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Les services d'immigration de Tokyo font involontairement apparaître la détresse des réfugiés au Japon

jeudi 22 novembre 2018 à 17:24
"Free Refugees" Tokyo

“Libérez les réfugiés” tagué sur la passerelle piétonne de Konan Bridge dans l'arrondissement de Minato à Tokyo. Image du tweet épinglé de l'Agence d'immigration de Tokyo.

Le 20 novembre, le compte Twitter officiel des services de l'immigration de Tokyo a allumé un débat en ligne quand il a épinglé un tweet accompagné d'une photo de tag sur un pont dans le centre de Tokyo. Bien que le tweet ait eu pour intention affichée de s'élever contre les tags, c'est plutôt le message de ce tag qui a soulevé l'intérêt des internautes. Ses mots (en anglais) étaient “Libérez les réfugiés”, ce qui a été généralement compris comme une critique implicite du traitement réservé par l'administration publique chargée de l'immigration aux réfugiés, travailleurs sans papiers et autres migrants en détention.

Le tweet épinglé par le Service de l'immigration de Tokyo comporte trois photos de tags écrits sur le pont portant les mots “LIBÉREZ LES RÉFUGIÉS”, avec un message implorant tout un chacun de “cesser de taguer” (落書きは止めましょう):

Cessons tous de taguer.

Trouvé de bonne heure le 19 novembre, sur le pont Konan. Si la liberté d'expression est primordiale, ceci est une propriété publique.

Ça ne vous attriste pas un peu ?

Critique involontaire

Jusqu'au 20 novembre, le compte du Service d'immigration de Tokyo publiait toujours des tweets anodins sur les heures d'ouverture, qui généralement reçoivent peu de réponses ou de retweets. En revanche, le tweet épinglé du 29 novembre à propos du tag sur les réfugiés du pont Konan de Tokyo a reçu une réaction disproportionnée, avec près de 3.000 retweets et 700 commentaires.

Le Japon accepte très peu de réfugiés et de demandeurs d'asile chaque année.En 2017, le Japon a accordé le statut de réfugié à seulement 20 demandeurs sur 19.629. Les demandeurs d'asile sont souvent détenus ou séparés de leurs familles dans l'attente d'une décision sur leur statut.

Ce n'est pas la première fois que la politique migratoire japonaise essuie les critiques. Depuis 2006, quatorze détenus sont morts dans les centres japonais de détention d'immigrants, soit une personne chaque année en moyenne. Quatre des décès les plus récents ont été des suicides. Le point de mire des condamnations par les défenseurs japonais des droits humains est le Centre d'immigration du Japon oriental d'Ushiku dans la préfecture d'Ibaraki pour son taux élevé de décès de détenus.

Le Service de l'immigration de Tokyo s'est aussi rendu célèbre en octobre pour sa participation à un programme télévisé qui faisait du divertissement sur les rafles et expulsions de migrants.

Bon nombre de réponses aux récents tweets soulignaient que le tag implorait en réalité le Service d'Immigration de Tokyo de libérer les réfugiés, les personnes dont le visa avait expiré et les détenus de leurs conditions brutales. D'autres s'en prenaient à un Service d'immigration de Tokyo qui souvent maltraite et détient indéfiniment les demandeurs d'asile et les personnes en rétention :

落書きは消せば元に戻るが、失われた命は二度と戻らない。

— Kang/コーヒーおかわり (@fire_ree) November 20, 2018

Vous pouvez toujours effacer les tags et remettre les choses en état, mais la vie ne peut jamais revenir.

Dans un tweet partagé des centaines de fois, l'universitaire de Nagoya Hibi Yoshitaka a appelé le Service d'immigration de Tokyo à critiquer de la même manière les tags qui à leur tour critiquaient son calamiteux bilan en matière de droits humains :

見返して改めて腹が立ってきたから、再リツイート。入管の収容者に対する非人道的な行為について、このアカウントに知らないとは言わせない。それに頬被りをして、良識派のふりで落書きを批判し、固定ツイートにさえしている。落書きが駄目なのは当たり前だが、収容者に対する虐待をやめてから言え。

— 日比嘉高 (@yshibi) November 20, 2018

Rien qu'à voir ça j'ai été tellement en colère que j'ai retweeté le tweet (du Service d'immigration de Tokyo). Il est impossible pour quiconque contrôle le compte Twitter du Service d'immigration de Tokyo d'ignorer les actes inhumains commis contre les migrants détenus.

Masquer leurs véritables intentions, et faire semblant de désapprouver les tags, et même aller jusqu'à épingler le tweet sur leur page de profil. Évidemment ce n'est pas bien de taguer, mais que dire de la maltraitance des détenus.

Dans son fil Twitter subséquent, Hibi a poursuivi en partageant des liens vers une pluralité d'ouvrages et d'articles expliquant la situation désespérée des migrants détenus au Japon, dont un article du 5 novembre 2018 du Tokyo Shimbun qui détaillait comment 17 détenus ont été enfermés 24 heures dans une cellule prévue pour 6 dans un centre de rétention de migrants d'Osaka.

Hibi a également partagé un article d'un organe d'information de la préfecture de Nagano expliquant comment les autorités de l'immigration au Japon recouraient de façon croissante à des mesures plus punitives, comme la mise à l'isolement de longue durée pour contrôler les détenus, et que la pratique de détenir ceux dont le visa a expiré est utilisée hors de tout texte pour dissuader les autres.

