PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Paroles d'enfants birmans sniffeurs de colle

dimanche 14 juillet 2013 à 21:28

La toxicomanie à la colle bon marché est un problème qui s'aggrave parmi les enfants pauvres de Birmanie (Myanmar). Yin Yin Hnoung, une étudiante en médecine de l'Université médicale de Mandalay, a interviewé quelques-uns de ces enfants et analysé [birman] les causes et effets de cette addiction particulière.

Elle commence par décrire comment elle a vu des enfants inhaler de la colle à la pagode Mahar Myat Mu Ni, un célèbre lieu touristique de Mandalay :

Un groupe d'enfants jouait à l'ombre à la Pagode Maha Muni, à Mandalay. (Ils ont) entre 5 et 15 ans. [...] Leur travail quotidien est de mendier auprès des pèlerins et visiteurs, de recevoir tout ce qu'on peut leur donner à manger, et de collecter les récipients en plastique usagés. [...] En examinant le groupe d'enfants qui courent de-ci de-là, on en trouverait certains en train de dormir ou de somnoler. C'était une boîte de la marque “TV” connue comme “la colle TV”. Ils somnolaient en inhalant (la colle) de cette boîte. Il y a une centaine d'enfants qui se servent de cette boîte de colle à la forte odeur d'essence comme d'une drogue, et ils restent autour de la pagode Maha Muni.

Elle a approché quelques enfants et a mené un entretien amical. Un garçon de 14 ans enlaçant son frère de 4 ans a décrit son milieu familial :

A glue can used to sniff by children. Photo from Yin Yin Hnoung's Facebook

Des enfants démunis de Birmanie inhalent cette colle en boîte. Photo de la page Facebook de Yin Yin Hnoung

Il y a environ trois ans que je suis là, ma soeur. J'ai 14 ans. Je suis allé à l'école jusqu'à Ia fin du primaire. Mon papa est déjà mort. Ma maman vient d'accoucher il y a une dizaine de jours. Mon beau-père est charpentier à Tampawati [note de l'auteur : une commune de l'agglomération de Mandalay]. Il ne nous donne rien à manger et nous devons donc aller mendier.

Il a ensuite parlé de ses raisons d'inhaler de la colle :

Nous avons une dette de 30.000 kyats (37 dollars US) que nous avons empruntés quand maman a accouché. Et comme nous n'avons pas assez (pour rembourser), j'inhale de la colle pour ne pas y penser. Nous gagnons entre 1.000 et 1.500 kyats (1,25 à 1,8 dollars). Une boîte de colle coûte 400 kyats (0,5 dollars). On peut en acheter dans les quincailleries près de la pagode. Une boîte dure à peu près une semaine. Ce n'est pas que je veuille inhaler, ma soeur. Mais en achetant une boîte, je peux rester une journée entière sans manger. Et toutes mes colères s'en vont aussi. Je n'ai même pas mal si on me tape pendant une bagarre. Je me sens bien quand je l'inhale. Voilà pourquoi je m'y suis mis.

Le gamin qu'elle a interviewé a parlé des adolescents qui commettent des délits sous l'emprise de la colle :

Ces gars font effraction la nuit dans des kiosques de bétel et revendent tout ce qu'ils arrivent à attraper. Ils n'hésitent pas à se battre, aussi. [...] Parfois, ils viennent me voler ma boîte de colle.

Un garçon de 15 ans a aussi raconté son histoire :

J'ai été à l'école Gaw Mashin (Vision du monde dans leur usage). Je dois y étudier. J'y ai de quoi manger. Mais je ne suis pas content. Comment le serais-je ? Je ne peux pas y vivre, il n'y a pas de colle. C'est pourquoi je me suis enfui.

Elle a aussi conversé avec une jeune femme habitant non loin :

Je réprimande d'habitude ces enfants comme s'ils étaient les miens ou mes frères et soeurs. Ils ne m'aiment pas car je leur enlève les boîtes de colle et les jette.[...] Je vis avec mon mari et un enfant. [...] Mon mari lui-même inhalait de la colle mais je l'ai obligé à arrêter. Mon fils a maintenant deux ans. Comme il sniffait de la colle en portant notre fils, le bébé avait la poitrine congestionnée. Il a arrêté pour ne pas nuire à notre fils.

