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La Turquie d'Erdogan supprime l'enseignement de la théorie de l'évolution à l'école

jeudi 6 juillet 2017 à 22:41

Photographie de Recep Tayyip Erdogan prise sur r4bia.com. Licence Creative Commons.

Sauf mention contraire, les liens de cet article envoient vers des pages en anglais.

Bien que les précédentes réformes de l'éducation menées par le parti conservateur AKP (Parti de la justice et du développement) aient semblé indiquer plus d'inclusivité, les mesures actuelles prennent une direction beaucoup plus dérangeante.

Non content d'avoir renvoyé environ 45.000 membres du personnel du Ministère de l'éducation à la suite du coup avorté de juillet dernier, le parti au pouvoir cherche maintenant à faire tomber Darwin.

Le mois dernier, le gouvernement a annoncé que la théorie de l'évolution serait supprimée [fr] des programmes scolaires turcs jusqu'à l'université.

Cette annonce s'ajoute aux preuves citées par les laïcs inquiets suggérant que le système éducatif turc est en train d'être remodelé pour s'aligner sur la volonté du président Erdogan d'élever « des générations pieuses » et de construire une « nouvelle Turquie ».

Les efforts menés pour réorganiser les programmes scolaires du pays suivant une ligne plus religieuse ne sont cependant pas nouveau et datent d'au moins février 2012.

En revanche, ce qui a changé depuis est la position apparemment inattaquable du président Erdogan après la tentative de coup d'état et le referendum.

« Nouvelle Turquie »

Malgré sa majorité désormais réduite et la polarisation croissante de l'électorat turc, ou peut-être à cause d'elles, l'AKP fait avancer son agenda plus agressivement que jamais.

Les réformes de l'éducation vont également ancrer la version du gouvernement du coup d'état de 2016 dans les programmes et réduire le volume horaire dédié au fondateur de la Turquie moderne Kemal Atatürk.

L'inscription forcée d'élèves d'école primaire dans les écoles religieuses d'état controversées [les lycées imam-hatip, dédiés à la formation des personnels religieux, NdT] est une autre particularité de ce nouvel agenda sur l'éducation.

En 2010, le gouvernement de l'AKP avait été félicité par à la fois les libéraux et les conservateurs pour la levée de l'interdiction du port du voile dans les universités. Cette décision avait permis aux femmes issues de familles musulmanes pratiquantes de recevoir une éducation supérieure.

Les écoles imam hatip, elles, ont essuyé des critiques car elles découragent les jeunes filles de poursuivre leur éducation. Les laïcs voient dans le rôle grandissant de ces écoles dans le système éducatif turc un autre signe de la tentative de refonte du pays par l'AKP à sa propre image, traditionnelle.

Une menace qui évolue

D'après le responsable des programmes scolaires pour le Ministère de l'éducation turc, l'enseignement de l'évolution dans les écoles est « controversé ». Mais les opposants à cette mesure se sont rapidement rangés du côté de la science.

Ils ont supprimé l'évolution du programme, les cours de biologie ont été réduits de 33 % alors que les cours de religion ont été augmentés de 100 %. Si Dieu le veut nous allons bientôt être en avance sur l'Iran.

Ils suppriment les cours de théorie de l'évolution. Je ne me demande pas ce qu'ils vont enseigner à nos enfants.

Il n'y aura plus de cours sur l'évolution. Mais il va y avoir des cours sur le droit pénal de la Sharia et la religion. C'est ce que veut dire « Nouvelle Turquie ».

Classe de biologie, premier cours, premier transparent : l'évolution est un fait et ne peut pas être contestée. Ça fait 29 ans que je m'en souviens. Le professeur avait raison.

Les réactions internationales sont également critiques :

Erdogan continue de changer l'identité de la Turquie en effaçant l'évolution de l'éducation du pays.

L'interdiction de l'enseignement de l'évolution ne s'applique pour le moment qu'aux écoles, mais beaucoup craignent que les universités soient également visées par un remaniement gouvernemental majeur. Des milliers d'universitaires ont perdu leur emploi après le coup militaire, et 15 des 180 universités du pays ont été fermées.

Grâce à ‘En Mi Idioma’, les Colombiens diffusent leurs langues et cultures sur Internet

jeudi 6 juillet 2017 à 22:32

Capture d'écran de la vidéo de Ramiro Epiayu Morales “Süchikua Woumain – Ruta de la Memoria Oral e intangible del Pueblo Wayuu”. Téléchargée sur En Mi Idioma et disponible sous licence Creative Commons.

