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Brésil : La TV Globo fait son coming out

dimanche 9 février 2014 à 13:05
Cena do beijo entre Felix e Niko.

La scène du baiser entre Felix et Niko lors du dernier épisode de la telenovela  ”L'amour de la vie”

[Sauf mention contraire, les liens renvoient à des pages en portugais] Dans la soirée du vendredi 31 janvier 2014, des millions de Brésiliens sont restés à la maison pour regarder la fin de la telenovela “L'amour de la vie”, de la chaîne Rede Globo. Même ceux qui n'ont pas pour habitude de suivre les novelas (NdT: Si, si, il y en a !!) ont fini par se laisser prendre et attendre, rongés par la curiosité, le dernier numéro. La raison ? le très attendu premier baiser homosexuel de la télédramaturgie brésilienne. 

Suite à une grande campagne sur les réseaux sociaux visant à imposer à l'auteur de la novela, Walcyr Carrasco, un baiser fougueux du couple homosexuel formé par Félix (Mateus Solano) et Niko (Thiago Fragoso), tout s'est finalement terminé selon les désirs des activistes, des sympathisants et de la population en général qui n'attendait que ça. 

On pouvait sentir la tension [anglais] dans les rues et sur les réseaux sociaux, et malgré les scènes surréalistes, l'incroyable intrigue et les chambardements abrupts du scénario, le pays tout entier n'attendait qu'une seule et unique scène. Sans aucun doute, cette scène ne changera rien à la réalité d'un pays ouvertement homophobe, celui où l'on tue le plus de LGBT (NdT: Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels) au monde, mais c'est un pas en avant dans la lutte, une petite victoire qui fait suite à l'énorme pression subit par le mouvement LGBT et les sympathisants. Un pas nécessaire pour nous faire sortir de notre zone de confort et affronter la réalité, montrer au monde que les gays sont bien là, mais pas seulement, que ce sont des gens normaux, qui aiment comme n'importe qui et ont les mêmes droits. 

Tout baiser est un acte politique et comme le souligne le professeur Tulio Vianna :

Estou feliz por meus amigos e amigas LGBTs, mas estou feliz sobretudo por nós heterossexuais que nos tornamos um pouquinho menos opressores, com a violência simbólica que exercemos a todo dia para obrigar a todos a terem a mesma orientação sexual que a nossa. Este é um avanço não só para os LGBTs, mas para a laicidade e para toda a democracia.

Je suis heureux pour tous mes amis (et amies) LGBT, mais je suis surtout heureux pour nous, hétérosexuels qui sommes devenus un peu moins oppresseurs, avec cette violence symbolique que nous exerçons quotidiennement pour obliger tout le monde à avoir la même orientation sexuelle que nous. C'est un pas en avant non seulement pour les LGBT, mais aussi pour la laïcité et pour toute la démocratie.

L'un des instigateurs de la campagne  #BeijaFelix (NdT: #EmbrasseFelix), le député fédéral et unique gay déclaré de tout le parlement brésilien, Jean Wyllys, commente :

Foi um passo adiante e positivo na representação dos modos de vida homossexuais e da homoafetividade. Tem um efeito pedagógico para as próximas gerações e obriga as atuais a ao menos repensarem seus preconceitos. Foi um acréscimo de autoestima na vida dos gays e lésbicas, na medida quem valorizou nossa forma de amar e nossos arranjos familiares

Ce fut un pas en avant positif dans la représentation des modes de vies homosexuels et de l'homo-affectivité. Il y aura un effet pédagogique indéniable pour les générations futures et cela force dès à présent les générations actuelles à au moins revenir sur leurs préjugés. Ce fut une augmentation de l'estime de soi des gays et des lesbiennes, dans la mesure où cela a valorisé notre manière d'aimer ainsi que nos arrangements familiaux.

L'activiste argentin, Bruno Bimbi, établit au Brésil partage sur son blog le sens de ce baiser pour le public brésilien :

Es difícil entender el peso simbólico de ese beso sin ser brasileño. Inclusive para quien, como el autor de esta columna, vive hace varios años en Río de Janeiro y nunca antes se había sentido tan extranjero, en el sentido más alienígena de la palabra, tratando de comprender la polémica y todas las emociones, presiones, miedos y esperanzas que corrían atrás del final feliz que finalmente ocurrió hace unas horas. La novela de las nueve de la TV Globo es un poderoso productor de sentidos y formador de subjetividades que, cada noche, reúne a viejos y jóvenes, hombres y mujeres, negros y blancos, héteros y gays de todas las clases sociales. Es la compañía de millones de hogares durante la cena. Es de lo que hablarán mañana el portero de mi edificio, mis profesoras del doctorado, mis compañeros de trabajo y militancia, la vecina de al lado y el mozo del bar de la esquina [...] En sus cuentas de Twitter, aún sin palabras, mientras tantos festejaban, los pastores del odio se llamaron a silencio.

Il est difficile de comprendre le poids symbolique de ce baiser sans être brésilien. Même pour ceux qui, comme l'auteur des ces colonnes, vivent à Rio de Janeiro depuis des années et ne s'étaient jamais sentis aussi étrangers, dans le sens le plus extraterrestre du mot, essayant de comprendre la controverse et toutes les émotions, les pressions, les peurs et les espoirs qui se cachaient derrière la fin heureuse qui est finalement arrivée il y a quelques heures. La novela de 21 heures de la TV Globo est une puissante productrice de sens et une grande formatrice de subjectivité qui réunit chaque soir des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des noirs et des blancs, des gays et des hétéros de toutes classes sociales. Elle tient compagnie à des millions de foyers pendant le dîner. Elle est le sujet de conversation de demain du gardien de mon immeuble, mais aussi celui de mon professeur de doctorat, de mes collègues de travail, et de militantisme, celui de la voisine, du barman du coin [ ...] Sur leur compte twitter, sans arguments, tandis que beaucoup célébraient (NdT: la victoire sur les préjugés), les pasteurs de la haine sont restés silencieux 

Les baisers d'autrefois étaient plus discrets 

Ce ne fut pourtant pas le premier baiser homosexuel de la TV brésilienne, même s'il fut sans aucun doute le plus important, vu le rôle social des séries de la Rede Globo et le fait que cette chaîne ait la meilleure audience du pays, et de très loin. Non, le premier baiser homosexuel de la TV brésilienne, selon l'économiste Renata Lins, sur Facebook, a eu lieu dans la mini-série “Mãe de Santo”, de la défunte TV Manchete, en 1990, il y a de cela 24 ans, entre un blanc et un noir.