La jeune mère pense que c'est un ramasseur d'ordures à la gare de chemin de fer de Mandalay qui a appris aux enfants à inhaler de la colle. On voit aussi des filles le faire dans la zone. Les gardiens de la pagode bastonnent les enfants qu'ils surprennent.

Yin Yin Hnoung conclut son article par des recommandations pour venir en aide à ces jeunes :

Avec la pauvreté, les enfants doivent mendier pour rapporter à leurs familles, alors qu'ils devraient aller à l'école. Ils sont sous-alimentés à cause de repas insuffisants. Lorsqu'ils ne peuvent pas gagner assez (pour vivre), ils inhalent de la colle parce qu'ils sont insatisfaits. Ce qu'ils gagnent est dépensé en colle. Puis ils mendient à nouveau. L'argent donné par les visiteurs compatissants est dépensé en colle. S'ils sont bastonnés pour sniffer (de la colle), ils sniffent de plus belle pour oublier la douleur. Cet enchaînement les rend dépendants.

Elle exhorte les autorités à s'emparer elles aussi du problème :

Un lieu historique comme la pagode Mahamuni, susceptible d'attirer de nombreux touristes, est enlaidi par [la présence] de centaines d'enfants inhalant de la colle. Des capacités humaines futures sont compromises. [...] Voilà pourquoi j'écris et exhorte les autorités publiques, les associations de protection maternelle et infantile et les ONG à contrôler efficacement l'inhalation de colle et à reprendre l'éducation de ces enfants.

“Sans violence” : Démilitariser la police au Brésil ?

dimanche 14 juillet 2013 à 15:27

Ce billet fait partie du dossier de Global Voices sur la “Révolte du vinaigre

(Sauf mention contraire, liens en portugais) Réaction aux violences flagrantes de policiers contre des journalistes et des civils [fr] pendant les manifestations du mois dernier au Brésil, “Non à la violence” est devenu le cri de ralliement de la contestation.

Ce débat sur la démilitarisation de la police militaire dans le pays n'est pas nouveau. Héritage de l'époque de la dictature (1964 à 1985) la police militaire est apparue comme une solutions possibles après la disparition des forces publiques représentées par la garde civile (Guarda Civil). Après le coup d'Etat de 1964, le nouveau pouvoir a abandonné l'idée de création d'une police civile et mis en place un modèle militaire. Aujourd'hui presque tout le travail d'une police urbaine au Brésil est réalisé par la Police Militaire sous les ordres du gouverneur de chaque État. C'est un cas unique au monde d'intervention d'une police militaire en dehors de ses casernes.

Foto de Calé Merege no Facebook (usada com permissão).

Photo de Calé Merege sur Facebook (usage atorisé).

Les récentes manifestations ont relancé le débat à ce sujet. Le 1er juillet 2013, une réunion publique organisée dans le cadre du Musée des arts de Sao Paulo (MASP) par le groupe Ocupa Sampa, a abordé ce problème affronté dans les rues par les manifestants brésiliens. Túlio Vianna, professeur de droit pénal à l'Université Fédérale du Minas Gerais (UFMG), présent au titre d'intervenant invité, a développé l'idée que l'entraînement militaire est ce qui provoque des actions excessivement violentes de la part des policiers. Pour Vianna :

Un policier n'est pas là pour anéantir un ennemi. Le citoyen qui marche dans la rue, qui manifeste, ou même celui qui commet un crime, n'est pas un ennemi. C'est un citoyen qui a des droits et des devoirs et ceux-ci doivent être respectés.

En comparant la situation brésilienne avec celle des autres polices du monde, le professeur souligne, de plus que :

Lorsqu'une société opte pour une police militaire où ses propres membres subissent parfois des violences, lorsque que cette société opte pour une police qui exécute les ordres sans réfléchir, comment peut-elle obtenir que les droits d'un suspect ne soient pas bafoués ?

Protesto na Avenida Paulista - SP - 20/06/13

Une banderole lors des manifestations sur l'avenue Paulista le 10 juillet à Sao Paulo, rappelle les massacres de Carandiru à Sao Paulo et de Candelaria à Rio de Janeiro perpétrés par des commandos de la Police Militaire des ces Etats. Photo: Caio Castor/Facebook

Le casse-tête des mouvements sociaux

La “Révolte de Catraca”, à Santa Catarina, en 2005, a été la première grande manifestation liée à la question des transports publics à retentissement national. Elle a été suivi de plaintes de manifestants blessés ou arrêtés au milieu d'un groupe pacifique comme le montre cette vidéo partagée par Vinícius (Moscão)

A la périphérie de ces événements, “là où les balles ne sont plus en caoutchouc”, les homicides et actions violentes des agents de l'Etat bien que n'attirant pas l'attention des médias tous les jours, illustrent les problèmes liés à la militarisation de la police. C'est ce que souligne ”Justiça Global Brasil”, dans un article publié le 24 juin 2013.