Pour les populations indigènes de Colombie, diffuser leurs connaissances dans leurs propres langues est souvent un moyen de s'assurer que la prochaine génération aura accès à d'importants éléments de leur culture. Pour faciliter cet apprentissage, six communautés ont publié des leçons de langue, des contenus multimédia et des témoignages à la première personne sur la plate-forme en ligne En Mi Idioma (Dans ma langue).

Ce projet est une initiative du Ministère des Technologies de l'information et de la communication et l'organisation non-gouvernementale colombienne Colnodo. Les communautés intéressées sont formées et peuvent, si elles le désirent, limiter la diffusion de leurs contenus aux seuls personnes possédant un compte avec mot de passe. D'autres choisissent de rendre leurs contributions disponibles au grand public, s'il souhaite en apprendre davantage sur leur langue et culture.

La plate-forme est disponible en namtrik, nasa yuwe, emberá chamí, wayuunaiki, barí, et kichwa ainsi qu'en palenquero, une langue créole basée sur l'espagnol.

Par exemple, l'introduction du site secondaire en emberá chamí explique que les contributions encourageront également le développement du système d'écriture :

…en nuestro pueblo hay discusiones sobre cómo escribir nuestro idioma, pues durante años fuimos y seguimos siendo culturas de lo oral, pero hoy como estrategia de pervivencia consideramos importante construir un código escrito. Es por esto que encontrarás diferencias en algunos textos escritos en Êbêrâ Β'e'dea, eso no te debe angustiar, por el contrario ¡anímate a enriquecer nuestro idioma con tus aportes!

… dans notre communauté, nous discutons de la façon d'écrire notre langue. Pendant de nombreuses années nous avons été et nous sommes toujours une culture basée sur la transmission orale, mais nous considérons qu'il est important de construire un système d'écriture comme stratégie de survie. C'est pour cette raison que vous trouverez quelques différences dans les textes écrits en Êbêrâ Β'e'dea (Embera Chamí), mais ceci ne devrait pas vous inquiéter, au contraire : nous vous encourageons à enrichir notre langue par vos contributions !

Certaines leçons créées par les contributeurs en emberá chamí portent sur des aliments typiques (“Chi chikorârâ”), des animaux (“Chi ânimârârâ”), des plantes (“Chi ‘Bakururâ”), le cycle de la vie (“ariwayu”), et des mots de la vie courante (“Dachi aribia bedeabari”).

Le site emberá chamí offre aussi un clavier virtuel pour aider ceux qui souhaitent écrire à insérer les caractères spécifiques à cette langue.

Capture d'écran du clavier virtuel de l'Emberá Chamí.

Comme une importante proportion de ceux qui aimeraient y accéder ne possède pas de connexion à internet fiable, En Mi Idioma est aussi disponible hors connexion. Les contenus multimédia et les leçons de langues créées par ces communautés indigènes peuvent ainsi atteindre leur audience plus facilement.

Dans un Mozambique en crise, le gouvernement approuve l'achat de voitures de luxe pour les députés

mardi 4 juillet 2017 à 15:32

Chaque voiture coûte près de 200.000 euros, soit un total de 3,35 millions d'euros. Photographie : @N93 sur Flickr, CC BY 2.0.

Sauf mention contraire, les liens de cet article envoient vers des pages en portugais.

Les finances publiques du Mozambique sont peut-être hors de contrôle, mais cela n'a pas empêché l'Assemblée de la République d'acquérir dix-sept voitures Mercedes Benz, modèle C-180, à usage des députés. Chaque voiture coûte près de 200.000 euros, ce qui représente un total de 3,35 millions d'euros.

L'acquisition a provoqué l'indignation sur les réseaux sociaux car elle est intervenue à un moment délicat pour les finances publiques du pays. L'économie mozambicaine jusque-là florissante a été sérieusement affectée en 2016, quand il est apparu que trois entreprises avaient contracté secrètement des emprunts d'une valeur de près de 1,23 milliards d'euros (équivalent à 10% du PIB du pays) auprès de banques britanniques, avec garantie étatique mais sans que l'Assemblée en ait été informée.

