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Alors que le monde célèbre la Journée Bob Marley, le reggae change et ses fans aussi

jeudi 22 février 2018 à 08:31

Une peinture murale de l'icône du reggae Bob Marley; photo par Vanessa, CC BY-NC-ND 2.0

[Article d'origine publié le 8 février 2018] L'icône du reggae Bob (Robert Nesta) Marley est né le 6 février 1945. Son anniversaire est maintenant célébré dans le monde entier sous le nom de Journée Bob Marley. Cette année, il aurait eu 73 ans. La ville natale de Marley, Kingston, en Jamaïque, est maintenant reconnue par l'UNESCO comme ville créative de musique [fr].

Sur l'île reconnue berceau de la musique reggae, les mélomanes du monde entier se rendent en pèlerinage au musée Bob Marley dans le quartier chic de Kingston, site de l'ancienne demeure de Marley. Les visiteurs se rendent également au centre-ville pour visiter les Tuff Gong Studios, fondé par Marley en 1965, et le “Culture Yard” à Trench Town, où Marley a grandi, a appris à jouer de la guitare et a formé son groupe, les Wailers.

Bob Marley reste une icône et un héritage durable en Jamaïque, mais au fur et à mesure que les goûts musicaux et les tendances changent, certains Jamaïcains se demandent si l'esprit du roots reggae traditionnel n'est pas entrain de disparaître.

Le mois du reggae a été proclamé par le gouvernement jamaïcain en 2008. Il est actuellement en cours en Jamaïque.

En passant devant l'ancienne maison de Marley, un fan a tweeté une photo des festivités célébrant la Journée Bob Marley :

Devant le musée Bob Marley Grand bal

Le musée lui-même a partagé un flux en direct :

Ça se passe maintenant! Suivez notre flux en direct
💥
Nous célébrons la Earthstrong de Bob Marley: # SoulRebel73 ici au Bob Marley museum

Le célèbre groupe de reggae britannique UB40 a publié ses félicitations :

Joyeux anniversaire

Beaucoup d'amour

UB40

Des institutions publiques et privées jamaïcaines ont publié des tweets créatifs, des citations de Marley et bien sûr de la musique :

“Ouvrez les yeux, regardez à l'intérieur. Êtes-vous satisfait de la vie que vous vivez?” -Bob Marley

AK Dixon, un Jamaïcain vivant à Toronto, Canada, où la Journée Bob Marley est célébrée chaque année, a exhorté la Jamaïque à faire plus :

Aujourd'hui aurait dû être une fête nationale ….

Le rappeur américain Common a ajouté ses souhaits d'anniversaire sur Twitter, reconnaissant ce qu'il a appris de Marley :

Joyeux anniversaire Bob Marley ! Merci de m'avoir montré comment utiliser mon art pour aider les autres.

De Los Angeles, en Californie, l'utilisateur de Twitter Isaac Bryan nous a rappelé le militantisme de Marley :

En ce jour anniversaire de la naissance de Bob Marley, rappelons-nous …

“Lève-toi, lève-toi, lève-toi pour tes droits. Lève-toi, lève-toi, n'abandonne pas le combat.”

Pour marquer cette journée, Damian “Junior Gong” Marley a tweeté une charmante photo d'enfance de lui-même avec son père :

Longue vie The Gong !!!

Les jeunes Jamaïcains ont-ils oubliés les vibrations du reggae ?

Alors que la Journée Bob Marley a suscité des messages de célébration des médias sociaux de la diaspora jamaïcaine ainsi que des individus et des organisations non-jamaïcaines, les jeunes Jamaïcains étaient relativement discrets en ligne.

Winston Barnes, un Jamaïcain basé en Floride qui anime un talk-show sur une radio de la diaspora, a déploré le fait que l'intérêt pour la musique reggae semble décliner, attribuant cela à l'influence aux styles de musique occidentale tels que le hip hop :

I am now convinced that Marley's work was in vain. At least for Jamaicans. We know so little about what he did, as evidenced by our disrespect for his work and by extension our culture. Jamaica has many more radio stations than ever and cumulatively, they play less Jamaican music than before. This at a time when Jamaicans create and produce virtually every genre of music! What would we say to Bob if he was among us physically? I listened to a motivational feature on Jamaican radio last evening and virtually all the inserts originated from outside of Jamaica! In 2018?
Foreigners respect and regard Marley's music, at least publicly more than we ever have even in 2018! I am now convinced that maybe it is too late to fix this problem we face as a country and as a culture…and then we turn around and talk rubbish about the Grammies and Reggae!

Je suis maintenant convaincu que le travail de Marley a été vain. Au moins pour les Jamaïcains. Nous savons si peu de choses sur ce qu'il a fait, comme en témoigne notre manque de respect pour son travail et, par extension, pour notre culture. La Jamaïque a beaucoup plus de stations de radio que jamais et cumulativement, elles jouent moins de musique jamaïcaine qu'auparavant. Ceci à une époque où les Jamaïcains créent et produisent pratiquement tous les genres de musique ! Que dirions-nous à Bob s'il était parmi nous physiquement ? J'ai écouté une radio jamaïcaine hier soir et pratiquement toute la musique provenait de l'extérieur de la Jamaïque ! En 2018 ?

Les étrangers respectent et ont de la considération pour la musique de Marley, au moins publiquement plus que nous ne l'avons jamais fait même en 2018 ! Je suis maintenant convaincu qu'il est peut-être trop tard pour régler ce problème auquel nous sommes confrontés en tant que pays et en tant que culture … et puis nous nous mettons à raconter du n'importe quoi sur les Grammies et le Reggae !

Barnes se réfère aux plaintes des Jamaïcains selon lesquelles les Grammy Awards ne donnent pas suffisamment de crédit à la musique reggae, puisque le prix n'est pas télévisé.

