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Facebook donne une voix aux disparus du Mexique

samedi 11 février 2017 à 17:20

Au Mexique, on cherche les disparus dans le ciel, en mer et sur la terre, mais aussi à travers des petites annonces sur Internet. Le désespoir ressenti par les familles les oblige à recourir à tous les moyens existants. Étant donné que les réseaux sociaux et autres plateformes numériques sont à la portée de tous, elles n'ont pas hésité à les utiliser pour appuyer leurs recherches.

Beaucoup de familles ont créé des profils, ouvert des pages et des groupes sur les réseaux sociaux dédiés spécialement à la recherche d'un être cher disparu ou séquestré. Le réseau social Facebook est devenu l'un des espaces les plus consultés pour amplifier les recherches, avec l'espoir d'atteindre d'autres personnes dans d'autres villes, d'autres régions et même dans d'autres pays.

Les noms de ces groupes sont parfois crus, comme Desaparecidos y levantados en el estado de Puebla (Disparus et révoltés dans l'État de Puebla), qui a été créé dans le but d'aider à la diffusion massive et la localisation de personnes dans cet État.

Foto tomada de Facebook.

Capture d'écran du groupe “Desaparecidos y levantados en el estado de Puebla” sur Facebook.

Chaque recherche est titanesque, difficile, douloureuse et, comme si cela ne suffisait pas, compliquée et entravée par l'oubli, l'impuissance et parfois par la complicité de certaines autorités avec le crime organisé. Nous allons vous montrer quelques exemples de recherches diffusées actuellement sur Facebook.

Père et fils

Imagen tomada de Facebook.

Capture d'écran de la page “Buscando a Horacio Castillo e Hijo” sur Facebook.

C'est le 14 avril 2014 qu'Horacio Castillo Reyes et Horacio Castillo Herrera – âgés respectivement de 47 et 24 ans – ont été vus pour la dernière fois à Nuevo Laredo, dans leTamaulipas, au Nord du pays. Le lendemain, la famille devait déménager à Mexico, mais les plans ne se sont pas concrétisés car leurs proches ont, en vain, essayé de les contacter par téléphone et par Internet. Lors d'un des appels téléphoniques, un homme a répondu sur le portable du père. Selon les proches : “Il nous a dit avoir trouvé le téléphone. On a rappelé et il nous a alors dit d'arrêter de l'emmerder ou sinon ils nous tueraient aussi”.

Alors que les dossiers prennent la poussière dans les tiroirs des bureaux des institutions chargées de les rechercher, leurs êtres chers s'appliquent à maintenir l'affaire vivante grâce à des publications régulières sur la page Buscando a Horacio Castillo e Hijo (“À la recherche d'Horacio Castillo et de son fils). Dans chaque message, ils demandent aux lecteurs de participer à la recherche en partageant la publication.

Aide-les à rentrer à la maison, ne sois pas indifférent à la douleur ! Eux ne sont pas que deux personnes de plus parmi les milliers de disparus… Ils sont un père, un fils, un frère, un mari, un oncle et un grand-père. Nous continuerons jusqu'à ce que nous les ayons retrouvés.”

Retrouvons Mafer

Imagen tomada de facebook.com/encuentramafer

Capture d'écran de la page “Encuentra a María Fernanda” sur Facebook.

Les proches de Fernanda Azpeitia Amador, disparue le 27 août 2016, ont ouvert la fanpage Encuentra a María Fernanda (Trouve María Fernanda) en l'utilisant comme messagerie pour recevoir des informations qui pourraient aider à retrouver la jeune femme. À travers cet espace, on partage également des informations sur l'avancement des recherches ou liées à l'affaire. Récemment, on a appris l'existence de menaces provenant du crime organisé contre l'institution qui suit l'affaire. Sa mère commente :

J'avais une vie tranquille, contrôlée, tout était en ordre, jusqu'à ce que ne commence ce cauchemar, cette angoisse qui empêche ma vie de continuer. Je dois retrouver ma fille.

María Fernanda a été vue pour la dernière fois alors qu'elle montait dans un taxi en direction de son domicile, après avoir quitté celui de son ex-belle-soeur – qui est considérée comme suspecte de sa disparition, de même que le frère de celle-ci, ex-compagnon de la victime. La jeune femme de 22 ans est attendue par sa petite fille et ses proches. Ces derniers dénoncent l'inefficacité des autorités qui n'avancent pas dans l'enquête. Cinq mois après la disparition de María Fernanda, sa mère écrivait :

Aujourd'hui, cela fait cinq mois que je n'ai pas entendu ta voix. (…) Aujourd'hui, cela fait 5 mois que l'indifférence a fait en sorte que je ne te retrouve pas.

