PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Un collectif artistique libanais veut redonner des couleurs à Beyrouth

vendredi 13 janvier 2017 à 19:05
One of Paint Up's first projects in 2012. Bliss Street, Beirut, Lebanon. Source: Facebook.

Une des premières actions de Paint Up en 2012 : Rue du Bonheur, Beyrouth, Liban. Source: Facebook.

Ses détracteurs disent que Beyrouth est une ville qui perd son “caractère”, au point que des Libanais disent fréquemment sur les médias sociaux leur nostalgie d'un passé apparemment disparu.

Si de larges pans de Beyrouth ont été détruits pendant les 15 ans de la guerre civile libanaise qui a pris fin en 1990, l’ “ère de la reconstruction” qui bat son plein depuis n'a hélas pas été plus bienveillante pour le patrimoine architectural beyrouthin. De fait, s'il y a un mot capable de définir l'architecture de la cité, c'est “chaos”.

La réaction d'artistes et de personnes engagées a été de s'atteler à la reprise en mains du patrimoine de leur ville. Une de ces initiatives est “Paint Up” du collectif Dihzahyners (un jeu de mots entre “designers” et “Dhan”—”peindre” en arabe). Le collectif peint des espaces dans tout Beyrouth.

Créé en 2012 par Jubran Elias et Lana Chukri, “Paint Up” s'est constitué comme une alternative aux nombreuses protestations d'activistes libanais contre les démolitions. 

Lana Chucri and Jubran Elias, 'Paint Up' co-founders. Source: Instagram.

Lana Chucri et Jubran Elias, les co-fondatteurs de ‘Paint Up’. Source: Instagram.

Interrogé par Global Voices, Elias dit :

Notre but n'est pas de changer Beyrouth, mais de le ramener à la vie. Il y a beaucoup de choses qu'on ne peut changer à la situation politique et économique du lieu, mais on peut essayer de faire revivre Beyrouth en le peignant.

Créer un seul “événement peinture” requiert des mois de préparation. Il leur faut d'abord obtenir l'autorisation de la municipalité compétente, puis travailler aux côtés de leur sponsor, “Colortek,” avant de poster l'événement sur les réseaux sociaux. Elias expliqe :

Nous commençons par prendre des photos des escaliers puis faisons une simulation. Ensuite nous décidons de leur dessin.

Avec un dur labeur et sans compter leurs heures en plein soleil, le duo a prouvé que le travail est récompensé. Leurs projets “Paint Up” d'escaliers, appelés “Volumes”, ont gagné une notoriété mondiale, et ont été présentés par Vogue dans ”Neuf escaliers extraordinaires du monde entier”, sur BoredPanda, la BBC, et Forbes, entre autres. Lana Chukri, la co-fondatrice du collectif, a aussi été récemment interviewée par Al-Jazeera.

Vous trouverez ci-dessous les photos de quelques-unes de leurs réalisations :

“Foyer d'espoir”, un projet terminé en juillet 2016 à Kahale, district d'Aley

6

Au “Foyer d'espoir” Kahale, district d'Aley. Source: Facebook.

“En attendant le train” à la gare ferroviaire de Mar Mikhael, Beyrouth avec Achillea en octobre 2013

At the Mar Mikhael Train Station. Photo by Nadim Kamel. Source: Facebook.

A la gare de chemin de fer de Mar Mikhael, Beyrouth. Photo : Nadim Kamel. Source: Facebook.

“Paint Up V. 6- Tetris” à Mar Mikhael, Beyrouth, octobre 2013

Paint Up V. 6- Tetris

“Paint Up V. 6- Tetris” à Mar Mikhael, Beyrouth. Photo Nadim Kamel. Source: Facebook

“Paint Up V.7 Rayures” avec Chad the Mad à Azarieh, Beyrouth en octobre 2014

Paint Up V.7| Stripes with Chad the Mad in Azarieh

“Paint Up V.7 Rayures” avec Chad the Mad à Azarieh, Beyrouth. Photo : Nadim Kamel. Source: Facebook.

Dans leur désir que Beyrouth renoue avec son passé, l'équipe des Dihzayners a trouvé un moyen de transformer une simple idée en communauté soucieuse de son environnement. Avec autant de couleurs et de bonne volonté, nul doute que ces artistes laissent leur empreinte sur le Liban.