Un point de vue que partage Stephen Cooper :

[Et l'an dernier quand l'album “Everlasting” de Raging Fyah a été nominé, mêmes réactions quand Ziggy a gagné. Il est peut-être temps pour la Caraïbe d'avoir sa propre cérémonie de type “Grammy”.]
C'est très malheureux. Malgré le fait que de nombreux artistes reggae insistent sur le fait qu'ils ne se soucient pas vraiment des Grammys – en partie parce qu'ils savent que c'est une arnaque – les Grammys sont l'un des rares endroits où le reggae est reconnu sur la scène internationale. Et, il stimule clairement les ventes de disques.

De nombreux Jamaïcains ont estimé que Chronixx, un jeune artiste reggae prometteur aurait dû remporter le Grammy au lieu de Damian “Jr. Gong” Marley. De tous les membres de la famille Marley, seuls quelques-uns vivent en Jamaïque, tandis que d'autres visitent occasionnellement. Cependant, d'autres utilisateurs de médias sociaux ont applaudi l'album “Stony Hill” de Jr. Gong comme celui d'un candidat de qualité :

Au fond, nous voulions tous que la jeunesse de la Vega l'obtienne … mais les enfants Grammy l'ont donné à la terreur de Stonyhill … bien joué

Le “facteur Marley” et l'avenir du reggae

Le Dr Sonijah Stanley Niaah, de l'Institut des études caribéennes et de l'Unité d'études sur le reggae de l'Université des Antilles, a expliqué le “facteur Marley” :

Jamaica is this cool place on the world map that is hardly visible, but everyone knows of the little rock because of its musical legacy. When it comes to the Grammys, Jamaica is always present. In the 2018 staging it was Shaggy's on-stage performance that ensured Jamaica's presence at the live Grammy show, and when he uttered “I'm a Jamaican in New York”…the crowd response peaked.

However, it wasn't Shaggy's performance which caused all the backstage rumbling that kept Jamaicans awash with emotion. It was Jr Gong [Damian Marley], and, more specifically, the ‘Marley factor.’

…This abundance of presence at the Grammys on the part of the Marleys has concerned Jamaicans in particular, and thus each year upon the release of the nominees for the ‘Best Reggae Album’ category, there is the inevitable combination of glee, grief, concern, and trepidation.

…Chronixx was leading in the court of public opinion ahead of all the other nominees and in particular, the only one close to him was Morgan Heritage, who were nominated for their Avrakedabra album, in the poll conducted by the Recording Academy. Unfortunately, the award is not granted on the basis of public opinion, sales figures, or even musical appeal…

La Jamaïque est cet endroit cool sur la carte du monde qui est à peine visible, mais tout le monde connaît le petit rocher à cause de son héritage musical. Quand il s'agit des Grammys, la Jamaïque est toujours présente. Dans l'édition 2018, c'est la performance de Shaggy qui a assuré la présence de la Jamaïque au spectacle Grammy en direct, et quand il a prononcé “Je suis Jamaïcain à New York” …l'enthousiasme de la foule a atteint son apogée.

Cependant, ce n'était pas la performance de Shaggy qui a causé tous les bruits de coulisses qui ont rempli les Jamaïcains d'émotion. C'était Jr Gong [Damian Marley] et, plus précisément, le “facteur Marley”.

… Cette présence bien visible aux Grammys de la part des Marley a été particulièrement appréciée des Jamaïcains. Comme chaque année, lors de la publication de la liste des nominés pour la catégorie “Meilleur Album Reggae”, il y a la combinaison inévitable de joie, de chagrin, d'inquiétude et d'appréhension.

… Chronixx était en tête dans l'opinion publique devant tous les autres nominés et en particulier, le seul proche de lui était Morgan Heritage, qui ont été nominés pour leur album Avrakedabra, dans le sondage mené par la Recording Academy. Malheureusement, le prix n'est pas accordé sur la base de l'opinion publique, des chiffres de vente ou même de l'attrait musical …

À ce jour, Ziggy Marley a remporté un total de sept Grammys. Stephen et Damian Marley ainsi que Bunny Wailer (une connaissance de Marley), en ont remporté chacun trois.

Malgré cela – ou peut-être à cause de cela – un blogueur basé à Kingston croyait que l'esprit rastafari et l'énergie de la musique reggae pouvaient perdre leur attrait :

It was through music that slaves communicated, the drums warned other slaves and motivated them toward rebellion and change. Reggae music with its origin in Jamaica was one of the most effective tools in advocating for peace and unity, challenging political movements and creating change

Bob Marley’s messages of love and unity was perhaps not as successful in the 1970s because our violence was imported and managed by and for external interests. As Babylon prepares for its fall, its hold on Jamaica is compromised, and this is the right time for the Rastafari messages of love and unity. Consciousness and liberation are still some of the messages we associate and expect from Rasta, unfortunately, it would appear that Rasta has lost its value locally and as an agent of change in our society.

Bob Marley, Reggae music and Rastafarianism represents a few of the most renowned parts of Jamaican culture, it seems however that the Marley legacy is busy chasing Grammys as opposed to using music to create change…as was the real impassioned legacy of Robert Nesta Marley, Reggae and Rastafari. We are left with Capitalist Rastafari, token international Grammy awards, and an ailing culture directed by dancehall music, reversely influenced by Hip-hop and the American lifestyle!

C'est à travers la musique que les esclaves communiquaient, les tambours avertissaient les autres esclaves et les motivaient pour la rébellion et le changement. La musique reggae originaire de Jamaïque a été l'un des outils les plus efficaces pour défendre la paix et l'unité, mettre au défi les mouvements politiques et créer le changement

Les messages d'amour et d'unité de Bob Marley n'étaient peut-être pas aussi couronnés de succès dans les années 1970 parce que notre violence était importée et gérée par et pour des intérêts extérieurs. Alors que Babylone se prépare à sa chute, son emprise sur la Jamaïque est compromise, et c'est le bon moment pour les messages Rastafari d'amour et d'unité. La conscience et la libération sont encore quelques-uns des messages que nous associons et attendons de Rasta. Malheureusement, il semblerait que Rasta a perdu sa valeur localement et comme un agent de changement dans notre société.

