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Le gouvernement hongrois exporte instabilité et propagande dans les Balkans

samedi 19 mai 2018 à 21:59

Manifestation contre la loi visant à fermer l'Université d'Europe Centrale et pour la société civile le 12 avril 2017 à Budapest, Hongrie. Photo : Fondations Open Society, CC BY-NC-ND.

Une enquête menée par le média d'information indépendant macédonien Nova TV a révélé que des sociétés aux connivences hongroises ont participé au financement de certains des médias diffusant de la propagande populiste d'extrême-droite en Macédoine pendant la période au pouvoir du parti pro-russe VMRO-DPMNE (2006-2017)

Dans un article titré “Orban en action au secours des ‘mégaphones’ de Gruevski”, le rédacteur en chef de Nova TV Borjan Jovanovski a révélé les liens de trésorerie et de propriété entre les importants organes de propagande droitière comme Kurir.mk, Republika.mk et Alfa TV, avec Árpád Habony, le communicateur en chef du premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui a été surnommé “le Steve Bannon de la Hongrie”.

Ces médias ont récemment affiché des bannières publicitaires pour des sites web appartenant à une société slovène, Ripost Založništvo d.o.o. Certaines des publicités redirigent vers RipostMk.com, un obscur organe de média en macédonien aux rédacteurs et personnel anonymes. Il appartient à Ripost, avec un administrateur de domaine doté d'une adresse courriel de la société de conseil hongroise netlight.hu.

Capture d'écran de la page d'accueil de Kurir.mk avec deux publicités pour les sites web de Ripost, et un article de une associant le premier ministre macédonien Zaev à la Grèce dans le contexte de la querelle de dénomination.

Avec l'aide de confrères slovènes, les journalistes macédoniens ont obtenu les données du registre central slovène indiquant que Ripost est la propriété d'un ressortissant hongrois, Péter Schatz. En juillet 2018, Schatz est devenu un copropriétaire en Macédoine de Alfa TV, tandis qu'en Slovénie il opère comme représentant d'un groupe hongrois, dont fait partie Modern Media, financé principalement par le gouvernement hongrois à travers des campagnes médiatiques ‘d'intérêt public’. Modern Media a reçu un gros morceau des 40 millions d'euros dépensés par le gouvernement hongrois pour sa propagande anti-Soros en 2017. (Note de la rédaction : Global Voices bénéficie de financements des Fondations Open Society, du réseau Soros.)

“Orbán needed a mythical enemy which cannot really fight back and #OSF organisations have been consciously demonised,” said Atlatszo editor Tamas Bodoky | #Hungary#orbanland#pressfreedomhttps://t.co/uSlMyTlY3n

— Atlatszo.hu (@Atlatszo) April 20, 2018

“Orbán avait besoin d'un ennemi mythique ne pouvant pas vraiment riposter et les organisations des Fondations Open Sociey ont été sciemment diabolisées” a dit le rédacteur en chef d'Atlatszo Tamas Bodoky

Quel genre de sites ont été soutenus par les capitaux hongrois ?

Ces dernières années, les organes de média macédoniens ayant bénéficié de la publicité et propriété hongroises ont eu partie liée avec des polémiques concernant la fréquente opacité de leur propriété, de leurs rédactions et de leurs sources de financement, ainsi que leur absence d'adhésion à la déontologie des journalistes.

Ainsi, Kurir.mk est généralement considéré comme la voix officieuse du Centre de communication de l'ex-parti au pouvoir VMRO-DPMNE. La plupart de ses articles ne sont pas signés, et seraient rédigés par des apparatchiks du parti.

Dans ses premières années d'existence, Kurir.mk était principalement financé par les contribuables, à travers des contrats de commande publique pour des “services audio-visuels” comme la transmission en direct d'événements pour les institutions publiques. Des contrats tout juste en-dessous du seuil de 5000 euros de l'attribution des marchés par appel d'offres public. Les entités publiques et les entreprises propriété de l’État apportaient un soutien complémentaire en achetant des bannières publicitaires.

D'après le collectif d'investigation Mediapedia, le propriétaire à l'origine du site d'information Republika.mk était une société offshore enregistrée au Belize, dont les propriétaires restent inconnus. La propriété a été déduite du fait que la société-écran était enregistrée à la même adresse que d'autres sociétés liées à de puissants oligarques macédoniens et copains du pouvoir. Le site attaquait activement les activistes et les journalistes indépendants en publiant des articles diffamatoires. Le Directoire pour la Protection des données personnelles a confirmé que Republika.mk faisait usage de données personnelles obtenues illégalement par des institutions publiques, et que certaines de leurs victimes prévues ont fait un procès au site en 2016. Les jugements n'ont pas encore été rendus.

