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Balkans : La résistance des tenants de la laïcité à l'enseignement religieux dans les écoles publiques

mardi 8 août 2017 à 18:36

Collage à partir de couvertures de manuels scolaires. De gauche à droite : ‘Avec le Christ dans la vie’ (Croatie), ‘Catéchisme orthodoxe’ (Serbie), ‘La morale dans les religions’, en macédonien et albanais (Macédoine), ‘Se familiariser avec les religions’ (Macédoine).

Humanistes et militants de la laïcité des républiques de l'ex-Yougoslavie mettent en garde que l'expansion de l'éducation religieuse dans les écoles publiques menace de saper le caractère laïque de leurs pays.

Pendant l'ère socialiste (1945-1990), la Yougoslavie a mis des limites à l'activité des institutions religieuses, entre autres par la nationalisation des terres possédées par les Églises. Cependant, comme la plupart des dirigeants de ces Églises et des communautés musulmanes ont coopéré avec les autorités communistes, l’État tolérait et parfois même soutenait l'activité du secteur religieux. Mais l'éducation religieuse restait confinée dans les institutions religieuses, un peu comme le catéchisme en France ou l'école du dimanche aux USA.

Pendant la période de transition vers la démocratie qui a suivi l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990, l'influence politique des institutions religieuses s'est renforcée. La plupart des idéologies nationalistes balkaniques ont considéré la possession d'une identité religieuse particulière comme un élément essentiel à la construction d'un patriotisme plus robuste. Ce qui explique en partie pourquoi des études menées dans les États post-communistes ont montré des niveaux élevés de sentiment religieux dans les populations.

A l'exception de la Slovénie, de l'Albanie et du Monténégro, les pays des Balkans ont instauré une certaine dose d'éducation religieuse dans leurs programmes scolaires. Un sujet permanent de polémique et parfois de débats virulents sur les médias sociaux en Serbie, Croatie, Macédoine et Bosnie-Herzégovine.

Pour commencer, la désignation de l'éducation religieuse en croate, serbe et macédonien (respectivement “vjeronauk”, “veronauka” et “веронаука”) est dérivée de la combinaison des mots “foi” (vjera ou vera) et “nauk” ou “nauka”, qui par le passé s'appliquait à “l'étude”, mais en langage contemporain signifie principalement “science”. On peut donc la traduire littéralement par “science religieuse”. Les critiques affirment que cela créée la confusion pour comprendre ce qui différencie les enseignements des religions des disciplines scientifiques réelles comme la physique ou la biologie.

Pourquoi appeler ça ‘science religieuse’ alors que ce n'est pas une science, mais une matière sur les croyances. Il faut donc plutôt l'appeler ‘croyances religieuses’.

L'éducation religieuse en Croatie

La Croatie a été la première ex-république yougoslave à introduire l'éducation religieuse dans les écoles publiques pendant les années 1990. Les cours promeuvent les enseignements de L’Église catholique romaine, la religion majoritaire dans le pays.

La matière est optionnelle, mais sans alternative : les enfants dont les parents ont choisi de ne pas la leur faire suivre doivent généralement patienter dans les couloirs déserts ou à la bibliothèque de l'école pendant la durée du cours. Il arrive que, sous la pression de leurs pairs, les enfants d'athées, de chrétiens orthodoxes ou de musulmans assistent à ces cours et aux diverses activités religieuses connexes, comme le théâtre chrétien.

L'ONG croate Centre pour le courage civique a publiquement réclamé une réforme de l'enseignement dans ce domaine. L'association a expliqué pourquoi à son avis certains aspects de l'éducation religieuse dans les écoles publiques ne font pas de bien aux enfants. Voici la déclaration de l'ONG envoyée par courriel à Global Voices :

Le plus gros problème de ces enseignements est illustré par l'expansion de la haine et de l'intolérance envers les autres et envers ceux qui sont différents  – depuis l'attitude vis-à-vis des homosexuels (identifiés aux pédophiles), des gens d'autres nationalités, d'autres religions, jusqu'à l'attitude envers les incroyants.