Manifestations de ce type couvertes par Global Voices : la libération du rectorat de l'Université de São Paulo (USP), en 2011, après des manifestations étudiantes contre l'augmentation de la présence de la police militaire sur le campus ; la libération du Pinheirinho [fr], dans la ville de São José dos Campos, à São Paulo, avec plus de 6000 personnes expulsées de leurs maisons ; et la confrontation avec des manifestants qui protestaient contre la privatisation des espaces publics, à cause des travaux prévus pour la coupe du monde à Porto Alegre.

Mise en cause du système

Avec la quatrième plus grande population carcérale du monde et un développement des services privés de sécurité, il devient de plus en plus évident que le système ne fonctionne pas.

Des organismes comme Amnesty International, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, ou le Département d'Etat des Etats-Unis, se sont déjà exprimés en 2012 en demandant au Brésil d'en finir avec les groupes d'extrémistes dans certaines corporations et de mettre en place un processus de démilitarisation totale de la police.

Outre le fait de montrer un visage violent de la police militaire, les manifestations récentes révèle aussi qu'à l'intérieur de la “corporation” il y a des voix discordantes.

Après les premiers jours de manifestations à Sao Paulo, en juin, un militaire, ne se conformant pas aux ordres reçus a remplacé le gaz poivré par de l'eau. Ce soldat, Ronaldo, a ensuite utilisé les réseaux sociaux pour se justifier, son post a été partagé avec plus de 3000 internautes. Renvoyé peu de temps après, il déclare :

Le “gaz poivré est un agent agressif violent utilisé sans nécessité dans la pluspart des cas, notre corporation ne peut fermer les yeux sur cela. Et, de plus, ces manifestations sont pacifiques et totalement légitimes.

L'importance de cette prise de conscience est croissante dans les professions concernées. Parmi les 40 résolutions approuvées dans le cadre de la Première conférence nationale de sécurité publique [pdf], réunie à Brasilia en 2009, deux insistaient sur la nécessité d'une démilitarisation. Dans une enquête diffusée par le Secrétariat National de la sécurité publique (SENASP), sur 64.000 agents de sécurité interrogés, 40.000 soutiennent cette orientation. Au niveau des policiers militaires l'adhésion est encore plus importante atteignant 77%.

#PEC102

Une proposition d'amendement à la constitution qui autoriserait les Etats à démilitariser et unifier leur police militaire est en cours de traitement au Sénat. Cette PEC 102, rédigée par le sénateur Blairo Maggi, a été utilisée comme un bannière par les policiers eux même lors des grèves développées dans tout le pays au début de 2012. Cette proposition donnerait aux policiers le droit de faire grève et de se syndiquer, ce qui est aujourd'hui interdit par la constitution car ils sont soumis à un code de conduite et de discipline militaire.

Foto de manifestantes carregando a faixa sobre a PEC 102, no Maranhão.

Photo de manifestants brandissant la banderole sur la  PEC 102, Au Maranhão (3 juin 2013). Photo: Blog do Caxorrao / Facebook.

Sur Twitter, des internautes soutiennent cette proposition sous le mot-clic #PEC102. @willcjc a écrit :

@willcjc: Démilitariser et unifier les polices sera se débarrasser des structures répressives mises en place par la dictature,oui à la  ‪#PEC102!

Cette proposition ne fait toutefois pas l'unanimité. Pour l’Association nationale des procureurs de la République [pdf], elle est  ”inconstitutionnelle“ car elle s'oppose à des principes fondamentaux comme la séparation des pouvoirs et la forme fédérative de l'État. Cette association conteste la création prévue dans la PEC d'un Conseil National de Sécurité et déclare :

(..) La police n'a pas une autonomie fonctionnelle, elle ne peut être façonnée par un “Conseil”. Soutenir la création d'une police indépendante c'est aller contre le principe de séparation des pouvoirs.

