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“La voix du peuple” prévaut au Sri Lanka : la crise des premiers ministres sera soumise au vote du parlement

vendredi 2 novembre 2018 à 21:24

Le Parlement du Sri Lanka. Photo sur Flickr par Kolitha de Silva. CC BY 2.0

Depuis le 26 octobre, jour où le président sri-lankais Maithripala Sirisena a démis le premier ministre Ranil Wickremesinghe, qu'il a remplacé par l'ex-président Mahinda Rajapaksa, la crise politique qui a suivi a fait s'interroger beaucoup dans le pays sur la légitimité constitutionnelle à désigner un premier ministre en l'absence de consensus. Le président a aussi suspendu le parlement pour trois semaine et dissous le gouvernement.

[“Aucun article de la constitution ne dispose que le Président peut renvoyer le Premier Ministre à sa discrétion”] Citation extraite de [l'ouvrage] “Des constitutions, gouvernements et coups d’État”

Les 30 et 31 octobre, en réaction à la légitimité contestable du limogeage de Wickremesinghe comme de la suspension temporaire du Parlement, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Colombo pour exiger que le Parlement soit réuni à nouveau à fins de résoudre la crise politique en cours.

Manifestation de masse à Colombo exigeant du Président Sirisena qu'il convoque le Parlement. “Le peuple a parlé. Réunissez le Parlement. Restaurez la démocratie maintenant” dit Ranil Wickremesinghe

Merci ! Des dizaines de milliers de gens ont envahi l'entrée de Temple Trees [La résidence officielle du Premier ministre]. Dans la discipline, non alcoolisés et sans grimper sur les lampadaires. Ils sont venus uniquement pour exiger la convocation du parlement et le retrait du premier ministre usurpateur. Énorme succès. [Président] Sirisena, ne piétinez pas la démocratie.

En direct de la manifestation populaire au rond-point de la place de la Liberté, appelant à la re-convocation du Parlement

Dans une conférence de presse, le président du Parlement Karu Jayasuriya a exhorté le président à laisser Wickremesinghe prouver son soutien majoritaire au parlement, et mis en garde contre un bain de sang si l'impasse se poursuit.

Des diplomates de l'ONU, de l'UE, du Royaume-Uni, du Canada et d'Allemagne ont rencontré aujourd'hui le président [du Parlement] et ont exhorté à réunir le Parlement et à garantir la protection de la démocratie

La pression des manifestations pour convoquer à nouveau le Parlement a été fructueuse, puisque M. Sirisena a fixé au 7 novembre un vote parlementaire qui décidera du premier ministre légitime.

Une coalition dysfonctionnelle

Les événements de ces derniers jours ont attisé chez une partie des Sri-lankais les craintes d'un retour à la période de la présidence de Mahinda Rajapaska, quand régnaient la violence religieuse, la répression d’État et la censure. Comme l'a noté un collectif d'étudiants dans une déclaration sur le sujet publiée par GroundViews :

The resort to violence and coercion is a chilling reminder of what dictatorship looks like. The coup is being followed by a return to the norms of self-censorship, violence, and fear that were characteristic of Rajapaksa-era politics. State media institutions were stormed in the night and security for the Prime Minister and Ministers  arbitrarily withdrawn. Moreover, many private media stations are already becoming vehicles for misinforming the public and spreading disinformation.

Le recours à la violence et à la coercition est un rappel glaçant de ce à quoi ressemble une dictature. Le coup de force est suivi d'un retour aux normes de l'auto-censure, de la violence et de la peur qui étaient caractéristiques de la politique de l'ère Rajapaksa. Les institutions médiatiques d’État ont été prises d'assaut de nuit et les protections du Premier Ministre et des ministres arbitrairement retirées. De surcroît, de nombreuses stations de médias privés deviennent déjà des véhicules pour égarer l'opinion et propager la désinformation.

Sirisena a déclaré à la presse avoir renvoyé Wickremesinghe après avoir découvert que ce dernier était impliqué dans un complot pour l'assassiner. La situation actuelle est plutôt interprétée comme un effet collatéral de la lutte pour le pouvoir existante entre Sirisena, Wickremesinghe, et Rajapaksa.