Par exemple, dans le manuel “Avec le Christ dans la vie” pour la classe de 4ème, on enseigne aux jeunes croyants (environ 86% de tous les élèves du primaire) que les athées sont des gens élevés sans Dieu et par conséquent prêts à créer quelque chose (d'abominable) comme Auschwitz (ignorant le fait qu'Auschwitz a été conçu par des gens élevés dans l'idée que Dieu existe), que les athéistes sont absolument à rejeter, que ce sont des insensés égoïstes dont le nombre doit être progressivement réduit en imposant la foi chrétienne, la soi-disant “civilisation de l'amour”.

Auschwitz était au centre du réseau de camps de concentration utilisés par les nazis et les fascistes pendant la deuxième guerre mondiale pour l'extermination des populations ‘indésirables’ de l'Europe, Juifs, Roms, Slaves, et opposants politiques, LGBT et handicapés. Les documents historiques montrent que la majeure partie du personnel de ces régimes se réclamaient publiquement de l'appartenance à une communauté religieuse ou une autre, et par moments recevaient même le soutien déclaré de prêtres.

Le Centre pour le courage civique a publié des extraits du manuel sur sa page Facebook, avec des traductions en anglais des affirmations controversées.

La leçon sur l'athéisme du manuel croate d'éducation religieuse, illustrée par le tableau “Le Cri” d'Edvard Munch, avec les annotations du Centre pour le Courage Civique. Cliquer pour agrandir.

Deuxième page de la leçon sur l'athéisme du manuel croate d'éducation religieuse, illustrée par le tableau “Anxiété” d'Edvard Munch, avec les annotations du Centre pour le Courage Civique. Cliquer pour agrandir.

[Traduction des annotations :
Image de gauche : “L'insensé dit en son coeur : Il n'y a point de Dieu !” Psaume 53:1
Image de droite, du haut en bas : “Comme système d'enseignement, l'athéisme est du point de vue de la foi absolument inacceptable”, “Le chrétien doit savoir reconnaître les formes modernes d'athéisme visant à retirer Dieu de la vie. Le meilleur moyen d'éliminer cette forme d'athéisme est la connaissance de la foi et son témoignage”, “Que doivent faire les chrétiens quand ils rencontrent des athées ?”, “Quelle est la voie pour se convertir de cette sorte d'athéisme ?”, “Le christianisme doit s'offrir comme la “civilisation de l'amour” devant les formes modernes d'athéisme ; chacun doit s'efforcer à la vérité sur l'homme et Dieu, par sa vie personnelle et aussi à travers les médias et les actions collectives. Ainsi, le nombre d'athées va graduellement diminuer dans ce monde de rapide échange d'informations (…)]

L'organisation a introduit une plainte pour discrimination devant les instances compétentes, mais seul le Défenseur des Enfants a reconnu le problème et l'a porté devant le Ministère de l’Éducation et la Conférence croate des évêques. Aucune réforme du manuel ou du programme n'en a résulté.

La nouvelle ministre de l’Éducation et des Sciences de la République de Croatie, Blaženka Divjak, qui a pris ses fonctions en juin 2017, a déclaré, dans sa plus récente interview publiée le 2 août 2017, que la question de l'éducation religieuse ne figurait pas parmi les réformes que le ministère allait réaliser. Elle a précisé qu'il revenait aux écoles de revoir l'enseignement de cette option d'une manière qui n'affectera pas négativement les élèves, ainsi que de “cultiver un climat de tolérance à l'intérieur des écoles”.

L'alternative en Macédoine : ‘Morale des religions’

Le gouvernement de droite à la tête de la Macédoine de 2006 jusqu'au printemps 2017 a instauré la matière de l'éducation religieuse comme option dans les écoles publiques en 2008. Ses deux versions reflètent les enseignements des deux principales institutions religieuses dans ce pays : l’Église orthodoxe macédonienne et la communauté musulmane. Une matière appelée “Se familiariser avec les religions” a été présentée comme une alternative laïque.

