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Une mère dans un champ de mines : les femmes aussi déminent le Haut-Karabagh

jeudi 12 juillet 2018 à 09:33

Cet article a été originellement publié par Chai-Khana.org, dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices. Texte et photographies de Knar Babayan.

De loin, les trois sapeurs se ressemblent : bottes montantes, pantalons aux profondes poches, un casque muni d'une visière de sécurité et des gants. De nombreux habitants du Haut-Karabagh [fr], une société relativement traditionnelle, supposent que ce sont des hommes. Mais ce sont des femmes, et comme les hommes, quand elles entrent dans un terrain potentiellement miné, elles le font pour aider leurs familles à survivre.

“Je le fais pour ma famille, pour donner à mes enfants un futur meilleur et sans danger”, explique la sapeure Kristine Khachatryan, 38 ans, mariée et mère de trois garçons âgés de six à dix-huit ans.

Quand Kristine Khachatryan rentre chez elle le week-end, son fils de 6 ans la suit partout.

Pendant plusieurs années après la fin du conflit [fr] qui l'a opposé à l’Azerbaïdjan au début des années 90, le Haut-Karabagh a régulièrement compté une vingtaine de victimes de mines terrestres et d'obus non explosés.

Le Halo Trust, une organisation de déminage britannique en opération dans la région depuis dix-huit ans, a déclaré le Haut-Karabagh nettoyé à quatre-vingt-dix pour cent, mais la menace potentielle demeure. Rien qu'en mars 2018, l'explosion d'une mine dans la région de Martakert a tué trois sapeurs et blessé deux villageois.

Le déminage n'est pas une décision professionnelle facile. Pourtant, quand le Halo Trust a commencé à recruter ses premières femmes sapeurs il y a trois ans, Mme Khachatryan, comptable du village d'Artashavi (à 80 km au sud-ouest de Stepanakert, la ville principale du Haut-Karabagh), a décidé de postuler.

Après son examen, n'ayant pas trouvé de mine dans un morceau de terrain près du village de Karegah, Mme Khachatryan marque une nouvelle zone de déminage.

Elle l'a fait “par curiosité” : en 2013, l'explosion de deux mines près d'Artashavi avait blessé plusieurs locaux, mais aussi par nécessité financière.

Son mari, Garik Ohanjanyan, un ancien instituteur, était au chômage.

Le travail de sapeur rapporte 225.000 drams (environ 400 euros) par mois et est fourni avec une assurance : il a quasiment quadruplé son revenu.

“Bien sûr, ce n'est pas facile d’être sapeur. Bien sûr, ma famille s’inquiète à mon sujet”, explique Mme Khachatryan. “Je m’inquiète aussi et je suis toutes les règles de sécurité. Si vous suivez les consignes de sécurité, vous pouvez rester sain et sauf. La règle d'or d'un métier dangereux est la sécurité.”

Pourtant, une fois certifiée, elle ne s'attendait pas à exercer longtemps. Elle a accepté son poste car le premier champ de déminage était proche d'Artashavi et de sa famille.

“Bien sûr que j'étais inquiète au début,” se rappelle-t-elle. “Mais j'ai compris plus tard qu'il n'y a pas de mauvais métier. Il n'y a que de mauvaises personnes. Et maintenant je suis fière de faire un travail humanitaire aussi important.”

Même sur le terrain, Kristine Khachatryan met un point d'honneur à se faire les ongles, porter du maquillage et prendre soin de ses cheveux. Pour elle, les femmes devraient toujours avoir l'air féminin, peu importe le métier qu'elles exercent.

Le fait qu'elle soit aussi une pionnière ne lui est jamais venu à l'esprit.

“Avant de devenir sapeure, je n'ai jamais pensé que c'était un ‘métier d'homme’, ni comment je pourrais travailler dans un monde masculin”, continue-t-elle.

“Vous pensez à des choses complètement différentes quand vous entrez dans un champ de mines”, telles que des affaires de la vie courante, ou votre famille, ajoute-t-elle.

Les onze sapeures de Halo Trust travaillent en trois équipes, chacune dirigée par un homme. L'organisation a l'intention de former les femmes à diriger des équipes et à conduire, explique la coordinatrice du projet Anna Israelyan.

Bien souvent, les sapeurs travaillent sur des terrains éloignés de leur base, généralement une maison louée dans un village ou une ville proche. Une petite partie (déminée) du terrain est donc parfois transformée en cuisine à l'air libre, où ils peuvent manger, se reposer, et sécher leur vêtements.

Les équipes sont sur le terrain du lundi au vendredi. Se rendre à la station locale, une maison louée dans un village ou une ville proche, peut prendre du temps sur les mauvaises routes du Haut-Karabagh, par exemple plus de deux heures pour faire soixante-cinq kilomètres en taxi. Il n'y a pas toujours de transport en commun.

