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Nationalistes grecs et macédoniens s'opposent à l'accord réglant le vieux différend sur le nom de la Macédoine

samedi 23 juin 2018 à 16:21

Les ministres des Affaires étrangères de Macédoine et de Grèce, Nikola Dimitrov et Nikos Kotzias signent un accord historique avec les premiers ministres Zoran Zaev et Alexis Tsipras (à l'arrière plan) le 17 juin 2018 dans le village de Psarades / Nivici dans la partie grecque du district du lac Prespa. Photo du gouvernement de la République de Macédoine, domaine public.

Après que les Premiers ministres de la Macédoine et de la Grèce ont accepté, pour le plus grand plaisir de l'opinion internationale, de mettre fin au conflit sur le nom [fr] de la Macédoine, leurs adversaires internes tentent de saboter l'accord qui ouvrira la voie à l'entrée de la Macédoine dans l'Union européenne. et l'OTAN.

L'accord implique des concessions des deux côtés, dont la prise en considération de la principale demande grecque que le futur nom de l'actuelle République de Macédoine contienne un qualificatif géographique qui la désignerait comme une partie seulement de la région géographique de Macédoine, dont le territoire s'étend au nord de la Grèce, ainsi qu'à des parties de la Bulgarie orientale et de l'Albanie occidentale.

Alors, quel est ce nom sur lequel les deux gouvernements se sont mis d'accord ? “République de Macédoine du Nord”.

L'accord répond également aux préoccupations des Macédoniens de souche, qui constituent la majorité de la population de la République de Macédoine. Leur identité distincte a été niée par les nationalistes des pays balkaniques voisins, qui affirment qu'ils sont vraiment une sous-catégorie “étrangère” des peuples slaves voisins – Bulgares ou Serbes – malgré le fait que les marqueurs ethniques de l'identité des Macédoniens, comme leur langue et culture uniques, ont été reconnus par la communauté internationale pendant des décennies.

Avec l'accord, la Grèce accepte de les respecter et de désigner leur nationalité en tant que “Macédoniens” ou “citoyens de la République de Macédoine du Nord”.

Pour la République de Macédoine du Nord, la fin du conflit est un développement inespéré. Cela signifie que la Grèce lèvera le veto qui a bloqué l'entrée de la Macédoine dans deux organisations internationales clés : l’ OTAN et l'Union européenne. La majorité des citoyens macédoniens, qui sont par ailleurs divisés entre groupes ethniques, religieux et idéologiques, conviennent que la réalisation de cet objectif stratégique consensuel à long terme aidera leur société multiethnique à passer d'un purgatoire de transition à celui d'un pays européen normal.

L'adhésion à l'OTAN est particulièrement importante, car elle garantirait la sécurité et la pérennité de l'État – dont l'existence même est contestée par diverses forces nationalistes, ce qui l'a portée deux fois au bord de la guerre civile ces trois dernières années grâce à son ancien régime populiste soutenu par la Russie, qui a dirigé le pays de 2006 à 2017.

L'adhésion à l'UE offrirait plus de possibilités de bonne gouvernance et de développement économique. Les négociations d'adhésion comprennent un examen approfondi de tous les aspects de la gouvernance, ce qui pourrait aboutir à une lutte plus efficace contre la corruption. Cette adhésion fournit également des mécanismes supplémentaires pour la protection des droits des citoyens, des subventions pour la construction d'infrastructures et d'autres activités, ainsi que des possibilités de libre circulation et d'emploi dans l'ensemble de l'Union. Au cours des dernières années, plus de 120 000 citoyens macédoniens (sur environ deux millions) ont demandé la citoyenneté dans la Bulgarie voisine, principalement pour des raisons économiques.

Confiance de voisinage contre posture nationaliste

Contrairement à l'approche des anciens gouvernements des deux pays balkaniques, qui a surtout creusé les divisions entre la Macédoine et la Grèce, les premiers ministres Zoran Zaev et Alexis Tsipras ont mené un processus de confiance que la communauté internationale a été heureuse de soutenir.

Quand ils ont annoncé avoir conclu un accord pour mettre fin au différend qui, depuis plus d'un quart de siècle, générait des tensions qui flirtaient dangereusement avec la possibilité d'une nouvelle guerre balkanique, leur exploit a été salué comme digne d'un prix Nobel pour la paix :

Nous sommes enfermés depuis trop longtemps dans la salle d'attente de l'UE à cause de la question du nom. Maintenant, les gens ont besoin de voir cette porte s'ouvrir complètement pour soutenir le compromis. Reconnaissant au ministre @HeikoMaas d'avoir soutenu l'acharnement macédonien pour entamer les négociations d'adhésion à l'UE et à l'OTAN.

Un utilisateur macédonien de Twitter a pris à partie les anciens premiers ministres et présidents macédoniens qui n'avaient pas réussi à résoudre le conflit de dénomination de la Macédoine, les accusant d'avoir maintenu le pays dans l'isolement et la pauvreté :

Vous savez ce que vous êtes, maudits [Branko Crvenkovski], [Ljubcho Georgievski], [Vlado Buchkovski], [Kiro Gligorov], [Gjorge Ivanov] …
27 ANS que vous avez volés au peuple de la Macédoine.
27 ANS d'EMPRISONNEMENT prescrits par vous.
27 ANS pour quelque chose que Zoran Zaev a résolu en 9 mois.

Même si la plupart des Macédoniens ne considèrent pas l'accord comme parfait, ils reconnaissent que leur pays se trouvait dans une situation défavorable et doit donc faire des compromis:

Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais Zaev a joué comme un homme et c'était la seule solution.

Les réactions internationales à l'accord ont été extrêmement positives, l’OTAN et l'UE déclarant conjointement vouloir faciliter l'adhésion de la Macédoine dès la concrétisation de l'accord :

L'accord d'aujourd'hui entre Athènes et Skopje est une réussite historique et très courageuse qui profitera aux deux parties et à toute la région. Nous attendons que tous les acteurs politiques dans les deux pays montrent un leadership constructif dans les prochaines étapes.

