stereotype. I'm from the US (Texas) and the first time I saw a Piet was in Utrecht, in the centrum [center]. There were a few Pieten hanging in the window of a shop and because I had never heard of this I actually stood outside the show for ten minutes waiting for someone to react to what I thought was a reference to lynching and blackface.”

J'ai pensé que c'était un stéréotype raciste. Je viens des États-Unis (du Texas) et la première fois que j'ai vu un Piet, c'était à Utrecht, dans le centre ville. Il y avait quelques Piet accrochés à la fenêtre d'un magasin, et comme je n'avais jamais entendu parler de ca, je suis resté planté un peu en dehors du spectacle pendant dix minutes, à attendre que quelqu'un réagisse à ce que je croyais être une référence au lynchage et au blackface.

“Je ne veux pas que mes enfants acceptent quelque chose d'aussi toxique comme si c'était normal”

Plusieurs personnes ont réfléchi à l'impact sur leurs propres enfants ou futurs enfants. Ceux de Chris Saxe grandissent entre deux cultures : celle des États-Unis et des Pays-Bas :

“Maybe because I have children now, but I’m even more aware of its continued – and more muscular – prevalence. I don't want my kids to accept something so toxic as normal – and not just because my children have their feet in two cultures (USA & NL). That there are lots of white Dutch willing to defend Zwarte Piet with the arguments (“Heritage! Tradition!”), vitriol, and suppression of dissent that the American South uses to defend the Confederate flag and statuary comes as no surprise at all.

Peut-être que c'est parce que j'ai des enfants maintenant, mais je suis davantage conscient de sa prévalence pérenne, et aussi musclée. Je ne veux pas que mes enfants acceptent quelque chose d'aussi toxique comme si c'était normal, et pas seulement parce qu'ils ont un pied dans chaque culture (États-Unis et Pays-Bas). Que beaucoup de Néerlandais blancs défendent Zwarte Piet avec des arguments (“Le patrimoine ! La tradition !”), des attaques au vitriol et l'étouffement de la constestation que les États du sud utilisent pour défendre le drapeau et les statues confédérés, n'est pas étonnant du tout.

Holly se fait l'écho de cet argument :

“My child went to a Dutch school when we first arrived in the country and he came home confused and we had to undo that damage – seeing blackface being normalised… I am so disappointed that there is any one arguing to retain this ritualistic humiliation of people of colour. I'm angry enough that my kids have been exposed to stereotypical images and black caricatures but then I speak to black friends whose children are hurt by this every year, and my having to undo damage to my (white) children is nothing to what they put up with. I'm also appalled at the police brutality wrought on protesters last year, that's not the country to which I thought I was moving. And then after all this, seeing the willful denial and ignorance of those defending Zwarte Piet is a horror show of white privilege in action. It's a huge scar on the character of my adopted country.”

Mon fils est allé dans une école néerlandaise quand nous sommes arrivés dans le pays, il est rentré à la maison désorienté et nous avons dû réparer les dégats : voir le grimage normalisé… Je suis tellement déçue qu'il existe des gens qui veulent conserver cette humiliation rituelle des gens de couleur. Je suis déja énervée que mes enfants aient été exposé à des stéréotypes et des caricatures raciales, mais quand je parle avec des amis noirs dont les enfants souffrent chaque année à cause de ça, [je réalise que] mes efforts pour réparer les dégats causés à mes enfants (blancs) ne sont rien à côté de ce qu'ils doivent endurer. Je suis aussi horrifiée de la brutalité de la police envers les manifestants l'an dernier. Ce n'est pas le pays dans lequel je pensais m'installer. Et après tout ça, voir le déni et l'ignorance volontaires de ceux qui défendent Zwarte Piet est un véritable film d'horreur du privilège blanc en action. C'est une énorme balafre sur le caractère de mon pays d'adoption.

Pour Faten, “Si cette fête porte sur la glorification du colonialisme et de l'esclavage, alors nous devrions repenser le tout.” Elle se demande pourquoi ne pas utiliser un caractère complètement différent, comme un lapin.

