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L'héroïsation de Pablo Escobar dénoncée par des journalistes colombiens

mardi 2 avril 2019 à 16:00

Capture d'écran d'un épisode de la chaîne YouTube La Pulla, intitulé “Pablo Escobar est un héros”.

Si le phénomène n'est pas né avec la série Netflix, il ne fait aucun doute que Narcos a contribué à faire renaître la légende du baron de la drogue colombien, Pablo Escobar, dans la culture populaire nord-américaine. Depuis sa création en 2015, cette série controversée n'a cessé d’alimenter des discussions sur la Colombie et son image internationale de paradis de la cocaïne, dominé par des trafiquants de drogue charismatiques.

En réaction à ces discussions, les journalistes colombiens derrière la chaîne YouTube La Pulla (ou “Sarcasmes”) – un projet porté par le quotidien colombien El Espectador – ont réalisé une vidéo pour répondre aux personnes qui continuent d'héroïser Pablo Escobar. La vidéo met notamment en exergue les épisodes tragiques – et les chiffres accablants – de l'une des périodes les plus sombres de l'histoire colombienne, et rappelle l'assassinat de Guillermo Cano, l'ancien directeur d'El Espectador, le 17 décembre 1986, ainsi que l'attentat à la bombe perpétré près des bureaux du journal en septembre 1989.

It is common in other countries to see people with T-shirts of him, encouraged by series such as Netflix's ‘Narcos’. And then when they come to Colombia they pay a lot of money to go on a tour so they can admire his great accomplishments. […] This “hero” prompted thousands of people to run towards drug trafficking money [like] pigeons chasing corn and rendered the national economy into a little pot to launder the money that came from drug trafficking. This “hero” was not a friend of the people: he committed 623 attacks, left 1710 civilians in pain, and killed 402.

This “hero” forced us to escape from an abandoned briefcase in the street or from a stationed car with no one inside [thinking] there [it was] one more bomb. This “hero” forced us to stay indoors, to suspect from everyone, and to react with fire and violence. This hero forced us to live in constant fear.

Il est fréquent de voir, à l'étranger, des personnes qui portent un t-shirt à son effigie, influencées par des séries comme “Narcos”, diffusée sur Netflix. Et lorsqu'elles viennent en Colombie, ces mêmes personnes sont également prêtes à payer cher pour participer à une visite guidée et admirer ses exploits. […] Ce “héros” a poussé des milliers de personnes à courir après l'argent du narcotrafic, tels des pigeons qui courent après le maïs, et a fondre l'économie du pays dans une petite casserole pour blanchir l'argent qui provenait du trafic de drogue. Ce “héros” n'était pas l'ami du peuple. Il a commis 623 attentats, blessé 1710 civils et en a tué 402.

Ce “héros” nous a appris à fuir face à un bagage abandonné dans la rue ou face à une voiture garée sans personne à l'intérieur, de peur qu'il y ait à nouveau une bombe. Ce “héros” nous a forcés à rester cloîtrés chez nous, à suspecter tout le monde, et à réagir par le feu et la violence. Ce “héros” nous a appris à vivre dans une peur permanente.

Les visites guidées auxquelles se réfère la vidéo sont connues sont le nom des Narco Tours, qui emmènent les touristes à travers la ville de Medellín dans différents lieux associés à la vie de Pablo Escobar. En 2018, le média partenaire de Global Voices, Radio Ambulante, avait évoqué cette visite guidée dans l'un des épisodes de son podcast, lui-même récompensé.

La Russie demande aux services VPN de bloquer des sites sur liste noire, la plupart refusent

mardi 2 avril 2019 à 14:15

Un seul service — russe — a accepté.

Skitterphoto, licence CC0

Le 28 mars, le Roskomnadzor a déclaré dans un communiqué de presse [ru] avoir adressé un courrier à 10 fournisseurs de VPN (réseau d'accès virtuel) pour leur demander de bloquer l'accès des utilisateurs russes à des sites sur «liste noire».

Ce courrier exige des fournisseurs de VPN qu'ils se connectent au «système informationnel fédéral d'Etat» (FGIS), un système technique qui signalera à leurs services les sites à bloquer. Cette démarche s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre par le Roskomnadzor d'une loi [en] sur le contournement de la censure, entrée en vigueur le 1er novembre 2017.