Maintenant, l'état peut faire l'objet d'un litige avec les fonds vautours qui possèdent les obligations, comme cela s'est produit en Argentine en 2005. Au Royaume-Uni, ce cas a ravivé le mouvement Jubilee Debt Campaign [Campagne pour l'annulation de la dette], un groupe militant britannique qui met la pression sur les créanciers afin qu'ils ne bloquent pas les renégociations des dettes des pays en voie de développement avec les banques britanniques, ce que le président mozambicain Felipe Nyusi est en train d'essayer de faire.

Tant que les négociations n'aboutissent pas, l'état est obligé de pénaliser la population pour équilibrer ses comptes à court terme : en 2016, le gouvernement a supprimé le treizième mois (le bonus de Noël) de certains fonctionnaires publics.

L'acquisition des voitures a été faite par la Commission permanente de l'Assemblée, l'organisme qui coordonne les activités de l'Assemblée, sans avoir cependant été soumise aux législateurs.

Deux jours après que la décision a été rendue publique, le porte-parole du Ministère de l'Economie et des Finances s'est adressé à la presse et a défendu le coût exorbitant des transports des députés :

É de direito que os membros da Assembleia da República sejam transportados por carros protocolares daquele nível, como acontece com os membros de outros órgãos de soberania do Estado.

Il est normal que les membres de l'Assemblée de la République se déplacent en voitures protocolaires de ce niveau, comme c'est le cas dans d'autres organes représentatifs de la souveraineté de l'état.

Manuel de Araújo, professeur universitaire et maire de la municipalité de Quelimane, a critiqué l'achat et a confirmé qu'il ne s'agit pas d'une affaire de droit mais du mauvais moment de l'acquisition, alors que la nouvelle des “prêts illégaux” des trois entreprises, comme l'appellent les mozambicains, est encore fraîche :

Não nos entendam mal, não estamos contra os Mercedes Benz que vos dão estatuto, estamos é contra o momento em que tomaram a soberana decisão de os adquirir sem olhar para o contexto em que o país se encontra por causa da vossa preguiça em fiscalizar as ações do governo! Ou seja o país está onde está em parte porque vós não fostes capazes de fiscalizar ação do governo e como se não bastasse incluíram tais dívidas [ilegais] na Conta Geral do Estado, tentando legalizá-las para que seja o pacato povo a pagar as falcatruas de uns e de outros”.

Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, nous ne sommes pas contre les Mercedes Benz que la loi leur accorde, nous sommes contre le moment où la décision souveraine de les acquérir a été prise sans voir le contexte dans lequel le pays se trouve, par paresse de votre part dans la supervision des activités du gouvernement ! En d'autres termes, si le pays en est rendu là, c'est en partie parce que vous n'avez pas été capables de superviser les actions du gouvernement qui, comme si cela ne suffisait pas, inclut ces dettes [illégales] dans les comptes de la nation, en essayant de les légaliser pour que ce soit le peuple silencieux qui paie la fraude des autres.

Beaucoup également ont souligné la situation chaotique du réseau de transports publics du pays. La demande dans les grandes villes est principalement couverte par des moyens informels et privés, des véhicules ouverts appelés “my love” [fr]. Zee Mavye, étudiant diplômé de l'Université Eduardo Mondlane, a publié sur Facebook :

Veja só como é irónico: o patrão [povo que paga imposto] está no My love às 5h apanhando banho de nevoeiro a caminho do gabinete para garantir a não falência da empresa, enquanto o empregado [deputado] ainda está dormir para depois fazer se transportar num Benz com vidros fechados quando forem 8:30 depois de um café garantido pelos impostos do patrão. Mas bem bem, estes não engasgam se ao pensar no sofrimento do povo?.

Quelle ironie : le chef [les contribuables] est en my love à cinq heures du matin où il reçoit un bain de brouillard en chemin pour le bureau afin de garantir que l'entreprise ne fasse pas faillite, alors que le travailleur [le député] continue à dormir et sera ensuite transporté dans une [Mercedes] Benz avec les fenêtres fermées à huit heures et demi après avoir pris un café garanti par les impôts du chef. Mais, bon, bon, cela ne vous étrangle pas si vous pensez à la souffrance du peuple?

Cette situation a motivé Venâncio Mondlane, député du plus petit parti en siège de l'assemblée, à faire campagne pour rejeter les voitures. Parmi les 250 députés, il est le seul à avoir affiché son indignation publiquement.

