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Quand un politicien français et une Miss RDC se font reprendre par Internet sur la colonisation

mardi 6 septembre 2016 à 17:27
Dorcas Dienda et François Fillon

Dorcas Dienda et François Fillon

François Fillon et Dorcas Dienda ont peu de choses en commun. Mais l'ancien premier ministre français et candidat probable aux élections présidentielles de 2017 et la candidate aux élections de Miss RDC (République Démocratique du Congo) ont dû faire face à quelques jours d'intervalles à l'opprobre des internautes africains quant à leurs propos sur la colonisation par la France d'une partie de l'Afrique.

Pour rappel, M. Fillon qui est entré en campagne pour les primaires à droite, a déclaré à Sablé-sur-Sarthe le 30 Août 2016 que la France n'était “pas coupable d'avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d'Afrique” à propos de la colonisation. La déclaration de Fillon s'est faite dans le contexte de la présentation de son projet de refonte des programmes scolaires et de l'importance de réapprendre la fierté pour la France à l'école. La phrase n'est pas passé inaperçue sur les réseaux sociaux.  Un hashtag #partagedecultureinFrench a été largement utilisé sur Twitter et Facebook pour rallier les propos du candidat aux élections présidentielles et lui faire un rappel de ce que signifie la période coloniale pour les pays concernés:

L'opinion de M. Fillon n'est pas sans rappeler la loi de 2005 qui avait instauré la notion de « rôle positif » de la colonisation. L'historien martiniquais Gilbert Pago explique comment l'élite française peut aussi facilement occulter toute une partie de son histoire:

Nous sommes dans un moment pénible des montées des chauvinismes nationalistes, des poussées populistes du rejet de l’autre, des affirmations de sectarisme racialiste, des replis identitaires ; tout ceci accompagnant la crise mondiale. Mais nous devons nous interroger sur l’esprit de fermeture de dirigeants politiques qui voudraient électoralement surfer sur ce qui est une régression du vivre ensemble. Pour que la France avance, pour que l’Europe aille de l’avant, pour que l’humanité entière se propulse et pour que nous Antillais nous progressions, il faut refuser le « négationnisme » de l’histoire du monde, c’est à dire de notre histoire à toutes et à tous. Il faut tant du côté des descendants des vainqueurs que du côté des descendants des vaincus. [Il ajoute] Ce n'était pas un partage de culture, c'était un choc, un trauma quant à la conquête de richesses, de marchés et de main d’œuvre et de destruction d'êtres humains, de civilisations et de biens matériels.

Alain Manbackou avait déjà déclaré en 2007 que de toute façon:

Après un demi-siècle de décolonisation formelle, les jeunes générations ont appris que de la France, tout comme des autres puissances mondiales, il ne faut pas attendre grand-chose. Les Africains se sauveront eux-mêmes ou ils périront. Pour l’heure, et s’agissant de l’Afrique, il manque tout simplement à la France le crédit moral qui lui permettrait de parler avec certitude et autorité.

Pour Dorcas Dienda, la jeune candidate aux élections, la question de la période coloniale est venu de manière différente.  Pendant l'émission télévisé Miss RDC 2016 du 30 Aout, la question du “branding made in Congo” versus le branding occidental lui a été posé par la présentatrice de l'émission. Dienda explique alors que ” l'homme blanc est plus intelligent que l'homme noir“. Voici un extrait de l'émission:

 

Les réactions ne se font pas attendre et provoqent un tollé sur la toile congolaise. De nombreux internautes fustigent Dienda et exigent des explications, ce que Dienda s'empresse de faire via une vidéo sur YouTube:

Mais c'est bien trop tard. Voici quelques réactions, notamment du rapper congolais Alesh:

Ce n'est pas la première fois que l'histoire de l'Afrique met dans l'embarras des personnalités publiques. Le fameux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en 2007 déclarant que l'homme africain “n‘est pas rentré dans l'histoire” est encore dans bien des mémoires.

La solution se trouve sans doute dans une meilleure connaissance de cette histoire, des résistances des peuples contre l'oppression de toutes formes et sous toutes les latitudes.