La semaine de Mme Khachatryan commence à 7h chaque lundi. Déjà en vêtements de terrain, elle vérifie rapidement son équipement de déminage et boit une tasse de café ou de thé avant de sortir.

La plupart des terrains autour du village de Karegah, dans la région de Kashatagh, avaient déjà été déminés quand Mme Khachatryan et son équipe sont arrivés (sur cette photographie, pendant l'hiver 2016). Pendant la semaine qu'ils y ont passée, elle a trouvé une mine. Elle affirme qu'elle ne ressent rien de particulier quand elle trouve une mine, mais que les émotions la rattrapent après sa neutralisation.

En son absence, son mari et ses enfants (Gor, dix-huit ans, Tigran, seize ans et Nairi, six ans) ont dû apprendre à faire le ménage et la vaisselle, cuisiner et utiliser le lave-linge.

Ils se chargent de toutes les taches ménagères quand elle est en déplacement pour la semaine de déminage.

L'année prochaine, son fils aîné Gor ira à Stepanakert pour les deux ans de service militaire obligatoire. Elle veut que ses deux plus jeunes fils le suivent pour qu'ils puissent se voir et avoir accès à plus de sports.

Pendant ses pauses dans le champ de Karegah, elle fait un bonhomme de neige en forme de sapeur pour en envoyer une photographie par e mail à ses enfants.

Les garçons ne trouvent toujours pas que le déminage soit une activité appropriée pour une femme, mais ils sont fiers de leur mère quand elle apparaît dans les médias.

Mme Khachatryan reconnaît elle-même qu'elle “ne se sent pas toujours en harmonie en tant que femme, mère et sapeure.” Elle aimerait organiser son travail pour avoir plus de temps avec sa famille et en particulier avec son plus jeune fils, qui n'avait que trois ans quand elle a commencé.

Néanmoins, elle croit que “les femmes ne sont pas professionnellement inférieures aux hommes.”

Pour rattraper son absence de la semaine, elle essaye le week-end d'acheter quelque chose de savoureux pour ses enfants. Ici, avec son mari Garik (reflété dans le miroir), elle réchauffe des frites pour le déjeuner.

Pour certains pourtant, l'explosion de mars a été un avertissement qu'il était temps qu'elle change de métier. De nombreux amis et parents se sont mis à l'appeler et lui demander si elle ne devrait pas quitter son travail.

“Honnêtement, je n'ai eu aucun sentiment de peur en entrant dans un champ de mines après cet accident”, explique-t-elle. “Ça m'a fait beaucoup de peine en tant qu’être humain et j'ai ressenti une énorme responsabilité de continuer le travail de mes amis.”

Elle a l'intention de continuer à exercer son métier.

La taxe ougandaise sur les médias sociaux élargira la fracture numérique entre hommes et femmes

mardi 10 juillet 2018 à 14:25

Juin 2018 Manifestation du Groupe de travail sur la protestation des femmes à Kampala, en Ouganda. Photo de Katumba Badru, utilisée avec permission.

Le 1er juillet, l'Ouganda a mis en place une nouvelle taxe journalière sur l'utilisation des médias sociaux et des plateformes de messagerie, au motif que – selon les mots du président Museveni – les médias sociaux sont un “bien de luxe”.

Cette taxe va indiscutablement creuser la fracture numérique pour les Ougandais les moins nantis. Mais les résultats pourraient être pires pour les femmes, qui sont déjà confrontées à des obstacles importants dans l'accès et l'utilisation d'Internet.

Selon la World Wide Web Foundation, le coût de 1 Go de données représente 22% du revenu mensuel moyen en Ouganda. Les pays qui ont un internet onéreux comme l'Ouganda et le Mozambique ont le plus faible nombre de femmes en ligne. Au niveau régional, seule une femme sur neuf en Afrique a accès à Internet. Seulement 37% des femmes interrogées dans dix villes sélectionnées dans le monde, y compris Kampala, utilisaient Internet contre 59% des hommes.

Les recherches menées par le Women of Uganda Network et la Web Foundation indiquent qu'en raison de la pauvreté féminine, de nombreuses femmes ougandaises qui dépendent de l'agriculture de subsistance ne peuvent pas se permettre d'acheter un smartphone ou des recharges de données. Celles qui peuvent s'offrir des appareils et des services mobiles font souvent face à des barrières linguistiques et à un faible niveau d'alphabétisation.

La culture et la société jouent également un rôle dans l'écart numérique entre les sexes. Dans la société ougandaise, il y a des normes ancrées de pensée négative envers la participation et l'engagement des femmes dans les espaces publics. Cela s'étend à des espaces comme les cafés et les télécentres, où l'accès à Internet est souvent disponible. Les schémas d'inégalité entre les sexes, reflétés dans la participation politique et la représentation dans les structures décisionnelles, ainsi que les disparités économiques, l'accès à l'éducation (et donc l'alphabétisation) et la division du travail dans l'économie contribuent tous à creuser le fossé numérique entre les sexes.