Bob Marley, la musique reggae et le rastafarisme représentent quelques-unes des parties les plus renommées de la culture jamaïcaine, mais il semble que l'héritage de Marley s'occupe à courir après les Grammys plutôt que d'utiliser la musique pour créer le changement… ce qui était le véritable héritage passionné de  Robert Nesta Marley, du Reggae et des Rastafari. Il nous reste le Rastafari capitaliste, les Grammy Awards internationaux symboliques, et une culture malade dirigée par la dancehall music, inversement influencée par le hip-hop et le style de vie américain !

L'avocat du secteur du divertissement, Lloyd Stanbury, a convenu :

Le reggae exige beaucoup plus que de savoir qui gagne le “Meilleur Album Reggae” au GRAMMYS

Alors que les Jamaïcains plus jeunes reconnaissent l'héritage de Marley, la musique reggae et ses fans changent au fur et à mesure que le monde change.

Chronixx, dont les paroles traitent du changement climatique, de la montée de la criminalité et de la dépendance à Internet, est surnommé le “nouveau golden boy” du reggae. Sa chanson à succès “Do It for the Love, not for the Likes” (Fais-le pour l'amour, pas pour les likes) est devenue un slogan et un hashtag populaires jamaïcains, #DoItFortheLove.

En réponse à tous ces changements, si Bob Marley était vivant aujourd'hui, il aurait bien pu nous rappeler un vers de sa chanson “Natural Mystic : “Il y a une mystique naturelle qui souffle dans l'air … si vous écoutez attentivement maintenant, vous l'entendrez.” En d'autres termes, le temps, l'espace – et tout ce qui s'y trouve – évoluent naturellement. Peut-être qu'à la fin, tout se résume à la musique, peu importe comment elle évolue.

Une amende pour photomontage révèle la situation de la liberté d’expression en Espagne

mercredi 21 février 2018 à 17:27

Le montage qui a valu à un jeune homme de Jaén une amende pour « offense aux sentiments religieux ». Photo publiée par laicismo.org et utilisée avec autorisation.

[Les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.]

Une amende de 480 euros a été prononcée contre Daniel Serrano, un jeune homme de 24 ans, pour la publication sur le Web d’un photomontage de son visage sur une image du Christ.

Il y a presque un an, Daniel Serrano a publié sur son compte Instagram une image de son visage sur El Despojado, une sculpture du Christ qui appartient à la confrérie de l’Amertume, utilisée pour les processions de la Semaine sainte dans la ville de Jaén, en Espagne.

Comme l’indique le quotidien Diario de Jaén, la confrérie a prié le jeune homme de supprimer la photo de son compte, mais il a refusé, car il considérait que le montage n’était pas offensant. La confrérie a alors décidé de porter l’affaire devant la justice et trouvé un juge qui a admis la plainte.

En outre, le procureur ne s’est pas contenté de qualifier le fait de « mépris et moquerie manifestes envers la confrérie », mais a également affirmé que la photo visait « à offenser les sentiments religieux de ses membres » et a requis pour Daniel Serrano une amende de 2160 euros ou 180 jours de prison en cas d’impossibilité de s’acquitter de ce montant.

Face au risque de finir derrière les barreaux, le jeune homme a passé un accord avec la justice et accepté de plaider coupable contre une amende de 480 euros.

Daniel Serrano, intérimaire dans les cultures d’olives, calcule que le montant représente 10 journées de travail.

Réactions sur les réseaux sociaux

Cette décision de justice a fait l’effet d’une bombe sur le Web et suscité une vague d’indignation et de solidarité envers le jeune homme. Le soutien des internautes s’est traduit par une collecte citoyenne qui, en moins d’une heure, a permis de rassembler plus d’argent que nécessaire pour payer l’amende.

En outre, la colère populaire a donné lieu à un effet Streisand : alors que l’objectif de la confrérie était d’étouffer l’image, celle-ci a été diffusée plus largement en ligne. Au cours des dernières heures, l’image que les plaignants souhaitaient censurer était reprise par tous les moyens de communication et, sur Twitter, on pouvait observer une floraison de mèmes du Christ et d’images d’El Despojado, avec des visages des plus hétéroclites.

Vous avez gagné 480 euros, mais vous faites preuve de peu de scrupules. L’effet Streisand avec le visage du Christ : le Web se rebelle face à l’amende réclamée à un jeune homme pour un photomontage.

Le Christ de l’Amertume, n’a plus rien d’amer. Maintenant il s’appelle Yisus B Boy et il a le flow !

L’utilisateur de Twitter Carlos Vidal Ojea a conçu une page web pour que chacun puisse facilement placer son visage sur l’image du Christ en question.

Joaquín Urias, ancien magistrat du Tribunal constitutionnel, a également imité le photomontage pour exprimer clairement que la liberté d’expression constitue un droit non punissable :

Bon, puisque condamner un jeune homme pour un photomontage de son visage et du Christ me paraît exagéré… je me joins à lui. Salutations au Ministère public !

Tout sous une loupe

Cette affaire n’est que le dernier exemple en date d’une série d’attaques contre la liberté d’expression en Espagne. Depuis la réforme de 2015 de l’article 525 du Code pénal, qui punit d’une « amende de 8 à 12 mois les individus qui, pour offenser les sentiments des membres d’une confession religieuse, tournent publiquement à la dérision, que ce soit par oral, par écrit ou au moyen de tout type de document, les dogmes, les croyances, les rites ou les cérémonies, ou humilient, publiquement également, les personnes croyantes ».