“My partner is Dutch, I’m going to make sure my kids don’t participate in this phenomena, I’m not going to send them black man cookies. I’m not going to dress them up as Zwarte Piet.

“Isn’t this a time of joy and inclusiveness? For some kids this is the most stressful time of the year. That’s not fun.”

Mon ami est néerlandais, et je vais m'assurer que mes enfants ne participent pas à ce phénomène. Je ne vais pas les envoyer vendre des biscuits à l'effigie d'un homme noir. Je ne vais pas les déguiser en Zwarte Piet.

N'est-ce pas une période de joie et d'inclusion ? Pour certains enfants, c'est la période la plus stressante de l'année. Ce n'est pas drôle.

“La vitalité et le dynamisme de n'importe quelle culture sont reflétés dans sa capacité à inclure”

Beaucoup défendent Zwarte Piet en commentant “Pensez aux enfant”. Tammy Sheldon nous rappelle que les enfants ne remarqueront pas un changement dans la tradition :

“Kids have a supple imagination; the fun will not be lost. I mean, K3 (the very popular children’s pop group) has changed its lineup several times over the years, with no harm done to its fans. I mention this as the constant refrain of objection is “think of the kids!” Obviously, different folks have different rationales for not changing. At the end of the day however, what is being asked is on every level reasonable, and does not take away from a kid’s party, nor from the foundational culture of a society. The vibrancy and dynamism of any culture are reflected in its capacity for inclusivity.”

Les enfants ont une imagination flexible, ca ne sera pas moins amusant. Je veux dire, la composition [du groupe pop pour pré-adolescents] K3 [fr] a changé plusieurs fois au fil des ans sans pour autant heurter ses fans. J'en parle parce que le refrain constant à l'objection [de supprimer Zwarte Piet] est “pensez aux enfants !”. Bien sûr, tout le monde a des raisons différentes pour ne pas changer. Mais en fin de compte, ce qui est demandé est raisonnable à tous les niveaux et n'ôte rien à une fête d'enfants ni aux fondations culturelles d'une société. La vitalité et le dynamisme de n'importe quelle culture sont reflétés dans sa capacité à inclure.

"You cannot put this in the face of people who have been oppressed, who've been slaves, and say 'this is what we think of you.'"

Arrêt sur image du documentaire Zwarte is Roet (Le noir est de la suie) par Sunny Bergman. Commentaire dans la marge : “Vous ne pouvez pas mettre ça sous le nez de gens qui ont été oppressés, qui ont été des esclaves, et leur dire ‘voilà ce qu'on pense de vous’.”

“C'est une énorme balafre sur le caractère de mon pays d'adoption.”

Pour cet Australien :

“After the Dutch were told repeatedly that this was a racist caricature some rethought the story. I loved the multi colored piets that came into being — but many Dutch complained at the loss of their heritage and persisted with Blackface Piet and sooty Piet. That means I can no longer think they are casual racists who don’t know better. Now I know that they put their racist childhood fantasy traditions ahead of respect and empathy. And I am ashamed of myself if I go into a shop with a Piet doll. It’s awful.”

Après qu'on leur ait maintes et maintes fois que c'était une caricature raciste, quelques Néerlandais ont repensé l'histoire. J'ai beaucoup aimé les Piet multicolores, mais certains se sont plaints de la perte de leur patrimoine et ont persisté avec le Piet grimé et le Piet couvert de suie. Cela veut dire que je ne peux plus me dire que ce sont des racistes involontaires qui ne se rendent pas compte. Maintenant je sais qu'ils accordent plus d'importance à leurs traditions d'enfance racistes qu'au respect et à l'empathie. Et j'ai honte de moi si je vais dans un magasin qui a une poupée de Piet. C'est horrible.

Elena a étudié le nationalisme et les traditions inventées. Elle considère les arguments en faveur de Zwarte Piet comme “un cas d'école de construction identitaire, si bien qu'au début je ne pouvais simplement pas justifier la position à courte vue de ceux pour qui Zwarte Piet est un caractère non négotiable de leur être.”

