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Un livre pour la jeunesse apprend aux enfants allemands la véritable histoire des réfugiés syriens

lundi 27 juin 2016 à 16:51
Rahaf and her family fleeing Homs, Syria to Germany. Credit: Jan Birck

Rahaf et sa famille fuient Homs, de la Syrie à l'Allemagne. Crédit: Jan Birck

Cet article de Lucy Martirosyan est initialement paru sur PRI.org le 20 juin 2016, et il est reproduit ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Il y a aujourd'hui plus de 65 millions de personnes déplacées dans le monde en raison de conflits, le chiffre le plus élevé jamais enregistré. La moitié de ces réfugiés sont des mineurs.

L'Allemagne a accueilli plus d'un million de réfugiés, principalement syriens et irakiens. Malgré un fort soutien initial en faveur des initiatives de la chancelière Angela Merkel, de nombreux Allemands commencent à se demander avec inquiétude combien de temps encore durera cet accueil positif des migrants.

Cependant, si dans le pays les réactions des adultes ont été mitigées, l'écrivaine allemande Kirsten Boie souhaite que les plus jeunes au moins prennent conscience qu'un enfant réfugié est semblable à tout autre enfant dans le monde.

Listen to this story on PRI.org »

Dans son dernier livre pour la jeunesse, Everything will be all right [Tout va bien se passer, inédit en français], elle raconte l'histoire vraie de Rahaf et de sa famille, qui ont fui la ville syrienne de Homs suite aux bombardements aériens. La famille a traversé la Méditerranée sur un petit bateau, et a finalement décidé d'entamer une nouvelle vie dans une petite ville près d'Hambourg en Allemagne.

Le livre est publié en allemand et en arabe, et il est destiné à être lu à l'école tant par les enfants allemands que par leurs nouveaux voisins immigrés. (Une traduction en anglais est disponible en ligne ici.)

« Il existe des centaines de milliers de personnes qui non seulement accueillent les réfugiés qui arrivent chez nous, mais aussi qui les soutiennent énormément, donnent beaucoup de leur temps pour les aider à acquérir la maitrise de la langue, aller chez le médecin, s'adresser aux autorités et ainsi de suite. Et, d'un autre côté, il y a des gens qui sont totalement contre les réfugiés » explique Kirsten Boie. « Les enfants sont quelque part entre les deux et les informations qu'ils reçoivent – eh bien, certains parents ont des mots durs pour les réfugiés, d'autres en parlent différemment. J'ai donc pensé que raconter l'histoire d'une vraie famille leur donnerait l'occasion d'apprendre ce que c'était. »

Tout au long de l'année dernière, Kirsten Boie a été en contact avec des familles de réfugiés. Elle précise qu'elle aurait pu choisir de raconter une histoire plus « sensationnelle » – qui aurait comporté plus de deuils, de violence et de souffrances – mais qu'elle a décidé d'en écrire une plus « ordinaire ». Elle espère que cela permettra aux petits Allemands de communiquer plus facilement avec les enfants réfugiés.

The book includes some horrifying scenes endured by the main characters who are now settled in Germany. Credit: Jan Birck

Le livre contient des épisodes terrifiants vécus par les personnages principaux qui sont désormais installés en Allemagne. Crédit: Jan Birck

En pleine écriture du livre, l'auteure a rencontré Rahaf et son frère Hassan (ce ne sont pas leurs vrais noms) ainsi que leur mère. Plutôt que d'aborder la question de la violence et de la guerre tout de suite, les deux enfants ont évoqué leur maison et les amis et cousins qu'ils avaient laissés au pays. Kirsten Boie indique que leur mère les a finalement encouragés en arabe à parler des horreurs de la guerre dont ils avaient été témoin.

L'écrivaine est restée en contact avec Rahaf et Hassan – ils vont même au cinéma ensemble – mais elle n'a pas l'intention d'écrire une suite.

« Je suis quasiment sûre de ne pas le faire. J'ai tout fait pour que personne ne puisse reconnaître ces enfants. J'ai même modifié leur nom – ou plutôt, ils les ont modifiés eux-mêmes. Ils m'ont dit comment ils voulaient être appelés dans l'histoire » commente-t-elle.