Drag Sethlas au Gala Drag Queen 2017. Photo de eldiario.es, sous licencia CC BY-SA

L’imprécision de la loi implique que le degré d’« offense » reste totalement subjectif et dépend de l’interprétation par le juge des faits dénoncés, et provoque une incertitude juridique considérable.

Isabel Elbal, professeur de droit pénal, explique dans eldiario.es que tous ces prétendus « délits » pouvaient déjà être dénoncés par une procédure civile, même si les sanctions étaient mineures. En outre, une action civile ne peut être engagée que par la partie concernée. La procédure pénale est ouverte aux accusations privées, ce qui, ajouté à l’imprécision précitée de la loi, a conduit les personnes et les organisations d’extrême droite ou proches du fanatisme religieux à porter plainte pour des raisons des plus absurdes.

C’est par exemple le cas de l’affaire (ultérieurement classée) contre Dani Mateo et Gran Wyoming, dénoncés par l’Association pour la défense du Valle de los Caídos (« vallée de ceux qui sont tombés »), un monumental mausolée construit après la guerre civile espagnole où se situe la sépulture de Franco, à cause des commentaires humoristiques concernant l’esthétique de la gigantesque croix qui couronne ce lieu.

L’Association espagnole des avocats chrétiens est également à l’origine de dénonciations qui ont défrayé la chronique, comme celle qui, il y a un an, a traduit en justice Drag Sethlas pour le spectacle avec lequel elle a gagné le Gala Drag Queen del Carnaval de Las Palmas en 2017. Cette plainte a finalement été classée par la juge. Les protagonistes de la procession du « Santísimo Coño Insumiso » n’ont pas eu cette chance, puisque la Cour de Séville a rouvert leur affaire après que cette même association a formé un recours contre le non-lieu.

Affiche du carnaval de La Coruña de 2017. Image de eldiario.es, publiée sous licence CC BY-SA

L’une des affaires les plus étonnantes reste celle de la plainte déposée par la présidente de l’Association des veuves de Lugo contre le conseiller en charge de la culture de La Coruña à cause de l’affiche du carnaval de la ville, qui présente un bonhomme déguisé en pape. Une plainte elle aussi classée.

Même si la plupart de ces affaires n’ont pas eu de suites pénales, nombre d’autres ont donné lieu à des sanctions de sévérité diverse, sans oublier les coûts psychologiques et financiers que provoquent de telles accusations pour les personnes dont le seul tort consiste à avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, théoriquement protégée par la Constitution.

Dans son article ¡Menudo Cristo! ¿Qué hacemos con el delito de blasfemia?, Joaquín Urias, professeur de droit constitutionnel, considère que la jurisprudence espagnole reste excessivement liée aux principes et aux valeurs franquistes.

La sobrevaloración del fenómeno religioso -especialmente católico- permite que todavía se utilice a menudo un parámetro religioso para decidir los límites de la libertad de expresión.

El derecho penal puede perseguir las ofensas contra quienes practican una religión. Pero no corresponde a los practicantes definir qué es lo ofensivo.

Le statut dont bénéficie le phénomène religieux, notamment catholique, permet à cette dimension d’être encore souvent prise en compte pour restreindre la liberté d’expression.

Le droit pénal offre la possibilité de poursuivre les offenses visant des fidèles d’une religion, mais il n’appartient pas aux pratiquants de définir ce qui est offensant.

En Birmanie, la campagne “Des voix pour les momos” cherche à protéger les derniers éléphants

mercredi 21 février 2018 à 10:50

Eléphants de trait dans une exploitation forestière en Birmanie. Photographie de James Anderson, World Resources Institute. Source : Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

Plusieurs groupes de protection de l'environnement se sont associés afin de lancer une campagne de protection de la population décroissante des éléphants du Myanmar (Birmanie), connus sous le nom de “momos” en birman.

La campagne “Des voix pour les momos” enjoint le public à rejeter le commerce illégal de parties d’éléphants et d'autres animaux sauvages. Elle demande également au gouvernement de mettre en place des programmes pour mettre fin au braconnage des éléphants, tout en fournissant aux chasseurs des moyens de subsistance alternatifs.

On estime qu'il reste entre 1.400 et 2.000 éléphants sauvages en Birmanie. Un éléphant serait tué chaque semaine et l’alerte a été lancée sur le danger qui pèse sur ces animaux, qui pourraient être éradiqués d'ici vingt ans si le massacre ne s'arrête pas.

Une enquête récente a mis en garde contre la possible intensification du braconnage en Birmanie depuis que la Chine voisine a pris des mesures sévères contre la vente illégale d’animaux sauvages. Ceux qui sont à la recherche de parties d’éléphants et d'autres espèces menacés pourraient accroître la demande pour ces produits exotiques en provenance de Birmanie.

L'enquête signale également que la vente de parties animales est florissante non loin des pagodes de Rangoun et d'autres temples que les locaux et les touristes étrangers visitent régulièrement. Rangoun est le principal centre urbain du pays.

La nécessité d’éduquer le public sur la protection des éléphants est un but majeur de la campagne “Des voix pour les momos”. Dans ce but, une exposition de statues colorées d’éléphants en papier-mâché a été organisée dans tout Rangoun. Selon des artistes locaux, ces éléphants en papier-mâché, fabriqués à partir de journaux recyclés, sont les plus grands au monde.

