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En Arabie Saoudite, on vous tire dessus et on vous condamne pour cela

lundi 23 septembre 2013 à 11:26

La Cour criminelle d’Arabie Saoudite a condamné [arabe] quatre jeunes hommes de Qatifi à des peines allant de 16 mois à quatre ans de prison. L'un d'eux, Jalal Al-Qattan, touché par balle au ventre par les forces de sécurité lors d’une manifestation, et en fuite pour échapper à une arrestation, a été condamné à une peine de trois ans. Le procès, mardi 17 septembre, était le quatrième et dernier épisode d'un feuilleton qui remonte à une manifestation dans la soirée du 8 juillet 2012.

The four Qatif young men. Al-Qattan is top right.

Les quatre jeunes hommes de Qatif. Al-Qattan est en haut à droite.

Ce soir-là, Al-Qattan était parmi de nombreux jeunes qui ont pris part à une manifestation contre l’arrestation du religieux chiite Sheikh Nimer Al-Nimer [anglais]. Deux personnes ont été martyrs [arabe] cette nuit-là (Sayyed Akbar Al-Shakhouri [arabe] et Sayyed Mohammed Al-Felfel), et Jalal Al-Qattan a été blessé d'une balle au ventre. Il a été amené dans une maison à Awwamiya, où on a essayé d’arrêter l’hémorragie. Quelqu’un a appelé le frère de Jalal, Ali, qui est venu et a emmené Jalal à leur maison. La famille de Jalal a essayé de le persuader de le transporter à l’hôpital, mais il a refusé craignant d’être arrêté. Deux activistes des 23 “personnes recherchées” – l’un est Morsi Al-Rebh qui a été abattu [anglais] à Awwamiya en juin dernier – ont suivi la situation de Jalal et ont tenté de lui obtenir une aide médicale. Ils ont trouvé une infirmière, mais elle leur a dit que son état était critique et qu’il devait être opéré. L’un des activistes a proposé de trouver un chirurgien, mais n’en a trouvé aucun alors ils ont fait venir un autre infirmier qui a répété les mêmes conseils. La famille a essayé de nouveau de convaincre Jalal de se faire soigner dans un hôpital, mais il a refusé. Donc, son oncle a suggéré de le faire sortir du pays. Le lendemain, Jalal Al-Qattan, son frère Ali, son oncle Mohammed Al-Mislab et son beau-frère Hussain Al-Areef ont été arrêtés au port de Khafji en route vers Koweït.

Parmi les charges retenues contre eux : la rupture d’allégeance au souverain, le non-signalement des autres manifestants, le non-signalement des deux personnes recherchées qui ont conduit Jalal en lieu sûr pour s’y faire soigner, le non-signalement des infirmiers qui ont tenté de venir en aide à Jalal en dehors du lieu assigné pour des traitements médicaux. Jalal a également été inculpé d’insolence envers ses parents parce que l’accusé lui-même s’est mis en danger en refusant d’aller à l’hôpital. Jalal et son oncle ont été reconnus coupables de toutes les accusations portées contre eux et Jalal a été condamné à trois ans de prison suivis d'une interdiction de voyager pendant trois ans, alors que son oncle a été condamné à quatre ans de prison et une interdiction de voyager pendant quatre ans. Le frère de Jalal, Ali, a été condamné à deux ans de prison et une interdiction de voyager pendant deux ans. Al-Areef n’a été retenu coupable que d’une tentative de “faire sortir clandestinement” son beau-frère du pays au lieu de le dénoncer  aux autorités. Il a été condamné à 16 mois de prison et une interdiction de voyager pendant 16 mois.

Les utilisateurs de Twitter ont commenté les verdicts :

A Qatif, nous avons beaucoup de Jalal Al-Qattans qui ne sont pas allés à l’hôpital craignant d’être arrêtés et le sort de Jalal. Certains ont échappé à la prison en devenant invalides.

Aujourd’hui, c’était le procès de Jalal Al-Qattan qui a été atteint d’une balle par les forces de sécurité.

Étrange ! Ils ont tiré sur lui, ensuite l’ont condamné à trois ans.

Dans le royaume de l’humanité, soigner les blessés est un crime puni par la loi, même si le blessé était un proche.

