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Ayelet Shaked, qui a appelé au génocide des Palestiniens, est nommée ministre de la Justice d'Israel

dimanche 10 mai 2015 à 17:57
Knesset Member Ayelet Shaked with her party leader, Naftali Bennet, chairman of HaBayit HaYehudi, Jewish Home party. (Source: Jews For Justice For Palestinians)

La députée de la Knesset Ayelet Shaked en compagnie de son chef de parti Naftali Bennet, à la tête de HaBayit HaYehudi, le Foyer juif. (Source: Jews For Justice For Palestinians)

L'Israélien Benjamin Netanyahu, récemment réélu Premier ministre pour la quatrième fois, a nommé Ayelet Shaked ministre de la Justice. Cette décision en a fait tiquer certains en raison des opinions ultranationalistes de Shaked. Elle est en effet membre du parti d'extrême droite HaBayit HaYehudi (“le Foyer juif”) et a fait les gros titres l'an passé pour avoir appelé au génocide des Palestiniens sur Facebook.

La page Facebook incriminée, qu'elle a par la suite supprimée mais qui avait au préalable été archivée, en appelait notamment à l'extermination de l'ensemble des Palestiniens et a été publiée un jour avant que le jeune Palestinien Muhammad Abu Khdeir ne soit kidnappé et brûlé vif par des extrémistes israéliens. Dena Shunra a traduit cette page Facebook pour the Electronic Intifada:

The Palestinian people has declared war on us, and we must respond with war. Not an operation, not a slow-moving one, not low-intensity, not controlled escalation, no destruction of terror infrastructure, no targeted killings. Enough with the oblique references. This is a war. Words have meanings. This is a war. It is not a war against terror, and not a war against extremists, and not even a war against the Palestinian Authority. These too are forms of avoiding reality. This is a war between two people. Who is the enemy? The Palestinian people. Why? Ask them, they started.

I don’t know why it’s so hard for us to define reality with the simple words that language puts at our disposal. Why do we have to make up a new name for the war every other week, just to avoid calling it by its name. What’s so horrifying about understanding that the entire Palestinian people is the enemy? Every war is between two peoples, and in every war the people who started the war, that whole people, is the enemy. A declaration of war is not a war crime. Responding with war certainly is not. Nor is the use of the word “war”, nor a clear definition who the enemy is. Au contraire: the morality of war (yes, there is such a thing) is founded on the assumption that there are wars in this world, and that war is not the normal state of things, and that in wars the enemy is usually an entire people, including its elderly and its women, its cities and its villages, its property and its infrastructure.

And the morality of war knows that it is not possible to refrain from hurting enemy civilians. It does not condemn the British air force, which bombed and totally destroyed the German city of Dresden, or the US planes that destroyed the cities of Poland and wrecked half of Budapest, places whose wretched residents had never done a thing to America, but which had to be destroyed in order to win the war against evil. The morals of war do not require that Russia be brought to trial, though it bombs and destroys towns and neighborhoods in Chechnya. It does not denounce the UN Peacekeeping Forces for killing hundreds of civilians in Angola, nor the NATO forces who bombed Milosevic’s Belgrade, a city with a million civilians, elderly, babies, women, and children. The morals of war accept as correct in principle, not only politically, what America has done in Afghanistan, including the massive bombing of populated places, including the creation of a refugee stream of hundreds of thousands of people who escaped the horrors of war, for thousands of whom there is no home to return to.

And in our war this is sevenfold more correct, because the enemy soldiers hide out among the population, and it is only through its support that they can fight. Behind every terrorist stand dozens of men and women, without whom he could not engage in terrorism. Actors in the war are those who incite in mosques, who write the murderous curricula for schools, who give shelter, who provide vehicles, and all those who honor and give them their moral support. They are all enemy combatants, and their blood shall be on all their heads. Now this also includes the mothers of the martyrs, who send them to hell with flowers and kisses. They should follow their sons, nothing would be more just. They should go, as should the physical homes in which they raised the snakes. Otherwise, more little snakes will be raised there.

Les Palestiniens nous ont déclaré la guerre et nous devons répondre par la guerre. Non par une opération, [une manœuvre] progressive, une escalade contrôlée de faible intensité, non par la destruction d'infrastructures terroristes et des éliminations ciblées. Assez des références indirectes. Il s'agit d'une guerre. Les mots sont porteurs de sens. Il s'agit d'une guerre. Ce n'est pas une guerre contre la terreur ni une guerre contre des extrémistes, ni même une guerre contre l'Autorité palestinienne. Ces formulations sont autant de manières d'éluder la réalité. Il s'agit d'une guerre entre deux peuples. Qui est l'ennemi? Le peuple palestinien. Pourquoi? Demandez-leur, ce sont eux qui ont commencé.

J'ignore pourquoi il est si difficile pour nous de définir la réalité à l'aide des mots simples que le langage met à notre disposition. Pourquoi devoir inventer chaque semaine un nouveau mot pour la guerre dans l'unique but d'éviter de l'appeler par son nom. Qu'y a-t-il de si terrible à comprendre que le peuple palestinien dans son ensemble est l'ennemi? Toute guerre se joue entre deux peuples, et dans toute guerre, le peuple qui l'a déclenchée, dans son ensemble, est l'ennemi. Une déclaration de guerre n'est pas un crime de guerre. Répondre par la guerre ne l'est certainement pas. Pas plus que ne l'est l'utilisation du mot “guerre”, ni le fait de définir clairement qui est l'ennemi. Au contraire: la morale de guerre (oui, une telle chose existe) repose sur l'hypothèse qu'il y a des guerres dans ce monde, que la guerre n'est pas l'état normal des choses et que, en temps de guerre, l'ennemi est souvent une population dans son ensemble, y compris ses personnes âgées et ses femmes, ses villes et ses villages, ses biens et ses infrastructures.