L'élégance fascisante d'un jeune gouverneur russe

vendredi 13 janvier 2017 à 18:26
Acting Kaliningrad Governor Anton Alikhanov. Photo: Novyi Kaliningrad

Anton Alikhanov, gouverneur suppléant. Photo: Novyi Kaliningrad

Anton Alikhanov, gouverneur suppléant de Kaliningrad âgé de 30 ans, arbore sur son manteau d’hiver des insignes pour le moins curieux. Mardi, dans un petit sujet facile ayant mal tourné, un site d’informations local a révélé qu’Alikhanov portait un manteau avec des insignes représentant le drapeau du protectorat nazi de Bohême-Moravie, ainsi qu’une icône nationaliste particulièrement déplaisante.

Le gouverneur Alikhanov a démenti, déclarant que le drapeau n’était pas celui du régime fantoche nazi mais simplement celui de la Russie décoloré par le soleil. Le drapeau du protectorat est identique à celui de la Fédération de Russie, excepté les bandes rouge et bleue dont l’ordre est inversé.

S'il dit la vérité, son erreur pourrait lui être pardonnée : il ne serait pas le premier à confondre les deux drapeaux.

En 2013, à Moscou, l'agence gouvernementale de lutte contre le trafic de drogues a fait la même erreur en inversant les couleurs du drapeau russe sur une banderole. Deux ans plus tôt, la branche de Kaliningrad du parti au pouvoir Russie Unie a elle-même commis l'erreur d'utiliser pendant sa campagne des fanions tricolores de la Bohême-Moravie, et non de la Russie. En 2010, Google lui-même a foiré le drapeau russe en voulant féliciter Moscou pour son obtention de l'organisation de la Coupe du monde 2018, et sur sa page d'accueil en plus.

L'autre insigne, qui représente la silhouette d'un homme armé et le slogan “ZERO TOLERANCE,” est lui plus inquiétant. L'image est inspirée d'un crime raciste tristement célèbre commis dans le métro moscovite en novembre 2013, lorsque Dmitri Parchine et son fils Andreï ont attaqué sans raison un homme basané du Daghestan. Le père a tiré deux fois au pistolet à air comprimé, et le fils a braqué un pistolet sur la victime, mais sans faire feu.

Voir l'article de RuNet Echo sur l'incident de novembre 2013 : Les nationalistes russes ont trouvé leur ‘saint’

Lorsque l'enregistrement des caméras de surveillance a fuité dans les médias, les nationalistes russes ont fait d'une capture d'écran un mème montrant Andreï Parchine braquant son pistolet. Le motif du justicier combattant le crime (sans que ceci soit fondé) s'est très rapidement répandu sur le net, où des versions retouchées représentant les Parchine sous les traits des “Anges de Boston” ont rencontré un immense succès. Les nationalistes ont rapidement surnommé le duo “Les Saints du métro” russes.

Andrei Parshin patch.

L'insigne à l'image d'Andreï Parchine.

Les réactions du gouverneur Alikhanov aux révélations à propos de son manteau ont été aussi contradictoires qu'invraisemblables. Il a tout d'abord déclaré au tabloïd Life.ru que des amis lui avaient offert les insignes une dizaine d'années avant, niant ainsi que l'homme armé soit Parchine. D'après Alikhanov, cet insigne vient d'un stand de tir.

L'insigne est pourtant clairement à l'effigie d'Andreï Parchine, et cette image n'existait pas il y a dix ans.

Un peu plus tard, lors d'un entretien avec le site Meduza, Alikhanov a changé sa version des faits ; une boutique lui aurait en fait offert le manteau en cadeau après plusieurs achats. Il a dit qu'il n'était pas au courant de la connotation nationaliste de l'image. Le gouverneur a également dit à Meduza que c'était la première fois qu'il avait porté le manteau, contredisant ainsi sa déclaration précédente à propos de l'insigne décoloré par le soleil.

Le premier média à avoir attiré l'attention sur les vêtements controversés du gouverneur Alikhanov a été “Metoditchka,” un compte Telegram qui commente l'actualité politique depuis août 2016, de manière souvent très sarcastique.

Mardi, l'équipe de Metoditchka a remercié “le gouverneur suppléant Alikhanov pour sa réponse rapide. C'est une bonne chose qu'il s'en soit tenu à cette version, et qu'il n'ait pas dit ‘ce manteau n'est pas le mien, il est à mon épouse, une femme d'affaires brillante et assassin confirmé,'” parodiant ainsi la tendance des hommes politiques russes à détourner les allégations compromettantes en évoquant la réussite de leur conjoint.