Une autre riposte populaire au tweet épinglé du Service de l'immigration de Tokyo est un lien vers un article d'information de mai 2018 du journaliste Shiba Rei, qui décrit les conditions de détention des demandeurs d'asile kurdes turcs au Japon :

Le Service de l'immigration de Tokyo est-il complètement oublieux des protestations contre ses violations des droits humains ? Si taguer n'est pas bien, il est nécessaire de reconnaître un (système d'immigration) violent qui provoque des suicides.

Titre de l'article de Yahoo! News : “Détention à l'isolement, absence de soins médicaux conduisant à la mort, et nourriture avariée : comment le Service d'immigration de Tokyo s'en prend aux demandeurs d'asile

Le Japon projette d’augmenter spectaculairement le nombre de stagiaires temporaires étrangers dans les prochaines années. Mais du fait que ces stagiaires travaillent pour des salaires réduits, souvent dans la précarité, beaucoup pourraient être tentés de fuir leurs emplois et de travailler au noir, enfreignant les termes de leurs visa.

Autant dire que plus de gens pourraient se retrouver pris au piège dans le système japonais de détention migratoire : détenus de longue durée et au péril de leur vie.

Une attaque suicide contre les services spéciaux russes qui va encore causer des ennuis aux activistes

jeudi 22 novembre 2018 à 11:37

Manifestation contre la torture et les violences policières à Moscou, le 10 juin 2018. Sur la banderole: «Bats-toi tous les jours ! contre les persécutions, la répression et les accusations montées de toutes pièces. Rejoins l'Alternative socialiste.» // DonSimon, Wikimedia licence CC0.

Saur mention, les liens de cet article renvoient vers de pages en russe.

Le 31 octobre, un terroriste kamikaze de 17 ans a mis le feu à un explosif dans le bâtiment du FSB (le Service fédéral de sécurité, le principal service de renseignements intérieur russe) à Arkhangelsk, en Russie. Il est mort dans l'explosion, qui a fait trois blessés. Cet acte a vraisemblablement été commis en réaction à des persécutions du pouvoir contre des activistes de gauche. Beaucoup redoutent de graves répercussions pour les groupes politiquement à gauche en Russie.

Quelques minutes avant les faits, le message suivant est apparu dans un tchat sur une chaîne Telegram d'anarchistes russes: «Camarades, un attentat va avoir lieu de façon imminente dans le bâtiment du FSB, attentat que je revendique. Les raisons, vous les connaissez tous. Le FSB a franchi la ligne rouge en montant de faux dossiers et en torturant des gens, alors j'ai décidé de passer à l'action… Je vous souhaite à tous un glorieux avenir anarcho-communiste !»

Deux jours auparavant, un adolescent encore plus jeune avait été arrêté à Moscou après la découverte d'un engin explosif artisanal à son domicile. La police a déclaré qu'il avait été en contact avec le terroriste d’Arkhangelsk. Si l'on en croit le message laissé sur Telegram (apparemment par celui qui a fait exploser l'engin), ce sont les activités du FSB qui ont poussé les deux jeunes à ces actes extrémistes.

Cela fait plus d'un an que la police procède à des arrestations d'activistes anarchistes et antifascistes dans le cadre de l'affaire «Réseau». Selon le FSB, les suspects font partie de ce groupe baptisé «Réseau» qui a des cellules dans tout le pays et planifie des actes terroristes, y compris lors de la Coupe du monde [en].

Les personnes arrêtées brossent pourtant un autre tableau [en] : aveux forcés et tortures, depuis l'asphyxie sous un sac plastique au passage à tabac à coups de taser et de matraque. Ils sont convaincus d'avoir été choisis pour leurs opinions de gauche et jugés à partir de dossiers d'accusation fabriqués. D'autres militants de gauche témoignent eux aussi d'un durcissement des contrôles de la part du des autorités à mesure des développements que connaissait l'affaire «Réseau».

Cette tactique n'était pas réservée aux groupes de gauche. Parallèlement à l'affaire «Réseau», le FSB a déclaré avoir mis au jour et dissous un autre groupe extrémiste clandestin, appelé «Grandeur nouvelle». Les services spéciaux ont affirmé que cette «Grandeur nouvelle» tentait de renverser le gouvernement par la force. Une affirmation basée sur la littérature d'opposition découverte dans les appartements des suspects et sur des fils de discussion sur Telegram. Le mouvement est né sur la messagerie où les suspects, pour la plupart adolescents, se réunissaient pour échanger leurs opinions politiques.

Selon ces derniers, il s'agissait simplement d'un groupe social ayant participé à d'autres manifestations et actions politiques. Certains articles [en] évoquent la possibilité que le FSB ait créé ce groupe dans l'espoir d'attirer et de piéger [en] des citoyens russes soutenant des opinions opposées au gouvernement actuel.

Ces deux affaires se sont retrouvées sous les projecteurs en même temps, d'où l'écho qu'elles ont rencontré dans l'opinion publique. Les parents des jeunes arrêtés dans l’affaire «Grandeur nouvelle» ont organisé une marche à Moscou, fait des manifestations spontanées et tenu des piquets pour soutenir les accusés de «Réseau» et «Grandeur nouvelle». L'impression qui en ressort, c'est que cette mise en lumière accélérée des événements et l'indignation suscitée ont pu pousser les deux anarchistes d’Arkhangelsk et de Moscou à des mesures plus sérieuses : planifier et exécuter des attentats à la bombe.