La morale de guerre sait qu'il est impossible d'éviter de blesser des civils ennemis. Elle ne condamne pas la British Air Force [N.D.T: armée de l'air britannique] qui a bombardé et complétement ravagé la ville allemande de Dresden, ni les avions états-uniens qui ont détruit les villes de Pologne et laissé Budapest à moitié dévastée, des lieux dont les malheureux habitants n'avaient jamais rien fait aux États-Unis mais qui devaient être détruits afin de remporter la guerre contre le mal. La morale de guerre n'exige pas que la Russie soit traduite en justice bien qu'elle bombarde et détruise des villes et leur voisinage en Tchétchénie. Elle ne dénonce pas les forces de maintien de la paix des Nations Unies qui tuent des centaines de civils en Angola, ni les forces de l'OTAN qui ont bombardé Belgrade au temps de Milosevic, une ville d'un million de civils, personnes âgées, bébés, femmes et enfants. La morale de guerre considère comme acceptable sur le principe, et pas seulement d'un point de vue politique, ce que les États-Unis ont fait en Afghanistan, y compris les bombardements massifs de zones peuplées mais aussi la création d'un flot de réfugiés d'une centaine de milliers de personnes qui ont fui l'horreur de la guerre, et qui pour des milliers d'entre elles se retrouvent sans foyer.

Et, dans notre guerre, c'est sept fois plus acceptable, car les soldats ennemis se cachent parmi la population et c'est uniquement grâce à leur aide qu'ils peuvent combattre. Derrière chaque terroriste se tiennent des douzaines d'hommes et de femmes sans qui il ne pourrait se livrer à des activités terroristes. Les acteurs de la guerre sont ceux qui prêchent dans les mosquées, qui élaborent des programmes scolaires destructeurs, offrent l'asile, fournissent des véhicules, et tout ceux qui les vénèrent et leur apportent leur soutien moral. Ce sont tous des combattants ennemis, et leur sang leur retombera sur la tête. Cela concerne également les mères des martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils [dans la mort], cela ne serait que justice. Elles devraient disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles ont élevé les serpents. Sans quoi d'autres petits serpents y seront élevés à leur tour.

Le message d'Ayelet Shaked sur Facebook a été suivi une semaine plus tard de ce l'on a qualifié d'”Opération bordure protectrice” à Gaza, une opération menée par Israël qui a ravagé la zone. En l'espace de 50 jours, l'Armée de défense d'Israël a tué au moins 2 137 Palestiniens dont plus de 500 enfants et a fait plus de 10 000 blessés. D'après les Nations Unies, 72 pour cent des Palestiniens tués dans l'offensive étaient des civils. Environ un tiers des enfants blessés devront vivre avec une invalidité permanente. Un tiers de la population totale de Gaza, soit plus de 520 000 personnes, a été déplacée, dont 279 389 ont été hébergées dans 83 écoles administrées par les Nations Unies.

Si la déclaration de Shaked est choquante, ce n'est pas la première fois que des dirigeants israéliens sont accusés d'incitation à la violence contre les Palestiniens, et même d'appel au génocide. De fait, le témoignage de l'activiste israélien David Sheen devant le Tribunal Russell sur la Palestine a mis en lumière une tendance inquiétante au sein de la société israélienne.

Voici certaines personnes sur lesquelles David Sheen a mis l'accent lors de son intervention:

Yitzhak Shapira, un rabbin qui vit dans la colonie israélienne de Yitzhar sur le territoire occupé de Cisjordanie et qui dirige l'organisation Od Yosef Chai Yeshiva, a publié un livre en 2009 intitulé “La Torah du Roi” dans lequel il écrit qu'”il est justifié de tuer des bébés lorsque la future menace qu'ils représentent pour nous ne fait aucun doute et, dans ce cas-là, ils devraient être blessés délibérément et pas seulement lors de combats entre adultes”. Interrogé sur ses déclarations, il a été relâché quelques heures plus tard sous la pression de ses défenseurs et de députés.

Shapira ne fait cependant pas le poids face à  Ovadia Yosef, chef du parti ultra-orthodoxe Shass, qui a déclaré entre autres que “les Goyim (non-Juifs) sont nés dans l'unique but de nous servir. Sans cela, ils n'ont pas de place dans le monde – si ce n'est au service du Peuple d'Israël” et “les six millions de victimes de l'Holocauste étaient les réincarnations des âmes des pécheurs”. Il a également qualifié les Arabes et les musulmans de “serpents”, “malfrats” et stupides”. Sur les Arabes en général, Yosef aurait déclaré que l'Armée de Défense d'Israël devait “envoyer des missiles pour les anéantir”. Au moment de sa mort l'année dernière, ses funérailles ont rassemblé 800,000 Israéliens en deuil. Il s'agit de l'affluence la plus importante jamais enregistrée lors de funérailles dans l'histoire d'Israël.

Shimon Gapso, maire de Haute-Nazareth, a déclaré au sujet de son district que “[Haute-Nazareth] est une ville juive et il est important qu'elle le reste. Si cela fait de moi un raciste, alors je suis le digne héritier d'une glorieuse dynastie de ‘racistes'”. David Stav, grand rabbin de la ville de Shoham ainsi que président et fondateur de l'organisation rabbinique Tzohar, a écrit un éditorial dans le Times of Israel durant la guerre contre Gaza, la désignant sous le terme de “Milchemet Mitzvah” ou “Guerre par le Commandement”. Autrement dit, une guerre sainte ou, comme il l'a définie, “une guerre défensive dont la victoire est une sanctification du nom de Dieu.”