La communauté méconnue des Vietnamiens de Slovaquie

mardi 6 septembre 2016 à 03:13
Bratislava, the capital of Slovakia. Photo from Facebook page of Loa

Bratislava, la capitale de la Slovaquie. Photo de la page Facebook de Loa.

Bratislava, la capitale de la Slovaquie, se situe à seulement à une heure et demie de bus de Vienne en Autriche. C'est un petit pays d'Europe de l'Est qui compte cinq millions et demi d'habitants et dont seulement un pour cent sont nés à l'étranger. Ce pays abrite environ 5 000 Vietnamiens dont la majorité réside dans la capitale.

Un court trajet en voiture à travers Bratislava et on arrive dans un quartier qui abrite un grand nombre des Vietnamiens de la ville. Ici, le restaurant Hanoi Garden est considéré par beaucoup comme le meilleur restaurant vietnamien de Bratislava.

C'est là que nous rencontrons Nguyễn Kiên Trung. Trung est venu en Slovaquie alors qu'il avait 10 ans. Avec sa mère, il est très impliqué dans la communauté vietnamienne qui accueille de nombreux événements et qui prend une part active dans la préservation des traditions vietnamiennes.  Trung explique :

Je pense qu'ils proposent des activités très régulièrement. Lors des grandes fêtes comme Tet ou Noël. Je pense que c'est bon pour la communauté. Je sais que la communauté de Košice, dans l'est du pays, organise aussi régulièrement des événements.

Bratislava, the capital of Slovakia. Photo from Facebook page of Loa

Bratislava, la capitale de la Slovaquie. Photo de la page Facebook de Loa.

Hanoi Garden est relié à un bâtiment qui a une grande importance dans le parcours de la communauté vietnamienne. Miroslava Hlinčíková est scientifique et chercheur à l'Institut d'ethnologie de l'Académie slovaque des sciences. Lors de ses recherches sur la communauté vietnamienne, elle a découvert que l'histoire du bâtiment et du quartier, connu sous le nom de « Dimitrovka » à Bratislava, remonte loin. Hlinčíková explique :

Dimitrovka est une sorte de cité-dortoir où beaucoup de familles vietnamiennes vivent dans des logements loués. C'est un quartier de Bratislava où se trouvait l'ancienne usine de produits chimiques sous le communisme et beaucoup de travailleurs vietnamiens venaient là. Mais après la révolution, cette usine de produits chimiques a fermé. Mais beaucoup de Vietnamiens sont restés. Et un des entrepreneurs vietnamiens a acheté ce logement. Il l'a remeublé, rénové, et maintenant beaucoup de familles vivent dans ce quartier. Il y a des espaces de stockage, un coiffeur, une agence de voyages. C'est un peu le centre de la communauté vietnamienne.

Le pays lui-même est très jeune. De 1948 à 1989, la Slovaquie faisait partie de la Tchécoslovaquie. La Tchécoslovaquie communiste faisait partie du bloc soviétique et c'est pendant cette période que des programmes d'échanges ont été établis avec le Vietnam communiste, déclare Hlinčíková.

Les Vietnamiens sont venus en Tchécoslovaquie dans les années 70. Il y avait des accords inter-gouvernementaux et un peu de soutien était offert aux Vietnamiens qui venaient ici. Ils venaient comme étudiants, principalement dans les universités, mais aussi pour l'enseignement secondaire et comme travailleurs dans les usines.

La communauté qui a prospéré rassemblait principalement des travailleurs immigrés et des étudiants, ceux qui cherchaient des débouchés qu'ils ne trouvaient pas au Vietnam. Les parents de Trung sont venus en Slovaquie lorsque le pays faisait encore partie de la Tchécoslovaquie, leur parcours n'était pas très différent des autres. Trung dit que

La plupart des gens ici sont des migrants économiques, ou d'anciens étudiants ou d'anciens travailleurs des programmes d'échange. Ma famille est venue ici puis elle a aidé d'autres membres de la famille au Vietnam à venir ici. La vie est meilleure ici qu'au Vietnam.

Bratislava, capital of Slovakia. Photo from the Facebook page of Loa

Bratislava, capitale de la Slovaquie. Photo de la page Facebook de Loa.