Le 12 mai 2011, le public a pu voir ce que beaucoup considèrent comme le premier baiser lesbien de la TV brésilienne, sur la SBT, dans la novela “Amour et révolution”, de Tiago Santiago. Au cours de cette novela, Marcela (Luciana Vendramini) et Marina (Giselle Tigre) se sont embrassées passionnément, mais parce qu'il s'agissait d'une chaîne à l'audience plus confidentielle et de tradition plus récente, en matière de novelas, la scène eut moins de retentissement à l'époque. 

Cena de beijo na novela "Amor e Revolução"

Scène de baiser dans la novela “Amour et Révolution”

En 2010, à nouveau, le PSOL – Parti Socialisme et Liberté – a divulgué pendant la campagne électorale un baiser gay très commenté à l'époque. 

Buut !

“Les supporters du baiser gay de la novela étaient bien plus nombreux que pour n'importe quelle équipe de foot”, souligne le professeur Eduardo Sterzi. Beaucoup d'internautes ont commenté les démonstrations de liesse qui ont traversé tout le pays, des gens criant de joie à leur fenêtre comme si leur équipe avait marqué un but. 

Des railleries telles que “Chupa Feliciano” (NdT: Suce Feliciano), en référence au député fédéral évangélique et notoirement homophobe, Marco Feliciano, sur lequel Global Voices avait déjà écrit un billet en mars 2013 lorsqu'il avait été élu président de la commission aux droits de l'homme et aux minorités à la chambre des députés, fleurissaient aux quatre coins de la toile. Sur Twitter, on ne compte plus les réactions, toujours dans la bonne humeur, au baiser homosexuel mais aussi  en signe de rejet de Marco Feliciano.

Tuíte do ator Thiago Fragoso agradecendo aos fãs

“Très heureux! merci pour les messages, merci pour tout…” Twit de l'acteur Thiago Fragoso remerciant les fans

L'universitaire Fabio Malini, a averti les politiciens, sur Facebook, des dangers qu'ils courent à s'ériger contre les droits des minorités et a rappelé les revendications des manifestations massives qui ont pris possession du pays en juin 2013, et dont les répercussions sont encore bien visibles : 

Há várias interpretações possíveis para o que ocorre na sociedade brasileira. Mas eu queria salientar que a afirmação dos direitos das minorias foi amplamente reivindicada nos protestos de junho. Foi algo radical nas ruas. E a Globo se viu pressionada por um lado pelo fãs do casal da novela; e, por outro, pelo imaginário do “O Povo Não é Bobo” recuperado pelos “vândalos” de junho. Não havia outra solução para a emissora, senão Liberar. Que o fato vire um recado político das urnas em 2014: no lugar de ceder à base religiosa conservadora, as forças políticas de esquerda (se elas ainda existirem) afirmem todos os direitos possíveis das minorias. Do contrário, virarão ainda mais reféns de uma minoria política que só anda para atrás.

Il y a beaucoup d'interprétations possibles pour ce qui se passe dans la société brésilienne. Je voulais juste souligner que l'affirmation des droits des minorités avait été amplement revendiquée lors des manifestations de juin. Il y avait quelque chose de radical dans les rues. Et la Globo a subi des pressions d'une part, des fans du couple de la novela et d'autre part, de l'imaginaire des “vandales” des manifestations de juin qui chantaient “Le peuple n'est pas con”. Il n'y avait pas d'autre solution pour la chaîne, que celle de s'ouvrir un peu. Que l'événement se transforme en rendez-vous politique dans les urnes en 2014 : au lieu de céder à des courants religieux conservateurs, que les forces politiques de gauche (si elles existent encore) soutiennent tous les droits possibles des minorités. Dans le cas contraire, ils deviendront encore plus otages d'une minorité politique qui ne cesse de se tourner vers le passé.

Le journaliste Leonardo Sakamoto a célébré le baiser, mais il a rappelé que la “Globo avait des millions de défauts, mais qu'elle n'était pas idiote”, et “qu'elle avait ainsi créé de toutes pièces, un buzz historique pour faire oublier sa propre répugnance à aborder le thème”. 

Autrement dit, le baiser “aurait pu arriver dans n'importe lequel des chapitres du mois dernier”, mais la Globo a préféré engendrer une attente, attirer l'attention du public et même mesurer la popularité qu'obtiendrait un baiser homosexuel auprès du public au moment même ou la chaîne tente un rapprochement avec le public évangélique conservateur et face aux positions conservatrices du gouvernement fédéral, dont la plus grande représentante, la présidente Dilma Rousseff, avait déjà déclaré au cours des années précédentes qu'elle ne ferait aucune “propagande sur l'option sexuelle” lorsqu'elle avait été interrogée sur la politique pro-LGBT de son gouvernement ainsi que sur  l'annulation récente du programme de lutte contre l'homophobie à l'école. 