Les militants de gauche russes sont divisés à ce sujet, mais la majeure partie d'entre eux s'accorde à dire qu'il peut en résulter une nouvelle vague de répression. Sergueï Oudaltsov, le leader du «Front de gauche», une organisation proche du Parti communiste russe, a publié ce message sur Twitter :

Un étudiant d'une école technique âgé de 17 ans qui se disait anarchiste s'est fait exploser dans les locaux du FSB, dans la région administrative d'Arkhangelsk. Voilà un excellent prétexte pour que le gouvernement se lance dans de nouvelles persécutions et renforce les contrôles d'opposants… Tout cela ressemble fort à une provocation organisée.

Le Bloc de gauche (un petit groupe de gauche partisans d'actions directes de rue) a émis des doutes sur la véracité des déclarations du terroriste d'Arkhangelsk se prétendant anarchiste. Dans un post sur VKontakte, le réseau social le plus populaire en Russie, le groupe dénonce le recours à la terreur, en référence à la vieille tradition du terrorisme de gauche et à son efficacité douteuse. En ce qui concerne d'éventuelles conséquences, ce groupe est partisan d'une approche plus «optimiste» :

Мы уже живем в мире, где пытки и репрессии стали обыденным делом, где могут посадить за лайк, а сотрудники ФСИН могут творить полный ад в отношении заключенных. И им за это ничего не будет.

“Какие еще “репрессии” вам, блять, нужны?

Nous vivons dans un monde où la torture et la répression sont devenues monnaie courante, où on peut se retrouver en prison pour un like, et où les surveillants pénitentiaires peuvent faire vivre un total enfer aux détenus. Et eux ne risquent rien. Qu'est-ce qu'il vous faut de plus comme putain de “répression” ?

Cet optimisme a fait long feu. Peu après l'identification du terroriste d’Arkhangelsk, un journaliste a contacté un usager des réseaux sociaux ayant un compte sous le même nom. La police s'est aussitôt manifestée pour l'interroger. Même si le journaliste avait un jour fait partie d'un mouvement antifasciste dans la région administrative d'Arkhangelsk, il a souligné qu'il n'y était pas retourné depuis de longues années et qu'il avait écrit au suspect uniquement dans l'intention de vérifier l'authenticité de son profil. A peu près au même moment, une socialiste de Perm recevait un appel du FSB l'invitant à discuter de l'explosion à Arkhangelsk. Invitation qu'elle a déclinée :

Я к ним не поеду. У меня глубокий вечер, и я имею право на отдых. Они ко мне приедут. Надеюсь, что они ограничатся тем, что сообщат, что мне не надо взрывать пермское ФСБ. Но я как-то и не собиралась.

Je n'irai pas. Nous sommes le soir très tard, et j'ai droit au repos. J'espère qu'ils vont juste me dire que je n'ai pas à faire sauter le FSB de Perm. Ce que je n'ai pas prévu de faire, de toute manière.

Il est arrivé la même chose à un membre d'«Autre Russie» (un parti conservateur dont les membres se disent socialistes et prônent nationalisme ethnique russe et nostalgie de l'impérialisme): il a rapporté qu'un enquêteur lui avait téléphoné pour connaître son opinion sur ce qui s'était passé à Arkhangelsk. A Tver, incident qui semble sans rapport avec l'explosion, un fonctionnaire du FSB a approché un activiste. Celui-ci a déclaré que le représentant des services spéciaux était soudainement monté dans sa voiture et lui avait suggéré de collaborer. Devant son refus, l'employé du FSB l'a menacé de poursuites pour avoir déployé une banderole portant l'inscription «Traduisons le FSB en justice».

Les groupes de discussion sur Telegram qui affichent une sensibilité de gauche sont encore en ébullition. Leurs échanges sont ouverts au public : il n'est pas nécessaire de s'inscrire pour avoir accès à leur conversation. Certains participants ont donc conseillé aux autres de faire comme si la police était déjà dans la place.

Certains ont salué les actions du terroriste, téléchargeant des images à sa gloire. D'autres usagers ont appelé à commettre des actes encore plus extrémistes. Des trolls ont fait quelques apparitions, exprimant le vœu de voir tout le monde derrière les barreaux. Même les groupes de discussion pas spécialement à gauche étaient sur le qui-vive, et certains participants de groupes libéraux ont fait savoir qu'ils avaient été interrogés par la police après l'explosion.

Indépendamment de la question de savoir si ce fait divers va être suivi d'une nouvelle vague d'arrestations, comme cela a été le cas pour «Réseau» et «Grandeur nouvelle», les militants russes de tous bords doivent faire attention à ne pas mettre en ligne des contenus compromettants, et d'autant plus si leurs activités ou leurs opinions peuvent être reliées à l'attaque terroriste.

Le célèbre présentateur télé Vladimir Soloviev, connu pour ses opinions pro-Poutine, a critiqué les journalistes et politiciens d'opposition, rejetant sur eux la responsabilité de cette attaque et déclarant que «Ce ne sont pas des gens, ce sont des rats». Le fait que des journalistes qui ne sont en aucune façon ni anarchistes ni socialistes soient diffamés et amalgamés à cette attaque dit assez combien l'état d'esprit dominant peut se traduire par des persécutions accrues contre toute personnalité ou militant de l'opposition.

Jair Bolsonaro : un autre Rodrigo Duterte ? C'est plus compliqué que ça

jeudi 22 novembre 2018 à 00:08

Jair Bolsonaro, président élu du Brésil,  Rodrigo Duterte, président des Philippines, élu en 2016. Photos : Wikimedia Commons.

Il n'y a que deux sortes de personnes qui appellent Jair Bolsonaro, président du Brésil, homophobe convaincu, misogyne et défenseur de la torture, le “Trump des tropiques” : les journalistes américains et, bien sûr, Bolsonaro lui-même, qui façonne consciencieusement son personnage à l'image de sa muse américaine.