En janvier 2015, quand le Président d'alors Mahinda Rajapaksa a convoqué une élection présidentielle dans une tentative de consolider son pouvoir et d'obtenir un troisième mandat. Sirisena, un ancien ministre de Rajapaksa, a alors fait défection du Sri Lanka Freedom Party (SLFP, Parti de la Liberté du Sri Lanka) de Rajapaksa et a été désigné candidat par le Parti National Uni (UNP) dirigé par Wickremesinghe pour disputer la présidence au sortant. Sirisena a émergé comme le vainqueur inattendu en s'assurant 51.28 % des votes contre les 47.28 % de Rajapaksa, et a pris la relève à la présidence du Sri Lanka.

Après l'élection, Rajapaksa a cédé la direction du SLFP à Sirisena conformément aux statuts du parti, qui prévoient que tout adhérent devenant Président est automatiquement chef du parti. Lors des élections parlementaires d'août 2015, les factions de Siresena et de Rajapaksa ont uni leurs forces pour disputer le scrutin sous la bannière de ‘l'United People’s Freedom Alliance (UPFA, Alliance de la liberté du peuple uni). Mais c'est la coalition menée par l'UNP de Wickremesinghe qui a obtenu 106 sièges sur le total de 225, tandis que l'UFPA en gagnait 95—55 par la faction pro-Rajapaksa, et 40 par la faction pro-Sirisena.

Après ces élections parlementaires, Sirisena a nommé Wickremesinghe premier ministre et a formé un gouvernement d'union nationale après avoir signé un protocole d'accord relatif aux questions non résolues après la fin des trente années de guerre civile. Depuis lors, la faction du SLPF menée par Rajapaksa est le parti d'opposition de facto.

Ces deux dernières années cependant, Rajapaksa a nettement regagné du terrain, et son parti a balayé les élections locales en février 2018. En avril 2018, Wickremesinghe a survécu à une motion de défiance au Parlement portée par les partisans de Rajapaksa, une manœuvre clairement pensée pour affaiblir la coalition au pouvoir déjà instable.

La popularité montante du parti SLPF de Rajapaksa et les tensions existantes entre Sirisena et Wickremesinghe à propos de la préférence de ce dernier pour l'Inde sur la Chine comme partenaire géopolitique, pourrait être les principales raisons du choix par Sirisena de nommer Rajapaksa premier ministre.

“La voix du peuple a été entendue. . . ” a déclaré sur Twitter un Wickremesinghe optimiste le 1er novembre, lorsqu'on a appris que le parlement serait réuni à nouveau la semaine prochaine. “La démocratie va l'emporter.”

Israa Al-Ghomgham, la Saoudienne qui risque la peine de mort pour avoir manifesté pacifiquement

vendredi 2 novembre 2018 à 14:39

La défenseure des droits de l'homme Israa al-Ghomgham risque la peine de mort en Arabie saoudite pour ses activités non violentes liées à la protection des droits humains.

Mme Al-Ghomgham ainsi que son mari, le militant Mousa Al-Hashim, ont été arrêtés en 2015 en raison de leur implication lors des défilés anti-gouvernementaux de Qatif en 2011 ; au moment où les manifestations pro-démocratie se sont propagées à travers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

Une photo de la campagne #FreeIsraa, diffusée sur Twitter.

Qatif est situé dans la province orientale, où vit la minorité chiite qui représente 10 à 15% de la population du pays. Les musulmans chiites sont confrontés à une “discrimination généralisée” au sein d'un royaume dominé par les sunnites ; selon Human Rights Watch, cette discrimination se caractérise par un traitement inégal face à la machine judiciaire, l'ingérence du gouvernement dans leurs pratiques religieuses, l'exclusion des emplois du secteur public, et ce, en plus d'une stigmatisation et de discours sectaires.

Israa al-Ghomgham et son mari ont manifesté contre ces injustices aux côtés de nombreux chiites saoudiens pour demander au gouvernement de protéger leurs droits fondamentaux.