Contrairement à ce qu'ont pu dire certains médias, cette loi n'interdit pas tous les services VPN. En revanche, elle exige de leur part qu'ils respectent la «liste noire» générale des sites interdits [en] établie par le gouvernement, auxquels les utilisateurs russes ne doivent pas pouvoir accéder.

Ce qui, évidemment, va à l'encontre de l'objectif même des VPN, première technologie utilisée pour accéder à des sites qui sont bloqués sur le territoire où se trouve l'utilisateur. Cette loi est l'une des nombreuses mesures introduites ces dernières années par le Roskomnadzor (Service fédéral de surveillance dans le domaine de la communication, des technologies de l'information et des mass media), afin de mieux contrôler ce que les Russes peuvent et ne peuvent pas voir en ligne.

Si ces services VPN refusent d'accéder à la demande écrite du Roskomnadzor d'appliquer la loi, dit le communiqué, celui-ci pourra «décider de limiter l'accès au service VPN concerné».

Cependant, les services VPN pourraient n'avoir aucun intérêt à se conformer aux exigences du Roskomnadzor. Un militant pour les libertés en ligne, Vladislav Zdolnikov, a expliqué [ru] dans un commentaire sur le site de la «Novaïa Gazeta» :

Ни один зарубежный VPN-сервис не согласится выполнять этот закон по двум причинам.

Во-первых, это противоречит самой сути VPN-сервисов, которые, в том числе, работают на обход блокировок и защиту трафика.

Новость о том, что какой-то из сервисов начал фильтровать сайты, моментально отобьет желание пользователей их использовать.

Aucun service VPN étranger ne va accepter de se plier à cette loi, et ce pour deux raisons.
Premièrement, cela va à l'encontre du principe même des services VPN, qui travaillent, entre autres, à contourner les blocages et à protéger le trafic.
Deuxièmement, ça pourrait être un vrai coup dur pour un service VPN. Si l'un d'eux commence à filtrer l'accès aux sites web, les utilisateurs cesseront immédiatement d’avoir envie de s'en servir.

Parmi les services VPN visés par ces notifications, NordVPN, Hide My Ass!, Hola VPN, OpenVPN, VyprVPN, ExpressVPN, TorGuard, IPVanish, Kaspersky Secure Connection et VPN Unlimited. OpenVPN [fr] n'est pas un service VPN en lui-même, mais une technologie open source qui aide à mettre au point un réseau d'accès virtuel.

Presque tous ont déclaré publiquement leur intention de refuser d'accéder à la demande du Roskomnadzor :

Bonjour. Compte tenu de la complexité de la demande, nous n'avons d'autre choix que de ne pas la satisfaire.

Certains, comme TorGuard [en], ont également déclaré qu'ils retiraient la totalité de leurs serveurs du territoire russe:

At the time of this writing TorGuard has taken steps to remove all physical server presence in Russia. We have wiped clean all servers in our Saint Petersburg and Moscow locations and will no longer be doing business with data centers in the region.

Au moment où nous écrivons ces lignes, TorGuard est en train de mettre un terme à sa présence physique dans des serveurs se trouvant en Russie. Nous avons effacé nos données des serveurs localisés à Saint-Pétersbourg et Moscou, et ne ferons plus affaire avec les serveurs de données de la région.

Seule exception dans la liste, Kaspersky Secure Connection, service proposé par la firme de recherche en cybersécurité Kaspersky Labs [en]. Le siège du groupe se trouve à Moscou, c'est pourquoi il est particulièrement vulnérable aux lois locales. Certains se sont tout de même émus de sa décision de jouer selon les nouvelles règles :

Je ne sais même pas à quoi comparer cette absurdité.
Kaspersky Secure Connection d'accord pour une totale collaboration avec le Roskomnadzor.
WTF!

