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Interné en psychiatrie, ses œuvres aujourd'hui reconnues témoignent de son vécu d’immigrant

mercredi 4 octobre 2017 à 10:02

Création de Martí​n Ramírez, « Sans titre (train et tunnels) », crayons gras et collages. Crédit : Ricco/Maresca Gallery

Article de Gisele Regatao publié à l’origine sur PRI.org le 24 août 2017 et repris dans le cadre du partenariat entre PRI et Global Voices.

Un immigrant mexicain, interné dans des hôpitaux psychiatriques de Caroline du Nord pendant plus de 30 ans est désormais considéré par certains critiques comme l’un des meilleurs artistes du XXe siècle. Une première grande rétrospective lui est consacrée à Los Angeles.

L’Institut d’art contemporain de Los Angeles (ICA LA) a inauguré ses nouveaux locaux le 9 septembre avec une exposition qui présente près de 50 dessins de Martín Ramírez, décédé en 1963 à 68 ans.

Cette exposition se tient au moment où de nouvelles études remettent en question l’étiquette d’artiste hors-norme et le considèrent comme un maître de l’expression du vécu des immigrés.

« En tant qu’artiste et immigré, son art revêt une grande importance pour la compréhension du déplacement, des frontières, de la façon dont les individus traversent les frontières », explique Victor Espinosa, auteur de l’ouvrage Martín Ramírez: Framing His Life and Art.

« Me no loco »

Professeur à l’Ohio State University, Victor Espinosa a consacré dix ans d’études à l’artiste. Il questionne la prétendue schizophrénie de Martín Ramírez. Selon lui, le ressortissant mexicain fut diagnostiqué après une brève consultation psychiatrique en l’absence de traducteur alors qu’il ne parlait pas anglais. Victor Espinosa explique que Martín Ramírez répétait Me no loco (« je ne suis pas fou »), mais que les médecins ont conclu l’inverse.

« Un tel diagnostic rend impossible toute sortie de l’institution, indique Victor Espinosa. Martín Ramírez n’avait personne de son côté pour remettre le diagnostic en question ou réagir de quelque manière que ce soit. »

« Sans titre (cheval et cavalier rouge) », crédit : Ricco/Maresca Gallery

En 1925, Martín Ramírez débarque aux États-Unis, laissant derrière lui, à Jalisco (Mexique), sa femme enceinte et trois enfants, pour chercher du travail dans les chemins de fer et les mines californiennes. Quelques années plus tard, avec la crise économique, il perd son emploi et se retrouve dans la rue.

Ensuite, l’histoire devient plus confuse. Selon les recherches effectuées par Victor Espinosa, Martín Ramírez aurait mal interprété une lettre de sa famille et coupé les ponts avec celle-ci. Il connaît alors la misère et se retrouve sans domicile fixe. En 1931, il est arrêté. Confus et probablement dépressif, il est placé en hôpital psychiatrique et y restera jusqu’à la fin de sa vie.

Derrière les murs de l’institution, Martín Ramírez commence à dessiner des madones, des cow-boys, des chevaux, des trains et des tunnels, inspiré par les églises et les fermes de son Mexique natal, ainsi que son voyage vers les États-Unis. Ne disposant ni de peinture ni de toiles, il dessinait avec des crayons gras et assemblait des morceaux de papier pour créer de grandes œuvres. Parfois, il réalisait des collages à partir de magazines. Son style est figuratif, mais toutefois moderne.

Des milliers de dessins que Martín Ramírez aurait réalisés, 500 auraient été conservés.

Une de ses madones se trouve dans une chambre forte de la Bibliothèque du Congrès de Washington. Tracey Barton, archiviste du département des manuscrits, a découvert le dessin en 2009, enroulé dans une boîte de biens ayant appartenu aux architectes Charles et Ray Eames.

« Je travaille à la bibliothèque depuis 35 ans, il s’agit sans doute de la plus invraisemblable de mes trouvailles ici » raconte Tracey Barton.

L’artiste comme figure mythique

Les œuvres de Martín Ramírez n’auraient probablement jamais été découvertes hors de l’hôpital psychiatrique où il résidait sans l’intervention de Tarmo Pasto, un professeur qui étudiait les réalisations artistiques des patients en psychiatrie. Il s’est intéressé aux dessins de Martín Ramírez et a aidé à organiser sa première exposition à l’E. B. Crocker Art Gallery de Sacramento, en Californie, en 1952. Toutefois, les dessins étaient présentés comme des créations d’un patient en psychiatrie anonyme, non d’un artiste.