Mme al-Ghomgham doit faire face à huit chefs d'inculpation et notamment “préparer, envoyer et stocker du matériel susceptible de porter atteinte à l'ordre public”, une infraction à l'article 6 de la loi de 2007 sur la cybercriminalité. Elle est également accusée “d'avoir mobilisé et encouragé des jeunes à s'opposer à l'État et la police par le biais des réseaux sociaux” et d'avoir publié des photos et des vidéos de ces manifestations sur Internet. Les procureurs réclament la peine de mort dans son affaire.

Elle a été jugée début août 2018 par un tribunal anti- terroriste, Tribunal pénal spécialisé (TPS). Une deuxième audience a eu lieu le 28 octobre, mais d'après un communiqué du Gulf Center for Human Rights, ni elle ni les autres accusés n'ont été présentés à la cour. La prochaine audience est prévue pour le 21 novembre.

Aujourd'hui s'est déroulée la seconde audition d'Israa al-Ghomgham au tribunal, mais ni Israa ni les autres militants jugés à ses côtés n'étaient présents.
On ignore pourquoi les autorités saoudiennes ne les ont pas transportés jusqu'au tribunal.
La troisième audience aura lieu le mercredi 21 novembre.

Selon Amnesty International, cinq personnes sont également jugées cette semaine par le TPS aux côtés d'Israa al-Ghomgham pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion. L'organisation de défense des droits de l'homme a répertorié huit cas où des militants risquent la peine de mort :

The Public Prosecution’s recurring calls to resort to the death penalty in the past three months for at least eight individuals raises the alarm about the fate of dozens of activists who are currently detained without charge or trial and for those currently on trial before the SCC.

Les recours successifs à la peine de mort par le ministère public – pour au moins huit personnes lors des trois derniers mois – constituent un signal d'alarme sur le sort réservé à une douzaine de militants actuellement détenus sans inculpation ni jugement et à ceux actuellement jugés par le TPS.

Parmi les personnes jugées cette semaine se trouvait le dignitaire religieux Salman al-Awda. Des agents de la sûreté de l'État l'ont arrêté en septembre 2017 et l'ont inculpé de nombreuses d'infractions, notamment pour avoir demandé des réformes et un changement de régime dans la région arabique. Il encourt également la peine de mort.

Pendant ce temps, le procureur général saoudien Saud al-Mujib est arrivé ce lundi en Turquie dans le cadre de l'enquête sur le meurtre au sein du consulat saoudien d'Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi. Saud Al-Mujib a souvent été envoyé à la poursuite des opposants politiques de la monarchie et de ceux qui défient le souverain de facto du royaume, le prince héritier Mohammed Bin Salman. Les dirigeants du monde entier ont pointé du doigt le prince Bin Salman, l'accusant d'avoir joué un rôle dans le meurtre du journaliste.

Beaucoup se demandent comment le prince Mohammed Bin Salman peut s'engager à rendre justice à Jamal Khashoggi d'une part, tout en sollicitant la peine de mort contre ceux qui exercent leur droit à la liberté d'expression d'autre part.

Le même procureur général saoudien qui a requis la peine de mort à l'encontre de mon père, Salman al-Odah et bien d'autres en raison de leur activisme pacifique, se rend en Turquie pour évoquer la mort de Jamal Khashoggi, lui-même assassiné en raison de son militantisme pacifique !

La réaction des pays lusophones à l'élection de Jaïr Bolsonaro

vendredi 2 novembre 2018 à 14:29

Photo – Fabio Rodrigues Pozzebom/Agência Brasil | Creative Commons 2.0

L'élection de Jaïr Bolsonaro à la présidence du Brésil n'est pas passée inaperçue pour ses homologues locuteurs de langue portugaise.

Même s'il existe d'autres facteurs importants, ces initiatives sont principalement dues au fait que le Brésil est membre de la Communauté des Pays de Langue Portugaise  (CPLP), en compagnie de huit autres pays.