Lors des séances de lecture qu'elle a effectuées, de jeunes lecteurs allemands se sont inquiétés du bien-être de Rahaf et Hassan. Ils ont même commencé à s'identifier à eux.

« Les enfants, je pense qu'ils sont très, très ouverts d'esprit. Quand ils entendent ce qu'ont traversé ces gamins, ils veulent savoir, “Pouvons-nous les aider ? Comment pouvons-nous les aider ? Que pouvons-nous faire pour leur faciliter la vie ?” » note Kirsten Boie.

« Dans l'histoire de ces deux gamins syriens, les passeurs en Méditerranée leur volent leurs bagages. La poupée de la petite fille s'y trouve. Et elle est vraiment malheureuse de perdre sa poupée comme ça. A ce moment, les enfants commencent toujours à demander, “A-t-elle récupéré sa poupée ?” Je pense que cela s'explique par le fait que c'est quelque chose qui pourrait eux-mêmes leur arriver, alors que les bombardements, les combats et les nuits en mer Méditerranée … ils ne peuvent imaginer cela dans leur vie. »

Kirsten Boie, qui a écrit plus de 60 livres pour enfants et adolescents, est convaincue que les histoires aident les plus jeunes à appréhender ce qui se passe dans le monde.

« Selon moi, les histoires permettent aux enfants d'accéder à une meilleure compréhension des choses que les connaissance théoriques. Je pense que c'est une opportunité à saisir » confie l'écrivaine.

Brexit: “Brisée, mais pas défaite”

dimanche 26 juin 2016 à 20:22
Brexit? London, UK 2016. PHOTO: Tomek Nacho (CC BY-ND 2.0)

Brexit ? Londres, RU 2016. PHOTO: Tomek Nacho (CC BY-ND 2.0)

[Texte d'origine publié en anglais le 24 juin] Les brumes de l'incrédulité du matin ont laissé place à la tristesse. J'ai le cœur brisé, comme au moins 16 millions de personnes autour de moi. Pas seulement pour l'UE et une position commune face aux atrocités du monde d'aujourd'hui mais aussi pour le pays dans lequel j'ai grandi.

Suivre ce qui s'est passé dans la période qui a précédé le référendum a été éprouvant. Sentir que je me crispe lorsque quelqu'un dans la pièce mentionne UKIP ou le Brexit [fr]. Devoir être celle qui dit « Ils sont racistes ! » et obtenir des réactions telles que « Mais leurs idées se tiennent sur le plan économique » de la part de personnes que je respectais auparavant – et constater par moi-même à de multiples reprises que faire mine de ne pas voir l'intolérance n'est pas un problème pour beaucoup d'entre nous quand cela nous arrange. Savoir que si tel avait été le climat politique lorsque mes parents sont arrivés du Bangladesh dans les années 70, je n'aurais très certainement pas pu grandir au Royaume-Uni, ni eu les possibilités qui m'ont été données au cours de mon enfance.

« . . . si tel avait été le climat politique lorsque mes parents sont arrivés du Bangladesh dans les années 70, je n'aurais très certainement pas pu grandir au Royaume-Uni, ni eu les possibilités qui m'ont été données au cours de mon enfance. »

Observer ce processus de l'extérieur était étrange, alors que ce sentiment anti-immigrant et xénophobe gagnait du terrain au Royaume-Uni. J'ai d'abord tentée de l'ignorer. J'avais ce privilège: je vis à Berlin, ça ne me concerne pas tant que ça. J'en ai peu à peu appris plus. J'ai commencé à en parler à des amis, à m'engager sur le net, et, hier, j'ai pris l'avion pour l'Angleterre pour participer à une action de dernière minute dans la campagne en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l'UE [fr] en ce jour de vote. Je suis fière de l'avoir fait, mais je regrette infiniment qu'il m'ait fallu si longtemps pour m'impliquer davantage.

Je soupçonne beaucoup de gens de partager ce sentiment aujourd'hui. C'est parce que nous n'avons pas été attentifs aux événements politiques dans notre pays que nous en sommes arrivés là. Nous étions trop insouciants, et nous nous tenions à l'écart des décisions et des politiques qui ont eu un fort impact sur nos vies. Nous n'avons pas réalisé combien nous avions à perdre, ou que nous devions réellement protéger les droits dont nous jouissons, quelle que soit notre orientation politique.