“Ne m'enlevez pas, je suis instituteur”

Daniel Ramos Alfaro a été vu pour la dernière fois le 2 octobre 2013. Ramos est professeur à la campagne, collaborateur du CONAFE (Conseil National de Développement Éducatif) à Uruapan, dans le Michoacán. Sa disparition manu militari a eu lieu quelques mois avant la tragédie des 43 normaliens de Ayotzinapa. Son histoire est racontée dans une vidéo partagée sur la page dédiée à l'affaire. Le jour de la tragédie, Daniel s'est rendu dans la commune rurale de Betania et au village de Nuevo San Martín, dans le Michoacán, afin d'y dispenser des cours d'éducation de base, comme il le faisait depuis 4 ans. Le 2 octobre, il n'est pas arrivé à destination, mais on a pu retracer le parcours qu'il a effectué ce jour-là. La date et le lieu de sa disparition coïncident avec une opération menée par l'armée mexicaine afin d'éradiquer la marijuana dans cette zone.

Captura de pantalla de la página de Facebook "Todos juntos por Daniel Ramos Alfaro".

Capture d'écran de la page Facebook “Todos juntos por Daniel Ramos Alfaro“. (“Tous ensemble pour Daniel Ramos Alfaro”)

“Ma fille, arrête de grandir”

Les différents messages diffusés sur les nombreuses pages Facebook essaient de montrer avec une sincérité totale la douleur des proches, notamment les mères qui, malgré les années qui passent, restent présentes et actives dans les publications sur les pages qu'elles ont ouvertes.

Imagen tomada de Facebook.com/Pormajo

Captura de pantalla de la página Buscando a María José Monroy Enciso en Facebook.

C'est le cas de Buscando a María José Monroy Enciso (“À la recherche de María José Monroy Enciso”), enlevée en 2010 à l'âge de 11 mois dans l'État de Mexico. Le responsable a tenté d'assassiner sa mère, mais celle-ci a survécu. Bien qu'il ait été arrêté, il a gardé le secret concernant le lieu de détention de la petite fille. La mère survivante raconte son histoire en détails sur la page Facebook, dans l'espoir que quelqu'un ait des informations concernant la localisation de son bébé, qui est aujourd'hui une petite fille de 7 ans.

Un bébé de 11 mois, qui prenait des médicaments pour des convulsions, un bébé innocent et dépendant, une petite fille innocente, incapable de comprendre le danger qui l'entoure. Elle a maintenant 7 ans et vit dans une famille qui n'est pas la sienne, sous une fausse identité, un nom acheté avec de l'argent sali par la douleur et l'injustice. Elle est arrivée dans la maison de ses ravisseurs début octobre 2010, ils ont dû la baptiser, modifier son âge en lui donnant peut-être un mois de plus ou un de moins. Elle est née le 14 octobre. Aujourd'hui, elle doit fêter son anniversaire un autre jour…”

Les chiffres officiels signalent qu'au Mexique,27 659 personnes auraient disparu entre 2007 et le 31 décembre 2015, mais l'organisation FUNDEM (Fuerzas Unidas por Nuestros Desaparecidos en México – Forces Unies pour Nos Disparus au Mexique) affirme que le nombre a atteint les 300 000 personnes en 2016.

De son côté, la Fundación Nacional de Investigaciones de Niños Robados y Desaparecidos (Fondation Nationale de Recherches des Enfants Volés et Disparus) souligne qu'entre 2013 et mi 2014, 45 000 mineurs ont disparu, victimes d'enlèvement à des fins d'exploitation sexuelle, d'exploitation par le travail ou pour trafic d'organes.

Pour la communauté LGBT jordanienne, loi et réalité se contredisent

samedi 11 février 2017 à 17:12
SNOW by Ibrahim Owais (Creative Commons)

SNOW d'Ibrahim Owais (Creative Commons)

[Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages web en anglais]

La position de la Jordanie sur les questions relatives à la communauté LGBT est considérée comme une des plus avancée du Moyen-Orient concernant la pénalisation des relations homosexuelles – retirée du Code Pénal jordanien en 1951. Toutefois, cette dépénalisation ne garantit pas la liberté totale des membres de cette communauté des LGBT. L'article six de la Constitution jordanienne protège les citoyens de toute discrimination en raison de l'origine, de la langues ou de la religion, mais ces protections ne visent pas les personnes ayant des identités sexuelles différentes.