« Ce récit captive le monde artistique, car il réunit des éléments fascinants et attachants. Il réaffirme aussi l’artiste en tant que forme de figure mythique », indique Brooke Davis Anderson, directeur du musée de l’Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie et curateur d’une importante exposition sur Martín Ramírez au Folk Art Museum de New York en 2007. Elle considère qu’il est temps de modifier ce récit.

Ce dessin de madone de Martín Ramírez a été découvert dans une boîte contenant des biens ayant appartenus à Charles et Ray Eames. Crédit : Bibliothèque du Congrès

Le fait que Martín Ramírez était considéré comme une figure mythique signifie aussi que personne n’a recherché sa famille jusqu’à ce que Victor Espinosa la localise au Mexique en 2000. La famille a ensuite intenté un procès pour obtenir les droits sur le patrimoine de l’artiste. Frank Maresca, co-propriétaire de la galerie Ricco/Maresca de New York, gère désormais cet héritage pour les 20 petits-enfants de Martín Ramírez. Il indique que bien que les plus importantes œuvres de Martín Ramírez se vendent un demi-million de dollars et que ses dessins se trouvent parmi les collections de certains des plus prestigieux musées de New York, comme le Guggenheim et le MOMA, d’autres comme le Metropolitan Museum of Art ou le Whitney Museum of Modern Art n’en possèdent pas.

« Je pense qu’ils considèrent que ces œuvres ne valent pas celles qui proviennent d’artistes sortis d’académies artistiques, ajoute Frank Maresca. C’est la seule explication. »

Donna De Salvo, curatrice principale du Whitney Museum of Modern Art, reconnaît cette lacune. « Nous sommes probablement quelque peu en retard, sincèrement. Nombre d’artistes latino-américains ne figurent pas dans notre collection. Nous en sommes conscients et nous rassemblons actuellement des consultants qui possèdent l’expertise nécessaire. »

Victor Espinosa ajoute également que vous ne trouverez aucune œuvre de Martín Ramírez au Mexique. Par exemple, le Regional Museum of Guadalajara, proche de la ville natale de l’artiste, a déclaré qu’il ne savait rien à son sujet.

Ils ne semblent pas au courant que la poste américaine a sorti un jeu de cinq timbres commémoratifs en l’honneur de Martín Ramírez en 2015.

Avant lui, une seule artiste mexicaine aurait été acclamée de cette manière aux États-Unis : Frida Kahlo.

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Porto Rico, piégé entre colonialisme et ouragans

mardi 3 octobre 2017 à 20:30
Puerto Rican Graffiti. Photo by Flickr user Juan Cristóbal Zulueta. Used under Creative Commons Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0) license.

Graffiti à Porto Rico. Photo tirée de Flickr prise par l'utilisateur Juan Cristóbal Zulueta. Publiée sous licence Creative Commons Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.

Tu es allée à Porto Rico pour son sable doré et son soleil — l'or, tu ne l'oublies pas, est aussi ce qui a d'abord attiré nos premiers colonisateurs. Pour ses interminables piña coladas, et ses mystères arrosés de rhum. Pour son charme colonial et son mode de vie pittoresque et modeste. La pauvreté semble si attrayante dans les Caraïbes, avec ses couleurs vives, ses eaux cristallines et son décor d'un vert exubérant — en plus, c'est seulement pour une semaine. Tes amis disent que c'est l'endroit le plus à la mode pour les vacances de printemps ; les journaux, que c'est une ruine criblée de dettes ; tes parents, que c'est dangereux et que l'eau n'est pas potable ; et les prospectus, que c'est un paradis (fiscal), un véritable éden. Et te voilà, avec ton maillot de bain et ton sarong, un mojito à la main, fin prête pour te concentrer sur ta seule tâche de la semaine : bronzer.   

Mais il apparaît que le soleil n'est pas rivé au ciel, et qu'il ne fonctionne pas avec un million d'ampoules inusables de 100 watts. La marée monte et la houle est cruelle. Les cocotiers, les palmiers et leurs branches sont des projectiles potentiels. Et un ouragan est en chemin, se dirigeant tout droit vers ton rêve libéré des soucis.

Tu tentes donc de prendre un vol loin de ce paradis devenu un enfer, parce qu'un ouragan ne faisait pas partie de ton programme de choses “à voir”. Au lieu de cela, JetBlue t'emmène dans un refuge à San Juan, un stade où il fait chaud et humide, où ton transat de plage a été remplacé par un lit de camp ; ta piña colada par une bouteille d'eau Walgreens ; ton rêve, par notre réalité.