Il est vrai, en partie, que l'histoire des élections au Brésil n'est en fin de compte que le dernier épisode de l'effondrement politique qui balaie actuellement le monde démocratique, dont l'exemple le plus probant est Donald Trump. Le mécontentement du public suscité par les agissements des élites politiques, ou par la haine (quoique la haine ne devrait pas avoir droit de cité dans la société) – selon la lecture que l'on fait del'analyse – tombe en terrain fertile sur les médias sociaux conçus pour capter des dynamiques primaires en un cycle incessant de récompenses, soutiens et  répétitions. Le mécontentement se transforme en paranoia et prend des airs de théories du complot dans lesquelles on diabolise une partie de la population – en général, celle qui est privée du droit de vote -. Et cette paranoïa trouve enfin son incarnation dans un chef d'État en herbe, un messie, des hyperboles plein la bouche, promettant un changement complet de système politique. Et voilà.

Non que l'analogie Bolsonaro-Trump soit mauvaise. Mais il y a une autre incarnation du modèle décrit ci-dessus qui ressemble encore plus à Bolsonaro : Rodrigo Duterte, le Président des Philippines. Il est compréhensible que brésiliens et philippins se regardent en essayant de comprendre leur propre version de la même histoire, ne serait-ce que par les promesses de leurs dirigeants d'exterminer un nombre considérable de personnes dans leurs pays respectifs.

A l'époque de sa campagne de 2016, Duterte a déclaré que s'il était élu, il y aurait tellement de cadavres dans la baie de Manille que les “poissons allaient engraisser” avec toute cette nourriture à leur portée.  Deux ans plus tard, durant sa campagne, Bolsonaro a repris l'idée en déclarant qu'il donnerait carte blanche aux policiers pour tuer dans l'exercice de leur fonction. Duterte a admis avoir tué personnellement des suspects quand il était maire de Davao, où il est dirigeait vraisemblablement l'un de ces ignobles escadrons de la mort. Bolsonaro est un capitane de l'armée à la retraite qui avoue publiquement être “favorable à la torture”. Les promesses de Duterte ne se sont pas avérées si vaines : 20 000 civils ont été tués ces deux dernières années pendant sa “guerre anti-drogues”. La Cour pénale internationale a ouvert une enquête à son encontre pour crimes contre l'humanité. Il a alors ordonné à la Cour de quitter les Philippines.

Contrairement à Trump, ce ne sont pas seulement les brésiliens et les philippins pauvres des milieux ruraux qui ont élu Bolsonaro et Duterte. Les deux hommes ont également séduit les classes moyennes urbaines – petits entrepreneurs, professions libérales, membres de la police et de l'armée – effrayés par la violence incontrôlée. Cette même classe moyenne qui avait jadis soutenu avec enthousiasme la dictature, puis contribué ensuite à la renverser.

Même si Bolsonaro et Duterte incarnent la terreur et le mécontentement populaire, ils se présentent tous deux comme étrangers à la politique et porte-parole du peuple. Tous deux sont des politiciens de carrière qui ont repoussé les limites de la classe politique de leurs propres pays pour devenir présidents. Bolsonaro a été député à quatre reprises, il a changé huit fois de parti et a présenté avec succès un impressionnant programme de deux projets de lois. Duterte a été le maire pendant trente ans d'une ville du sud dont il dit aujourd'hui qu'elle a été abandonnée par Manille, en oubliant de dire qu'il a soutenu le précédent gouvernement du Parti libéral jusqu'à la toute dernière minute de son mandat de maire, pour ensuite se retourner contre lui quand il a décidé de se présenter aux élections présidentielles.

Pas si vite !

Les médias brésiliens et philippins ont bien noté ces ressemblances, mais il faut reconnaître que, mis à part la guerre contre la drogue, les deux politiciens ont basé leurs campagnes sur des stratégies très différentes.

Prenons la politique économique de Bolsonaro : son ministre de l'Économie, diplômé de l'Université de Chicago, a promis des réformes ultra-libérales notamment la privatisation d'entreprises publiques brésiliennes et la réforme du système des retraites. Il va accélérer la loi de Michel Temer sur la “sous-traitance sans restriction”, approuvée par le Congrès en 2017 qui permet de sous-traiter les postes principaux des entreprises, et de priver les travailleurs de leurs avantages sociaux .

La sous-traitance est aussi au coeur du débat politique aux Philippines où elle est appelée contractualisation. Contrairement à Bolsonaro, Duterte a fait sa campagne en promettant de mettre fin à la contractualisation, et en a signé l'ordre en 2018. Cependant, les syndicats des travailleurs ont jugé cette mesure vide de sens et les pratiques n'ont pas changé.

Duterte a également engagé un ensemble de réformes fiscales, approuvé par le Congrès en 2017, qui créait de nouveaux paliers pour les super-riches tout en augmentant les taxes sur les biens de consommation courante et les services tels que le combustible, les boissons sucrées, les voitures, le tabac et la chirurgie plastique. Dans le cadre de son programme phare “Construire, construire, construire”, il a injecté de l'argent – grâce à des prêts en provenance de la Chine – dans les infrastructures. Le monde de Duterte ressemble ici aux décisions politiques de l'ex-présidente brésilienne, Dilma Rousseff, qui avaient provoqué un grave déficit budgétaire et une inflation galopante et aggravé la situation difficile du Brésil.