Imagem do instagram de @ane_molina com a notificação de que sua foto foi deletada por infringir regras da rede social

Photo sur l'instagram de @ane_molina avec une notification déclarant que la photo avait été supprimée parce qu'elle enfreignait les règles du réseau social (nudité et pornographie) 

D'autres, comme le diplomate Hugo Lorenzetti Netto, ont aussi critiqué le temps qu'il avait fallu attendre pour voir ce fameux baiser, ou ont attiré l'attention sur un fait important: Il reste encore beaucoup à obtenir. Un baiser homosexuel à la télé n'est pas une fin en soit, mais juste une petite victoire. 

L'acteur Mateus Solano, interprète de Félix, parle du baiser en interview :

É um pequeno passo na dramaturgia, mas um grande passo na sociedade

C'est un petit pas pour la dramaturgie, mais un grand pas pour la société

Pourtant, certains activistes et journalistes ne se sont pas joints aux manifestations de joies. Felipe chagas, sur sa page facebook, fait ce commentaire :

A realidade, gente, é que nós estamos aqui, e o que vimos ontem nas telinhas (sic) foi apenas uma realidade retratada de forma mais que atrasada a partir do ponto de vista da burguesia (com seu núcleo familiar patriarcal, heterossexual e com prole) sobre a nossa existência. É tão vergonhoso as LGBTs se arrastarem por várias novelas para conseguirem um único beijo gay no principal canal de televisão no “horário nobre”, que me sinto revoltado. Sinto-me revoltado porque é humilhante saber que depois de tantos anos, com uma audiência exorbitante causado pelo principal personagem dessa obra ficcional (que é um ex-vilão gay que virou mocinho), que o tão esperado beijo foi um selinho que durou 4 segundos (ou menos que isso), na penúltima cena da novela depois das 23h duma sexta-feira. Patético, apenas.

La réalité, messieurs-dames, c'est que nous en sommes là, et ce que nous venons de voir hier soir sur le petit écran (sic) n'est guère que la réalité dépeinte de manière plus que périmée, et sous le point de vue qu'a la bourgeoise (avec son noyau familial patriarcal, hétérosexuel et sa progéniture) de notre existence. C'est tellement honteux que les LGBT, dont la présence dans un grand nombre de novelas depuis des années soient obligés d'attendre tout ce temps pour se voir autoriser un unique baiser sur la principale chaîne de télévision en “prime time” que je me sens révolté. Je me sens révolté parce qu'il est humiliant de savoir qu'après toutes ces années à rassembler une audience exorbitante grâce au personnage principal de cette oeuvre de fiction (un “ex-méchant”, homosexuel, qui est devenu le gendre idéal), et que ce baiser si attendu n'ait duré que le temps d'une scène de 4 secondes (ou même moins que ça), lors de l'avant-dernière scène de la novela, après 23h, un vendredi soir. Juste pathétique.

Fernando Pardal ajoute que la Globo aurait mis en scène  ”un couple gay qui se comporte exactement comme un couple hétérosexuel bourgeois” pour “faire en sorte que  ce mouvement historique d'acceptation de sexualité différente [...] se passe de la manière la plus “tranquille” possible (pour la bourgeoisie  et la famille).

E quem comemora acriticamente este beijo como um “progresso” da Globo está ajudando nesta falsificação.

Et celui ou celle qui célèbre plus ni moins, ce baiser comme un “progrès” de la Globo apporte de l'eau au moulin de la falsification.

Il y a aussi eu de la place pour encourager l'homophobie sur les réseaux sociaux comme certains utilisateurs ne s'en sont pas privés, tel que Natanael Martins (@D_Natanael) qui considère que “l'apologie de l'homosexualité” à la Rede Globo fut “une claque dans la figure des chrétiens”, ou Coxa® (@Marcio1914) qui dit que “les gens applaudissent deux GAYS qui s'embrassent, bientôt être Pédé va devenir une obligation, je veux mourir avant”.

Série de tuítes coletados pelo ativista Celso Dossi.

Série de tweets collectés par l'activiste Celso Dossi, de l'auto-proclammée : “Psychologie Chrétienne”, Marisa Lobo (@marisa_lobo), alliée du député Marco Feliciano

PSICOLOGIACRISTA
5- Les activistes gays de la #Globo le savent bien. On ne naît pas gay. La culture et les médias peuvent avoir une influence. Elle (La Globo) a choisi de militer pour la cause #de manière obligatoire.

PSICOLOGIACRISTA
4- Tant que la #Globo pense qu'elle peut se foutre de son public parce qu'il accepte toujours tout, elle va continuer à nous faire avaler ce qu'elle veut.

PSICOLOGIACRISTA
3- Nous avons un moyen de protester en ignorant le baiser gay, personne n'est obligé de regarder, alors changer de chaîne.

PSICOLOGIACRISTA
2- La Globo ne cessera ses “provocations” que si vous ne regardez pas. Elle sait grâce aux chiffres de l'Audimat, que les évangéliques critiquent mais jettent quand même un coup d'oeil.

PSICOLOGIACRISTA
1- On ne peut pas empêcher ce baiser gay à la télévision, juridiquement ça n'est pas un crime mais plutôt un tabou. Mais vous pouvez bien sûr protester. En ne regardant pas. 

Avec humour, l'activiste Karla Joyce a répondu aux homophobes :

Ninguém morreu. Não doeu. Ninguém virou gay. Nenhuma autoridade não veio em pronunciamento à nação falar que agora haverá uma cartilha gay ou que entramos no regime da “”"Ditadura Gay”"”. Ninguém foi obrigado a consumar um casamento homoafeitvo. Não foi um “agora vão se comer no meio da rua”. Os cavaleiros do apocalipse não chegaram. A meteorologia não indica que esteja chovendo enxofre ou meteoros no Brasil.