✨ SURPRISE! Look who's here… That's right, our giant momos are back! 🗣🙏🏻 Thank you to our partner Shwe Taung Group for giving voice to our beloved elephants. 😃 Come see and play with our momos at Junction Square! 🐘🤳🏻 Take a selfie with them and don't forget to tag #fomomos . #BeKindToElephants #ProtectElephants #elephantsofinstagram #saveelephants #elephantlove #elephantlovers #elephant #elephants #loveelephants #asianelephant #asianelephants #asianwildlife #savewildlife #wildlife #animallovers #conservation #stoppoaching #notopoaching #myanmar #mymyanmar #discovermyanmar #everydayasia #everydaymyanmar #everydayextinction #WorthMoreAlive #publicart #makers #designforchange

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Surprise ! Regardez qui est là… Oui, nos momos géants sont de retour ! Merci à notre partenaire Shwe Taung Group pour avoir donné une voix à nos éléphants adorés. Venez voir et jouer avec nos momos à Junction Square ! Prenez un selfie avec eux et n'oubliez pas le mot-clic #formomos.

L’exposition a eu un franc succès auprès des enfants :

Come join us at the Big British Day Out at the British ambassador’s residence! Today only, all welcome 🤗 Food market, games, elephant face painting and much more! #formomos #bigbritishdayout #SundayFunDay . #BeKindToElephants #ProtectElephants #elephantsofinstagram #saveelephants #elephantlove #elephantlovers #elephant #elephants #loveelephants #asianelephant #asianelephants #asianwildlife #savewildlife #wildlife #animallovers #conservation #stoppoaching #notopoaching #myanmar #mymyanmar #discovermyanmar #everydayasia #everydaymyanmar #everydayextinction #WorthMoreAlive

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Rejoignez-nous au Big British Day Out [Grande journée britannique, NdT] à la résidence de l'ambassadeur britannique ! Aujourd'hui seulement, tous les bienvenus. Marché alimentaire, jeux, maquillage sur le thème des éléphants et plus encore !

Dans le cadre de la campagne, une pétition [my] a également été lancée pour demander au gouvernement d'accélérer sa campagne de lutte contre le braconnage, et au public de renoncer à acheter des produits illégaux issus d’animaux. A la date de rédaction de cet article, plus de 2.200 signatures ont été récoltées.

Une vidéo de la campagne a été réalisée, mettant en scène des artistes locaux qui incitent les spectateurs à sauver les éléphants de Birmanie :

La campagne a également promu l’envoi de messages d’amour en faveur des éléphants lors de la célébration de la saint Valentin, le 14 février :

Joyeuse saint Valentin à tous nos abonnés.
RT pour répandre l'amour pour les éléphants partout dans le monde aujourd'hui !

Les utilisateurs de téléphones portables peuvent également utiliser les autocollants de la plateforme Viber afin de soutenir la campagne “Des voix pour les momos” :

Our partner WWF-Myanmar is now on @Viber and has the cutest elephants (aka “momos” in Myanmar) stickers 😍 Search Voices for momos in Viber's sticker market to download them and spread the momo love 🐘❤#formomos #techforgood . #BeKindToElephants #ProtectElephants #elephantsofinstagram #saveelephants #elephantlove #elephantlovers #elephant #elephants#loveelephants #asianelephant #asianelephants #asianwildlife #savewildlife #wildlife #animallovers #conservation #stoppoaching #notopoaching #myanmar #mymyanmar #discovermyanmar #everydayasia #everydaymyanmar #everydayextinction #WorthMoreAlive #elephantlivesmatter

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Notre partenaire WWF-Myanmar est maintenant sur Viber et a des autocollants d'éléphants (“momos” en birman) super mignons. Cherchez “Voices for momos” sur le marché des autocollants de Viber pour les télécharger et répandez l'amour pour les éléphants !

Le travail de sensibilisation du public sur les momos n’est que la phase initiale de cette campagne. Le défi suivant sera d’obtenir l’engagement des autorités locales et des chasseurs quant à la nécessité d’arrêter le massacre des éléphants.

Les femmes est-africaines dans l'industrie de la musique chantent (aussi) contre la domination masculine

mercredi 21 février 2018 à 10:28

Movers and Shakers en séance de réseautage sur les femmes en musique à Sauti za Busara, le samedi 10 février. De gauche à droite: Zeitoun Amour, Société du droit d'auteur de Zanzibar (COSOZA), Carola Kinasha, MC du festival Sauti za Busara 2018, Amina Omar, chanteuse de Siti and the Band et l'artiste Saida Karoli. Photo par Jamie Topper, utilisée avec permission.

“Les femmes dans la musique :  nous nous sommes fait connaître dans l'industrie de la musique à travers le monde. Pourtant, l'inégalité entre les sexes, le sexisme et les écarts de rémunération persistent”, a déclaré Carola Kinasha, une musicienne militante basée en Tanzanie qui a récemment animé une table ronde sur les femmes dans la musique.

“Ce n'est pas que nous ne soyons pas assez talentueuses. C'est que tous les décideurs sont des hommes.”

Le panel faisait partie de la série de réseautage de trois jours Movers and Shakers dans le cadre de la 15e édition du festival de musique Sauti za Busara (Sons de la Sagesse, en swahili) à Stone Town, Zanzibar.

Le 10 février, Kinasha a parlé des défis auxquels les femmes sont confrontées dans l'industrie de la musique, avec des artistes féminines de premier plan, l'auteur-compositeur-interprète américaine Somi, la chanteuse et musicienne tanzanienne Saida Karoli, Amina Omar, du groupe Zanzibari Siti and the Band, et Zeitun Amour, une représentante de la Société du droit d'auteur de Zanzibar (COSOZA).

Kinasha a introduit la discussion en soulignant qu'au Royaume-Uni, les femmes ne représentent que 16% des postes de direction dans le secteur économique de la musique. Bien que l'on dispose de données limitées sur le statut des femmes dans la musique en Afrique, “il est clair qu'il y a un problème majeur de domination masculine dans l'industrie de la musique”, a-t-elle dit.