Pourtant, certaines femmes ougandaises sont malgré tout présentes en ligne. La révolution numérique a donné aux femmes ougandaises la possibilité de s'engager politiquement, de dire la vérité au pouvoir, de démanteler le patriarcat, de demander conseil à leurs amis, d'accéder aux informations, de se connecter avec les clients, de vendre leurs produits, de créer des associations caritatives, de former des groupes de soutien psychosocial, de coordonner les groupes d'épargne, d'organiser la supervision du quartier pour les enfants quand ils sont absents, et bien plus encore. Quelque chose échappe au président Museveni quand il dit que les médias sociaux servent aux potins. Et même si c'était le cas, la communication est un besoin humain fondamental.

La taxe ignore également le manque critique de culture numérique, en particulier chez les Ougandais pauvres. Lorsque j'ai interviewé des femmes vivant à Bwaise, un bidonville de Kampala, j'ai appris que pour elles, WhatsApp et Facebook sont Internet. Ce sont les seules plates-formes qu'elles savent utiliser. Donc, avec la nouvelle taxe, elles en seront complètement exclues.

Si seulement le gouvernement ougandais adhérait à la résolution [fr] du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies de 2016 sur la promotion, la protection et la jouissance des droits humains sur Internet, il saurait qu'Internet doit être ouvert. L'article 6 vise “à combler le fossé numérique entre les sexes et à améliorer l’utilisation des technologies propices, notamment des technologies de l’information et de la communication, afin de promouvoir l’autonomisation de toutes les femmes et les filles. Et l'article 10 condamne “les mesures qui visent à empêcher ou à perturber délibérément l’accès à l’information ou la diffusion d’informations en ligne, en violation des droits humains internationaux, et invite tous les États à s’abstenir de telles pratiques et à les faire cesser;

Le président Museveni dit que les médias sociaux sont un bien de luxe et que les gens ont le choix de les utiliser ou non. L'écouter dire cela fait vraiment mal. Nous sommes en 2018 ! Tandis que le reste du monde s'oriente vers l'intelligence artificielle, l'innovation autour de l'Internet des objets et l'accès gratuit à Internet dans les lieux publics, l'Ouganda avance dans la direction opposée.

Si seulement les membres du parlement, les nombreux conseillers du président et le ministère des TIC s'arrêtaient juste un instant pour écouter le tollé du peuple ougandais – qui a été fort et clair depuis que la taxe est entrée en vigueur le 1er juillet – ils auraient déjà abrogé la taxe.

À l'approche de l'échéance pour la taxe sur les blogueurs, les principaux sites indépendants s'éteignent en Tanzanie

mardi 10 juillet 2018 à 11:19

Maxence Melo, fondateur du Jamii Forums. Photo via Facebook. Utilisée avec permission.

[Billet d'origine publié le 13 juin 2018] Comme des dizaines de blogs indépendants et de pages de réseaux sociaux, Jamii Forums, le site indépendant de commentaires et d'informations le plus populaire de Tanzanie, a tiré le rideau en prévision de la “taxe des blogueurs»” qui entrera prochainement en vigueur dans ce pays.

A compter du 15 juin 2018, les blogueurs tanzaniens doivent s'enregistrer et payer plus de 900 dollars US par an pour publier en ligne. Si les blogs et autres contenus en ligne, tels que les chaînes YouTube, fonctionnent après le 15 juin sans licence, ils peuvent être punis d'une amende d'au moins cinq millions de shillings tanzaniens (environ 2 500 USD) ou d'un emprisonnement d’ “au moins 12 mois ou les deux.”

Bien que les frais d'inscription et les amendes subséquentes soient élevés, de nombreux blogueurs affirment qu'il ne s'agit pas seulement de l'argent, mais aussi de la complexité et de l'ambiguïté de l'obligation d'appliquer la nouvelle réglementation.

Depuis la première publication de la directive par l'Autorité tanzanienne de régulation des communications (TCRA) le 16 mars 2018 [fr], les blogueurs tanzaniens et les organisations de la société civile ont réagi activement à la nouvelle réglementation de diverses manières.

Une coalition du Centre juridique et des droits de l'homme ainsi que d'autres organisations de la société civile y compris Tanzania Human Rights Defenders (Défenseurs des droits humains tanzaniens), le Media Council of Tanzania (Conseil des médias de Tanzanie), Jamii Media, la Tanzania Media Women Association (Association des femmes de médias tanzanienne) et le Tanzania Editors Forum (Forum des directeurs de rédaction de Tanzanie) ont lancé une pétition qui a été présentée le 4 mai. Le juge a demandé à l'équipe de soumettre à nouveau sa requête pour des raisons techniques, période au cours de laquelle elle a obtenu une injonction temporaire jusqu'au 28 mai. Cependant, son argument a finalement été rejeté par le juge, soutenant que “les organisations n'ont pas démontré comment la régulation les affectait.”