Les parents ont critiqué l'éducation religieuse parce qu'elle imposait aux enfants de déclarer leur identité religieuse, une expérience pouvant être traumatisante pour des enfants en minorité parmi leurs camarades.

En 2009, la Cour Constitutionnelle a invalidé l'article prévoyant l'éducation religieuse dans la loi sur l'enseignement primaire, au motif qu'il était contraire au caractère séculier de l’État. Les autorités la remplacèrent par une matière intitulée “Morale des religions” supposée être une introduction objective à la question.

Mais les parents qui lurent le manuel de “Morale des religions” découvrirent qu'il était identique à celui du cours rejeté d'éducation religieuse, faisant l'apologie du christianisme orthodoxe avec des leçons additionnelles sur l'islam et le judaïsme. Jovan Petrov a noté qu'au lieu de fournir un aperçu historique exhaustif des religions, il promeut l'endoctrinement ‘sous une peau de mouton”.

A partir d'une version PDF du manuel disponible sur internet, M. Petrov a identifié des passages du texte où le nom de l'ancienne matière n'avait même pas été remplacé.

Tweet: Une preuve seulement – regardez la capture d'écran… C'est de l'endoctrinement religieux radical d'élèves de sixième ou quoi ? Ils ont même oublié de remplacer “éducation religieuse” par le nom de la matière, CQFD :)
Texte du manuel : “Avec l'aide de votre professeur d'éducation religieuse, choisissez et lisez des extraits du livre de l'apôtre Luc : Les Actes des apôtres. Relevez comment les apôtres étaient joyeux et responsables en répandant la vérité évangélique sur le Christ. Puissent de tels sentiments vous submerger chaque fois que vous parlez à Dieu.
Image : Carte des régions de Macédoine, avec une croix reliant des villes à signification historique et religieuse.

Une recherche de mots dans le PDF révèle que le manuel “Morale des religions” ne mentionne pas du tout l'existence de l'athéisme, ni les religions ayant des centaines de millions d'adeptes comme l'hindouisme ou le Bouddhisme, ni autre quelconque pratique ou foi religieuse.

Quant au manuel de la ‘matière alternative’ “Se familiariser avec les religions”, s'il est écrit en style plus objectif, il est tout autant centré sur les trois religions monothéistes pratiquées en Macédoine. Il mentionne le terme “athées” une seule fois, dans le “Glossaire de termes peu connus” à la fin du livre. Il comprend aussi une section sur la magie comme précurseur des religions, illustrée d'une photo extraite d'un film de Harry Potter.

Pesesín et ses voisins : une histoire espagnole de solidarité

lundi 7 août 2017 à 16:24

Pesesín, le poisson rouge qui a uni une communauté de voisins à travers leur action collective pour prendre soin de lui. Photo prise de ‘La Crónica del Pajarito’ et publiée sous licence Creative Commons.

Une des histoires les plus populaires sur les réseaux sociaux en Espagne montre ce que peut réaliser la solidarité de voisinage. La trame de l'histoire a fait de Pesesín le poisson rouge le plus célèbre d'Espagne.

Le 2 juillet 2017, les résidents d'un bloc d'appartements de Gijón, (Asturies) ont découvert dans le hall de leur immeuble un aquarium, une boîte de nourriture pour poissons et une note qui disait :

Me voy unos días de vacaciones y no me dejan llevar a PESESÍN. Necesito vuestra ayuda para que le deis de comer, solo se le debe echar una vez al día. Dejo la comida y un cuadro para saber cuándo comió.

MUCHAS GRACIAS

Je pars quelques jours en vacances et je ne peux pas emporter PESESÍN. J'ai besoin de votre aide pour lui donner à manger, il faut le faire seulement une fois par jour. Voici la nourriture et un tableau pour savoir quand il a mangé.