En 1989, la Révolution de Velours, un mouvement pacifique, vit la dissolution de l'État communiste de Tchécoslovaquie et la naissance de la Slovaquie et de la République tchèque d'aujourd'hui. Les immigrants vietnamiens qui sont venus en Europe de l'Est grâce aux programmes d'échange entre les deux Etats communistes étaient déjà installés et ont aidé d'autres à immigrer. Hlinčíková appelle cela une sorte de « réseau d'immigration ».

Les liens familiaux ont amené les immigrants vietnamiens en Slovaquie, cependant, ce sont les liens étroits avec leur pays d'origine qui unissent les membres de la communauté. Trung dit que la communauté s'est mobilisée autour d'enjeux tels que la revendication de la Chine sur les îles Spratley et Paracels et les crises humanitaires.

Il y a deux ans, lorsque les Chinois ont pris les îles, il y a eu une manifestation ici. C'était probablement le plus grand événement politique de toute l'histoire de la communauté vietnamienne ici. C'était très important. Il a été initié par les ambassades vietnamiennes partout dans le monde, pour que les communautés aillent manifester devant les ambassades chinoises. Nous avons toujours ce lien avec notre pays d'origine. Chaque année nous envoyons de l'argent pour les victimes des inondations. Chaque année nous ramassons de l'argent. Tout le monde donne quelque chose.

Bratislava, capital of Slovakia. Photo from the Facebook page of Loa

Bratislava, capitale de la Slovaquie. Photo de la page Facebook de Loa.

Malgré l'unité au sein de la communauté vietnamienne, il reste encore des difficultés. Sa représentation dans la société slovaque est limitée et l'acceptation par la population locale est un problème important.

Et bien que beaucoup de Vietnamiens travaillent dans des usines slovaques ou gèrent des entreprises, ils ont du mal à obtenir la reconnaissance de l'Etat slovaque, c'est-à-dire une reconnaissance légale et sociale ainsi qu'une représentation politique. Hlinčíková dit que l'identité vietnamienne est visible, et cependant invisible.

Alors que beaucoup de pays européens peinent à faire face à la vague croissante d'immigrés et de réfugiés du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, la Slovaquie fait difficilement face aux besoins de sa modeste population d'immigrés.

Même à Bratislava où réside la majorité des Vietnamiens, beaucoup passent inaperçus.

Bien que plus de Vietnamiens vivent dans ces quartiers, la municipalité n'en tient pas compte. On ne leur demande pas ce dont ils ont besoin et ce qu'on peut faire pour eux. La Slovaquie n'est pas vraiment multiculturelle sur ce point. Elle ne reconnait pas les besoins des minorités, des immigrants.

A Vietnamese shop in Bratislava. Photo from the Facebook page of Loa

Un magasin vietnamien à Bratislava. Photo de la page Facebook de Loa.

Pourtant, il y a de l'espoir pour l'avenir. À mesure que la communauté s'organise, la pression pour une reconnaissance formelle augmente.

Il y a déjà trois principales ONG officielles qui sont gérées par des Vietnamiens. Il y a la Chambre de commerce slovaquo-vietnamienne, la Communauté vietnamienne en Slovaquie, et l'Union des femmes vietnamiennes. Elles ont déjà présenté des demandes de subvention. L'année dernière, l'Union des femmes vietnamiennes a suivi le processus de budget participatif à Bratislava avec succès et a reçu de l'argent pour donner des cours de vietnamien et de slovaque.

Près de 50 ans après l'arrivée des premiers immigrants vietnamiens en Europe de l'Est, l'acceptation et la reconnaissance sont toujours imperceptibles. Cependant, les milliers de Vietnamiens qui se sont installés en Slovaquie sont chez eux. Dans un pays qui n'est pas habitué aux étrangers, ils se sont construit une existence, unis par l'amour de leur pays d'origine, œuvrant lentement pour que leur communauté invisible devienne visible.