Les blogueurs tanzaniens ont protesté de manière créative contre les nouvelles réglementations des blogs, commentant ouvertement la loi sur les blogs en ligne. Aikande Kwayu, qui a notamment blogué sur la politique tanzanienne et les élections de 2015 (et écrit aussi des critiques de livres et des flash-fictions) a suspendu son site Internet le 1er mai en signe de protestation.

Mtega, un blog de technologies et de développement appartenant à Ben Taylor qui réside au Royaume-Uni, a invité les blogueurs tanzaniens à écrire des articles sur son blog. Chambi Chachage a cédé son blog Udahisi (Curiosité en swahili) le 27 avril à Takura Zhangazha, qui réside au Zimbabwe. Et Elsie Eyakuze a suspendu son blog The Mikocheni Report, faisant une pause pour devenir un “réfugié numérique”:

[tweet de Pernille Bærendtsen : Les blogueurs tanzaniens ont activement protesté contre la nouvelle réglementation sur les blogs – mais de façon différente, non?! @aikande, vous avez maintenant un blog sur @mtega ? @Udadisi, vous avez changé de propriétaire ? @MikocheniReport, vous avez fermé le vôtre? Exact ? D'autres ?]

[réponse d'Elsie Eyakuze] Oui. Je fais une pause, et en tant que réfugiée numérique je vais dépendre de la bonté d'autrui jusqu'à ce que je trouve la réponse à la question ‘Et maintenant ?’

Le 11 juin, le très populaire Forum Jamii, surnommé le “Reddit tanzanien” et le “Swahili Wikileaks”, a décidé de fermer, créant un grand buzz sur la scène des médias sociaux tanzaniens.

En décembre 2016, la police tanzanienne avait arrêté Maxence Melo, co-fondateur et directeur de Jamii Forums, pour avoir refusé de divulguer des informations sur ses membres, une demande faite en vertu de la loi sur la cybercriminalité.

Le 12 juin, Elsie Eyakuze a tweeté en faisant référence à la manière dont les médias sociaux ont connecté les gens hors ligne en Tanzanie, ainsi qu'au rôle important des Jamii Forums en tant que plateforme pour les lanceurs d'alerte divulguant des documents liés à la corruption:

En fait. Les gens révélaient des documents à tour de bras tout au long du forum. Longtemps avant Mange Kimambi. Je n'aurais jamais imaginé que je finirais par rencontrer Mike et Max. Ils souriaient plus facilement alors. Nous étions tous tellement plus jeunes ! Ensuite, je vous ai rencontré tous. Akina @mtega et @Dunia_Duara

Dans une interview, le fondateur de Jamii Forums, Maxence Melo, a déclaré à The Citizen:  “Il est évident que notre plate-forme était ciblée lors de la formulation de cette loi.”

La redevance annuelle de 900 USD est une somme d'argent substantielle dans un pays où près d'un tiers de la population vit toujours dans une pauvreté extrême. L'obligation d'enregistrer des plates-formes et d'obtenir un certificat d'exonération fiscale peut constituer un obstacle bureaucratique, car la plupart des blogueurs sont des individus sans entreprise enregistrée. Les propriétaires de blogs et de médias en ligne doivent d'abord obtenir une licence, puis, pour compliquer les choses, ils doivent adhérer à un ensemble de réglementations plutôt complexes.

Le 12 juin, Aikande Kwayu a envoyé ce tweet:

Je pense aussi que le problème n'est pas tant le paiement que la responsabilité ultérieure après obtention de la licence (si elle est accordée). Ce n'est pas seulement une licence d'autocensure, mais un moyen de devenir l'outil de l'État pour censurer le droit civique de s'exprimer des autres (contributeurs).

Le 12 avril, Ben Taylor a expliqué certaines de ces complexités, soulignant que la réglementation exige que le propriétaire d'un blog “soit capable d'identifier tous ceux qui publient du contenu” et qu'il “coopère avec les forces de l'ordre”.

Capture d'écran du règlement de la TCRA détaillant les questions et définitions relatives à la nouvelle loi. Image partagée sur Twitter.

Taylor pense que cela pourrait entraîner “des obligations de révéler l'identité de toute personne publiant sur un site, rendant vulnérable quiconque publierait des commentaires anonymes sur des blogs, des sites de journaux ou des forums Web”.