Le 15 juin par téléphone, le leader de l'opposition Afonso Dhlakama [fr] qualifiait l'achat de “lamentable” dans une conférence de presse à laquelle assistait Global Voices. Mais il ne mobilisera pas son parti pour l'annuler. “Il faut souligner que le parti du président ne donne pas l'ordre de rendre les voitures. Pourquoi ne donne-t-il pas cet ordre ? Parce que cet ordre a été donné par l'Etat, pas par nous. Les députés de Renamo [Résistance Nationale Mozambicaine, parti d'opposition, NdT] n'ont pas demandé des voitures de luxe et n'ont pas choisi la marque”, a-t-il déclaré.

Jorge Matine, chercheur au Centre d'intégrité publique, une organisation locale qui travaille pour la transparence publique, n'a pas beaucoup d'espoir de pouvoir inverser la situation : “Les fameuses Mercedes sont déjà dans les mains des leaders respectifs”, a-t-il déclaré.

Parmi les autres réactions dans les réseaux sociaux, l'analyste politique Domingos Gundana pose sa question sur Facebook :

Será que não podiam ter esperado a normalização da economia, a redução do custo de vida no bolso do cidadão, não podiam dar prioridade à materialização do dossier Paz, aprovando os instrumentos que estão em discussão [no parlamento] para depois receberem os tais Mercedes como prémio pelo trabalho feito? Nem Paz temos, nem comida temos, nem transporte público temos, nem medicamentos temos, salários sem datas fixas, crianças a sentar no chão debaixo de árvores e alguém esbanja dinheiro por algo que não é prioridade.

Vraiment, ils ne pouvaient pas attendre que l'économie revienne à la normale, que le coût de la vie diminue et corresponde enfin aux budgets des familles ? Ils ne pouvaient pas donner la priorité à la matérialisation du dossier sur la Paix [pour mettre fin au conflit latent dans le pays, NdT] pour ensuite recevoir ces Mercedes comme récompense pour le travail accompli ? Nous n'avons pas la paix, nous n'avons pas de nourriture, ni de transport public, ni de médicaments, des salaires payés sans date fixe, les enfants s'assoient sous les arbres et quelqu'un gaspille de l'argent sur quelque chose qui n'est pas prioritaire.

Bitone Viage, étudiant mozambicain diplômé en sciences politiques à l’Université fédérale de Pará au Brésil, a demandé aux membres de l'Assemblée sur Facebook qu'ils ne la considèrent pas comme une source d'enrichissement :

Prezados não façamos da Assembleia da República um grande jackpot, onde o voto popular é visto como casa de loteria. Será que há mesmo necessidade de proverem Mercedes Benz aos nossos deputados. Aliás, estes por sua vez mesmo sabendo que estamos face a uma tal propalada crise, que moral prevalecerá para aceitar os ditos Mercedes?

Ne faisons pas de l'Assemblée de la République le gros lot, où le vote populaire est vu comme une loterie. Est-il réellement nécessaire de donner des Mercedes Benz à nos députés ? Bien sûr, pour ces personnes elles-mêmes, tout en sachant qu'on est confronté à une crise si généralisée, quelle est leur morale pour accepter de telles Mercedes?

Il y a eu également des réactions sur Twitter :

Le gouvernement dépense 228 millions de meticais dans des derniers modèles Mercedes pour les députés. 😤
Avec cette crise, cet argent pourrait construire des universités. 😡

18 Mercedes, combien de pupitres d'écoles pourrait-on payer avec ça ? Ça, c'est la question que nous devrions tous nous poser.

Le blogueur vietnamien Phạm Minh Hoàng arrêté, déchu de sa nationalité et expulsé en France

mardi 4 juillet 2017 à 10:19

Phạm Minh Hoàng tient une pancarte indiquant « Je suis vietnamien ». Source : Facebook

Cet article de Lilly Nguyễn, présenté ici dans une version éditée, provient de Loa, un site d'informations et une radio en ligne mis en place par le Viet Tan afin de diffuser des nouvelles sur le Vietnam. Il est reproduit sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu. 

Le professeur Phạm Minh Hoàng a appris au début du mois de juin 2017 que le président vietnamien avait décidé de révoquer sa nationalité. Âgé de 61 ans, cet éminent blogueur détenteur de la double citoyenneté franco-vietnamienne écrit sur les droits de l'homme, la justice sociale et la corruption au Vietnam. Il est membre du parti pro-démocratie Việt Tân. La journaliste de Loa Lilly Nguyễn a pu s'entretenir avec Hoàng à Hô Chi Minh Ville avant que celui-ci ne soit arrêté et expulsé en France le 24 juin 2017.