MERCI BEAUCOUP

La note contenait un tableau sur lequel les voisins pouvaient inscrire quand le poisson était nourri, à partir du dimanche 2 juillet et jusqu”au jeudi 13. Sans la moindre hésitation, les voisins adoptèrent le poisson rouge, le nourrirent et notèrent consciencieusement chaque distribution. Ils laissèrent même notes et instructions pour les autres voisins :

Nota que acompañaba a Pesesín

La note laissée avec Pesesín, donnant les instructions pour en prendre soin. Photo de Nuria sur Twitter.

‘¡No echar tanta comida!’
‘Agua cambiada el viernes 07/07′
‘Se le cambió el agua a Pesesín el lunes 3 y mientras tanto estuvo nadando un poco en el lavabo (1°D), pasolo estupendo!’

‘Ne pas lui donner autant à manger !’
‘Eau changée vendredi le 07/07′
‘Nous avons changé l'eau de Pesesín lundi 3 et pendant ce temps, il a un peu nagé dans l'évier (appartement 1°D), ça lui a bien plu !’

Apparemment, il y a aussi eu une crise passagère le dimanche, quand la boîte de Pesesín a été vide. Affaire vite réglée par les voisins de l'appartement 4°, qui en ont acheté une neuve.

Une des voisines, Nuria, a trouvé l'histoire amusante, et a décidé de la partager sur Twitter :

Quelqu'un dans mon immeuble est parti en vacances en laissant son POISSON dans l'entrée pour que le reste des voisins s'en occupent

Et rien de plus joli qu'il soit là en train de nager tranquillement, et que tout le bloc soit intrigué de savoir qui l'a laissé là.

Ce à quoi Nuria ne s'attendait pas, c'est la réaction qu'a reçue son tweet. Il est vite devenu viral, avec plus de 60.000 retweets et 100.000 j'aime. Pesesín n'a pas tardé à devenir tête de tendance sur le réseau social — et pas seulement en Espagne. Le tweet a aussi captivé des utilisateurs en Argentine, au Mexique et en Colombie.

De nombreux utilisateurs de Twitter ont réagi à l'information en félicitant la collectivité qui a pris soin du poisson :

J'adore, quel voisinage sympa pour vivre, je vais y déménager, j'adore Pesesín !

Il faut rester avec la personne qui s'occupe et s'inquiète de toi autant que les voisins de Nuria s'occupent et s'inquiètent de Pesesín.

L'histoire de Pesesín me fait fondre ! Tous les voisins qui s'occupent du poisson de la voisine. Il reste un espoir dans le monde.

Quand le voisin reviendra, Pesesín aura un aquarium pro avec des jets, des plantes et un Bob l’Éponge en plastique.

D'autres twittos ont critiqué à juste titre l'imprudence de la propriétaire anonyme du poisson, allant, pour certains, jusqu'à souligner le deux poids, deux mesures que nous appliquons aux animaux :

Très amusante, l'histoire de Pesesín, mais il faut du culot pour laisser un poisson dans l'entrée aux bons soins des voisins.

Charmante solidarité entre voisins, mais la propriétaire est une conne irresponsable qui ne mérite pas la charge de Pesesin ni de personne. La sans-gêne !

Vive l'hypocrisie ! Si Pesesin était un chien ou un chat, vous vous vanteriez de l'avoir abandonné dans l'escalier avec de la nourriture ???

C'est la version beta. L'an prochain on vous laissera le grand-père à garder entre vous tous.

La police nationale est aussi eu son mot à dire.

Il y a toujours une alternative à l'abandon d'un animal ! Un voisin charitable… ou toute la communauté🙃. Voisins pour #PESESIN 🐟

Pesesín en personne, doté de son compte Twitter, a donné son opinion sur son vedettariat inattendu :

A la fin de la semaine, nous avons pu faire la connaissance de Yurena, la maîtresse de Pesesín. Abasourdie par la célébrité acquise par sa mascotte, elle a donné sa version de l'histoire lors d'une interview à la télévision espagnole Cuatro TV, mentionnant un voyage imprévu avec ses parents, sans possibilité d'emmener son poisson. Après avoir sollicité sans succès ses amis et connaissances, elle avait décidé de le livrer au mains du destin…et à la solidarité de ses voisins.