Alfa TV a été créé en 2008 par un homme d'affaires affilié à l'opposition d'alors, comme une station de télévision urbaine, et s'est construit une réputation d'information professionnelle, de couverture culturelle et de programmation de films de qualité. Après un rachat hostile en 2013, la station a attiré une série de propriétaires macédoniens et étrangers (serbes et hongrois), prête-noms présumés du parti alors au pouvoir. La programmation s'est tournée vers le divertissement, sur base principalement de musique turbofolk, et le personnel journalistique originel a été soit licencié soit forcé à démissionner.

Les plaintes contre les organes de médias ci-dessus mentionnés composent un pourcentage significatif des décisions du Conseil d’Éthique des médias de Macédoine, une instance indépendante d'auto-régulation des médias qui détermine les violations de la déontologie journalistique. Sur 124 plaintes introduites contre 42 organes de médias et traitées entre décembre 2014 et octobre 2016, 14 % portaient sur Kurir.mk, 6 % sur Republika.mk, et 2 % sur Alfa TV.

La Hongrie cible les organisations de la société civile et les médias indépendants

Parmi les réformes démocratiques introduites par l'actuel gouvernement macédonien—et reconnues par les plus hauts niveaux de l'UE— se trouve l'interdiction de la publicité gouvernementale dans les médias nationaux, une pratique courante sous le pouvoir de droite du VMRO-DPMNE. C'est en fait l'indignation dans l'opinion contre l'envahissante corruption des hautes sphères, avec la fraude électorale, qui ont entraîné le changement de gouvernement en Macédoine aux élections de décembre, bien que le VMRO-DPME ait retardé le transfert du pouvoir pendant presque une demi-année, menant le pays au bord de la guerre civile en avril 2017 avec l'organisation d'une attaque sanglante contre le parlement. Mais le soutien populaire, la pondération de l'opposition d'alors et un processus politique conduit par l'UE ont prévalu et mis fin à la crise politique prolongée avant qu'elle n'aille trop loin.

Les Hongrois pourraient ne pas avoir autant de chance à brève échéance. Le parti Fidesz du premier ministre Orban a utilisé la pleine puissance de l’État et le capital accumulé par copinage pour remporter les élections parlementaires en avril 2018, et a commencé à mettre en œuvre ses promesses de ‘revanche’ contre tous ceux qui ont épousé des opinions divergentes. Comme le VMRO-DPMNE, avec qui il a des liens anciens, le Fidesz a gommé les frontières entre parti et État en assujettissant les institutions et ressources publiques aux intérêts du parti, et entretenu un climat de peur utilisant la polarisation et le nationalisme comme armes fondamentales de propagande.

En Macédoine, cette stratégie s'est déclinée en campagnes contre les réfugiés, la presse libre et “l'Occident”, les organisations de la société civile et le philanthrope américain d'origine hongroise George Soros, dont le nom a remplacé “Rothschild” comme symbole de l'implicite ‘danger juif’ dans l'univers du discours anti-sémite et des théories conspirationnistes anti-occidentales.

En Hongrie, les premières cibles du Fidesz ont été les Fondations Open Society (acronyme anglais OSF) de Soros et l'Université d'Europe Centrale, les rares médias libres qui existent encore et la justice étant en proches deuxième et troisième lignes.

A côté de soutiens philanthropiques conventionnels, à partir de 1986, OSF a investi plus de 400 millions de dollars dans la reconstruction de la démocratie en Hongrie pendant et depuis la chute de son régime communiste. OSF a récemment annoncé le transfert de ses bureaux de Budapest à Berlin, anticipant la promulgation des lois “Stop Soros” par la “super-majorité” parlementaire du parti Fidesz.

Imitant la Russie de 2012, la nouvelle réglementation impose de lourdes taxes aux organisations de la société civile qui reçoivent des financement de l'étranger, et légalisent diverses formes de harcèlement visant à retarder leur travail quotidien.

L'Union Européenne a initié une procédure pour examiner et contrer l'érosion de la démocratie dans son État-membre hongrois. Dans le passé, une telle action a été freinée par les manœuvres politiques du Parti populaire européen, (droite), mais les partis européens de centre-droit commencent à hausser le ton sur la nécessité de limiter la puissance des courants populistes.

En Europe, le glyphosate continue de nourrir les débats

samedi 19 mai 2018 à 15:56

Glyphosate en agriculture – CC0 Creative Commons

Les Européens peinent à se mettre d’accord. Alors que l’écrasante majorité d’études scientifiques exonèrent le glyphosate, le militantisme de certains chercheurs fait hésiter les décideurs politiques.

Le Conseil fédéral suisse a adopté le 9 mai 2018 le rapport établi par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Ce rapport va dans le sens des autres études sur le sujet en estimant que « les résidus de glyphosate dans les denrées alimentaires analysée ne présentent pas de risque de cancer ».