Le courant était coupé chez moi quand j'ai imaginé le scénario ci-dessus, qui s'était déroulé la veille, juste avant l'arrivée d'Irma. Le lendemain, après le passage d'Irma, plus d’un million de foyers n'avaient plus d'électricité. L'Autorité de l'énergie électrique (Autoridad de Energía Eléctrica) prévoyait que les coupures de courant dureraient entre deux et quatre mois, et presque 80 000 foyers étaient aussi privés d'eau courante. Plus de 6 200 personnes se trouvaient dans des refuges dans le nord-ouest de l'île, et l'industrie agricole avait subi 30,4 milliards de dollars de pertes. L'Agence fédérale de gestion des urgences (désignée par le sigle FEMA en anglais) et le gouverneur Ricardo Rosselló étaient encore en train d'évaluer les dommages en termes de résidences et d'infrastructures. Et voilà qu'une nouvelle et puissante tempête était en chemin : Maria.

Porto Rico est un habitué des crises. Avant les ravages causés par Irma dans l'archipel, il était déjà plongé dans une des crises financières et sociopolitiques les plus dévastatrices de son histoire récente, avec une dette de 74 milliards de dollars qui n'a fait l'objet d'aucun audit et qui pèse sur ses épaules, 49 milliards de dollars d'obligations de retraite, et la somme de plusieurs décennies d'émissions illégales d'obligations et d'opérations commerciales en lien avec son statut revendiqué de paradis fiscal. Des politiques néolibérales telles que les coupes budgétaires draconiennes et les mesures d'austérité extrêmes avaient déjà rendu la vie à Porto Rico assez précaire. Et tout cela était supervisé et géré de concert par le gouverneur Rosselló, une Commission de contrôle fiscal non élue et antidémocratique [crée par la loi dite “Promesa”, votée par le Congrès des États-Unis en 2014] et la juge Laura Taylor Swain, tous trois à faire la navette pour assurer gestion fiscale du pays et le processus de restructuration de la dette du pays.

Mais même alors que l'ouragan Irma se dirigeait tout droit vers l'île, pour de nombreuses personnes étrangères au pays, Porto Rico demeurait juste une petite digression dans les brèves qui défilent en bas des écrans de CNN, une île enchanteresse, propriété des États-Unis, sur un prospectus touristique, cet endroit exotique où l'on a tourné le clip de “Despacito” (encore mieux avec Justin Bieber), un caillou qui sombre entre un océan et une mer qui en a trop vu.

Mais le passage et les répercussions d'Irma ont à nouveau mis en lumière le casse-tête majeur de Porto Rico : le colonialisme.

Porto Rico a été une colonie des États-Unis (qui préfère les euphémismes “commonwealth”, “territoire non incorporé” et “État libre associé”) pendant 199 ans, une relation qui a attiré le pays dans le piège d'une redoutable spirale infernale. L'actuelle crise fiscale et sociopolitique n'est qu'une des conséquences de cette relation.

Le passage de l'ouragan Irma a révélé les dégâts causés par les mesures d'austérité néolibérales imposées par la Commission de contrôle fiscal et les délits commis par les sociétés qui ont profité de la condition coloniale de Porto Rico. Tout d'abord, suite à la fermeture massive d'écoles publiques, seulement 329 écoles [en] étaient disponibles pour servir de refuge sur l'ensemble de l'île, comparées aux 327 écoles mises à disposition lors du passage de l'ouragan Bertha en 2014.

Les infrastructures portoricaines sont également à un stade avancé de détérioration, en particulier les routes, les ponts, l'Université de Porto Rico et les bâtiments des services publics, tous dangereusement menacés lors du passage d'Irma. Une bonne partie des “infrastructures de base” du pays sont situées sur la côte, ce qui les rend vulnérables aux inondations, aux marées hautes et aux ondes de tempête, surtout lors d'ouragans de l'intensité d'Irma ou de Maria.

Il faut noter qu'une grande partie de ces infrastructures a été construite pour profiter à l'industrie touristique et aux échanges commerciaux avec les États-Unis, et à eux seuls. L'argent investi dans les infrastructures tend à être destiné à revitaliser ces “éléments essentiels”, et non à réparer les chemins jonchés de nids-de-poule de nos collectivités, à rénover les bâtiments pleins d'amiante ou à remplacer les lampadaires endommagés, à la merci des vents des ouragans. Ce n'est qu'une nouvelle preuve de notre dépendance au marché colonial et de la nature, elle aussi essentiellement coloniale, de notre industrie touristique, lesquelles servent principalement la relation de Porto Rico avec les États-Unis.