C'est dans cette zone grise que se manifeste quotidiennement la vie des personnes LGBT. Nasser*, 23 ans, en Jordanie depuis un an environ, s'identifie comme homosexuel et raconte qu'on lui a demandé de quitter un établissement pour effusion publique. Dans un entretien à Global Voices, il déclare : “Le gérant du bar s'est approché de nous et nous a dit que ce que nous faisions n'est pas permis. Je lui ai dis que je connais la législation et que ce n'est pas illégal en Jordanie. Et il m'a répondu : “C'est peut-être toléré en Jordanie, mais ici ce n'est pas permis” après quoi nous nous sommes sentis mal à l'aise et sommes partis.”

Pour les transsexuels, la situation est encore plus compliquée et dangereuse. L'article 307 du Code Pénal jordanien affirme que : “Tout homme qui se travestit avec des vêtements féminins et entre dans un lieu réservé aux femmes ou à accès limité au moment dit, sera incarcéré pendant moins de six mois”. Dans les faits, néanmoins les transgenres sont aussi harcelés dans les lieux publics.

Farah est un exemple identique : femme trans bousculée et harcelée dans un marché par un groupe d'hommes en voiture qu'elle a ignorés. Ils ont alors insisté et sont descendus de la voiture pour s'approcher d'elle.

“Ils m'ont tiré les cheveux, bousculée et ont essayé de me voler mon sac” a-t-elle dit à Global Voices. “A la fin, l'un d'entre eux a mis ses mains dans mon sac et a volé mon argent avant de s'enfuir”. Un passant qui avait assisté à l'altercation a appelé la police. A leur arrivée sur place, les policiers ont demandé à Farah ses papiers.

“J'étais habillée en femme et je savais que ça aurait attisé des opinions défavorables” avoue-t-elle. “Alors, j'ai leur ai fait croire qu'à cause de problèmes hormonaux, mon apparence était plus féminine que celle de ma pièce d'identité”.

Sceptiques et désorientés, les policiers l'ont embarquée au poste de police où la situation s'est vite retournée en un interrogatoire sur sa tenue vestimentaire au lieu de l'attaque et du vol subi.

Ils m'ont demandé pourquoi j'étais habillée en fille, et ils m'ont traité de mukhanath (homme ressemblant à une femme en arabe) raconte Farah. “Ils m'ont accusé d'actes obscènes dans des lieux publics et de cacher mon identité, bien que je leur ai expliqué que j'étais la personne sur les papiers”.

Après deux jours d'incarcération, elle a été condamnée à six mois de réclusion à domicile pour “sa protection”. Les réclusions à domicile nécessitent quotidiennement un retour au domicile avant 17h et un pointage au poste de police pour attester de sa présence en ville.

“C'est difficile de m'y rendre. Tous les jours, je dois affronter insultes et brimades en me faisant fouiller dès l'entrée : les policiers m'affichent délibérément pour que je me sente mal à l'aise. Je suis la seule à être fouillée dès l'entrée.”

Cette expérience l'a convaincue de quitter la Jordanie pour sa propre sécurité. Elle envisage de déménager en Europe pour finir ses études une fois que sa réclusion à domicile sera expirée. Farah n'a pu les poursuivre depuis son expulsion de l'école supérieure qui a révélé qu'elle était transgenre. Selon un rapport de 2015 sur les droits humains en Jordanie, sous la direction du département d’État américain, les trans font face à de plus en plus de difficultés pour accéder à l'éducation et aux services publics. Etre transgenre peut aussi affecter les perspectives d'emploi, parfois même en ne laissant comme option que l'industrie du sexe pour gagner sa vie.

Des efforts de sensibilisation sur les problèmes de la communauté LGBT ont été réalisés, surtout ces dernières années. En 2015, certains activistes LGBT et la revue pour l'inclusion My.Kali, basée en Jordanie, ont organisé un petit événement dans le centre d'Amman pour la Journée mondiale de lutte contre  l'Homophobie (IDAHO [fr]). A cette occasion, le soutien officieux des membres des différentes ambassades européennes et des États-Unis d'Amérique participant à l’événement a provoqué la condamnation de l'ambassadeur américain par les autorités jordaniennes. L'année suivante, l'IDAHO a tout de même été célébrée à Amman dans un endroit confidentiel.

Hasan, un des peu nombreux activistes des LGBT d'Amman, qui sensibilise et soutient les jeunes LGBT en Jordanie a créé avec certains amis et activistes un groupe de soutien privé qui se réunit tous les mois pour discuter des thèmes de sécurité, HIV, santé mentale, coming-out et questions religieuses.