Somi, une artiste de jazz originaire d'Ouganda et du Rwanda qui vit maintenant entre New York et Johannesburg, décrit comment son rejet de la tradition a été son plus grand défi en tant que femme musicienne africaine :

Being part of an immigrant family and choosing a path as an artist had its challenges. I had to think carefully about when and how and in which spaces we as women are supposed to use our voices.

Faire partie d'une famille immigrée et choisir une voie artistique posait des défis. J'ai dû réfléchir soigneusement quand et comment et dans quels espaces nous, les femmes, sommes censées utiliser nos voix.

Saida Karoli, l'une des chanteuses les plus populaires de Tanzanie qui enchanté les festivaliers avec sa performance électrisante le 10 février, a parlé avec franchise de la myriade de défis auxquels elle a été confrontée en tant que femme en Tanzanie, soulignant les injustices multidimensionnelles pour une femme sans instruction originaire d'un village reculé de Rwongwe, dans la région de Bukoba, en Tanzanie, non loin du lac Victoria.

Karoli a commencé à jouer de la batterie à l'âge de cinq ans, avant d'écrire et de produire cinq albums appréciés par la critique :

I’m from a small village and I was an orphan. I didn’t have any idea how to make it in the music industry and my manager was like my father, I believed in him wholeheartedly.

Je viens d'un petit village et je suis orpheline. Je n'avais aucune idée de comment on réussit dans l'industrie de la musique et mon manager était comme mon père, je lui faisais pleinement confiance.

Avec son manager “Muta” aux commandes, la popularité de Karoli a grandi alors qu'elle tournait dans la région, du Burundi au Rwanda et en Ouganda, en remplissant des salles au point que quatre personnes seraient mortes de suffocation. Pourtant, selon Karoli, son manager l'a exploitée et a profité de ses talents, revendiquant des droits d'auteur sur toutes ses chansons et ses albums :

I was young, inexperienced in the music business, and at the end of the day, I didn’t have even 100 shillings [0.10 US dollars] in my pocket. Life has been hard.

J'étais jeune, inexpérimentée dans le monde de la musique, et à la fin de la journée, je n'avais même pas 100 shillings [0,10 dollars] dans ma poche. La vie a été dure.

Karoli a révélé que pendant que son manager lui ouvrait de nouvelles portes, il l'a séquestrée aussi pendant sept mois, lui interdisant de parler avec d'autres managers ou producteurs. Quand elle a finalement décidé de partir, elle est allée à la ville portuaire de Mwanza, où, dit-elle :

I hid from my fame. I was ashamed. I didn’t know how to advocate for myself. I had no rights in this work. When the journalists came asking for interviews, I just ran. I couldn’t face the shame.

Je me suis cachée de ma célébrité. J'avais honte. Je ne savais pas comment défendre mes intérêts. Je n'avais aucun droit sur ce travail. Quand les journalistes me demandaient des interviews, je me cachais. Je ne pouvais pas faire face à la honte.

Amour, l'autorité de Zanzibar sur les questions de droit d'auteur, a assuré Karoli qu'en tant qu'auteur de toute sa musique, elle a toujours des droits fondamentaux en vertu de la loi Copyright and Neighboring Rights Act of Tanzania (1999) (sur les droits d'auteur et les droits voisins de Tanzanie) mais que cela dépend des contrats en cours déjà signés et que l'affaire exige une enquête plus approfondie et une représentation légale.

Karoli, qui ne travaille plus avec un manager, a déclaré qu'elle comptait sur ses débuts sous les projecteurs de Sauti za Busara pour booster ses ventes et se faire un nom après des années dans l'ombre.

“Nous sommes ici pour créer de nouvelles voies en tant que femmes dans l'industrie de la musique”

Amina Omar, chanteuse de Siti and the Band qui a illuminé la scène du festival le 10 février avec sa musique inspirée du Taarab (soul zanzibari), a expressément remercié Karoli pour avoir parlé d'un sujet que peu de femmes de la région sont prêtes à aborder : les diverses formes d'abus et de harcèlement auxquels les femmes sont confrontées non seulement dans la musique mais dans la société dans son ensemble.

Omar se souvient d'avoir chanté à 11 ans avec sa sœur Rahama, maintenant violoniste primée dans son groupe. Mais les voisins et les membres de la famille désapprouvaient les inclinations musicales des filles et finalement, sa famille l'a encouragée à se marier et à avoir des enfants comme le veut la tradition à Zanzibar, un archipel où la plupart des familles suivent les coutumes islamiques conservatrices :

So, I got married. I had my first child. My husband told me he’d support me as a musician, but when our child was grown enough to let me go back to singing, he simply said no. ‘No,’ he said. ‘You are my wife. I own you. You have to do what I like.’

Donc, je me suis mariée. J'ai eu mon premier enfant. Mon mari m'a dit qu'il me soutiendrait en tant que musicienne, mais quand notre enfant était assez grand pour me laisser recommencer à chanter, il a simplement dit non. Non, dit-il. ‘Tu es ma femme. Tu m'appartiens. Tu dois faire ce qui me plaît.’

Quand Omar a décidé de participer au “Bongo Star Search,” une émission de télé-réalité musicale interactive basée à Dar es Salaam, en Tanzanie, cela a déclenché une violente dispute avec son mari. “Tu sais, je n'en parle jamais vraiment, je ne peux toujours pas très bien voir d'un œil, et c'est depuis cette nuit”, révéle Amina, montrant son œil droit. Elle a lutté pour quitter son mari à Dar es Salaam et reconstruire une vie pour elle et son fils à Zanzibar :

I love Zanzibar, I love my society, but there are good aspects to it as well as bad. I don’t like the idea that women are forbidden to speak in public in my society. I don’t like the position of women. I also don’t like that when my society sees me succeed, some want to keep me down. When I came back to Zanzibar, I joined the Dhow Countries Music Academy and got my education, and now I know who I am. I really love singing, it’s my life and it’s in my blood.