Même l'état de catastrophe naturelle déclaré par le président des États-Unis, qui ouvre à Porto Rico l'aide de la FEMA, est de second ordre, puisqu'il ne vaut que pour les opérations de secours et sauvetage, la santé publique et la sécurité, ainsi que le dégagement des décombres [en]. Il ne prévoit pas la reconstruction, ni même le rétablissement de l'électricité, et avec la crise fiscale actuelle et le silence de la Commission de contrôle fiscal depuis le passage d'Irma, ces opérations vont relever de l'exploit pour Porto Rico, au vu du manque de ressources disponibles.

Selon Carla Minet, du Centre pour le Journalisme d'Investigation à Porto Rico :

The budget cuts, in an already weak economy, will probably make the storm’s social impact worse.

Les coupes budgétaires, dans une économie déjà fragile, vont probablement aggraver les conséquences sociales de la tempête.

Carla Minet ajoute que le pronostic que le directeur des politiques du Centre pour une Nouvelle Économie, Sergio M. Marxuach, avait établi avant l'arrivée d'Irma prévoyait que le Plan Fiscal qui vient d'être approuvé déboucherait sur une autre décennie perdue, avec une baisse continue de la population due aux migrations et à des taux de natalité moins élevés, moins d'emplois, un accès plus difficile à l'éducation publique, des coupes dans les retraites, une dégradation des résultats en matière de santé, une mortalité accrue et une baisse de l'espérance de vie, et en dernier lieu, des indices de pauvreté et d'inégalités plus élevés. “Ajoutez à présent à cela le cataclysme d'un monstrueux ouragan qui ne faisait pas partie du plan”, souligne Carla Minet.

Il est probable que la Commission de contrôle fiscal se serve d'Irma comme excuse pour imposer avec agressivité les nombreuses politiques qu'elle a en réserve, comme la privatisation de l'Autorité de l'énergie électrique de Porto Rico. Il ne serait pas non plus étonnant que le gouverneur Rosselló et la Commission s'emparent de l'occasion pour démanteler et privatiser l'Université de Porto Rico, la seule institution publique d'éducation supérieure du pays, ainsi que plusieurs autres institutions publiques démunies face au gouvernement colonial de la Commission et à ses évidentes attaques néolibérales.

Aujourd'hui, à peine deux semaines après le passage d'Irma, un autre ouragan de catégorie 5 vient de nous frapper, Maria. Et ce, alors que le courant électrique était tout juste rétabli dans certains foyers, quand d'autres demeuraient toujours dans l'obscurité; alors que le sol était encore jonché d'arbres et de lampadaires arrachés qui attendaient d'embrasser leur seconde vie de projectile ; alors que de nombreuses personnes, aussi bien des Portoricains que des réfugiés des îles voisines des Caraïbes, étaient encore en train de se remettre de la perte de leur maison, de leur nouvelle réalité ; et alors que la crise et le colonialisme continuent à se donner la main, comme chaque jour.

Et toi, tu restes assise sur ton lit de camp avec ton chapeau de paille, entourée de centaines de locaux qui se bousculent autour de toi, ce qu'il reste de leur vie fourré dans un sac ou une valise, et tu te demandes pourquoi JetBlue t'a abandonnée ici et est parti si vite ; pourquoi le refuge manque autant de personnel ; pourquoi le courant est coupé alors qu'il n'a pas encore commencé à pleuvoir et qu'il n'y a même pas eu une seule rafale de vent ; pourquoi CNN n'a pas parlé du passage d'Irma par Porto Rico. “Je suis là, appelez-moi un représentant de l'Ambassade!”, cries-tu dans ta tête en regardant l'écran de ton smartphone à l'article de la mort. Pourquoi, te demandes-tu, la vie a-t-elle été si injuste avec toi, et t'a gâché ces vacances tant désirées sur cette île enchanteresse ?

Tes pensées sont interrompues par la découverte d'une fenêtre ; tu marches lugubrement jusqu'à elle, tu regardes à travers la vitre baptisée par les pigeons, et tu observes les nuages de la tempête s'agglutiner, et les rafales de vent qui secouent un drapeau des États-Unis —oh, et un drapeau portoricain, aussi. 