Moshe Feiglin, ancien membre du Likoud [N.d.T. parti politique de droite au pouvoir en Israël]  et à la tête de Manhigut Yehudit (Leadership juif), un mouvement au sein du Likoud, a appelé Israël à conquérir Gaza et à mettre ses habitants dans des camps jusqu'à ce que la zone soit entièrement vidée de sa population palestinienne. A propos d'une solution à deux États, il déclare: “Il n'y pas deux États pour deux peuples; il y a seulement un État pour une nation.”

Naftali Bennett, l'actuel ministre de l’Économie et dirigeant du “Foyer juif” d'Ayelet Shaked, a affirmé qu’ “[il] avait déjà tué de nombreux Arabes dans [sa] vie, et qu'[il] n'avait absolument aucun problème avec ça.”

Enfin, le rabbin Noam Perel, secrétaire général du World Youth Movement [Mouvement Mondial pour la Jeunesse] depuis 2012, a exhorté l'Armée de Défense d'Israël à “se transformer en une armée de vengeurs qui ne s'arrêtera pas à 300 prépuces de Philistins.”

Jan Süsler, une avocate qui défend les détenus portoricains

dimanche 10 mai 2015 à 17:48
Manifestation  "Al mar por Oscar" (En mer pour Oscar), 2014, Puerto Rico. Photo Ricardo Alcaraz, utilisée avec permission.

Manifestation “Al mar por Oscar” (En mer pour Oscar), 2014, Porto Rico. Photo Ricardo Alcaraz, utilisée avec permission.

Maitre Jan Süsler n'aime pas parler de soi. Elle le dit très clairement dès le début de l'entrevue. Avocat des droits civiques, Me Süsler dit que l'attention doit être portée sur ses clients, qui sont aussi ses amis. “Je veux que ceci soit à propos de Oscar López Rivera [fr], “explique t-elle, faisant référence au prisonnier politique portoricain qu'elle représente.

Mais j'y tiens.

Maitre Jan Süsler a exercé son métier durant les 39 dernières années. Elle s'est spécialisée dans le domaine des droits des prisonniers, des mauvaises conduites de la police et les droits civils. Elle travaille au sein du cabinet  People’s Law Office (Cabinet juridique populaire) à Chicago depuis 1982. Elle est née aux États-Unis, à Chicago, Illinois, et a grandi dans une petite à ville trois heures environ au sud, dans une communauté majoritairement juive avec sa mère, son père, ses frères et sœurs.

Elle a consacré l'essentiel de sa carrière professionnelle à la défense de prisonniers politiques portoricains: des hommes et des femmes qui ont combattu pour l'indépendance de l'île des États-Unis.

Bien qu'elle soit de Chicago, de nombreux portoricains revendiquent Me Süsler comme l'une des leurs. Comme au cours des années 1990, encore une fois, elle est à la pointe d'une longue bataille, plaidant pour la libération immédiate de M. Oscar López Rivera [fr], un homme de 72 ans, qui, en mai aura servi 34 années d'une condamnation de 55 ans dans les prisons américaines, accusé de conspiration séditieuse et d'infractions connexes.

C'est une période intense, mais Mme Süsler a accepté de m'accorder une interview et de me parler un peu d'elle-même, mais surtout de ses clients et amis.

Global Voices (GV): Pourquoi avez-vous voulu devenir avocat?

Jan Süsler (JS): En partie parce que j'avais ce grand exemple de mon père. Nous avons toujours dîné avec l'ensemble de la famille, et rentré à la maison il nous parlait de son travail. C’était un médecin généraliste dans une petite ville. Il était antiraciste et un progressiste qui a aidé à lancer le bureau d'aide juridique. Il a compris que lorsque vous vivez dans une société inégale, vous avez un rôle pour lutter contre cela. Ma mère aussi l'a fait à sa manière, elle était militante. Elle avait une maîtrise en éducation et était enseignante. Ils se sont battus pour avoir des écoles qui offraient la même éducation pour tous les enfants, d'où qu'ils viennent.

En outre, je viens d'un endroit qui était très antisémite, les juifs n'étaient pas autorisés à faire partie de l'équipe du country club, etc. A Noël dans les écoles publiques, il y avait beaucoup de choses religieuses, et j'ai été perturbée par cela parce que je savais qu'il y avait une séparation de l'Église et de l'État. Je refusais de participer à ces activités, et je suis devenue avocat.

Une autre raison, quelque peu accidentelle due à l'époque de ma naissance. Je suis un baby-boomer, je me suis, donc, diplômée de l'école secondaire en 1967, une époque très perturbée dans le monde. Je me souviens assise sur le canapé avec mon père pour regarder la Convention démocrate de 1968, et lui de dire: “Oh mon Dieu, il y a une intervention de la police, ils battent les gens.” Donc, je suis aussi très bien un produit de mon temps. Quand j'étais au collège, il y avait des chars militaires. Une des choses qui m'a beaucoup inspiré a été de voir la résistance des étudiants sur les campus.

Le fait d'être femme a aussi son importance. Ma mère avait un diplôme d'études supérieures, mais elle n'a pas pu trouver du travail quand elle a divorcé de mon père [de son père biologique]. Soudainement, elle s'est retrouvée dans la rue et elle devait trouver un moyen de soutenir ses deux enfants, ma sœur et moi. Elle m'a toujours dit que je devais être  matériellement indépendante et ne dépendre de personne.

M. Oscar Lopez Rivera Me  Jan Susler

M. Oscar Lopez Rivera avec Jan Susler

GV: Comment avez-vous décidé de vous spécialiser en matière de droits des prisonniers politiques et des droits des détenus?