En direct de Kafranbel: la révolution syrienne en 3 minutes

dimanche 22 septembre 2013 à 21:40

Ce billet est publié conjointement avec Syria Untold.

Quand les Syriens sont descendus dans la rue en 2011, l'une des menaces les plus communément avancées par les partisans du régime était “nous allons revenir 100 ans en arrière”. C'est rapidement devenu une blague rabâchée par les Syriens à mesure que les dirigeants mettaient en place leurs dispositifs militaires et de propagande pour réprimer toute forme d'opposition. “On va revenir à l'âge de pierre”, aimaient à répéter avec humour les activistes de la liberté en voyant tout ce qui était détruit atour d'eux.

 

Photo taken from the Banners from Occupied Kafranbel facebook page

Photo sur la page Facebook de “Banderolles de Kafranbel occupé”

Le paradoxe de la Syrie renvoyée à son passé alors qu'elle lutte pour renaître dans un avenir où la liberté et la justice l'emportent, a été utilisé par les habitants de Kafranbel (Idlib) pour envoyer un message puissant au monde.

Sur une vidéo de 3 minutes, rapidement devenue virale après sa publication sur internet, les activistes de la ville de Kafranbel se sont déguisés en hommes de l'âge de pierre pour représenter l'évolution du soulèvement syrien. Quelques hommes préhistoriques portent des banderoles rudimentaires et manifestent, avant d'être attaqués par un groupe d'hommes armés de fusils et de mitraillettes qui font feu. L'agression se transforme vite en tirs continus et en bombardement. A mesure que les manifestants sortent de leurs grottes, des observateurs s'assoient et regardent. Ce n'est qu'au moment où les attaquants sortent une bouteille de gaz pour asperger les autres que les observateurs réagissent et demandent rageusement que la bouteille de gaz soit retirée de l'image. La vidéo se termine sur ces mots :

La mort c'est la mort, d'où qu'elle vienne. Assad a tué plus de 150 000 personnes. Arrêtez-le.

 

 

Par cette vidéo, Kafranbel s'érige à nouveau en symbole puissant de la résistance et de son récit face aux menaces internes et externes. Actuellement sans doute la ville la plus connue de Syrie, pour la créativité et  la sagesse avec lesquelles s'expriment sa prise de conscience et ses sentiments révolutionnaires, Kafranbel poursuit sa résistance avec pertinence à l'oppression d'Assad et aux tentatives de détournement de la révolution.

Dans un monde qui tend à ignorer l'histoire récente de la Syrie, et se préoccupe beaucoup plus de son image dans le monde -comme ces barbares de l'âge de pierre, dont la voix est devenue gênante- la vidéo met en évidence l'hypocrisie de la communauté internationale, qui a mis une ligne rouge sur l'utilisation des armes chimiques en laissant tuer 150 000 personnes et en mettant le feu au pays et à la région.

Alors que les échanges géopolitiques insistent sur les aspects militaires et sur la guerre par procuration, il devient plus important que jamais d'écouter la voix de Syriens et les projets populaires. Parmi ces voix, Kafranbel est un symbole puissant d'auto-gestion et de résistance que Syria Untold considère indispensable à une meilleure compréhension de la réalité syrienne.

Ce billet est publié conjointement avec Syria Untold.

Interdire les mariages d'enfants aux Yémen, un combat à poursuivre

dimanche 22 septembre 2013 à 21:33

[Liens en anglais et arabe] Le mariage d'enfants est une pratique courante au Yémen, surtout dans les zones rurales. La mort d'une mariée de huit ans a mis ce problème grave sous les projecteurs de l'actualité.

Selon un rapport de 2011 de Human Rights Watch, “Comment pouvez-vous permettre de marier des petites filles ?” citant une étude à l'échelon national menée par le gouvernement yéménite et l'UNICEF en 2006, sur la totalité des filles, 52% sont mariées avant l'âge de 18 ans. Près de 14% le sont avant l'âge de 15 ans. Une étude de 2005 de l'Université de Sana’a a constaté que dans certaines zones rurales, des filles d'à peine huit ans sont mariées. La principale cause à l'origine du mariage d'enfants au Yémen est la pauvreté. Les pères tendent à retirer leurs petites filles de l'école pour souvent les marier à des hommes plus âgés contre une dot généreuse qui bénéficiera au reste de la famille.