Mis sur la liste noire de Trump, le Tchad est pourtant le pivot géopolitique de la région du Sahel

mardi 3 octobre 2017 à 18:15

Un véhicule blindé Eland Mk7 de l'armée tchadienne. Photo Idriss Fall pour VOA. Domaine Public.

Ces jours-ci, le Tchad, pays d'Afrique centrale grand comme deux fois la France, avec 14,5 millions d'habitants, s'est retrouvé dans les colonnes de la presse grâce à l'interdiction d'entrée aux USA imposée à ses nationaux par Donald Trump. Les antécédents électoraux de ce pays sont certes douteux, mais une telle interdiction n'en est pas moins perçue comme absurde au vu du rôle stabilisateur du Tchad dans la région sub-saharienne. De fait, le président tchadien Idriss Déby est venu le 8 septembre à Paris signer un accord avec l'Union Européenne, qui enverra au Tchad 8,3 milliards de financements de 2017 à 2021 pour aider le pays à se remettre d'une grave crise économique. Cette décision est vue par certains comme reflétant l'importance stratégique du Tchad par son engagement dans la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, malgré cette démonstration financière de soutien, les pressions politiques internes menacent le Tchad de l'intérieur et pourraient affecter son rôle de force stabilisatrice régionale.

Idriss Déby est arrivé au pouvoir en 1990 après avoir renversé le président tchadien de l'époque Hissène Habré avec l'aide des services secrets français. En avril 2016 M. Déby a été réélu pour la cinquième fois, et il a réussi depuis à consolider encore son pouvoir, malgré de nombreuses tentatives pour le renverser. Et il a aussi réussi depuis à positionner le Tchad en partenaire incontournable de la sécurité internationale sur le continent africain. Pendant sa récente visite à Paris, Déby a été félicité par le premier ministre français Edouard Philippe et le président français Emmanuel Macron pour son action contre les groupes terroristes de la région.

Lors d'un récent discours à Paris, M. Macron a fait de la lutte contre le terrorisme une des principales priorités de son gouvernement. Par conséquent, l'aide financière offerte au Tchad est vue comme un moyen de maintenir la stabilité de ce partenaire régional solide. L'importance du Tchad pour les pays occidentaux est le reflet de sa situation géographique et de l'histoire de son engagement dans les opérations de stabilisation de la zone.

Le rôle stabilisateur du Tchad dans la région

Le Tchad est situé au carrefour de la moitié nord de l'Afrique. La menace extrémiste est présente chez trois de ses voisins: le Nigeria, le Sud Soudan et la Libye, particulièrement avec Boko Haram au Nigeria. Avec sa position géographique, le Tchad est vu comme stratégique pour les intérêts français et occidentaux dans la lutte contre le terrorisme.

Le Tchad est un membre crucial de la coalition du G5 Sahel qui cherche, avec le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso et le Niger, à renforcer la coopération et la sécurité dans la région du Sahel. Dans le cadre de l’opération Barkhane, une opération anti-insurgés dans cette zone, le Tchad abrite un important contingent armé français de 3.000 hommes dont le quartier général est à N’Djamena, la capitale.

C'est aussi un des rares États africains ayant joué le rôle de gendarme régional. Le chercheur en sciences politiques tchadien Daniel Eizenga explique :

Le gouvernement tchadien a alors mené plusieurs négociations avec les groupes rebelles et le gouvernement soudanais, qui ont procuré un lieu sûr aux groupes rebelles. Les négociations terminées, et à la suite d'un accord entre le Tchad et le Soudan, l'armée nationale intégra la plupart des forces rebelles. Ce qui apporta une certaine stabilité même si quelques groupes rebelles continuent à contester l'autorité de Déby.

L'élection d'Emmanuel Macron va sans doute renforcer les liens entre les deux pays, par la priorité donnée à la lutte contre les groupes extrémistes, Boko Haram et AQMI. International Crisis Group décrit la situation :

La présence de Boko Haram se fait surtout sentir autour du lac Tchad, essentiellement situé en territoire tchadien. La région additionne les richesses de l'agriculture, du pastoralisme et de la pêche, et aimante les migrants de tout le Sahel, ce qui crée des tensions pour le contrôle des ressources. Boko Haram tire profit de la topographie du lac en cherchant refuge sur ses nombreuses îles. Pour contrer la menace actuelle tout en répondant aux besoins immédiats et à plus long terme de la population, les autorités tchadiennes doivent bâtir sur la coopération sécuritaire régionale relativement couronnée de succès, et commencer à s'éloigner de leur riposte militarisée à outrance pour intégrer une composante civile plus importante.