Hasan avance : “Nous avons commencé avec juste huit membres, mais maintenant nous sommes un réseau d'une centaine de personnes. Les membres peuvent inviter d'autres personnes de confiance en leur garantissant que leur sécurité est notre priorité. Peu d'entre eux peuvent parler librement de ces thèmes comme je le fais et il est important de se rappeler que je travaille avec des personnes ayant contribué significativement à notre communauté”.

L'avenir de la communauté LGBT de Jordanie est incertain, mais comme l'explique Hasan “Enfin, ce n'est plus un thème tabou”. La nomination du prince de Jordanie Zeid Ra'ad Al Hussein au poste de haut commissaire des Nations Unies a permis d'améliorer leurs droits en septembre 2014. Ce dernier a présenté plus de vingt propositions pour les personnes LGBT, dont celle demandant à tous les pays de fournir une protection légale ces couples et à leurs enfants afin de leur garantir une reconnaissance identique à celles des couples hétérosexuels. Évidemment, le prince Zeid l'a plutôt fait pour la communauté internationale que pour la jordanienne, mais les effets de son action restent à voir. S'il y en a dans son pays d'origine, ils auront des répercussions politiques afin de mettre fin aux violences dont souffrent les personnes LGBT.

*Les noms des personnes citées dans cet article ont été modifiés pour protéger leur vie privée.

Des salles de classe sans professeurs dans le Sud du Venezuela

samedi 11 février 2017 à 17:03
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Des enfants indiens rentrent de l'école. Photo prise sur le compte Flick de barloventomagico, sous licence Creative Commons.

Bien qu'ils aiment leur métier, entre 109 et 300 enseignants ont abandonné les salles de classes des écoles et lycées de la Gran Sabana, au Venezuela, afin de se consacrer à des activités leur permettent tout simplement de survivre et de faire vivre leurs familles.

En effet, pendant que certains, indiens principalement, partent pour les mines d'or et de diamant, les autres, créoles – les non-indigènes, deviennent chauffeurs de taxi, se mettent à vendre des produits Tupperware, des hot-dogs, des empanadas ou du carburant.

À cette frontière lointaine entre le Venezuela et le Brésil, l'enseignant le plus qualifié touche un salaire mensuel entre 18 000 et 22 000 bolivars vénézuéliens, le loyer d'un appartement coûtant entre 15 000 et 20 000 bolivars – 20 000, selon une propriétaire, un kilo de farine de maïs 500, selon la patronne d'une boutique, et le trajet minimum dans la zone urbaine où ne circulent que des taxis, 300 bolivars.

La Gran Sabana est le territoire ancestral des Pémons, un peuple autochtone. C'est une ancienne zone administrée par différentes figures de la protection environnementale : le Parc National Canaima, le Monument Naturel des Tepuyes, la Zone Protectrice Sud de l'État du Bolivar et la Réserve Hydraulique de Ikabarú.

Pendant des années, les études de la Corporation Vénézuélienne de Guayana (CVG) et d'Électrification du Caroní (Edelca) ont établi, sans l'ombre d'un doute, que cette zone était propice au tourisme et la génération d'eau pour la production hydroélectrique. Cependant, l'extraction minière se fait de plus en plus sans contrôle.

Nous sommes en novembre 2015. En zone rurale, l'industrie minière prolifère, jusqu'au sein du Parc National Canaima, alors que dans la capitale de Santa Elena de Uairén, grossissent le commerce de tout ce que l'on peut imaginer et la vente domestique de combustible, deux affaires montées à la demande des voisins brésiliens, dont la monnaie, le réal, s'échange contre 175 bolivars vénézuéliens.

On estime que la moitié du gasoil qui sort des stations-service locales, devant lesquelles se forment des files d'attente énormes chaque jour, part vers les mines, où un baril de 200 litres peut coûter jusqu'à 300 000 bolivars, pendant que l'autre moitié part au Brésil. Au Venezuela, un litre de gasoil ne coûte même pas un bolivar. Au Brésil, il coûte presque quatre réales. Au marché noir, les Brésiliens ne le payent deux réales, c'est-à-dire environ 340 bolivars le litre.

Un fonctionnaire du District Scolaire Numéro Quatre, rattaché à la commune de Gran Sabana, a confirmé qu'au cours de l'année scolaire 2014/2015, on a licencié au moins 80 enseignants, même s'il a averti que le chiffre pourrait être supérieur puisqu'il ne comptabilise pas les professionnels ayant quitté leurs salles de classe avant la fin de leur contrat avec le Ministère du Pouvoir Populaire pour l'Éducation (MPPE).