Les Russes heureux de voir leur espoir présidentiel ukrainien favori, un humoriste sans expérience politique, vainqueur du premier tour

mardi 2 avril 2019 à 14:08

Zelensky victorieux, preuve de santé démocratique pour ses fans russes

Volodymyr Zelensky (quatrième à partir de la droite), l'inattendue tête de peloton de l'élection présidentielle ukrainienne, en tournée avec District 95, une troupe d'humoristes de télévision qu'il a co-fondée en 2003. Photo : Vadim Chuprina, CC 4.0

Le 31 mars, les Ukrainiens ont voté au premier tour de leur élection présidentielle. C'est la septième fois que le pays choisit son président depuis qu'il a obtenu l'indépendance d'avec l'Union soviétique en 1991—et la deuxième depuis que la dite “Révolution de la dignité” de 2014 a détrôné le président d'alors Viktor Yanoukovitch et élu Petro Porochenko en un raz-de-marée électoral sur fond de guerre imminente avec la Russie autour des régions sécessionnistes de l'Ukraine orientale.

Depuis, la popularité de Porochenko, candidat cette année à sa réélection, a fortement chuté, mais aucun autre candidat n'a rassemblé suffisamment de soutien pour lui ravir sa place — sauf un.

A quarante-et-un ans, l'humoriste Volodymyr Zelensky, dont la principale expérience en politique consiste à être la vedette d'une série télé racontant l'histoire d'un prof d'histoire qui devient président par accident, a remporté le premier tour avec 30 pour cent du total des votes et une avance de 13 points sur le deuxième arrivé, Petro Porochenko. Si grande était la désillusion des électeurs ukrainiens envers les candidats conventionnels — il y en avait 39 en tout en course.

L'ascension de Volodymyr Zelensky est une gifle retentissante au visage de la classe politique ukrainienne toute entière.

L'élection a attiré une intense attention de la Russie voisine, dont les chaînes étatiques de télévision, habituellement d'une extrême hostilité à l'Ukraine post-Maïdan, s'attachent à peindre un tableau de confusion et de pagaille :

La couverture des élections par la télévision d'Etat russe : tout va tellement mal là-bas que les Ukrainiens courent travailler en Pologne, où ils votent en masse. Russes, voyez à quoi mènent les soulèvements populaires !

En revanche, tant les télévisions pro-Kremlin que les Russes penchant pour l'opposition se retrouvent dans une sympathie pour Zelensky, même si c'est avec des raisons différentes. Beaucoup ont souligné que le seul fait qu'un outsider comme Zelensky puisse mettre sérieusement en danger les politiciens installés est digne de louange et d'envie dans un pays comme la Russie, où les élections présidentielles ne donnent guère de choix aux électeurs.

Le fait qu'un président en fonctions puisse perdre une élection est une preuve de santé démocratique. Même en Afrique ça arrive parfois, mais pour nous ça reste encore tout à fait exotique.

Mon fil Twitter est coupé en deux : d'Ukraine on écrit que le pays est devenu fou et est voué au pire parce qu'il élu un comique, un acteur de série B, au lieu de quelqu'un d'âgé et expérimenté. Alors que de Russie [on écrit] que l'Ukraine est en bonne santé : on peut y élire un comique, un acteur de série B ou même la marionnette de quelqu'un au lieu d'un vieux nomenklaturiste.

Je ne comprends pas pourquoi Porochenko et les autres font aussi peu de cas de la carrière d'humoriste de Zelensky. J'ai beaucoup de connaissances qui ont joué sur KVN [une émission humoristique russe remontant à 1961]. La plupart sont extrêmement brillants. Tellement plus intelligents que les politiciens russes.

D'autres se sont intéressés à l'ethnicité de Zelensky, disant qu'un président juif pourrait s'avérer trop progressiste même pour les USA :

Je ne me sens absolument pas proche de Zelensky, mais élire un Juif dans un pays post-soviétique à haut niveau d'antisémitisme c'est très très cool en soi
Même en Amérique il n'y a par exemple jamais eu de président athéiste

Néanmoins, au vu des relations tendues de l'Ukraine avec la Russie — les deux pays ne sont-ils pas en guerre, même non déclarée ? — il est inconcevable pour un politicien ukrainien tenant à son poste d'exprimer la moindre sympathie pour la Russie. Une réalité qui n'a pas échappé aux fans russes de Zelensky :

C'est le dernier jour où l'on peut dire quelque chose de bien sur Zelensky. A partir de lundi il devra se disputer avec la Russie.
Bref, j'ai aimé cet acteur ! Et aujourd'hui je suis fan de lui, que ma chère et seule follower ukrainienne me pardonne. Elle votera Porochenko.