Le débat n'en est de toute évidence qu'à son début. C'est ce qu'a déclaré Antônio Carlos, président du Groupe de défense des droits de l'homme Rio de Paz, lors d'un entretien avec le Jornal do Brasil :

Nous sommes en train de vivre un moment historique, et il faut en profiter pour notre lutte . Le pays a besoin de ce changement mais du fait d'un esprit corporatiste il n'y a pas encore d'avancée significative.

La Serbie veut sauver le doyen des chênes

dimanche 14 juillet 2013 à 14:55

Tous les liens renvoient à des références en serbe, sauf indication contraire.

A l'instar de la décision visant à éliminer le parc Gezi d'Istanbul qui a déclenché un soulèvement populaire [fr] en Turquie au cours des dernières semaines, les Serbes ont été confrontés à un combat similaire. Un projet de construction d'une autoroute devait détruire un chêne vieux de 600 ans dans le centre de la Serbie, mais après plusieurs jours de manifestations, l'administration semble avoir cédé à la pression et a modifié le tracé afin de sauver le chêne.

À la fin de juin 2013, selon les informations, le gouvernement avait obtenu un prêt de 340 millions d'euros et 700 autres étaient en vue pour la construction du Corridor 11, une partie stratégiquement importante attendue depuis longtemps de l'autoroute traversant la Serbie centrale.

Mais les Serbes ont vite appris que l'autoroute passerait sur l'emplacement d'un chêne vieux de 600 ans dans le village de Savinac, près de Gornji Milanovac. Les réactions contre ce projet ont été immédiates : indignation sur les réseaux sociaux et manifestations à Savinac et en ligne.

En plus de la splendeur nationale et de l'intérêt historique de cet arbre, il y a aussi une superstition chez les Serbes selon laquelle couper un chêne apporterait une tragédie, voire la mort. Les personnes âgées de la campagne serbe diront qu'il ne faut pas plaisanter avec les chênes, très respectés dans ces régions. Si les gouvernants et les responsables de la construction de l'autoroute avaient su que ce chêne particulier se trouvait sur le tracé du Corridor 11, ils auraient peut-être trouvé une autre solution, mais selon le ministre de l'Urbanisme et de la construction Velimir Ilic, “on n'avait pas attiré leur attention” à temps.

Les réseaux sociaux en Serbie ont vite été en ébullition avec des centaines de messages de protestation de citoyens sous le mot-clic #hrast (#chêne) à la fois sur Twitter et Facebook.

"In hrast [chêne] we trust" est devenu un appel populaire lancé par beaucoup d'internautes pour une  manifestation à Savinac et partagé sur les réseaux sociaux. Photo courtoisie de l'Institut pour les collectivités durables - page Facebook .Serbie

“In hrast [chêne] we trust” est devenu un appel populaire lancé par beaucoup d'internautes dans une manifestation à Savinac et partagé sur les réseaux sociaux. Photo courtoisie de l'Institut pour les collectivités durables – page Facebook Serbie

Le Ministre Ilić n'a pas tardé à réagir à la levée de boucliers amorcée sur les réseaux sociaux avant de se répandre dans les grands médias de la Serbie. Il a déclaré qu'il allait trouver une solution pour faire déplacer le vieil arbre massif, 600 ans, 40 mètres de hauteur et 7,5 mètres de diamètre, vers un autre emplacement. Le tabloïd en ligne Telegraf était parmi ceux qui ont contesté cette solution et interrogé des spécialistes :

Da bi se taj hrast, te veličine bezbedno iskopao, to zahteva veliki posao, veliki broj radnika i veliki prostor, odgovarajuću mehanizaciju. Teorijski je moguće, ali niko nema to iskustvo, te verujem da bi iskopavanje hrasta bio i njegov kraj. To je sve besmisleno. U zemljama koje drže do sebe takvo drvo bi se “uklopilo” u ambijent – kaže botaničarka Vasić.

Déplacer un  chêne de cette taille, en toute sécurité, nécessite beaucoup de travail, de nombreux ouvriers et un grand espace, avec un équipement adéquat. Théoriquement, c'est possible, mais personne n'a cette expérience, donc je crois qu'un déplacement du chêne serait sa fin. C'est un non-sens. Dans les pays qui se respectent, un arbre comme celui-ci serait “inclus” dans l'aménagement du territoire – dit le botaniste [Olja] Vasić.