Actuellement sous la direction de Maria do Carmo Trovoada Pires de Carvalho Silveira, la CPLP est une organisation créée en 1996, dans le but de promouvoir la :

      • Concertação político-diplomática entre seus estados membros, nomeadamente para o reforço da sua presença no cenário internacional;
      • Cooperação em todos os domínios, inclusive os da educação, saúde, ciência e tecnologia, defesa, agricultura, administração pública, comunicações, justiça, segurança pública, cultura, desporto e comunicação social;
      • Materialização de projectos de promoção e difusão da língua portuguesa.
  • Concertation politico-diplomatique entre ses Etats-membres, afin de renforcer notamment, sa présence sur la scène internationale ;
  • Coopération dans tous les domaines, y compris l'éducation, la santé, la science et la technologie, la défense, l'agriculture, l'administration publique, les communications, la justice, la sécurité publique, la culture, le sport et la communication sociale ;
  • Matérialisation de projets de promotion et de diffusion de la langue portugaise.

Il est important de préciser que suite à sa qualification pour le second tour des élections au Brésil, Jaïr Bolsonaro a été élu 38ème président de ce pays avec 55 % des votes validés.

Du Mozambique est arrivé un message de félicitations du Président de la République, Filipe Jacinto Nyusi, publié sur sa page Facebook :

Quero através desta plataforma, endereçar uma mensagem de felicitação ao Presidente Eleito da República Federativa do Brasil, Jair Bolsonaro, na sequência da Segunda Volta da eleição presidencial realizada no dia 28 de Outubro de 2018.

Estamos, igualmente, confiantes de que a nossa cooperação será consolidada com base nos valores fundamentais compartilhados no seio da Comunidade dos Países de Língua Portuguesa (CPLP) e no desejo mútuo do alcance das metas preconizadas, rumo a construção de uma comunidade mais unida e fortalecida, capaz de enfrentar os desafios que se apresentam ao mundo, actualmente.

Je voudrais, grâce à cette plateforme, adresser un message de félicitations au Président élu de la République Fédérative du Brésil, Jair Bolsonaro, au deuxième tour des élections présidentielles qui ont eu lieu le 28 octobre 2018.

Nous sommes également confiants dans la consolidation de notre coopération sur la base des valeurs fondamentales partagées au sein de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP) et dans le désir commun d'atteindre les objectifs fixés, pour la construction d'une communauté plus unie et renforcée, capable d'affronter les défis qui se présentent actuellement au monde.

Passant aussi par Facebook, le Président du Cap Vert, Jorge Carlos Fonseca, a salué l'élection de Jaïr Bolsonaro :

Foi com muito interesse que acompanhei o processo eleitoral ocorrido no Brasil, culminando com a eleição de Vossa Excelência ao importante cargo de Presidente da República Federativa do Brasil. Permita-me, deste modo, apresentar-lhe as minhas mais vivas felicitações pela vitória conseguida e maiores sucessos no exercício das suas novas funções.

Gostaria de aproveitar desta oportunidade para transmitir a Vossa Excelência o firme propósito do meu País em continuar a trabalhar com o Brasil, país com o qual partilhamos uma história comum de séculos, os valores da democracia e os direitos universais, quer no plano bilateral, em prol do estreitamento das nossas relações amistosas e de cooperação, quer no quadro da CPLP, mormente neste contexto da presidência rotativa de Cabo Verde desta nossa grande família que é a CPLP, e no quadro multilateral mais amplo.

Renovo a Vossa Excelência os votos de muitos sucessos na assumpção das suas nobres funções e muita saúde para si e família.

C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai suivi le processus électoral qui s'est déroulé au Brésil, et qui a culminé avec l'élection de Votre Excellence à la plus haute charge, celle de Président de la République Fédérative du Brésil. Permettez-moi ainsi de vous présenter mes plus sincères félicitations pour la victoire obtenue et les plus grands succès dans l'exercice de vos nouvelles fonctions.

J'aimerais profiter de cette occasion pour transmettre à Votre Excellence la ferme intention de mon pays de continuer à travailler avec le Brésil, pays avec lequel nous partageons une histoire commune depuis des siècles, les valeurs de la démocratie et les droits universaux, sur un plan bilatéral, en faveur de resserrement de nos relations amicales et de la coopération, comme dans le cadre de la CPLP, principalement dans ce contexte de la présidence tournante du Cap Vert de notre grande famille qu'est la CPLP, et dans un cadre multilatéral plus large.