JS: Quand je me suis diplômée de l'école secondaire, je savais que je voulais faire un travail dans le domaine des droits civiques. Il y avait une association juridique qui offrait ses services aux détenus en Illinois du sud; je pensais que participer à leur travail aurait été une excellente façon de les aider, c'était surtout des noirs et des gens de couleur. C'était une région très raciste de cet état. C'est à ce poste que je me suis impliquée dans le mouvement pour l'indépendance et pour les prisonniers politiques portoricains. J'étais membre de la National Lawyers Guild (Association nationale des avocats), une organisation très progresiste. En 1980, la première vague de prisonniers politiques portoricains a été arrêtée, et deux d'entre eux ont été envoyés dans une prison où je faisais mon travail. Michael Deutsch m'a appelée et m'a dit qu'il y avait deux clients qui étaient très loin de leur communauté, ajoutant: “Je veux que vous alliez les voir.” C'était en septembre 1980. Il s'agissait de M. Luis Rosa et M. Carlos Alberto Torres.

GV: Comment cette relation avec les prisonniers politiques portoricains s'est développée?

JS: C'est venu tout naturellement, beaucoup d'entre eux étaient emprisonnés dans l'Illinois. Et puis beaucoup d'entre eux pensaient que je devais aller à Chicago pour me rapprocher de la communauté portoricaine. Ensuite, je suis allé à Chicago, et je suis devenu membre du People’s Law Office, en me rapprochant de la communauté portoricaine, des familles des prisonniers, j'ai commencé à effectuer des allers et retours sur l'île.

GV: Vous sentez-vous comme une adoptée portoricaine?

JS: Certaines personnes disent que je suis née au mauvais endroit. J'aime les portoricains, et leur pays. Je respecte et admire l'étonnante résistance de ce peuple malgré des siècles de colonialisme, et je me sens très aimée et appréciée. Je me sens très privilégié d'être en mesure d'avoir cette incroyable relation étroite avec le peuple portoricain. Je suis très heureuse.

D'autre part, comme je ne suis pas portoricaine, je pense que cela ajoute une dimension supplémentaire à notre action, par exemple, vous n'auriez pas pu m'interviewer. Certaines personnes pensent que le fait  qu'une américaine travaille dans ce domaine est unique et exceptionnel, mais je ne pense pas que cela devrait être une exception. Après tout, c'est mon gouvernement qui colonise Puerto Rico, et pourquoi il n'y pas plus de personnes qui se sentent offensées par cette relation qui non seulement est anti-éthique, mais aussi viole le droit international. Au Comité spécial de la décolonisation des Nations Unies, je ne suis qu'un membre parmi quelques américains qui parlent de Porto Rico, et je pense que nos concitoyens ont l'obligation de dénoncer les injustices de notre gouvernement.

GV: Ce sont des cas qui dépendent fortement de l'opinion publique. Quelles sont les différences entre les deux camps : les tribunaux et l'opinion publique?

JS: Le mouvement indépendantiste portoricain et le mouvement de soutien aux prisonniers politiques sont deux choses différentes. Le mouvement d'indépendance est fortement impliqué dans la campagne visant à libérer les prisonniers, mais celle-ci est beaucoup plus large. Cela implique une très grande expérience pour susciter les deux. Oscar et d'autres prisonniers politiques ont pris une position très forte quand ils ont été arrêtés dans les affaires de Chicago, et ont dit qu'ils rejetaient la compétence de la Cour pour les juger comme criminels parce que leurs cas relevaient du droit international. Sur les bancs de l'école de droit on ne vous apprend pas comment représenter des gens comme eux (rires). On n'enseigne pas comment faire du droit créatif quand vous travaillez avec des gens qui ne veulent pas aller au tribunal.

Par exemple, lorsque Mme Alejandrina Torres a été envoyée dans la chambre souterraine de torture appelée l'unité de haute sécurité pour les femmes à Lexington, Kentucky, en 1986. Elle ne voulait pas être interrogée par des tribunaux américains pour contester ses conditions de détention. Alors, comment pouvez-vous être son avocat quand elle ne vous laissera pas aller devant les tribunaux? Elle a encore des droits légaux, mais vous devez trouver le moyen d'être un avocat créatif. Cette activité vous amène à participer à de différents fora, aux tribunaux internationaux, à des conférences, au Comité de la décolonisation de l'ONU, à toutes sortes d'expériences et à des endroits merveilleux que vous défendez, d'une manière non traditionnelle, différente de ce que vous avez appris dans les cours de droit.

Dans ce processus, vous devenez partie d'un mouvement et avec les prisonniers politiques c'est très important parce qu'ils font partie du mouvement. Votre sensibilité pour ce que votre client veut et votre sensibilité pour ce que le mouvement veut vous aident à devenir une personne plus responsable, et un avocat plus responsable. La partie de militantisme avec les moyens juridiques qui sont disponibles aident à la formation de l'opinion publique.

"Oscar, héros national, nous voulons que vous retourniez maintenant." Une marche pour Oscar 2013, à Puerto Rico. Photo par Ricardo Alcaraz, utilisée avec permission

“Oscar, héros national, nous voulons que vous retourniez maintenant.” Une marche pour Oscar 2013, à Puerto Rico. Photo par Ricardo Alcaraz, utilisée avec permission

GV: Qui est M. Oscar López Rivera pour vous, en plus d'être votre client?

JS: Je vais vous donner un exemple: ma filleule vient de se rendre à Puerto Rico pour sa fête d'enterrement de vie de jeune fille, et elle m'a renvoyé la photo d'une image d'Oscar dans les rues du Vieux San Juan. Elle a dit: “Son visage est collé partout!”