Idriss Déby a déployé ses soldats sur de multiples fronts : en République Centrafricaine, au Mali, et plus récemment dans le bassin du lac Tchad pour combattre Boko Haram, poursuivant une stratégie de diplomatie militaire dans sa conduite de lutte anti-terroriste dans la région. Les dépenses militaires ont aussi aidé le Tchad à étendre son engagement hors des frontières africaines, avec le soutien à la coalition à direction saoudienne contre les rebelles houthis au Yémen.

Le Tchad est aussi un partenaire important dans l'actuelle crise migratoire, puisque de nombreux réfugiés tentent d'atteindre la Libye en traversant la frontière tchadienne. Ces cinq dernières années, de nombreux Soudanais ont aussi trouvé refuge dans le pays. Un signe plus récent du poids politique croissant du Tchad a été l'élection de l'ancien ministre tchadien des Affaires étrangères Moussa Faki Mahamat à la présidence de la Commission de l'Union Africaine.

Conséquence de ses multiples engagements, le total des dépenses militaires du Tchad a flambé depuis 13 ans, passant de 67 millions de dollars en 2005 à 247 millions de dollars en 2006. Les dépenses militaires ont même battu leur record historique en 2009, avec 670 millions. Son armée est devenue aujourd'hui l'une des mieux équipées du continent. L'engagement du Tchad dans la guerre contre les groupes terroristes au Mali, par exemple, l'a obligée à se doter en armements plus modernes. Entre 2006 et 2014, le pouvoir a acquis 139 avions et 153 véhicules blindés.

En septembre, dans sa volonté d'accroître son influence et l'aide des autres pays, Idriss Déby a menacé de ne pas participer à la coalition G5 Sahel et de faire retirer une partie des troupes étrangères stationnées dans son pays si le Tchad ne recevait pas un ferme soutien financier.

Le poids politique du Tchad est-il durable ?

Rien n'est moins sûr. Malgré la solidité apparente du pays, grâce à son pouvoir militaire ferme et ses institutions politiques stables, le Tchad commence à encaisser des coups durs de son opposition interne. Le gouvernement essuie en ce moment des critiques sur les questions de droits humains et de démocratie, et est aux prises avec de graves difficultés économiques, illustrées par une détérioration de la qualité de vie quotidienne des Tchadiens. La chute des prix du pétrole cause des pertes dans les recettes d'exportation du pays. La crise est aussi exacerbée par les attaques de Boko Haram qui handicapent les échanges commerciaux avec le Nigeria et le Cameroun, faisant chuter le prix du pétrole — ce qui est particulièrement préjudiciable vu la forte dépendance de l'économie aux recettes pétrolières. Des coupes budgétaires draconiennes ont été mises en place depuis les premiers signes de chute des prix pétroliers, affectant de nombreux postes de dépenses publiques, comme les forces de police, les bourses étudiantes et les retraites. Elles ont aussi déclenché des manifestations des catégories de citoyens concernées.

Le pouvoir a réagi à ces protestations en étouffant la contestation publique. Ces dernières semaines, harcèlements, arrestations arbitraires et mauvais traitements ont été signalés. Au même moment, l'augmentation des cas de torture de journalistes, militants et opposants politiques devient alarmante. L'unique chaîne de télévision, Télé Tchad, est propriété de l’État et est la voix du gouvernement.

Les menaces extérieures augmentent elles aussi. Les violences causées par Boko Haram depuis début 2016 ont provoqué le déplacement de plus de 100.000 personnes et l'arrivée d'environ 7.000 réfugiés dans le pays. De nombreux attentats ont été commis à N’Djamena et autour du lac Tchad, déstabilisé par sa proximité géographique avec Boko Haram. Le pays subit aussi les pressions considérables d'autres menaces externes, comme la guerre civile en République Centrafricaine, et un afflux de réfugiés de son voisin le Soudan.