Écoutez d'autres récits de Vietnamiens en Slovaquie :

Cet article édité par Nam-An Đinh est paru sur Loa, un site d'information indépendant qui diffuse des reportages sur le Vietnam en podcast. Il est reproduit sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Que se passe-t-il donc au Gabon ?

lundi 5 septembre 2016 à 19:20
Screen capture of video of conflict between police and protesters after the elections via France 24

Capture d'écran de France 24 des heurts entre policiers et manifestants après les élections

L'élection présidentielle a eu lieu le 27 août 2016 au Gabon. Le 31 août, le président sortant Ali Bongo Ondimba et son principal adversaire, Jean Ping, se sont tous deux proclamés élus. Les résultats officiels ont toutefois déclaré Ali Bongo Ondimba gagnant avec un total de 177.722 voix, tandis que Jean Ping et son parti politique,  le Front uni de l'opposition pour l'alternance, ont recueilli 172.128 voix.

A la nouvelle, l'opposition est aussitôt massivement descendue dans la rue, et les heurts entre policiers et manifestants auraient fait au moins cinq morts. En outre, 200 magasins ont été saccagés et le bâtiment de l'Assemblée Nationale incendié :

L'Assemblée Nationale gabonaise incendiée aussitôt après ce que beaucoup qualifient de résultat électoral truqué

Gabon2016 Emeutes EN CE MOMENT Appels AU SECOURS

Les principaux protagonistes et les accusations de fraude

Ali Bongo Ondimba versus Jean Ping via wikipedia

Ali Bongo Ondimba et Jean Ping via wikipedia

Ce n'est pas la première élection fortement contestée au Gabon. Le président sortant, Ali Bongo Ondimba, est le fils du despote Omar Bongo, qui a présidé le pays de 1967 jusqu'à sa mort en 2009. Pendant la présidence de son père, Ali Bongo Ondimba a été ministre des affaires étrangères (1989 – 1991) et de la défense (1999 – 2009). Il était aussi le candidat du Parti démocratique gabonais (PDG) à l'élection présidentielle d'août 2009, que selon les résultats officiels il a remportée avec 42 % des suffrages. Un de ses rivaux, André Mba Obame, a affirmé que les élections étaient entachées de fraudes et ses partisans ont manifesté en grand nombre dans les rues de Port-Gentil.

Des accusations similaires sont à présent émises par Jean Ping, qui a derrière lui une longue carrière diplomatique et politique. Pendant sa présidence de la Commission de l'Union Africaine de 2008 à 2012, M. Ping a souvent eu à s'impliquer dans la résolution de crises électorales : à Madagascar en 2009 et en Côte d'Ivoire en 2010. Ironie de l'histoire, c'est maintenant dans son propre pays qu'il est pris dans une tourmente politique et devra mettre en œuvre pour son propre intérêt ses talents de négociateur.

Alioune Tine, directeur d’Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et Centrale, a expliqué ce qui est en jeu au Gabon :

Si vous multipliez les obstacles pour arriver à des élections transparentes et à une alternance pacifique, forcément vous aboutissez à des situations de cette nature. En Afrique centrale, on n’a pas l’impression que les gens veulent quitter le pouvoir. Surtout quand il s’agit d’une famille qui y est restée très longtemps. Il faut une équité dans la gestion des ressources. Il ne faut pas que ce soit un groupe, un clan ou une famille qui gardent tout. Les autres vont demander d’une façon ou d’une autre leur part du gâteau. Soit vous changez pacifiquement par des élections transparentes dont les résultats sont acceptés, et si vous ne le faites pas, vous ne pouvez espérer bénéficier d’une stabilité dans la durée. Il faut créer de véritables forces républicaines qui ne sont pas là pour défendre un régime. Nous avons demandé aux forces de sécurité gabonaises et aux autorités en place d’arrêter l’usage excessif de la force. Les gens doivent pouvoir exprimer leur mécontentement pacifiquement, sans avoir peur pour leur vie. Sans avoir peur pour leur intégrité physique.

Internet coupé

A part les allégations de fraude et les manifestations de rue, le Gabon s'est métamorphosé entre les élections de 2009 et 2016. Pour commencer, la société civile gabonaise a beaucoup avancé dans son organisation et sa mise en réseau. Dès l'apparition des allégations de fraude, les associations locales ont été nombreuses à pouvoir vérifier et fournir des preuves de malversations lorsque c'était le cas, d'où la phase suivante dans la crise gabonaise qui dénote les mauvaises intentions potentiellement à l'œuvre dans l'actuel pouvoir : la censure de l'internet.