Nujood Ali, 10 ans, a fait les grands titres en 2008 comme la plus jeune divorcée du monde, après avoir fui son mariage avec un homme qui l'avait achetée pour l'épouser à 9 ans. Aujourd'hui Nujood en a 15, et vit avec son frère aîné, car son père a utilisé l'argent du contrat de son livre, avait l'intention d'assurer ses études, de se marier une deuxième fois, et avait arrangé un mariage pour sa soeur cadette. Plus de détails sur son calvaire ici.

A 10 ans, Arwa était déjà mariée et divorcée. Son cas a lancé un débat national sur le mariage des enfants en 2009.

(Vidéo mise en ligne par Journeyman Pictures)

La semaine dernière, une nouvelle épouse-enfant yéménite, de 8 ans, a fait à son tour la une après l'annonce de sa mort tragique, vidée de son sang pendant sa nuit de noces avec un “Saoudien” de 40 ans.

Une vague d'indignation mondiale a accueilli la parution de l'information dans les média.

Le directeur de Human Rights Watch Kenneth Roth a twitté :

La mort tragique d'une “mariée” de 8 ans lors de sa nuit de noces devrait finir par convaincre le Yémen de mettre hors la loi les hideux mariages d'enfants.

Human Rights Watch a exhorté le gouvernement de transition du Yémen à fixer l'âge du mariage à 18 ans dans le projet de nouvelle constitution afin de sauver l'enfance et la vie de nombreuses filles.

(Vidéo mise en ligne sur YouTube par Human Rights Watch)

La Haute Représentante pour la politique extérieure de l'Union Européenne Catherine Ashton a réclamé du Yémen dans une déclaration qu'il interdise le mariage des enfants :

“Je suis horrifiée par les informations de la mort d'une fillette yéménite de 8 ans des suites de blessures graves, dont une hémorragie interne, subies pendant sa nuit de noces. Je demande instamment aux autorités du Yémen d'enquêter sans délai sur cette affaire et de poursuivre tous les responsables de ce crime.

L'éditorialiste de New York Nicholas Kristof a aussi évoqué l'affaire sur Twitter :

Une fillette de 8 ans au Yémen meurt de ses blessures internes après avoir été forcée à épouser un homme de 40 ans

Mia Farrow a twitté un message au gouvernement du Yémen :

Après la mort d'une “épousée” de 8 ans lors de sa nuit de noces, le Yémen devrait comprendre qu'il faut mettre fin au mariage des enfants MAINTENANT

Le correspondant et présentateur de CNN Jim Clancy dit sa consternation :

Une “épousée-enfant” de 8 ans est morte. Une de plus. Les législateurs jettent la honte sur leur pays.

Angham, un Yéménite habitant Washington D.C s'interroge :

Faut-il la vie d'une innocente mariée-enfant pour attirer l'attention sur l'urgent besoin pour le Yémen d'une assistance économique pour mettre fin à la pauvreté

L'éminent religieux yéménite Al Habib al-Jafri note :

Nous devons tous travailler dur pour arrêter la mascarade du trafic de petites filles sous couvert de mariage http://www.facebook.com/photo.php?fbid=626378434068807&set=a.222106194496035.59084.196704400369548&type=1 … pic.twitter.com/1zZ2y8p1b5

Dans une note ultérieure sur Facebook, il a exhorté les autorités du Yémen et de tous les pays arabes et musulmans qui n'ont pas de lois empêchant les crimes contre l'innocence des enfants en en faisant des marchandises en vente sur le marché sous forme de mariage teinté d'esclavage, à criminaliser au plus vite cet acte odieux et travailler d'arrache-pied à le combattre au moyen des autorités législatives, judiciaires et exécutives. Et il a aussi exhorté ses confrères religieux, érudits et prêcheurs à abolir cette pratique, en leur rappelant leur obligation de sensibiliser à ce problème.