L’Allemagne, de son côté maintient une position qui ne cesse de dérouter ses partenaires. Alors que son vote avait été décisif en novembre, lors du renouvellement de l'autorisation de l'herbicide pour cinq ans, le pays est aujourd'hui en train de finaliser un projet de loi:

mettant fin à l'utilisation du désherbant glyphosate dans les jardins particuliers, les parcs et les installations sportives, et instaurant des limitations massives pour son utilisation dans l'agriculture

selon les déclarations de Julia Kloeckner, ministre allemande de l'Agriculture.

Il faut dire que le sujet ne cesse de diviser les gouvernements européens. Alors que le président français avait promis que le glyphosate serait interdit dans l'Hexagone à l'horizon 2020, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a dû revenir sur l'engagement présidentiel.

Je ne suis pas buté et personne ne doit être enfermé dans une impasse : si dans un secteur particulier ou une zone géographique, certains agriculteurs ne sont pas prêts en trois ans, on envisagera des exceptions

a-t-il expliqué en février au Journal du dimanche.

De son côté, un rapport de la mission parlementaire sur les pesticides prône la limitation de l'interdiction du glypohsate tout en insistant sur la nécessité d'améliorer la prévention et l'information sur les dangers liés aux pesticides.

« Aucun lien entre le glyphosate et le cancer »

Le débat est tout aussi vif outre-Manche. Le ministre britannique de l'Environnement, Michael Gove, s'est récemment dit favorable à l'utilisation du glyphosate dans le Royaume-Uni après le Brexit:

Nous reconnaissons que le glyphosate est un outil indispensable pour la culture en TCS ou semis direct. Tant que la science justifiera son utilisation continue, je plaiderai en faveur de son utilisation

déclarait-il en février, lors de la conférence de la National Farmers’ Union à Birmingham.

Si pour le ministre, les régions britanniques vont avoir plus d'autonomie dans en politiques agricoles une fois le pays sorti de l’UE, tout en prônant la flexibilité, il a insisté sur le rôle essentiel que les preuves scientifiques doivent jouer dans la prise de décisions politiques. Un rappel à la rationalité scientifique qui rejoint l’avis de Sarah Mukherjee, directrice générale de la Crop Protection Association au Financial Times : l'Agricultural Health Study (AHS), la plus importante étude indépendante menée sur la question:

n'a trouvé aucun lien entre le glyphosate et le cancer, comme l'ont fait plus de 800 autres études scientifiques. L'Autorité européenne des produits chimiques, l'Institut fédéral allemand d'évaluation des risques, l'Agence américaine de protection de l'environnement et d'autres organismes similaires dans le monde ont tous examiné le glyphosate et ont constaté qu'il n'est cancérigène et qu'il peut être utilisé sans danger.

Conflits d’intérêt

Seul le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence spécialisée de l'OMS basée à Lyon, a classé le glyphosate comme « probablement cancérigène » pour l'homme. Une position qui continue d'alimenter la polémique au sein de la communauté scientifique internationale. L'engagement politique de certains membres du CIRC a été souligné, et une enquête de l'agence Reuters a révélé que les résultats de l'AHS avaient été dissimulés à l'agence lyonnaise au moment où cette dernière devait rendre son avis.

Le 13 mars dernier, une quarantaine de spécialistes ont appelé la communauté scientifique à un « sursaut civique pour sauver la recherche face au renoncement politique ». Selon les experts, qui s‘inquiètent de voir l'influence de l'expertise scientifique reculer au profit du politique, seul

le classement marginalisé d'une agence de l'OMS a prévalu sur les avis d'une dizaine d'agences, y compris européennes, qui l'ont déclaré non-cancérigène. Tout se passe comme si les décideurs publics ne pouvaient que s'aligner sur les marchands de peur .

Au Kazakhstan, la chasse aux partisans de l'oligarque Abliazov tourne à l'absurde et s'exporte

vendredi 18 mai 2018 à 20:37

“Comme d'habitude, il y avait sur les lieux plus de policiers que de manifestants” a dit à Global Voices un journaliste d'une ville de province à propos d'une de ces protestations pour la liberté de parole qui ont fait des vagues à travers le Kazakhstan mais auxquelles les autorités coupaient court aussitôt.

“C'est une triste situation”, a commenté le journaliste, qui a souhaité garder l'anonymat.

Le 10 mai, des rassemblements ont eu lieu dans de nombreuses villes du Kazakhstan, avec des pancartes disant “Stop à la torture !” et “Libérez les prisonniers politiques !”. La plupart des manifestants ont été arrêtés et mis en garde à vue presque immédiatement.