Le tweet ci-dessous illustre sans grand doute que le gouvernement a délibérément coupé l'internet à la veille de la publication des résultats électoraux au Gabon :

La coupure de l'Internet au Gabon a débuté mercredi soir

Julie Owono, auteur pour Global Voices et directrice du bureau Afrique à Internet sans Frontières, explique ce qui est censuré et comment l'information circule malgré tout :

Des coupures nettes d'internet se sont produites  le 29, le 30 août et celle du 1er septembre. Nous avons été en contact avec des organisations de la société civile pour leur transmettre des outils qui permettent de contourner cette censure. Nous collaborons avec de nombreuses organisations internationales qui ont mis en place des tutoriels très simples pour mettre en place ces outils. Donc ça fonctionne quand même. Malheureusement, ce n'est pas toute la population gabonaise qui peut les utiliser. Ce sont seulement des comptes (des internautes, ndlr) qui ont un peu plus de connaissances technologiques, techniques, qui sont catalyseurs de tous les contenus qui sortent du Gabon. Donc aujourd'hui, c'est avec ces comptes-là que nous sommes en communication

Les heurts se poursuivent dans certaines villes, et le pays semble enlisé pour quelque temps dans une impasse politique.

Samad Behrangi, l'écrivain qui a inspiré d'innombrables révolutionnaires Iraniens

lundi 5 septembre 2016 à 04:40
Iranian_Writer_Samad_Behrangi

Samad Behrangi, né le 4 juin 1939, et mort le 31 août 1967. Photo: Alchetron Encyclopedia.

Le 31 août marque le 49ème anniversaire de la mort de l'écrivain iranien Azéri Samad Behrangi. Même aujourd'hui, presque un demi siècle après sa mort, les mots et les idées de Behrangi sont cités par des prisonniers politiques et des activistes Iraniens qui continuent de combattre la censure, la pauvreté et les injustices dans leur pays. Bien que sa vie ait été courte, l'héritage de Behrangi inspire encore aujourd'hui des écrivains venant d'univers différents.

Behrangi est né dans une ville du Nord, Tabriz, d'une famille azérie turque (une des plus importantes minorités en Iran). Behrangi est devenu instituteur à l'âge de 18 ans, et commença sa carrière en enseignant dans des villages ruraux de l'Azerbaïdjan iranien. Les conditions terribles dans ces écoles et le manque de ressources pour ses élèves n'ont pas seulement radicalisé Behrangi mais lui ont aussi donné la passion d'aller plus loin.

Behrangi est peut-être plus connu pour ses nouvelles, Mahi Siayeh Kochooloo, ou Le Petit Poisson Noir, qui suit le voyage d'un petit poisson d'une petite rivière vers le vaste océan. L'histoire se lit comme un conte pour enfant mais explore l'intersection de l'arrivée dans l'âge adulte et du développement de la conscience politique et sociale. Le protagoniste de l'histoire est face à un désir constant d'explorer la vie hors de la seule rivière et de comprendre si une autre vie est possible. Le Shah d'Iran a plus tard interdit l'histoire.

The original book cover for Little Black Fish published in 1967. The illustrations by Farshid Mesghali won several awards including the Hans Christian Andersen Award in 1974. Image from Wikipedia commons.

La couverture originale du Petit Poisson Noir publié en 1967. Les illustrations de Farshid Meshgali ont gagné plusieurs récompenses dont “the Hans Christian Andersen Award” en 1974. Image: Wikipedia.

Insatisfait du matériel pédagogique fourni dans les écoles rurales, Behrangi a essayé de créer son propre matériel d'enseignement, dont le but était de mieux refléter la réalité familière aux enfants des campagnes. Le gouvernement du Shah a interdit la publication de ces manuels.  Durant sa vie, Behrangi a fait face à des suspensions et des menaces en tant qu'enseignant à cause des ses idées politiques.

Behrangi préférait écrire en azéri. Il a écrit des essais critiques sur le système d'éducation iranien, des contes populaires, des nouvelles et a traduit en azéri les travaux de poètes et écrivains iraniens. Il a aussi tenté de collecter oralement et de mettre par écrit une série de contes populaires azéris et des histoires pour enfants, mais on lui refusa les droits de publication dans sa langue natale.