La crédibilité de la mort tragique et controversée de la fillette de 8 ans n'est pas certaine. Le reporter Saeed Al Batati a enquêté sur l'affaire dans Gulf News et sur cette vidéo. Mais que cette histoire particulière soit vraie ou non, ou qu'elle soit montée de toutes pièces par le pouvoir, là n'est pas la question. Le mariage des enfants est un problème majeur au Yémen, et provoque la mort de nombreuses filles, pendant le mariage et l'accouchement, des jeunes victimes dont les histoires n'atteignent pas les médias. Ce cas n'est pas le premier et sans doute pas le dernier. La réalité, c'est que le gouvernement du Yémen doit mettre fin au mariage des enfants.

Afrah Nasser a twitté :

Je ne comprends pas qu'on s'interroge si la mort de la petite mariée est vraie ou pas !! Un coup d'oeil rapide dans les campagnes du Yémen et vous saurez.

La Ministre yéménite des Droits Humains Hooria Mashhour a elle aussi twitté sur la controverse :

La couverture du crime est encore bien pire que le crime lui-même et ceux qui l'ont faite devraient en répondre

Indépendamment des informations contradictoires sur la mort présumée de l'enfant de Haradh, il faut une législation pour arrêter le mariage des filles mineures

La Ministre des Droits Humains a également adressé une lettre au président du Parlement pour approuver l'âge minimum du mariage au Yémen et faire appliquer la loi. Le ferme plaidoyer pour interdire le mariage d'enfants et fixer un âge minimum pour le mariage est un combat au Yémen, commencé longtemps avant la nomination de la ministre, mais qui n'a cessé au long des années de se heurter à l'opposition répétée des conservateurs. En 1999, le parlement du Yémen, s'appuyant sur des arguments religieux, a abrogé l'article 15 de la loi du statut personnel, qui fixait à 15 ans l'âge minimum du mariage pour les garçons et les filles. En 2009, le parlement du Yémen a adopté une loi élevant l'âge minimum du mariage à 17 ans, mais les députés conservateurs l'ont aussi rejetée et le projet de loi n'a jamais été signé. Voter la loi est une procédure longue et ardue, et pourtant ce n'est que le premier pas pour gagner la bataille. C'est sa mise en oeuvre qui sera le véritable défi pour le Yémen.

Le Dr. Jamela Saleh Alraiby, Secrétaire d'Etat à la Santé publique et à la population a écrit l'an dernier un article sous le titre La souffrance des filles doit cesser. Elle souligne :

Le combat pour interdire le mariage des enfants au Yémen est si difficile parce qu'il a des racines religieuses, culturelles et tribales, mais ce défi nous donne plus de force pour sauver nos filles et mettre fin à la violence à laquelle elles sont exposées, garantir qu'elles aient les moyens et outils pour prendre leurs propres décisions, et assurer leur participation au développement durable.

Elle conclut :

Mon rêve pour les filles est qu'on leur donne la capacité de décider pour elles-mêmes. … Mon rêve est que chaque fille du Yémen ait sa chance d'étudier et puisse vivre une vie sûre, sans être menacée par un mariage forcé alors qu'elle n'est qu'un enfant.

Le gouvernement et la société civile du Yémen doivent travailler la main dans la main sur ce problème. Voter une loi fixant l'âge du mariage et l'appliquer en punissant les contrevenants, alléger la pauvreté et autonomiser les filles en leur permettant de terminer leur scolarité et de travailler, contrer les fatwas religieuses par une campagne agressive de sensibilisation dans les médias sur les dégâts du mariage infantile, peuvent sauver de nombreuses vies au Yémen.

La fin du silence en Syrie : entretien avec Syria Untold

dimanche 22 septembre 2013 à 20:22

L'art c'est la paix, projet artistique collectif à Alep, Syrie.  Photo de Art Camping.

Syria Untold est un nouveau projet en ligne consacré au soulèvement non-violent en Syrie. Les participants au projet, en Syrie comme à l'extérieur, travaillent à réunir, organiser et assurer un contexte pour des contenus traitant de la désobéissance civile, des mouvements non-violents et de la résistance créative au régime d'Assad. Pour reprendre leurs termes, “Syria Untold veut donner de la visibilité au travail extraordinaire accompli par d'autres sites internet, les réseaux sociaux et les groupes d'activistes pendant le soulèvement syrien.” Ellery Roberts Biddle, rédactrice en chef d'Advox, a interrogé Leila Nachawati Rego, co-fondatrice du projet et contributrice active de Global Voices. Mme Nachawati est espagnole-syrienne, activiste, écrivain et enseigne la communication à l'Université Carlos III de Madrid.