Human Rights Watch a rapporté :

Kazakh police yesterday detained dozens of people in cities across the country who were protesting the use of torture and politically motivated imprisonment.

People appear to have rallied in response to a call by opposition movement Democratic Choice of Kazakhstan (DVK), which a Kazakhstan court in March declared “extremist” and banneda move seen by some simply as a means to repress the opposition group.

La police du Kazakhstan a arrêté hier des dizaines de personnes dans des villes de tout le pays, qui manifestaient contre l'utilisation de la torture et les incarcérations à motivation politique.

Les rassemblements semblent une réaction à l'appel du mouvement d'opposition Choix Démocratique du Kazakhstan (DVK), déclaré “extrémiste” et interdit en mars par un tribunal du Kazakhstan, une décision dans laquelle certains ne voient rien d'autre qu'un moyen de réprimer ces opposants.

S'informer sur les manifestations a été plus compliqué pour les Kazakhs ordinaires : les médias nationaux, y compris les médias privés se disant indépendants, les ont totalement passées sous silence.

Interrogés par le service en kazakh de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), la plupart des députés du parlement – chambre d'enregistrement de ce pays d'Asie Centrale ont affirmé ne pas avoir entendu parler de l'existence de manifestations.

Le mouvement Choix Démocratique du Kazakhstan a programmé les rassemblements pour les faire coïncider avec la mission du parlement européen au Kazakhstan venue discuter de la mise en place d'un accord de partenariat et de coopération, dont une des conditions principales porte sur les droits humains et la liberté de parole.

Dès le début des manifestations, la police est arrivée sur place et à commencé à traîner vers le bus les protestataires qui tentaient de résister en faisant la chaîne. Comme cela s'est déjà produit dans des manifestations précédentes au Kazakhstan, de simples passants ont été arrêtés à tort.

Après les arrestations, les manifestants ont été conduits aux postes de police. Certains s'en sont tirés avec des amendes, d'autres ont été gardés à vue jusqu'à dix jours.

Les manifestations publiques sont peu fréquentes au Kazakhstan et requièrent l'autorisation des autorités, qui l'accordent rarement.

Est-il ici, serait-il là, l'insaisissable Abliazov

L'homme derrière le DVK est Mukhtar Abliazov, un oligarque fugitif accusé d'avoir fui le pays en emportant plusieurs milliards de dollars de fonds dérobés à la suite d'une bataille autour d'une banque locale en 2009. Il est l'ennemi juré du dictateur-vétéran du Kazakhstan, Nursultan Nazarbaïev.

Les efforts du Kazakhstan pour ramener Abliazov dans sa patrie y affronter son procès se sont révélés vains jusqu'ici. La plus haute juridiction administrative française a annulé son extradition l'année dernière, estimant que les accusations de détournement à son encontre ont une motivation politique.

Frustré, le pouvoir autoritaire s'en prend maintenant à ses sympathisants. En mars de cette année, le DVK a été catalogué “extrémiste” par un tribunal kazakh, ce qui donne aux autorités un blanc-seing pour poursuivre quiconque ayant un lien même ténu avec le mouvement.

Dans une affaire célèbre, un jeune homme d'affaires a été emprisonné et aurait été battu en détention sur des accusations de blanchissement d'argent pour Abliazov. La mère du jeune homme dit que son fils n'a pas aucun lien avec Abliazov, et que les autorités veulent en réalité se servir de lui pour forcer sa sœur, qui a travaillé de longues années pour l'oligarque, à rentrer au Kazakhstan pour témoigner contre son patron.

Plus faibles encore étaient les liens entre Abliazov et les citoyens ordinaires du Kazakhstan appréhendés par les policiers dans la capitale Astana pendant la fête nationale de Nowruz alors qu'ils tenaient des ballons bleus. La raison apparente de ce traitement musclé est que le bleu est la couleur du mouvement d'opposition DVK, et que les ballons pouvaient être vus comme de la propagande politique.

Le danger est que ceci ne soit que la pointe de l'iceberg. Il y a longtemps que les usagers des médias sociaux signalent des problèmes dans l'utilisation de Facebook, YouTube et Telegram chaque fois qu'Abliazov débute des émissions en ligne. Dès qu'il commence à poster plus de contenu en ligne, les coupures — non reconnues par le pouvoir — se font plus fréquentes.

Il y a aussi des signes alarmants que le gouvernement est prêt à utiliser tous les leviers dont il dispose sur les autres pays pour les obliger à coopérer à la chasse aux alliés d'Abliazov. La semaine dernière, les médias du Kirghizstan voisin ont rapporté que les autorités kirghizes ont arrêté un proche collaborateur du dissident et s'apprêteraient à l'extrader vers le Kazakhstan. Ceci en dépit du fait qu'à part le Kazakhstan, aucun pays n'a jusqu'à présent déclaré le DVK “mouvement terroriste”.