J'aime Zanzibar, j'aime ma société, mais il y a de bons aspects aussi bien que de mauvais. Je n'aime pas l'idée qu'il est interdit aux femmes de parler en public dans ma société. Je n'aime pas la situation des femmes. Je n'aime pas non plus que lorsque ma société me voit réussir, certains veulent me retenir. Quand je suis revenue à Zanzibar, j'ai rejoint la Dhow Countries Music Academy et j'ai reçu ma formation, et maintenant je sais qui je suis. J'aime vraiment chanter, c'est ma vie et j'ai ça dans le sang.

Les femmes dans l'industrie de la musique cherchent souvent des modèles pour les inspirer, mais selon Somi :

[W]e have so few role models as African women in music, that we’re basically here to carve out new paths, to be the models for future generations. We’re tasked with telling our truth(s) as African women, and there’s not that many of us — it’s a short list.

[N]ous avons si peu de modèles de femmes africaines en musique, que nous sommes ici pour ouvrir la voie, pour être les modèles pour les générations futures. Nous sommes chargées de dire notre vérité en tant que femmes africaines, et il n'y en a pas beaucoup – la liste est courte.

Somi a mentionné Angelique Kidjo comme une grande inspiration, tandis que Karoli a mentionné Lady JayDee et Omar a mentionné des légendes comme Bi. Kidude et Siti Binti Saad [fr], dont son groupe porte le nom.

Siti Binti Saad, la chanteuse originelle de Zanzibar (1880-1950) du village de Fumba, a été la première femme d'Afrique de l'Est à enregistrer sa musique en swahili, avec plus de 150 disques en Inde. Elle était connue pour se produire sur scène en portant un voile noir sur sa tête comme c'était la coutume pour les femmes musulmanes le long de la côte swahilie. Dans un monde dominé par les hommes, Saad a insisté sur un chemin par la musique, et était connue pour protester contre la violence contre les femmes à travers sa musique.

Au concert du 10 février, Omar a rappelé l'esprit de Siti Binti Saad lorsqu'elle a présenté sa chanson avec un message puissant adressé principalement aux hommes :

This next song is my story. And I say, a woman is your wife, is your mother, is your sister. Why beat your woman? She should be respected. She needs respect!

La chanson suivante est mon histoire. Et je dis, une femme est votre épouse, est votre mère, est votre sœur. Pourquoi battre votre femme ? Elle doit être respectée. Il lui faut le respect !

L'assistance l'a ovationnée.

Note de la rédaction : l'auteur de ce billet a travaillé dans le passé pour le festival Sauti za Busara.

“Les autres savent-ils que nous existons ?” Le témoignage d'une infirmière dans la Ghouta orientale syrienne assiégée et bombardée

mercredi 21 février 2018 à 09:33

Des enfants se mettent à l'abri des obus à Harasta, dans la Ghouta orientale. Photo : Damascus Media Center, utilisation autorisée.

Ce qui suit est le témoignage de Bereen Hassoun, une mère et infirmière à Harasta, une ville dans la zone syrienne assiégée de la Ghouta orientale, où le régime syrien et ses alliés sont en train de mener une campagne de bombardements intenses. Contrôlée par les rebelles anti-régime, la Ghouta orientale est soumise au siège du régime syrien et de ses alliés depuis la fin de 2013.

Plus de 120 personnes ont été tuées entre le 6 et le 8 février seulement, et le 19 février, ce sont plus de 110 personnes qui sont mortes en une seule journée. Certaines estimations chiffrent à un millier le nombre total de civils tués dans les trois derniers mois. Les infrastructures civiles ont aussi été sévèrement touchées, avec quatre hôpitaux bombardés le 19 février.

Interviewé par Kareem Shaheen du Guardian, un médecin de la Ghouta orientale a dit : “Nous avons devant nous le massacre du 21ème siècle. Si le massacre des années 1990 était Srebrenica, et ceux des années 1980 Halabja, Sabra et Chatila, alors la Ghouta orientale est le massacre de ce siècle en ce moment même.”

Le témoignage de Bereen Hassoun a été recueilli et transcrit par Marcell Shehwaro, de Global Voices.

Il y a un mois le pilonnage a commencé à s'intensifier, alors je suis allée sous terre avec ma famille dans l'abri de Harasta. L'abri est un sous-sol ouvert, qui n'est pas divisé en chambres. Il contient 50 familles, dont à peu près 170 femmes et enfants, tous terrorisés et affamés.

Les vitres des fenêtres ont été cassées par les bombardements intenses. Le froid était brutal et nous pénétrait jusqu'aux os, nous avions beau essayer, nous n'arrivions pas à nous réchauffer. Le froid devenait une partie de nous-mêmes. Même quand je portais cinq pulls et trois pantalons, et me cachais sous les couvertures avec mon fils, je continuais à avoir froid. Mon fils de trois ans, Hussam, ne cessait de me murmurer à l'oreille : “J'ai froid, j'ai froid”. Mon cœur devenait encore plus froid.

L'eau était très sale, et je n'avais pas de couches pour mon fils. Elles coûtent 300 Livres syriennes (environ 0,45 euro) pièce. A la place, j'utilisais un chiffon couvert d'un sac en plastique qui avait contenu du pain pour 800 Livres syriennes (environ 1,25 euro). Il y avait à peine assez d'eau pour que nous mamans puissions laver ces langes en tissu. Nous les lavions au même endroit que la vaisselle, nos mains et d'où nous buvions. Nos enfants souffraient d'asthme et d'infections oculaires. Un seul enfant malade, et chaque enfant tombait malade. J'appelle ça “notre vie normale” d'assiégés, mais le pilonnage était notre nouvelle catastrophe.