Face à ces défis, les autorités tchadiennes doivent se garder des politiques d'exclusion religieuse ou géographique. Boko Haram n'est pas le seul danger pour la stabilité politique du Tchad. Il y a aussi la crise politique nationale qui est le terreau fertile parfait pour toutes sortes d'acteurs violents, y compris les djihadistes. Pour l'éviter, l’État tchadien doit ouvrir l'espace politique et construire des institutions durables. A commencer par la tenue de nouvelles élections parlementaires, récemment reportées par Idriss Déby sous prétexte de budget insuffisant. En marge de la visite du président tchadien à Paris, le ministre français des Affaires étrangères Jean Yves le Drian a exhorté le pays à convoquer de nouvelles élections parlementaires, rappelant que le soutien français était conditionné à l'existence d'un régime démocratique, et agitant la perspective d'un déclin de l'aide française et européenne au cas où Idriss Déby resterait sourd aux critiques actuelles.

L'autorisation de la centrale hydroélectrique brésilienne de Belo Monte à nouveau suspendue

mardi 3 octobre 2017 à 13:47

Une vue du relogement urbain collectif (RUC) Jatobá, à Altamira, Brésil. Photo: Aaron Vincent Elkaim/ISA, reproduction autorisée.

Cet article d'Isabel Harari a été publié à l'origine sur le site de l'Instituto Socioambiantal, avec qui Global Voices est partenaire et dont nous partageons les publications.

Le barrage de Belo Monte dans l’État du Pàra, dans le Nord du Brésil, avait reçu son permis d'exploitation il y a deux ans et sa construction est sur le point de s'achever. Pourtant, ce barrage hydroélectrique demeure la cible d'accusations de violations de droits sociaux et environnementaux.

Le 13 septembre, la cour régionale au Brésil a suspendu sa Licence d'Installation (LI) à cause des conditions de logement déplorables dans les abris construits pour des centaines de familles par Belo Monte.

Les critiques contre les problèmes liés à ces logements ont débuté en 2012 lorsque Norte Energia, entreprise sous-traitante de Belo Monte, promit des maisons en brique de trois dimensions différentes selon la taille des familles concernées. Pourtant, toutes les familles ont été relogées dans des maisons en béton de taille identique. Les longues distances entre ces nouveaux logements et les lieux de travail et d'études des habitants, ainsi que le mauvais état des logements avec des trous et des fissures dans les murs sont quotidiennement dénoncés par les organismes publics.

La suspension gèle tous les travaux liés à l'installation de la centrale hydroélectrique, programmée pour être pleinement opérationnelle d'ici 2019. Norte Energia refuse de reconnaître l'autorité judiciaire de la décision et a déclaré dans un communiqué “qu'une telle décision n'a pas d'effet puisqu'elle se réfère à la Licence d'Installation.”

Le 22 septembre, la même cour régionale a autorisé le recours aux forces de l'ordre si Norte Energia ne respectait pas la décision et poursuivait l'installation.

La militante pour l'environnement Helena Palmquist, basée dans l’État du Parà, a fait part de tensions liées à cette décision dans une série de tweets :

Norte Energia et le gouvernement brésilien ont toujours dit que Belo Monte serait le salut des mangeurs de vers de terre du Xingu [le fleuve sur lequel est construit Belo Monte]

Ils ont toujours affirmé que les gens vivraient dans les meilleures maisons possibles, avec le meilleur assainissement du pays.

Rien de tout cela ne s'est produit et l'entreprise essaie même de se défendre devant les tribunaux en affirmant que l’humidité de l'Amazonie était inattendue. L'assainissement n'a jamais été prêt.

Et maintenant, avec la centrale presque prête, ces gens doivent accepter la ruine de leur vie comme un fait accompli

L'arrêt de Belo Monte est un minimum. Vraiment un minimum.

Suspensions en série

Norte Energia détient depuis novembre 2015 un permis d'opérer qui a totalement modifié les termes de la Licence d'Installation. celle-ci comporte de nouvelles conditions qui n'ont pas été remplies et confirme ainsi que l'entreprise ne respecte pas les règles environnementales. La centrale est la cible de quatre autres décisions de justice qui pourraient également ordonner la suspension de sa licence d'exploitation.

A partir d'avril 2017, une cour régionale a suspendu l'activité de l'entreprise jusqu'à ce que le système d'évacuation des eaux usées soit amélioré, mais rien n'a été fait. Une décision historique car elle a été la première à casser une suspension des règles de sécurité, ce qui permettait à la société de continuer de travailler sans contrôler le respect de ces règles.

Alors que la licence d'opération demeure annulée et que la suspension de la licence d'installation était validée par la loi, aucune de ces décisions n'ont été mises en œuvre. La fin de l'installation est prévue pour 2019 avec la mise en place de la dernière turbine.

Norte Energia continue de produire et de vendre de l'énergie, au mépris de toutes les décisions judiciaires prises.