Cette nouvelle poussée de fièvre dans le différend entre Abliazov et Astana a deux victimes indiscutables : la liberté d'expression et la liberté de réunion. Toutes deux sont garanties par la constitution du Kazakhstan, mais malheureusement cela ne semble pas faire de différence pour le pouvoir.

Les régimes populistes serbes taisent le pillage du patrimoine culturel national

vendredi 18 mai 2018 à 12:45

Certains objets ont été conservés. Ces porte-matraques, du Relais de la jeunesse en Yougoslavie, sont maintenant exposés à côté du mausolée de Josip Broz Tito, à Belgrade. Photographie par Ellery Biddle, utilisée avec autorisation.

L'historien de l'art serbe Živko Brković a été la cible de menaces qu'il lie à une série d'attaques physiques et d'un cambriolage, le tout en raison de ses efforts pour préserver les œuvres d'art serbes du passé.

Pendant de nombreuses années, Brković a exigé des réponses du gouvernement serbe actuel concernant la prétendue mauvaise gestion des œuvres d'art appartenant à l'État. Brković veut rendre la Serbie responsable des collections de musées “privatisées” ou “disparues” dans les années 1990 sous l'ancien président serbe Slobodan Milošević [fr].

Le quotidien Danas a publié un compte rendu [sr] des pressions subies par Brković, qui a reçu des appels tard dans la nuit lui intimant de “cesser de mentionner [le président serbe] Vučić” après avoir publié une lettre ouverte sur la mauvaise gestion des propriétés de l'État.

Après avoir signalé les incidents à la police, la seule aide qu'il a reçue a été le conseil de changer son numéro de téléphone :

Tweet: Menaces contre l'historien de l'art Živko Brković, auteur du livre “Šumanović i naša fašizofrenija” [Šumanović et notre fascisophrénie], à cause de textes publiés dans Danas.
Link: Sous attaque pour avoir critiqué le régime.

Brković a été agressé après la promotion de son livre critique Šumanović i naša fašizofrenija (Šumanović et notre fascisophrénie) à la Foire du livre de Belgrade en octobre 2017. Sa bibliothèque personnelle, qu'il a conservée chez son frère, a été cambriolée, et de nombreux exemplaires invendus du livre ont été détruits par des inconnus.

Selon Brković, son “péché” est d'avoir, sans relâche, rappelé au public serbe la mauvaise gestion de son héritage culturel, propriété de l'État et hérité de l'ex-Yougoslavie. Pendant la présidence de Milošević, un complexe de musées du quartier de Dedinje [fr] a été transformé en résidence pour sa famille. Ces trois musées contenaient des milliers d'objets historiques d'une valeur inestimable, provenant du pays ou offerts au président yougoslave Josip Broz Tito par les gouvernements d'autres pays.

Après la chute de Milošević en octobre 2000, une exposition de photographies de 500 œuvres d'art dites “perdues” a été organisée par le gouvernement démocratique qui a brièvement occupé le pouvoir. Cependant, après l'assassinat du Premier ministre progressiste Zoran Đinđić [fr] en 2003, les vieux amis de Milošević sont revenus à des positions clefs et le pillage du patrimoine culturel s'est poursuivi.

Dans une déclaration pour le journal Danas, Brković souligne que le président actuel Vučić était le ministre de l'Information du gouvernement de Milošević et que ses proches associés et alliés politiques occupaient également des postes importants au gouvernement :

Ja sam pre svega stručnjak koji to radi i voli, i ne mogu da ćutim na krađe umetničkih stvari pred očima javnosti. Savest mi ne dozvoljava da ćutim. Ne postavljaju se kapitalna pitanja, koliko čega je bilo u Vili „Mir“ i koliko je i gde eksponata nestalo. Tu biblioteku, iz koje je rukopis Gorskog vijenca otišao na Cetinje, niko nikad ne pominje – kaže Brković i dodaje da bi odgovorne u aktuelnoj vlasti trebalo tužiti najpre domaćim a zatim i međunarodnim sudovima.

Je suis avant tout un expert qui aime son travail, et je ne peux pas garder le silence sur le vol d'œuvres d'art au vu et au su de tous. Ma conscience ne me permet pas de me taire. Des questions cruciales sont évitées, à propos de l'inventaire des objets d'art de [l'ancien musée] Villa “Mir” (Paix). Combien il y en avait, et comment ont-ils disparu. Personne ne mentionne sa bibliothèque, qui contenait le manuscrit de Gorski vijenac, parti pour Cetinje.

Brković a ajouté que les responsables qui sont actuellement au pouvoir “doivent être poursuivis devant les tribunaux nationaux puis internationaux”.