Pendant ce temps, le couple vedette de la télévision d’État russe, Olga Skabeïeva et Evgueni Popov, les animateurs du populaire débat télévisé “60 Minutes”, ont présenté une soirée électorale-marathon en direct, soutenant sur les ondes la candidature de Zelensky et acclamant sa course en tête dans les urnes.

Skabeïeva et son mari, le couple amiral de l'agitprop russe, jubilent déjà, écrivent Zel sur des tasses de café, donnent des résultats préliminaires avec Timochenko pas parmi les 3 premiers, prétendent Boîko 3ème

De quoi donner aux observateurs et candidats ukrainiens, y compris l'adversaire de Zelensky au second tour, toutes les raisons de penser que Zelensky est le favori des Russes parce qu'il est faible :

Porochenko essaie visiblement de peindre Zelenko en choix de la Russie.
“Les Ukrainiens ont clos le scénario russe au premier tour ; je sais qu'ils le feront aussi au deuxième tour.”

Zelensky n'a toutefois pas mâché ses mots quand on l'a pressé de questions sur sa politique russe :

Q: Que direz-vous à Poutine quand vous le rencontrez ?
Ze: Nous avons déjà une rencontre ? Je lui dirai merci de nous avoir rendu nos territoires.

Quoi qu'il en soit, Zelensky n'a pas réellement beaucoup de propositions politiques cohérentes au-delà de ça, et à présent il a en face de lui le politicien chevronné Petro Porochenko, et non plus une bande hétéroclite de candidats bouche-trous. Reste à savoir qui ses fans russes vont encourager pour le second tour, fixé au 12 avril.

Gilets Jaunes : sensible augmentation des violences policières en France

lundi 1 avril 2019 à 21:16

La violence de la répression interroge

Manifestation des Gilets Jaunes le 16/03/2019 à Paris. (Photo M.A.)

Des violences policières, il y en a tous les samedis. Les gens qui sont blessés et mutilés ne sont pas des casseurs, mais des manifestants.

David Dufresne, journaliste indépendant, est en colère. Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, il recense l’ensemble des blessés victimes de violences policières. Invité lundi 18 mars sur France Inter, il détaillait sa démarche.

Je m’y suis intéressé, tout début décembre, quand j’ai vu que circulaient sur les réseaux sociaux des images épouvantables de mutilés. Parce que c’est bien de mutilés que l’on parle : je recense 23 personnes qui ont perdu un œil, cinq qui ont perdu une main.

Pour dénoncer les violences, David Dufresne a mis en place un site internet, en partenariat avec Mediapart, un journal indépendant. Ironiquement nommé « Allo Place Beauvau » en référence à une expression utilisée sur Twitter pour signaler un contenu illégal ou offensant à la police, sa plateforme répertorie l’ensemble des blessés depuis le début du mouvement. Il détaille la typologie des blessures ayant fait l’objet d’un signalement, c’est à dire celles susceptibles d’avoir été commises avec un manquement au code de déontologie de la police.

Sur les 550 signalements référencés, plus de 222 concernent des blessures à la tête, dont une vingtaine ayant perdu l’usage de leur œil et cinq ayant eu une main arrachée. Parmi les victimes, 419 sont des manifestants, 57 des journalistes, 37 des mineurs, 19 des passants et 18 des intervenants médicaux.

Blessure lors des manifestations. Photo Twitter @Alloplacebeauveau.

Sur Twitter, il partage des photos de blessures envoyées par les victimes. Parfois très dures, elles montrent des blessures graves provoquées par les forces de l’ordre au cours de la manifestation.

La violence de la répression interroge. Comment est-il possible de perdre son œil ou l’usage de sa main en allant manifester ?

Une arme controversée

Une des explications réside dans l’utilisation massive par les forces de l’ordre d’une arme au cœur de la polémique: le lanceur de balle de défense (LBD). Fabriqué en Suisse, et initialement conçu pour ne pas tuer ni blesser lourdement une cible, ce lanceur de projectile ne cesse d’alimenter les débats. Ses détracteurs dénoncent sa dangerosité. Entre 2004 et 2013, on comptait déjà une trentaine de blessés graves à cause des LBD. Soit autant que depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, en novembre 2018.