Je le vois comme plus grand que la vie, une personne qui a inspiré les gens afin de se rassembler. Lorsque vous êtes confronté à quelqu'un qui est une légende de son vivant … Je suis allée le voir récemment, et nous étions dans la salle, et je parle du Sommet des Amériques [au Panama, du 10 avril to 11 avril ]. Il y a beaucoup de chaos dans la salle. Je suis assise avec cet homme dans une prison qui lui est étrangère, et je lui dis que son cas allait être débattu à Panama. C'est une combinaison de banalités d'être dans cette salle avec des automates, réalisant qu'il sera dénudé après ma visite, et dans le même temps ce même homme fait l'objet de discussion entre chefs d'état.

GV: A combien estimez-vous les chances que le Président Obama accorde la clémence à M. Oscar López Rivera avant la fin de son mandat?

JS: Parfois, les gens me demandent: Quand M. Oscar retournera-t-il chez lui? Et je leur répond que cela dépend du travail que nous faisons, non seulement nous les avocats. M. Obama doit prendre une décision politique, qui soit politiquement profitable pour son parti. Nous devons lui  faire comprendre que cette décision serait profitable pour son parti. Il a été l'un des présidents les plus avares de l'histoire moderne à accorder des commutations de peine et des grâces présidentielles. Il a été fortement critiqué pour cela. Il a récemment déclaré lors d'une interview qu'il a compris qu'il avait besoin de faire plus dans ces domaines. Ce sont de bonnes nouvelles.

J'espère que notre travail continuera à être aussi cohérent et créatif que par le passé, nous devons donc insister sans relâche pour maintenir M. Oscar visible, parce que notre fenêtre est entrain de se refermer. Nous devons faire savoir que nous devons renvoyer M. Oscar chez lui.

GV: Dites-moi quelque chose que nous ne pouvions pas savoir à propos de Oscar López.

JS: C'est quelqu'un dont j'ai appris beaucoup de choses, pas comme un enseignant, mais lorsque vous partagez des expériences de vie avec quelqu'un dont vous vous souciez, vous grandissez. Et je ai énormément appris de ma relation privilégiée avec lui.

Il fait probablement plus de flexions physiques que la plupart des jeunes autour de lui. Il prend bien soin de lui-même, parce qu'il sait que ses geôliers ne le feront pas. Il fait beaucoup attention à ce qu'il mange, ce qui est très difficile en prison, et encore plus difficile parce qu'il est végétarien. Il est très discipliné. Il comprend combien le temps est précieux. Il a son propre ordre du jour, lecture, exercice physique, manger; il correspond avec de nombreuses personnes. C’est un autodidacte, et il a une mémoire redoutable. Il n'oublie jamais rien de tout ce qu'il lit, il n'oublie jamais quelque chose, il peut parler de l'histoire de l'Egypte, à propos de volley-ball (elle rit). Il comprend le monde d'une manière très complexe. C'est une source de connaissance. Oui, alors pourquoi est-il en prison? C’est une ressource pour son pays, et Porto Rico est privé de cette ressource.

Pour plus d'articles de Global Voices online sur M. Oscar López Rivera, cliquez ici [en appuyant sur chaque titre en anglais dans la fenêtre qui apparaitra, on obtient la version originale et une indication sur les autres langues dans lesquelles l'article a été traduit].

Brutalités policières : Echange de tweets acides entre officiels turc et américain

samedi 9 mai 2015 à 14:51
Demotix image ID:7468686. Baltimore on edge as riots force state of emergency 28 April 2015. Photo by Aidan Walsh.

Baltimore en étt d'urgence suite aux émeutes. Photo de Aidan Walsh Demotix réf.7468686.

A l'approche des élections législatives en Turquie, le ton de la propagande politique devient de plus en plus étrange.

Récemment, un accrochage sur Twitter entre le Maire d'Ankara Melih Gökçek et la porte-parole du département d’État des États-Unis Marie Harf a pris un tour surréaliste. Le 29 avril, Melih Gökçek – connu pour son usage démesuré des forces de police contre les citoyens pendant les manifestations de Gezi de juin 2013, et sa propension à s'en vanter – a posté à l'adresse de Marie Harf un tweet sur la brutalité policière à Baltimore, lui rappelant ironiquement qu'elle avait soutenu les manifestants de Gezi.

L'affaire s'est corsée quand John Bass, ambassadeur des États-Unis en Turquie, a considéré que se peinturlurer ses cheveux d'une couleur jaune tirant vers le rougeâtre serait une réponse appropriée aux allégations du Maire sur le racisme et la violence policière aux États-Unis.

La première salve est venue de l'excentrique Maire d'Ankara, bien connu pour ses explosions nocturnes sur Twitter, qui a partagé une photo d'un civil à terre en train de se faire frapper par des policiers lors des heurts qui ont suivis le meurtre de Freddie Gray à Baltimore.

LA BLONDE STUPIDE QUI AVAIT DIT QUE LA POLICE TURQUE FAISAIT UN USAGE EXCESSIF DE SA FORCE, ELLE EST OÙ MAINTENANT ?

Les tweets américains n'ont pas mis longtemps à fustiger Melih Gökçek avec un vocabulaire plus approprié :

Marionnette d'un État Hypocrite eut été un meilleur choix de mots.