Alors que le ministre et d'autres responsables gouvernementaux cherchaient différentes solutions, des manifestations étaient organisées autour de l'arbre à Savinac. Dans les derniers jours de juin, des habitants ont commencé à se rassembler autour de l'arbre pour le sauver, rejoints et dirigés par des personnalités comme le poète serbe Dobrica Erić, originaire de la région, et des associations telles que les “Verts de Serbie”, dans une manifestation baptisée “Le chêne ne doit pas tomber”.

Des  militants "Verts de Serbie" se rassemblent autour du chêne vieux 600 ans à Savinac. Avec l'aimable autorisation de l'Institut photo pour les collectivités durables - page Facebook Serbie

Des militants “Verts de Serbie” se rassemblent autour du chêne vieux de 600 ans à Savinac. Avec l'aimable autorisation de l'Institut pour les collectivités durables – page Facebook Serbie

Les manifestations ont duré jusqu'au premier week-end de juillet 2013. Des réunions ont eu lieu au Ministère de l'Urbanisme et de la construction ainsi qu'au cabinet du Premier ministre, Ivica Dačić, après quoi le ministre Ilić a déclaré publiquement le 9 Juillet que le chêne serait préservé. Le tabloïd Kurir rapporte :

“Asfalt će biti potpuno odvojen jednim betonskim armiranim nosačem, tako da asfalt ne ošteti žile, a ni žile asfalt. Na taj način će se izbeći moguća oštecenja auto-puta”, rekao je Ilić.

“L'asphalte sera entièrement séparé par une poutre en béton armé, de sorte que l'asphalte ne puisse pas endommager les racines, ni les racines l'asphalte. De cette façon, d'éventuels dégâts à la route seront évités”, a déclaré Ilic.

Tant l'autoroute que le chêne, qui dépasse de plusieurs siècles ceux de nombreux pays, sont d'une grande importance pour la Serbie. Alors que la route promet une solution logistique indispensable à une région de Serbie qui abonde en entreprises agricoles et industrielles, les Serbes ont montré qu'ils ne sont pas prêts à un sacrifice de cette ampleur.

Le blogueur Zoran Sokić, parlant du chêne qui a secoué la Serbie, raconte son enfance dans les forêts montagneuses du centre du pays, et souligne l'importance de trois arbres qui l'ont marqué depuis l'enfance l'âge avant de conclure :

Mogu samo da kažem da će se u mom kraju slaviti čovek koji tu dovede auto – put i pominjaće ga na slavama i okupljanjima u lokalnim kafanama, nakon branja malina, bar deset narednih vekova. Stara je lokalna priča, verovatno koliko i taj hrast u Savincima, da smo pravo slepo crevo, da komunisti nisu dali da tuda prodje pruga jer je četnički kraj, da će se sva omladina odseliti ako ne dodje put … Slažem se. Ali sa druge strane, ne bih dao ni jedno od ova svoja tri drveta ni za tri auto puta ili tri pruge.

Je peux seulement dire que, dans ma ville natale, l'homme qui construit une route sera célébré et mentionné dans les slavas [célébration du saint de la famille chez les chrétiens orthodoxes serbes] et les dans les cafés locaux après la cueillette de framboises, pendant au moins les dix prochains siècles. Les histoires locales sont probablement aussi anciennes que le chêne à Savinac, que nous sommes dans une impasse, que les communistes n'avaient pas permis aux chemins de fer de passer ici parce que c'était une zone de Tchetniks, que tous nos jeunes seraient partis si l'autoroute ne venait pas – je suis d'accord. Mais, d'un autre côté, je ne donnerais aucun de mes trois arbres, pas même pour trois autoroutes ou trois chemins de fer.

Le combat d'Aimé Césaire le révolté plus vivant que jamais

dimanche 14 juillet 2013 à 12:55

Si le poète Aimé Césaire avait vécu jusqu’au 26 juin 2013, il aurait eu 100 ans. C’est l’occasion de célébrer ce centenaire pour rendre hommage au chantre de la négritude à notre époque caractérisée par une mondialisation débridée où les peuples se ressemblent et se rassemblent au-delà des frontières nationales et continentales tout en souhaitant se singulariser à travers leurs identités propres. C’est comme si la vision des années 1930 de ces combattants du respect des différences culturelles était devenue une réalité tangible 80 années plus tard. Le racisme est maintenant combattu dans presque tous les pays du monde. Mais des injustices restent, le verdict dans le procès de Trayvon Martin en témoigne [en].