Ayant constaté que Pesesín avait l'air en pleine santé, Yurena a ressenti une immense gratitude envers ses voisins, et a voulu exprimer ses remerciements en laissant une nouvelle note à l'endroit même où l'aquarium était resté le temps de son absence :

Nota de agradecimiento de Pesesín a los vecinos

La note de remerciement de Pesesín aux voisins qui ont si bien pris soin de lui. Image partagée par Yurena Sabio sur Twitter.

Un GRAND MERCI A TOUS LES VOISINS !

De la part de Pesesín et en particulier à ceux qui ont changé l'eau et acheté la nourriture. Même si la nourriture que j'avais laissée l'était pour plusieurs mois et que je dois le mettre à la diète quelques jours, il a été ravi de faire votre votre connaissance.

Sur le fil de l'histoire de Pesesín, une utilisatrice de Twitter a profité de la bonne humeur dont fait usuellement preuve la police sur le site de microblogging pour suggérer :

Salut, la @police ! J'aimerais que vous appeliez votre prochaine opération “Pesesín”.#affairePesesín

A quoi la populaire communication de la police a répondu :

🤔🤔🤔…Marché conclu ! Nous promettons l'opération ‘Pesesín’ quand nous pêcherons un gros poisson !

Emprisonnés pour journalisme : un profil des journalistes détenus en Birmanie

lundi 7 août 2017 à 15:06

( De gauche à droite ) Kyaw Min Swe : rédacteur en chef de The Voice Daily, Ko Swe Win : rédacteur en chef de Myanmar Now, Lawi Weng : rédacteur en chef de The Irrawaddy, Ko Aye Nai : rédacteur en chef de DVB, et Pyae Phone Aung : journaliste à DVB. / The Irrawaddy

Le texte suivant est une version d'un article initialement publié par The Irrawaddy, un site d'information indépendant de Birmanie, et est republié par Global Voices dans le cadre d'un partenariat de partage de contenu.

L’arrestation du journaliste d'investigation renommé Ko Swe Win à l'aéroport international de Yangon le dimanche 30 juillet 2017 au soir, a accru temporairement le nombre total de journalistes détenus en Birmanie pour avoir fait leur travail, à cinq depuis le mois de juin.

Sur ces cinq journalistes, Ko Swe Win, le rédacteur en chef de l'agence de presse Myanmar Now, est le seul à ne pas être poursuivi en justice par l'armée. Au lieu de cela, un partisan du groupe nationaliste illégal Ma Ba Tha a engagé des poursuites contre lui pour avoir posté un article critiquant le moine ultranationaliste U Wirathu sur Facebook.

Ko Swe Win a depuis été libéré sous caution par le tribunal de Maha Aung Myay à Mandalay, mais ses quatre collègues sont toujours emprisonnés.

Toutes ces arrestations sont liées directement au travail de ces journalistes, exacerbant les craintes d'une répression des médias indépendants et jetant de sérieux doutes sur la possibilité de l'ouverture d'un nouveau chapitre concernant la liberté de la presse dans le pays.

Ko Swe Win, Rédacteur en chef, Myanmar Now

L'ancien prisonnier politique Ko Swe Win, 39 ans, était rédacteur en chef à The Irrawaddy de 2010 à 2012. L'année dernière, il fut récompensé par le gouvernement pour son reportage sur la maltraitance de deux petites domestiques dans une boutique de tailleur à Yangon. Il a été inculpé sous l'Article 66(d) après que U Kyaw Myo Shwe, un habitant de Mandalay et partisan du groupe ultranationaliste mené par le moine U Wirathu, eut déclaré que le correspondant en chef avait insulté le moine dans un post Facebook. Fin mars 2017, Ko Swe Win fit face à un deuxième procès à cause de commentaires tenus à une conférence de presse sur son inculpation sous l'Article 66(d). Le même mois, le journaliste reçut des menaces de la part de trois hommes non identifiés.