En Tanzanie, les tensions politiques ont augmenté au cours des dernières années. Depuis les élections présidentielles en 2015, le débat politique a été restreint par l'interdiction des rassemblements de l'opposition et l'étouffement des médias indépendants, les sanctions, l'intimidation et la punition des citoyens pour avoir critiqué le président Chaput cha Mapinduzi.

La loi sur la cybercriminalité du pays, adoptée en 2015, a joué un rôle important dans le bâillonnement de la dissidence. Rien qu'en 2015 et 2016, au moins 14 Tanzaniens [fr] ont été arrêtés et poursuivis en justice pour avoir insulté le président sur les réseaux sociaux.

La Tanzanie n'est pas le seul pays à contrôler l'utilisation des médias en ligne par ses citoyens ces derniers mois. L'Ouganda [fr] et le Kenya ont récemment publié de nouvelles restrictions en ligne sur la production et la réglementation de contenu.

Censure en Ouzbékistan : plus ça change, plus c'est la même chose ?

lundi 9 juillet 2018 à 20:41

Oumida Akhmedova. Image utilisée avec permission.

L'Ouzbékistan est en train de changer, du moins c'est ce que l'on nous dit. Depuis le décès en 2016 d’Islam Karimov, le dirigeant de la nation pendant presque trois décennies, l'ancienne république soviétique de 33 millions d'habitants a entrouvert ses portes. Les touristes sont de plus en plus les bienvenus dans cette république d'Asie centrale, et le gouvernement se tourne dorénavant vers le monde pour investir, obtenir des financements et entretenir de meilleures relations avec les pays qui entourent son territoire complètement enclavé. Le successeur de Karimov, Shavkat Mirziyoyev, a ouvertement célébré la contribution de son ancien mentor tout en s'efforçant de ne pas aborder les passages les plus sombres d'un règne long et répressif.

Cependant, jusqu'où ira l'Ouzbékistan dans sa volonté de mettre fin au travail forcé ? Peut-on se fier aux engagements qu'a pris le gouvernement d'en finir avec la torture dans les prisons du pays [en] ? Le gouvernement acceptera-t-il l'existence d'une presse critique et d'une opposition politique, aussi faible soit-elle ?

Le test décisif pour évaluer le potentiel du gouvernement ouzbek à se détacher de son passé autoritaire sera celui des arts. Sous le régime d'Islam Karimov, dont le règne débuta à l'époque soviétique, les productions cinématographiques, photographiques, musicales et les autres formes d'expression artistique étaient systématiquement censurées, contribuant ainsi à la création d'un environnement hostile à l'expression de soi.

Un des exemples notables de cette pratique a été la condamnation de la photographe et cinéaste Oumida Akhmedova à six mois d'emprisonnement au début de l'année 2010 après que celle-ci fut accusée pour injures et diffamation en vertu des articles 139 et 140 du code pénal ouzbek. Son crime ? Avoir montré des photos illustrant la pauvreté dans les milieux ruraux ouzbeks, ce qui contredit le récit de la réussite de la nation propagé par les médias de l'État. Elle fut immédiatement amnistiée mais a encore à ce jour un casier judiciaire.

Global Voices s'était déjà entrenu avec Oumida Akhmedova en 2015. Nous lui avons à nouveau parlé en juin 2018, quelques mois après qu'elle reçu une invitation plutôt curieuse et sans précédent pour exposer ses derniers clichés dans une galerie d'art privée de la capitale ouzbèke, Tachkent. Elle y fut invitée à présenter son travail aux côtés de son mari, le cinéaste Oleg Karpov.

Est-elle pour autant optimiste quant à l'avenir de l'art dans le pays le plus peuplé de la région ? Certainement pas.

Global Voices: Oumida, il s'est passé beaucoup de choses depuis la dernière fois que nous avons discuté ! Cela vous a-t-il surpris que vous ayez été autorisés à organiser une exposition pour la première fois à Tachkent l'an passé ?

Umida Akhmedova: It was not that we were allowed to, the idea was proposed to us and it was not a surprise. It was immediately clear that this was not an independent decision on the part of the gallery and rather part of the government's games. At the time, Mirziyoyev was planning to go to the United States and authorities were doing a lot of work in terms of improving the country's image. Why did we agree to go along with it? Because I live here! At any rate, the theme of our exhibition was not so “sweet” (from the government's point of view). It was titled “Meek Sky” in contrast to the “Peaceful Sky of Karimov” mentioned in the state's celebrations of his life.

The experience of Soviet dissidents teaches us that it is possible to play with the government — if only for short periods of time of course — when your services are suddenly in demand. You can show your opposition in a passive sense. We decided to play at this old game.

But the name of the exhibition — Meek Sky — plus some of the video footage we used gave the exhibition an anti-Soviet feel. Sure enough, the subsequent reaction of the government was sufficiently “Soviet.” At night someone came and fired shots from an air pistol at the glass panels of the art gallery!