Comment vos relations avec la Syrie ont-elles évolué avec le temps ? Comment le soulèvement de 2011 a-t-il affecté cette relation ? Et comment le conflit a-t-il affecté cette relation ?

Bien qu'élevée en Espagne, je parlais toujours de la Syrie à voix basse. La terreur imposée par le régime que les Syriens ont supporté pendant des dizaines d'années était si profondément ancrée en nous que même ceux qui vivent à l'étranger avaient peur de parler par crainte des répercussions sur leurs parents restés au pays. Après 2011, ce mur de peur et de silence s'est brisé et c'est sans doute la principale victoire du soulèvement, la première chose qui m'a donné de l'espoir. Plus de silence, tout est ouvert maintenant.

Quel impact a eu le conflit sur la création et le journalisme en Syrie ? Il serait intéressant de connaître les composantes physiques comme psychologiques de cet impact.

Imaginez une société qui subit un tel lavage de cerveau que les enfants pensent que le dirigeant de leur pays est une sorte de dieu que l'on ne remet pas en question, où les parents ne parlent pas devant leurs enfants de peur qu'ils ne les accusent de trahir l'Etat. Bien sûr ce lavage de cerveau a eu des conséquences sur l'art et la créativité, car tout ce qui était produit pendant des dizaines d'années devait idéaliser le leader et sa famille. Les vrais artistes, poètes, écrivains, chanteurs ont été tués ou pourrissent dans les prisons d'Assad.

Après 2011, toute la créativité réprimée pendant si longtemps a laissé place à des formes d'expression illimitées, de l'affiche humoristique et des messages scandés lors des manifestations aux chants et poèmes pour la liberté en passant par les dessins, bandes dessinées et graffiti sur les murs des villes et villages Syriens. C'est de l'art non-académique, de l'art “qui sort des salons”, comme l'appelle le groupe “The Syrian People Know their Way” (les Syriens savent où ils vont). Un art qui vient de mouvements de base et d'un besoin populaire de s'exprimer après des dizaines d'années de peur, de répression et d'auto-censure.

"Exchange" by Comic4Syria. Comic depicting real events that have taken place in Syrian prisons.

“Echange” de Comic4Syria. Bande dessinée qui dépeint ce qui se passe dans les prisons syriennes.

Syria Untold ressemble beaucoup à un projet de traduction -  traduction de problèmes locaux pour un public global. Est-ce une interprétation pertinente ?

Oui tout à fait. D'un côte, si l'on compare les versions en arabe et en anglais, elles sont très différentes, et les traductions ne sont pas littérales car nous pensons que le contexte est différent si l'on veut toucher un public anglophone ou un public arabophone. D'un autre côté, il faut considérer l'aspect curation qui a beaucoup à voir avec la traduction. Le processus de choix, de cadrage, de mise en place des contenus produits par les Syriens et de contextualisation est en soi une traduction du mouvement de la société civile syrienne sur le terrain, au milieu des discours géopolitiques assourdissants au mépris des syriens eux-mêmes.

Comment avez-vous pu examiner tous les projets des participants ? Y a-t-il des réalisations qui vous ont particulièrement frappée émotionnellement, intellectuellement ?

Il y en a tellement… Tous les créateurs syriens, les campagnes, les groupes qui travaillent sur le terrain au maintien de l'esprit du soulèvement, sont progressivement kidnappés par les forces extrémistes qui essaient d'imposer leur propre programme politique et religieux. La manière dont les jeunes artistes d'Alep et d'ailleurs ont utilisé l'art pour redonner espoir aux gens sous les bombes est particulièrement exemplaire. Le travail de terrain entrepris par la population en matière d'auto-gestion et d'auto-gouvernement avec peu de ressources est admirable dans des villes comme Kafranbel, Raqqa…

ll y en a tellement qu'il est difficile de choisir. Je pense que la meilleure aide que puisse apporter le site c'est de donner une place à tous les artistes syriens, aux campagnes et aux initiatives sur le terrain pour qu'ils puissent être resitués et compris dans leur contexte.