Personne n'est mort. Personne n'est devenu gay. Aucune autorité n'est venue annoncer officiellement au pays qu'à partir d'aujourd'hui il y aurait un manuel de mode d'emploi (NdT: sic, de l'homosexualité) ou que l'on entrait en régime de “”"Dictature Gay”"”. Personne n'a été obligé de consommer un mariage homo-affectif. Tout ne s'est pas transformé en : “à partir de maintenant on baise à tous les coins de rues”. Les chevaliers de l'apocalypse ne se sont pas montrés. La météo n'annonce aucune pluie de soufre ou de météorites sur le Brésil.

L'activiste Jarid Arraes, sur sa page facebook, a écrit ému :

Um amigo viu meu último post, falando da importância política do beijo na novela, e ligou chorando, muito feliz, dizendo que graças a cena final entre Félix e o Pai, o seu próprio pai bateu na porta do quarto dele as 4 da manhã.O pai, que chorava de soluçar, pediu perdão ao filho por toda discriminação e palavras de ódio. Disse que a partir daquele dia ele se arrependia e o aceitava. E que podia inclusive levar o namorado para almoçar no domingo com a família inteira.Só quem já passou por isso sabe…

Un ami a vu mon dernier post, qui parlait de l'importance politique du baiser de la novela, et m'a appelé en pleurant, super-heureux, disant que grâce à la scène finale entre Félix et le Pai, son propre père était venu taper à la porte de sa chambre à quatre heures du matin. Le père, qui pleurait en hoquetant, a demandé pardon à son fils pour toutes les discriminations et les mots hostiles. Il a dit qu'à partir d'aujourd'hui il regrettait et l'acceptait (tel qu'il était). Et qu'il pouvait même inviter son copain à déjeuner le dimanche avec toute la famille. Seuls ceux qui ont déjà vécu ça peuvent comprendre…

Pour finir, le blogueur spécialiste en Tv, Gustavo Baena, reflète le sentiment de beaucoup de gens :

Imagine o que significou o gesto dos personagens de Solano e Thiago para que milhares de jovens homossexuais possam elevar sua autoestima e conquistar espaço para o diálogo, a aceitação e o respeito dentro das próprias famílias, inclusive.

Imaginez ce que le geste des personnages de Solano et Thiago a signifié pour que de jeunes homosexuels puissent améliorer leur estime de soi et conquérir un espace de dialogue et de respect, y compris dans leur propre famille.

Ce billet a été écrit avec la collaboration Marcela Canavarro et Luis Henrique.

Sur quels rythmes résonnent les rues en Espagne ?

samedi 8 février 2014 à 23:11
el sonido de las calles

“Le son des rues”

Sur quels rythmes résonnent les rues ? Cette interrogation introduit “Le son des rues” [espagnol, comme tous les liens], un reportage qui relate le travail et la philosophie de vie de cinq musiciens de rue — Manuel Marcos, El Terraza de Jeréz, Pedro Queque Romero, Little Boy Kike, dont deux chanteurs, et un groupe, Los Milchakas, qui travaille en plein air.

Produit par BuenaWille, un espace qui promeut des projets culturels, le reportage a été réalisé en mai 2013 sous une licence Creative Commons. A vocation non lucrative, son but est de promouvoir la musique de la rue et porter les témoignages de ces musiciens auprès du public. 

“Je joue par amour de la musique et par nécessité”, dit Abdul Yabbar, chanteur et guitariste dans les rues de Grenade, qui après avoir perdu son emploi n'a pas vu d'autre perspective que d'utiliser son talent pour “s'en sortir”. Les protagonistes du film vivent et offrent leur art dans le sud de l'Espagne, où le temps est clément et les gens plus réceptifs, selon eux. La plupart d'entre eux citent les aspects les plus positifs de leur travail mais ils parlent aussi des difficultés inhérentes à ce mode de vie, telles que l'indifférence des passants, une faible tolérance de la part des autorités, l'insécurité économique et même des plaintes des voisins qui vont parfois jusqu'à leur jeter des objets et de la nourriture dessus parce qu'ils les jugent gênants, c'est ce qui est arrivé à Abdul. 

Voici le reportage entier : 

Il y a aussi ceux qui apprécient les musiciens qui tentent d'égayer les rues. Un utilisateur de YouTube a publié une vidéo d'un groupe dénommé Milchakas, que l'on voit dans le reportage, comptabilisant plus de 7.000 visites. Le commentaire suivant fait dans la description : 

Ce merveilleux groupe à Grenade, en Espagne, apporte tant de gaieté et de bonheur à ce flux continu de touristes et résidents locaux qui les croisent sur le chemin de l'Alhambra ou peut-être, Sacromonte. Leur musique est un mélange d'espagnol, reggae et quelques autres genres.

Ces artistes sont unis par leur talent et l'amour de la musique, mais la plupart rêvent de se mettre en valeur, en gagnant de la visibilité et de pouvoir de jouer dans des bars. Les rues ne sont pas si faciles et y travailler semble de plus en plus difficile. C'est ainsi, par exemple, dans la capitale espagnole où le conseil municipal de Madrid a restreint leur travail. Quiconque veut jouer dans les rues de la capitale doit être auditionné pour obtenir une licence qui l'autorise à travailler dans le centre. Les activités artistiques de rue qui ont réussi le test continuent de faire face à une série de restrictions quant aux horaires, la distancce entre les musiciens, la largeur des rues où ils sont autorisés à jouer et le niveau de pollution auditive, entre autres. 