Cette même source a également dit que, pour l'année scolaire 2015/2016, en l'espace de trois mois, ce sont au moins 25 enseignants qui ont abandonné leurs fonctions.

Une autre fonctionnaire a affirmé, sous condition de confidentialité, qu'à la fin de l'année scolaire 2014/2015, 300 enseignants de la commune entière étaient partis, en plus de ceux qui intervenaient dans les régions indigènes et en zone urbaine.

À la fin de l'année scolaire 2014/2015, les directeurs de centres éducatifs, les autorités du District Scolaire et de la Municipalité se sont réunis afin de discuter de cette situation et ont élaboré une lettre à l'adresse du Ministère de l'Éducation, alors dirigé par Héctor Rodríguez, pour exposer ce qu'il se passait et réclamer 109 embauches. En guise de réponse, 83 nouveaux enseignants ont été recrutés en novembre mais les autres problèmes qui ont mené à cette crise restent sans solution.

Dans certains cas, les postes restent vacants. Valdirene Dos Santos  a raconté sur le blog de la Fondation Mujeres del Agua que, dans l'école de la commune de El Paují, les enfants de différentes classes ont été réunis dans une même salle.

À l'École Intégrale Bolivarienne EIB “El Salto”, c'est la moitié des maîtres qui sont partis, certains à la retraite, d'autres pour incompétence, et d'autres pour abandon volontaire de poste. Face à cette situation, des parents d'élèves ont dû gérer les salles de classe. Pendant deux mois, Kámala Manjari a ainsi exercé en tant qu'enseignante du second degré.

Le Pré-Scolaire Gran Sabana, rattaché à l'EIB “El Salto”, a repoussé d'au moins un mois la rentrée des classes pour les enfants du premier degré car une des maîtresses a demandé à partir à la retraite et une autre à cesser son activité pour incapacité. Finalement, le Conseil Communal de Brisas del Uairén et la Municipalité de Gran Sabana ont recruté une enseignante qu'ils rémunèrent à hauteur de 24 000 bolivars.

L'école de la communauté indigène de Las Agallas est fermée jusqu'à nouvel ordre, et celle de Ikabarú, la capitale de la deuxième paroisse de la commune, a commencé les cours avec au moins un mois de retard, lorsque la Zone Scolaire Bolivarienne a réussi à recruter cinq nouveaux maîtres, tous venus d'autres communes avec, apparemment, la promesse de ne pas demander de mutation au cours des huit prochaines années.

A Ikabarú, zone essentiellement minière située à 114 kilomètres de chemin de terre de Santa Elena, un poulet coûte jusqu'à deux grammes d'or, c'est-à-dire 30 000 bolivars vénézuéliens. Pour toucher son salaire, un maître d'école doit voyager jusqu'à la capitale, en payant son trajet dans une vieille voiture 3000 bolivars, et 3000 de plus pour le retour. Tous les paiements des maîtres se font sur des comptes courants de la Banque du Venezuela, dont l'agence et les guichets automatiques se trouvent tous dans la capitale. Les enseignants reçoivent une carte de débit mais les employés de banque locaux ne peuvent autoriser que des retraits de 3000 bolivars maximum par jour.

“Les maîtres qui restent, ceux qui ne renoncent pas, le font parce qu'ils aiment leur métier ou parce qu'ils sont proches de la retraite. Mais en parallèle, ils vendent des produits, des vêtements, de l'essence ou font le taxi”, nous commente la fonctionnaire en secret.

Témoignage d'un couple

Nardy Torres et David Silva sont mariés, parents de deux filles et enseignants. Les deux aiment leur métier, savent que c'est la seule façon d'aider leurs familles et leur communauté. Pourtant, les deux ont démissionné “pour raisons économiques”.

“Parce que nos deux salaires ne suffisaient pas à nous nourrir”, dit David.

Lui a démissionné il y a un an et demi. Il était coordinateur de pastorale de l'Unité Éducative “Fe y Alegría de Manak Krú”, sa charge horaire était de 36 heures hebdomadaires et il gagnait alors 4500 bolivars ainsi qu'un forfait pour son travail de coordination.

“J'allais au marché et à un moment donné, j'y laissais le salaire de deux semaines, une partie de mes économies et le cesta ticket (bonus alimentaire) “.