Dans un texte intitulé [M.] Vučić, rendez-nous notre musée [sr], Brković note :

Sada se vi u toj vili sa svojim gostima šepurite, šetate, uživate odvojeni visokim zidom od eventualnog nekrofilnog zadaha obližnjeg mauzoleja. Nije vas briga gde je monumentalni antički mozaik s kompozicijom lova, gde je sfinga iz Egipta, bronzani šlem iz 7. veka pre nove ere – pokloni kraljeva i vladara Grčke, Egipta, Nepala, Rusije… Bivši muzej je otet, zazidan, a misterija nestalih eksponata nerazrešena. Podsećamo da je na Dedinju, gde je nekad bila strogo zabranjena gradnja privatnih objekata, to odjednom dozvoljeno privilegovanim biznismenima i političarima. Tu je među prvima sagrađena vila Arkana Ražnatovića koja u stilu, eklektici svakog od sedam-osam spratova kopira megalomanska fašistička zdanja Musolinijeve ere.

Maintenant, vous utilisez la villa par exhibitionnisme, pour vous pavaner et en profiter avec vos invités, séparés de l'odeur nécrophile possible du mausolée à proximité [fr]. Vous ne semblez pas vous soucier de savoir où dans le monde se trouvent la mosaïque antique monumentale avec des scènes de chasse, le sphinx d'Égypte, le casque de bronze du VIIe siècle avant notre ère, tous les cadeaux des dirigeants de Grèce, d'Égypte, du Népal, de Russie… L'ancien musée a été enlevé, muré, et le mystère des objets d'art disparus reste irrésolu. Permettez-moi de vous rappeler que la construction de bâtiments privés était autrefois interdite dans le quartier de Dedinje, même si tout à coup cela a été autorisé pour les hommes d'affaires et les politiciens privilégiés. Arkan Ražnjatović [fr] [figure de proue du crime de guerre et du crime organisé], fut parmi les premiers à bénéficier de cette décision du gouvernement, dont le manoir de 7 ou 8 étages, dans son style et son éclectisme, copie les immeubles fascistes mégalomanes de Mussolini.

Le populisme “ordinaire” avec des conséquences à long terme

Le cas de Brković n'est qu'une tentative parmi d'autres d'étouffer la pensée libre en Serbie, où une démocratie fragile est influencée par le populisme. La Serbie fait partie des nombreux pays d'Europe centrale et orientale dirigés par des partis de droite affiliés au Parti populaire européen (PPE) [fr] et bénéficie de l'influence de son allié hongrois conservateur, l’Alliance civique hongroise [fr].

Au lieu de préserver le patrimoine réel, ces gouvernements investissent souvent dans la création d'une version révisionniste de l'histoire, créant de nouveaux projets présentés comme prioritaires.

Par exemple, en Macédoine voisine, Nikola Gruevski [fr], le collègue de Vučić du PPE (de 2006 à 2017), a dépensé des centaines de millions d'euros des contribuables macédoniens pour appliquer une politique d'antiquitalisation [en] visant à prouver une “descendance” culturelle, politique et génétique directe de l'empire d'Alexandre le Grand [fr] (336-323 av. J.-C.).

Cette politique révisionniste de “renaissance nationale” a inclus des projets criblés de corruption qui offraient d'énormes pots-de-vin aux dirigeants du parti au pouvoir et ses oligarques proches. Elle a comporté des dépenses publiques [en] pour des centaines de nouveaux monuments et bâtiments dans le cadre du projet de Skopje 2014 [fr], filmant des dizaines de “documentaires” [en] idéologiquement biaisés par le réseau de télévision publique macédonienne et s'assurant un contrôle presque total de la communauté universitaire.

De la même manière, Vučić attise les sentiments nationalistes serbes avec la promotion croissante de la dynastie médiévale Nemanjić [fr] (1166-1371). Cet hiver, le réseau de télévision public serbe a commencé à diffuser un feuilleton [sr] sur cette dynastie. Les autorités serbes ont annoncé des plans [en] pour construire un nouveau complexe monumental dédié à l'empereur Stefan Nemanja [fr].

A l'instar de l'annonce du plan Skopje 2014 en 2009 [en], celle concernant un nouveau complexe à Belgrade a présenté un modèle en trois dimensions du projet [sr] :

Nous obtenons, ou peut-être que je ne devrais pas le mentionner clairement, nous sommes en train de bâtir un nouveau monument… monument dédié à Stefan Nemanja.