Ces nouvelles mesures ont suscité des critiques, au-delà des artistes. En particulier, une vidéo dans laquelle deux musiciens critiquent les restrictions du conseil municipal. Tant les médias que les réseaux sociaux se sont saisis de la vidéo humoristique et critique qui a déjà reçu plus de 350.000 vues sur YouTube :

Voici une bribe de chanson mettant en vedette un groupe se dénommant lui-même Potato Omelette Band [Groupe de l'Omelette à la Pomme de terre] : 

Ay mi Madrid, pobre ciudad mía, que quitan artistas para poner policías, tú que eras toda alegría, ahora gris color ceniza, no hay mejor jurado que el de la gorra, a veces no hay nada, a veces te forras …pobre músico que no se ha vendido, esta ciudad no es para artistas.

Oh cher Madrid, ma pauvre ville qui ôte les artistes pour les remplacer par des policiers, toi qui était plein de joie tu as désormais la couleur de la cendre grise, il n'y a pas de meilleur jury que celui de la capitale, parfois il n'y a rien, parfois c'est une réussite… pauvre musicien qui ne s'est pas vendu, cette ville n'est pas pour les artistes. 

Les mille-et-un soucis de Sotchi

samedi 8 février 2014 à 15:08
One of the rings fails to open during the Olympic opening ceremony -- a minor setback in an otherwise masterful performance. YouTube screenshot.

Un des anneaux ne s'ouvre pas, pendant la cérémonie d'ouverture des J.O., un incident mineur pendant un spectacle par ailleurs magistral. Capture d'écran YouTube.

Les journalistes ont commencé à fondre sur Sotchi la semaine dernière, et tweets et photos de chantiers inachevés ont aussitôt fait les titres à l'Ouest comme en Russie. Les journalistes se sont plaints de tout, depuis l'eau rouillée jusqu'aux poignées de porte défectueuses. Un compte Twitter appelé @SochiProblems est apparu, moquant le soi-disant désastre des Jeux Olympiques d'hiver russes.

Ainsi, un reporter de CNN s'est plaint qu'une seule des chambres réservée pour son équipe était disponible, et a posté une photo de lui-même dans sa chambre d'hôtel avec une tringle de rideau tombée :

Voici l'unique chambre d'hôtel que @Sotchi2014 nous a donnée jusqu'à présent. La pagaille.

Cette publicité négative a déplu à beaucoup de Russes. Un blogueur a supposé [russe] que le reporter a pu faire le dégât lui-même pour monter un sujet d'article :

[...] гражданин, скорее всего, сам отломал держатель карниза, и теперь всем демонстрирует моральное убожество режима резидента Путина.

[...] ce monsieur a sans doute cassé lui-même la tringle, et démontre maintenant à tous la médiocrité morale de la présidence Poutine.

Entre-temps, un sondage du Centre Levada [anglais] publié mercredi a établi que 53 % des Russes approuvaient la tenue des J.O. à Sotchi. En revanche, 38 % de ceux qui ont répondu pensaient également que la corruption était le moteur principal des Jeux. L'Internet russe semble corroborer ces deux sentiments. L’illustre écrivain Boris Akounine [russe]) pense que les gens devraient avant tout soutenir les athlètes, et ignorer les problèmes.

Kirill Shulika de DemVybor a écrit [russe] sur son compte Facebook à propos de l'importance de parler et critiquer. Sinon, dit-il :

Проблема-то тут как раз в том, что все разговоры о заговорах и желании навредить в проведении Олимпиады опасны тем, что и дальше все будет то же самое. Я имею в виду гигантские затраты и при этом ржавую воду, отсутствие душа или наличие граждан России, которым в нарушении всего отказано в посещении соревнований, несмотря на купленные билеты.

Le problème est justement que tout ce discours sur les conspirations et le désir de nuire à la tenue des Jeux Olympiques est dangereux parce qu'après tout restera pareil. Je fais allusion aux dépenses gigantesques, et avec cela l'eau rouillée, l'absence de douches, ou l'existence de citoyens de Russie à qui, en violation de tout, on a refusé l'accès aux compétitions, malgré leur achat de billets.

Le blogueur et lieutenant d'Alexeï Navalny, Leonid Volkov, a aussi trouvé [russe] hors de propos le refus de la critique :

Ничего обидного нет ни в @SochiProblems, ничего страшного нет в том, что какие-то вещи не доделаны, и какие-то косяки случаются. Страшна и позорна, невероятно постыдна только неадекватная реакция на иронию – поиск “врагов” и “заговоров”, истории про “журналистов, которые специально отрывают дверные ручки.”

Il n'y a rien d'offensant dans @SochiProblems, il n'y a pas de mal à ce que certaines choses ne soient pas achevées, et qu'il y ait quelques loupés. Ce qui est mauvais et honteux, c'est la réaction invraisemblablement ignominieuse et simplement inappropriée à l'ironie – la recherche d’ “ennemis” et de “conspirations”, les histoires de “journalistes qui arrachent délibérément les poignées de portes.” 

Il n'en regardera pas moins les Jeux, a dit Volkov.

Jehane Noujaim, la réalisatrice de “La Place”, filme la révolution égyptienne

samedi 8 février 2014 à 11:28
Filmmaker Jehane Noujaim, director of "The Square". Image courtesy WITNESS

La réalisatrice Jehane Noujaim, metteur en scène de “La Place”. Photo avec l'autorisation de WITNESS

Cet article de Matisse Bustos-Hawkes pour WITNESS, publié sur le blog de WITNESS le 31 janvier 2014, est repris ici en partenariat.

Par Matisse Bustos Hawkes, Directrice de la Communication/WITNESS

La Place (The Square), un documentaire de Jehane Noujaim sélectionné aux Oscars, suit les activistes en action lors de la révolution égyptienne qui a renversé Moubarak et vu la montée et la chute de Mohamed Morsi.

Dans un entretien avec WITNESS, Noujaim explique comment elle a construit le documentaire à partir de 1.600 rushes, le rôle des vidéo citoyennes pour monter le film et comment la production collaborative a permis sa réalisation.