Et alors que Bolsonaro promet d'imposer des frais de scolarité aux universités publiques du Brésil – qui avaient toujours été totalement gratuites – Duterte a signé la loi qui offre l'accès gratuit à l'enseignement supérieur public aux étudiants qualifiés. Il est encore trop tôt pour savoir si c'est possible étant donné les capacités de financement restreintes du pays, mais même les adversaires de Duterte reconnaissent les avantages potentiels d'une telle loi.

Depuis son élection, Bolsonaro semble avoir renoncé à sa promesse de retirer le Brésil de l'Accord de Paris et de fermer le ministère de l'Environnement, mais pas à ses promesses d'abroger toutes les lois en faveur des indigènes et de leur préservation, notamment en mettant fin aux droits à la terre des peuples indigènes, et en ouvrant les territoires indigènes à l'exploitation minière à grande échelle.

Duterte, quant à lui, s'est toujours opposé à l'exploitation minière à ciel ouvert à grande échelle. Il a nommé une militante écologiste de renom à la tête du ministère de l'Environnement et des ressources naturelles (DENR) et ne s'est pas opposé à la suspension par la DENR de plusieurs entreprises minières ni aux demandes d'un audit du secteur minier. Même avec un nouveau secrétaire du DENR, Duterte persiste à critiquer les entreprises minières et maintient l'interdiction de nouvelles exploitations minières à ciel ouvert.

C'est ça l'économie, crétin ! (Ou pas)

Par ailleurs, Bolsonaro et Duterte sont arrivés au pouvoir dans des contextes de deux réalités différentes.

Le Brésil est encore sous le choc la récession économique – l'année 2016 a été marquée par le pire ralentissement économique depuis les années 80. Une enquête en matière de corruption à grande échelle a envoyé en prison des dizaines d'entrepreneurs et d'hommes politiques, dont l'ex-président Luiz Inácio Lula da Silva. Dilma Rousseff, qui lui a succédé en 2011, a été destituée en 2016 pour avoir maquillé les comptes du gouvernement. Ces deux événements ont profondément divisé les brésiliens, qui ont tendance à les voir soit comme de flagrantes atteintes à la Constitution portées par une faction restreinte du Pouvoir judiciaire et d'un Congrès corrompu, soit comme le salut tant attendu dont le pays avait besoin, les juges et les procureurs étant alors considérés comme de véritables héros. C'est en surfant sur cette vague chaotique que Bolsonaro a triomphé.

Duterte, à l'inverse, personne ne l'a vu venir. Son prédécesseur, Benigno “Ninoy” Aquino, du Parti libéral, a quitté ses fonctions avec 50 % d'avis favorables – presqu'autant que lorsqu'il avait pris son poste six ans auparavant, ce dont peu d'hommes politiques peuvent se vanter. De plus, en 2015, l'économie des Philippines a connu une croissance de plus de 6 %.

Duterte s'est présenté à la présidentielle en se faisant passer pour un “gauchiste”, alors que Bolsonaro a tiré parti de la peur profondément enracinée sur plusieurs générations qu'inspire le communisme. Ces craintes ont constitué la base de la politique de droite de l'Amérique latine depuis presque un siècle, dont le Parti des travailleurs est l'incarnation la plus récente de cette force du mal.

Comme une grande partie de l'Amérique latine et du sud-est asiatique, le Brésil et les Philippines ont connu des insurrections communistes au milieu du XX° siècle. Mais alors que le Brésil a éliminé ses contestataires, beaucoup grâce à la démocratisation, l'insurrection armée aux Philippines perdure. Depuis le retour à la démocratie dans les années 80, aucun président philippin n'a réussi à conclure un accord de paix avec la Nouvelle armée du peuple (NEP), l'aile armée du Parti communiste, qui ne compte qu'environ 3000 membres d'après l'armée (sur les 20 000 à son apogée dans les années 70).

Duterte entretenait de bonnes relations avec la NEP en tant que maire de Davao, principale ville de Mindanao, l'île où se concentrait la plupart de ses forces armées. Une fois président, il a repris les pourparlers de paix avec les communistes, libéré quelques prisonniers politiques et débloqué les négociations sur l'attribution de terres gratuites et mis en place des services d'irrigation pour les petits agriculteurs.

En 2017, Duterte a chassé les gauchistes de son cabinet et mis fin aux pourparlers de paix avec les communistes. Comme ses prédécesseurs, Duterte mène maintenant une guerre sans merci contre la NEP.

De la dictature à la démocratie (de cacique)

Les systèmes politiques actuels du Brésil et des Philippines ont émergé au milieu des années 80 après de violentes dictatures soutenues par les États-Unis. La junte militaire au Brésil, qui a gouverné de 1964 à 1985, et Ferdinand Marcos, qui a régné de 1965 à 1986, ont profité de leur offre d'éradiquer le communisme pour asseoir leur légitimité.

Révolution du pouvoir du peuple : la foule dans l'avenue Epifanio de los Santos, à Manille, Philippines, 7 février 1984. Photo de Joey de Vera, publiée par Wikimedia Commons.

La suspension des élections libres, la suppression de la liberté de presse, les violentes attaques contre les dissidents et le recours généralisé à la torture et aux disparitions sont caractéristiques des deux régimes. Aucun des crimes commis durant cette période dans les deux pays n'ont été traduits en justice.

Les deux républiques ont amorcé leur retour à la démocratie à la même époque – Le Brésil entre 1983 et 1984 avec Diretas Já [[fr], et les Philippines avec la Révolution du pouvoir du peuple en 1986 – toutes deux au beau milieu d'une forte récession économique. Le mouvement philippin a destitué Marcos lorsqu'il a truqué les élections de 1986, et a confié la présidence à Corazón Aquino, qui, avec une commission nommée a rédigé la Constitution de 1987. Après Diretas, les brésiliens ont élu une Assemblée constituante en 1986 qui a rédigé la Constitution du pays en 1988.