Lilly Nguyễn : Professor Phạm Minh Hoàng, en quoi votre expulsion du Vietnam affectera-t-elle votre situation familiale ?

Phạm Minh Hoàng : Mon expulsion du Vietnam signifierait la séparation forcée de ma famille. Comme je suis citoyen français, ma fille l'est aussi. Si je suis expulsé, elle aura la possibilité de me suivre en France ou de m'y rejoindre plus tard. Mais ma femme, Lê Thị Kiều Oanh, est une citoyenne vietnamienne. Elle doit rester au pays afin de s'occuper de mon frère aîné, qui est un vétéran handicapé de la guerre du Vietnam. Il a été blessé lors de la bataille de Tống Lê Chân en 1973. Sa situation est critique, il est quasiment aveugle et sourd, et la moitié de son corps est paralysée. Il a besoin de soins constants à domicile. Par ailleurs, ma femme doit également s'occuper de sa mère, âgée de 80 ans. Cela résume la situation difficile dans laquelle je me trouve.

Lilly Nguyễn : Pourquoi le gouvernement vous considère-t-il comme une menace à la sécurité nationale ?

Phạm Minh Hoàng : J'ai été inculpé pour atteinte à la sécurité nationale en vertu de la Constitution vietnamienne, mais je n'ai pas encore été condamné. Pourtant, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères Lê Thị Thu Hằng n'a pas manqué de déclarer que j'avais porté atteinte à la sécurité nationale.

Par ailleurs, que signifie atteinte à la sécurité nationale ? De quel acte s'agit-il ? Si vous ou vos auditeurs avez suivi mon cas par le passé, vous savez que j'ai passé dix-sept mois en prison et trois ans en résidence surveillée. Depuis, je dirais que mon activisme peut être qualifié de « léger ». J'écris des billets de blog et des articles, je continue d'exprimer mon point de vue sur la démocratie, l'environnement ou la souveraineté territoriale. C'est quelque chose que tout le monde peut faire, et honnêtement, que tout le monde devrait faire : il est de notre responsabilité d'exprimer ces opinions.

A fortiori en tant que professeur, bien que je ne puisse plus enseigner, je dispose toujours de ces droits ainsi que du droit à exprimer mon opinion sur le système éducatif vietnamien. Mes actions ont été pacifiques, et je n'ai jamais tenu de propos vulgaires ou incendiaires.

J'ai donc partagé ces informations avec mes amis et ma famille, ainsi qu'avec des activistes, et tous s'accordent à dire que le gouvernement prend le Việt Tân pour cible, de la même manière que j'ai précédemment été condamné en tant que membre du Việt Tân. Après ma libération, j'ai continué à écrire, et ils ont prétendu que c'était pour le compte du Việt Tân. On peut qualifier cet acharnement à mon encontre de tentatives de dissuader et punir — ce sont leurs mots — quiconque entretient un lien avec le Việt Tân, tout en punissant l'organisation en elle-même par la même occasion.

Lilly Nguyễn : Vous avez quitté le Vietnam en 1973 avant de finalement y revenir en 2000. Pourquoi avez-vous décidé de rester au Vietnam ?

Phạm Minh Hoàng : Je pense que ma décision est normale. Chaque Vietnamien souhaite vivre sur la terre qui l'a vu naître et grandir. Comme tout le monde, je souhaite vivre ici, y travailler et même y mourir, c'est normal. Ce désir est très fort, et je pense qu'il surmontera tous les obstacles.

Pourquoi certaines personnes souhaitent-elles quitter le Vietnam ? Selon moi, ils partent à regret, car comme tout le monde, eux aussi aiment leur patrie. Je connais beaucoup de personnes qui souhaitent partir vivre à l'étranger. Je connais également beaucoup de gens qui voudraient rentrer au Vietnam, mais dont les circonstances ne le permettent pas. Cela dépeint une image très triste de notre pays. Ma décision n'est pas évidente non plus.

Lilly Nguyễn : Durant les dix-sept années passées au Vietnam depuis votre retour, avez-vous pu réaliser votre rêve de bâtir l'avenir de votre pays, au moins dans une certaine mesure ?