Il travaille maintenant dans le transport, même s'il nous a expliqué que sa voiture était à l'arrêt à cause de pièces de rechange manquantes. Avec son épouse, il tient un petit magasin dans la maison de la grand-mère de celle-ci, où il vend des emballages plastiques sous un auvent à l'angle de la Troncal 10. “Pour les Brésiliens qui passent par-là.”

J'aimerais continuer à enseigner, car c'est mon métier. J'aimerais que cette situation change et revenir à l'enseignement parce que la situation actuelle du pays ne permet pas à un professeur de vivre de son travail.

Nardy est enseignante dans le pré-scolaire de l'Unité Éducative “Darak Merú”. Elle a démissionné à la fin de la dernière période mais elle continuera à travailler jusqu'en décembre parce que ses supérieurs lui ont dit : “si tu démissionnes, comment vont faire les enfants ?”. Maintenant, elle tient la boutique, vend des glaces et fait des gâteaux.

La version originale de cet article a été publiée sur le blog de Morelia Morillo, Las Crónicas de la Frontera.

Pourquoi un débat si houleux sur le bronzage seins nus en Argentine ?

vendredi 10 février 2017 à 11:13

Zoom sur l'image créée par Pictonline. Publiée avec autorisation et distribuée sur ses réseaux sociaux.

Samedi 28 janvier, trois femmes ont fait scandale en décidant de bronzer “sans le haut” sur la plage de Necochea, une cité balnéaire argentine de la province de Buenos Aires.

Selon les témoignages, quelques touristes installés à proximité, mals à l'aise, s'en sont plaint. Trois policiers se sont alors présentés pour demander à ces femmes de se couvrir les seins. Devant leur refus, un dispositif de sécurité impliquant un effectif de vingt policiers a été déployé pour les expulser de la station balnéaire.

L'affaire a pris des proportions démesurées à cause d'une vidéo virale d'un passant publiée sur les réseaux sociaux :

De nombreuses réactions, actes d'oppositions et débats se sont déchaînés démontrant la sensibilité que révèle ce problème de sexualisation de la poitrine des femmes et de préjugés envers les mouvements féministes nationaux.

Aprèd cette action policière, démesurée selon beaucoup, des utilisateurs de Facebook ont lancé un appel au “tetazo” (coup de sein) massif à l'Obélisque de Buenos Aires. Celui-ci a été imité dans d'autres villes pour protester contre la police et l'humiliation à laquelle ces baigneuses ont été confrontées.

Par la suite, le juge de proximité de Necochea a rejeté la plainte en dénonçant le fait qu'être une femme “sans le haut ne constitue pas un délit”. Le juge du tribunal correctionnel, Mario Juliano, a quant à lui saisi l'opportunité pour demander l'amendement du Code Pénal – considéré comme archaïque depuis les années 1970. Suite à ces nouvelles, de nombreux internautes ont exprimé leur mécontentement.

Débats houleux et échanges contradictoires n'ont pas cessé depuis. Dans le tweet et la publication sur Facebook de Pictoline qui invitent au débat, les commentaires montrent la polarisation et l'agressivité que provoque le mouvement féministe :

Trois femmes expulsées d'une plage argentine parce que topless, et cette question revient : pourquoi est-ce oui pour les hommes et non pour les femmes ?

Par la suite, d'autres tweets et boutades sur l'incident, sa relation à l'égalité des sexes et la violence sexiste ont été publiés :

Lorsque vous pouvez être incarcérée pour avoir fait exactement comme un homme, il n'y a pas d'égalité.

N'oublions pas que les féministes sont contre les concours de beauté mais encouragent le #tetazo [manifestation seins nus en protestation]. Apparemment, ce qui les dérange vraiment ce sont les jolies femmes.

Mes chères, être féministe c'est bien plus que de montrer ses seins. Simone de Beauvoir doit se retourner dans sa tombe.

Ces deux personnes ne sont pas nues. Toutes deux ont le torse nu. Aucune n'a enfreint la loi.

L'animateur de Radio Rivadavia AM690, Oscar Choy, essaie de présenter une perspective plus modérée et conciliante :

[Traduction] Peut-on y réfléchir EN SE RESPECTANT ?

Il ne s'agit pas des seins… ni du topless… mais de l'attitude !

Dans un lieu public… on respecte les normes de société. Ne vous comportez pas comme si vous étiez à la maison… ou dans votre piscine. Depuis longtemps on pousse les limites, les normes en provoquant… changeant… en allant toujours un peu plus loin.

En allant plus loin… on oublie l'Autre. L'AUTRE a son espace… son mode de vie… sa culture… ses croyances.