Il semble particulièrement important que le projet soit en ligne, pour que les gens puissent participer quelque soit le lieu où ils se trouvent. Considérez-vous Syria Untold comme un endroit où les gens peuvent se rencontrer, nouer de nouvelles relations ?

Notre but est de servir de pont entre les médias, les organisations non gouvernementales et quiconque s'intéresse aux initiatives populaires syriennes et à la résistance créative, et à ceux qui y travaillent. Le fait que ces voix sur le terrain ne sont pas entendues au niveau des discussions internationales tend à écarter les gens qui veulent faire entendre leur diffférence dans un contexte de plus en plus militarisé. Nous espérons donc que ce projet pourra aider à donner une visibilité au mouvement non-violent, à promouvoir l'interaction entre les différents groupes et leur permettre d'avoir accès aux médias et autres organisations.

Ce projet va à l'encontre du discours des médias grand public très tranché du oui-non/noir et blanc qui a dominé la couverture du conflit. Si vous deviez requalifier ce discours en quelques mots que diriez-vous ?

Je voudrais citer ici mon ami Amjad Taleb qui a écrit ces mots sur sa page Facebook il y a quelques jours et qui résume bien ce que les Syriens ressentent face à cette fausse dichotomie posée par les médias et la “communauté internationale”.

Si vous demandez aux Syriens de choisir entre mourir asphyxiés dans leur sommeil ou mourir sous la torture, vous devinez la réponse. Si vous leur demandez de choisir entre Assad et Al Qaida, je pense que vous pouvez aussi deviner la réponse.

Mais si vous arrêtez de vous comporter comme des trous du cul en leur demandant ce qu'ils veulent et de quoi ils rêvent, alors la réponse sera étonnante et dépassera toutes vos attentes… Mais cessez de vous comporter comme des trous du cul.

Obama's red line, by Comic4Syria.

La ligne rouge d'Obama, par Comic4Syria.

Brésil : Arrêtées pour un baiser lors d'une manifestation religieuse

dimanche 22 septembre 2013 à 12:23

[Les liens renvoient à des pages en portugais] Deux jeunes filles ont été arbitrairement arrêtées, sur ordre du pasteur évangélique Marco Feliciano, après s'être embrassées pendant le rassemblement évangélique Glorifica Litoral, à São Sebastião, dans le nord de l'état de São Paulo, ce dimanche 15 septembre.

Beijo que provocou a prisão de duas jovens. Foto: Reprodução You Tube

Le baiser, cause de l'arrestation des deux filles. Photo: Reproduction YouTube

Feliciano, qui est aussi député fédéral et président de la commission des droits de l'homme et des minorités de la Chambre des députés [GV, fr], a interrompu son show pour demander à la Guarde municipale ainsi qu'aux policiers militaires présents de venir arrêter les deux jeunes filles.  ”Ces deux filles vont devoir sortir d'ici menottes aux poignets. Pas la peine de fuir, la garde civile est en train d'arriver jusqu'à elles. Ici c'est pas un bordel, c'est la maison de Dieu”, a-t-il dit au micro.

Selon le témoignage de personnes présentes sur les lieux, le pasteur continuait à exciter le public de 70.000 personnes contre les jeunes filles tandis qu'elles étaient arrêtées sans ménagement.

Les deux jeunes, Yunka Mihura, 20 ans, et Joana Palhares, 18 ans, ont été emmenées par des agents de la garde civile municipale au commissariat du 1er district de São Sebastião, où le fait a été enregistré par l'agent de service en vue de vérification. Les filles ont soutenu que d'autres couples hétérosexuels étaient aussi en train de s'embrasser au même moment, et qu'elles avaient été agressées physiquement par les policiers.

Au blog iGay, elles ont déclaré qu'elles s'étaient déjà embrassées auparavent durant le rassemblement mais que personne n'avaient semblé s'en préoccuper. Yunka raconte :

O evento era público, pago com o nossos impostos. Aquele palco, aquele microfone, tudo tinha dinheiro público. Também era um espaço aberto, na Rua da praia. Estar ali era direito nosso.