Il est ressorti d'une discussion que j'ai eue avec des amis hier qu'un grand nombre d'entre eux avaient parlé pour la toute première fois de politique sur Facebook grâce à ce référendum. Beaucoup parmi nous ont été élevés dans une méfiance profonde du système politique britannique, à force de constater  que, de manière récurrente, les jeunes hommes blancs passés par Eton et Oxford, comme par hasard, s'élèvent dans la hiérarchie pour finir par diriger le pays. Beaucoup dans mes cercles d'amis se contentaient du statu quo. Pas fous de joie, mais ça pouvait aller ; bataillant pour acheter une maison, mais ayant un travail, et remboursant petit à petit leur prêt étudiant. Une fois encore un privilège que ne partagent clairement pas bon nombre des personnes marginalisées et sans accès à leurs droits à travers le pays qui se sont saisies de l'occasion pour enfin se faire entendre.

« Beaucoup dans mes cercles d'amis étaient relativement satisfaits du statu quo. Pas fous de joie, mais ça pouvait aller ; bataillant pour acheter une maison, mais ayant un travail, et remboursant petit à petit leur prêt étudiant . . . un privilège que ne partagent clairement pas bon nombre des personnes marginalisées et sans accès à leurs droits à travers le pays qui se sont saisies de l'occasion pour enfin se faire entendre. »

Le pays est divisé. C'est ce que montre le vote. Et ces clivages sont profonds, de l'âge au niveau d'éducation en passant par la géographie. La politique politicienne n'a pas grand chose à voir avec cela. Les mensonges et l'information biaisée qui se sont répandus pendant la campagne étaient nuisibles, d'affreuses contre-vérités irresponsables au sens le plus profond du terme.

Assister à cela aussi a été dur. C'est la campagne la plus infâme et la plus féroce que j'ai jamais vue. Le meurtre de Jo Cox |fr] a représenté un nouveau coup dévastateur mais, comme l'a écrit Alex Massie, vous ne pouvez pas crier sans arrêt à la rupture et être surpris quand quelqu'un rompt. Le résultat m'attriste, la manière dont la campagne s'est déroulée m'attriste, de même que le déferlement d'opinions d'extrême-droite qui se répandent progressivement en Grande-Bretagne. Ce n'est pas le pays dans lequel j'ai grandi.

Et maintenant ? Le fait qu'il nous ait fallu trop de temps pour réaliser ce qu'il se passait, pour prendre la menace au sérieux, pour ne pas nous contenter d'exiger des changements mais de défendre ce à quoi nous tenions, est quelque chose dont nous devrons nous souvenir et ne pas reproduire. Nous avons beaucoup perdu hier, et notre pays ne sera plus jamais le même.

Cela n'a rien à voir avec le processus que j'aurais souhaité, mais nous ne pouvons perdre encore plus, et nous devons à présent vraiment faire de notre mieux. Quelles que soient leurs opinions politiques, celles et ceux qui rejettent l'intolérance, les discriminations et la bêtise sans bornes doivent se serrer les coudes. J'éprouve un immense chagrin, mais je suis consciente du rôle actif que nous devons toutes et tous jouer en étant plus audibles pour éviter que la situation ne s'aggrave encore plus.

Comme mon amie Sarah l'a écrit ce matin : brisée, mais pas défaite.

Pour que les auteurs de poèmes écrits en prison pendant la dictature en Argentine ne soient plus anonymes

dimanche 26 juin 2016 à 19:20
Pages du carnet de Rawson. Utilisé avec l'autorisation des archives de la mémoire de la province de Chubut (Archivo Provincial de la Memoria del Chubut)

Pages du carnet de Rawson. Utilisé avec l'autorisation des archives de la mémoire de la province de Chubut (Archivo Provincial de la Memoria del Chubut)

La guerre sale en Argentine entre 1974 et 1983 a marqué une période sombre de l'histoire de ce pays, durant laquelle on estime que 30 000 personnes ont été tuées. Plusieurs milliers de civils ont été kidnappés, emprisonnés, torturés et assassinés. Ouvriers, étudiants, enseignants, journalistes, militants, quiconque exprimait la moindre contestation de la dictature de droite — tous ont subi la brutalité de ses escadrons de la mort.