Je renouvelle à Votre Excellence mes voeux de succès dans la prise en charge de vos nobles fonctions ainsi qu'une excellente santé pour vous et votre famille.

Sans aucune publication sur ses comptes dans les réseaux sociaux, le Premier Ministre du Portugal, António Costa, a félicité Jaïr Bolsonaro pour son élection par un communiqué publié dans la presse locale :

O Governo português cumprimenta o Presidente eleito do Brasil, país com o qual mantemos uma relação bilateral intemporal, assente numa língua comum, em fortes laços históricos, económicos e culturais, e na presença, em ambas as sociedades, de comunidades dinâmicas e plenamente integradas.

Le gouvernement portugais félicite le Président élu du Brésil, pays avec lequel nous maintenons une relation bilatérale intemporelle, fondée sur une langue commune, consolidée par de forts liens historiques, économiques et culturels, et la présence, dans les deux sociétés, de communautés dynamiques et pleinement intégrées.

Quant au président de l'Angola, João Lourenço, il a adressé ses félicitations dans un message publié sur le compte Twitter du Ministère des Affaires Étrangères:

Le Président de la République, João Lourenço, a félicité, ce lundi 29 octobre, Jaïr Bolsonaro, pour la victoire au second tour des élections au Brésil, qui l'a consacré Président du plus grand pays d'Amérique du Sud.

Les gouvernements africains criminalisent l'expression en ligne, démontrant son pouvoir

jeudi 1 novembre 2018 à 09:00

Étudiants de l'Université Haromaya, en Éthiopie, faisant le salut anti-gouvernement quasi-officiel. Photographie largement diffusée sur les médias sociaux.

En Afrique, les espaces de libre expression et de contestation en ligne se resserrent, lentement mais sûrement. En termes légaux et économiques, le coût d'élever sa voix augmente rapidement dans tout le continent.

Bien que la plupart des gouvernements soient considérés comme démocratiques car ils organisent des élections multipartites et professent des idéaux participatifs, ils fonctionnent en réalité davantage comme des dictatures et semblent imposer chaque jour de plus en plus de contrôle sur les espaces numériques.

Récemment, le Cameroun, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Nigeria et le Bénin ont été témoins de coupures d'Internet, d’imposition sur l'utilisation des médias sociaux et des blogs et d’arrestations de journalistes. Des professionnels des médias et des citoyens ont été envoyés en prison pour des accusations allant de la publication de “fausses informations”, l’exposition de secrets d'État au terrorisme.

Lors du Forum sur la liberté numérique en Afrique (FIFAfrica18) qui s'est tenu en septembre 2018 à Accra, au Ghana, un panel de divers pays africains a unanimement déclaré être inquiet que leurs gouvernements ne veuillent contrôler le paysage numérique afin de surveiller leurs citoyens.

Plusieurs pays africains possèdent des lois qui garantissent le droit à la liberté d'expression. Au Nigeria par exemple, la Loi sur la liberté de l'information donne aux citoyens le droit de réclamer des informations à n'importe quelle agence du gouvernement. La section 22 de la Constitution de 1999 affirme la liberté de la presse, et la section 39 maintient que “chacun a droit à la liberté d'expression, y compris la liberté de posséder, de recevoir et d'impartir des idées et des informations sans interférence.”

Pourtant, le Nigeria a passé d'autres lois que les autorités utilisent pour nier les droits ci-dessus.

La section 24 de la Loi sur la cybercriminalité du Nigeria criminalise “quiconque répand des messages qu'il sait faux, dans le but de provoquer mécontentement, inconvénients, danger, obstruction, insultes, blessures, intimidation criminelle, inimitié, haine, rancune ou anxiété inutile à quiconque, ou fait que de tels messages soient envoyés.”

Rendre les lois ambiguës et subjectives avec des termes comme “inconvénients” ou “insultes” inquiète : les gouvernements et leurs agents s'en servent souvent pour inhiber la liberté d'expression.