U Kyaw Min Swe, Rédacteur en chef, The Voice Daily & Weekly

U Kyaw Min Swe, 47 ans, travaille pour The Voice Daily pendant 18 ans et en est à présent le rédacteur en chef. Il fut arrêté, de même que le chroniqueur satirique Ko Kyaw Zwa Naing, après la publication par ce journal en langue birmane d'un article mettant en cause les politiques des militaires et le processus de paix. Le duo fut inculpé à la fois sous l'Article 66(d) de la Loi sur les télécommunications et sous l'Article 25(b) de la Loi sur les médias, après que le lieutenant-colonel Lin Tun de l'Armée birmanique eut intenté des poursuites judiciaires contre eux au poste de police de la commune de Bahan le 17 mai 2017. Ko Kyaw Zwa Naing a été ultérieurement remis en liberté. [MISE À JOUR: Kyaw Min Swe a été libéré sous caution le 4 août.]

Lawi Weng, Rédacteur en chef, The Irrawaddy

Depuis son arrivée à The Irrawaddy il y a dix ans, Lawi Weng, 39 ans, a été au devant de la scène (et souvent en première ligne ) en ce qui concerne la couverture des conflits ethniques en Birmanie. L'année dernière, il a fait des reportages sur l'offensive de l'Alliance du Nord dans le nord de l'État Shan et sur les conflits entre l'Armée Bienveillante Démocratique Karen et les gardes-frontières de l'Armée birmane dans l'État Kachin. Le 28 juillet 2017, le juge présidant l'instance accepta la demande de liberté sous caution et déclara qu'il prononcerait son jugement lors de sa prochaine comparution le 4 août. [MISE À JOUR: Le tribunal a refusé la demande de libération de l'accusé.]

Ko Aye Nai, Rédacteur en chef, Democratic Voice of Burma (DVB)

Le journaliste vétéran Ko Aye Nai, 52 ans, travaille pour DVB depuis 11 ans, et a passé certaines de ces années à Chiang Mai, en Thaïlande, alors que l'organe de presse était en exil. Il fut inculpé, de même que Lawi Weng et Ko Pyae Phone Aung, sous l'Article 17(1) de la Loi sur les rassemblements illicites de l'ère coloniale après avoir contacté un groupe armé ethnique, le Ta’ang National Liberation Army (TNLA), et fut placé en détention à la prison de Hsipaw. Tous les trois risquent une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. « Nous ne possédons même pas de stylo assez pointu pour servir d'arme, » déclara-t-il lors de sa première audience de tribunal. « On peut mourir à tout moment en marchant sur des mines ou en se faisant tirer dessus. On prend des risques pour notre travail. »

Ko Pyae Phone Aung, Journaliste et assistant en radiotélédiffusion à DVB

Le journaliste de 24 ans Ko Pyae Phone Aung a rejoint DVB il y a un an. Sa première parution en tant que télédiffuseur était initialement prévue pour le 11 juillet 2017, mais il fut arrêté le 26 juin en même temps que Ko Aye Nai et Lawi Weng à Namhsan, en revenant d'un reportage sur une cérémonie d'incinération de drogues organisée par le TNLA pour marquer la Journée internationale contre l'abus et le trafic de drogues des Nations Unies.

La première web radio indigène du Brésil fait connaître la diversité des langues et des traditions du pays

dimanche 6 août 2017 à 17:14

Les producteurs de la radio Yandê à Paraty, dans l'état de Rio de Janeiro. Images de la page Facebook officielle de la radio Yandê, reproduites avec permission. 

La radio Yandê [pt] conjugue un fort esprit de communauté avec les médias numériques afin de mettre en évidence les cultures indigènes du Brésil.