Manifestation de Diretas Já [fr] à Porto Alegre, Brésil, 13 avril 1984. Photo: Alfonso Abraham/Senado Federal CC-BY-NC 2.0

Parmi les nombreux apanages des deux mouvements figure la création des élites politiques vouées à gouverner leurs pays pendant les trente années suivantes. Mais tandis que Diretas au Brésil a rassemblé les libéraux et l'opposition gauchiste plus radicale, le parti communiste philippin a boycotté les élections de 1986, ce qui, comme ils l'ont ensuite admis, avait été une grave erreur tactique. Bien qu'ayant été au coeur de la résistance à Marcos tout au long des années 70, le Parti communiste est resté dans la clandestinité pendant tout le processus de transition vers la démocratie aux Philippines. De son côté, la transition au Brésil s'est opérée avec une force de gauche robuste aux commandes, le Parti des travailleurs (PT), dont le dirigeant Lula,  a gravi les échelons des syndicats brésiliens pour présider un boom économique sans précédent entre 2002 et 2010.

Même si la politique du PT a transformé la vie des brésiliens les plus pauvres, elle n'a pas su imposer un changement structurel durable, et avec le temps elle a commencé à ressembler à celle de ses prédécesseurs libéraux. Si d'un côté, le PT a respecté les institutions démocratiques du Brésil, il a aussi joué le jeu des politiciens, qui au Brésil est régi par une oligarchie cupide et des pratiques électorales corrompues et clientélistes – tout comme aux Philippines.

Faut-il avoir peur pour la démocratie ?

Ce n'est pas une coïncidence si Bolsonaro et Duterte parlent avec nostalgie des régimes répressifs révolus dans leurs pays, comme étant supposément exempts de violence, de corruption et de chaos et qu'ils adulent leurs leaders. L'émergence de ces deux personnalités politiques survient après l'échec des jeunes démocraties libérales. Ces pays n'ont pas réussi à résoudre les injustices et les niveaux élevés d'inégalité et d'une corruption à tous les niveaux d'organes politiques aux ordres d'une poignée de caciques.

Rien d'étonnant dans le fait que les Philippines et le Brésil se soient laissés berner par deux hommes qui les ont attirés par des promesses exagérées d'éliminer la délinquance et la corruption, au détriment des fondements démocratiques établis au cours des trente dernières années.

En deux ans et demi comme président, Duterte a destitué le président de la Cour suprême, et il a inculpé et incarcéré son opposant le plus virulent au Sénat, sous le chef de trafic de drogues dans un procès scandaleux. Il a tenté de retirer sa licence à Rappler, un important média d'informations en ligne des Philippines, et il a interdit à son principal journaliste l'accès au palais Malacañang, tandis que des légions de DDS (partisans de Die hard Duterte) menaçaient de nombreux autres journalistes en ligne.

Reste à savoir si Bolsonaro démantèlera également la démocratie au Brésil. Nombreux sont ceux qui espèrent que face aux responsabilités du pouvoir, il modérera son ton et sa politique. Mais si Duterte – à bien des égards le personnage le moins réactionnaire – est son modèle, les Brésiliens ont du souci à se faire.

Il y a 100 ans naissait la Tchécoslovaquie : réflexions d'internautes slovaques

mercredi 21 novembre 2018 à 18:56

Photo de la page promotionnelle Facebook Czech and Slovak Century, gérée par l'agence CzechTourism, sur fonds du Ministère tchèque du Développement régional.

En octobre 2018 il y a eu cent ans depuis que la Tchécoslovaquie s'est déclarée indépendante de l'Empire austro-hongrois et est devenue formellement un État souverain. Bien que, presque 75 ans plus tard la Tchécoslovaquie se soit pacifiquement scindée en République tchèque et République de Slovaquie, les internautes de Slovaquie ont marqué le centenaire avec des conversations en ligne sur leur État autrefois unitaire.

Une date dans l'histoire

Pour bon nombre de ses citoyens et de leurs descendants devenus adultes, la Tchécoslovaquie a signifié le socle de la démocratie et de la prospérité, d'autres l'ont considérée comme une ‘Prison des peuples’ en miniature — un surnom inspiré de celui donné à l’Empire austro-hongrois.

Tandis que la République tchèque a adhéré au centenaire et le célèbre comme le “siècle tchèque et slovaque,” les opinions sont plus divisées en Slovaquie. Le premier ministre slovaque Peter Pellegrini a inauguré une célébration officielle, mais au lieu de la date traditionnelle tchécoslovaque du 28 octobre fêtée dans la capitale de la République tchèque Prague, il a déplacé les festivités de Bratislava au 30 octobre, date anniversaire de la Déclaration Martin qui met au centre le mouvement [national] slovaque.

Le député slovaque Miroslav Sopko a été de ceux qui n'ont pas apprécié cette décision. Il a écrit dans un billet de blog titré “Cent ans ont passé” :

Vôbec sme sa za tak dlhý čas nenaučili byť hrdí na spoločnú republiku, ktorá bola v medzivojnom období ostrovom demokracie v strednej Európe, nachádzala sa v prvej desiatke najvyspelejších krajín sveta, bolo v nej od začiatku uzákonené volebné právo žien, otvorili sa nám dvere do Európy, naštartoval sa vzdelanostný a kultúrny rast. … Preto sme doteraz nenašli silu pre uznanie štátneho sviatku a miesto toho sme si prijali jednorázovu nálepku pre naše svedomie na 30. októbra.