On provoque tout le temps… avec toutes nos envies. 

Reste à voir le résultat de l'appel du “tetazo” de mardi 7 février 2017. Pendant ce temps, les débats et discussions en ligne sur les droits des femmes et l'égalité des sexes ne cessent d'animer les réseaux sociaux et la rue depuis plus d'une semaine.

Un artiste chilien livre sa vision du VIH : choc, prise de conscience et humanisation

vendredi 10 février 2017 à 09:53
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“Apprendre que j'avais le VIH a été comme sortir du placard une nouvelle fois. Je l'ai ressenti comme ça. C'était comme une deuxième occasion. Cette fois-ci, je n'allais pas faire dans le triste, j'allais en faire un show.” Photographie publiée sous licence Creative Commons 4.0.

L'article qui suit est une réédition de l'entretien mené par Palo Valencia pour le média chilien Pousta et publié à l'origine sur son site internet sous licence Creative Commons 4.0.

“El Sombra est un parasite.” Voilà ce que nous dit José Abarza pour se présenter. Parce que ce n'est pas José qui se trouve face à moi, mais el Sombra, le personnage qu'il a adopté tout en restant humain. José Abarza s'est déjà fait connaître au Chili en tant que membre du groupe de “reaggeton dissident” Marako Intenso, qui prétend faire le tour de l'imaginaire du genre et lui donner de nouvelles images.

Abarza fait une  “performance bizarre”. C'est ainsi qu'il définit ce qu'il fait. Il a commencé à l'époque de Marako Intenso, où ils chantaient des textes racontant des expériences vécues.

Par exemple, la chanson Trava asesina raconte celle d'une travestie qui a rencontré puis tué trois personnes et qui a pour cela purgé une peine de prison de neuf ans. Ou Sexy pasturri, qui parlait de quelqu'un qui lui plaisait mais qui était tombé dans la drogue

Muchas veces te bombardeas de tantas cosas y normalizas tantas situaciones que […] ya no te sorprenden. Pero cuando sales de ahí piensas que es fuerte […]

Souvent, on te bombarde de plein de choses, tu finis par normaliser tant de situations qui […] ne te surprennent même plus. Mais quand tu t'en sors, tu penses que c'est fort […] 

Mais Marako Intenso appartient au passé et Sombra est un artiste indépendant : 

Yo soy loca, soy más bizarra. Yo hablo del sida, de las enfermedades de transmisión sexual, sobre cortarte, que [insultes] a los demás. Ahora hago algo similar a Marako Intenso pero más bonito, más visualmente cuidado. Ya no me grabo yo, hay alguien que lo hace, que me corta y arma las maquetas. Yo puedo pedir lo que quiera, quiero que suene así, o quiero que suenen balazos. Igual antes me tenía que adaptar a lo que había en internet y [eso] me enseñó a trabajar con cero recursos. Pero ahora puedo crear algo con más recursos.

Je suis folle. Bizarre. Je parle du sida, des maladies sexuellement transmissibles, des scarifications, du fait d'insulter les autres. Aujourd'hui, je fais un truc similaire à Marako Intenso, mais en plus beau, plus soigné visuellement. Je ne me filme plus tout seul, j'ai quelqu'un qui le fait et qui fait le montage. Je peux demander ce que je veux : je veux que ça sonne de telle manière, ou qu'on entende des coups de feu. Avant, il fallait que je m'adapte à ce qu'il y avait sur Internet, c'est ce qui m'a appris à travailler avec zéro moyen. Mais maintenant, j'ai davantage de moyens pour créer.

Au mois de mars, Sombra est apparu dans une note du média chilien El Desconcierto pour parler du VIH, pour raconter qu'il était séropositif. Ce qui représenterait un drame sans fin pour beaucoup ne l'est pas autant pour lui :

Salió un día y al otro tenía toda la bandeja de entrada llena de mensajes de ‘estoy contigo’, ‘te apoyo’. Y yo [respondía] ‘no me estoy muriendo, estoy más vivo que nunca’. Lo que menos quiero es que sientan pena o lástima

Un jour, c'est sorti. Le lendemain, j'avais ma boîte de réception pleine de messages : “je suis avec toi”, “je te soutiens”. Je répondais “je ne suis pas en train de mourir, je suis plus vivant que jamais”. Ce que je veux le moins, c'est que les autres ressentent de la honte ou de la peine.