Phạm Minh Hoàng : Il est certain que mon rêve ne s'est pas réalisé, car notre pays fait encore face à de nombreux problèmes, entre autres sur le plan politique, environnemental et de la santé. Je ne me fais pas d'illusion, il reste beaucoup de choses à résoudre. Mon pays est en déroute, mes rêves sont donc loin d'être réalisés. En attendant, je suis fier et en paix avec moi-même. Durant mes dix années passées à enseigner à l'Université Bách Khoa, j'ai fait de mon mieux en tant que professeur, en partageant avec mes étudiants le savoir acquis à l'étranger et durant mes propres études.

Je suis fier de m'être efforcé d'enseigner en accord avec ma conscience, contrairement à mes collègues de l'époque. J'ai priorisé mes élèves avant tout, et les droits des élèves avant le reste. J'ai consacré 100% de mes efforts à leur inculquer mes connaissances. C'est ma plus grande réussite. Même si ma carrière a été interrompue, puisque j'ai été arrêté et n'ai plus eu le droit d'enseigner, j'en reste tout de même fier. Comme le dit un proverbe vietnamien, « l'homme propose, Dieu dispose ». J'ai fait de mon mieux, et les cieux décident du restent.

Lilly Nguyễn : Merci d'avoir pris le temps de vous adresser aux auditeurs de Loa. Souhaitez-vous ajouter quelque chose avant de terminer ?

Phạm Minh Hoàng : Pour conclure, je souhaite remercier tous ceux qui m'ont soutenu à travers le monde. Plus encore, certains se sont mobilisés pour contacter des diplomates afin de m'aider. Leurs efforts me font sentir que je ne suis pas seul dans cette lutte. Dans les jours à venir, je ne me sentirai pas seul. Portez-vous bien, et nous continuerons de lutter côte à côte pour la démocratie au Vietnam.

Réécoutez l'interview en intégralité sur ce podcast [en anglais] :

De fausses rumeurs sur l'effondrement d'un tunnel à Madagascar relancent le débat sur la cybercriminalité et sa répression

lundi 3 juillet 2017 à 11:54
Vue du tunnel d'Ambanidia à Antananarivo partagée sur Facebook par Caleb Landry. Utilisée avec sa permission.

Vue du tunnel d'Ambanidia à Antananarivo partagée sur Facebook par Caleb Landry. Utilisée avec sa permission.

La police de la capitale de Madagascar a arrêté un homme soupçonné de diffuser sur Facebook des “fausses nouvelles” sur l'effondrement d'un tunnel.

Un après-midi en mai, l'alarme s'est propagée à travers Antananarivo suite à la diffusion d'une information sur les médias sociaux signalant des pertes humaines dans l'effondrement du tunnel d'Ambanidia. La fausse information a devenue virale sur les médias sociaux et par le bouche à oreille, et les gens en panique téléphonaient à leurs familles et aux stations de radio.

Les véhicules d'urgence, les journalistes et les résidents de la ville se sont précipités sur les lieux, seulement pour trouver le tunnel encore debout. L'utilisateur de Facebook Rovaniaina Hasivelo Randrianarijaona a posté une vidéo en direct alors qu'il traversait le tunnel et a montré que la circulation continuait sans problème. “Tiako be ilay intox (j'ai vraiment apprécié cette blague)”, a-t-il écrit.

Jeannot Ramambazafy, journaliste et rédacteur en chef de Madagate.org, lui, ne l'a pas apprécié et il a exprimé des inquiétudes quant à la façon dont le gouvernement conduirait l'enquête:

Une question mérite, à présent, d’avoir une réponse rapide et sérieuse: QUI sont le ou les auteurs de cette désinformation? Car cela fait partie de la cybercriminalité… Son point de départ a été facebook. Est-ce que le service de la police malgache dans ce domaine, est capable se retrouver l’origine ou bien faudra-t-il encore l’expertise de “vazaha”?

La police a pu remonter à l'adresse IP à l'origine “de la fausse nouvelle” et a procédé à une arrestation dans les deux jours. La peine encourue par le suspect, le cas échéant, doit encore être déterminée.

Ramambazafy a aussi rappelé le cas de Hiary Rapanoelina, un utilisateur de Facebook d'Antananarivo qui a été condamné en février à un an de prison pour son association avec un groupe sur Facebook diffusant des rumeurs sur des personnalités publiques. Au plus fort de sa popularité, le groupe, maintenant dissout, comptait plus de 70.000 membres.