Les ennemis politiques transfrontaliers unis pour s'opposer à l'accord

Dans les deux pays, les nationalistes traditionnels ont organisé des manifestations et des actions politiques déclarant l'accord une trahison et une atteinte aux intérêts nationaux. En Macédoine ce sont l'Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure – Parti démocratique pour l'unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), et en Grèce Nouvelle démocratie. Tous deux, anciens partis au pouvoir, sont membres du Parti populaire européen (PPE) de centre-droit. A l'instar d'autres organisations internationales, le PPE a appelé à un soutien constructif de l'accord par “tous les partis politiques”, en utilisant un langage diplomatique sans réprimander ouvertement ses membres :

N'est-il pas paradoxal que le VMRO-DPMNE, dont le président objecte à [la dénomination] République de Macédoine du Nord, alors qu'il est inscrit sur le site Internet du PPE sous ex-République yougoslave de [Macédoine] et a Nouvelle Démocratie pour partenaire ?

Quand ils étaient au pouvoir, les deux “partis frères” du PPE ont exploité la peur et la haine alimentées par le conflit de dénomination en Macédoine pour se présenter comme les défenseurs de leurs intérêts nationaux respectifs et augmenter le soutien des électeurs de droite :

De toute façon [le] VMRO ne peut que s'en prendre à soi-même pour l'acceptation indolente des citoyens du changement de nom … Il les a transformés en indigents et maintenant le nom le plus humiliant est plus acceptable que l'humiliation de ne pas pouvoir donner d'argent à son propre enfant pour un sandwich au déjeuner à l'école, acheter des vêtements, se permettre un voyage modeste ou des vacances ….

En Grèce, l'opposition parlementaire dirigée par Nouvelle Démocratie a lancé une motion de défiance contre le gouvernement de Tsipras avant la signature de l'accord par les ministres des Affaires étrangères le 17 juin 2018. La majorité gouvernementale a persévéré, et les députés ont voté à 153 contre 127 en faveur de la motion, au parlement qui compte 300 membres.

En Macédoine, la VMRO-DPMNE a estimé que l'accord “capitulait” devant le chantage grec et a juré “de s'y opposer par tous les moyens démocratiques”. Le président macédonien Gjorge Ivanov, entré en fonction avec le soutien de la VMRO-DPMNE lors des élections de 2014 – qui ont été gâchées par des allégations de fraude – a fait écho à ces affirmations.

Au cours de la période précédant la publication du texte intégral de l'accord par le gouvernement, la VMRO-DPMNE a fait de nombreuses tentatives pour persuader les citoyens que l'accord était préjudiciable. Sur les réseaux sociaux, par exemple, les apparatchiks de la VMRO-DPMNE ont participé à des efforts apparemment coordonnés pour convaincre les non-anglophones que le nouveau nom implique que le mot “Macédoine” serait “abandonné” et ne désignerait que le territoire grec. Faisant une erreur intentionnelle, ils prétendaient que le nouveau nom serait la “République au Nord de la Macédoine”, ce qui signifie une terre non nommée au nord de la Macédoine grecque, au lieu du nom exact, la “République de Macédoine du Nord” :

Tweet: L'ancien maire de Kriva Palanka [VMRO-DPMNE] apprend l'anglais avec Google Translate.

Image: Capture d'écran du message Facebook d'Arsenco Aleksovski en tapant “République du Nord de la Macédoine” en anglais et traduction correspondante en macédonien, avec son commentaire “Eh bien, c'est encore plus effrayant ? Vous pouvez voir par vous-même sur Google Translate”.

À l'instar des événements qui ont conduit à l'attaque au parlement [fr] macédonien le 27 avril 2017, des groupes proches de la VMRO-DPMNE, se présentant comme des organisations de la société civile “patriotique” et des groupes de supporters d'équipes de football ont organisé des manifestations avant la signature, avec des discours haineux et le lancement de cocktails Molotov devant le parlement macédonien.

Comme par le passé, de telles manifestations – avec l'appel à une “Macédoine propre” et des slogans appelant à tuer les Albanais dans des chambres à gaz – ont servi de plate-forme à ceux qui prônent le nettoyage ethnique contre des groupes de personnes vivant dans le pays.

Ils chantent contre les maudits [insultes ethniques] Albanais, alors que le problème avec le nom est avec les Grecs. Ils prennent des drogues dures.

En Grèce et en Macédoine, des manifestations violentes ont continué après la signature de l'accord, la police des deux pays utilisant des gaz lacrymogènes pour disperser les participants. À Skopje, la police est intervenue quand des manifestants ont lancé des engins incendiaires et tenté de prendre le parlement d'assaut en agitant le vieux drapeau [fr] macédonien “Vergina” (qui avait été modifié après un accord de 1995 avec la Grèce) ainsi que le drapeau russe.

La signature de l'accord n'est qu'un premier pas dans un long processus : il doit être ratifié par les parlements des deux pays et il pourrait y avoir un éventuel référendum pour son approbation en Macédoine. Ses adversaires auront, donc, d'autres occasions de faire obstruction.

 

En République tchèque, une nouvelle génération reprend la lutte contre le charbon

vendredi 22 juin 2018 à 23:29

L'opération de Limit jsme my pour fermer la mine de lignite de Bílina en 2017. Photo: Ondřej Bratoň / Limity jsme my

Cet article reprend un texte initialement publié sur 350.org, dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices. Il a été écrit par Radek Kubala, Josef Patočka et Antonie Bernardová de la coalition tchèque pour le climat Limity jsme my.

Libkovice aurait pu être un endroit très agréable où vivre. Niché le long d'une rivière au pied des majestueux Monts Métallifères qui séparent la Bohême tchèque de la Saxe allemande, le village abritait plusieurs centaines d'habitants. Il possédait sa boulangerie, une auberge campagnarde typique, et, dit-on, un très solide esprit communal.

Hélas, Libkovice n'existe plus. Son sort a été celui de douzaines d'autres bourgs et villages dans le bassin de la Bohême du Nord, détruits pour laisser place à des mines de lignite géantes à ciel ouvert.