Je vivais dans le quartier “Al Tibbiya” (“Médical”), où était situé l'hôpital de campagne, c'est pourquoi il était ciblé. Je travaillais comme infirmière, auprès de mon mari, médecin. L'abri était tout près, et parfois il nous fallait transporter les blessés moins graves de l'hôpital de campagne vers le sous-sol quand l'hôpital devenait trop engorgé de victimes et donc soigner les enfants blessés sous les yeux de nos propres enfants. Ce n'était peut-être pas une chose à faire, mais nous n'avions pas le choix.

Comment vivez-vous votre maternité quand vous avez un quotidien d'angoisses, dans l'angoisse permanente que quelque chose puisse arriver à votre enfant ou votre mari, avec la peur que votre enfant devienne un orphelin s'il vous arrive quelque chose ? Comment vivez-vous votre maternité quand votre fils vous demande chaque jour : “Est-ce qu'on va mourir aujourd'hui ? Pourquoi ils nous bombardent ?” Qu'est-ce que la maternité quand vous ne pouvez même pas acheter un “morceau de biscuit” pour votre fils, ou pourvoir aux besoins les plus élémentaires d'un enfant parce que ça coûte trop cher, c'est hors de portée, ou totalement inexistant à cause du siège ? Si vous mangez tranquillement, vous avez l'impression que vous l'avez volé. Vous mangez tranquillement quand ils dorment. Vous mangez seulement parce que vous ne supportez plus la faim. Comment vivre quand vous devez mentir à votre fils, en essayant de le convaincre que les radis sont en fait des pommes ?

J'ai toujours recherché la propreté, mais aujourd'hui je crains que mon fils n'ait des poux.

Quand un avion nous a bombardé, mon petit garçon espiègle a vite couru vers moi, mort de peur, en répétant sa prière puérile : “Mon Dieu, s'il te plaît protège mon papa et ma maman. Mon Dieu, s'il te plaît protège mon papa et ma maman”. Quelle chose étrange que d'avoir à passer du jeu à la crise de panique et aux pleurs, pour ensuite jouer à nouveau. Ils jouent pendant les moments de silence, ils deviennent apeurés au bruit de l'approche des frappes aériennes, et pleurent pendant qu'a lieu le bombardement ; puis ils retournent à leurs jeux quand le calme est revenu.

Nous ne pouvions pas quitter l'abri faute de savoir à quel moment le régime pouvait bombarder Harasta. Le pilonnage était si intense, si continu, jour et nuit. Les femmes ne quittaient jamais l'abri, sauf pour faire à manger pour leurs enfants, et c'est ainsi que nous avons perdu Oumm Muhammad.

Oumm Muhammad était ma voisine de 28 ans.

Un jour de bombardements intenses, nous étions assises dans le sous-sol, serrant nos enfants dans nos bras. Et aussi priant, demandant au Seigneur de nous protéger. L'avion a d'abord bombardé quelque part au loin, et quand je regardais autour de moi dans le sous-sol, je voyais les mères calmer leurs enfants, prier et pleurer.

Tout le monde avait peur et attendait une mort possible. La première frappe a atteint le bâtiment au-dessus de nous. Puis la défense civile, qu'on appelle les Casques Blancs, est venue et nous a sauvés.

Nous n'arrivions pas à localiser les enfants dans le brouillard de poussière. Mon fils avait été à côté de moi toute la journée, mais après la première frappe le pilonnage s'est un peu calmé, alors il s'était mis à se plaindre et à me tanner qu'il voulait jouer avec ses copains. C'est ainsi que je n'ai pu le trouver nulle part quand la deuxième bombe a frappé.

Je me suis mise à le chercher comme une folle, parmi les autres enfants : “Hussam, Hussam, Hussam !” Il était en fait accroché à moi, mais dans ma panique je ne l'avais pas reconnu. Quelques minutes plus tard, le médecin nous a demandé : “Pouvez-vous vous occuper de cet enfant ? Sa mère est morte.”

J'ai regardé l'enfant et l'ai reconnu. C'était le fils d'Oumm Muhammad. Oumm Muhammad, ma voisine assise avec nous dans le sous-sol à peine quelques minutes avant. Elle avait un peu de nourriture chez elle et voulait faire manger ses enfants affamés. Elle les a donc emmenés au rez-de-chaussée pour qu'ils puissent manger. C'est alors que la bombe est tombée et l'a tuée.

Nous pleurions pour Oumm Muhammad, et parce que nous avions peur. Nous nous demandions si nous allions connaître le même sort, et si nos enfants allaient être privés de mères.

Nous nous disputions à propos du comportement de nos enfants, parce qu'ils étaient bruyants, et parfois nous nous défoulions les unes sur les autres, donnant libre cours à notre colère, notre désespoir et notre impression d'étouffer dans ce sous-sol. Au début, j'étais étonnée de la pagaille qui suivait l'apport de nourriture dans l'abri, mais j'ai fini par devenir exactement comme elles, peut-être pire, parce que tout ce que je voulais, c'était nourrir mon fils.

Une des mères a commencé un modeste petit stand où elle vendait des bonbons et des sucreries pour que nos enfants se sentent vivants. Nous nous sommes mises d'accord pour acheter un bonbon chaque jour à quelqu'un d'autre. Et si l'une de nous était tuée, nous devions acheter le même nombre de bonbons pour honorer la mémoire de son âme.

Une bonne partie de nos soirées était occupée à imaginer. Non pas une imagination bizarre ou fantastique : avant tout essayer d'imaginer des réponses à nos questions : reverrions-nous un jour nos parents ? Est-ce qu'ils verraient nos enfants ? Nos enfants pourraient-ils un jour jouer à nouveau comme les autres enfants ? Dans l'avenir, sauraient-ils ce que sont les bananes ?

Une fois j'ai demandé à une de mes voisines : Sommes-nous vraiment en vie ? Les autres savent-ils que nous existons réellement, et que nous sommes en vie dans ces sous-sols ?