Behrangi était un marxiste, un professeur passionné, un critique social, un écrivain créatif et surtout un penseur qui s'emparait de ce qui était à sa portée, dont une monarchie décadente qui épousa la modernisation mais qui fit peu pour soulager les maux des classes défavorisées de l'Iran. Ce mécontentement grandissant s'est répandu parmi les classes éduquées de la société, et toucha ces jeunes Iraniens comme Behrangi qui souhaitaient un changement radical.

Un de ses livres les plus connus (et mon préféré) est Kachale Kaftarbaz ou “Baldy le gardien des pigeons” (raconté oralement dans la vidéo ci-dessous). Le conte tourne autour de Kachal (Baldy) et de sa lutte contre un roi tyrannique. Le protagoniste, qui est chauve, pauvre et modeste, ne poursuit pas la richesse ni le pouvoir. Kachal prend position contre la violente oppression du roi, en conduisant sa simple et honnête vie. Avec une amusante espièglerie, il utilise aussi ses pigeons pour faire tomber des crottes sur la tête des soldats du roi – un drôle et subtil hommage à la légitimité des luttes armées contre la dictature.

Cette histoire, comme beaucoup de contes de Behrangi, allie l'humour à une analyse sombre de la société, et  à une analyse subtile de l'inégalité, de l'usage de la terre et des droits des femmes. Son écriture est aussi unique parce qu'elle adopte un style classique tout en évitant l'évasion par le merveilleux propre à ce genre, et en retenant plutôt la justice sociale comme morale de l'histoire, même aux dépens du bonheur personnel et de la sécurité.

Le style d'écriture de Behrangi rappelle celui de Miguel de Cervantes, dans sa capacité à mêler l'absurde et des éléments fantastiques à une critique de la société et de l'immobilisme ne disant pas son nom. Comme Cervantes, Behrangi utilise l'humour et l'ironie dans ces histoires qui semblent inoffensives pour présenter une critique acérée de la vie sous le Shah d'Iran. Avec les mots, Behrangi espérait armer ceux qui étaient les plus affectés par la pauvreté et l'inégalité en Iran.

Behrangi se démarque non seulement par ses idées politiques et son imagination, mais aussi par sa démarche et son style d'écriture, accessible aux masses. Ses idées et sa prose étaient présentées de façon à refléter le discours commun. Ses histoires parlaient de la dure réalité de la vie dans un monde inégalitaire. Elles étaient faites pour donner une orientation et une prise de conscience aux jeunes enfants et une direction pour surmonter les maux auxquels ils étaient confrontés.

Behrangi a cherché à rompre avec la narration traditionnelle des livres pour enfants, et a donné des indications sur les moyens de parvenir à changer la société.

Il n'est plus temps de limiter la littérature pour enfants aux arides et autoritaires conseils et instructions, comme “lave tes mais, tes pieds et ton corps”, “obéis à maman et papa et aux aînés”… Ne devons-nous pas dire à l'enfant que dans son pays il y a des garçons et des filles qui n'ont jamais vu un bout de viande dans leur assiette ? Ne devons-nous pas dire à l'enfant que plus de la moitié de la population mondiale a faim, et pourquoi ils ont faim, et comment la faim pourrait diminuer ?

Ce qui a cimenté le statut de Behrangi parmi les figures mythiques de l'Iran durant la période précédent la révolution de 1979 fut sa mort soudaine et mystérieuse. Les rapports indiquent que Behrangi s'est noyé dans la rivière Aras le 31 août 1967. A ce moment là, beaucoup ont pensé que sa mort n'était pas accidentelle et une théorie répandue retient que son meurtre a été organisé par la police secrète du Shah, le SAVAK. D'autres ont déclaré que sa noyade était simplement un accident.

Sa mort non naturelle et ses idéaux politiques ont élevé son statut à celui de martyr, rejoignant d'autres activistes et penseurs notables qui sont morts sous de mystérieuses circonstances dans la même région comme Ali Shariati, Gholamreza Takhti, et Forough Farrokhzad. Sa figure deviendra un symbole de résistance au régime et ses écrits vont stimuler et instruire toute une génération.