Les commentateurs turcs ont participé à la dispute. Certains, comme la célèbre écrivaine Elif Şafak, qui a par ailleurs été accusée de plagiat au moment de la parution de son dernier livre, a couru à la défense de Marie Harf en dénonçant le patriarcat en Turquie :

Le patriarcat en Turquie !! Le Maire d'Ankara appelle la porte-parole des États-Unis “blonde stupide” juste parce qu'il se trouve qu'elle est une femme & qu'elle est blonde

D'autres commentateurs relèvent l'hypocrisie équivalente de la Turquie et des États-Unis dans cette sympathie sélective pour les victimes de la violence policière, et critiquent de la même manière Melih Gökçek et Marie Harf :

Peut-être qu'elle est en train de faire ce que vos chiens de médias faisaient pendant les protestations de Gezi, elle lèche le cul du gouvernement !

Plus tard dans la dispute, l'ambassadeur des États-Unis a saisi l'opportunité d'étaler au grand jour son sens de l'humour discutable en postant sur Instagram une photo de lui avec les cheveux blondis par Photoshop, pour montrer son soutien à sa collègue.

#ABD'li diplomatlar: hepimiz #sarışınız. #American diplomats: we're all blonde.

A photo posted by John Bass (@amerikanbuyukelcisi) on

<script async defer src="//platform.instagram.com/en_US/embeds.js">

Diplomates américain : nous sommes tous blondes.

Là encore, les réactions dans les deux pays ont été très diverses.

En Turquie, les fidèles détracteurs de Melih Gökçek, qui ne semblent pas avoir réellement suivi l'actualité de Baltimore, ont applaudi l'ambassadeur. Mais d'autres ont souligné que le racisme institutionnalisé aux États-Unis ne pouvait pas être blanchi – ni même blondi –  de la même manière que les cheveux du représentant de Washington à Ankara.

Vous n'avez tué personne de noir et non armé aujourd'hui. Ça doit être dur.

De la même manière, les réponses des États-Unis vont des exclamations choquées face à la brutalité d'un politique turc jusqu'alors inconnu, aux condamnations du manque de discernement de la part du département d’État :

Ah, l’Amérique diffuse son bon sens politique à l'étranger. Ce bon vieux gouvernement américain activiste. Pas de contrôle de soi. Aucune discipline.

Faisant référence à la faible proportion d'Afro-américains qui accèdent à des postes gouvernementaux haut-placés, un commentateur souligne que la blague de l'ambassadeur aurait pu être drôle si elle ne faisait pas référence à une réalité bien connue :

Nous sommes tous blondes, a dit l'envoyé américain John Bass en réponse au commentaire du Maire d'Ankara. Ce que j'en dis : “on sait, vous êtes tous blondes et stupides”.

En conclusion, une dispute partie d'un échange de sympathie peu sincère envers les victimes des brutalités policières s'est terminé de la seule manière possible : un assortiment de réparties créatives, montrant surtout des représentants privilégiés de ce qu'on appelle le département d'État “Lily-White” [N.d.t : littéralement, “blanc comme lys”, mais aussi une référence au mouvement Lily-white des Républicains fin 19ème siècle – début 20ème, qui protestait contre les avancées politiques et socio-économiques des afro-américains] jetant du peroxyde numérique sur les problèmes raciaux en Amérique.

En Bulgarie, premier projet journalistique basé sur le financement participatif

samedi 9 mai 2015 à 14:29

La Bulgarie, membre de l'Union européenne, a de gros problèmes avec la liberté des médias [en anglais]. Ce pays des Balkans occupe la 106e place sur 180 pays [en anglais] dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières pour l'année 2015. C'est en réaction à cette triste situation qu'a été lancé un nouveau projet au but ambitieux : s'opposer à la mainmise sur les médias des oligarques locaux, et proposer à la société une alternative pour s'informer.

KlinKlin.bg, créé par des journalistes, des web designers et des blogueurs, a pour but de lancer un projet de journalisme indépendant, basé sur le crowdfunding ou financement participatif, proche dans l'esprit d'autres initiatives existant aux Pays-Bas (decorespondent.nl), en Allemagne (krautreporter.de) et au Canada (ricochet.media). Mais KlinKlin se trouve devant un sérieux problème : 86,5 % de la population ne fait pas confiance [en bulgare] aux médias locaux.

KlinKlin en est au stade initial de la recherche de soutien et de financement. Pour le moment, le site n'existe qu'en bulgare, mais l'équipe réfléchit à la création d'une version en anglais. Moins d'une semaine après son lancement la page Facebook KlinKlin [en bulgare] a récolté près de 2 700 mentions «J'aime» [3 117 au 9 mai]. Ci-dessous, la vidéo de promotion du collectif, sous-titrée en anglais.

La mémoire d'un village de Croatie est toujours présente, 71 ans après sa destruction par les nazis

vendredi 8 mai 2015 à 23:41
Lipa houses

Quelques-unes des maisons du village de Lipa qui ont été détruites ce 30 avril 1944. Les ruines ont été préservées pour que ce crime de haine ne soit jamais oublié. Crédit photo: Marinella Matejčić

Le 30 avril 1944, vers 14h30, le village croate de Lipa fut encerclé par une division allemande SS, ainsi que par des membres de la Wehrmacht et une milice italienne fasciste. Des Tchetniks ainsi que des membres de la Garde nationale slovène auraient fait partie de ces assaillants, sous l'autorité d'Aurelio Piese qui dirigeait la milice fasciste de Rupa, village de Croatie.

Les assaillants pénétrèrent dans le village de Lipa vers 15 heures, en commençant à s'emparer de tout ce qu'ils pouvaient prendre, comme par exemple du bétail. Ensuite, des femmes et des jeunes filles furent violées, des bébés massacrés, tout comme les personnes âgées. Après avoir torturé et massacré 21 personnes, ces assaillants se rendirent compte qu'ils ne pouvaient détruire le village de cette façon, et changèrent donc de tactique : ils rassemblèrent tous les habitants en leur ordonnant d'emballer leurs objets de valeur pour partir vers des camps d'internement.