Q: Comment est né le projet ? Quand avez-vous su que vous aviez assez de matière pour monter un documentaire sur la révolution égyptienne ?

Jehane Noujaim: J'ai grandi à dix minutes de la place Tahir, et ma famille habite toujours le Caire. Je me suis rendue sur la place avec l'idée de faire un film, mais je n'étais pas sûre de mon scénario. Pendant les premières semaines toute l'équipe se retrouvait sur la place, on s'est mis à chercher des personnages à suivre et nous avons commencé à filmer. Si je n'avais pas été réalisatrice, j'aurais été là de toute façon. Je me retrouve souvent à filmer des gens et des situations par lesquelles je suis attirée. Cela fait partie du processus. Les rushes n'aboutissent pas nécessairement à un film. Cette fois cela a été le cas.

Quand on a eu fini de filmer, on s'est retrouvés avec 1.600 heures de matériel exploitable. On a monté un film en 2012 pour le présenter au festival du film de Sundance un an plus tard, où nous avons été récompensés par le prix du public. Mais l'histoire n'était pas finie. La situation sur le terrain avait à nouveau changé et nos personnages étaient de nouveau au coeur de l'action au Caire. Nous avons compris que nous devions continuer l'histoire. Que nous devions retourner place Tahir pour continuer le film. Il en est sorti un film plus profond, et une histoire plus complexe.

Q: Comment avez-vous trouvé chacun des personnages que vous mettez en scène dans le film ? Y en a-t-il d'autres que vous avez suivis mais que vous n'avez pas retenus ?

JN: La magie de la place Tahir c'est la diversité des gens qu'elle attire de toutes parts, et il a été facile de trouver une série de personnages très divers auxquels un large public peut s'identifier. On a commencé avec six personnages dans le film; Ahmed, Khalid et Magdy se sont révélés être les plus significatifs. Leurs histoires formaient une palette de personnages tout à fait compréhensibles, cohérente et ne nous éloignaient pas de ce qui se passait place Tahir. Ce sont également des personnages dont je suis tombée amoureuse – Khalid pour son éloquence passionnée, Magdy pour ses convictions et son ouverture d'esprit et Ahmed pour sa bonne humeur, son charisme et son magnétisme.

Un personnage n'a pas eu sa place dans le film, c'est Bouthayna Kamel, la première que j'aie contactée quand la grogne a commencé à se faire entendre en 2011. Elle était sur mon documentaire pour la BBC, Egypte: On Vous Regarde, sur un groupe de femmes égyptiennes qui se battaient pour un changement politique bien avant le début de la révolution. Bouthayna était présentatrice mais a quitté son poste car elle ne voulait plus raconter des mensonges pour le compte du gouvernement. Elle a décidé de se présenter à la présidence, la première femme à le faire en Egypte. On l'a suivie pendant toute sa campagne, mais malheureusement nous avons dû ne pas en tenir compte car elle utilisait le tournage à des fins personnelles, alors que nous voulions que le film ne déborde pas de l'espace public de la place elle-même et montre comment elle pouvait être utilisée comme outil politique.

Q: Quelles mesures ou précautions sécuritaires avez-vous dû prendre quand vous tourniez pour préserver ceux qui se trouvaient devant et derrière la caméra ?

JN: En premier lieu, nous avons tous utilisé des appareils photos Canon numériques, pour avoir l'air de prendre des photos. Sinon, nos caméras nous auraient été confisquées par la police. L'un des personnages du film, Pierre, habitait un appartement situé à quelques minutes de la place Tahir. Ce lieu est devenu notre issue de secours, l'endroit où nous pouvions nous réfugier en cas de besoin. Nous avons aussi loué un bureau à quelques minutes de la place on nous pouvions rapidement nous rendre pour charger les rushes et discuter des prises de vues.

Mais en réalité nous ne suivions pas une méthode bien définie. Au début, nous nous sommes retrouvés au milieu du gué et aucun de nous ne s'y attendait ou n'y était préparé. Finalement des mesures de sécurité et de survie se sont mises en place. On s'efforçait en permanence de ne pas se perdre de vue les uns les autres. Comme le dit Ahmed dans le film, “Nous nous aimions tous sans vraiment nous connaître”.

Il était primordial que l'équipe soit égyptienne – que ce soient des manifestants et qu'ils aient choisi d'être là – parce que l'on ne savait pas où allait nous entraîner cette histoire. Ce que vous voyez n'est pas le film d'une personne, mais le résultat d'une coopération entre les acteurs de ce qui se passait, des gens profondément concernés par l'avenir de leur pays.

Video still of Ahmed Hassan in The Square.

Photo de Ahmed Hassan dans La Place.

Q: Quelles leçons essentielles a tiré l'équipe sur l'intérêt et les défis posés par la vidéo citoyenne ?

JN: Ce film n'aurait pas vu le jour sans la vidéo citoyenne.

Par exemple, un mois après la destitution de Moubarak, alors que l'Egypte souffrait encore d'une gueule de bois post révolutionnaire, Ramy Essam, le chanteur de la révolution, a été arrêté et torturé par l'armée au Musée Egyptien. Il a été électrocuté, battu et pendu par les cheveux. Il est resté alité plusieurs semaines pour se remettre de ses blessures. A ce moment-là personne ne voulait croire que les militaires puissent torturer quelqu'un. Les militaires étaient toujours majoritairement considérés comme des héros de la révolution et il n'y avait aucune couverture médiatique locale ou internationale sur certaines choses qui se passaient sur le terrain. Avec du recul, cela préfigurait ce qui allait se passer.