Les gens de Libkovice ont été les derniers à partir. Le bourg a été rasé en 1992 et 1993 malgré la résistance acharnée de ses habitants et le mouvement environnemental naissant. Un coup de semonce de la réalité que la démocratie toute neuve n'allait pas rendre tout parfait. Eux et leur petite ville restent un symbole des dégâts que l'activité charbonnière impose à l'environnement et aux gens.

La destruction apportée par les mines à ciel ouvert en République tchèque. Photo: Majda Slámová/ Limity jsme my

Aujourd'hui, à quelques minutes à pied seulement de l'emplacement du Libkovice de jadis, une nouvelle génération de justiciers climatiques organise le “Klimakemp” anti-charbon, maintenant à sa seconde année. Nous intégrons le fait qu'en dépit d'une histoire douloureuse, la République tchèque (avec l'Allemagne et la Pologne) reste une des puissances charbonnières de l'Europe.

Le gouvernement tchèque prévoit de continuer à extraire et brûler ce combustible destructeur de climat dans la deuxième moitié de ce siècle. Plus de la moitié de l'électricité du pays provient du charbon. Ce qui fait que la République tchèque reste l’un des plus gros émetteur de CO2 de l'Union européenne en termes d'émissions par tête, au quatrième rang ex-æquo avec les Pays-Bas. Bien qu'étant aussi l’un des plus gros exportateurs nets d'électricité du continent, elle continue à faire fonctionner une douzaine de vieilles centrales électriques obsolètes des années 1970 et 1980. La production annuelle de celles-ci correspond presque exactement à la quantité d'électricité exportée chaque année.

En 2015, pendant que le monde se préparait pour la conférence de l'ONU sur le climat à Paris, le gouvernement d'alors proposa même de pousser cette frénésie de combustibles fossiles un pas plus loin et de lever les “limites” à l'extraction. Des limites instaurées par le premier gouvernement démocratique dans les années 1990 afin de protéger les demeures des collectivités locales dans les zones minières. Une telle mesure n'aurait pas seulement conduit à relâcher plus de carbone dans l'atmosphère, mais aussi à la destruction de Horní Jiřetín, une agglomération de plus de 2.000 habitants.

Des manifestations éclatèrent alors dans tout le pays, menées par une coalition d'habitants locaux, d'ONG environnementales, et du projet tout neuf “Limity jsme my” (Les limites, c'est nous), dont nous faisions partie. Quelques semaines seulement avant de s'engager dans l'accord de Paris sur le climat, le premier ministre Bohuslav Sobotka et son gouvernement décidèrent de sauver Horní Jiřetín de la démolition mais d'étendre la mine voisine de Bílina de 150 millions de tonnes de charbon supplémentaires. La fête était gâchée.

Limity jsme my – C'est nous les limites. Photo: Majda Slámová / Limity jsme my

Encouragés et enragés à la fois par cette demi-victoire, nous avons décidé de transformer notre initiative en une plate-forme permanente et de construire un mouvement au long cours. Au printemps de 2016, nous avons soutenu la lutte pour empêcher la vente de mines de lignite dans la région de Lausitz en Allemagne de l'Est à la compagnie tchèque EPH.

Nous avons organisé une expédition au camp climatique monté là-bas par des initiatives locales, et tiré inspiration de la réussite des actions Ende Gelände, dans le cadre de la vague Break Free (“Libérons-nous”) de désobéissance civile pour le climat. Au dernier jour des blocus de rails, une centrale électrique a été quasi totalement arrêtée, tandis qu'on apprenait simultanément que l'Allemagne avait – pendant quelques heures – pour la première fois dans l'histoire produit de l'électricité à base presque uniquement d'énergies renouvelables – un moment immensément symbolique.

Opération de Limit jsme my en 2017. Photo: Majda Slámová / Limit jsme my

Rentrés chez nous, nous avons démarré un processus de préparation d'une année pour monter le premier Klimakemp de l'histoire de la République tchèque, que nous avons annoncé pour le 25ème anniversaire de l'instauration des “limites” à l'extraction. Notre déclaration disait : “Les limites ne suffisent pas, nous voulons la fin de l'ère du charbon”. Nous avons pointé les dangers du changement climatique, exigé que la décision pour Bílina soit annulée et que les plus vieilles centrales soient fermées, et appelé à des actions pacifiques de désobéissance civile pour s'opposer aux projets du gouvernement.

Nous voulions compléter le travail des alliés plus grands et des ONG, et rafraîchir la politique du mouvement. C'est pourquoi nous avons organisé le premier Klimakemp de façon fortement horizontale, avec une ouverture du processus à quiconque voulait y participer.

Le camp auto-géré a finalement eu lieu à la mi-2017 dans le cadre symboliquement important de la commune victorieuse de Horní Jiřetín. Il a rassemblé 300 personnes de la région, de tout le pays et de toute l'Europe, et a rapproché des groupes d'organisations environnementales établies d'initiatives anti-racisme et de “Droit à la ville”. Pendant cinq jours le camp a fourni un espace pour vivre ensemble, faire la fête ensemble et agir ensemble.

Cent-cinquante personnes ont occupé l'extension de la mine de Bílina ensemble. Cette action émancipatrice de désobéissance civile non-violente a stoppé l'extraction du charbon, et placé la question du changement climatique et notre exigence d'un avenir sans charbon au premier plan du débat.

Fermeture par Limity jsme my de la mine de Bílina en 2017. Photo: Petr Zewlák Vrabec / Limity jsme my

Nous avons promis de revenir – et nous y sommes. Alors que la crise climatique s'approfondit, ‘relier les pointillés’ entre phénomènes météorologiques extrêmes, luttes locales contre le secteur des combustibles fossiles, les politiques publiques et la finance internationale est crucial. Les gens de Pardubice s'opposent à la prolongation de la durée de vie de la centrale électrique de Chvaletice. Ceux de la région de Liberec se battent pour leur eau, qui leur est soustraite par les mines. Et ceux du Nord luttent contre la poursuite de l'extraction du charbon.

Une bataille importante est devant nous. Les entreprises énergétiques vont tenter de se soustraire aux nouvelles directives européennes (BREFs) et le gouvernement tchèque les a autorisées à solliciter des dérogations. Dans les prochaines années, ces installations devront être soit modernisées, soit fermées conformément à la stratégie énergétique nationale.