Le rassemblement avait lieu sur un espace public, financé par nos impots. Cette scène, ce micro, tout était payé par l'argent public. Il s'agissait, de plus, d'un espace ouvert, dans la rue de la plage. C'était notre droit que d'être là.

Pour l'avocat des jeunes filles, Daniel Galani, il s'agit là d'un conflit entre deux libertés :

A comunidade "Moça, você é machista" publicou imagem questionando o ato que levou à prisão das jovens. Foto: Reprodução Facebook

La communauté  ”Moça, você é machista”  (“Mademoiselle, vous êtes macho”) a publié cette photo mettant en question l'arrestation des deux jeunes filles.  Photo: Facebook

A gente vê que foi uma situação que fugiu completamente ao controle. A gente sabe que existiam dois direitos em conflito: um é a liberdade de expressão e o outro a liberdade do ato religioso. Os dois direitos são constitucionais e estão previstos para que as pessoas possam fazê-los.

On peut voir que c'est une situation qui a échappé à tout contrôle. On sait qu'il y avait, dans ce conflit, deux droits en présence : l'un, celui de la liberté d'expression et l'autre, celui de la liberté de l'acte religieux. Les deux sont constitutionnels et il est prévu (par la loi) que tout un chacun puisse les exercer.

Dans une déclaration au magazine Fórum, le directeur de la Commission des Droits de l'Homme de l'OAB (Ordre des Avocats du Brésil) de São Paulo, Martim de Almeida Sampaio, a jugé l'arrestation “illégale” et a rajouté que les jeunes filles “auraient pu porter plainte contre le pasteur pour abus d'autorité” si elles avaient eu connaissance du code pénal.

Muet devant la presse,  Feliciano s'est servi de son compte Twitter pour commenter l'affaire en citant le Code Pénal Brésilien, pour justifier son acte :

1) le code pénal brésilien dans son article 228 dit : tourner publiquement quelqu'un en dérision, au motif d'une croyance ou d'une fonction religieuse ;

2) Empêcher ou perturber une cérémonie ou la pratique d'un culte religieux ; dénigrer publiquement un acte ou un objet religieux :

3) Peine de 1 mois à 1 an de prison ou amende. P.U. s'il y a violence, la peine peut être augmentée d'1/3, sans préjudice du degré de violence

Les utilisateurs qui voulaient manifester contre l'attitude du pasteur se sont aussi exprimés sur le réseau social. Marcelo Gerald, activiste des droits LGBT, fait un parallèle entre cet évènement et le fanatisme religieux:

Le droit des fanatiques religieux est en train de dépasser toutes les limites de l'acceptable

et de conclure :

Sur Feliciano, je dirai juste qu'il doit être puni, RIEN ne justifie la violence déployée contre des lesbiennes dans un espace PUBLIC,

Le député fédéral  Jean Wyllys, avocat des droits des LGBT et l'un des plus grand opposant à Feliciano à la Chambre des députés et à la Commission des droits de l'homme, s'est vu agresser sur son compte par divers utilisateurs. Il considère l'arrestation des jeunes filles comme un acte arbitraire et souligne :

Enquêter sur l'exploitation commerciale de la foi et sur le charlatanisme, cette police-là ne le fait pas! RT “@camilo_aggio: T'as vu ça , Jean? http://t.co/4z1iZoO0K

Dans la semaine qui a suivi, la maison de production WAPTV Comunicação, sous contrat avec l'organisation du Glorifica Litoral (NdT: le rassemblement en question), qui a dans sa clientèle les pasteurs Marco Feliciano et Silas Malafaia – l'un des pasteurs les plus riches du Brésil selon le magazine Forbes - a mis en ligne une vidéo défendant le pasteur :

Après s'être fait connaître par des déclarations polémiques et racistes, Feliciano a été critiqué par une bonne partie de la classe politique brésilienne depuis le début de son mandat à la présidence de la Commission des droits de l'homme. Au début du mois, l’OAB, l'Ordre des avocats du Brésil, avait annoncé qu'il allait demander, avec plus de vingt entités liées aux droits de l'homme, l'annulation du mandat de Feliciano ainsi que d'un autre député, Jair Bolsonaro, pour incitation à la haine.

Selon la mairie de São Sebastião, l'enquête va être dilligentée par les services de la Garde civile municipale.