En janvier, des soignants ont lancé une pétition pour un moratoire sur l’utilisation des LBD. Selon Laurent Thines, neurochirurgien et chef de service au CHRU de Besançon :

Un projectile de type LBD4O, par exemple, lancé à plus de 90m/sec (324 km/h) a une force d’impact de 200 joules: c’est comme si on vous lâchait un parpaing de 20kg sur le visage ou la tête d’une hauteur de 1m !

En principe, l’utilisation du LBD ne doit s’effectuer que sur « le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs », selon une note du directeur général de la police nationale, Eric Morvan. Malheureusement, sa précision est approximative, et de nombreuses blessures en découlent. « Amputation de membre, défiguration à vie, fracas maxillo-facial ou dentaire, dilacération oculaire ou énucléation, fracas crânien, hémorragies cérébrales engageant le pronostic vital et entraînant des séquelles neurologiques, autant de mutilations qui produisent de nouveaux cortèges de « Gueules cassées »…Tant de vies ont été ainsi sacrifiées… » regrette Laurent Thines.

Des grenades de désencerclements composent également l’arsenal répressif des forces de l’ordre. Équipée de TNT, leur explosion peut projeter des fragments métalliques avec un effet de blast blessant et assourdissant.

La France est l’un des derniers pays d’Europe a faire l’usage de LBD, avec la Pologne, la Hongrie, la Turquie et la Grèce.

Photo prise le 18 mars 2019 à Paris, les forces de l'ordre ont essuyés de nombreux tirs de projectiles. (Photo M.A.)

Un mouvement de contestation qui s’éternise

Initialement apparu en France en réaction à l’augmentation des taxes sur le prix du carburant, le mouvement des Gilets Jaunes s’est rapidement transformé en journées de contestations hebdomadaires. Tous les samedis, ses partisans descendent dans la rue pour réclamer du changement. Parmi les revendications, le souhait d’une nouvelle politique fiscale, l’amélioration du pouvoir d’achat, la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne ou encore la démission d’Emmanuel Macron.

Depuis le mois de novembre, les manifestations des Gilets Jaunes ont conduit à de nombreux dégâts matériels dans plusieurs villes de France. Dix personnes sont décédés « indirectement » suite à des accidents de la route liés aux manifestations. A Marseille, une personne est morte après avoir été touchée par un éclat de grenade.

Si le Ministère de l’Intérieur reconnaît 2200 blessés, dont dix avec « des dommages irrémédiables à l’œil », le gouvernement assume sa stratégie de maintien de l’ordre. Interrogé par des journalistes à propos des violences policières en janvier 2019 lors d’un déplacement dans l’Aude, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a estimé « qu’aucun policier, aucun gendarme » n’avait « attaqué des gilets jaunes ».

En février, le ministre a relancé le débat en justifiant l’usage de la force. Depuis le début du mouvement, des casseurs infiltrent régulièrement les rangs des manifestants. La réponse agressive des forces de l’ordre serait née en réaction à cette violence, selon le ministre.

Réponse immédiate sur Twitter d’Alexis Kraland, journaliste indépendant, qui évoque des blessés sans liens directs avec les manifestations.

L’ONU réclame une enquête

Depuis le début du mouvement, 243 signalements ont été déposés à l'IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale), un service dédié à la bonne application par les fonctionnaires de police des lois et des règlements. 174 enquêtes sont en cours, selon Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur. Ces enquêtes viseront à démontrer si les policiers ont fait un usage « proportionné » de la force. « Les forces seront sanctionnées » a annoncé le ministre.

Sensibles aux violences, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est inquiété dans son rapport annuel de « l’usage massif de lanceurs de balles de défense » dont il avait auparavant préconisé l’interdiction. Il a également recommandé l’interdiction des grenades explosives.

L’ONU, par la voix de Michèle Bachelet, haute-commissaire aux Droits de l’Homme, a également réclamé une « enquête approfondie » sur les violences policières en France depuis le début du mouvement.

Lors d’un débat organisé le 7 mars, Emmanuel Macron a rejeté le terme de « violences policières ». « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un État de droit » a déclaré le président français.

A Nice, lors de l'acte 19 des Gilets jaunes, une manifestante de 73 ans a été blessé à la tête lors d'une chute. Avant même la fin de l'enquête, Emmanuel Macron avait affirmé au journal Nice-Matin que la manifestante n'avait pas été “en contact avec les forces de l'ordre”.