Les pressions significatives des compagnies houillères privées comme Severní Energetická ou EPH pour se faire plutôt privatiser et moderniser se sont heurtées à l'opposition de l'opinion. Les années à venir seront décisives, et les connexions et solidarités internationales peuvent s'avérer cruciales pour empêcher les banques internationales d'accorder des prêts aux compagnies au cas où les privatisations se concrétiseraient.

Le second Klimakemp du 27 juin au 1er juillet rassemblera des personnes du monde entier pour défier une fois de plus l'industrie des combustibles fossiles. Face à des décisionnaires toujours pris dans le cercle vicieux du charbon et du nucléaire, construire un vigoureux mouvement trans-frontières pour le climat paraît plus nécessaire que jamais.

La violence de 1998 envers les Indonésiens chinois racontée en images

vendredi 22 juin 2018 à 12:04

“Nous ne pouvons guérir ce que nous ne voulons affronter”

Une nouvelle bande dessinée numérique raconte les histoires des Chinois indonésiens attaqués pendant les soulèvements qui ont renversé le gouvernement indonésien en 1998.

En mai 1998, de violentes émeutes ont éclaté dans toute l'Indonésie, exigeant la démission du président Soeharto [fr], qui dirigeait le pays depuis plus de trente ans. Ces émeutes ont abouti à un changement de gouvernement, mais des milliers de civils innocents, et en particulier des Indonésiens d'origine chinoise, ont été blessés, violés et tués. De nombreux Orang Tionghoa (c'est ainsi que sont nommés les Indonésiens d'ascendance chinoise complète ou partielle) ont fui le pays et la violence croissante à leur encontre.

Un rapport [id] du gouvernement publié en octobre 1998 a révélé que bien que quelques incidents violents visant les Indonésiens chinois aient été spontanés, la plupart des cas ont été systématiquement planifiés par des voyous locaux, soutenus par les forces militaires et politiques. Il documente également des cas de viols sur de nombreuses femmes indonésiennes chinoises.

Vingt ans après, les victimes des attaques de 1998 et leurs familles demandent [id] toujours que justice soit faite.

Chinese Whispers [Murmures chinois, NdT] est une bande dessinée de l'artiste Rani Pramesti, basée à Melbourne, en Australie. Elle raconte la tragédie qui l'a obligée à fuir son pays bien-aimé en 1998 et inclut aussi des témoignages de femmes qui ont vécu les émeutes de 1998.

Interviewée par Global Voices, elle parle de sa bande dessinée et de sa motivation :

The Chinese Whispers was inspired by my personal experiences of how the May 1998 racial violence impacted my sense of identity as well as by the historical context of May 1998.

I noticed how 1998 became an important unspoken issue (among) Chinese Indonesian diaspora in Australia.

I can’t speak for other people’s experiences. But I can speak about mine. My family and I were spared from (the) 1998 looting, rape, and violence but we lived the era where we were subjected to politically motivated racism. Being raised unequivocally Indonesian, a proud one that is, the 1998 riot questioned my identity.

Through the Chinese Whispers, I want to reveal what politically motivated racism (PMR) could do to people, (and it) doesn’t matter how many years after it happened. PMR has real human costs, not just in Indonesia but the entire world today.

Les Murmures chinois ont été inspirés par mon expérience personnelle, l'impact que la violence raciale de mai 1998 a eu sur mon identité, ainsi que par le contexte historique de cette époque.

J'ai remarqué combien 1998 était devenu une question importante mais tue, parmi les Indonésiens chinois de la diaspora australienne.

Je ne peux pas parler pour les autres. Mais je peux parler de mon expérience. Ma famille et moi-même avons été épargnées par les pillages, les viols et la violence de 1998, mais nous avons vécu une ère pendant laquelle nous avons été victimes de racisme à motivation politique. Ayant été élevée sans aucune équivoque comme une Indonésienne et fière de l'être, les émeutes de 1998 ont remis mon identité en question.

Avec les Murmures chinois, je veux révéler ce que le racisme à motivation politique peut faire aux gens, peu importe combien d'années après. Ce racisme a un coût humain réel, pas seulement en Indonésie mais dans le monde entier aujourd'hui.

Elle explique comment elle a choisi le titre “Mumures chinois” :

During the creative process with the community, we talked about many things and everything. Yet, when I brought up the events that took place in 1998, of our whereabouts and what not, the voices in the room were reduced to whispers.

As a student of dramatic arts, I learned to observe tones, body languages, expressions. What I came across during the meetings and dramatic workshops, 1998 held a certain significance to the community.

Many said that the 1998 riot is something taboo to talk about. It remains sensitive, it’s hard to talk about the events, but taboo’s not the word to describe it.

Pendant le processus créatif, avec la communauté, nous parlions de choses et d'autres. Pourtant, quand j'ai soulevé le sujet des événements de 1998, d'où nous étions et tout ça, les voix dans la pièce se sont réduites à des murmures.

En tant qu'étudiante en arts dramatiques, j'ai appris à observer le ton des voix, le language corporel, les expressions du visage. Ce que j'ai trouvé pendant ces rencontres et les ateliers dramatiques, [c'est que] 1998 portait une certaine signification dans la communauté.

Beaucoup [de gens] ont dit que le soulèvement de 1998 est un sujet tabou. Il reste sensible, c'est difficile de parler de ces événements, mais tabou n'est pas le mot qui les décrivent.

Et ce qu'elle espère accomplir avec son travail :

One day I attended a poetry reading by Mark Gonzales, one of his poems reads “We cannot heal what we will not face.” That rang true to me.

20 years on, 1998 is barely acknowledged. There [are] a lot of things to be done in terms of healing, to obtain some forms of justice. I’m not only talking about healing at the personal level, but also as a nation.

I want my readers to remember what 1998 entails and to be moved by the experiences of individuals who went through it.

In my work, my 12-year-old persona experienced having her identity torn apart by politically motivated racism.