Anton Alikhanov est devenu gouverneur suppléant de Kaliningrad en octobre 2016 après Evgeny Zinitchev, en poste seulement deux mois. Zinichev, à présent directeur adjoint du Service fédéral de sécurité russe, était auparavant le garde du corps personnel de Vladimir Poutine. Zinitchev a abandonné son poste de gouverneur suppléant de Kaliningrad assez subitement, apparemment dépassé et inadapté à la vie politique, ouvrant ainsi la voie à Alikhanov, qui a hérité des fonctions de gouverneur quelques semaines à peine après son trentième anniversaire.

Philippines : si les écologistes ont gain de cause, Nickelodeon n'aura pas son parc d'attractions sous-marin

vendredi 13 janvier 2017 à 11:30
Image from the online petition created by environmentalist Anna Oposa

Image de la pétition en ligne créée par l'écologiste Anna Oposa.

L'entreprise de divertissements pour enfants Nickelodeon a l'intention de construire un parc d'attractions dans la dernière zone écologique des Philippines, Palawan, et cette idée n'amuse pas les écologistes locaux.

Nickelodeon est connu dans le monde entier comme le producteur de dessins animés populaires tels que Bob l'éponge, Tortues Ninja : les Chevaliers d'écailles et Dora l'exploratrice. Sa maison-mère, le géant des médias Viacom, a annoncé son projet pour Palawan lundi 9 janvier. Viacom affirme créer un partenariat avec Coral World Park Undersea Resorts pour construire le parc d'attractions et une station de vacances.

Surnommé le premier parc d'attractions sous-marin au monde, le projet prévoit une station balnéaire de 400 hectares située dans un archipel de seize îles à Coron, dans la province de Palawan. Coron est une destination touristique populaire connue pour ses plages de sable blanc, ses lagons cachés et ses récifs de corail vierges. C'est aussi l'habitat de nombreuses espèces en voie de disparition qui sont menacées par des activités d'extractions commerciales non réglementées.

Suite à l'annonce du 9 janvier, l'écologiste Anna Oposa a lancé une pétition en ligne pour s'y opposer. Au moment de l'écriture de cet article, moins de deux jours après le lancement de la pétition, celle-ci avait déjà recueilli plus de 198 000 signatures.

Contrary to the press statement that the underwater theme park would “advocate ocean protection,” it will accomplish the exact opposite. By building artificial structures, you will undeniably damage and disrupt Palawan's marine ecosystems — our Last Frontier.

For a channel that targets children, Nickelodeon is setting a terrible example to the younger generation by taking away their right to enjoy our natural resources. We don't need an underwater theme park — our underwater life is fascinating, entertaining, and educational on its own.

Contrairement au communiqué de presse affirmant que le parc sous-marin se ferait “le défenseur des océans”, il accomplira en fait exactement l'inverse. En construisant des structures artificielles, vous allez abîmer et perturber l'écosystème marin de Palawan – notre Dernière Frontière – de facon indéniable.

Pour une chaîne qui cible les enfants, Nickelodeon est en train de donner un très mauvais exemple aux jeunes générations et leur ôte le droit de profiter de nos ressources naturelles. Nous n'avons pas besoin d'un parc d'attractions sous-marin : notre vie sous-marine est fascinante, amusante et pédagogique en soi.

Coron is a popular tourism destination known for its white sand beaches and hidden lagoons. Photo from the Facebook page of Save Philippine Seas

Coron est une destination touristique populaire, connue pour ses plages de sable blanc et ses lagons cachés. Photographie de la page Facebook de Save Philippine Seas.

Les développeurs ont répondu aux critiques en affirmant que le parc serait en fait basé sur la terre ferme et ne possèderait qu'une structure flottante. Pourtant, cette déclaration contredit un communiqué de presse de Viacom dans lequel l'entreprise décrivait “des restaurants et salons sous-marins, qui seront situés environ 6 m sous le niveau de la mer, offrant de superbes vues sur le monde sous l'océan.”

Le réseau Save Philippine Seas [Sauvons les mers des Philippines, NdT] a balayé les efforts des développeurs pour sauver la description de Viacom :

Their statements attempt to downplay the possible irreversible environmental impacts of the proposed project to the marine environment, violating the constitutional rights of the community to a healthy and balanced ecology. Though they claim to build on private property, the Philippines’ waters cannot be privatized. Their statements also make no recognition of or respect to the rights of the indigenous peoples of Calamianes.