Des centres clandestins de détention répartis dans tout le pays ont détenu des citoyens argentins. La prison de Rawson, prison de haute sécurité isolée, dans la province de Chubut, était l'un des centre les plus extrêmes. On estime que de 10 000 à 12 000 prisonniers politiques ont été détenus à Rawson entre 1975 et 1984. D'anciens prisonniers qui y ont été détenus l'ont qualifié de camp de concentration légal.

Pages du carnet de Rawson. Utilisé avec l'autorisation des archives de la mémoire de la province de Chubut (Archivo Provincial de la Memoria del Chubut)

Pages du carnet de Rawson. Utilisé avec l'autorisation des archives de la mémoire de la province de Chubut (Archivo Provincial de la Memoria del Chubut)

En 1983, Hebe Mabel Garro, professeur de littérature qui enseignait en prison, est sortie de Rawson avec un carnet de poésies composées par des détenus entre avril 1982 et août 1983. Aucun de ces textes ne portait la signature de son auteur.

Aujourd'hui, 40 ans après le coup d'Etat, ces poèmes ont été publiés. Leurs auteurs ont enfin un public pour entendre leur voix, mais ils restent des écrits anonymes. Cosecha Roja (Moisson rouge), un réseau d'organisations de journalisme juridique et des droits humains, a initié la campagne #CuadernodeRawson (carnet de Rawson) afin de retrouver les auteurs à l'origine de ces écrits.

Il était interdit d'écrire en prison. Les prisonniers cassaient la pointe d'un crayon et utilisaient du papier à cigarette pour écrire. La poésie créée à Rawson transcendait les limites physiques de la prison ; elle constituait un témoignage brut exprimant ce qui ne pouvait pas être transmis par de simples discours.

Les poèmes évoquent tous l'obscurité, la faim, la solitude et la colère. Mais aussi la nostalgie de la perte et l'espoir. Un exemple, avec un poème intitulé “Vamos Andando” (Nous marchons):

Vamos Andando

Por todos los chicos que sueñan y cantan
por todos los chicos que esperan
por los que recuerdan
por la mano tierna que busca una mano
y que no la encuentra
por los cuentos de hadas
que ya nadie cuenta
por los que interrogan en cada mirada
a la vieja abuela
a la dulce hermana
por los que conversan con mama en secreto
u le inventan juegos
como si estuviera
por los que recorren semana a semana
un itinerario
de muros hostiles, de gestos extraños
con una sonrisa que tiembla en los labios
y aplastan la ñata contra un vidrio helado
por todos los chicos que sueñan y cantan
por todos los chicos que buscan
de noche una estrella
en el alto cielo
por todos los chicos que esperan
la hora del sol
por todos ustedes seguimos andando

Nous marchons

Pour tous les enfants qui rient et chantent
Pour tous les enfants qui attendent
pour ceux qui se rappellent
pour la main douce qui cherche une autre main
et ne peut la trouver
pour les contes de fées
que plus personne ne raconte
pour ceux qui interrogent dans chaque regard
la vieille grand-mère
la douce soeur
pour ceux qui discutent en secret avec leur mère
et inventent des jeux comme si elle était là
pour ceux qui parcourent semaine après semaine
un itinéraire
de murs hostiles, de gestes étranges
avec un sourire tremblant sur leurs lèvres
et le nez écrasé contre une vitre gelée
pour tous les enfants qui rêvent et chantent
pour tous les enfants qui cherchent
une étoile la nuit
dans le ciel immense
pour tous les enfants qui attendent
l'aurore
pour vous tous nous continons à marcher

Le carnet sorti clandestinement de Rawson U6 compte 84 pages jaunies si fines que les lettres transparaissent à travers les feuillets. La couverture représente un voilier flottant sur l'eau.