I love how dramatic arts contributed in telling my personal stories. After all, despite the macro stories we hear everywhere, in the end, we are all human beings, we all have our micro stories and that is how we connect at the most profound level — from one person to another.

Un jour, j'ai assisté à une lecture de poésie par Mark Gonzales. L'un de ses poèmes comporte [le vers] “Nous ne pouvons guérir ce que nous ne voulons affronter”. Ca a sonné juste.

20 ans après, 1998 est à peine reconnu. Il y a beaucoup de choses à faire en termes de guérison, pour obtenir une certaine forme de justice. Je ne parle pas seulement de guérison personnelle, mais aussi en tant que nation.

Je veux que mes lecteurs se souviennent de ce que 1998 comporte et qu'ils soient touchés par les expériences des gens qui ont traversé [cette période].

Dans mon travail, mon personnage de 12 ans a vu son identité détruite par du racisme à motivation politique.

J'aime la façon dont les arts dramatiques contribuent à raconter des histoires personnelles. Après tout, malgré les macro-récits que nous entendons partout, finalement nous sommes des êtres humains, nous avons tous nos micro-récits et c'est ainsi que nous nous connectons au niveau le plus profond, d'une personne à l'autre.

Une page de The Chinese Whispers. Utilisé avec autorisation.

Pour le moment, Chinese Whispers est disponible en indonésien. Sa version anglaise paraîtra à la fin de l'année 2018. Le travail de Rani Pramesti peut être consulté sur son site internet, et vous pouvez la contacter via sa page Facebook et son compte Instagram.

Les populistes de droite des Balkans contribuent à réhabiliter l'héritage des collaborateurs nazis de la Seconde Guerre mondiale

jeudi 21 juin 2018 à 18:47

Un groupe de Tchetniks pose avec des soldats allemands dans un village non identifié en Serbie pendant la Seconde Guerre mondiale. Photo du domaine public du Musée du mémorial de l'Holocauste des États-Unis, via Wikipedia.

Partout en Europe, des groupes extrémistes de droite utilisent le révisionnisme historique pour nier la Shoah ou faire passer pour des héros des “Quisling” [fr] (collabos”) de la Seconde Guerre mondiale ou des collaborateurs avec les forces nazies, largement considérés comme traîtres à leurs pays.

Loin de provoquer la condamnation et l'ostracisme des élites dirigeantes qui présentent au monde extérieur un visage plus aimable et démocratique, cette pratique a parfois bénéficié de leur complaisance, comme le montrent deux exemples récents en Croatie et en Serbie.

Des officiers de l'armée serbe rendent hommage à une guérilla nationaliste serbe de la seconde guerre mondiale

En Serbie, le dernier scandale a commencé avec un message Twitter d'un compte appelé Nacionalist.rs, un “portail informatif des nationalistes serbes” avec une bio indiquant “Pour l’État serbe ! Pour la Russie fraternelle ! Contre l'OTAN, l'UE, le FMI”.

Le 7 mai 2018, le compte a publié une photo de personnes identifiées comme des soldats de l'armée serbe, debout et saluant devant le monument de Draža Mihajlović [fr] (1893-1946) sur le mont Ravna Gora.

La délégation de l'armée de Serbie a rendu hier ses hommages au général Mihajlović à Ravna Gora!

Mihajlović était le chef des Tchetniks [fr], un groupe de partisans nationalistes serbes qui adhérait à une idéologie de la Grande Serbie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont collaboré avec les nazis allemands, les fascistes italiens et les Oustachis croates [fr] dans des efforts infructueux pour éradiquer les forces anti-fascistes communistes yougoslaves. Leur coopération avec les forces d'occupation ennemies leur a valu une réputation de collaborateurs. Une fois la guerre terminée, Mihajlović a été reconnu coupable et exécuté en tant que traître et criminel de guerre.

Lors de l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990, le régime nationaliste serbe de Slobodan Milošević a financé la renaissance des Tchetniks comme élément de sa politique. Certains politiciens, notamment Vojislav Šešelj [fr], le criminel de guerre condamné par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie [fr] se sont identifiés à cette idéologie et l'apologie des tchetniks – y compris la réorientation de l'histoire officielle pour les présenter comme des victimes de la “terreur communiste” – est devenue monnaie courante en Serbie. En tant que force paramilitaire, ces Tchetniks modernes ont été impliqués dans une nouvelle vague de crimes de guerre pendant les guerres en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Certains d'entre eux ont également participé à d'autres guerres [fr], comme en Ukraine, du côté russe.

Selon Vreme Weekly, le tweet de Nacionalist.rs et un post Facebook de l'utilisateur Nemanja Todorović, qui présentaient la même photo en haute résolution, ont été relayés d'abord par des portails web sensationnalistes, puis par les médias grand public. Cela a généré des tonnes de commentaires et de réactions de la part du public serbe. La légende de Todorović disait :

Zvanicna delegacija Vojske Srbije odala pocast generalu Mihailovicu na Ravnoj Gori. Ovim je konacno priznat antifasizam i antinacizam Ravnogorske vojske tokom Drugog svetskog rata.

La délégation officielle de l'armée serbe a rendu hommage au général Mihajlović à Ravna Gora. C'est la reconnaissance finale de l'antifascisme et de l'anti-nazisme de l'armée de Ravna Gora pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'incident a polarisé encore plus le public serbe, suscitant un débat féroce entre deux camps opposés : les libéraux outragés qui le considéraient comme une trahison des valeurs de l'antifascisme et les nationalistes qui applaudissaient à la réhabilitation de la figure historique controversée.

Pendant ce temps, les autorités serbes ont répondu mollement aux demandes de détails des journalistes sur l'événement, qui aurait requis quatre bus pour le transport organisé pour environ 200 soldats. Le site officiel de l'armée serbe ne contient aucune information sur cette cérémonie, qui aurait eu lieu le 6 mai, jour de la Saint-Marc, que les Tchetniks reconnaissent comme le début de leur soulèvement en 1941.

Selon Blic Daily, le ministère serbe de la Défense a d'abord gardé le silence, puis a nié la participation officielle des soldats serbes à la commémoration, ce qui implique qu'ils étaient là comme de simples citoyens. Blic a d'abord reçu une confirmation officieuse que la photo qui avait été publiée sur les médias sociaux était authentique, mais que les soldats avaient pris part à la cérémonie “de leur propre initiative”.