Ils nous veulent morts, [nous les homosexuels]

Sombra est porteur du VIH depuis un peu plus d'un an, mais il a dû passer par une rude phase d'incertitude. Il a passé des mois à se soumettre à une batterie d'examens sans savoir ce qu'il avait. “C'était soit le VIH, soit une leucémie. Je préférais le VIH, pas le cancer”, dit-il. Ensuite, ce fut une série de médecins qui se défilaient avant même de l'avoir examiné. Certains recevaient 17 patients en l'espace d'une heure et demie. D'autres venaient pour examiner leurs patients accompagnés de stagiaires. Actuellement, il n'est pas en état de recevoir le moindre traitement. Il n'aime pas trop le thème de la médication :

Tengo un amigo que toma como ocho pastillas y él no se va a morir de sida, se va a morir de falla hepática de tanta cosa. Si al final nos quieren a todos los [homosexuales] muertos y resulta que somos súper buena inversión. Vivimos solos, [salimos de fiesta] toda la vida, nos compramos ropa cara, no tenemos hijos. ¿Para que nos quieren matar estos empresarios locos?

J'ai un ami qui prend presque huit comprimés et il ne va pas mourir du sida, il va mourir d'une insuffisance hépatique provoquée par tout cela. Finalement, ils nous veulent tous morts,  [nous les homosexuels] mais nous représentons un bon investissement. On vit seul, [on fait la fête] toute notre vie, on achète des vêtements chers, on n'a pas d'enfants. Pourquoi veulent-ils nous tuer, ces entrepreneurs fous ?

Et à propos du diagnostic, Sombra dit :

Enterarme de que tenía VIH fue como salir nuevamente del closet. Yo lo vi así. Esta era mi segunda oportunidad y esta vez no lo voy a hacer triste, lo voy a hacer con show. Si mi mamá se siente mal, obvio que se lo voy a explicar de mejor forma para que no le de pena. Si [tengo sexo] con alguien obvio que le voy a decir, mejor que lo sepa de antes para evitar esa conversación. Porque no todo el mundo es como uno. Mis amigos me dicen [“no me toques”] y yo les digo “me voy a cortar en la noche y se lo voy a pegar a todos”. Es un [fastidio] constante. Pero el poder lo tengo yo. Yo soy un arma mortal.

Apprendre que j'avais le VIH a été comme sortir du placard une nouvelle fois. Je l'ai ressenti comme ça. C'était comme une deuxième occasion. Cette fois-ci, je n'allais pas faire dans le triste, j'allais en faire un show. Si ma maman ne se sent pas à l'aise avec tout cela, évidemment que je vais lui expliquer mieux pour ne pas lui faire de peine. Si j'ai une relation sexuelle avec quelqu'un, évidemment je vais le lui dire. Il vaut mieux qu'il le sache avant afin d'éviter cette conversation. Parce que tout le monde ne réagit pas de la même façon. Mes amis me disent [“ne me touche pas”], et je leur dis “ce soir, je vais m'ouvrir les veines et je vais le refiler à tout le monde”. C'est ennuyeux. Mais le pouvoir, c'est moi qui l'ai. Je suis une arme mortelle.

Selon lui, les groupes de pouvoir se sont emparés du discours du VIH :

Todo lo adornan con lentejuelas. Hubo una marcha el 1 de diciembre para decir “yo tengo VIH”. Patético, salgamos a marchar a decir que tenemos VIH todos. A mí me llegó una invitación y dije ‘uuuh voy a derramar y esparcir sangre para que todos se infecten’, y me dicen ‘oooh es tan serio’. No puedes dar charlas para asustar a la gente. Normalicemeos el VIH ahora, no mañana. Yo no entiendo a la gente que le tiene tanto miedo al VIH. Sí, ya, es una enfermedad crónica. Pero si te la cuidas bien puedes ser más sano que alguien sin VIH. Tengo VIH. Soy persona.

Tout le monde enjolive le sida avec des paillettes. Le 1er décembre, il y a eu une marche pour dire “J'ai le sida.” Pathétique. Sortons tous pour dire que nous avons le VIH ! J'ai reçu une invitation et j'ai dit “holà ! Je vais répandre mon sang pour qu'ils soient tous infectés”. On me répond : “Oh, mais c'est sérieux !” Tu ne peux pas donner de conférences pour faire peur aux gens. Normalisons le VIH dès maintenant, n'attendons pas demain. Je ne comprends pas les gens qui ont peur du VIH. Bon, d'accord, c'est une maladie chronique. Mais si tu la soignes bien, tu peux être en meilleure santé que quelqu'un qui n'est pas atteint du VIH. J'ai le VIH. Et je suis une personne à part entière.