Les auteurs de 18 poèmes anonymes restent à identifier. “Cosecha Roja” espère qu'en identifiant les poètes de Rawson, il sera possible de tourner dans une certaine mesure la page associée à la douloureuse période de l'histoire de l'Argentine. Tout auteur de l'un des textes ou toute personne qui connaîtrait l'un des auteurs est invité à contacter info.cosecharoja@gmail.com et centrocultural.dhchubut@gmail.com.

Cahier de Rawson

Visiter les récifs coralliens de Papouasie occidentale en réalité virtuelle

dimanche 26 juin 2016 à 19:01
Pristine reef of staghorn coral with juvenile batfish in Wayag Lagoon, Raja Ampat. Photo by Sterling Zumbrunn. Courtesy of Conservation International

Corail Corne de cerf intact et jeune poisson chauve-souris dans le lagon Wayag, Raja Ampat. Photo de Sterling Zumbrunn. Avec l'autorisation de Conservation International

La péninsule de Doberai en Papouasie occidentale est un des centres de biodiversité marine les plus riches au monde. Grâce à un film publié par l'organisation américaine à but non lucratif Conservation International, nous pouvons maintenant voir les trésors sous-marins de Doberai et avoir l'impression de “faire de la plongée dans un récif en bonne santé”.

“Valen's Reef” est un des films présenté au Festival international de la créativité – Lions Cannes. Il est diffusé en collaboration avec YouTube.

La région de Doberai recense plus de 2 500 îles et récifs coralliens. Elle abrite 600 sortes de coraux et 1 765 espèces de poissons (dont plus de 40 espèces de requins et de raies). Environ 3 % des mangroves dans le monde sont situées dans cette région. Les scientifiques estiment qu'à Doberai, il y a plus d'espèces de poissons que dans la Grande barrière de corail d'Australie, et plus de sortes de récifs coralliens que dans toute la Mer des Caraïbes.

Doberai nourrit, abrite et fait vivre 760 000 Papous. La Papouasie occidentale se situe dans l'est de l'Indonésie.

“Valen's Reef” est plus qu'un film mettant en valeur les trésors marins de Doberai. Il raconte aussi comment un habitat marin, menacé par les pratiques de pêche destructrice, a été ravivé par un effort concerté des collectivités et des environnementalistes. Le film est conté par un pêcheur du coin qui dédie son discours en faveur de la protection des mers à son fils, Valen.

Regardez la vidéo dans son intégralité ci-dessous et plongez dans les eaux cristallines de Doberai :

Infirmière, restauratrice, moto-taxi et mère courage: Fatoumata Diaby est le symbole du Mali qui veut s'en sortir

dimanche 26 juin 2016 à 13:16
Fatim, la commerçante de Moto-taxi à Sakolabada, Kéniéba au Mali avec sa permission.

Fatim, la commerçante de Moto-taxi à Sakolabada, Kéniéba au Mali avec sa permission.

Après plusieurs années marquées par les affrontements au Nord du pays, le Mali oeuvre progressivement à sa reconstruction et sa réunification. La tâche est difficile mais les citoyens maliens ne rechignent pas à la tâche. Fatoumata Diaby est un exemple édifiant de ce Mali qui ne lâche rien et fait l'effort au quotidien pour reconstruire l'économie du pays. Fatoumata vit à Sakolabada dans le centre du Mali. Global Voices l'a rencontré alors qu'elle pilotait son moto-taxi.

Communément appelé « Taxinin » ou « katakatanin », le moto-taxi est aujourd’hui utilisé dans presque toutes les régions du Mali. Il sert de transport en commun dans certaines villes comme à Ségou où il tente de supplanter les taxis pour offrir une alternative plus abordables aux citadins. A Bamako, il est utilisé pour le transport de bagages. Activité auparavant exclusivement faite par des hommes, Fatoumata est la première femme à prendre les manettes d'un taxinin.

Voici l'interview de Fatoumata par Boukary Konaté pour Global Voices :

GV: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Fatoumata Diaby FB: Je me nomme Fatoumata Diaby, j’ai 35 ans. Je suis originaire de Kéniéba, mais je vis avec mon mari à Sakolabada, un village d’orpaillage situé à 26 kms de Kéniéba. Nous avons trois enfants: deux garçons et une fille. Je suis infirmière, mais je n’ai pas eu la chance de pratiquer ce métier.