Aïda El Kashef avait un appareil photo et elle a fait une vidéo pour rendre compte des conséquences de la torture sur l'état de Ramy et pour lever le doute sur ce qui s'était passé. C'est alors que Mosireen – un média activiste collectif créé par Khalid et Aïda – s'est mis en place, avec pour objectif de placer des caméras dans des lieux où l'on est pas censé en trouver. Mosireen a établi son siège en centre-ville et ils ont commencé à former les gens sur la manière de filmer une vidéo et de la publier et d'en télécharger des extraits. Certains de leurs extraits ont été inclus dans le film.

En fait, près du quart du film, dont certaines des séquences les plus incroyables prises à partir des premières lignes de manifestants, où l'on a vraiment l'impression de se faire tirer dessus, a été filmé par Ahmed, le personnage principal du film. Il se trouve qu'Ahmed a fait des études de journalisme, mais comme beaucoup de jeunes Egyptiens, il a exercé tous les boulots qu'il trouvait pour survivre. Il n'avait pas de réelle formation en cinéma. Notre directeur de la photographie, Muhammed Hamdy, a montré à Ahmed comment se servir de l'appareil photo, et tout en travaillant pour le film, il a utilisé l'appareil comme une arme pour se battre et montrer les abus contre les droits humains et l'oppression qu'il a vus.

A de nombreuses reprises quand il était en première ligne, Ahmed était le seul à avoir un appareil. Les autres manifestants l'entouraient pour s'assurer qu'il était protégé. Ils lui disaient “Enregistre Ahmed ! enregistre” parce que c'était très important pour eux qu'il y ait un témoignage, que l'on puisse prouver tout ce qui se passait. Autrement personne n'aurait parlé de leurs histoires. Voilà comment cela se passait.

Certaines séquences du film ont été utilisées comme preuves en justice, et beaucoup ont été téléchargées sur YouTube pour montrer au monde ce qui se passait en Egypte après que les médias ont arrêté de couvrir les évènements. Ces séquences ont été utilisées dans les reportages des principaux organises de presse.

Q: Les arts visuels et la musique sont une force de la période révolutionnaire. Tout au long du film, vous montrez les travaux du peintre muraliste Akbo Bakr et on entend souvent le chanteur Ramy Essam. Bien que certaines oeuvres comme les peintures murales de Akbo Bakr aient pour vocation d'être temporaires et d'être remplacées, avez-vous pensé à créer des archives de l'activité culturelle et artistique qui s'est développée parallèlement aux manifestations ?

On ne dira jamais assez la place de l'art dans la révolution égyptienne. C'est la raison de ce fil rouge essentiel dans le film, car les artistes étaient au premier plan des changements qui sont survenus en Egypte. Dès le début, la culture et la liberté d'expression étaient au coeur du mouvement. Je pense que la Révolution Culturelle – l'explosion de l'art, de la peinture, de l'écriture et de la poésie – est encore quelque chose qui inspire les Egyptiens. Il y a aujourd'hui tant d'initiatives et d'espaces collectifs où les gens peuvent s'exprimer, raconter la révolution, s'approprier leur pays. Nous-mêmes nous avons fait un film ou raconté des événements vécus par nos personnages. Ce que l'on voit dans le film final et les 1500 heures de séquences qui ne sont pas dans le film c'est, j'imagine, une sorte d'archive.

Q: Bien que vous n'ayez pas pu officiellement projeter le film en Egypte, les principaux personnages ont-ils pu le voir ? Quels ont été les réactions des Egyptiens de la diaspora qui ont pu voir le film ?

Les principaux personnages ont tous vu le film et, bien entendu, ils suivent tout ce que l'on en dit sur les réseaux sociaux. Il ne faut pas oublier que pour eux la révolution n'est pas finie. Ils sont encore en plein dedans. En fait l'Egypte a célébré le troisième anniversaire du soulèvement du 25 janvier et l'ambiance était très tendue.

De même pour les Egyptiens de la diaspora, comme on pouvait s'y attendre ils ont abordé le film avec une certaine appréhension. C'est compréhensible étant donné la situation changeante et de plus en plus instable en Egypte. Nous ne savions franchement pas à quoi nous attendre de leur part. Maintenant que nous avons assisté à de nombreuses projections en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, nous avons vu des Egyptiens réagir différemment hors du spectre de la société égyptienne.

Notez que c'est vraiment une période sombre et divisée pour les Egyptiens – pas uniquement pour ceux qui sont dans le pays mais également pour la diaspora. Les Egyptiens sont déchirés par ce qui se passe dans leur pays. Certains ont dit que l'Egypte était entrée dans une guerre civile. Quand ils voient le film, cependant, et particulièrement la relation entre Ahmed et Magdy, membre des Frères Musulmans, ils ont une approche complètement différente. Leur histoire illustre la communauté de la lutte humaine en Egypte, malgré les profondes divisions politiques. Même si Ahmed et Magdy ont des vues politiques différentes, la bienveillance et l'amour, la loyauté et l'amitié qu'ils ont l'un pour l'autre à la fin du film a redonné à beaucoup d'Egyptiens qui ont vu le film l'espoir que l'Egypte puisse encore être unie.

Q: Quel message pensez-vous que La Place transmettra à un public international sur la période post révolutionnaire en Egypte ?

JN: La Place n'est pas le film fondateur sur la révolution égyptienne. Je ne pense pas que quelqu'un puisse s'en réclamer. Ce n'est pas du journalisme, et le film ne prétend pas raconter toute l'histoire de la révolution. Et ce n'est certainement pas une description “partiale”, “naïve” ou “dangereuse” de la politique en Egypte comme certains ont bien voulu le dire.