Leurs déclarations essaient de minimiser le possible impact écologique irréversible du projet proposé sur l'environnement marin et viole les droits constitutionnels de la communauté à une écologie saine et équilibrée. Bien qu'ils prétendent qu'ils ne construiront que sur un terrain privé, les eaux philippines ne peuvent être privatisées. Leurs déclarations ne reconnaissent pas non plus ni ne respectent les droits des peuples autochtones des îles Calamian.

Le groupe écologiste insiste pour que le développeur de stations de vacances investisse dans les zones maritimes protégées existantes :

…we still stand by our position for them not to proceed with their project and to re-channel their budget to support existing marine protected areas and sustainable livelihood programs for communities.

… nous maintenons notre opinion que leur projet ne doit pas pas voir le jour et que leur budget devrait être redirigé pour soutenir des zones maritimes protégées existantes et des programmes de développement durable pour les communautés locales.

Image from the Facebook page of Nilad

Image de la page Facebook de Nilad

Pendant ce temps, la ministre de l'Environnement affirme qu'elle s'opposera à la construction de tout parc d'attractions sous-marin à Palawan :

Lopez dit qu'elle ne permettra pas qu'il y ait un parc d'attractions sous-marin à Palawan.

Un podcast du Chili pour mettre les étoiles à la portée de tous

jeudi 12 janvier 2017 à 22:57
Pantallazo del episodio "San Pedro de Atacama, lo que nadie ve", disponible en Youtube.

Capture d'écran de l'épisode “San Pedro de Atacama, comme personne ne le voir”, disponible en espagnol sur Youtube.

Le Chili a une longue tradition d'observation astronomique, accompagnée d'un penchant pour en parler. Telle est la base de départ de l’AstroBlog du producteur de cinéma et de télévision Ricardo García Soto, et de sa version en anglais, Astronomy Et Al. Astronome et vulgarisateur, García Soto veut rendre la fascination pour l'espace accessible à tous les publics. Sa mission : intéresser et relier les gens aux découvertes scientifiques, et éveiller en eux l'esprit de curiosité et de recherche qui est propre au monde de la science.

Mi gran deseo para todos es que recuperemos el niño interno y nos sorprendamos con las maravillas de nuestros COSMOS.

 Mon grand souhait pour tous est que nous retrouvions l'enfant en nous et nous étonnions des merveilles de notre cosmos.

Son podcast est disponible en espagnol sur iTunes et Ivoox (il existe aussi une version en anglais). Il est complété par une chaîne YouTube consacrée à une présentation plus détaillée des différentes formes d'observation et d'étude de l'astronomie. La vidéo Comment étudier l'astronomie nous permet par exemple de suivre García Soto dans ses conversations avec étudiants et chercheurs dans les sphères universitaires dédiées à l'étude de l'espace. Non seulement cela nous fait approcher la science elle-même, mais cela nous permet de nous glisser dans l'existence quotidienne de ceux qui la pratiquent.

Ce qui fait une partie de l'intérêt de ces vidéos, c'est leur démystification du monde de l'astronomie, dépeinte comme une discipline scientifique qui ne requiert pas le génie, mais plutôt l'engagemet, l'effort et la coopération.

D'autres expériences, comme une excursion dans le désert d'Atacama, relatent des virées d'exploration et partagent des trucs pour observer le ciel depuis le Chili… à quoi s'ajoutent aussi des conseils pour ceux qui ont envie de tenir des vidéo blogs :

Sur Alep : Lettre à un historien dans le futur

mercredi 11 janvier 2017 à 19:14
"To the girl who shared the siege with me: I love you". Eastern Aleppo, December 15, 2016

“A la fille qui a vécu le siège avec moi : je t'aime”. Alep-Est, 15 décembre 2016. Photo Salih Abo Qusay, reproduite avec autorisation.

Par Samer Frangie

Vous serez peut-être invité à une conférence qui explorera les causes profondes de l'effondrement du Moyen-Orient. Ou vous vous intéressez simplement à l'étude de cette région qui a été celle des vôtres avant l'effondrement cause de leur émigration et exil. Ou encore vous êtes juste curieux d'événements qui se sont déroulés il y a un demi-siècle. Je ne sais, mais en tous cas un jour vous allez retourner à cette année-tournant afin de comprendre votre présent, un présent forgé à partir de cet effondrement. Vous vous rendrez dans une bibliothèque et y trouverez des centaines de livres sur les causes de l'effondrement : l'essor des identités ethniques, les récessions économiques, la chute de cette “illusion” que nous appelions autrefois le ‘centre’.