Dix jours plus tard, cette version a été démentie par le procureur de la République de Nice, qui a expliqué qu'un  policier isolé avait bien été à l'origine de la chute de la septuagénaire.

Une nouvelle vague #MeToo déferle sur les réseaux au Mexique

dimanche 31 mars 2019 à 23:19

Les plaintes proviennent de tous les milieux artistiques et journalistiques

“43 % des femmes journalistes et photographes harcelées l'ont été par leurs sources.” Photo de la campagne #MeTooPeriodistasMexicanos, du collectif Periodistas Unidas Mexicanas (PUM). Avec leur autorisation.

Un an et demi après avoir explosé aux États-Unis, le mouvement MeToo (Moi aussi) est loin de s'essouffler sur la scène mondiale. Après l'irruption de la campagne en ligne de #MeTooEscritoresMexicanos (#MeTooEcrivainsMexicains) dans la “twitosphère” mexicaine, une nouvelle vague de plaintes pour harcèlement sexuel a secoué le monde du cinéma, du journalisme, du militantisme, des arts et de la littérature, les 22 et 23 mars dernier et a gagné en ampleur les jours suivants.

À l'origine de cette vague de dénonciations, un tweet de l'écrivaine et éditrice Ana G González dénonçant un journaliste de renom grâce au témoignage de certains de ses proches. Ce tweet a donné naissance au hashtag #MeTooEscritoresMexicanos, et d'autres lui ont emboité le pas : #MeTooCinemaMexicain, #MeTooPhotographesMexicains, #MeTooMusiciensMexicains, #MeTooEnseignantsMexicains, #MeTooTheatreMexicain, #MeTooCreatifsMexicains, #MeTooJournalistesMexicains et beaucoup d'autres encore. Parmi les plus récents – créés quelques jours après les premiers hashtags – on trouve : #MeTooMilitantsMexicains, #MeTooTech, #MeTooPublicité, #MeTooPoliticiensMexicains, et la liste ne cesse de s'allonger.

Afin de pouvoir recueillir les histoires et les plaintes de façon anonyme, des comptes Twitter ont été créés pour chaque corporation mentionnée dans les hashtag (comme par exemple, @MeTooEscritores (@MeTooEcrivains) ou @MeTooCineMx).

#MeTooPeriodistasMexicanos (#MeTooJournalistesMexicains) est né lors de la manifestation du collectif Periodistas Unidas Mexicanas (PUM) (journalistes mexicaines unies) qui s'est tenue le 23 mars. À cette occasion, le collectif a présenté son projet #AcosoData (#HarcèlementData) qui collecte les données d'affaires de harcèlement, d'intimidations et d'agressions sexuelles contre des femmes journalistes, et qui a révélé que 43% de ces femmes avaient été agressées au moins une fois par leurs propres sources.

Consciente de l'impact potentiel de #MeTooEscritoresMexicanos, l'équipe de PUM a alors lancé #MeTooPeriodistasMexicanos, et créé le compte associé à la campagne.

Des millions de personnes ont réagi à ces hastags, et certains d'entre eux ont obtenu des résultats concrets. Le directeur du journal Reforma a été démis de ses fonctions, tout comme deux journalistes du journal Chilango, dont l'un fait encore l'objet d'une enquête.

Même scénario pour le réseau Wikipolítica, (un groupe de jeunes militants organisés en plusieurs cellules cherchant à associer des représentants politiques indépendants à la société civile) dont deux des membres ont été expulsés, après avoir été dénoncés sur #MeTooActivistasMexicanos.

Courageuses… et au bout du rouleau

“Seulement 18 % des femmes journalistes victimes de harcèlement ont déposé plainte auprès de leur entreprise”. Photo de la campagne #MeTooPeriodistasMexicanos, du collectif Periodistas Unidas Mexicanas (PUM). Avec leur autorisation.

À l'origine, la campagne MeToo a été lancée en 2007 par la militante américaine Tarana Burke, et a littéralement explosé en 2017 avec les plaintes déposées à Hollywood contre de puissants producteurs de l'industrie cinématographique.

D'autres campagnes au Mexique, et dans d'autres pays d'Amérique latine, comme #MiPrimerAcoso (#MonPremierHarcelement), #SiMeMatan (#SilMeTuent), #AquíTambiénPasa (#IciAussiCaArrive) avaient réussi, par le passé, à imposer sur les réseaux la question de la violence faite aux femmes.