Sur les ondes depuis 2013, la station est la première web radio créée par des Indiens pour des Indiens et qui vise à utiliser la technologie pour mettre fin aux stéréotypes et aux préjugés que l'on retrouve dans les grands médias brésiliens à l'égard des peuples autochtones.

D'après le site d'information Agência Brasil [en], il existe plus de 150 langues indigènes au Brésil. Parmi elles, les trois plus parlées sont le Tikuna, le Guarani Kaiowá et le Kaingang. Malgré tout on prévoit que d'ici 2030, entre 45 et 50 de ces langues auront disparu. 

Ce projet utilise une large perspective pour capturer le quotidien et les sujets qui sont importants pour les communautés autochtones. La station transmet des musiques d'artistes indiens, en plus des nouvelles, débats, histoires, poèmes et messages provenant directement des communautés en question.

La radio Yandê participe à toutes les plateformes digitales : elle est accessible en-ligne, ses mises à jour sont régulièrement postées sur Facebook [pt] et ses émissions peuvent également être écoutées sur des applications mobiles.

Bien que son réseau soit basé à Rio de Janeiro, la radio couvre des villages de tout le pays. Par exemple dans cette vidéo, la radio Yandê interviewe un chamane de la tribu Dessana à Manaus, pour connaître son opinion sur la relation du peuple indigène avec la religion, ainsi que les différences entre la médecine traditionnelle et les pratiques modernes, en plus du rôle important des jeunes dans la préservation des coutumes indiennes :

Le contenu de la chaîne YouTube de la radio est avant tout en portugais – son intention est de disséminer les informations sur les cultures indigènes à tout le public brésilien. Même ainsi, quelques interviews sont menées en langue autochtone avant d'être traduits, comme dans la vidéo suivante, où un cinéaste indien de la tribu Kayapó, dans l'état de Pará, parle brièvement de ses efforts pour créer des émissions qui diffusent sa culture et contribuent à protéger les traditions locales :

En plus de sa collaboration avec des correspondants autochtones, la radio Yandê collabore également à d'autres initiatives à travers le monde, incluant le réseau de nouvelles canadiennes Indian & Cowboy [en], la Rádio Encuentros [es], qui est une station qui se focalise sur les communautés indigènes d'Amérique Latine, et la radio colombienne Informativo Dachi Bedea [es]. 

Autrefois le principal port négrier des Amériques, c'est maintenant un site brésilien du patrimoine mondial de l'UNESCO

dimanche 6 août 2017 à 17:05

Cais do Valongo, où se trouvait le principal port de traite des esclaves des trois Amériques au 19e siècle | Image: Tomaz Silva/Agência Brasil/CC BY-NC-SA 2.0

Les vestiges de ce qui était autrefois le plus grand port de commerce d'esclaves des Amériques sont venus à la lumière en 2011 après avoir été ensevelis près de 200 ans, au début [es] de travaux de construction dans la zone portuaire de Rio de Janeiro dans le cadre des préparatifs des Jeux olympiques que la ville allait accueillir cinq ans plus tard.

En juillet 2017, l'UNESCO a classé le site historique parmi ceux du patrimoines de l'humanité, dans le but de transformer ces pierres de Cais do Valongo, perdues depuis longtemps, en un lieu de commémoration.

Cette reconnaissance de la part de l'institution scientifique et culturelle des Nations Unies oblige le Brésil à affronter une période de son histoire qu'il a encore du mal à assumer pleinement. Le Brésil a été le dernier pays des Amériques à abolir l'esclavage, en 1888. Toutefois, la traite des esclaves était devenue illégale en 1843, et Valongo a ainsi perdu sa raison d'être.

Selon la base de données historique en ligne Slave Voyages [pt/en]:

Le Brésil, sous le drapeau portugais, était le centre de la traite des esclaves, tant avant qu'après son indépendance, en 1822. Le Portugal était, de loin, la nation qui a transporté le plus grand nombre d'esclaves. Le Brésil a dominé la traite négrière en ce sens que Rio de Janeiro et Bahia ont envoyé plus de navires négriers que n'importe quel port en Europe […]. Au cours d'une période de près de trois siècles entre 1560 et 1850, le Brésil a été constamment la plus grande destination des esclaves dans les Amériques.

