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#SOSNicaragua : Au moins 25 manifestants et un journaliste tués au Nicaragua, selon les défenseurs des droits humains

mardi 24 avril 2018 à 12:50

Quelques-uns des manifestants tués au Nicaragua, confirmés par le site d'information  indépendant Confidencial. Photo assemblées par Confidencial. Photos Individuelles provenant de divers canaux de médias sociaux.

Au Nicaragua, ce qui avait commencé comme des manifestations contre des réformes de sécurité sociale est devenu une indignation nationale contre la corruption, la censure et la répression généralisée.

En cinq jours à peine de manifestations, le gouvernement s'est lancé dans une répression brutale. Si les sources étatiques indiquent dix tués, les mouvements contestataires et les organismes de défense des droits estiment qu'au moins 25 personnes ont été tuées dans les manifestations, beaucoup plus ont été blessées, et les arrestations et disparitions se comptent par dizaines. Un journaliste et un policier sont au nombre des morts.

De multiples chaînes de télévision ont reçu interdiction de montrer les manifestations. L'accès à Confidencial, un site d'information nicaraguayen indépendant qui évoquait le bilan des manifestants tués, était chancelant peut avant la publication de cet article.

Le 18 avril, le gouvernement, dirigé par le Président Daniel Ortega et la Première Dame Rosario Murillo, qui est aussi la vice-présidente, avait adopté unilatéralement un décret réduisant le montant des pensions de retraite de 5% et imposant des cotisations additionnelles aux employeurs et salariés.

Les retraités et les étudiants réagirent en organisant des manifestations pacifiques pour exprimer leur désapprobation, mais se retrouvèrent face à la police anti-émeutes et aux membres de l'organisation para-étatique de la Jeunesse Sandiniste. C'est là que les choses ont dégénéré. Les affrontements sont devenus violents et des manifestants ont rapporté que les policiers tiraient à balles réelles.

Le vidéo-journaliste Ángel Gahona a été abattu le 21 avril pendant qu'il diffusait une manifestation en temps réel sur Facebook Live.

Le journaliste nicaraguayen Angel Eduardo Gahona a passé les quatre dernières minutes de sa vie à couvrir la manifestation des jeunes et l'arrivée de la police anti-émeutes ce soir à Bluefields. Il transmettait en direct sur Facebook quand il a été tué d'un coup de feu. Voilé sa dernière émission :

D'autres journalistes ont été attaqués et agressés, et leur matériel a été volé. En parallèle, au moins trois chaînes de télévision ont reçu interdiction de couvrir les manifestations.

Dans un pays où la liberté des médias est fugace, la censure n'a pas dissuadé les Nicaraguayens, qui diffusent en direct, tweetent et vloguent sur la crise depuis le terrain.

Les mots-clics comme #SOSNicaragua, #SOSINSS et #QueSeRindaTuMadre sont devenus viraux sur Twitter et Facebook, et des vidéos spontanées sont postées sur Dropbox. A travers le militantisme en ligne, les Nicaraguayens plaident pour un soutien international — tout en demandant particulièrement aux USA de ne pas intervenir.

Manifestants à Managua. Arrêt sur image d'une vidéo d'Euronews.

Les étudiants de premier cycle sont le visage du mouvement, activement soutenus par des Nicaraguayens de tout l'éventail politique, à commencer par leurs parents, les mouvements féministe et rural, les retraités. Voilà pourquoi les manifestants soulignent qu'ils n'ont pas de lien avec un parti politique en particulier, mais qu'ils revendiquent au nom des droits humains et de la démocratie au Nicaragua. Les protestataires se disent “auto-gérés, auto-convoqués”.

Le journaliste Wilfredo Miranda a filmé une manifestation où les présents crient ironiquement “la minorité, c'est ici”, en référence à la certitude de la Vice-Présidente Murillo que la protestation ne représente qu'une minorité de Nicaraguayens.

“La minorité c'est ici”, réponse à Rosario Murillo

Puisque ce sont les étudiants qui font les frais des agressions et meurtres de la police, les civils collectent provisions et médicaments pour eux dans les universités et dans la cathédrale de Managua, car l’Église soutient le soulèvement.

Dans une vidéo postée sur Facebook par Franklin Leonel, on voit des étudiants et des médecins s'occuper des blessés dans les salles de l'université. Sous une image, iI commente :

No son pandilleros!!! #SOSNicaragua masacran a nuestros estudiantes!!!

Ce ne sont pas des voyous !!! #SOSNicaragua ils massacrent nos étudiants !!!

La position officielle du gouvernement a varié dans les déclarations publiques, mais la violence appliquée par l’État paraît se poursuivre.

Le Président Ortega a publiquement ignoré les manifestations pendant trois jours, avant de faire une apparition le 21 avril. La présence militaire s'est ensuite multipliée dans les rues. Il s'est ultérieurement déclaré ouvert à un dialogue avec le secteur privé, qui a accepté l'invitation sous certaines conditions, dont l'invitation d'autres secteurs de la société à la table. Le Président Ortega n'a pas donné suite, mais a annulé sa réforme des retraites le 22 avril.

Mais les manifestations s'étendent désormais au-delà de la cause de la réforme des retraites. Les protestataires réclament la justice pour ceux tués par les tirs des policiers et militaires, et la fin de la corruption publique. Certains appellent à la dissolution totale du gouvernement Ortega.

Sur Facebook, la sympathisante de la contestation Leonor Zúniga a publié une vidéo explicative :

…the people are tired. It’s been 11 years that we’ve been in a very authoritarian [state], where we've been constantly repressed, where state decisions are made in secret, where we’re never taken into account.

[…]

I think that [the social security reform] was the last straw.

…les gens n'en peuvent plus. Cela fait 11 ans que nous sommes dans un [État] très autoritaire, qui nous réprime constamment, où les décisions sont prises dans le secret, où nous ne sommes jamais pris en compte. […] Je pense que [la réforme des retraites] était la goutte de trop.

La réforme des retraites annulée était, comme le dit Zúniga, la goutte de trop s'ajoutant au déclin de la responsabilité gouvernementale, à la situation économique, à la dégradation de l'environnement (avec les récents feux de forêt dans la réserve naturelle d'Indio Maíz) et au naufrage des institutions démocratiques en général.

Le Nicaragua, un pays de six millions d'habitants, a vécu sous le régime autoritaire de Somoza jusqu'à son renversement par la révolution sandiniste en 1979. Dans les années 1980, une guerre civile a fait rage entre le régime sandiniste et les “Contras”, des combattants d'opposition financés et armés par le gouvernement des USA. Daniel Ortega, un ex-guérillero et membre du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) fut élu président en 1985. Il resta en fonction jusqu'à sa défaite dans sa tentative pour se faire réélire en 1990, ce qui mit fin à la guerre civile.

Ortega a été réélu en 2007 et est resté au pouvoir depuis lors. L'exercice de ses fonctions a été marqué par la suppression des limitations du nombre de mandats présidentiels, un musèlement croissant de la presse, un affairisme opaque, et un contrôle direct sur la police, l'armée, et les pouvoirs judiciaire et exécutif.

Vision du handicap au Japon : ce que révèlent les mascottes des Jeux olympiques et paralympiques 2020

mardi 24 avril 2018 à 11:36
Tokyo 2020 Olympic and Paralympic Mascots

Les mascottes olympique et paralympique de Tokyo 2020 – la Mascotte olympique (à gauche) et la Mascotte paralympique (à droite). Capture d’écran de la chaîne Youtube officielle de Tokyo 2020.

[Billet d'origine publié le 17 mars 2018] Le Japon adore les mascottes. La plus connue pourrait bien être Kumanon (くまモン), la mascotte ours de la préfecture de Kumamoto, qui est devenue encore plus populaire après la série de tremblements de terre qui a secoué la région en 2016. De telles mascottes sont utiles, voire cruciales, surtout quand elles « créent » des marques. Elles sont primordiales pour le « Cool Japan » (la culture cool du Japon), le projet de rendre populaire la culture japonaise à l’échelle internationale. Bien sûr, ces mascottes sont aussi très rigolotes et très mignonnes. Personnellement, ma préférée est la mascotte de la chaîne japonaise publique NHK, Domo-kun.

Fin février 2018, le Japon a dévoilé ses mascottes pour les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2020. Elles n’ont pas de noms en particulier, mais sont simplement connues sous les noms de Mascotte olympique et Mascotte paralympique. Pour autant, elles ressemblent à des héros de mangas et d’animes, et sont dotées de super-pouvoirs et de traits de personnalité.

Retrouvez les Mascottes officielles trop mignonnes des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo de 2020.

Vous trouverez ici la description en anglais de la mascotte olympique sur le site Web officiel des Jeux olympiques de Tokyo 2020 :

The Olympic Mascot is a character that embodies both old tradition and new innovation. While cherishing tradition, it is always up to date with the latest news and information. The Mascot has a strong sense of justice and is very athletic. The Mascot also has a special power allowing it to move anywhere instantaneously. The Olympic Mascot was born from a traditional chequered pattern and a futuristic vision of the world.”

La Mascotte olympique est un personnage qui incarne à la fois tradition et innovation. Tout en respectant la tradition, la mascotte reste à la page en termes de nouveauté et d’information. Non seulement elle est à la fois très athlétique et a un vrai sens de la justice, mais elle est également dotée de pouvoirs spéciaux qui lui permettent de se mouvoir n’importe où instantanément. La Mascotte olympique est née d’un modèle traditionnel à carreaux et d’une vision futuriste du monde.

Grâce à sa capacité de se déplacer « partout à tout moment », cette mascotte olympique donne l’impression d’être très cool. C’est un super pouvoir que, moi-même, j’aimerais absolument détenir. Et en rassemblant à la fois la tradition et la nouveauté, cette mascotte représente le meilleur du Japon, une nation qui ne renie pas son passé, mais qui est également tournée vers l’avenir et accueille le futur à bras ouverts.

Toutefois, en tant que personne handicapée, j’étais plutôt curieuse à propos de la Mascotte paralympique pour les Jeux de Tokyo 2020. Elle est décrite comme suit :

The Paralympic Mascot is a cool character with cherry tactile sense [i.e., shaped like a cherry blossom] and a supernatural power. The Mascot is usually calm; however, it gets very powerful when needed. It has a dignified inner strength and a kind heart that loves nature. It can talk with stones and the wind. It can also move things just by looking at them. The Paralympic Mascot was born from a traditional chequered pattern and cherry blossom flowers.

La Mascotte paralympique est un personnage tranquille, avec un « toucher de cerise » [c'est-à-dire qu’elle a la forme d’un cerisier en fleurs] et un pouvoir surnaturel. La Mascotte est d’un naturel calme, mais peut devenir très puissante dès que nécessaire. Elle est emplie d’une digne force intérieure, d’un cœur bienveillant et adore la nature. Elle sait parler aux pierres et au vent. Elle peut aussi déplacer les objets rien que par le regard. La Mascotte paralympique est née à partir d’un modèle à carreaux et d’un cerisier en fleurs.

En tant que personne handicapée, je suis très touchée par les pouvoirs surnaturels et rêverais d’avoir le pouvoir du vent — imaginez tous les typhons que j’aurai pu éviter— et je n’attends qu’une chose : écouter ce que les rochers, les pierres ont à me dire. L’amour de la nature est également un trait typiquement japonais. Ce trait est également renforcé par le « touché de cerise » de la Mascotte paralympique, car il n'y a rien de plus japonais que le sakura, la fleur de cerisier.

Donc, on peut dire que j’aime vraiment la Mascotte paralympique.

Si on lit attentivement la description des traits de son caractère, on remarque qu’à l’inverse de son compagnon, la Mascotte paralympique n’est pas explicitement décrite comme « athlétique ». En tant que personne handicapée, je me demande bien pourquoi et je pourrais en déduire que les paralympiens ne sont pas « athlétiques ». Une autre lecture attentive noterait également que, alors que les mascottes sont censées être asexuées – d’où leur nom générique – la Mascotte olympique est bleue, couleur très souvent associée aux hommes et celle des Jeux paralympiques est rose, couleur associée aux femmes, au Japon comme partout ailleurs. La Mascotte paralympique est aussi dotée de traits stéréotypés féminins comme un « cœur bienveillant ».

Tout ceci n’a pas échappé à Dennis Frost, un maître de conférences au Kalamazoo College dans le Michigan qui a fait une recherche sur les Jeux paralympiques au Japon.

« Ces mascottes semblent avoir une identité sexuelle implicite », m'a dit le professeur au cours d'un échange privé sur Facebook. « Je suis vraiment frappé par la manière dont elles sont décrites. J’ai même vérifié leur description en japonaise pour vérifier qu’il ne s’agissait par d’un problème de mauvaise traduction. Au contraire, les différences sont encore plus frappantes en japonais, la Mascotte olympique étant caractérisée comme forte et active alors que son homologue paralympique est décrite comme presque complètement passive et douce. »

On peut toujours trop vouloir lire entre les lignes et personne n’aime ceux qui voient les choses en noir. Si les versions peluches des mascottes sont vendues comme souvenirs, je devrai absolument acheter la Mascotte paralympique pour aller avec ma Domokun. Mais pour conclure, je crois que je voudrais partager les mots de Grace Ohashi, une ancienne athlète judoka qui est malade et participe fréquemment à l’émission dédiée au handicap, “Barrier-Free Variery” sur la chaîne NHK.

« Quand j’ai lu les explications dans le journal, j’ai pensé : oh quelle vision arriérée des personnes handicapées » raconte Ohashi. « Mais après tout, je me suis dit que peu de gens liraient ces descriptions ! »

‘Chanter l'histoire de notre douleur’ : Les migrants du Tadjikistan se trouvent un refuge dans la musique

lundi 23 avril 2018 à 12:35

Arrêt sur image de Nigina Amonqulova – Yori Musofir (2015). Vidéo musicale chargée sur YouTube le 3 janvier 2016.

[Article d'origine publié le 11 février 2018] Le travail manque au Tadjikistan, alors quitter ses proches pour occuper des emplois subalternes en Russie est presque un rite de passage. La musique pop locale, à son tour, est devenue un support important de réflexion sur les transformations sociales déclenchées par l'exode massif de jeunes hommes de cette république ex-soviétique.

Намехоҳам аз ватан дур, зиндагӣ мекунад маҷбур,

Макун гиря модарҷонам, қисмати мо чӣ талху шӯр.

Аз ошиқам ҷудо кардӣ, дилам пур аз ғамҳо кардӣ,

Маро тани танҳо кардӣ, ба дардҳо мубтало кардӣ,

Оҳ ғарибӣ!

Aucune envie de quitter la partie, mais je le dois,

Ne pleure pas, chère mère, notre sort est implacable.

Je suis séparé de mes amis, et de l'amour,

Mon cœur est plein de tristesse, je suis seul et malade.

Plus de huit millions de personnes vivent au Tadjikistan. On estime que plus de la moitié des hommes en âge de travailler vont s'employer à l'étranger, essentiellement en Russie.

Selon les chiffres de la Banque Mondiale, les envois d'argent des migrants représentent une plus grande proportion de l'économie du Tadjikistan (26,9%) que de toute autre économie dans le monde, si ce n'est celles de son voisin d'Asie centrale le Kirghizstan (30,4%) et du Népal (31,3%).

Les facteurs qui poussent les citoyens hors de ce pays majoritairement musulman sont multiples. C'est la plus pauvre des 15 républiques qui ont obtenu l'indépendance de l'ex-URSS. La corruption y est endémique et les services publics sont en pleine débandade. Pour ceux qui arrivent à trouver du travail, les salaires sont bas et souvent dépassés par l'inflation.

Ҳар куҷо шодаму шодон, ба ёди Ватанам,

Ҳар куҷо ташнаву ношод, ба ёди Ватанам

Partout où je suis joyeux et heureux, je pense au pays natal,

Partout où j'ai soif et suis triste, je pense au pays natal.

Cette vidéo musicale enlevée co-réalisée par l'Organisation internationale pour les migrations et le gouvernement tadjik invite les migrants qui réussissent à l'étranger à contribuer au développement de leur patrie. Le clip inclut des images (à partir de 2'50) de l'inamovible président tadjik Emomali Rakhmon rencontrant des compatriotes à Moscou.

La réalité des vies de la plupart des migrants est loin d'être aussi colorée que le prétend la vidéo ci-dessus. Les conditions de travail en Russie sont souvent mauvaises, et la corruption, le racisme et l'exploitation sont au cœur du quotidien. En moyenne, au moins un travailleur migrant tadjik retourne chaque jour au pays dans un cercueil.

Теппае гӯри бародар, теппае гӯри падар,

Байни он ду теппа бошад ҷойи як гӯри дигар.

Гар бимирам дар ғарибӣ, Тоҷикистонам баред

La tombe du père d'un côté et celle du frère de l'autre,

Y a-t-il de la place pour encore une tombe ?

Trouvez-en ! Si je meurs en gharibi, qu'on emporte mon corps chez moi, au Tadjikistan !

Pour les Tadjiks, un des peuples les plus anciennement installés d'Asie Centrale, il n'y a pas de mots pour décrire le fardeau psychologique de s'arracher à son chez-soi. Le mot tadjik “gharibi” l'exprime, qui représente le mélange de détresse, de solitude, d'humiliation et de faim que l'on ressent dans un lieu inconnu.

Афсӯс, ки дар ин дашту биёбон мурдан,

Дур аз ватану, ҷудо аз хешон мурдан,

Quelle tristesse de mourir dans ce désert,

Loin de chez soi, loin de ceux qu'on aime.

Dire adieu à jamais au pays ?

C'est sans doute la famille laissée derrière soi par les migrants du Tadjikistan à destination de la Russie qui souffre pourtant le plus. Parfois, les hommes partent en Russie avant que leurs femmes accouchent. La seule relation de l'enfant avec son père passera alors par des conversations sur des applis de messagerie.

Pour les épouses, la crainte d'être abandonnées est très réelle. Les migrants prennent parfois une nouvelle femme en Russie, et occasionnellement divorcent de la première par SMS.

Азизи дури ман, ёри ғарибам, зи оғӯши биҳишт сахт бенасибам,

Мабодо, ки фаромӯшам намоӣ, бигирад тахти бахт ҳамроҳ рақибам.

Amour de mon cœur, qui es loin de moi, et me laisses sans l'étreinte du paradis,

Je crains ta mémoire courte, et qu'une rivale puisse s'installer sur le trône de mon bonheur.

Tandis que les artistes de pop professionnels capitalisent sur le thème de la migration pour faire prospérer leur carrière, YouTube regorge aussi de chansons interprétées par les migrants eux-mêmes.

Як-ду сухане ки дар дилум буд, буромадан,

Чӣ азобойе мекашанд берун ай ватан.

Ҳози боша да фикрум, чида да мулки ғарибум,

Чӣ кор мекунум ма ай шумо дур да и макон,

Чиба дар барум нестед ҳози шумо, очаҷон

J'ai quelques mots à dire,

pour chanter le récit de notre douleur,

Pourquoi suis-je ici, dans un lieu étranger, loin de ma mère ?

Un trait commun à de nombreuses chansons est l'appel au retour dans le pays natal.

Муҳоҷирбачаи саргардони тоҷик, Наврӯз мерасад,

Дар базми ватан оё, ҷойи ту холист.

Migrant tadjik qui souffres, Nowruz [l'équinoxe de printemps, marquant le Nouvel An] est là,

Viens le célébrer à la maison, tu nous manques !

Les chiffres semblent montrer que beaucoup de migrants perdent leur optimisme quant à rentrer et construire leur vie au Tadjikistan. En 2017 seulement, environ 30.000 Tadjiks ont obtenu des passeports russes leur permettant de pérenniser leurs déplacements vers le nord.

Une Roumaine au Royaume-Uni : la frontière étroite entre « migrante indésirable » et « collaboratrice bienvenue »

lundi 23 avril 2018 à 09:15

Alexandra Bulat, photo issue de sa page officielle à UCL reproduite avec son accord

Billet d'origine publié le 26 mars 2018. Sauf mention contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais.

Quel est le visage humain du Brexit, le « divorce » du Royaume-Uni avec l'Union Européenne (UE) ? De nombreuses controverses demeurent, de même que le besoin de corriger le dispositif afin d'éviter des souffrances supplémentaires aux millions de personnes empêtrées dans une incertitude administrative ou faisant face à des règles et des règlements injustes et arbitraires.

Selon le journal The Sun, environ 3,6 millions d'Européens résident actuellement au Royaume-Uni, dont près de 600 000 enfants. Parmi eux, les citoyens d'Europe de l'Est ont été spécifiquement identifiés par les partisans du « Leave » (ceux défendant le retrait du Royaume-Uni de l'Union Européenne) comme des migrants « indésirables ». Ils sont souvent étiquetés comme des « profiteurs des allocations sociales, venus ici pour voler les emplois ». Ce sentiment n'est pas nouveau, car ils se sentent déjà comme des citoyens de seconde classe en raison des restrictions à l'emploi mises en place pour les immigrés d'Europe centrale et de l'Est lors de leur entrée dans l'Union Européenne. On peut soutenir que la décision du Royaume-Uni d'ouvrir son marché du travail à ces pays est ce qui a conduit l'électorat à devenir si opposés à l'immigration européenne.

Le photographe Deividas Buivydas a partagé quelques images fascinantes de Boston, dans le Lincolnshire, où les crispations contre les Européens de l'Est sont évidentes et l'angoisse post-Brexit est montante. La ville enregistre le plus haut taux de vote « Leave » en Grande-Bretagne avec 75,6% des votes et a été surnommée « la capitale du Brexit ». Elle accueille également la plus grande proportion d'Européens de l'Est de tout le pays.

L'histoire d’Alexandra Bulat, une jeune étudiante de Roumanie qui a fait carrière au plus haut niveau des institutions universitaires britanniques, offre également un exemple parlant, lorsqu'elle se réfère à la célèbre phrase de la Première ministre du Royaume-Uni Theresa May, prononcée en janvier 2017 :

Je suis une doctorante roumaine, assistante de l'enseignement supérieure et chercheuse. L'un de ceux dont @theresa_may fait l'éloge comme « les plus brillants et les meilleurs » dont « la contribution est la bienvenue ».

Pour les pensées de ce vendredi (#TuesdayThoughts), je veux vous partager mon histoire. Avant d'en arriver là où j'en suis, j'ai été une  « immigrée indésirable » en bien des points.

Mme. Bulat a partagé son histoire dans une série de tweets fortement partagés qui sont résumés ci-dessous.

Mon premier contact avec le Royaume-Uni a été en 1997. Mon père avait obtenu un contrat temporaire du (National Health Service [fr], le Service national de santé britannique) en raison d'une pénurie de personnes qualifiées. Je suis allée à la crèche de l'hôpital pendant 7 mois, mais ma famille a décidé de retourner en Roumanie. Ma mère était sans emploi et les droits au travail de mon père étaient restreints.

Entre-temps, mes parents ont divorcé. J'ai fréquenté une école libre et j'ai sauté plusieurs classes dans les dernières années de mon lycée. J'ai grandi principalement avec des « enfants de la classe ouvrière » en faisant parfois des choses dangereuses. Mais j'ai obtenu la note maximale au Baccalauréat roumain et cela ouvre beaucoup de portes.

Je suis revenue au Royaume-Uni à 18 ans pour étudier. J'ai obtenu l'examen IELTS mais cela n'était pas suffisant pour comprendre ne serait-ce que la moitié de ce que mes collègues britanniques disaient. Aurais-je alors dû « être renvoyée » comme je ne pouvais discuter correctement en anglais pendant mes premiers mois ?

Trois ans plus tard, j'ai obtenu un diplôme avec mention Très Bien du Département de Sociologie de l'Université de Sussex. C'était une période sympa mais difficile. Ma mère était venue chercher du travail lorsque j'étais en deuxième année, et nous partagions un studio à ce moment-là. J'occupais divers emplois à mi-temps. J'ai rencontré mon conjoint britannique.

En 2015, j'ai reçu des propositions de Masters à la fois de l’Université de Cambridge et de celle d'Oxford. J'ai travaillé pendant l'été en tant que stagiaire à Londres pour faire des économies. Nous n'avions pas d'argent de côté et certainement pas assez pour payer les 10 000 £ de frais de scolarité. Aurais-je dû abandonner mes rêves ?

J'ai emprunté de l'argent à la banque pour payer les frais et j'ai accepté le Master en Philosophie (MPhil) proposé par Cambridge. J'avais à peine assez pour couvrir le premier trimestre de mon logement étudiant à l’université et aucune idée de ce que j'allais faire ensuite. Ma mère avait été licenciée et les choses ne s'arrangeaient pas.

À la même époque, l'un de mes collègues fut choqué d'apprendre mon expérience de l'université : « Donc tu n'as fait aucune classe préparatoire aux entretiens d'Oxford et de Cambridge ???  ». Nan ! C'est peut-être pourquoi j'ai échoué à mon entretien pour entrer en licence à Oxford malgré ma réussite à l'épreuve écrite. Oh ! sans compter mon anglais médiocre.

J'ai lu le guide de mon Master en Philo disant que nous ne devrions pas avoir d'activité rémunérée à côté. J'ai pourtant travaillé tout le long de mon Master et j'ai fini avec une note de 72% en tout [environ 15/20 dans le système de notation français]. En parallèle, ma mère a trouvé un travail et les choses sont retournées à la normale à peu près au moment où j'ai été diplômée, après m'être familiarisée pendant un an avec Sainsbury's Basic [une chaîne de supermarchés proposant des produits à bas coût].

Est-ce que ma mère et moi aurions dû être expulsées en raison de nos ressources insuffisantes à ce moment-là ? « Si vous ne faites pas une contribution claire, vous devez rentrer chez vous », affirment certains. La vie n'est pas une case à cocher comme peuvent l'être les catégories d'immigration des formulaires.

En 2016, après un été à travailler en contrat temporaire, j'ai accepté un doctorat intégralement financé à l’Institut des Études Slaves et d'Europe de l'Est de l'University College London (University College London School of Slavonic & East European Studies). C'était la meilleure chose qui pouvait m'arriver. J'étais triste de quitter l'université de Cambridge mais je ne pouvais me permettre de faire un doctorat sans financement. La concurrence est forte en sciences sociales pour obtenir des financements.

Alexandra Bulat. Photo gracieusement fournie et utilisée avec son autorisation.

L'emploi de ma mère a de nouveau fait l'objet d'une restructuration en 2017. Après avoir cherché un emploi pendant quelques mois, elle a décidé de partir en Allemagne. Elle s'inquiétait également des droits des ressortissants européens vivant au Royaume-Uni après le Brexit ((). Ils ne sont toujours pas garantis. Elle travaille désormais en Allemagne ; le Royaume-Uni a perdu un professionnel confirmé.

En 2018, tout se passe bien. Je parle couramment anglais, j'ai un charmant conjoint britannique et je suis à la moitié de mon doctorat. Mais, moi, comme les 3 millions d'Européens au Royaume-Uni () et les Britanniques vivant en Europe (), je suis toujours dans les limbes du Brexit (). Nos droits restreints () ne sont pas protégés en cas d'absence d'accord.

Dans l’esprit de beaucoup de personnes commentant de manière désobligeante sur les messages de , comme par exemple les histoires partagées dans les articles de , nous devrions être renvoyés chez nous, à moins d'être en permanence une machine à payer des impôts. Il est important de réaliser la complexité des histoires des migrants. Selon la logique de ces personnes, ma mère aurait dû être expulsée à chaque fois qu'elle a perdu son travail, et je n'aurais jamais dû être autorisée à entrer avec un faible niveau en anglais et des « ressources insuffisantes ». Toutes ces années, nous n'avons jamais réclamé une seule prestation sociale, pas même une indemnisation de chercheur d'emploi.

À tous ceux qui me disent d'arrêter de critiquer le statut de résident parce que « Tout va bien se passer pour moi, car je suis une doctorante et une immigrante qualifiée », je réponds : non. Je ne fermerai pas la porte derrière moi juste parce que j'ai réussi à devenir une « immigrante désirable ». On a promis les à tous.

Le 1er juin 2016, quelques semaines avant le référendum sur le Brexit [fr], la campagne de l'organisation « Vote Leave » (en faveur de la sortie de l'Union Européenne) a publié une annonce de Michael Gove, Boris Johnson, Priti Patel, and Gisela Stuart affirmant que :

Second, there will be no change for EU citizens already lawfully resident in the UK. These EU citizens will automatically be granted indefinite leave to remain in the UK and will be treated no less favourably than they are at present.

Deuxièmement, il n'y aura aucun changement pour les Européens vivant aujourd'hui légalement au Royaume-Uni. Ces ressortissants de l'UE se verront automatiquement accorder un permis de séjour à durée indéterminée au Royaume-Uni et ne seront pas moins bien traités qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Au mois d'octobre de la même année, David Davis, le ministre du Brexit, a tenté de dédramatiser les inquiétudes des personnes comme la mère de Mme Bulat, en affirmant que « cinq migrants sur six qui sont ici possèdent déjà un permis de séjour à durée indéterminée ou l'auront obtenu d'ici que nous quittions [l'Union Européenne] ». Cependant, le service britannique de vérification des faits FullFact concluait :

This is not fully substantiated by the evidence and will depend on the arrangements we make upon leaving the EU. Whatever happens, EU citizens are not going to be forced to leave en masse.

Cela n'est pas étayé totalement par les preuves et dépendra des dispositions que nous prendrons concernant la sortie de l'Union Européenne. Quoi qu'il advienne, les ressortissants de l'UE ne seront pas contraints de partir en masse.

FullFact pointe également d'autres éléments d'incertitude, qui dépendent de l'issue des négociations entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne [fr] ; ces dernières sont toujours en cours et devraient aboutir d'ici fin mars 2019. Ainsi, le droit de séjour permanent défini dans les lois européennes peut ou non survivre au Brexit et pourrait dépendre de la conformité avec des critères tels que « s'ils travaillent, recherchent un emploi, travaillent à leur compte, étudient ou sont autonomes financièrement… ».

Au contraire, cette attribution automatique de tous les droits existants, promise par le « Vote Leave », reste incertaine que ce soit pour les Européens au Royaume-Uni ou les Britanniques dans l'Union Européenne à 27. Beaucoup de sujets restent flous et font l'objet de négociations tels que la question du regroupement familial et des droits politiques (les immigrés européens ne peuvent voter qu'aux élections locales)…

Une manifestation récente du groupe Highly Skilled Migrants [en français : “les Immigrés Hautement Qualifiés”], disant représenter plus de 600 médecinss, ingénieurs, experts informatiques, enseignants et leurs familles en Grande-Bretagne, a tenté de faire connaître les règles « discriminatoires » du Home Office [le département exécutif du gouvernement britannique chargé des compétences de politiques intérieures]. La « rude politique migratoire » affecte à la fois les immigrés « d'outre-mer » et ceux en provenance des pays de l'Union Européenne. Les dernières données indiquent une grande baisse du nombre d'Européens recherchant un travail au Royaume-Uni en raison des incertitudes liées au Brexit.

Mme. Bulat a conclu son histoire avec le tweet suivant :

Nous avons besoin d'une solution protégeant tous les #CitizensRights, telle que promise par les partisans du « Vote Leave ». On ne s'amuse plus à distinguer entre « mauvais immigré » et « bon immigré ». La vie des gens ne se résume pas à une liste de cases à cocher. Les politiciens devraient écouter plus d'histoires réelles d'immigrés pour comprendre. #peopleb4politics

La Syrie et l'anti-impérialisme des idiots

dimanche 22 avril 2018 à 13:01

À l'heure des barricades : un poster du président syrien suspendu à un point de contrôle en périphérie de Damas, le 14 janvier 2012. (PHOTO: E. Arrott/VOA. Domaine public via Wikimedia Commons)

Pour la troisième fois depuis 2011, le mouvement “anti-guerre” s'est réveillé pour se mobiliser autour de la crise en Syrie. La première, ce fut lorsque le président Obama envisageait de bombarder les capacités militaires du régime (mais ne le fit pas) à la suite d'attaques chimiques dans la Ghouta en 2013, un acte qui franchissait la “ligne rouge”.

La seconde fois, c'est lorsque Donald Trump ordonnait une frappe sur une base militaire désaffectée du régime en réponse à des attaques chimiques à Khan Cheikhoun, en 2017. Et désormais, il y aura ce week-end (NdT : celui du 14 avril). À la suite d'attaques chimiques à Douma qui ont tué au moins 34 personnes, y compris de nombreux enfants, qui s'abritaient dans les sous-sols, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont donc entrepris une action armée à l'ampleur limitée, sous la forme de frappes chirurgicales contre du matériel militaire et des installations d'armes chimiques du régime.

La première chose qui saute aux yeux quant à ces trois mobilisations majeures de la gauche “anti-guerre”, c'est qu'elles n'ont guère pour but de mettre fin à la guerre. Plus d'un demi-million de Syriens sont morts depuis 2011. La vaste majorité des civils tués l'a été par l'utilisation d'armes conventionnelles et pour 94% d'entre eux, l'alliance russo-irano-syrienne en est la responsable. Il n'y a pas eu d'indignation ou de préoccupation exprimée contre ce conflit, issu de la répression brutale du pouvoir contre des manifestants pacifiques et pro-démocratie. Aucun scandale n'éclate quand des bombes-barils, des armes chimiques et du napalm sont largués sur des communautés autogérées démocratiquement, ou prennent pour cible des hôpitaux et des secouristes. Les civils sont facilement remplaçables ; les moyens militaires d'un gouvernement fasciste et génocidaire, eux, ne le sont pas. En fait, le slogan “Hands off Syria” (Bas les pattes de la Syrie) signifierait plutôt “Pas touche à Assad” et en parallèle, une intervention militaire de la Russie trouve fréquemment des soutiens. Ce fut une évidence ce weekend lors d'une manifestation organisée par Stop the War UK [Arrêter la guerre-Royaume Uni], où un certain nombre de drapeaux du régime et de la Russie étaient ainsi honteusement exposés.

Cette gauche anti-guerre présente des tendances profondément autoritaires qui placent les États au cœur de l'analyse politique. La solidarité est ainsi étendue aux pays, qui sont vus comme le moteur principal d'une lutte pour la libération, au détriment des peuples opprimés et défavorisés. Aveugle à la guerre sociale qui se déroule en Syrie, cette gauche voit les Syriens – là où il existent encore – comme les pions d'un jeu d'échecs géopolitique. Ils répètent l'incantation : “Assad est le leader légitime d'un pays souverain”. Assad, qui a hérité d'une dictature par son père et qui n'a jamais organisé, et encore moins gagné, d'élections libres et justes. Assad, dont “l'Armée Syrienne Arabe” ne peut regagner le territoire qu'elle a perdu sans le soutien d'une kyrielle de mercenaires étrangers et l'appui de bombes étrangères et qui combattent, dans l'ensembledes rebelles et des civils syriens.

Combien considèreraient leur propre gouvernement-élu légitime s'il commençait à mener des campagnes massives de viols contre les dissidents ? C'est seulement la totale déshumanisation du peuple syrien qui rend une telle situation possible. C'est une sorte de racisme que de penser les Syriens incapables d'accomplir, ou encore moins de mériter, autre chose de mieux que l'une des dictatures les plus brutales de notre temps.

Pour cette gauche autoritaire, le soutien s'étend au régime d'Assad au nom de “l'anti-impérialisme”. Assad est vu comme un membre de cet “axe de résistance” contre l'Empire américain et le sionisme. Peu importe que son gouvernement ait soutenu la première guerre du Golfe, ou bien participé au programme américain de restitutions illégales où des terroristes présumés ont été torturés en Syrie pour le compte de la CIA. Le fait que ce gouvernement ait probablement le douteux mérite de massacrer plus de Palestiniens que l’État d'Israël est constamment négligé, tout comme il est plus résolu à utiliser ses forces armées pour éliminer la dissidence interne que pour libérer le Golan occupé par Israël.

Cet “anti-impérialisme” des idiots, c'est celui qui assimile l'impérialisme aux actions des seuls États-Unis. Ils ne semblent pas savoir que les USA bombardent la Syrie depuis 2014. Lors de leur campagne pour libérer Raqqa de l'emprise de Daech, toutes les considérations de proportionnalité et les règles internationales de la guerre ont été abandonnées. Plus de 1.000 civils ont été tués et les Nations Unies estiment que 80% de la ville est désormais inhabitable.

Il n'y a pas eu de manifestations organisées par des groupes “anti-guerre” pour protester contre cette intervention ; aucune revendication pour s'assurer que les citoyens et les infrastructures civiles soient protégés. En lieu et place, ils ont adopté le discours de la “Guerre contre le Terrorisme”, autrefois réservé aux néo-conservateurs et désormais promulgué par le régime, il permet d'assimiler toute personne s'opposant à Assad à un terroriste djihadiste. Ils ont fermé les yeux sur le fait qu'Assad remplissait son goulag de milliers de laïques, de pacifistes et de manifestants pro-démocratie, tous destinés à la mort sous les tortures, alors qu'au même moment il faisait sortir des militants islamistes de prison.

De même, les constantes manifestations dans les zones libérées et qui s'opposent aux groupes extrémistes et autoritaires, tels que Daech, al-Nosra et Ahram Al Sham, ont été ignorées. Les Syriens ne sont pas vus comme assez sophistiqués pour détenir un large éventail de points de vue. Les activistes de la société civile, y compris de nombreuses femmes exceptionnelles, les journalistes citoyens, les humanitaires, sont hors sujet. L'ensemble de l'opposition est réduit à ses éléments les plus autoritaires, ou bien perçue comme un simple relais pour les pouvoirs étrangers.

Cette gauche pro-fasciste semble aveugle face à toute forme d'impérialisme qui n'est pas d'origine occidentale. Elle combine politique identitaire avec égoïsme. Les Occidentaux perçoivent tout ce qui se passe à travers le prisme de l'impact que les choses auront sur eux ; seuls les hommes blancs ont le pouvoir d'écrire l'Histoire.

D'après le Pentagone, environ 2.000 soldats américains sont actuellement stationnés en Syrie. Pour la première fois dans l'histoire du pays, les États-Unis ont établi un certain nombre de bases dans la zone septentrionale sous contrôle kurde. Cela devrait inquiéter tous ceux qui soutiennent l'auto-détermination syrienne, mais ce n'est rien comparé aux dizaines de milliers de soldats iraniens et aux milices chiites soutenues par l'Iran qui occupent désormais de vastes étendues du pays, ou encore aux raids aériens meurtriers menés par l'aviation russe en soutien à la dictature fasciste.

La Russie, qui a désormais installé des bases militaires permanentes dans le pays, s'est également vu confier les droits exclusifs sur le gaz et le pétrole syriens en récompense pour son soutien. Noam Chomsky a une fois défendu que l'intervention russe ne pouvait pas être considérée comme impérialiste car la Russie avait été invitée par le régime syrien à bombarder le pays. En suivant cette logique, l'intervention des États-Unis au Vietnam ne relevait pas de l'impérialisme non plus, puisqu'elle répondait à l'invitation du gouvernement sud-vietnamien.

Un certain nombre d'organisations anti-guerre ont justifié leur silence sur l'implication russe et iranienne en soutenant que “l'ennemi principal est chez lui”. Cela les dispense d'entreprendre toute analyse de pouvoir sérieuse afin de déterminer quels sont les réels acteurs qui mènent cette guerre. Pour les Syriens, l'ennemi principal joue bien à domicile : c'est Assad qui s'engage dans ce que les Nations Unies ont qualifié de “crime d'extermination”. Inconscientes de leurs contradictions, beaucoup de ces voix se sont par contre fermement opposées – et à juste titre – à l'offensive actuelle d'Israël à l'encontre des manifestants pacifistes à Gaza.

Bien évidemment, l'une des notions intrinsèques de l'impérialisme c'est de rejeter les voix autochtones. Dans cet esprit, les principales organisations anti-guerre occidentales organisent des conférences sur la Syrie sans inviter d'intervenants syriens.

L'autre mouvement politique majeur ayant soutenu le régime Assad de tout son poids et qui s'est mobilisée contre les frappes françaises, américaines et anglaises en Syrie, c'est l'extrême-droite. Aujourd'hui, on ne distingue pratiquement plus le discours des fascistes de celui de ces “anti-impérialistes de gauche”. Aux États-Unis, le suprématiste blanc Richard Spencer, le podcasteur de l'alt-right (la droite alternative) Mike Enoch et l'activiste anti-immigration Ann Coulter, tous se sont tous opposés aux frappes américaines. Au Royaume-Uni, l'ancien leader du Parti National Britannique (BNP) Nick Griffin et l'islamophobe Katie Hopkins se sont également joints à ces voix.

La gauche alternative et l'alt-right convergent autour d'un même point : la promotion de théories du complot pour absoudre le régime de ses crimes. Elles prétendent ainsi que les attaques chimiques sont des opérations sous faux pavillon, ou que les secouristes sont des membres d'Al-Qaida ce qui fait donc d'eux des cibles légitimes pour des frappes. Ceux qui diffusent de telles histoires ne sont pas sur le terrain en Syrie et ne sont pas capables de vérifier leurs dires. Ils dépendent souvent des médias de propagande russes ou du gouvernement Assad car ils “ne font confiance, ni aux médias classiques”, ni aux Syriens directement touchés.

Parfois, la convergence de ces deux courants apparemment opposés dans la sphère politique se transforme en une véritable collaboration. La coalition ANSWER, qui organise des manifestations aux États-Unis pour protester contre les frappes à l'encontre du régime d'Assad, possède un tel passif. Les deux courants font fréquemment la promotion de récits islamophobes et antisémites. Tous deux possèdent les mêmes sujets de discussion et des mèmes identiques.

Il existe de nombreuses raisons valables de s'opposer à une intervention militaire étrangères en Syrie, qu'elle soit l’œuvre des USA, de la Russie, de l'Iran ou de la Turquie. Aucun de ces États n'agit dans l'intérêt du peuple syrien, de la démocratie ou des droits de l'Homme, mais uniquement pour leur propre intérêt. L'intervention française, américaine et britannique d'aujourd'hui tient moins de la protection des Syriens face aux atrocités de masse que de l'application d'un règlement international qui juge l'utilisation d'armes chimiques inacceptables, de peur qu'un jour ces dernières soient utilisées sur les Occidentaux eux-mêmes.

Plus de bombes étrangères n'apporteront pas la paix et la stabilité. Il y a très peu d'enthousiasme pour destituer Assad, une action qui contribuerait pourtant à mettre un terme au pire des atrocités. Tout en s'opposant à l'intervention extérieure, il faut cependant trouver une solution qui empêcherait les Syriens d'être massacrés. Il est moralement inacceptable, c'est le moins que l'on puisse dire, d'attendre des Syriens de se taire et de mourir sur l'autel du sacro-saint principe “anti-impérialiste”. À maintes reprises, de nombreuses alternatives aux interventions militaires étrangères ont été proposées par les Syriens et elles ont été ignorées.

Ainsi demeure la même question. Quand toutes les options diplomatiques ont échoué, quand un régime génocidaire est protégé du blâme par de puissants soutiens internationaux, quand aucun progrès n'est fait pour arrêter les bombardements quotidiens, mettre fin à l'utilisation des famines comme arme de siège ou relâcher les prisonniers qui sont torturés à une échelle industrielle : que peut-on faire ?

Je n'ai plus de réponse à proposer. Je me suis constamment opposée à toute action militaire étrangère en Syrie ; j'ai soutenu les processus menés par des Syriens pour éliminer de leur pays la tyrannie, ainsi que les processus internationaux fondés sur la protection des civils, les droits humains et la reddition de comptes par tous les auteurs de crimes de guerre. La négociation d'un accord est la seule porte de sortie à ce conflit, mais cette solution apparaît toujours aussi lointaine.

Bachar al-Assad et ses soutiens sont déterminés à contrecarrer tout processus [NdT : de paix], à atteindre une victoire militaire totale et à écraser toute alternative démocratique subsistante. Des centaines de Syriens sont tués chaque semaine dans des conditions les plus inhumaines que l'on puisse imaginer. Les groupuscules extrémistes et leurs idéologies sont en train de proliférer dans ce chaos causé par le régime. Les civils continuent de fuir par milliers pendant que des procédures légales, telle que la Loi Numéro 10, sont mises en place pour s'assurer qu'ils ne retrouvent jamais leurs foyers. Le système international lui-même est en train de s'effondrer sous le poids de sa propre impuissance.

Les mots “Plus Jamais Ça” sonnent creux. Il n'existe aucun mouvement populaire majeur qui milite en faveur des victimes d'Assad. Au contraire, elles sont calomniées, leurs souffrances sont moquées ou niées et leurs voix sont soit exclues des discussions ou bien mises en doute par des personnes lointaines, qui ne connaissent rien à la Syrie, de la révolution ou de la guerre, et qui croient avec arrogance savoir ce qui est le mieux. C'est cette situation désespérée qui pousse de nombreux Syriens à être en faveur d'une action militaire française, américaine et britannique, et en toute connaissance des risques qu'elle suppose, à voir une intervention étrangère comme leur unique espoir.

Une chose est certaine : ce ne sont pas des frappes militaires chirurgicales qui m'empêcheront de dormir, si elles visent des bases militaires du régime ou des usines d'armes chimiques, et pourraient offrir aux Syriens un court répit face au massacre quotidien. De même, je ne verrai jamais comme alliées ces personnes qui préfèrent les grands discours aux réalités vécues, qui soutiennent des régimes violents dans des pays lointains, ou encore qui propagent le racisme, les théories du complot et le déni des atrocités.

Ce texte a originellement été publié sur le blog de Leila.