GV: Hier, je vous ai rencontrée au niveau de Kati sur un moto-taxi pour aller à Kéniéba. Vous m’avez dit que vous venez acheter les moto-taxis ici à Bamako pour aller les vendre à Kéniéba. Vous roulez sur ces moto-taxis de Bamako à Kéniéba. Expliquez-nous pourquoi vous faites ce travail et depuis combien de temps? 

FD: Parfois, les choses arrivent d’elles-mêmes. Je suis infirmière de formation, mais Dieu ne m’a pas donné la chance de pratiquer ce métier. Au lieu de me croiser les bras, j’ai ouvert un restaurant en 2011 à Sakolabada. Mais je ne pouvais pas me contenter de ce seul travail pour ma famille. J’ai acheté un moto-taxi, j’ai appris à le conduire et j’ai commencé à faire le transport de bagages dans les zones d’orpaillages. Ceux qui font de l’orpaillage ont besoin de transporter leurs pierres auprès du moulin pour extraire de l’or. Je me chargeais de transporter ces pierres aux moulins. Je transportais également leurs matériels entre la ville de Kéniéba et les zones d’orpaillage, sur leurs lieux de travail. De même, je transportais également de l’eau à vendre aux clients quand il y a une pénurie d’eau sur les lieux.

En 2015, j’ai pu ouvrir une boutique de vente de pièces détachées de motos dans le village de Sakolabada. J’ai alors arrêté avec le transport pour me contenter de cette boutique de pièces détachées. Comme les clients savent que je m’y connais un peu aux moto-taxis, ils viennent commander chez moi à chaque fois qu’ils en ont besoin. Alors, je viens acheter les commandes à Bamako, je charge ainsi les pièces détachées que j’achète également à Bamako et je le conduis à Kéniéba ou à Sakolabada. Même s’il n’y a pas de commande, parfois, je viens en acheter pour aller le garer à la boutique pour les clients. C’est comme ça que j’ai commencé ce commerce de moto-taxi.

GV:  Combien coûte un moto-taxi à Bamako et combien vous pouvez gagner en bénéfice après la vente Sakolabada ou à Kéniéba?

FD: ça dépend de la montée et de la baisse du prix sur le marché. Je peux par exemple acheter une moto à 1 180 000 FCFA à Bamako et la livrer aux clients à 1 230 000 FCFA. Le carburant pour aller de Bamako à Kéniéba me coûte 25 000 FCFA. Ce qui est important dans tout ça, c’est le fait que dans le moto-taxi, je transporte les nouvelles pièces détachées que j’achète pour ma boutique. Ainsi, je ne paie pas de frais de transport ni pour moi même ni pour le moto-taxi ni pour les pièces détachées aux chauffeurs de car. Je ne vise pas tout le bénéfice directement sur la vente du moto-taxi, mais le fait aussi de ne pas payer tous ces frais de transport, constitue pour moi un bénéfice à gagner si on sait que par car, les frais de transport d’une personne de Bamako à Kéniéba c’est 6 000 à 7 000 FCFA, 50 000 FCFA pour le moto-taxi et entre 30 000 à 35 000 FCFA pour les pièces détachées que j’achète pour la boutique.

GV: Fatoumata, gérer la famille et pratiquer ce métier, ce n'est pas chose facile..

FD: Je n’ai encore rencontré de difficultés insurmontables. Je fais ce travail avec le consentement de mon mari et il me soutient beaucoup. Parfois, on travaille ensemble. Lui, il travaille dans la mine, mais quand moi je viens à Bamako pour les achats, c’est lui qui tient la boutique. Pour les travaux domestiques, mon mari et moi, nous gérons ensemble de sorte que chacun puisse avoir le temps de s’épanouir dans son travail. J’ai également engagé une fille que je paie chaque mois. Elle nous aide dans les travaux domestiques et on s’entend très bien avec elle. Alors à trois, nous menons convenablement cette vie de commerce et de travaux domestiques.

GV: comment ça se passe avec les autres commerçants de moto-taxis à Kéniéba?