Le quai de Valongo [fr] a été créé en 1811 – trois ans après l'arrivée de la famille royale portugaise, qui fuyait l'armée de Napoléon en Europe – et il est devenu rapidement la principale destination des navires transportant des esclaves vers les Amériques. L'historienne Lilian Moritz Schwarcz, de l'Université de São Paulo et participante au programme Global Scholar à l'Université de Princeton aux États-Unis, explique que ce quai ne se trouvait qu'à quelques pas du palais royal et que pendant leurs promenades, les monarques regardaient souvent les commerçants qui préparaient “leurs produits” – séparant les familles et frottant de l'huile de baleine sur les corps des Africains asservis pour couvrir toutes les blessures :

O Brasil recebeu mais de 4 milhões de africanos, durante os (quase) quatro séculos em que foi vigente o regime escravocrata no país. Tal número equivale a um pouco menos do que a metade da população que deixou seu continente de origem, forçadamente, e àqueles que lograram chegar vivos nas Américas, depois de uma viagem repleta de contrariedades. Desse número absoluto, aproximadamente 60% aportaram no Rio de Janeiro, e cerca de um milhão deles entraram no território pelo Cais do Valongo.

Le Brésil a reçu plus de 4 millions d'Africains, pendant les (presque) quatre siècles de la légalité d'esclavage. Ce nombre équivaut à un peu moins de la moitié de [tous les Africains] qui ont quitté de force leur continent d'origine, et ont pu arriver vivants aux Amériques, après un long voyage plein d'épreuves. De ce total, près de 60% ont été débarqués à Rio de Janeiro et environ 1 million au quai de Valongo.

Ce qui signifie qu'en 32 ans d'activité, Valongo n'est pas seulement devenu le port négrier le plus utilisé, mais il a également reçu un quart de tous les esclaves africains, arrivés au Brésil au cours des siècles où l'esclavage a été en vigueur. Lorsque l'Institut national du patrimoine historique et artistique du Brésil (IPHAN) a présenté la candidature du site à l'UNESCO, sa présidente Kátia Bogéa a expliqué [pt] que Valongo était “le seul [site] représentant des millions d'Africains asservis et qui ont travaillé pour construire le Brésil en tant que nation, constituant la plus grande population de noirs en dehors de l'Afrique “.

Comme l'a dit Schwarcz dans un récent article [pt] sur le titre patrimonial, dans le cas du Brésil, le fait que ce site historique soit reconnu est plus qu'une question de mémoire. C'est “fermer la porte sur l'oubli” :

Não se trata de condenar essas populações a seu passado, até porque ninguém foi escravo de origem e nascença. Mas sim de lembrar e elevar essa África que vive em nós. Conforme define, lindamente, Alberto da Costa e Silva, nosso maior africanista: “O Brasil é um país extraordinariamente africanizado. E só a quem não conhece a África pode escapar o quanto há de africano nos gestos, nas maneiras de ser e de viver e no sentimento estético do brasileiro. (…) Com ou sem remorsos, a escravidão é o processo mais longo e mais importante de nossa história.

Il ne s'agit pas de condamner ces populations à leur passé, surtout parce que personne n'était esclave par origine ou par naissance. Mais il s'agit de se souvenir et de réveiller l'Afrique qui vit en nous. Comme Alberto da Costa e Silva, notre plus grand africaniste, l'a défini magnifiquement : “Le Brésil est un pays extraordinairement africanisé. Et seul quelqu'un qui ne connaît pas l'Afrique peut ignorer la façon dont ce continent existe dans nos gestes, dans notre façon de vivre et d'être, dans notre sens esthétique. [….] Avec ou sans remords, l'esclavage est le processus le plus long et le plus important de notre histoire.