Certains utilisateurs de médias sociaux ont exprimé des préoccupations, soulignant des similitudes dans l'approche entre l'actuel régime serbe et l'ancien régime macédonien :

Avez-vous vu le futur monument dédié à Stefan Nemanja ? Avez-vous été à Skopje ?
Le ministère public macédonien mène plusieurs enquêtes contre Gruevski, mais cela ne permettra pas de réparer Skopje, qu'il a transformée en une ville kitsch. Cela arrivera aussi à Belgrade à moins que les enquêtes ne commencent avant la construction.

Les autorités serbes planifient également de nombreux autres travaux publics tels que des fontaines et une roue panoramique (une partie du projet Skopje 2014 d'un coût d'environ 20 millions d'euros [en], qui a été stoppée [en] depuis).

À Belgrade, ils prévoient de construire des fontaines, des roues panoramiques, des télécabines, des gymnases en plein air et des complexes de divertissement. Tout comme dans la Rome antique, donnez à la plèbe [fr] du pain et des jeux [fr].

En 2017, la Macédoine a réussi à se défaire de son régime populiste soutenu par la Russie, après une grave crise politique, mais se remet encore avec peine des conséquences [en] de la domination de celle-ci. Pendant ce temps, en Serbie, Vučić jongle avec son affiliation traditionnelle avec la Russie contre la perspective d'adhésion à l'Union européenne, pour laquelle militent les jeunes et la population urbaine.

La récente victoire [en] de Vučić aux élections locales de Belgrade a consolidé son pouvoir. Elle a entraîné une nouvelle vague de pessimisme et même d'apathie parmi les représentants de ce qui reste de la presse libre et de la société civile en Serbie.

Le cas de l'historien de l'art Živko Brković démontre que certaines questions d'intérêt public ont été déclarées officieusement comme des sujets tabous, en particulier celles liées aux exigences de responsabilité d'un gouvernement de plus en plus autoritaire.

Les manifestations en Géorgie opposent clubbeurs et nationalistes

mercredi 16 mai 2018 à 18:09

Indignés par les descentes de police dans les discothèqyes, des milliers de clubbeurs et de militants libéraux ont pris le contrôle des rues autour du parlement pour une rave impromptue les 12 et 13 mai. Parfois avec une fleur de camomille dans les cheveux. Photo Giorgi Lomsadze pour Eurasianet.

Cet article de notre partenaire, Eurasianet.org, a été écrit par Giorgi Lomsadze. Il est reproduit avec autorisation.

La féroce guerre des cultures en Géorgie est montée d'un cran pendant le week-end quand une opération de police musclée contre une discothèque a été suivie par une confrontation tendue entre défenseurs de la vie nocturne libre et animée de la capitale et groupes d'extrême-droite radicale.

La présence policière massive a à peine réussi à maintenir la paix entre les deux manifestations concurrentes dans le centre de Tbilissi le 13 mai, quand les protestations contre les raids anti-drogue dans deux discothèques ont explosé en un conflit plus large à propos de liberté individuelle et d'identité nationale.

“Nous étions au bord de la confrontation civile”, a déclaré le Président Giorgi Margvelashvili dans une conférence de presse le lendemain.

Au centre de la confrontation, la discothèque Bassiani, qui a acquis une renommée internationale en tant qu’un des meilleurs clubs d'Europe et l'un des principaux attraits de la ville pour les touristes jeunes et branchés du monde entier.

En Géorgie, le Bassiani est aux avant-postes de la révolution culturelle, en contribuant à la création d'une avant-garde de jeunesse progressiste et cosmopolite qui contraste avec l'environnement souvent nationaliste, xénophobe et homophobe du reste du pays. Pour souligner sa place dans les guerres culturelles géorgiennes, le club a même emprunté son nom à une célèbre bataille du 13ème siècle.

Ces dernières années, une fracture culturelle s'est élargie entre Géorgiens. En relativement peu de temps, des poches du pays ont spectaculairement changé : le centre en expansion rapide de Tbilissi est devenu le terrain de jeu de jeunes gens progressistes, dont les attitudes sur la sexualité, les rôles de genre, et même les régimes alimentaires s'éloignent fortement de la tradition. On voit aujourd'hui à Tbilissi de nombreux immigrants, y compris beaucoup à la peau plus foncée en provenance du Moyen-Orient, d'Asie du Sud ou d'Afrique. Et un mouvement grandit en faveur de la libéralisation de la législation sur les drogues, toutefois  centré plutôt sur le cannabis que sur les drogues plus dures du disco.

Cela inquiète des Géorgiens conservateurs, et a produit un retour de bâton, y compris de l'extrême-droite militante en pleine croissance.

La confrontation la plus récente a démarré après une série ce mois-ci de décès d'habitués des boîtes, attribués à des overdoses de drogues récréatives à base de méphédrone.