Trayvon Martin via wikipedia CC-BY-3.0

Trayvon Martin sur wikipedia CC-BY-3.0

La dignité des hommes est maintenant bafouée dans des formes plus subtiles et nuancées, telles que les pressions économiques. D’où la nécessité de se mobiliser à nouveau pour combattre ce virus de l’oppression humaine qui prend des formes différentes au fil du temps. Le succès du cri de Stéphane Hessel « indignez-vous », qui a eu pour réponse d’une certaine mesure les Printemps arabes, brésiliens, et européens est révélateur en ce sens. Un retour sur la vie du poète engagé s’impose :

Né à la Martinique le 26 juin 1913, Aimé Césaire, poète et homme politique, est mort en sa terre natale, le 16 avril 2008, à l’âge vénérable de 94 ans. La poésie de Césaire est un grand cri de révolte contre la domination coloniale. Son œuvre, à la fois littéraire et sociologique, est une arme de combat contre la « chosification » des peuples noirs par la colonisation européenne. C’est un phare pour la décolonisation de l’Afrique et la réhabilitation des cultures négro-africaines. Pour bien apprécier l’influence déterminante qu’Aimé Césaire, chantre du mouvement de la « négritude », a eue sur la décolonisation et la renaissance de l’Afrique et des Antilles après la Deuxième Guerre mondiale, il faut se replacer dans la situation coloniale de l’époque.

 

Noel Kodia sur le Pangolin Afrik écrit :

Après avoir découvert les lettres en Martinique au lycée de Fort de France et à Louis-le-Grand à Paris, il fonde avec Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas en 1939 “L’Etudiant noir” qui se présente comme une suite logique d’une autre revue de l’époque intitulée “Légitime défense”. A la même année apparaît son “Cahier d’un retour au pays natal” comme pour annoncer son retour au bercail dans une langue volcanique et pleine d’agressivité et qui va s’approfondir avec une colère légitime dans “Discours sur le colonialisme”. Le texte met en relief l’itinéraire du poète nègre devant son destin de colonisé dont la thématique sera le nerf directeur de l’emblématique “Discours sur le colonialisme”. Dans ce cri de douleur, il ne se voit pas fils de certains royaumes africains comme le Dahomey et le Ghana.

 

Inscription d'Aimé Césaire, Panthéon, Paris, France

Inscription d'Aimé Césaire, Panthéon, Paris, France sur wikipédia -domaine public

Aimé Césaire et le combat pour la dignité humaine

Nicole sur médiapart écrit sur les défis que Césaire a rencontré sur son parcours :

Les écrits d’Aimé Césaire ne lui ont pas attiré les sympathies de l’Académie française qui, globalement, est de cette droite revancharde forte de ses certitudes et qui ne renie pas la conception de la civilisation qu’elle a infligée aux colonies, et qu’Aimé Césaire n’a cessé de dénoncer avec élégance et pertinence. «…La France moutonnière aura préféré Senghor et ses mots fleuris, sa poésie de garçon-coiffeur, ses «versets», sa sotte imitation, pâlotte et ringarde, de Claudel, ses génuflexions d’acculturés et son culte imbécile d’une toute aussi imbécile civilisation de l’universelle et d’une bâtarde francophonie; au style de pur-sang, de révolté, d’écorché vif d’un Alioune Diop, d’un Gontran-Damas, d’un Césaire…Aimé Césaire restera la mauvaise conscience de ce XXe siècle, de ces générations qui donnèrent au monde le contraire de ce qu’elles espéraient. Il aura été de toutes les luttes progressistes de son temps.
Il aura écrit, avec son Discours sur le colonialisme, le livre le plus concis, le plus fort sur ce thème. Il aura bâti la réfutation la plus solide de ce système. Il aura été un écrivain supérieurement doué, un humaniste sincère, généreux. (…) Césaire fut une leçon d’honnêteté, une leçon d’amour de la langue française, un maître en écriture, un traceur de route, une école de style -lui, si parfait pur-sang littéraire- un repère».

 

Voici une vidéo du discours sur le colonialisme lu par Thymslab:

Pour actualiser la démarche de Césaire, il est intéressant d’avoir le point de vue d’un écrivain contemporain comme Alain Mabanckou, Prix Renaudot 2006, interviewé par Grégoire Leménager sur le blog le Pangolin:

Alain perpétue en quelque sorte le travail des pionniers dans une démarche autocritique relativement objective et un style humoristique captivant. Il s’attaque aux stéréotypes passés et présents en montrant les différentes conditions de l’homme noir selon son lieu de résidence. Le noir d’Amérique semblerait avoir mieux réussi à vivre sa citoyenneté en Amérique qu’en France et les africains de l’ouest différent de ceux du centre dans leurs perceptions de leur histoire et de leur présence actuelle au monde.