Votre présent se sera peut-être fait au règne de l'extrême droite et aura acclimaté comme normale son idéologie raciste. Je ne sais. Il est aussi possible que cette vague soit déjà passée, après les guerres et la destruction qu'elle aura causées, et que votre recherche vous a conduit à tenir les générations précédentes responsables de la montée de cette vague. Je ne sais.

Quoi qu'il en soit, vous ne pourrez revisiter cette période qu'à travers les rayonnages de livres séparant votre présent de votre passé, ou de notre présent. Vous trouverez de multiples études écrites sur le “Printemps arabe” et beaucoup d'autres à côté sur l’ “Automne arabe”. Ignorez-les tout simplement. Elles ont été écrites en hâte avec le seul but d'assurer quelque réputation à des intellectuels dont le seul apport a été le jeu sur les concepts de printemps et d'automne.

Vous pouvez aussi ignorer un autre rayonnage, celui des livres à couverture noire sur un groupe que nous appelions “Daech”, que vous ne connaissez peut-être pas. Ce groupe fondamentaliste constituait le tissu de toutes nos obsessions avant que nous nous apercevions que les guerres que nous avons menées contre lui ont continué des dizaines d'années après sa disparition et même après son évanouissement de nos souvenirs. A l'époque, nous avons produit des charretées de livres pour nous faire peur, car nous nous ennuyions un peu et avions trouvé de quoi à la fois nous terrifier et nous griser.

Par contre, vous ne trouverez pas beaucoup de livres sur la Syrie, ce pays qui fut aux racines de ce que vous appelez peut-être maintenant la “Syrie utile”. Les rares ouvrages que vous trouverez parlent d'une révolution qui débuta en 2011 avant de “dévier” de son noble cours. Vous ne trouverez pas beaucoup d'études sur ce sujet pour les années 2011-2016, parce que ce fut une période “complexe” pour les intellectuels de notre temps, qui ne purent comprendre ce qui se passait. Il préférèrent donc rester muets, et ce fut le seul moment où ils décidèrent d'interrompre l'incessant moulin à paroles. Après cette période de silence, vous trouverez un torrent d'études sur la nécessité du dialogue, de la réconciliation, et la reconstruction d'Alep, la ville qui fut inaugurée après sa reconstruction par le fils du défunt président Bachar Al-Assad. Vous ne voyez peut-être pas vraiment l'intérêt d'une recherche là-dessus, pas plus que de disputes sur le sexe des anges dans un pays gouverné par un tyran ‘progressiste’. Un jour, il y a eu des tribus arriérées qui ont monté une révolte paysanne contre les centres urbains, en cooptant les mosquées pour éliminer le pluralisme, tout ça à cause de la sécheresse. C'est ce que vous dira le professeur d'arabe à l'Université de Damas quand vous visiterez cette ville où se rencontrent tradition et modernité, comme le proclame fièrement le panneau à l'aéroport. C'est aussi ce que confirmera votre directeur de thèse quand il vous guidera vers des sujets de recherche plus importants tels que le discours orientaliste dans les publicités automobiles, ou le rôle joué par l'Occident dans les révolutions arabes. En toute probabilité, l'impérialisme russe n'aura pas encore été érigé au statut de sujet de recherche.

Ou le scénario pourrait être différent. Vous aurez pu entendre parler d'Alep et de sa destruction. Cette ville, ou un de ses quartiers, sera peut-être passée dans l'histoire aux côtés de Guernica, Dresde ou Deir Yassin, comme des symboles de destruction et de meurtre, pour seulement servir de signes annonciateurs des périodes sombres qui allaient suivre. Vous pourrez trouver des peintures anciennes ici ou des lignes de poésie là évoquant cette ville. Vous pourriez tomber sur de tels vers au hasard de votre recherche d'illustrations pour l'introduction de votre thèse. Et la question que vous n'avez jamais posée à vos parents, mais qui vous hante, reviendra : “Comment avez-vous consenti à cette destruction, à ces tueries et exils ?” C'est là qu'intervient le conseil de cette lettre : Arrêtez-vous à cette question, à Alep et à la révolution syrienne. Car c'est là que l'histoire a commencé. De l'observatoire de votre présent, vous pouvez ne pas discerner l'importance centrale de la révolution syrienne, car le silence dont j'ai parlé plus haut l'aura dissipée. Vous pourrez trouver d'innombrables écrits accusant ceux qui ont utilisé le mot “révolution” de solliciter une idéologie contraire à la réalité, et de votre point de vue cette accusation pourra paraître valide. Mais aujourd'hui, cinquante ans avant que vous ne lisiez cette lettre, Alep est en feu, et le mot “révolution” est tout ce qui nous reste pour ne pas participer à cet assassinat. Pardonnez-nous donc notre mésusage de ces concepts.