Les nazis conduisirent les habitants vers la maison de Kvartika, qui se trouvait à l'entrée du village et portait le numéro 20, et leur ordonnèrent d'entrer. Ensuite, cinq bombes furent lancées et des coups de feu éclatèrent dans l'habitation. Les membres de ce groupe armé aspergèrent alors la maison d'essence et les personnes qui y étaient enfermées furent brûlées vives.

269 personnes, dont 121 enfants âgés de 7 mois à 15 ans, furent assassinées. Le village fut entièrement brûlé, et les nazis firent disparaître les cadavres calcinés.  Lipa, qui comptait 87 habitations ainsi que 85 dépendances, fut entièrement détruit. De tous les habitants qui étaient présents ce jour-là, seuls un homme et une femme survécurent.

Nazis going trough victim's bundles, collecting valuables Original photographs, curtesy of Maritime and History Museum of the Croatian Littoral Rijeka

Nazis marchant parmi les bagages de leurs victimes pour récupérer des objets de valeur. Photographie d'origine publiée ici avec l'aimable autorisation du Musée de Marine et d'Histoire du littoral croate (ville de Rijeka).

Les exactions commises par les nazis furent photographiées par ces derniers eux-mêmes, il s'agissait pour eux de s'en vanter auprès de leurs supérieurs et de leurs amis. Plus tard, ces photographies furent développées à l'atelier de Silvestar Marož, situé à Ilirska Bistrica, en Slovénie, à exactement 17,5 kilomètres de Lipa. La soeur de Silvestar Marož en fit des copies qu'elle cacha ensuite. Ainsi, les photos furent conservées jusqu'à la fin de la guerre. Quand tout ce cauchemar fut terminé, elles furent disposées dans la vitrine de l'atelier afin que quelqu'un pût reconnaître le village. Ce fut le cas peu après, grâce à des passants.

Ces photographies font désormais partie du centre commémoratif de Lipa, qui a officiellement ouvert ses portes le 8 mars dernier. Explications de Vana Gović, la conservatrice de ce centre, à l'équipe de Global Voices :

Fotografije zamišljene kao ratne trofeje mi danas koristimo za osudu tog čina. Ostvarili smo dostojanstven tretman memorijalne građe, jer ove potresne fotografije prikazuju se samo ako se pojavi osoba, koja može uspostaviti odnos prema njima. Prostor na katu je intiman, zagušenog osvjetljenja i namijenjen refleksiji, kako bi posjetitelji mogli uspostaviti odnos sa žrtvama i zločinom kojeg su pretrpjeli.

Ces photographies ont été conçues comme des trophées de guerre. Nous les utilisons aujourd'hui pour condamner cet acte. Nous avons traité dignement les sujets du centre, ces images apocalyptiques ne sont en effet montrées au public que si quelqu'un est capable d'établir une relation avec elles. L'espace du premier étage a quelque chose d'intime, la lumière y est faible afin que les visiteurs puissent établir un lien avec les victimes et ce qu'elles ont enduré.

Un musée pour se souvenir de ce jour d'horreur

Avant la naissance de ce centre avait déjà été créé le musée commémoratif de Lipa, qui ouvrit ses portes au public en 1968. La collection ethnographique ainsi que les ruines qui avaient été préservées y furent ajoutées en mai 1969. Le bâtiment où se trouvait ce musée abritait également une école maternelle, une crèche ainsi qu'une garderie fréquentée par des enfants de Lipa scolarisés dans les villages isolés de Rupa et Matulji. Le musée et l'école maternelle était dirigés par Danica Maljavac, enseignante d'histoire-géographie. La grand-mère de celle-ci fut la seule femme (avec un seul homme, pour rappel) à avoir survécu au massacre. Danica Maljavac a également souvent parlé publiquement des atrocités qui y ont été perpétrées.

Le centre commémoratif, qui se trouve au cœur du village, est composé d'un sous-sol, d'un rez-de-chaussée et d'un seul étage. Au sous-sol, qui n'est pas encore visitable, se trouve la collection ethnologique de la région. Cependant, le rez-de-chaussée et l'étage, dans lesquels il est question de la terrifiante histoire de la seconde guerre mondiale dans les pays des Balkans occidentaux, sont accessibles au public. Le rez-de-chaussée dispose d'un espace multifonctionnel et abrite une exposition permanente au sujet de l'histoire de Lipa, de la vie dans ce village et de toute la région karstique de Liburnie. Outre les photographies commentées, les visiteurs peuvent découvrir The Day Lipa Died [en français: Le jour où Lipa est mort], film documentaire slovène dans lequel les témoins encore en vie racontent cette terrible journée de 1944. Il est également possible d'écouter les témoignages d'informateurs. Puisque ce centre essaie de perdurer en tant que centre commémoratif, le rez-de-chaussée servira de salle commune pour des rencontres ou encore des expositions.

Victims, which were later collected and burned. Original photograph, curtesy of Maritime and History Museum of the Croatian Littoral Rijeka,reposted with exclusive permission

Corps de victimes qui seront ensuite récupérés et brûlés. Photographie d'origine publiée ici avec l'aimable autorisation du Musée de Marine et d'Histoire du littoral croate (ville de Rijeka).

Vana Gović explique:

Stalna izložba u prizemlju posvećena je životu prije i nakon stradanja Lipe, jer namjera je, da svaki posjetitelj iz muzeja izađe sa spoznajom da ovaj tragičan i strašni događaj nije bio ni početak ni kraj Lipljana. Iako je teško stradanje pod nacistima obilježilo ovu zajednicu, riječ je o samo jednoj odrednici njihova identiteta. Kao i češke Lidice i francuski Oradour sur Glane, i Lipu su nacisti u potpunosti uništili i pobili svo stanovništvo koje su zatekli, no Lipa je specifična po tome što je jedina od ta tri mjesta nastavila živjeti.