Oumida Akhmedova: Ce n'est pas que l'on nous ait autorisés à le faire, l'idée nous a en fait été proposée et cela ne nous a pas surpris. Dès le départ, il était évident que cette décision n'avait pas été prise de façon indépendante par la galerie mais qu'elle faisait partie d'une tactique du pouvoir. Au même moment, le Président Miriziyoyev projetait de se rendre aux États-Unis et les autorités travaillaient d'arrache-pied à améliorer l'image du pays. Alors pourquoi avons-nous accepté l'invitation ? Parce que j'habite ici ! De toute manière, le thème de notre exposition n'était pas si « gentil » (du point de vue du gouvernement) ; celle-ci s'intitulait « Ciel humble » par opposition au « Ciel paisible de Karimov » dont il a été fait mention durant les hommages qui lui ont été rendus par l'État.

L'expérience de la dissidence soviétique nous montre qu'il est possible de jouer au jeu du gouvernement, ne serait-ce que pour de courtes périodes, lorsque vos services sont soudainement prisés. On peut montrer son opposition par la résistance passive, et nous avons décidé de jouer à ce jeu éprouvé.

En revanche, le nom de l'exposition « Ciel humble » combiné à certaines séquences vidéo que nous avons utilisées ont donné à l'exposition une touche anti-soviétique. Bien entendu, la méthode employée par le pouvoir s'est révélée assez « soviétique » : le soir venu, quelqu'un est venu tirer au pistolet à air comprimé sur les panneaux vitrés de la galerie  !

GV: Pensez-vous vraiment que cela s'est produit à cause de votre exposition ?

UA: The owner of the gallery tried to persuade us that my exhibition wasn't the reason. Before that she had been a victim of dirty tricks, she said. But Oleg and I think that it was because of my exhibition.

OA: La propriétaire de la galerie a tenté de me convaincre que mon exposition n'en était pas la raison. Elle m'a fait savoir qu'elle avait déjà été victime de mauvais tours auparavant, mais Oleg et moi pensons que l'exposition en était la cause.

GV: Il semble que beaucoup de choses ont changé sous la présidence de Shavkat Mirziyoyev, mais nombreuses sont les choses qui restent inchangées. Êtes-vous d'accord avec ce constat ?

UA: Some things have changed. It is now possible to take photos in Tashkent metro, for instance. [Editor's note: Under Islam Karimov, photography inside Tashkent's ornate subway stations was banned as the stations were viewed as “strategic objects”]. Also it has become easier in the airport and crossing borders. There is now a visa-free regime between Uzbekistan and our neighbour Tajikistan. Some of the roads [at the border] that Karimov closed have now been re-opened. And of course, a number of political prisoners have been released.
But then again, foreign media still struggle to get accredited and opposition websites are still blocked. Tashkent city is mindlessly destroyed [by over-development]. Just as previously, Uzbeks need to leave the country in search of work. The president calls back Uzbeks from exile, but then they are arrested when they return, despite some of them already being citizens of other countries. This is a worrying signal! Real reforms are not underway, just an appearance of reforms. The political elite has been overhauled, but not necessarily for the better.

OA: Plusieurs choses ont changé. Il est maintenant possible de prendre des photos dans le métro de Tachkent par exemple. [Note de la rédaction : Sous Islam Karimov, photographier était interdit à l'intérieur des stations de métro de Tachkent, celles-ci étant considérées comme « objectifs stratégiques »]. La situation dans les aéroports et aux frontières s'est améliorée. Il existe dorénavant un régime d'exemption de visas entre l'Ouzbékistan et notre voisin, le Tadjikistan. Certains axes routiers [à la frontière] que Karimov avait fait fermer ont maintenant été rouverts. Et bien sûr, un grand nombre de prisonniers politiques ont été relâchés.
En revanche, les médias étrangers ont encore des difficultés à être accrédités et les sites internet de l'opposition restent censurés. La ville de Tachkent est en train d'être détruite de façon irréfléchie [par une frénésie immobilière]. Comme auparavant, les Ouzbeks doivent aller chercher du travail à l'étranger. Le Président invite les Ouzbeks à rentrer de leur exil, mais ceux-ci se font arrêter à leur retour en dépit du fait que certain d'entre-eux sont déjà citoyens d'autres pays. C'est un signal inquiétant ! Les vraies réformes ne sont pas mises en route, seulement un semblant de réformes. L'élite politique a été restructurée, mais pas forcément pour le mieux.

Promotion de l'exposition ”Ciel doux” d'Oumida Akhmedova. Image utilisée avec permission.