Bulgarie : Des dizaines de milliers de “marcheurs” pour défier le pouvoir

vendredi 12 juillet 2013 à 20:19

(Billet d'origine publié le 9 juillet)

Malgré 27 jours de manifestations anti-gouvernementales en Bulgarie, la nouvelle équipe au pouvoir n'a encore réalisé aucune réforme.

La contestation massive, qui avait débuté le 14 juin 2013 après la nomination d'un député controversé, Delyan Peevski, à la tête de la Sécurité nationale bulgare, a vu augmenter sans relâche le nombre de citoyens qui rejoignent les manifestations quotidiennes dans les rues de la capitale Sofia et des autres villes du pays. Si Peevski a aussitôt donné sa démission, les protestataires réclament celle du gouvernement à peine formé et des réformes majeures dans plusieurs domaines.

Dimanche 7 juillet, le nombre de manifestants dans les rues [anglais] de la capitale bulgare était sans précédent : des milliers ont défilé pour réclamer à nouveau la démission du gouvernement. Le parti socialiste bulgare et son partenaire le mouvement des Droits et Devoirs de la minorité turque (MDD) ont refusé de céder le pouvoir malgré la contestation, qui revendique en particulier [anglais] plus de transparence et moins de corruption dans l'administration, une action contre le crime organisé, et la fin du “règne de l'oligarchie”.

Bulgarian protesters show solidarity with fellow protesters in other countries; image meme courtesy of Revolution News.

Les manifestants bulgares disent leur solidarité avec les contestataires des autres pays. Image reproduite avec l'aimable autorisation de Revolution News.

Sur la banderole : “Trop souvent nous avons peur. Peur de ce que nous ne serions pas capables de faire. Peur de ce que les gens pourraient penser si nous essayions. Nous laissons nos peurs faire obstacle à nos espoirs. Nous disons Non quand nous voulons dire Oui. Nous restons silencieux quand nous voulons hurler. Et nous crions sur les autres quand nous devrions nous taire. Pourquoi ? Après tout, on ne vit qu'une fois… Il n'y a vraiment pas le temps d'avoir peur. Alors stop !”

En visite officielle à Bruxelles le 27 juin, le premier ministre bulgare avait déclaré n'avoir aucune intention de démissionner [anglais] à moins d'un vote du parlement en ce sens. Questionné sur la nomination de Peevski, un député du MDD, le premier ministre Plamen Oresharski avait reconnu une bévue politique, qui, selon ses mots, “n'est pas un motif suffisant de démission”.

Entre-temps, dans les coulisses des manifestations, les responsables de la police bulgare ont résolu de ne plus publier le nombre des participants [bulgare], afin, disent-ils, de ne pas provoquer de conflits politiques.

De leur côté, les médias alternatifs en ligne contestent énergiquement les précédents communiqués de la police sur l'ampleur des manifestations. En riposte, un nombre important de protestataires se sont écartés de leur trajectoire déjà routinière vers le siège du gouvernement, pour se déverser dans les rues dimanche (7 juillet), vingt-cinquième jour des manifestations, avec l'objectif défini de remplir les trois kilomètres qui séparent Orlov most (le pont des Aigles), au centre de Sofia, et l'hôtel Pliska. Les jours précédents, “Remplissons l'espace entre le pont des Aigles et l'hôtel Pliskal” était l'un des slogans populaires relevés sur Facebook.

A sea of protesters fill the 3 kilometer distance from the Rectorate at Orlov most to the Pliska hotel; photo courtesy of From the Rectorate to Pliska Hotel Facebook fan page.

Une mer de manifestants remplit les trois kilomètres séparant le rectorat, pont Orlov, de l'hôtel Plskal. Photo avec l'autorisation de la page Facebook “Du rectorat à l'hôtel Pliska”.

Offnews rapporte que des dizaines de milliers de personnes [bulgare] se sont agglutinées au long de la route vers l'hôtel Pliska. Les chiffres repris par cet article et d'autres médias alternatifs contredisent ceux donnés par le Ministère de l'Intérieur d’à peine 3.000 personnes [bulgare] dans les rassemblements. Offnews précise qu'en soirée 15.000 manifestants se trouvaient à 22h15 sur le seul pont Orlov. Une banderole en bordure de la chaussée proclame : “La Bulgarie est à nous, la facture est à vous.”