L'exposition permanente qui se trouve au rez-de-chaussée est consacrée à la vie dans le village de Lipa, avant et après son martyre. Notre but, c'est que chaque visiteur, au moment de quitter le centre, ait conscience que cet événement, tout tragique et horrible qu'il ait pu être, n'a marqué ni le début, ni la fin de l'existence des habitants. Bien que cette cité fût marquée par le massacre, cela ne représente qu'une partie de son identité. Comme Lidice en ex-Tchécoslovaquie et Oradour-sur-Glane en France, le village de Lipa fut complètement détruit par les nazis et tous ses habitants retrouvés assassinés. Mais ce village se distingue des deux autres par une seule chose: c'est le seul qui ait continué à vivre.

À l'étage, il est question de l'histoire de la destruction du village, de ses habitants et du concept de haine. Les visiteurs qui montent l'escalier peuvent entendre les nazis marchant “au pas de l'oie”, et les murs sont couverts de répliques de casques militaires. Les marches d'escalier et les pièces supérieures sont peintes en noir, la lumière y est faible et le silence de rigueur – pour que chacun puisse se mettre à place des victimes et lire leur histoire. Afin d'essayer de préserver l'identité des personnes assassinées, leurs noms n'ont pas été indiqués sur une liste récapitulative. Ceux-ci ont plutôt été inscrits dans de petites maisons comportant des noms d'individus et des adresses pour représenter le village tel qu'il fut. Le centre commémoratif de Lipa appartient au Musée de Marine et d'Histoire du littoral croate, qui se trouve dans la ville de Rijeka.

Plus jamais ça

Que se passa-t-il donc avant qu'une telle horreur ne se produisît ? Après la capitulation de l'Italie en septembre 1943, la région karstique de Liburnie se retrouva sous le joug de la République de Salò, fondée par Adolf Hitler au nord du pays pour le Duce, Benito Mussolini. Cependant, les troupes nazies allemandes dirigeaient cette “République”, tout en occupant la zone opérationnelle du littoral adriatique, dans laquelle se trouvait le village de Lipa.

Le général Ludwig Kübler était le commandant du XCVII Korps. La police et les SS, quant à eux, étaient gouvernés par Odilo Globocnik, l'un des plus grands criminels nazis, qui fut le principal responsable des camps de la mort en Pologne. Les actions du mouvement de résistance des Partisans, apparu en 1944, furent de plus en plus nombreuses et importantes dans la région de Liburnie. Comme les Partisans étaient plus nombreux que les Allemands, ils utilisaient des tactiques de guérilla pour lancer des attaques éclair. Ces résistants s'attaquèrent aux voies ferrées et aux routes, détruisant ainsi les infrastructures essentielles aux forces nazies. 

Les Partisans étaient dirigés par Josip Broz Tito, le chef du Parti communiste yougoslave clandestin (KPJ), qui reçut le soutien de l'Union soviétique stalinienne. Josip Broz Tito, paysan croato-slovène, devint un communiste fanatique après avoir été capturé par les Russes au cours de la première guerre mondiale, alors qu'il était soldat de l'armée austro-hongroise.

Les Partisans échappèrent aux recherches. Cependant, la population locale, qui soutenait ces résistants en leur apportant assistance, devint une cible facile. Le général Kübler, en raison des problèmes particuliers qu'il rencontrait avec les Partisans, donna l'ordre à ses dix unités de combattre ce qu'il appelait les “gangs”. Il ordonna et encouragea les assassinats, les pillages et les représailles massives contre la population qui n'était, aux yeux des nazis, rien d'autre que la base logistique de leurs ennemis jurés, les Partisans. “La terreur contre la terreur, oeil pour oeil, dent pour dent.” Tels furent les ordres du général Kübler.

Explication de Vana Gović, la conservatrice de ce centre :

Nacisti su obilazili selo i nekoliko dana nakon ubojstava – njihove mete su bili svi koji su pomagali partizanima. Tijekom jednog kontrolnog posjeta su presreli starog seljana Josipa Simčića i njegovu kći,Vinku. Nakon što su ju silovali, pitali su ih tko će biti prvi obješen. Josip je rekao – ubijte nju prvu, jer će meni biti lakše gledati nju kako visi, nego ona mene. Obješeni su na raskršću između Lipe i Rupe.

Les nazis ont poursuivi leur visite du village quelques jours après les assassinats. Toutes les personnes qui aidaient les Partisans étaient leurs cibles. Au cours d'une patrouille, ils sont tombés par hasard sur un vieil homme, Josip Simčić, accompagné de sa fille Vinka. Les nazis ont demandé au père et à sa fille, après avoir violé cette dernière, lequel des deux souhaitait être pendu en premier. Josip Simčić leur a répondu: “Tuez-la en premier, il sera plus facile pour moi d'assister à sa pendaison que l'inverse.” Ces deux personnes ont été pendues au carrefour situé entre les villages de Lipa et Rupa.

La maison de Kvartika, où presque tous les villageois furent assassinés, est aujourd'hui un mémorial et un ossuaire. Un cénotaphe a été érigé au carrefour où Josip Simčić et sa fille Vinka furent pendus. Toutes les ruines ont été préservées afin que les générations futures prennent connaissance de cette barbarie et que de tels faits ne se produisent plus jamais. Le village de Lipa se souvient. Cela devrait être le cas partout ailleurs.

Kvartika's house

La maison de Kvartika est devenue un mémorial et un ossuaire. Crédit photo: Marinella Matejcic