GV: J'ai récemment vu que des images de pauvreté en Ouzbékistan ont été diffusées sur les chaînes d'État, et c'est précisément pour ce crime que vous avez été punie. Cela signifie-t-il que la situation est sur le point de s'améliorer pour les artistes ? En quoi ces changements politiques ont-ils un impact sur l'art ? Quels sont les thèmes que les artistes ne peuvent pas encore aborder ?

UA: I definitely don't think things have changed for artists, just because we were able to do one exhibition in a private gallery. The priority is still given to pompous and empty ideological projects, like “Cultural Heritage of Uzbekistan in Meetings Across the World.”

Official propaganda sometimes allows itself to show a less rose-tinted life, but always selectively and usually only with the president's say-so. Things that artists cannot do? Criticise the new authorities, their reforms, or the president. Or cover relations with Russia, which are neo-colonial in nature.

OA: Je suis absolument certaine que les choses n'ont pas changé pour les artistes simplement parce que nous avons pu organiser une exposition dans une galerie privée. La priorité est encore accordée aux projets idéologiques prétentieux et vides, comme « Le patrimoine culturel de l’Ouzbékistan dans les rencontres à travers le monde. »
La propagande officielle s'autorise parfois à montrer une vie moins idyllique, mais toujours de manière très sélective, et seulement si le Président donne son accord. Ce que ne peuvent pas faire les artistes ? Critiquer le nouveau gouvernement, les réformes ou le Président, ou encore évoquer les relations avec la Russie qui sont d'ordre néo-colonial.

[Note de la rédaction : La délégation ouzbèke aux Nations Unies a récemment déclaré [en] que les réformes du pays ne s'étendraient pas aux droits des citoyens LGBT. Les relations homosexuelles restent illégales dans le pays. Certains analystes ont noté que le conservatisme social s'enracine plus profondément [en] sous le nouveau régime, avec des implications évidentes sur la censure].

GV: Oleg, votre mari, est cinéaste. A t-il ressenti un quelconque changement ?

UA: Oleg has made and will continue to make films and it never occurs to him to ask anyone's permission. Another matter is working with the filmmaker's association and holding film festivals. I don't think he has a desire to do this and our perestroika (reforms) haven't so far allowed any space for this. We did do some film screenings in the same gallery where we held the exhibition but ran into problems because the organisers did not want to take any risks. Now we are not doing any screenings there anymore.

OA: Oleg réalise et continuera de réaliser des films, et cela ne lui vient jamais à l'esprit de demander la permission à quiconque. Une autre affaire est de travailler avec l'association des cinéastes et d'organiser des festivals. Je ne pense pas qu'il ait envie de le faire, et de toute façon notre perestroika (les réformes) ne nous en donne pas la possibilité pour le moment. Nous avons fait projeté quelques films dans la même galerie où nous avons exposé, mais nous avons rencontré des problèmes parce que les organisateurs ne voulaient pas prendre de risques. Nous n'y faisons donc plus de projections.

À lire également : Oumida Akhmedova sur le poids de la censure et sur la réalité d'une artiste en Ouzbékistan.

#NoToSocialMediaTax : Rejoignez Global Voices pour un tweetathon le 9 juillet contre la taxe sur les médias sociaux de l'Ouganda

lundi 9 juillet 2018 à 15:41

#NoToSocialMediaTax affiche du tweetathon par Innocent Amanyire / @NinnoJackJr

Rejoignez l'équipe de Global Voices pour l'Afrique subsaharienne (@gvssafrica) pour un tweetathon multilingue exigeant la fin de la taxation des médias sociaux en Ouganda.

Le 1er juillet, le gouvernement ougandais a commencé à appliquer une nouvelle loi imposant un droit de 200 shillings par jour sur les personnes utilisant des plateformes de messagerie Internet, malgré les protestations des défenseurs de la liberté d'expression en ligne locaux et internationaux.

Cette initiative, selon le président ougandais Yoweri Museveni, a pour double objectif de renforcer le budget national et de réduire les “commérages” [fr] des Ougandais sur les réseaux sociaux. Cette mesure a été également bien accueillie par les fournisseurs de télécommunications locaux, qui ne bénéficient pas directement de l'utilisation de services hors du fournisseur d'accès [fr] à l'internet basés à l'étranger tels que Facebook, Twitter et WhatsApp.

La mesure a été précédée d'un ordre d'enregistrement de toutes les nouvelles cartes SIM mobiles auprès du Centre national de données biométriques. Elle force également les Ougandais à n'utiliser [fr] que des comptes d'argent mobile pour recharger leurs cartes SIM et impose de payer un prélèvement de un pour cent sur la valeur totale de la recharge sur toute transaction d'argent mobile.

Ces nouvelles politiques rendent plus coûteux pour les Ougandais, en particulier ceux qui vivent dans la pauvreté, de communiquer et d'effectuer des tâches quotidiennes en utilisant leurs appareils mobiles.