PHOTOS : La faune népalaise que ce photographe admire et veut protéger

mardi 3 octobre 2017 à 10:15

Un rhinocéros dans l'eau, Chitwan. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Sagar Giri n'a jamais été satisfait des photos qu'il voyait autour de lui : floues, avec des sujets mal positionnés et des couleurs fades. Il voulait donc avoir son propre appareil photo pour essayer de régler ce problème.

Cela, c'était quand il était enfant. Aujourd'hui, Sagar Giri a 28 ans et il fait tout son possible pour faire connaitre la faune du Népal au reste du monde. Sa ville natale se situe à côté du parc national de Chitwan, ce qui lui offre l'occasion idéale pour prendre des photos qui attirent l'attention sur le monde des animaux au Népal. Sur Facebook, il explique pourquoi cet emplacement privilégié l'aide dans son travail :

I live on edge of the World Heritage Site Chitwan National Park, what can be better for a wildlife Photographer enthusiast!!

So, today i was resting at my place and suddenly Navaraj (Manager at Chitwan Gaida Lodge) calls me, he got my dad's call that there is the leopard at the bank of Rapti river. The River dam just a few minutes away at the touristic place of Sauraha. I immediately ran with my camera & reached within minutes. My Dad had been watching him, showed me the place across the River a long Distance where Leopard was and immediately my shutter burst began!!

Je vis au bord du Parc national de Chitwan, classé au patrimoine mondial de l'humanité, qu'y a-t-il de mieux pour un photographe animalier passionné !

Donc, aujourd'hui je me reposais chez moi quand tout à coup Navaraj (responsable du Chitwan Gaida Lodge) m'appelle, il a reçu un appel de mon père pour le prévenir qu'il y avait un léopard au bord de la rivière Rapti. La barrage de la rivière est juste à quelques minutes du site touristique de Sauraha. J'ai tout de suite couru avec mon appareil photo et j'y suis arrivé dans la minute. Mon père l'avait surveillé, m'a montré l'emplacement de l'autre côté de la rivière où le léopard se trouvait, c'était assez loin et l'obturateur de mon appareil photo se mit immédiatement en mode rafale !

Sagar espère travailler avec le gouvernement afin de faire reconnaître la nature du Népal dans le monde entier et souhaite faire prendre conscience aux gens que les animaux sauvages ne sont pas aussi redoutables qu'ils en ont l'air. Et, il en sait quelque chose : il s'est déjà retrouvé face à des tigres :

A tiger doesn't lose sleep over the opinion of sheep!!
Late evening too low on the light. Home time for all the animals & birds. I was also returning home coz of darkness, then suddenly appears the King from the Bushes, immediately sits when we both see each other & Stares at me through the sal trees!!

Les dires du mouton n'empêche pas le tigre de dormir !
Il était tard, très peu de lumière.Tous les animaux et les oiseaux étaient de retour dans leurs abris. Je rentrais aussi chez moi car il faisait trop sombre et tout à coup le roi surgit des buissons, immédiatement il s’assoit au moment où nous nous regardons et me fixe du regard derrière les sals [grand arbre originaire d'Asie du Sud, NdT] !

Conscient de la nécessité de protéger les animaux sauvages, Sagar a inscrit le logo “i click for conservation” [je clique pour la préservation, NdT] sur ses photographies. En revanche, sa passion pour la promotion de la nature et de la faune sauvage du Népal n'est pas toujours facile. Il a attendu 22 jours pour photographier des loutres au parc national de Bardia, et vivait quasiment dans une tente. Pour obtenir des images de tigres, il a attendu plus de 12 jours, et entre 6 à 7 jours pour avoir le cliché parfait d'oiseaux vivant dans des cabanes à proximité.

Regardez quelques-unes de ses photos ci-dessous :

Ibis noir, Parc National de Chitwan. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Buffles d'eau sauvages, Arna, Parc National de Chitwan. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Calao pie, Chitwan. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Vautour de l'Himalaya, Restaurant Jatayu, Pithauli, Nawalparasi. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation

Loutres à pelage lisse, Parc National de Bardia. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Martin pêcheur d'Europe, Sauraha, Chitwan. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Vautour percnoptère ou percnoptère d'Egypte, Pokhara. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Balbuzard pêcheur, Pithauli, Nawalparasi. Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.

Tigre du Bengale, Parc National de Chitwan . Photographie de Sagar Giri. Utilisée avec autorisation.