Ces hashtags ont permis de rendre compte des multiples types de violence subis par les femmes, et, d'après ONU femmes, il résulte qu'au moins six femmes sur dix au Mexique ont été victimes de violence, que 41.3% ont été victimes de violence sexuelle et qu'en moyenne neuf femmes par jour ont été assassinées en 2018.

Sur le compte Twitter ouvert pour recevoir les plaintes de femmes harcelées ou maltraitées dans le milieu universitaire, les messages insistent sur l'importance de voir ces campagnes comme un miroir qui montre comment les inégalités de genre ont dépassé toutes les limites :

En tant qu'élèves, collègues et épouses de professeurs d'université, nous nous joignons au mouvement de dénonciation lancé par @MeTooEscritores, puis par @MeTooCineMx, et soutenu par des femmes courageuses et au bout du rouleau.

Sur Medium, Astrid López Méndez, une des dénonciatrices de sévices dans le monde de la littérature, a livré son témoignage sous forme de lettre ouverte. Elle y décrit à la fois le harcèlement et l'isolement auxquels elle s'est trouvée confrontée lorsqu'elle a demandé de l'aide à ses amis et collègues :

El silencio a veces es la única manera de lidiar con el dolor. Pero también, a veces, poco a poco, las mujeres aprendemos a hablar, a decir lo que nos ha lastimado. No es sencillo. Por eso, a quienes están en ese proceso, les escribo también, no están solas.

Parfois, le silence est la seule façon de gérer la douleur. Mais parfois aussi, petit à petit, nous les femmes, nous arrivons à parler, à dire ce qui nous a blessé. Ça n'est pas simple. C'est pourquoi, à toutes celles qui sont dans cette situation, je vous écris aussi ceci : vous n'êtes pas toutes seules.

Le problème de l'anonymat

Tous ceux qui ont participé à cette initiative ont réfléchit à la complexité des cas traités et des premières vagues de #MeToo dans le monde du spectacle, que ce soit à Hollywood ou à México. Une des discussions lors de cette dernière campagne a été de savoir comment équilibrer l'importance de la protection de l'identité des victimes avec les implications éthiques des accusations anonymes.

Ana G González a partagé quelques réflexions à ce sujet sur son fil Twitter, notamment sur la présomption d'innocence, les fausses allégations, la protection des victimes qui n'ont pas porté plainte faute d'anonymat, les représailles des coupables, mais aussi sur l'importance de ne pas “homogénéiser les violences” :

Homogénéiser les différentes violences revient à minimiser les actes de violences les plus graves. Il est important d'avoir la capacité de réfléchir et de différencier les types de violence afin d'effectuer une analyse approfondie et de pouvoir obtenir réparation.

Des hommes ont également participé au débat sur les réseaux. Dans un article sur Medium, l'écrivain Raúl Aníbal Sánchez Vargas, admet s'être reconnu dans le profil des hommes dénoncés :

Creo que lo principal es el temor a reconocernos como agresores porque, a final de cuentas, tenemos un universo moral del cual no queremos ser los villanos. Tal vez por eso entre los escritores, artistas y personas de izquierda reconocernos como ESO, es casi imposible. […] Además, va junto con pegado al mito del aliado, feministo, deconstruido […] El entusiasmo y las ganas de la emancipación de nuestra contraparte femenina no nos eximen de volvernos agresores.

Je crois que le principal, c'est de reconnaître que nous sommes des agresseurs parce que, finalement, nous vivons dans un univers moral au sein duquel nous ne voulons pas être les méchants. C'est peut-être pour cela que nous, les écrivains, les artistes et les gens de gauche nous n'arrivons pas à nous reconnaître en AGRESSEURS, c'est presque impossible. […] En plus, ça colle tout à fait au mythe de l'allié, le féministe, l'homme déconstruit […] L'enthousiasme et le désir d'émancipation des femmes ne nous dispensent pas de devenir des agresseurs.

Dans un pays où plus de 90 % des délits ne sont pas signalés par manque de confiance dans les autorités, ces campagnes MeToo pourraient s'avérer être une chance pour pour la société de reconnaître le manque d'accès à la justice pour les femmes au Mexique, la banalisation de la violence de genre, et le rôle de la masculinité dans cette évolution.