(Photo source - Alchetron encyclopedia)

Manifestants Iraniens brandissant un portrait de Samad Behrangi. Date inconnue. Photo: Alchetron Encyclopedia.

En moins d'une décennie après sa mort, les jeunes Iraniens ont organisé et mené un mouvement national contre le Shah qui deviendra la révolution la plus populaire des temps modernes. Cela engloba un fort élément gauchiste, qui prit son inspiration chez Behrangi, parmi d'autres penseurs et intellectuels majeurs.

Les mots et le message de Behrangi sont restés aussi riches et puissants aujourd'hui. Pour l'anniversaire de sa mort, on peut une fois encore méditer sur les lignes qu'il nous a laissé dans le Petit Poisson Noir :

Je peux faire face à la mort n'importe quand maintenant ! Mais je devrais essayer de ne pas me mettre en danger aussi longtemps que je peux vivre. Bien-sûr, ce n'est pas important si je meurs, parce que cela arrivera de toute manière. Je connais mon but, mon but est : quel effet auront ma vie ou ma mort sur la vie des autres?

Super Mario et le Premier ministre Abe invitent le monde aux Jeux de Tokyo 2020

samedi 3 septembre 2016 à 14:16

[Tous les liens sont en anglais, sauf mention contraire]

A l’occasion de la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques de Rio 2016, le 21 août dernier, le Japon a pu présenter les prochains Jeux d’été, prévus à Tokyo, en 2020.

Le Japon a ainsi démontré son “soft power”, notamment lors d’une séquence où le personnage de Nintendo, Mario [français], voyage à travers une canalisation verte, du centre de la Terre jusqu’à Rio. Durant un bref moment, Mario est apparu devant les spectateurs, avant de se transformer en Premier Ministre, Abe Shinzo, qui a invité le monde à venir aux Jeux Olympiques de Tokyo, en 2020 :

Voici “Abe Mario.”

De nombreux Japonais de Twitter se sont réjouis de cette apparition :

J’ai vu l’entrée “d’Abe Mario” lors de la cérémonie de clôture, j’étais impressionné, mais j’ai également pensé « n’a-t-il pas l’air un peu idiot ? »

Shinzo Abe soit un homme politique populaire au Japon, comme l’a illustré sa récente élection et sa « supermajorité » dans la chambre haute du Parlement bicaméral du Japon, mais son intention de modifier la Constitution soulève des inquiétudes.

Abe pourrait perdre sa popularité, alors que l’économie continue de battre de l’aile après plusieurs années d'« Abenomics ».L’engouement pour la vidéo de promotion des JO 2020 et “d’Abe Mario” doit donc être le bienvenu pour le Premier ministre.

Un grand nombre d’utilisateurs de Twitter ont été impressionnés par le spectacle :

Ce qui m’a le plus impressionné est la façon dont les cubes ont créé le logo de Tokyo 2020, puis comment ils ont représenté les immeubles de la capitale.

Je viens de voir la partie japonaise de la cérémonie de clôture de Rio : elle a totalement capturé l’esprit de la culture « otaku » japonaise. Ils ont même inclus tous les petits détails.

La vidéo Tokyo 2020 diffusée lors de la cérémonie de clôture des JO de Rio a également permis à quelques utilisateurs de Twitter de s’extasier sur le côté « unique » de la culture japonaise face à d’autres cultures :

L’une des caractéristiques de la culture japonaise est l’obsession du moindre détail, souvent portée à un degré extrême. Partout ailleurs dans le monde, personne ne prête attention aux détails (comme nous le faisons), surtout à ce que les gens ne voient ou ne remarquent jamais.

Voici une particularité dont tous les Japonais peuvent être fiers.

Outre ‘Abe Mario’, des œufs de Pâques et d’autres détails cachés ont interpellé les téléspectateurs observateurs :

La cérémonie de clôture a rendu hommage aux Jeux Olympiques de 1964, à Tokyo.

Le Premier Ministre Abe porte la même montre Omega vendue initialement en 1964, lorsque la marque sponsorisa les premiers JO de Tokyo. Je me demande si la montre d’Abe est à la même date et heure que celle de 1964.

Cette attention portée aux détails est l’une des choses que j’apprécie au Japon.