Cependant, des sources anonymes de l'armée ont déclaré à Blic que l'événement de Ravna Gora, qui comportait la participation de toutes les branches des forces armées, avait été organisé avec l'approbation du chef d'état-major Ljubisha Diković [en] et du ministre de la Défense Aleksandar Vulin. Blic a également interviewé l'historien Miloslav Samardžić, qui a déclaré qu'il était honoré d'avoir pris part à l'événement en tant qu'intervenant principal à l'invitation de l'armée, et qu'il avait reçu un certificat d'appréciation de l'état-major.

Dans le mois qui a suivi, le public n'a reçu aucune autre information sur l'enquête, que le ministère de la Défense a prétendu avoir initiée après l'incident. Bien que le chef d'état-major Diković ait par la suite fait une annonce télévisée sans précédent sur son départ imminent à la retraite, il ne l'a pas lié à l'incident.

Le président serbe et commandant en chef des forces armées, Aleksandar Vučić, qui est par ailleurs omniprésent dans les médias et partage des opinions sur divers sujets, a omis de commenter le comportement des soldats sous son commandement.

Vučić est un ancien haut fresponsable du Parti radical serbe de Šešelj et ministre de l'Information du gouvernement Milošević. En 2008, il a cofondé le Parti progressiste serbe (SNS), qui s'est fait passer pour pro-Union européenne et est devenu par la suite membre du Parti populaire européen [fr] (PPE) de centre-droit. Depuis 2012, le SNS a été l'élément central des gouvernements de coalition.

L'Autriche contrainte de “nettoyer les ordures de la Croatie”

Le révisionnisme historique basé sur l'apologie des collaborateurs nazis nationaux de la Seconde Guerre mondiale fait également partie de la politique dominante en Croatie. Le rapport 2017 sur les droits de l'homme [en] du Département d'Etat américain a noté :

Jewish community leaders reported evidence of Holocaust denial and publicly expressed dissatisfaction with the government’s response to a veterans group’s placement of a plaque bearing the World War II-era Ustasha salute ‘Za Dom Spremni’ (For the Homeland, Ready) near the World War II-era Jasenovac death camp in 2016. President Grabar-Kitarovic and Prime Minister Plenkovic both condemned the placement of the plaque in Jasenovac. In September, the government relocated the plaque from Jasenovac to a veterans’ cemetery in the nearby town of Novska but did not make a legal determination on the use of the controversial Ustasha-era salute.

Les dirigeants de la communauté juive ont rapporté des preuves de déni de l'Holocauste et ont publiquement exprimé leur insatisfaction face à la réponse du gouvernement à la pose près du camp de la mort de Jasenovac [fr] en 2016 d'une plaque commémorative gravée “Za Dom Spremni” (Prêts pour la patrie), la salutation des Oustachis durant la Seconde Guerre mondiale. La présidente Grabar-Kitarovic et le Premier ministre Plenkovic ont tous deux condamné le placement de la plaque à Jasenovac. En septembre, le gouvernement a déplacé la plaque de Jasenovac vers un cimetière d'anciens combattants dans la ville voisine de Novska, mais n'a pas pris de décision juridique sur l'utilisation du salut controversé de l'ère oustachie.

Tout en s'abstenant de soutenir ouvertement le mouvement fasciste oustachi [fr], le parti au pouvoir, l’Union démocratique croate [fr] (HDZ), a contribué à donner une tournure positive à l'histoire et à réhabiliter l'héritage de certains de ses membres. Le HDZ se définit nominalement parti de centre-droit et est également membre du PPE.

Un exemple important de cette tendance est la commémoration des collaborateurs qui ont été sommairement exécutés [fr] par la résistance antifasciste à Bleiburg, en Autriche, en mai 1945. Ils avaient été capturés alors qu'ils tentaient de fuir la Yougoslavie après la capitulation de l'Allemagne nazie. Pendant des années, les membres du HDZ ont organisé des “pèlerinages” à Bleiburg, imitant l'iconographie de la Passion du Christ [fr].

Sous le règne du HDZ, le parlement croate organisait des commémorations officielles à Bleiburg le 12 mai, la rhétorique présentant les événements comme un “symbole de la souffrance du peuple croate”. Les cérémonies comprenaient même une messe catholique. Blanchissant une histoire très complexe, les discours officiels du HDZ condamnaient “les crimes des bandits communistes”, mais faisaient l'impasse sur le lien entre les collaborateurs exécutés et les “crimes fascistes” mentionnés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Commémoration à Bleiburg – pour marquer le 73e anniversaire de la souffrance du peuple croate.

Les salutations nazies ou fascistes avec une main droite levée, souvent tolérées en Croatie (comme l'indique le rapport des droits de l'homme du Département d’État américain cité ci-dessus) sont un acte criminel en Autriche. Cette année à Bleiburg, la police autrichienne a arrêté six membres du HDZ [en] qui ont utilisé le salut ou d'autres formes de symbolisme fasciste.

Un de ceux qui ont été arrêtés était Andelko Bosančić, membre éminent du HDZ de Dugo Polje, qui s'est rendu à Bleiburg aux frais des contribuables croates “en tant que représentant de sa municipalité”, selon la presse croate, qui l'a également qualifié d'Oustachi.

@ HDZ001 et l'antifascisme. Combien de communes paient les déplacements pour la plus grande kermesse nazie d'Europe ? Des journaux ont-ils enquêté?