En si longtemps, nous n'avons pas appris à être fiers de la république commune, qui dans l'entre-deux guerres a été un îlot de démocratie en Europe centrale, figurait dans les dix pays les plus avancés du monde, où dès le début les femmes ont exercé le droit de vote, les portes de l'Europe nous étaient ouvertes, le développement éducatif et culturel avait commencé … Nous n'avons donc pas encore trouvé la force de reconnaître la fête nationale, au lieu de quoi nous avons adopté un auto-collant à usage unique pour notre conscience le 30 octobre.

Sentiment d'unité

Les souvenirs positifs ont nettement dominé sur les blogs affiliés aux principaux journaux. Jakub Tinak, un détenteur des deux passeports tchèque et slovaque, et qui parle tchèque, slovaque et hongrois, a résumé son sentiment sur l'ex-État et a caractérisé les différences avec la décomposition brutale de la Fédération de Yougoslavie dans les Balkans :

Som veľmi šťastný, že naše národy vedeli spoločný štát stvoriť a tiež, že sa vedeli v mieri rozísť.

Je suis très heureux que nos peuples aient su créer un État commun et qu'ils aient aussi su se séparer en paix.

Radoslav Hodor est d'avis que la Tchécoslovaquie a rempli son rôle historique de force du bien :

Preto bez ohľadu na všetko zlé bolo Československo pre oba národy dobrý projekt. Čechom umožnilo nadviazať na svoju štátnosť zo stredovekých českých kráľovstiev a Slovákom vytvoriť si vlastnú. Iný štátny útvar by im takú možnosť neposkytol.

C'est pourquoi, malgré tout ce qui a pu être mauvais, la Tchécoslovaquie a été un bon projet pour les deux pays. Elle a permis aux Tchèques de se relier à leur propre statut d’État depuis les royaumes tchèques médiévaux, et aux Slovaques de créer le leur. Une autre formation étatique ne leur aurait pas donné cette chance.

Stanislav41 souligne que les fondations de la démocratie en Slovaquie ont été posées par la déclaration de la république il y a cent ans :

storočnica bude mať aj vojenskú parádu – samozrejme v Prahe, … a ak sa budete dobre pozerať, naša účasť bude potvrdením, … že nám to samostatne ide vari ešte lepšie …

Le centenaire aura aussi un défilé militaire – bien sûr à Prague, … et, si vous regardez bien notre participation sera une confirmation que … indépendamment cela va même mieux pour nous …

Un participant aux festivités de Prague. Photo de la page promotionnelle Facebook Czech and Slovak Century, gérée par l'agence CzechTourism, sur fonds du Ministère tchèque du Développement régional.

Les deux pays conservent des liens étroits : de nombreux étudiants choisissent de poursuivre leur parcours universitaire de l'autre côté de la frontière ‘dans l'autre partie de l'ex-Tchécoslovaquie”. En 2013, le plus important groupe de Tchèques étudiant à l'étranger se trouvait en Slovaquie, tandis qu'en 2016, 8,9 % des étudiants d'université en République tchèque étaient des Slovaques.

Patrik Ölvecký a le sentiment que, même si les festivités officielles ont eu lieu des jours différents, les Slovaques et les Tchèques restent proches comme des “frères”.

Dokonca aj pre mňa, človeka, čo spoločné Československo nezažil, … ja som za posledných päť rokov štúdia v Prahe zistil, že ten náš vzťah je úžasný. Že mať tak blízko k inému národu je nesmierne krásne.

Même pour moi, qui n'ai pas connu la Tchécoslovaquie … dans les cinq dernières années de mes études à Prague j'ai découvert que notre relation est formidable. Être aussi proche d'un autre peuple est magnifique.

L'étudiant Lukáš Račko a lui aussi écrit sur les traits particuliers partagés d'un “pays où je n'ai jamais vécu, mais qui sera toujours mon chez-moi”.

Niečo, tak jedinečné, že si to málokto na svete dokáže predstaviť. Veď, len si predstavte, že by zaviala Srbská vlajka nad Kosovským národným múzeom alebo naopak.
Pretože presne toto sa práve dnes deje v Prahe, kde je pri novootvorenej historickej budove národného múzea vyvesená aj Slovenská zástava.

Quelque chose de si unique, que peu de gens sur terre peuvent imaginer. Imaginez seulement que le drapeau serbe puisse flotter sur le Musée national du Kosovo ou vice-versa.
Parce que c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui à Prague, où sur le bâtiment historique récemment ouvert du Musée national flotte aussi le drapeau slovaque.

Écrivant en tchèque sur une plateforme de blogs slovaque, Michal Ruman a commenté que pour les gens de parents slovaques et tchèques comme lui, rien n'a changé depuis la séparation : ils ont juste à eu à porter leurs passeports pour voyager d'un bout à l'autre. Il conclut sur une note toute personnelle :

27. 10., v předvečer výročí vzniku společného státu … má naše dcera v českém kalendáři svátek. Naše Češkoslovenka. Pokračovatelka jednoho krásného spojení dvou svérázných etnik. … Všechno nejlepší, Zoe!

27 octobre, veille de l'anniversaire de la création de l’État commun … notre fille a une fête du calendrier tchèque. Notre tchécoslovaque. Le résultat de la belle union de deux ethnicités particulières. … Meilleurs vœux, Zoé !