Qui décide ce qu'est une insulte ? Devrait-on attendre des fonctionnaires qu'ils aient la peau dure ? Dans de nombreuses régions du monde, les citoyens ont le droit de critiquer les fonctionnaires. Pourquoi les Africains n'ont-ils pas le droit d'offenser au titre de la libre expression ?

Ainsi, en 2016 et en 2017, les journalistes et blogueurs nigérians Abubakar Sidiq Usman et Kemi Olunloyo ont chacun été arrêtés pour harcèlement en ligne lié à des enquêtes journalistiques, accusations infondées basées sur la Loi sur la cybercriminalité.

Ne pas souffrir en silence, mais continuer à élever la voix

L'existence même de ces actions en justice montre aux citoyens que leurs voix importent. De l'interdiction tanzanienne de diffuser des informations “fausses, trompeuses, fallacieuses ou inexactes” sur Internet, à l’impôt ougandais sur les médias sociaux dans l'intention de juguler les “commérages”, le bruit de ces plates-formes numériques fait peur aux régimes oppressifs. Dans certains, il les amène même à faire marche arrière.

L'expérience des blogueurs éthiopiens de Zone9 en est un puissant exemple.

En 2014, neuf écrivains éthiopiens ont été emprisonnés et torturés à cause d'un blog collectif dans lequel ils écrivaient sur les violations des droits de l'homme par l'ancien gouvernement éthiopien, et osaient ainsi jeter la vérité au visage des puissants. L'État a qualifié le groupe de “terroristes” pour leur activité sur Internet et les a incarcérés pendant presque dix-huit mois.

Membres de Zone9 : Mahlet (gauche) and Zelalem (droite) se réjouissent de la libération de Befeqadu Hailu (avec l'écharpe) en octobre 2015. Photographie diffusée sur Twitter par Zelalem Kiberet.

Six membres du groupe maintenant libre, Atnaf Berhane, Befeqadu Hailu Techane, Zelalem Kibret, Natnael Feleke Aberra et Abel Wabella, ont fait leur première apparition internationale au Ghana pendant FIFAfrica18. Jomanex Kasaye, qui avait travaillé avec eux avant les arrestations (mais n'avait pas été arrêté) était également présent.

Plusieurs membres de Zone9 ont collaboré avec Global Voices en écrivant et traduisant des articles en amharique. À ce titre, Global Voices avait fait campagne et avait mobilisé la communauté mondiale des droits de l'Homme pour plaider leur cause dès le soir de leur arrestation.

Après des mois de reportages et de campagne sur Twitter, des gouvernements, d'importants chefs de file des droits de l'Homme, ainsi que des centaines de milliers de sympathisants sur Internet ont commencé à condamner les arrestations et les emprisonnements. Un cri puissant s'est élevé des quatre coins du monde pour réclamer au gouvernement éthiopien la libération des blogueurs.

Dans leur intervention à FIFAfrica18, les blogueurs ont affirmé que leur appartenance au réseau de Global Voices leur a donné une visibilité clé pendant leur emprisonnement. Ils ont crédité la campagne de Global Voices de les avoir maintenu en vie.

Le modérateur Berhan Taye a demandé au groupe de raconter leur expérience en prison. Pendant leurs réponses, les lumières sur la scène se sont tamisées, et leurs voix ont rempli la salle d'un pouvoir calme.

Abel Wabella, qui dirigeait le site de Global Voices en amharique, a perdu l’ouïe d'une oreille à cause de la torture qu'il a subie pour avoir refusé de signer une fausse confession.

Atnaf Berhane s'est rappelé comment l'une de ses sessions de torture a duré jusqu'à 2h du matin, pour reprendre après quelques heures de sommeil.

L'un des agents de sécurité qui a arrêté Zelalem Kibret était l'un de ses anciens étudiants, à l'université où il enseignait.

Jomanex Kasaye s'est souvenu de l'agonie mentale de quitter l’Éthiopie avant que ses amis ne soient arrêtés, l'angoisse de l'impuissance, le suspense sans fin et la peur qu'ils ne s'en sortent pas vivants.