Elle ajoute :

Then I explained my parents, who are politically engaged and highly educated people, and they said: ‘aren’t you exaggerating? It's just a tradition’. That made me think of when I had first come to the Netherlands and not given attention at first to its real meaning. Compassion for me and them and everyone else, you can say. And I got the idea we need to talk more with each other, listening to each other’s stories, in order to go beyond a pointless polarisation.”

Puis j'ai expliqué à mes parents, qui sont éduqués et engagés politiquement, et ils m'ont répondu “Est-ce que tu n'exagères pas un peu ? C'est juste une tradition.” Ca m'a fait repenser à l'époque où je suis venue m'installer aux Pays-Bas et où je n'avais pas d'abord vraiment fait attention à sa véritable signification. La compassion pour moi, eux et tous les autres, en quelque sorte. Et j'ai eu l'idée que nous devions nous parler davantage les uns aux autres, écouter l'histoire de chacun pour pouvoir dépasser une polarisation vaine.

Une Britannique de cinquante-six ans décrit la coutume comme “inoffensive, une très jolie tradition qui est transformée en une question raciale par certaines personnes avec un agenda politique.”

Mais pour cette personne originaire de San Francisco :

“As an American, I find the blackface tradition tone deaf to the horrors of Dutch colonialism (slavery). Yet everyone around me, both native Dutch and Dutch people with immigrant backgrounds, all love Black Pete.”

En tant qu'Américain, je trouve la tradition du grimage en noir sourde aux horreurs du colonialisme néerlandais (l'escalavage). Pourtant tout le monde autour de moi, à la fois les Néerlandais de naissance et ceux d'origine étrangère, tous adorent Piet le Noir.

“… à travers son apparence et ses devoirs envers St Nicolas, le traitement historique injuste et l'exploitation des gens de couleur est implicite”

Comme beaucoup d'autres, la première réaction d'Eric Asp fut le choc. Avec le temps, il a nuancé sa compréhension :

“I think I developed a deeper understanding for how most Dutch people experience the various festivities surrounding Sinterklaas and all the warm memories they attach to their traditions (including Zwarte Piet) — but the American side of me always recognized an element of racism with Zwarte Piet, and I learned to more gently push back against that particular tradition.”

Je pense que j'ai développé une meilleure compréhension de la facon dont la plupart des Néerlandais vivent les différentes festivités autour de Sinterklaas et de tous les bons souvenirs qu'ils attachent à leurs traditions (dont Zwarte Piet). Mais l'Américain en moi reconnaît toujours un élément de racisme avec Zwarte Piet, et j'ai appris à repousser cette tradition en particulier plus doucement.

Ben Falkenmire est d'accord :

“I understand Dutch affection for Zwarte Piet is born out of a warm, and well-meaning Christmas tradition. But I cannot excuse it. The very sight of Zwarte Piet I still find offensive because implicit in his appearance and his duties to Saint Nik is the historical unjust treatment and exploitation of people of colour.”

Je comprends que l'affection des Néerlandais pour Zwarte Piet vient d'une tradition de Noël chaude et bienveillante. Mais je ne peux pas l'excuser. Je trouve la vue même de Zwarte Piet offensante, car à travers son apparence et ses devoirs envers St Nicolas, le traitement historique injuste et l'exploitation des gens de couleur est implicite.

Le dernier mot revient au militant Jerry King Luther Afriyie, dans une interview donnée au quotidien néerlandais Het Parool :

“De intocht. Wat is daarmee? Als je nu nog aankomt met Zwarte Piet, ben je zelf de demonstrant. Dan wil je ons kennelijk duidelijk maken dat zwarte mensen hier niet thuishoren.”

L'arrivée [de St Nicolas aux Pays-Bas] ? Et alors ? Si vous arrivez encore en Zwarte Piet, c'est vous le manifestant. Vous nous faites simplement savoir que les Noirs ne sont pas chez eux ici.