Le fleuve Litani, l’artère principale du Liban, fait face à une crise environnementale

mardi 20 novembre 2018 à 19:39

Le lac et le barrage de Qaraoun. Photo: Christophe Maroun

Le jeudi 8 novembre 2018, le ministre libanais par intérim de l’Industrie a ordonné la fermeture de 75 usines implantées dans la région de la Bekaa sans licence valide, car elles contribuent à la pollution du fleuve Litani.

Le Litani, le plus long fleuve du pays, est une source d’eau essentielle pour l’irrigation et la production d’énergie hydroélectrique. Il a 140 km de long et produit un débit annuel moyen de 920 millions de mètres cubes.

Au fil des années, le fleuve a subi des transformations physiques qui ont entraîné de nombreux changements hydrologiques sur son bassin-versant. Parmi ces changements, on peut noter la construction du barrage du fleuve Litani terminée en 1959 ainsi que la création du lac Qaraoun. Le réservoir est utilisé pour la production d’énergie hydro-électrique, l’approvisionnement en eau à usage domestique, l’irrigation ou pour les loisirs.

Le fleuve est désormais menacé par plusieurs risques et dangers. Selon l’Office national du Litani (ONL), une institution publique créée en 1954 afin de faciliter le développement intégré du bassin-versant du Litani, les problèmes majeurs qui affectent le Litani sont l’exploitation excessive et abusive des ressources hydriques ainsi que les eaux usées polluées des ménages et des usines déversées directement dans le bassin-versant du fleuve.

En 2014, le gouvernement libanais a mis en place un plan de 730 millions de dollars en vue d’éliminer la pollution catastrophique du Litani et du Lac Qaraoun et d’éviter toute contamination future. Le Daily Star a rapporté que ce plan sur sept ans avait pour but de développer les réseaux de traitement des eaux usées, de valoriser les déchets solides et de gérer la pollution par les pesticides ainsi que d’aider les usines à réduire le déversement de produits chimiques dans l’eau. Le projet n’a jamais vu le jour.

Quatre ans plus tard, rien n’a vraiment changé. En juillet 2016, les analyses effectuées par l’Établissement des Eaux du Sud du Liban (SLWA) ont démontré que les eaux troubles du Litani contiennent des bactéries qui sont à l’origine d’une multitude de maladies dont la typhoïde et la salmonellose. Les terres entourant le fleuve n’ont pas non plus été épargnées puisque, selon le SLWA, 37 % de la zone est contaminée par les salmonelles (le niveau admis de « sécurité » est de 2 %).

Les eaux sont tellement polluées que la Banque Mondiale a accepté d’octroyer un prêt d’un montant de 55 millions de dollars afin de réduire la quantité d’eaux usées municipales non traitées déversées dans le Litani et d’améliorer la gestion de la pollution autour du lac Qaraoun. Cependant, au vu des échecs récents du gouvernement, les militants écologistes doutent de l’efficacité d’un tel projet.

Une étude menée par l’Université Américaine de Beyrouth a démontré que les eaux du Litani prélevées au cours des mois les plus secs de l’été étaient principalement des eaux usées. Les légumes irrigués avec l’eau contaminée du fleuve contiennent des taux trop élevés d'éléments-traces métalliques qui peuvent affecter le système nerveux central et perturber les fonctions cardiovasculaires et rénales.

Des négligences continues ont entraîné des protestations de la part de citoyens dont les moyens de subsistance sont directement liés au fleuve. En août 2016, les habitants de Qaraoun, un village construit au bord du lac Qaraoun, ont coupé les canaux d’irrigation pour protester contre la pollution du réservoir et contre l’odeur nauséabonde qui en émanait. Plus tôt cet été, les propriétaires des restaurants et des hôtels du sud du Liban ont exigé que le gouvernement dédommage leurs pertes causées par la pollution continue du fleuve.

Le 9 novembre 2018, suite à une évaluation technique rigoureuse, l’ONL a publié une liste d’usines qui, selon le tribunal pénal de Zahlé, polluent le fleuve Litani. En outre, ils ont partagé une courte vidéo qui montre l’ampleur des dégâts qu'a subis le bassin-versant du fleuve en raison de l’absence de mesures appropriées pour l'application des lois environnementales. L’ONL insiste en affirmant que, pour protéger le fleuve de la pollution industrielle, il faut commencer par imposer des normes de conformité environnementale aux institutions, qu’elles aient une licence ou non.

La protection du Litani de la pollution industrielle… commence par l'imposition de normes de conformité environnementale aux institutions, autorisées ou non. #TheNationalLitaniRiverAutority

La gestion de l’eau, un problème national

Dans leur documentaire sur l’économie politique de l’eau au Liban, le chercheur Dr. Karim Eid-Sabbagh et le journaliste indépendant Paul Cochrane soulignent les effets dangereux de la dégradation de l’environnement sur les ressources hydriques du pays. Leur film, We Made Every Living Thing from Water (Tout ce qui vit est fait avec l'eau), montre comment les citoyens se mobilisent pour préserver cette ressource précieuse, face à un gouvernement qui ignore les enjeux environnementaux.

Dans un contexte de cadre institutionnel et réglementaire fragile, le secteur de l’eau libanais fait face à de nombreux défis. Fanack Water, qui vise à fournir des informations accessibles et fiables à propos de l'état des ressources hydriques de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), donne un aperçu des problèmes principaux : réseaux publics de distribution d'eau inefficaces, mauvaise performance des services de distribution et mauvaise gestion des eaux-usées, en plus des problèmes causés par le cadre institutionnel et juridique fragmenté du secteur.