Les blogueurs de Zone9 à Addis-Abeba en 2012. De gauche à droite: Endalk, Soleyana, Natnael, Abel, Befeqadu, Mahlet, Zelalem, Atnaf et Jomanex. Avec l'aimable autorisation d'Endalk Chala.

Modestes, les blogueurs de Zone9 déclarent : “Nous ne sommes pas des gens forts ni courageux… Nous sommes seulement heureux d'en avoir inspiré d'autres.”

Pourtant, ils redéfinissent le patriotisme avec leurs paroles et leurs actes : il faut un immense courage pour aimer son pays même après la souffrance que celui-ci leur a fait endurer pour avoir élevé leur voix.

Le journaliste ougandais Charles Onyango-Obbo, qui a également assisté à FIFAfrica18, a partagé un proverbe igbo rendu populaire par l'écrivain nigérian Chinua Achebe :

Since the hunter has learned to shoot without missing, Eneke the bird has also learnt to fly without perching.

Puisque le chasseur a appris à tirer sans manquer, Eneke l'oiseau a aussi appris à voler sans se poser.

Autrement dit, afin de conserver des espaces numériques libres et sûrs, ceux et celles qui sont impliqués dans cette lutte doivent concevoir de nouvelles méthodes.

Les militants qui se trouvent sur le front de la libre expression dans l'Afrique sub-saharienne et partout ailleurs dans le monde ne peuvent pas se permettre de travailler en isolation, ni de se taire par frustration ou défaite. Ce n'est qu'avec force et unité que les espaces numériques pourront continuer de renforcer la démocratie à travers une contestation dynamique.

En Afghanistan, les élections législatives longuement reportées et lentes, succès ou échec ?

mercredi 31 octobre 2018 à 19:20

À Barge Matal en Afghanistan, le 20 août 2009, un ancien afghan montre son doigt recouvert d'encre pour montrer qu'il a voté lors des élections très attendues dans le pays. Les anciens des villages afghans sont considérés comme des modèles et des leaders parmi les civils. Les militaires américains ont contribué à assurer la sécurité lors des élections. Photographie de l'armée américaine prise par le sergent d'état-major Christopher Allison. Domaine public.

Les élections législatives de ce mois-ci en Afghanistan ont rompu avec la convention internationale, le vote s'étirant sur deux weekends. Désormais, les Afghans veulent savoir si les leçons des trois journées de scrutin chaotiques aux quatre coins du pays seront apprises à temps pour la très angoissante élection présidentielle de l'année prochaine.

Je gardais Kandahar à l'esprit. Et comme toujours, le peuple d'Afghanistan est venu courageusement et a voté pour la paix, l'espoir et la stabilité. C'est l'hommage suprême pour le Général Raziq.
Que Dieu bénisse l'Afghanistan !

Kandahar était l'antépénultième province à voter pour une élection qui aurait dû être se terminer trois années plus tôt.

Ce retard était causé par la terreur déclenchée par l'assassinat du général Abdul Raziq, dont la garde personnelle avait été infiltrée par les talibans.

Raziq était généralement décrit dans les médias comme un adversaire intransigeant du groupe militant et le meilleur espoir du gouvernement pour repousser les talibans des régions du sud où ils ont pris pied de manière assez inquiétante.

KANDAHAR – un électeur âgé demande aux habitants de voter pour des candidats jeunes et éduqués s'ils souhaitent un Afghanistan rayonnant et un parlement compétent.

Les élections dans leur ensemble auraient dû être terminées depuis trois ans, ce qui témoigne des extrêmes difficultés rencontrées dans le processus politique d'un pays qui, 17 ans après l'invasion américaine qui a renversé les talibans, demeure plongé dans la guerre.

Alors que les élections législatives étaient tenues dans 32 provinces les 20 et 21 octobre, à Kandahar le samedi 27 octobre, la province de Ghazni, déchirée par la guerre, n'a pas voté du tout et devra probablement attendre jusqu'à l'année prochaine pour envoyer de nouveaux représentants au Parlement.