Après son arrestation, Bosančić a d'abord nié avoir utilisé le salut hitlérien, mais lorsque les autorités autrichiennes l'ont confronté à des preuves, il a reconnu l'avoir fait. Selon son avocat autrichien, le Dr Thomas Romauch :

Nakon toga Bosančić je priznao dizanje desne ruke, ali se branio da ništa loše nije mislio. Također je naveo da je član Hrvatske demokratske zajednice, da je demokrat, lokalni dužnosnik i da je u Bleiburg stigao kao predstavnik svoje općine, koja mu je i platila put. Po njegovu mišljenju, pjesma koju često koriste na svojim stranačkim skupovima bila je povod za sve. Na koncu je kazao kako mu je vrlo, vrlo žao zbog svega…

Après cela Bosančić a admis qu'il a levé sa main droite, mais a prétendu qu'il ne pensait pas à mal avec cela. Il a également prétendu qu'il était membre de l'Union démocratique croate, qu'il était un démocrate, un fonctionnaire local et qu'il était venu à Bleiburg en tant que représentant de sa municipalité, qui a payé son voyage. Selon lui, il a été excité par une chanson qui est souvent chantée lors des rassemblements du parti HDZ. A la fin il a dit qu'il était vraiment très désolé pour tout …

La chanson en question est “Od stoljeća sedmog” (“Depuis le septième siècle”), qui vante l'endurance des Croates malgré les tentatives sanglantes de leurs ennemis pour les détruire.

Les six citoyens croates arrêtés à Bleiburg sont toujours en détention en Autriche, même si certains de leurs procès doivent avoir lieu entre le 19 et le 29 juin 2018. Bosančić encourt jusqu'à 10 ans de prison, car les autorités autrichiennes adoptent la tolérance zéro pour les incidents néo-nazis et extrémistes.

Son avocat a dit qu'il essaierait d'empêcher son affaire d'atteindre la cour fédérale, qui traiterait son crime au même niveau que le meurtre ou le vol à main armée. Ce traitement sévère est “une conséquence des expériences négatives que l'Autriche a eues avec l'époque hitlérienne et ses conséquences”, a expliqué l'avocat dans une déclaration au quotidien croate Slobodna Dalmacija.

Un problème européen nécessitant une approche systémique

La réhabilitation de l'héritage des collaborateurs nazis en Serbie et en Croatie fait partie d'une tendance régionale liée à la montée de l'extrême-droite en Europe. Elle est liée à la montée des partis populistes de droite et de l'antisémitisme à travers le continent (en particulier en Europe centrale et orientale), allant des politiques étatiques en Hongrie [en] à la tolérance des manifestations néo-nazies en Bulgarie [fr] et aux incidents en Macédoine [en].

La capture de l'État – une situation de soumission d'institutions étatiques aux partis politiques dominants – par de telles forces permet l'impunité des discours de haine et les crimes de haine. Le révisionnisme historique fondé sur les préférences idéologiques des partis au pouvoir représente un défi direct à la culture de la mémoire des violations des droits de l'homme commises dans le passé, pré-requis de la prévention de futurs crimes contre l'humanité.

Un frigo, une bouilloire, une ferme, et autres métaphores dans la déconcertante élection présidentielle turque

jeudi 21 juin 2018 à 14:58

Le président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan. Source photo : Service de presse de la présidence russe. Sous licence Réutilisable.

Dimanche 24 juin, les électeurs turcs se rendront aux urnes pour élire un nouveau président, dans un scrutin où cinq autres candidats seront en compétition avec le sortant et favori de la course Recep Tayyip Erdogan pour un mandat de cinq ans.

Alors que la campagne fait voler les étincelles dans un pays entré dans sa troisième année d'état d'urgence, des remous d'humour politique s'agitent sur fond d'une immense marée de peur pour l'avenir.

Les campagnes électorales ordinaires donnent normalement à voir les promesses et visions de chacun des candidats ou partis. Mais la démocratie turque est aujourd'hui à l'épreuve, et cette élection est tout sauf ordinaire. La Turquie est sous état d'urgence depuis près de 24 mois, à la suite du coup d’État manqué de juillet 2016 attribué par le pouvoir à l'organisation secrète, surnommée l'Etat dans l'Etat, dirigée par l'ennemi-rival du président Erdogan, Fethullah Gülen.

Le président Erdogan, candidat du parti Justice et développement (AKP) au pouvoir, gouverne depuis 2002. Il a été premier ministre pendant plus d'une décennie avant de devenir en 2014 le premier président élu. Les deux années qui ont suivi la tentative ratée de coup d’État de juillet 2016 ont été caractérisées par la répression contre l'opposition politique, la liberté de la presse et même les textes postés sur les médias sociaux. La fonction publique a été purgée des opposants supposés, de même que l'armée, la justice et l'université. Wikipédia, la plus grande encyclopédie collaborative en ligne du monde, est actuellement rendue inaccessible à l'intérieur du pays.

Dans un tel contexte, il n'est probablement pas étonnant que les compétiteurs d'Erdogan à la présidence aient des difficultés à se faire entendre des près de 60 millions d'électeurs, dont 1,5 million de nouveaux votants venant d'atteindre 18 ans. Erdogan, quant à lui, nie que la généreuse couverture que sa campagne reçoit de la radio-télévision nationale et d'autres mass-médias gouvernementaux sous l'état d'urgence actuel constitue un avantage.

“Donnez-moi un seul exemple. Quelle campagne l'état d'urgence a-t-il bloquée, et où ?” a-t-il demandé cette semaine, lors d'un discours dans sa ville natale de Güneysu à Rize sur les rives de la mer Noire dans le nord de la Turquie. Il a aussi fait allusion, pendant la même apparition, à une possible levée de l'état d'urgence après les élections.

Il est largement admis qu'en tant que principal maître de l'actualité, le président Erdogan détermine le discours autour de l'élection.

Ses adversaires n'en sont pas moins prompts à lui renvoyer ses propos. Outre détendre par l'humour une atmosphère politique alourdie, ces échanges offrent d'importants aperçus sur les enjeux réels dans cette élection pour Erdogan, ses trois principaux opposants et les électeurs turcs.

Qui vide le frigo ? Réponse avec le rival le plus proche d'Erdogan

Le candidat avec lequel Erdogan a une probabilité d'être au coude à coude en cas de second tour de scrutin est un professeur de physique-chimie devenu député et originaire de Yalova, une ville à 94 kilomètres d'Istanbul en Turquie occidentale.

Spirituel et charismatique, Muharrem Ince insiste dans ses discours sur ses débuts modestes de berger, apparemment une tentative délibérée de se distancer d'avec la base laïque et élitiste du CHP, le Parti républicain du peuple qui l'a désigné.