La riposte de la police a consisté, au petit matin du 12 mai, à faire irruption dans le Bassiani et dans une autre boîte, le Café Gallery, à traîner dehors les fêtards et à en mettre plusieurs en garde à vue. “Nous … possédons 20 vidéo-clips de ventes de drogues dans les boîtes. Nous avons été obligés de les perquisitionner”, a justifié le ministre de l'Intérieur Giorgi Gakharia.

Beaucoup ont critiqué l'intervention comme étant une opération publicitaire, et il a transpiré ensuite que huit individus arrêtés pour possession de drogue l'ont été hors des locaux de la discothèque, ôtant vraisemblablement toute nécessité aux perquisitions musclées.

Des milliers de clubbeurs indignés par les raids policiers ont occupé la rue devant le parlement le samedi après-midi. Dansant sur la musique électronique crachée par une grosse sono, les raveurs-protestataires ont métamorphosé le centre-ville en discothèque géante pour le reste du week-end. Ils ont réclamé les démissions du ministre de l'intérieur et du premier ministre, en tenant des pancartes qui disaient “Danser n'est pas un crime”, “Ne me tape pas, danse avec moi” et “Si nous ne pouvons pas aller au Bassiani, le Bassiani viendra à nous”.

La manifestation continue devant le Parlement géorgien, les manifestants dansent au son de la musique électronique après les raids de hier sur les discothèques

“Nous avons un problème avec la police nationale… que nous vivons depuis des années, et les raids du 12 mai en étaient un nouveau témoignage”, a dit à l'assistance Beka Tsikarishvili, un des organisateurs du rassemblement, à la tête du mouvement Bruit Blanc, un collectif de la base qui promeut une politique de libéralisation des drogues.

Des DJ européens très connus ont exprimé leur solidarité. “Bassiani c'est mon cœur, ça m'attriste de voir mes sœurs et frères traités comme des criminels,” a écrit le DJ suédois Joel Mullon sur Facebook. “Reste fort Bassiani”, a dit l'artiste allemand de techno Ben Klock.

La situation a commencé à mal tourner dimanche, quand les défenseurs du club ont poursuivi leurs manifestations, et que les groupes ultranationalistes Marche Géorgienne et Idée Géorgienne se rassemblaient à proximité.

La contre-manifestation de droite s'est rassemblée près de la place du 9 Avril, après avoir été empêchée par la police d'aller au parlement où se tient la manifestation #Bassiani #CaféGallery #Tbilissi

Le 13 mai, des groupes d'extrême-droite se sont rassemblés pour une contre-manifestation. Ils ont condamné les discothèques comme étant des lieux de toxicomanie et de déviance sexuelle. Ils ont chanté l'hymne national, lancé des injures verbales et tenté d'agresser physiquement les raveurs. Photo Giorgi Lomsadze pour Eurasianet.

La mode dans les camps rivaux divergeait tout autant que l'idéologie : tenues bariolées et piercings prédominaient dans l'un, et cheveux coupés à ras dans l'autre. Vulgarités et injures homophobes à la bouche, les jeunes d'extrême droite ont tenté de façon répétée de franchir les cordons de police pendant que la partie adverse dansait et jouait de la techno en signe de défi.

“[injure] Bassiani allez-vous en !” hurlaient certains dans le camp nationaliste. “Ce ne sont qu'une bande de dealers, de putes et d'homosexuels”, a déclaré sur place un militant d'extrême-droite masqué à Eurasianet.

Des rangées de policiers ordinaires et anti-émeute ont formé un rempart humain entre les deux rassemblements sur l'avenue Rustaveli au centre ville. La police a utilisé des bus urbains pour former des barrières supplémentaires, et tenaient prêts les canons à eau au cas où la confrontation deviendrait violente.

Les deux côtés ont persévéré jusqu'à ce qu'à ce que le ministre de l'Intérieur Gakharia fasse son apparition après minuit pour présenter ses excuses pour l'usage excessif de la force lors des perquisitions des discothèques.

“Je veux commencer par des excuses”, a dit Gakharia, provoquant des tonnerres d'applaudissements d'un rassemblement et des huées de l'autre. “Ce ne sont pas seulement mes excuses personnelles, mais celles de tous les responsables du ministère de l'Intérieur qui ont pu vous énerver ou dont les actes ont pu mettre votre sécurité en danger”, a-t-il dit, proposant de s'asseoir avec les protestataires pour discuter des manières de revoir les politiques répressives du pays contre la consommation de drogues.

Les raveurs ont accepté de se disperser, mais la police a peiné à sécuriser leur départ. Les groupes radicaux sont devenus de plus en plus violents, s'affrontant aux policiers et hurlant des menaces.

L'ordre a fini par être rétabli, mais les questions demeurent du traitement de l'usage de drogues – les députés ont promis de produire une nouvelle législation sur la question pour dans deux semaines – et le fossé culturel qui s'élargit.