Le 2 juillet, la société civile et les avocats ougandais ont déposé une contestation judiciaire contre la loi, arguant que cela viole la constitution du pays.

Un manifestant exprimant son opposition à la taxe sur les médias sociaux de l'Ouganda lors d'une réunion le 6 juillet 2018.

Le 6 juillet, des citoyens inquiets et des représentants de la société civile ont publié un communiqué de presse conjoint appelant les Ougandais à éviter de payer la taxe en utilisant d'autres méthodes pour échanger de l'argent et accéder aux réseaux sociaux ainsi qu'à participer à une “Journée nationale de protestation pacifique contre cette taxe injuste”, le mercredi 11 juillet 2018.

La communauté Global Voices et notre réseau d'amis et d'alliés souhaitent soutenir cet effort et d'autres pour exiger la fin de la taxe. Nous croyons que cette taxe est simplement un stratagème pour censurer les Ougandais et bâillonner les voix dissidentes.

Nous croyons que les médias sociaux devraient être librement accessibles à tous, y compris aux Ougandais. La taxe ougandaise sur les médias sociaux doit disparaître !

Le lundi 9 juillet, à 14h00, heure de l'Afrique de l'Est, nous prévoyons de tweeter auprès des dirigeants communautaires, des acteurs gouvernementaux et diplomatiques et des influenceurs des médias afin de sensibiliser et d'attirer l'attention du public sur le problème. Nous encourageons particulièrement les autres blogueurs et utilisateurs de médias sociaux du monde entier à nous rejoindre.

#NoToSocialMediaTax: Un tweetathon contre la taxe sur les médias sociaux de l'Ouganda

Date: le lundi 9 juillet 2018

Heure: 14:00 – 17:00 heure de l'Afrique de l'Est / 11:00 – 14:00 GMT / Vérifiez votre fuseau horaire

Hashtag: # NoToSocialMediaTax

Hôte: Global Voices Afrique subsaharienne

 Voici des Tweets que vous pouvez utiliser:

COMMUNIQUÉE DE PRESSE COMMUM SUR LA MODIFICATION DE LA LOI SUR LES DROITS D'ACCISE VISANT À IMPOSER DES TAXES SUR L'UTILISATION DES MÉDIAS SOCIAUX ET LES TRANSACTIONS EN MONNAIE MOBILE

Convoquée le vendredi 6 juillet 2018 à 14h00

Le mardi 3 juillet 2018, nous jeunes et jeunes dirigeants de diverses associations et groupements d'étudiants, musiciens et artistes, petites et moyennes entreprises ainsi que du Parlement de l'Ouganda avons tenu une conférence de presse au cours de laquelle nous avons exprimé nos sérieuses réserves et nos graves préoccupations concernant l'amendement à la Loi sur les droits d'accise (modification), qui prélève une taxe sur l'accès aux médias sociaux et une taxe extorsionniste de un pour cent (1%) sur les transactions d'argent mobile.

Nous avons sollicité le président de rappeler le Parlement de ses vacances et demander au chef du gouvernement de déposer une motion pour repousser l’amendement avant le 6 juillet 2018Le délai a expiré il y a quelques heures et nous sommes ici pour annoncer la marche à suivre:

i) Nous invitons les citoyens et les abonnés à cesser de faire des transactions via l'un des services Mobile Money et, à titre de solution de rechange, de recourir à des méthodes de paiement physiques afin d'éviter de payer la taxe fâcheuse;

ii) Nous encourageons en outre les citoyens à utiliser les options disponibles pour rester en ligne sans payer les 200 shillings ougandais quotidiens (200 / -) pour accéder aux sites de médias sociaux;

iii) Nous demandons également aux membres du Parlement d'accélérer le processus de rappel de la Chambre des députés mais aussi de mener des consultations dans leurs circonscriptions à ce sujet;

iiii) Enfin, nous proclamons le mercredi 11 juillet 2018 Journée nationale de protestation pacifique contre l'imposition injuste. À cet égard, nous invitons les citoyens à présenter des pétitions à leurs députés et à s'habiller de vêtements de couleur rouge dans leurs activités quotidiennes. Nous avons déjà informé la police

Nous continuerons d'engager nos circonscriptions et nos dirigeants respectifs à protester, à rejeter et à continuer le boycott jusqu'à ce que les taxes mal conçues soient annulées. En tant que jeunes leaders, nous avons entrepris des recherches et des consultations et sommes disposés à suggérer de meilleures solutions et de modèles d'imposition qui soient durables et bénéfiques tant pour le citoyen que pour l'État.

COMITÉ D'ORGANISATION
ACTION DES CITOYENS NATIONAUX CONTRE LA FISCALITÉ DÉLOYALE

Couverture de Global Voices sur la réglementation des médias sociaux en Ouganda: