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En Espagne, la liberté provisoire accordée à la “Meute” ressentie comme une banalisation des abus sexuels

dimanche 1 juillet 2018 à 12:53

‘La Meute’ en liberté sous caution

Manifestation sur le place de la Constitution à Malaga contre la décision judiciaire dans l'affaire de “La Manada”. Photo CANVALCA, reproduite sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International.

Une caution de 6 000 euros est tout ce qui sépare de la liberté les participants de “La Manada (la Meute)”, le groupe protagoniste d'un viol en réunion pendant les fêtes de la Saint Firmin de 2016. L'Audience (tribunal) de Pampelune a décidé, par deux voix contre une, d'accorder la liberté provisoire aux accusés en attendant un jugement sur l'incrimination proposée par la défense des mis en cause.

Les jeunes hommes ─dont le sobriquet provient du groupe Whatsapp sur lequel ils diffusaient leurs “prouesses” sexuelles─ ont passé presque deux ans en détention préventive, et en l'absence de condamnation ferme, c'est la durée limite de privation de liberté, bien que ce délai puisse être prolongé dans la pratique, et toujours si le tribunal en décide ainsi. L'un des deux magistrats qui se sont prononcés en faveur de la remise en liberté de la Meute est le juge Ricardo González, qui a émis un vote particulier polémique en ce qu'il exonère les défendeurs d'un quelconque délit contre le consentement sexuel, et constate dans la vidéo des faits une expression “détendue et distanciée” sur le visage de la victime s'ajoutant à “une désinhibition totale et des actes sexuels explicites tous dans une ambiance festive de bamboche”. L'autre vote en faveur de la décision émane de la seule femme du tribunal, la juge Raquel Fernandino, tandis que le président, José Cobo, était un ferme partisan de la prorogation de l'emprisonnement.

Une affaire riche en polémiques

Après le scandale qu'avait provoqué le verdict en première instance ─considéré comme trop clément par une bonne partie de la société espagnole, puisque les juges avaient vu des indices non de viol, mais d’ “agression sexuelle”─ la liberté provisoire accordée aux membres de la Meute a fait l'effet d'une douche froide. L'audience de Navarre a considéré que la perte de l'anonymat et le faible pouvoir d'achat des violeurs présumés compliquaient leur fuite ou leur récidive, outre l'éloignement de leur lieu de résidence d'avec celui de la victime. La journaliste Laura Duarte traduit sur Twitter :

Les visages des cinq de la Meute sont connus, nous devons donc être sur nos gardes. Autrement dit, faire attention en marchant. Voilà la conclusion qui émane du jugement de l'Audience de Navarre, qui laisse entendre que la perte de l'anonymat évite qu'ils recommencent. Terrible.

L'avocat défenseur du groupe a attribué à “la solidarité entre les familles” le paiement en peu de temps de la caution. Il a aussi critiqué la mobilisation sociale qu'a provoquée cet incident, affirmant que “toutes ces manifestations hystériques montées par un parti sont injustifieés et injustifiables”.

Sur les réseaux sociaux, les avis sont généralement très critiques de la décision judiciaire. Miguel Urbán, eurodéputé Podemos, a twitté :

Le tribunal qui a estimé qu'il n'y a pas eu agression considère maintenant qu'il n'y a pas de risque de fuite ou de récidive. Le mouvement féministe montre qu'il est plusieurs pas en avant de la société ; la justice patriarcale est encore plusieurs kilomètres derrière.

Le scénariste Sergio Santesteban doute de l'impartialité du tribunal :

J'ai perdu le compte. Après la décision des trois magistrats de l'Audience de Navarre, combien de membres a “La Meute” ?

Les dangers d'une banalisation de la violence

Pour beaucoup, les circonstances et le dénouement du jugement ont des conséquences qui dépassent l’affaire. Diverses personnes sont allées sur le réseau social Twitter pour signaler les risques de mésestimer la violence et de l'impact social de laisser la Meute en liberté. Il suffit de se rappeler que parmi les chefs d'accusation, il y a le viol en réunion, le vol du téléphone de la victime et la publication des agissements par une vidéo sur les réseaux sociaux.

De plus, quatre des membres du groupe sont en instance de procès pour une autre agression sexuelle commise peu avant l'incident de Pampelune, dans laquelle ils auraient drogué une jeune fille et abusé d'elle à Pozoblanco (Córdoba), avant de l'abandonner sur l'autoroute.

Tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais maintenant qu'on en a laissé en liberté cinq qui le sont, toutes les femmes se sont transformées en victimes possibles.
Personne ne devrait garder le silence à présent. Le silence, comme on le voit, nous condamne.
Alors crions.

L'Audience de Navarre opte pour la fermeté et oblige les membres de la meute à jurer sur l'enfant Jésus qu'ils se tiendront bien dans la rue.

Les types de la Meute ont été reçus en vainqueurs, les autres garçons veulent les imiter, d'autres encore font des blagues sur les viols. Nous le voyons et sommes conscientes que vous n'êtes pas de nôtre côté mais on oublie que nous sommes chaque jour plus nombreuses.

Pourtant quelques-uns se sont réjouis de la décision judiciaire, comme la rédaction d'Innisfree :

Nous avons attendu longtemps ce jour.
Féminazies, allez vous faire f… ! La Meute est en liberté parce que les contradictions et mensonges de la plaignante répugnent à quiconque a lu le jugement. Ni délit ni abus sexuel, il y aura absolution au Tribunal Suprême.

Ou encore l'utilisateur Juanote, qui dans son commentaire sur El Confidencial recourt à tous les thèmes antiféministes :

Espero que esta sea la primera victoria frente al totalitarismo feminazzi. Espero que sea la primera y no la última. Tengo miedo de la sociedad que quiere imponer el feminazzismo. Están demostrando todas las características que demostró el nazzismo en su ascenso al poder.

J'espère que ceci sera la première victoire contre le totalitarisme féminazi. J'espère que ce sera la première et non la dernière. Une société qui veut imposer le féminazisme me fait peur. Toutes les caractéristiques sont là qu'a montrées le nazisme dans son ascension vers le pouvoir.

A l'inverse, tous les partis politiques ont critiqué la décision du tribunal, même s'ils la respectent et s'y conforment. La porte-parole du PSOE à la commission parlementaire de l'égalité, Ángeles Álvarez, a averti que la décision est cause que la population se sent “ignorée par la justice”, et la ministre de la Justice, Dolores Delgado, s’est engagée à étudier la situation pour “donner une réponse à la société, car elle la réclame”.

A peu de jours du début des fêtes de Saint Firmin 2018 à Pampelune, la décision du tribunal local n'est pas la meilleure publicité pour cet événement populaire.

Les membres de la meute sortent de prison quelques jours avant la Saint Firmin. Je ne veux pas penser à ce que ressentira la victime.
Nous ne sommes pas en sécurité.

Victoire tant attendue, la seule association LGBT d'Angola reçoit une reconnaissance légale

samedi 30 juin 2018 à 23:00

Des sympathisants de l'association Iris Angola. Photo: Iris Angola, utilisation autorisée.

Iris Angola, une des rares associations en Afrique pour les communautés lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) et la seule en Angola, a été agréée par le ministère de la Justice du pays après une attente de cinq ans.

Son enregistrement a été annoncé sur la page Facebook d'Iris Angola le 12 juin 2018, au cours du même mois où l'association célèbre son cinquième anniversaire. Dans certains pays occidentaux, le mois de juin marque également le mois de la fierté pour les personnes de diverses sexualités et identités de genre.

En Angola, où la loi est muette sur l'homosexualité, la communauté LGBT vit dans l'anonymat et subit la discrimination en matière d'accès aux soins et à l'éducation.

Le directeur exécutif d'Iris Angola, Carlos Fernandes, considère que c'est un moment historique pour le pays :

Trata-se de um momento histórico e significa um virar da página para todos os cidadãos homossexuais, que passam a ter uma entidade reconhecida pelo estado, o que dá ainda maior legitimidade às suas intervenções desta organização no quadro do trabalho que desenvolve na defesa e promoção dos direitos LGBT.

C'est un moment historique et cela signifie transformer une page en un nouveau chapitre pour tous les citoyens homosexuels, qui ont maintenant une entité reconnue par l’État, qui confère une plus grande légitimité à cette organisation et un cadre de travail pour développer des interventions de défense et promotion des droits LGBT.

L'information a été également saluée par le directeur exécutif de Human Rights Watch, Ian Levine, qui a partagé le document d'enregistrement :

Bonne nouvelle: “Angola Iris”, groupe LGBT angolais, est reconnu comme une association par le gouvernement angolais.

L'information n'est pas passée inaperçue, recevant éloges et appréciations. Dans les commentaires sous le post d'Iris Angola, Eridson Rudinauro a écrit :

Glória a Deus… Deus no comando… Tens que enviar uma cópia autenticada para nós chefia… Agora estamos legais e podemos falar com propriedades e sem medo de nada, fazer e seguir nossas actividades legalmente, porque passaremos a pagar quota ao estado. Viva.

Gloire à Dieu … Dieu est agit … Vous devez nous envoyer une copie certifiée conforme, patron … Maintenant nous sommes légaux et nous pouvons parler avec les propriétaires sans crainte, nous pouvons mener et continuer nos activités légalement, parce que nous paierons sa quote-part à l’État. Hourra.

Sympathisants d'Iris Angola. Photo: Iris Angola, utilisation autorisée.

Pendant ce temps, au Mozambique, Lambda, la seule association de défense des droits des LGBT du pays, attend depuis plus de dix ans d'être enregistrée auprès du ministère mozambicain de la Justice. En novembre 2017, une décision [fr] du Conseil constitutionnel du Mozambique du pays déclarait qu'une clause utilisée pour refuser l'enregistrement de Lambda était inconstitutionnelle, mais le ministère mozambicain de la Justice persiste à ne pas donner suite à la demande de légalisation.

L'enregistrement d'Iris Angola, en plus de représenter une étape importante dans la reconnaissance des droits des minorités sexuelles et de genre en Angola, pourrait inspirer le Mozambique à faire de même.

La question a été soulevée sur Twitter par le Haut-commissaire du Royaume-Uni au Mozambique, notant qu'un nouveau ministre de la Justice avait été nommé la même semaine:

Peut-être que le nouveau ministre de la Justice du Mozambique va finalement faire ce qui aurait pu être fait au cours de la dernière décennie ?

L'association Lambda elle-même n'a pas manqué de se réjouir de la reconnaissance de son homologue du pays voisin :

Bonnes nouvelles d'Angola! Le gouv enregistre sa première organisation LGBTQ. Pendant ce temps, le gouv du Moz se justifie depuis 10 ans par la “carte culturelle” !

Berta Maria Samuel, une jeune Mozambicaine, s'est réjouie de l'exploit d'Iris Angola dans un commentaire sur la page Facebook de Lambda Mozambique, et a exprimé son souhait qu'une telle action se produise également au Mozambique :

Não sou contra, muito pelo contrário, cada um tem direito de viver como melhor se sente, hoje foi Angola e amanhã Moçambique, Força LGBT. Parabéns Angola. Gostaria mesmo de ter amigos LGBT.

Je ne suis pas contre, au contraire, que tout le monde ait le droit de vivre comme il se sent mieux, aujourd'hui l'Angola et demain le Mozambique, Pouvoir LGBT. Bravo l'Angola ! J'aimerais vraiment avoir des amis LGBT.

La Turquie est entrée dans l'ère de l'homme fort

samedi 30 juin 2018 à 21:02

Recep Tayyip Erdogan. Image du service de presse du Kremlin. Licence pour réutilisation.

En passant le dernier en date des tests de son leadership, le président Recep Tayyip Erdogan vient de prouver une fois de plus pourquoi il est l'homme politique le plus prééminent de la Turquie et son chef le plus dominant depuis Mustafa Kemal Atatürk. C'est simple : il est prêt à tout pour cela.

L'élection présidentielle du 24 juin n'a pas nécessité de second tour, une éventualité qui n'était pas exclue jusqu'au jour du vote. Erdogan a été victorieux du principal candidat d'opposition, Muharrem Ince, avec 52,6 % des voix.

Une marge qui peut paraître modeste comparée aux 86 % engrangés par le président Ilham Aliyev dans l'Azerbaïdjan voisin en début d'année, ou les 75 % obtenus par le leadeur russe Vladimir Poutine en mars. Mais nul en Turquie, qu'il soit pour ou contre Erdogan, n'a le moindre doute que le pays est désormais fermement en territoire de l'homme fort. Le personnage présidentiel surplombe les institutions de l’État.

Cette victoire électorale sous le signe de l'état d'urgence, avec un des candidats de l'opposition faisant campagne depuis sa prison, a resserré l'étreinte sur toutes les branches du gouvernement d'un homme qui a accédé pour la première fois en pouvoir comme premier ministre de la Turquie en 2003.

Ceci à cause d'un référendum entaché de fraude qui a modifié l'an dernier la constitution du pays de manière à favoriser le pouvoir présidentiel. Le oui au référendum est passé de justesse, avec seulement 51,4 % du vote. Une fois de plus, Erdogan, dont la carrière politique est illustrée crûment mais humoristiquement dans la vidéo ci-dessous, en avait fait juste assez.

Diviser pour régner

Le président ne se satisfait pour autant des dimensions de sa victoire. Peu après l'annonce des résultats, il a qualifié les citoyens turcs résidents américains qui ont majoritairement voté contre lui de “gülénistes” — en référence à son ennemi exilé Fethullah Gülen.

Erdogan : “Les gülénistes ont fui en Amérique : quand nous regardons les votes d'Amérique, ils sont pour l'opposition”.

Le 24 juin a aussi apporté une recomposition du parlement. Les partisans d'Erdogan au Parti justice et développement (AKP) détiennent 295 sièges, en-deça de la majorité absolue. Ils peuvent néanmoins compter sur le soutien de leurs alliés du MHP nationaliste, qui a réalisé une forte performance en s'assurant 49 sièges. Ensemble, les deux partis qui se sont alliés dans le sillage du coup d’État militaire avorté il y a deux ans, contrôlent le parlement, avec le MHP indubitablement dans le rôle du partenaire mineur. Un député MHP qui avait laissé entendre que son parti avait “sauvé” Erdogan et l'AKP, et qu'il devrait exploiter sa position a été promptement écarté.

Signe du climat politique devenu toxique en Turquie, le MHP a publié une liste de tous ceux qui l'avaient “mis en doute” pendant sa campagne électorale.

Égal à sa noble réputation, le MHP publie une liste de noms de tous ceux qui ont douté du parti pendant la campagne. Incitation pure et simple.

Que reste-t-il et à quoi s'attendre ?

Selon le rapport de la mission de l'OSCE/ODIHR, les élections se sont déroulées dans un environnement qui a nettement favorisé le parti au pouvoir et le président. Simultanément, s'il y a eu un seul parti clairement désavantagé par ce même environnement, c'est le parti pro-kurde orienté à gauche HDP, qui a pourtant réussi une nouvelle fois à dépasser le seuil des 10 % et à entrer au parlement bien que le co-dirigeant du parti Selahattin Demirtaş ait mené sa campagne depuis la cellule de prison où il attend son procès depuis mai 2016.

Certains disent que le fait même qu'un parti comme le HDP puisse toujours participer aux élections nationales et gagner des sièges atteste qu'il reste encore du chemin à parcourir avant que la Turquie devienne un État autoritaire à part entière. Mais les indicateurs pour l'avenir ne sont pas bons.

Le coup d’État manqué de 2016 qui a donné naissance à l'état d'urgence, auquel l'AKP et le MHP ont annoncé mettre fin ce mois, a déjà fait perdre leur emploi à 107.000 Turcs. Quelque 50.000 personnes emprisonnées attendent leur procès, pour beaucoup sur des charges de conspiration avec l'organisation de l'ombre Gülen accusée d'avoir ourdi le putsch. Des dizaines de journalistes sont actuellement derrière les barreaux dans un pays mis au rang de l’Égypte et de la Chine par les organismes de veille médiatique en ce qui concerne la charge menée contre la presse libre.

Critiqué pour ses méthodes peu respectueuses des droits déjà avant ces événements, Erdogan et l'AKP pouvaient au moins s'enorgueillir d'une vigoureuse croissance économique pendant leur première décennie de pouvoir. Depuis quelques années, ce n'est plus le cas. Quelques semaines avant l'élection, la livre turque s'est mise à plonger et à s'affaiblir face au dollar et à l'euro. Le président Erdogan a promis de poursuivre les interventions de la Banque Centrale. La plupart des observateurs doutent des perspectives de reprise économique.

“Le premier défi est désormais la détérioration de l'économie et il [Erdogan] n'a aucun moyen de défier le cours des événements” : mon analyse dans le NYT. Turquie Élection 2018

Erdogan a obtenu ce dont il a besoin pour le moment. Il sera maintenant au pouvoir au moins jusqu”en 2023, l'année qui marquera le centenaire de la république turque créée sous Atatürk. Pourtant, malgré tout le soutien dont il jouit, la Turquie est plus divisée que jamais.

Comme l'a formulé Elif Safak, la célèbre écrivaine turque, dans un entretien avec le Washington Post :

For a democracy to exist and survive, you need more than the ballot box. You need rule of law, separation of powers, free and diverse media, independent academia, women’s rights, minority rights and freedom of speech. In Turkey, all of these components are damaged or broken after 16 years of the increasingly authoritarian rule of Erdogan’s Justice and Development Party (AKP). How then can we call this a democracy? It is not. Once majoritarianism had been consolidated, it was a very swift fall from there into authoritarianism.

Pour qu'une démocratie existe et survivre, il faut plus que des urnes. Il faut l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté et la diversité des médias, l'indépendance des universités, les droits pour les femmes, les droits pour les minorités et la liberté d'expression. En Turquie, tous ces éléments sont abîmés ou brisés après 16 ans du pouvoir de plus en plus autoritaire du Parti justice et développement (AKP) d'Erdogan. Comment peut-on alors appeler cela une démocratie ? Ce n'en est pas une. Une fois le majoritarisme consolidé, on glisse très vite de là dans l'autoritarisme.

L'activiste et lanceur d'alerte, Naïm Touré, devant les juges au Burkina Faso pour une publication sur Facebook

samedi 30 juin 2018 à 12:03

Capture d’écran d'une vidéo de Naim Traoré expliquant son cas via Droit libre TV sur YouTube

L'activiste et lanceur d'alerte, Naïm Touré, a comparu le 27 juin 2018 devant la chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Ouagadougou, Burkina Faso. A la fin des débats, le procureur de la république a requis un an d'emprisonnement, mais la sentence ne sera connue que le 3 juillet 2018.

Il a été interpellé par la gendarmerie nationale et placé en garde à vue, le jeudi 14 juin 2018, pour s'être indigné sur sa page Facebook du sort d’un gendarme qui,  un mois après avoir été blessé lors d’une opération antiterroriste, était toujours en attente d’une évacuation sanitaire.

Le site ouagalais netafrique.net reprend ainsi les chefs d'inculpation, selon les propos d'un de ses avocats, Me Prosper Farama:

Il lui est reproché trois infractions : la première, il aurait participé à une opération de démoralisation des forces de défenses et de sécurité (FDS) par une publication sur sa page Facebook. La 2e infraction, c’est d’avoir proposé aux FDS de former un complot contre la sûreté de l’Etat. La 3e ; c’est incitation de troubles à l’ordre public

Lors du procès, qui s'est déroulé avec l'assistance d'une dizaine d'avocats, Touré a plaidé non coupable, selon Armand Kinda s'exprimant sur infowakat.net:

Pour l’accusé, son poste en date du 13 juin sur le réseau social facebook n’avait pas pour but de « participer à une entreprise de démoralisation des Forces armées nationales » comme l’estime le procureur du Faso. Selon les explications données par Naïm Touré à la barre, « ce poste a été fait pour informer l’opinion et pour dénoncer l’attitude des autorités (actuelles) qui ont une lenteur administrative », en ce qui concerne le retard constaté dans la procédure d’évacuation du pandore blessé pendant l’opération de démantèlement du réseau de terroristes le 22 mai 2018 à Rayongo où le gendarme François De Salle Ouédraogo y a perdu la vie.

Beaucoup de ses amis sur Facebook, plus de 34 000, et militants pour les droits humains, ont réagi. Der Rodolphe Somd compare ce que l'on écrit sur Facebook à ce qui se dit entre collègues et amis sur la situation de leur pays:

Des zélés en quête de postes de nommination ont induit nos autorités en erreur. Bien au contraire de mettre Naïm en prison, on aurait dû le remercier du fait qu'il desarme consciemment ou inconsciemment toutes entreprises des fds [Forces de sécurité] allant dans ce sens. Bien entendu son poste anticipe voire dejoue tout projet allant dans ce sens en ce qu il éveille un peu plus la vigilence des autorités sur un probable coup de force. Alors libérez ce morpion qui ne constitue aucune menace contre la sureté de l'Etat… Or facebook est un autre cabaret où ce qui s y dit ne devrait pas avoir plus d importance…

En effet, au vu de ce qu'il a écrit et qui a été partagé 525 fois, on a du mal à y déceler les accusations portées contre lui. Le site kelgueka.wordpress.com trouve que de telles accusations devraient provoquer l'hilarité car il faudrait beaucoup plus pour que les militaires entrent en rébellion:

 De telles accusations pour des militaires déjà en rébellion, c’est l’hilarité. Quand aux causes des révoltes ou rébellions dans les armées, au Burkina comme ailleurs, elles sont pareilles pour la majorité des cas. En 2011 , les mutineries avaient été suscitées par l’humaine condition. Blaise Compaore recevant la troupe s’était rendu à l’évidence de la misère de celle-ci. Chez Ouattara en côte d’Ivoire, les révoltes ont eu pour cause essentielle les impayés de soldes.

Récemment au Sahel, les bruits des mécontentements étaient liés à la non tenue d’engagements pris par l’autorité en lien avec les conditions de vie et de travail dans cette mission périlleuse de la lutte anti terroriste. Jusqu’à preuve du contraire, outre la gestion de l’armée et très rarement les manipulations occidentales pour des visées politiques, l’armée ne s’est jamais mise en situation de révolte par le fait de l’opinion publique.

L'arrestation de Naim Touré est survenu à quelques jours de la tenue dans la capitale burkinabé du deuxième sommet de la Ligue africaine des blogueurs et cyber-activistes pour la démocratie (Africtivistes), les 22 et 23 juin 2018.
Dans son allocution d'ouverture, Cheikh Fall, coordonnateur d’Africtivistes après avoir expliqué le choix de Ouagadougou pour abriter le deuxième sommet, 3 ans après la première édition qui avait eu lieu à Dakar, n'a pas manqué d'évoquer le cas de Naim Touré:

Pour lui le choix de Ouagadougou se justifie par le rôle que les activistes ont joué dans les différentes crises socio politiques notamment la résistance au putsch de septembre 2015. Puis il s’est attardé sur la situation difficile que vivent les activistes sur le continent africain. Pour lui, pression, exil, prison vont partie des difficultés auxquelles les activistes africains sont confrontés.

C’est pourquoi il a souhaité que le chef de l’Etat soit le porte-parole auprès de ses pairs. « Cette tribune est pour nous, Monsieur le Président, une occasion pour vous demander au nom de tous les Africtivistes, d’être notre porte-parole auprès de vos pairs pour une clémence pour toutes ces personnes notamment Naim Touré du Burkina Faso » a indiqué le célèbre activiste sénégalais.

Luandino Vieira trouve que ça fait désordre d'arrêter une des icônes burkinabé du cyber activisme, justement au moment où des activistes venus de tout le continent convergeaient vers Ougadougou:

Alors que dans deux jours on va réunir la crème des cyberactivistes africains, avec l’onction du gouvernement burkinabé, ça fait désordre d’arrêter une des icônes du cyberactivisme burkinabè. Naïm, n’a jamais été pris à défaut sur les informations qu’il a livrées. Que lui reproche-t-on donc de dire les choses avec un certain ton. On veut le domestiquer. Or, du peu que je sais de lui, c’est peine perdue. Les autorités burkinabè devraient plutôt le considérer comme un allié et en tant que lanceur d’alerte le protéger au lieu de chercher à le museler. Libérer Naïm Touré !

Il a suscité beaucoup de soutien de la part de la société civile. Safiatou F. LOPEZ ZONGO, Présidente Cadre de concertation national des organisations de la société civile, rappelle que la liberté d'expression est un droit constitutionnel

Je viens d’apprendre l’arrestation du cyber-activiste NAÏM TOURÉ et sincèrement, je suis dépassée, le pouvoir creuse sa tombe chaque jour un peu plus et c’est désolant. La liberté d’expression est un droit Constitutionnel dans notre pays, chers Mogho puissants du moment, libérez le petit NAÏM TOURÉ. C’est tout simplement un abus de pouvoir et tôt ou tard le pouvoir sera entre les mains d’autres personnes et ça risque d’être compliqué pour certains d’entre vous. …

Alors, si consciencieusement vous savez que le peuple est déçu, il n’y a qu’une seule chose à faire, changez votre fusil d’épaule, au lieu de la chasse aux sorcières, travailler à gagner du crédit auprès du peuple qui vous a fait confiance…

Paz Hien se rappelle ce que Naïm Touré lui aurait confié un jour:

Un jour, Naïm Touré m'a dit ceci : “les gens me guettent. Certains mêmes me l'ont dit ouvertement qu'à la première occasion ils vont me mâter. Mais ça ne m'inquiète pas. Plus ils me menacent, plus je suis engagé. Et s'il arrivait que je meurs un jour, svp ne trahissez pas la lutte. Souvent certains pensent que je suis contre eux, et finalement ils se rendent compte que c'est pour eux que je me suis battu car moi je n'y gagne rien directement. Nous avons un devoir d'honnêteté mon frère”.

Ces propos sonnent en moi depuis hier!
LIBEREZ NAÏM TOURE.

C'est la troisième fois que Naim Touré comparait devant les juges pour des publications sur sa page Facebook. En 2016, toujours pour avoir cherché à attirer l'attention des pouvoirs publics sur le cas d'un autre militaire blessé, l’adjudant-chef Moussa Nébié dit Rambo, et en 2017, pour “diffamations et injures publiques” à l'endroit du conseiller du président de l’Assemblée nationale d’alors, Elisée Antoine Zong Naba.

La maltraitance des enfants à Madagascar atteint un niveau alarmant

jeudi 28 juin 2018 à 23:00
Enfants Malgaches par Yves Picq - CC-BY-SA-3.0

Enfants Malgaches par Yves Picq – CC-BY-SA-3.0

[Cet article a été écrit par Andry R. Razafimbahoaka, auteur invité. L'article a ensuite été edité par Global Voices pour ajout de précisions et de contexte]

Depuis sa signature en 1991, Madagascar a multiplié les efforts pour mettre en œuvre la Convention des Droits de l’Enfant. De 2004 à nos jours, le gouvernement a créé plus de 750 réseaux de protection de l’enfant à travers le pays. Malgré des progrès réalisés en matière de protection de l’enfant, la maltraitance, la violence, l’exploitation sexuelle et le travail forcé sont encore une réalité tragique à Madagascar qui se déroule dans le silence des foyers familiaux ou à l’abri des regards publics. Dans un rapport commandité par l’Etat malgache et l’Unicef, on apprend ainsi qu’un jeune sur deux affirme avoir subi des violences en milieu scolaire et que neuf enfants sur dix ont été violentés physiquement au sein de leur famille.

Un rapport de l'Unicef alarmant

A la demande du gouvernement de Madagascar, l’Unicef a réalisé une étude sur les violences perpétrées à l’égard des enfants dans le pays. Le résultat est alarmant :

89% des enfants disent qu’ils ont été violentés physiquement un jour au sein de leur foyer. Et pourtant ils sont 72% à dire qu’ils se sentent en sécurité chez eux.

Plus globalement, le rapport souligne que cette violence est très souvent encrée dans des pratiques coutumières, très difficiles à faire évoluer.

La violence est considérée comme une méthode éducative, que ce soit dans le milieu familial ou à l’école

explique ainsi Rajae Sbihi, une pédopsychiatre qui a participé à l’étude.

Jeunes filles malgaches par Hery Zo Rakotondramana on FlickR - CC BY-SA 2.0

Jeunes filles malgaches par Hery Zo Rakotondramana on FlickR – CC BY-SA 2.0

« Un autre déterminant : le milieu rural. C’est-à-dire qu’un enfant qui vient du milieu rural est plus exposé aux violences », explique la pédopsychiatre. Près de 20 pour cent des enfants ne sont pas enregistrés à la naissance – en particulier dans les régions plus reculées – ce qui augmente leur vulnérabilité. Les pouvoirs publics sont en effet souvent un des seuls recours d’enfants victimes de violences, surtout si celles-ci sont exercées au sein du cercle familial. Ces violences sont susceptibles causer des blessures graves, des traumatismes, des troubles du développement tant physiques qu’émotionnels, des comportements à risque ou encore l’abandon scolaire.

Différents types de violences

Outre les violences physiques, Il existe une variété de situations qui pénalisent le développement des enfants. Ainsi, 40% de jeunes malgaches affirment avoir travaillé avant 18 ans – une réalité qui affecte leurs perspectives, et bien souvent les maintient dans la pauvreté. A ce propos, Lauréat Rasolofoniainarison, Administrateur national de projet au bureau de l’OIT à Antananarivo, souligne que:

les parents disent souvent qu’ils les envoient travailler au lieu d’aller à l’école parce qu’ils sont pauvres. En réalité c’est le fait de faire travailler leurs enfants qui les rend pauvres, en perpétuant un cycle dans lequel l’éducation et la possibilité de s’élever socialement n’ont aucune place.

Les jeunes filles sont encore plus vulnérables à ces violences. Le mariage des mineurs, qui fait partie de la tradition malgache, est un problème, avec plus d’un tiers de filles entre 15 et 19 ans déjà mariées ou en union. Très peu d’adolescentes utilisent des méthodes contraceptives (moins de 8%) ce qui augmente considérablement la proportion de grossesses non consenties. Aussi 30% des mineures de l’île ont eu un enfant selon un classement du World Atlas 2015. Un chiffre qui peut monter à 50% dans certains quartiers de la capitale. Plus alarmant encore, l’exploitation sexuelle des filles à des fins commerciales progresse à Madagascar, tout particulièrement à proximité des sites pétroliers et miniers.

Un nouvel outil pour mieux lutter contre la violence

Avant ce rapport, les besoins et les droits de l’enfant étaient méconnus à Madagascar. Aussi il devrait permettre aux acteurs de la protection de l’enfant de mieux comprendre et donc de mieux prévenir et de mieux répondre à ces situations de risque. Il servira également de premier jalon de la politique nationale visant à remédier à ces violences. Il sert aussi d’argumentaire pour convaincre la population de changer de comportement et d’abandonner des pratiques traditionnelles, parfois très défavorables aux enfants. En outre, l’Unicef a déployé sur l’île 240 travailleurs sociaux bénévoles sur le soutien psychosocial, le dialogue communautaire et la mobilisation sociale.

Enfin, L’Unicef a établi des partenariats afin de développer un code de conduite pour tous leurs employés et sous-traitants des sociétés minières implantés à Madagascar, et mettre un terme à l’exploitation sexuelle des jeunes femmes. Cette approche pratique devrait avoir un impact progressif dans les prochaines années sur leur protection.