Revenons à Alep et demandez-nous pourquoi nous avons acquiescé. Ne perdez pas votre temps à chercher une corrélation entre les prix du pétrole et les massacres, ou entre le développement de l'empire russe et la destruction, voire avec des analyses métaphysiques du discours et ses complexités inhérentes. Ne fouillez pas en profondeur et demandez-nous simplement comment nous avons acquiescé. Ne nous tenez pas pour responsables, parce que vous aussi auriez pu accepter la destruction comme nous. Mais ne nous pardonnez pas non plus. Restez à la surface où vous trouverez tout ce qu'il vous faut. Si un texte ou un livre vous dit que nous ne savions pas, soyez sûr que c'est un mensonge. Ne pensez pas que votre distance d'avec les événements vous disqualifie d'en être certain. Nous savions. Nous comprenions. Nous avons tous connu les noms des morts. Nous avons des photos de chaque bébé martyr et des vidéos de tous les blessés tombés. Et nous avons les lettres d'adieu qu'ils ont écrites peu avant de tomber. Vous avez peu de chances de les trouver dans votre bibliothèque, mais elles nous sont accessibles. Les habitants d'Alep ont essayé de communiquer avec nous par des lettres, photos, vidéos, par des prières, des plaisanteries et des cris. Mais pour une raison ou une autre, nous n'avons pas donné suite. Nous savions, alors abandonnez votre question, Comment avez-vous laissé faire ?

Restez à la surface, parce que le moment d'Alep fut le moment où le monde a choisi de décompresser tout ce qui se trouvait sous la surface. Peut-être n'avez-vous pas traversé de moments comme ceux-là, et vous avez de la chance. Alep fut le moment où le monde décida qu'il était las même d'agir pour la forme. Ce fut le moment où un clown fut élu Président, un tyran devint le champion du monde libre, et les dirigeants mondiaux se bousculèrent pour soutenir un criminel. Vous pourriez ne pas comprendre comment nous avons touché le fond. Nous n'avons pas compris non plus. Mais nous avons su. Après ce moment, toute honte a été bue quand les institutions s'étaient déjà effondrées et que la violence était devenue la norme. Si l'effondrement vous intéresse, inutile d'aller loin ou profond, restez à la surface ravagée d”Alep et vous comprendrez comment tout peut être perdu en un unique moment.

Je ne peux pas prédire ce qui se sera passé entre cette lettre et votre présent. Peut-être le monde aura-t-il appris d'Alep et se sera réveillé de cette folie. Peut-être cette folie aura-t-elle mené à des guerres qui auront contraint le monde à affronter son moment de déréliction. Mais peut-être rien de cela ne sera arrivé, et vous vivrez toujours dans un monde qui pensera que les Assad sont ce que cette région a de mieux à offrir. Je ne sais. Mais ce qui est sûr, quoi qu'il en soit, c'est que cette région s'est effondrée. Et s'il reste une chose que nous pouvons vous transmettre de tous ces décombres, c'est ceci : Souvenez-vous d'Alep, non comme du symbole d'héroïsmes impossibles ou du prix nécessaire d'une révolution idéologique, mais comme d'un moment, le moment où le monde a décidé en toute conscience et de sang froid de renoncer à lui-même.

Samer Frangie est le Directeur du Centre d'Etudes Arabes et du Moyen-Orient (CAMES) et Professeur Associé au département d'Etudes Politiques et d'Administration Publique (PSPA) à l'Université Américaine de Beyrouth. Il est spécialiste de l'histoire intellectuelle et politique du Moyen-Orient moderne, et de théorie sociale contemporaine. Il a publié de nombreux articles sur l'histoire intellectuelle de la gauche arabe, et travaille en ce moment à un livre sur la mémoire de la gauche. A côté de son travail universitaire, il publie abondamment dans la presse arabe.

Le présent article a été initialement publié en arabe dans Al-Hayat, et a été traduit en anglais par Reem Harb, Roa Harb, et Siba Harb. C'est à partir de cette traduction en anglais, publiée à l'origine sur ‘AUB Political‘ et reproduite avec autorisation sur Global Voices en anglais, qu'a été établie la présente version française.