Les autorités avaient reçu des plaintes d'artistes et d'un élu à propos de contenus partagés au sein du groupe et pour lesquels Rapanoelina avait été rapidement identifié comme le créateur et l'un des administrateurs. Il a été arrêté le lendemain et condamné pour diffamation et violation du controversé article 20 de la loi n° 2014-006 visant à lutter contre les cybercrimes, qui criminalise toute “insulte ou diffamation” contre des fonctionnaires par le biais des médias électroniques.

Il n'est pas certain que le suspect de l'affaire du tunnel d'Ambanidia sera accusé, ni de quoi. Harinjaka Ratozamana, un acteur clé sur Internet et des start-ups de Madagascar, a déclaré dans une interview accordée à RFI que c'était la première fois qu'une rumeur explosait à ce point dans le pays.

Koolsaina, un blog malgache d'actualités, a résumé les leçons à tirer de l'incident :

D’un, nul n'est anonyme derrière son écran ! Et de deux, ne prenez pas pour argent comptant tout ce qui se dit sur internet !

La lectrice du site Koolsaina Lydia Ravonihanitra a commenté l'article :

Mila faizina kely izy mba ho anatra ho an'ny [rehetra] fa tsy fanagadrana kosa angamba ny saziny, fa lamandy ohatra dia mba ampy. Tsy namono olona izy…fa ny dondrona kelin'ny Facebook mora [adalaina].

Ils doivent être punis un peu comme un exemple pour [tout le monde], mais peut-être que la punition ne devrait pas être une peine de prison; une amende, par exemple, suffirait. Ils n'ont tué personne… c'est stupide on est facilement berné sur Facebook.

Ailleurs, les réactions en ligne ne concernaient pas la possibilité ou la gravité de la peine, mais le fait qu'avant tout une arrestation ait été faite.

Zo Andriamifidisoa (rédacteur du site Global Voices Lingua en Malagasy) a écrit sur Facebook:

Manahy mafy aho fa kinendry hamerana ny media sosialy iny tsaho iny!

Je suis très inquiet que la rumeur soit une façon étudiée de restreindre les médias sociaux.

Les soupçons sur une censure potentielle soulignent la méfiance et la frustration que certains malgaches ressentent envers le gouvernement. Il fait également écho à une inquiétude plus large à propos de la liberté d'expression en ligne dans le contexte de la crise globale des “fausses nouvelles” : de Madagascar et de l'Inde, à Bahreïn et aux États-Unis.

La désinformation peut avoir des conséquences réelles, en particulier lorsqu'elle est largement partagée sur les réseaux sociaux. Mais toutes les désinformations ne sont pas égales : les intentions de l'auteur, le contexte dans lequel le message a été partagé, et les conséquences réelles qu'elles génèrent doivent être examinées attentivement.

Les experts consultés par Pew Research Center sur l'avenir des interactions en ligne mettent en garde que la modération a un coût, soulignant l'équilibre délicat qui existe entre la lutte contre la violence en ligne, les discours haineux ou les “fausses nouvelles” et la sauvegarde de la liberté d'expression ainsi que de l'accès à l'information.

Cet incident d'Ambanidia se produit au moment où on enregistre une tendance croissante des gouvernements à censurer [fr] les médias sociaux ou à couper Internet, le justifiant souvent par la nécessité de réduire la désinformation. En Afrique en particulier, la censure et les coupures [fr] sont de plus en plus courantes lors des périodes électorales, le Gabon et la Gambie [fr] étant parmi les exemples les plus récents. Bien que ces coupures puissent aider à limiter la diffusion des fausses nouvelles, elles empêchent aussi les citoyens de communiquer entre eux, sans parler des difficultés qu'elles posent pour l'accès aux nouvelles et aux messages des candidats. Les coupures peuvent également contrecarrer les efforts des candidats de l'opposition dans l'organisation de leurs rassemblements dans les derniers jours ou heures avant le vote.

Cette tendance préoccupe les citoyens malgaches, avec des élections présidentielles et législatives prévues en 2018. Au fur et à mesure que l'échéance approche, les défenseurs des droits de l'homme surveillent attentivement la façon dont le gouvernement affronte les défis autour de la désinformation, de la liberté d'expression et de la vie privée en ligne. Prendra-t-il des mesures supplémentaires pour prévenir ou punir la propagation de “fausses nouvelles” virales ? Le temps indiquera si Madagascar se joint à la tendance de l'utilisation des coupures d'Internet pour contrôler l'accès à l'information lors des élections.