FD: Je m’entends bien avec les autres commerçants. Chacun gagne sa chance quotidiennement. La seule différence c’est que les motos que je roule de Bamako à Kéniéba sont bien rodées à l’arrivée et se trouvent en bon état. Les clients préfèrent ces motos à celles transportées dans les camions qui parfois, se déforment à l’arrivée à cause des charges qu’on met là-dessus dans les camions.

GV: quelle est l’appréciation des gens de ce que vous faites?

FD: Les gens aiment beaucoup ce que je fais. Tout le monde m’encourage dans ce travail. Je profite pour remercier les populations de Sakolabada et Kéniéba pour leur encouragement. Les hommes et les femmes me soutiennent beaucoup, même si certaines femmes trouvent que ce que je fais n’est pas un travail conforme à une femme et c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis surnommée « Katakataninbolila Fatim » (Fatim, la conductrice de Katakanin, comme on aime appeler le moto-taxi en bambara).

GV: Cette appellation vous pose problème?

FD: Pas du tout! C’est d’ailleurs un plaisir pour moi que d’être surnommée comme ça! ça désigne mon travail, ça signifie que je suis connue dans mon travail, donc que je l’aime et que je le fais peut-être bien. Et puis, il n’est pas dit que tout le monde partage nécessairement ma pensée, mes ambitions.

GV: Dans ce travail, que pouvez-vous partager avec nous comme souvenir ?

FD: Un jour, ma sœur a remarqué que j'étais en retard et m’a appelé au téléphone pour prendre de mes nouvelles. Je me suis garée pour décrocher le téléphone et je lui ai dit que j’ étais presque arrivée et que j'étais en moto (c'était ma premiere fois au volant de la moto). Etonnée, elle a informé les femmes et les jeunes du village. Ils se sont alors tous regroupés pour venir m’accueillir à l’entrée de la ville à pied, en moto, et en voiture avec des tam-tams. Cela a été une grande surprise pour moi. Je reste reconnaissante à toute la population de Kéniéba pour ce geste de reconnaissance qui fut un grand honneur et une grande joie pour moi.

GV: Nous vivons dans une société où les traditions font que certaines tâches sont réservées aux hommes.  Est-ce que dans votre travail, vous revendiquez le fait d’être une femme et de faire un travail réservé normalement aux hommes?

FD: Mon idée n’est pas du tout de me comparer aux hommes en faisant ce travail. Je le fais par passion, je le fait par ce que je l’aime, je fais ce travail parce que j’y gagne ma vie. En le faisant, je transmets un message et ce message n’est autre que de montrer aux femmes et aux jeunes que l’heure n’est plus le temps de s’asseoir, que personne ne doit plus croiser les bras, qu’on cesse de faire le choix entre les métiers avec l’idée qu’on a un diplôme et qu’on doit forcement travailler dans un bureau. C’est ce message que je transmets et je me vois comme un exemple dans ce message que je transmets à tous. Quant à l’idée de l’égalité entre les hommes et les femmes, je ne maîtrise pas toutes les subtilités , mais pour moi ce qui compte, surtout dans un foyer entre la femme et son mari, c’est la compréhension, l’entente et la complémentarité. Quand un homme et sa femme s’entendent bien, c’est tout le bonheur du foyer et c’est cela, cette égalité qu’on cherche!

GV: Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées depuis que vous avez commencé avec le transport de moto-taxi de Bamako à Kayes?

FD: dans ce métier, je ne peux pas parler de difficultés majeures, mais c’est fatiguant de rouler en moto-taxi de Bamako à Kéniéba (400km). Parfois, la moto tombe également en panne. Quand ces genres de pannes arrivent en cours de route, je répare la moto moi-même: je peux coller le pneu ou changer le disque. j’ai tous les matériels pour ces genres de pannes avec moi.

GV: Les mots de la fin?

FD: je vous remercie pour cette interview. Dans ce métier, je ne me vois pas en héros, mais en exemple. je me vois comme une source d’inspiration pour les femmes et les jeunes.  Ils comprendront    j'èspere qu'à travers ce que je fais, que le temps de se considérer comme supérieur ou inférieur vis à vis d'un métier est terminé. Il suffit juste d’aimer ce que l'on fait et de se battre car la réussite est au bout de l’effort.