Quel est le rapport avec la lycéenne ?

Quelques-uns, néanmoins, ont été troublés par le choix d’inclure l’image d’une lycéenne en uniforme (女子高生, joshikosei, alias “JK”) dans la vidéo de promotion.

jk shibuya

Screencap of Tokyo 2020 Olympics promotional video. Image widely shared on social media.

Katsube Genki [japonais] a écrit à Joshi SPA [japonais], un tabloïd hebdomadaire destiné aux jeunes femmes :

 映像に登場する女子高校生は、現役女子高校生の体操選手とのことですが、他のアスリートが全員競技中のユニフォームに身をまとっている中、なぜ冒頭の彼女一人だけがわざわざ制服姿にさせられているのでしょうか? 東京五輪に挑戦する未来の若者を表現したかったというのなら、なぜ制服姿の男子高校生も合わせて起用しなかったのでしょうか?

La lycéenne qui apparaît dans la vidéo se présente ensuite en tant qu’athlète, pourquoi est-elle la seule sportive à porter un uniforme d’écolière ? S’ils veulent montrer la jeunesse, qui représente les futurs athlètes (qui seront présents aux Jeux Olympiques 2020), pourquoi n’ont-ils pas aussi montré des garçons habillés d’un uniforme d’écolier ?

Dans l’article de Joshi SPA, Katsube a ensuite répondu à sa propre question:

[…] 「制服JKを性的アイコンにしています~!」と世界に向けて堂々とアピールやらかしました

Les organisateurs de Tokyo 2020 veulent transformer un uniforme en icône sexuelle pour promouvoir les JO au monde entier.

L’uniforme, affirme Katsube, a une histoire assez sordide au Japon:

実際に、昔は援助交際やブルセラで、近年はJKビジネスと、制服が性的アイコンとして消費され、国連からも未成年女子の買春・人身売買が盛んな国として認定を受けるような状態です。

Par le passé, l’uniforme d’écolière constituait un symbole de rendez-vous rémunéré [français] (援助交際, enjo kosai), tandis que le port de collants (burusera) revêt une forte connotation sexuelle, qui a depuis été abandonné, suite aux critiques émises par les Nations Unies concernant la prostitution infantile et le trafic d'êtres humains.

D’autres internautes ont simplement célébré le fait qu’un des plus prometteurs athlètes ait été mis en avant :

L’athlète lycéenne qui a donné le coup d’envoi de la vidéo 2020 est Dobashi Koko et a 16 ans.

Elle souhaite participer aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Elle ne figure pas dans la vidéo de promotion par hasard – elle a de nombreux rêves pour l’avenir.

Le Premier Ministre Abe aurait dû être mangé par une plante piranha »

L’opposition politique n’a pas été impressionnée par la ‘démagogie’ du Premier Ministre Abe lors du clip Tokyo 2020.

Fujioka Yoshihide, un communiste de l’assemblée préfectorale de Nagano, s’est mis dans une situation délicate pour avoir critiqué sur Twitter l’apparition d’Abe.

Bien qu’il ait rapidement supprimé son tweet, une capture d’écran de sa remarque offensante a néanmoins été faite :

(Capture d’écran du tweet supprimé): “Abe aurait dû être mangé par une plante piranha dès qu’il est sorti du tuyau vert. Tout allait pourtant si bien jusque là ».

Kazuo Shi, le leader du Parti Communiste Japonais, s’est montré plus mesuré dans ses propos :

La Charte Olympique dit : “Les Jeux Olympiques sont une compétition entre des athlètes ou des équipes, et non entre des pays”. De nombreuses scènes émouvantes ont émaillé les Jeux de Rio, grâce à la force individuelle des sportifs, leurs compétences et leur passion évidente au cours de ces Jeux, faisant de cette épreuve une véritable « compétition entre athlètes ». J’espère que le même état d’esprit prévaudra à Tokyo, en 2020.

L’image des Jeux a généré quelques conversations enjouées sur Twitter.

La canalisation verte partant de Rio pourrait, selon toute vraisemblance, déboucher dans le centre de Tokyo….

Voici la vraie “canalisation Abe Mario” – la mystérieuse “chose verte” face à la station Ikebukuro.