C'est un documentaire-vérité sur le voyage d'une poignée de personnages sur la place Tahir ; sur leurs différents parcours de vies mais sur le profond désir qu'ils ont en commun de ne pas faire de compromis sur leurs principes. Au final il parle de la grandeur qui sort du chaos. Ma responsabilité en tant que metteur en scène a été de rester fidèle à ces personnages et d'amener le public au plus profond de leurs histoires. Finalement, ce n'est pas un film sur la révolution égyptienne. C'est un film sur des Egyptiens qui vivent pendant la révolution.

Comme le dit Ahmed dans le film, “on ne peut raconter que nos histoires, on ne peut écrire que nos histoires. C'est notre tour de rapporter nos récits, pour montrer la capacité de nos citoyens à raconter leurs propres histoires.” Ce film est le résultat direct de ce phénomène.

Bande-annonce officielle

La Place est maintenant en streaming sur Netflix. Rejoignez Matisse et WITNESS sur Twitter @matissebh et @witnessorg.

Le point de vue des expatriés français sur la rhétorique de l'anti-immigration

samedi 8 février 2014 à 11:09
Total of french citizens abroad as compiled by the Foreign Affairs Ministry - Public Domain

Total des citoyens français à l'étranger par continent, tel que compilé par le Ministère des Affaires Étrangères – Domaine Public

Le débat sur l'immigration divise de plus en plus l'opinion publique en France ces dernières années. La montée de l'extrême-droite, tel le Front National, lors des récentes élections a catalysé une rhétorique anti-immigration qui semble gagner les partis conservateurs plus modérés. Les histoires les plus notoires comprennent l'affaire du “pain au chocolat“, dans laquelle le chef de l'opposition JF Copé a déclaré avoir été bouleversé en apprenant que des enfants dans certains quartiers se faisaient harceler par des gamins musulmans pour avoir mangé des pains au chocolat pendant le Ramadan.

La pression pour une politique d'immigration plus restrictive qui limiterait le nombre de candidats sans qualification à migrer vers la France a trouvé des échos au sein de l'actuel gouvernement progressiste. En effet, un livre publié par le philosophe Alain Finkelkraut intitulé “L'idendité malheureuse” tente de justifier l'application de régulations plus strictes en terme d'immigration afin de protéger l’identité française :

Les autochtones ont perdu le statut de référent culturel qui était le leur dans les périodes précédentes de l’immigration. Ils ne sont plus prescripteurs. Quand ils voient se multiplier les conversions à l’islam, ils se demandent où ils habitent. Ils n’ont pas bougé, mais tout a changé autour d’eux. […] Plus l’immigration augmente et plus le territoire se fragmente.

Frédéric Martel, directeur de l'IRIS, un institut de recherche sur les relations internationales, explique pourquoi le discours de Finkelkraut est malavisé : 

 Il y a, c’est certain, une forte anxiété dans la France d’aujourd’hui. Mais pourquoi caricaturer tous les «étrangers» comme s’ils ne voulaient ni s’intégrer ni accepter le passé de la France? Que sait-il des Français de deuxième et troisième génération? De leur langue, de leur culture? De l’énergie créatrice des quartiers? [...] L’identité française, pourtant, n’est pas malheureuse. Elle bouge, elle change, elle se cherche, elle fait des allers-retours avec son passé. Et tous ceux qui pensent qu’exalter «l’identité nationale» permettrait de sortir des difficultés sociales et économiques que nous traversons se trompent.

Le contrepoint naturel à cette polique de l'anti-immigration est le fait qu'il y a une augmentation du nombre de citoyens français qui ont choisi de vivre à l'étranger. Christian Lemaître du groupe de réflexion Français-Étranger fait remarquer que le nombre total de citoyens français vivant en dehors de la France est plutôt important et serait supérieur au chiffre officiel donné par le Ministère des Affaires Étrangères : 

En dix ans, la population française établie hors des frontières se serait accrue de 40 % soit une augmentation de 3 à 4 % par an et un total de plus de 2 millions de Français installés à l'étranger. Estimation seulement car l'inscription au registre mondial n'est pas obligatoire. Le think tank francais-etranger.org pense que ce chiffre serait beaucoup plus proche de 3 milions. Pourquoi sont-ils partis ? 65 % des expatriés affirment rechercher une nouvelle expérience professionnelle et près du tiers, une augmentation de revenus. Le désir de découvrir un nouveau pays est évoqué devant les motivations professionnelles ou linguistiques.

En fait, le point de vue sur l'immigration diffère lorsqu'il est celui de citoyens français expatriés. 

En effet, malgré la croyance populaire selon laquelle les citoyens français vivant à l'étranger seraient majoritairement conservateurs, leurs votes se tournent de plus en plus vers la gauche depuis une décennie.  explique :

Depuis 1981, elle a gagné plus de vingt points chez les Français de l'étranger, et l'écart avec son score national y était de moins d'un point en 2007 (46,01% contre 46,94%)  

Joëlle Garriaud-Maylam, un analyste, ajoute :

C’est un public qui est plutôt au centre-droit qu’à droite et pas du tout à l’extrême-droite, plutôt droite humaniste que Droite populaire, et l’écart avec la gauche est de moins en moins important

En outre, l'expérience de vivre à l'étranger semble donner à de nombeux citoyens français une perspective différente. Etoile66, à Toronto, opine :

Ma France pourrait regarder vers ces pays où les habitants parlent plusieurs langues sans aucun problème et circulent à l'aise dans le monde, alors qu'elle a dressé ses habitants à avoir peur de ce qu'ils appellent la “mondialisation”. La peur ressentie par bon nombre de mes compatriotes devant “l'étranger” en général et la “mondialisation” en particulier, ne serait plus s'ils avaient confiance en eux. Celui qui a confiance n'a pas peur de l'autre ni de l'étranger, ni du monde, bien au contraire, il échange dans le respect mutuel.