Les lacunes logistiques se sont multipliées lors des trois jours du scrutin – les 21, 22 et 27 octobre – les bureaux de vote ont été ouverts tardivement et n'ont pas été capables de soutenir le flot d'électeurs.

Les équipements biométriques qui devaient faciliter le processus ont eu l'effet inverse dans de nombreuses régions, en raison de l'incompétence et d'une mauvaise gestion.

Selon ce rapport interne, il manque de nombreux chargeurs pour les machines biométriques depuis les élections et un grand nombre de ces machines n'a pas été restitué.

Irrégularités et manque de coordination peuvent être constatés dans ce tweet de de la Commission électorale centrale d'Afghanistan. Il est 19h et ils ont demandé aux gens de voter aujourd'hui s'ils n'ont pas pu le faire hier !

L'optimisme des autorités

Néanmoins, malgré la détérioration de la sécurité, les dirigeants du pays ont été tentés de célébrer le vote comme un succès.

Le ministre de l'Intérieur, Wais Ahmad Barmak, a déclaré que 17 civils et 11 policiers avaient péri et que de nombreux blessés avaient été victimes d'attaques au premier jour du scrutin. Ce nombre aurait sans doute pu être bien plus élevé après que les talibans et le groupe affilié à l'État islamique en Afghanistan ont déclaré la saison de la chasse ouverte lors du vote.

Un porte-parole du président Ashraf Ghani s'est ainsi exprimé sur un ton optimiste dans son tweet du dimanche 21 octobre.

Malgré les menaces, les élections afghanes se sont déroulées comme prévu et la participation a été importante car les gens ont fait confiance aux Forces de défense et de sécurité nationales afghanes (FDSNA). Elles ont réalisé un meilleur travail pour sécuriser les points de vote à travers l'Afghanistan que les troupes étrangères ne l'avaient fait lors des précédentes élections. Des centaines d'attaques ont été déjouées ces deux derniers jours.

Sur 8,8 millions d'électeurs
3,8 millions (45%)
33% de femmes
67% d'hommes
Ont déposé leur bulletin lors de ces deux derniers jours.

- Hors Kandahar et Badghis
– 76 des 4576 bureaux de vote n'ont pas encore été comptabilisés

Pas d'élection à Ghazni.

Le peuple afghan pleinement déterminé et résolu – les personnes handicapées sont portées pour aller voter…- en réalisant que leur vote compte et nous devons tous leur rendre hommage. Kunar

Une répétition générale ?

Seulement derrière les célébrations d'un Afghanistan qui a réussi à organiser un vote, de nombreux mauvais présages s'annoncent autour de la bien plus importante élection présidentielle de l'année prochaine. Une coalition majeure de l'opposition a déjà accusé la Commission électorale indépendante (CEI) d'avoir gonflé le nombre d'électeurs au cours de la période précédant les élections afin de sécuriser l'arrivée de législateurs pro-présidentiels au Parlement.

Par la suite, les plaintes pour fraudes et autres irrégularités étaient omniprésentes parmi les 13.000 anomalies signalées par les citoyens à la Commission indépendante des plaintes électorales (IECC), auxquelles se sont ajoutées 5.000 supplémentaires sur le groupe Whatsapp de TOLO News, le principal média privé du pays.

Lors de l'élection présidentielle de 2019 et quand les enjeux seront plus importants, ces défaillances auront des conséquences plus importantes.

Le dernier vote présidentiel s'est avéré extrêmement clivant, Ghani terrassant son rival Abdullah Abdullah lors d'un second tour dont le résultat n'a été reconnu par Abdullah que lorsque un compromis a été trouvé et qu'il obtienne le poste nouvellement créé de directeur général (une position équivalente au Premier ministre) au sein du gouvernement.

Est-il seulement possible d'organiser l'élection présidentielle sous la houlette de la Commission électorale afghane ? Les défaillances techniques et logistiques d'aujourd'hui sont plus que frustrantes.

L'attention se tourne doucement vers les élections présidentielles. Ismail Khan demande au Premier ministre Abdullah de ne pas se représenter lors de la course à la présidence.