Lundi, après quelques récits des événements de la veille, les média ont rapporté que la manifestation #ДАНСwithме (“danse avec moi”), un mot-clé populaire de la contestation, a été la plus grande à ce jour. La Radio nationale bulgare a rapporté [bulgare] :

Хора, занимавали се с охрана на масови мероприятия, заявиха, че според тях са присъствали между 30 000 и 40 000 души.

Des gens qui ont l'expérience de la sécurité des événements de masse ont indiqué que selon eux il y avait entre 30.000 et 40.000 présents.

Une page du nom de “Le vagabond bulgare” (“vagabond” est devenu le sobriquet répandu en Bulgarie d'un député socialiste, Hristo Monov, qui avait traité les manifestants de “vagabonds” [anglais]) a été lancée sur Facebook pour ridiculiser les écarts entre les sources officieuses et l'information officielle.

Le journaliste Tony Nikolov a écrit sur l'édition en ligne du magazine Kultura :

Масовият протест на гражданите би трябвало да се възприеме от властта в България като въпрос, на който тя дължи незабавен отговор. Никакъв отговор обаче няма – повече от 20 дни, с което се стигна до ситуацията „парламент под обсада”.

La manifestation citoyenne de masse devrait être comprise par les autorités comme une question qui mérite une réponse immédiate. Pourtant il n'y a aucune sorte de réponse – plus de 20 jours, qui ont mené à une situation de “parlement assiégé”…

La situation à laquelle on a abouti nous autorise à tirer les conclusions suivantes. En premier lieu, ceux qui nous gouvernent ne se soucient pas de règles démocratiques, pour leur dignité, ni ne respectent la dignité de ceux qui les ont envoyés au parlement ou aux sommets du pouvoir. Ils préfèrent gouverner à l'abri des rangs policiers. Faire comme s'ils étaient aveugles et sourds. Avec pour seul espoir de rester un petit peu plus au pouvoir au nom de petits intérêts partisans, personnels et professionnels.

L'écrivain bulgare Zacharie Karabachliev a écrit sur Facebook ce qu'il pense de la réaction du pouvoir :

Те съзнават, че не биха могли да устоят на пряк конфликт. Изплашени са. Затова го избягват на всяка цена. Ще има извинения, прошки, рокади, размествания, решения, протакане, имитации, няколко глави ще бъдат хвърлени на улицата…

Il [le pouvoir] sait qu'il ne résisterait pas à une épreuve de force directe. Il est effrayé. Voilà pourquoi il l'évite à tout prix. Il y aura des excuses, du pardon, des roques, des échanges de places, des décisions, de la montre, des imitations, quelques têtes jetées en pâture à la rue…

Dans un des articles les plus commentés sur les réseaux sociaux, initialement publié par le journal Standartnews, le jeune journaliste Raiko Baichev écrivait :

А сега протестите имат нужда от едно: постоянство. Най-трудното е. Погледнете всички по-лекички избухвания на недоволство през последните години. Тия пичове с властта му знаят тактиката – чакат. Чакат като луди. Да прощавате за тъпото сравнение, но протестите май са като любовта и имат същите фази – разгар, пик и угасване. В момента ви чакат да идете на море. Надеждите им са във вашия петък вечер, вашата планина, вашитe палатки и плажове. Чакат ви да се изповлюбите…

A présent, les manifestations ont besoin d'une chose : de la persévérance. C'est la plus difficile. Voyez toutes ces explosions plus légères de mécontentement des dernières années. Ces mecs au pouvoir connaissent la tactique – ils attendent. Ils attendent comme les fous. Excusez cette comparaison bête, mais les manifestations ressemblent à l'amour avec les mêmes expressions : monter, culminer et s'éteindre. En ce moment ils attendent que vous alliez à la mer. Leurs espoirs ce sont votre vendredi soir, votre montagne, vos tentes et vos plages. Ils attendent que vous tombiez amoureux…

A ballet dancer performing on the streets in a sign of solidarity with the Sunday protests; photo by Ivo Mirchev, used with permission.

Une danseuse de ballet se produit dans la rue en solidarité avec les manifestations de dimanche. Photo Ivo Mirchev. Utilisée avec permission.