Muharrem Ince en campagne. Source image: compte Instagram officiel d'Ince.

Ince est considéré comme un leadeur potentiellement unificateur, mais sa performance chez les électeurs kurdes, où le CHP a toujours été faible, reste incertaine.

S'il n'a pas le profil national d'Erdogan, la tactique électorale d'Ince impressionne, notamment par sa capacité à exposer la propension du président sortant aux maladresses et autres lapsus.

Dans un exemple saillant, Erdogan a utilisé la croissance des achats annuels de réfrigérateurs en Turquie depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP comme indicateur du progrès économique favorisé par son parti. Ince a rétorqué du tac au tac, ce qui a fait grimper le mot turc pour frigo, buzdolabı, dans les tendances du Twitter en langue turque :

Erdogan, parlant à un rassemblement à Sakarya, une ville industrielle à 154 kilomètres d'Istanbul : “Quel était le nombre de réfrigérateurs vendus (en 2002) ? 1.088.000 ! À combien a-t-il grimpé depuis ? à 3.107.000 ! Ça veut dire que (les gens ne sont pas) pauvres. S'il y a un frigo dans chaque ménage aujourd'hui — Dieu soit loué — c'est que le bien-être est partout.

Ince à Erdogan : Le frigo est là depuis 40 ans. C'est toi qui l'a vidé !

La répartie d'Ince prend tout son sens en ce que l'espoir pour Erdogan d'une victoire au premier tour repose sur l'appréciation par l'électorat de son pilotage d'une économie chancelante. Par le passé, l'AKP pouvait s'appuyer sur un soutien important du monde des affaires, s'ajoutant à la base électorale socialement conservatrice qui constitue les fondations du parti.

Le PNB par tête de la Turquie a beau avoir triplé selon les dernières statistiques officielles pour atteindre 10.883 dollars dans les seize années où l'AKP a détenu le pouvoir, l'économie reste vulnérable sur de nombreux fronts. Qui plus est, la dépréciation constante de la livre turque face au dollar américain se traduit par un affaissement des revenus réels depuis le début de cette année, tandis que le parti se voit régulièrement reprocher la réinjection d'argent public dans de coûteux projets de construction, où, se plaignent les détracteurs, la corruption est reine.

L'oiseau en cage qui twitte toujours

Le candidat peut-être le plus improbable dans cette élection est Selahattin Demirtas, le candidat et co-dirigeant du parti de gauche soutenu par les Kurdes, le Parti démocrate des peuples (HDP), qui mène sa campagne depuis une cellule de prison.

Emprisonné sans procès depuis mai 2016, il a récemment pu parler à la télévision nationale une unique fois pour le créneau de 10 minutes alloué d'office à chaque candidat. Néanmoins, il communique avec les électeurs par le mot-clic #DemirtasaSoruyorum (#JeDemandeDemirtas) et réussit occasionnellement à atteindre le monde extérieur au moyen de tweets envoyés par un compte administré par ses avocats.

Source image : compte Instagram officiel de Selahattin Demirtas.

L'activité Twitter de Dermitas reste un insondable mystère pour le personnel pénitentiaire. En septembre 2017, les gardiens ont perquisitionné sa cellule, espérant mettre la main sur l'ordinateur d'où ils supposaient que partaient les tweets.

A l'évidence, ils n'ont trouvé aucun tweet dans la cellule. Il n'y avait qu'une bouilloire pour le thé, ils ont donc conclu qu'elle ne pouvait servir à twitter.

La bouilloire de prisonnier de Demirtas est devenue depuis lors un symbole de liberté de parole, et tient compagnie aux frigos sur les timelines de réseaux sociaux à l'approche du scrutin. Dans la même salve de tweets post-perquisition, Demirtas s'est gaussé d'Erdogan qui “a peur de l'oiseau de Twitter” et lui a conseillé de “ne pas semer de graines”.

La légendaire bouilloire de Demirtas – impression d'artiste. Source : compte Instagram officiel de Dermitas.

A 45 ans, Demirtas est le plus jeune des six candidats à la présidence, et de loin le plus apte à plaire à la jeunesse. Quand Erdogan a douté de ses “qualifications” pour concourir à l'élection du fait de son incarcération, Dermitas lui a rétorqué :

Tu vois, cette fois je suis d'accord avec toi Erdogan. Par exemple, il faut avoir un diplôme de premier cycle universitaire pour être candidat à la présidence. Pourtant, nul n'a encore vu le tien. On connaît mes qualifications, ce sont les tiennes qui sont douteuses.

La louve se laissera-t-elle apprivoiser ?

Plus ambiguë quant à sa relation avec l'AKP et Erdogan, Meral Akşener est une politicienne nationaliste chevronnée et ex-ministre de l'Intérieur du Parti d'action nationaliste (MHP), qui a fait bruyamment scission pour former le Bon Parti en octobre dernier.

Source image : site web officiel de la campagne de Meral Aksener.

Surnommée Asena (la louve), Aksener accuse Erdogan et l'AKP d'avoir tourné les services publics en “ferme [d'élevage]” pour ses partisans. Elle a promis, si elle est élue, de rendre lesdits corps à leur habitat naturel.

L'équipe de jeunes militants d'Aksener est également très efficace en ligne.

Dernièrement, ils ont acheté des annonces sur Google pour faire la publicité des chambres inoccupées du palais présidentiel d'Erdogan — encore une construction sur fonds publics largement considérée comme extravagante — pour chaque recherche comportant les termes “AKP” et d'autres.

D'aucuns suspectent qu'Aksener hurle mais ne mord pas, et qu'elle pourrait au contraire prendre un poste politique en or si Erdogan — qui a besoin du soutien nationaliste au parlement — l'emporte comme prévu. En tous cas, la seule femme dans la course chante pour le moment une autre chanson.

Dans sa chanson de campagne “Tourne ton visage vers le soleil”, de jeunes hommes et femmes dénoncent la situation actuelle dans le pays, en déplorant que : “Chacun est devenu muet / Parler à haute voix me manque.”