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Artistes et écrivains honorent l'oeuvre du développeur syrien disparu Bassel Safadi

mercredi 7 juin 2017 à 21:08

Bassel Safadi et sa femme Noura. Photo extraite de la page Facebook de Noura Ghazi Safadi.

Le développeur web palestinien-syrien Bassel Khartabil alias Bassel Safadi est porté disparu depuis plus d'un an déjà. Mais il n'est pas oublié. Plus de cinq ans après son arrestation par le régime syrien, ses amis et sa famille continuent à réclamer sa libération et à commémorer ses contributions au web open source.

L'édition 2017 de re:publica, le rassemblement annuel de la culture numérique à Berlin, a mis à son programme une session dédiée à la campagne #FreeBassel (Libérez Bassel).

Mélanie Dulong de Rosnay, une chercheuse du CNRS français à l'Institut des Sciences de la Communication, et Barbara Rühling, la PDG de Book Sprints, une société de production et d'édition de livres rapides collectifs, ont lu des extraits du livre Cost of Freedom: A Collective Inquiry (‘Le Prix de la liberté : une enquête collective’, non traduit)

Ce livre, publié l'an dernier et disponible dans le domaine public, consiste en une série d'essais de réflexion sur la culture libre face à l'oppression. C'est un tribut à Bassel et à son travail. Voici ce que dit son introduction :

Ce livre se propose d'examiner comment les mouvements de libre diffusion des connaissances sont bâtis et les coûts réels qui leur sont liés. Militants, artistes, concepteurs, développeurs, chercheurs et écrivains impliqués dans les mouvements de libre diffusion des connaissances travaillent ensemble pour voir à travers le brouillard de nos fils d'informations et produire du sens à partir de nos expériences différentes. Ce livre est né d'une tentative de libérer Bassel Khartabil, le bénévole aimé et célébré de l'Internet, détenu en Syrie depuis le 15 mars 2012. Son nom a été rayé le 3 octobre 2015 du registre de la prison d'Adra où il était détenu. Depuis, nous n'avons reçu aucune information sur son statut ou sa localisation. La partie introductive de ce livre, sous le titre Mémoire Collective, donne voix à ses amis et sa famille qui réclament qu'il soit immédiatement relâché et rendu à son existence et à sa liberté normales. A voir Bassel payer au prix fort sa participation à la culture libre, beaucoup d'entre nous ont commencé à méditer sur leur propre sort, leurs propres actes et choix. Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui ? Qu'avons-nous choisi ? A quoi avons-nous renoncé dans ce processus de conviction parfois extrême ?

Le développeur web open source et activiste numérique est sous la garde des autorités gouvernementales syriennes depuis mars 2012. En octobre 2015, Bassel a été transféré de la prison d'Adra, un établissement civil, vers une destination non révélée. Sa femme, l'auteur et avocate Noura Ghazi, a relaté que “la police militaire a sorti Bassel de sa cellule d'Adra avec un ordre cacheté ‘top secret’ du Tribunal militaire spécial”.

Le 12 novembre 2015, raconte Noura Ghazi, elle a été contactée par des individus qui se sont identifiés comme des agents du gouvernement Assad et qui l'ont informée d'une supposée condamnation à mort de son mari. La localisation et l'état de celui-ci demeurent inconnus.

Responsable de Creative Commons en Syrie, et actif dans des projets comme Mozilla Firefox et Wikipédia, Bassel a joué un rôle central dans l'extension du savoir et de l'accès internet à tous en Syrie.

Barry Threw, un concepteur et technologue actuellement directeur par intérim de la Nouvelle Palmyre, un projet fondé par Bassel, écrit pages 10 et 11 du livre :

aucun des prototypes culturels de Bassel n'a peut-être été plus prescient que le travail qu'il a entrepris vers 2005, avec un collectif d'archéologues et d'artistes, de reconstruction virtuelle des ruines antiques de Palmyre. Un des sites archéologiques les plus importants du monde, Palmyre se trouvait au carrefour de plusieurs civilisations, les styles architecturaux gréco-romains s'y mélangeant aux traditions locales et aux influences perses. Bassel ne pouvait guère savoir que dix ans après ce début, les fondamentalistes de Daech détruiraient activement cette architecture incarnant le patrimoine culturel syrien et mondial. Mais son incursion dans l'archéologie et la préservation numériques ont créé une capsule temporelle qui sera inestimable pour le public, les chercheurs et les artistes des années à venir. Quelle tragédie que Bassel n'ait pas encore pu mener ce projet au bout.

Noura Ghazi a également contribué au livre, et écrit sur la passion de son mari de partager le savoir avec autrui, même depuis la prison :

J'ai passé ma vie à rêver de la Liberté, et Bassel m'a appris à la saisir. Cela me bouleverse de prononcer son nom. Bassel m'a enseigné la maîtrise de l'anglais, même pendant qu'il était en prison. J'ai appris à bien lire, écrire et parler l'anglais. Il a toujours partagé son savoir avec tous ceux qui le demandaient, et a aussi appris à beaucoup de prisonniers à lire, écrire et parler l'anglais. Bassel m'a ouvert les portes de l'informatique, il m'a appris à utiliser les ordinateurs et les smartphones. Il m'a appris l'Internet. Il a aussi enseigné aux autres détenus à utiliser les ordinateurs en théorie, sans en avoir sous la main.

Noura Ghazi est aussi l'auteur de Waiting (‘Attente’), un livre en prose écrit pour son mari entre 2012 et 2015, pendant qu'il était en prison. Bassel et Noura ont travaillé ensemble pendant un an à ce livre. Elle lui passait les textes en cachette quand elle le visitait, et il les traduisait de l'arabe en anglais. Le livre est disponible dans le domaine public.

Couverture du livre par Youssef Abdalki. Livre réalisé pour le domaine public.

Voici un extrait, intitulé “Cela arrive”, du livre de Noura :

Cela arrive à chaque visite

que je m'enfonce dans le monde de tes yeux magiques

Que je perde conscience pendant le moment où nous nous étreignons,

Que je ne me soucie d'aucun des dangers,

des barrières, chaînes et gardiens

j'oublie l'agitation de la prison

et pénètre dans chaque détail de ta voix et de tes paroles

que j'emporte passionnément avec moi,

quand tes yeux disent au revoir

et je laisse encore un morceau de mon âme avec toi…

Je retourne vite à ma solitude,

pour revivre tous les instants,

et pleurer ton absence et ton sourire.

Je me persuade que tu reviendras bientôt…

Au premier anniversaire de l'emprisonnement de Bassel, Ghazi a écrit :

Une année passe, mon âme

Depuis

Je suis dans ta cage,

Et tu es toujours

Dans la cage des monstres

L'histoire de Bassel n'est pas unique en Syrie. Depuis le début de la contestation contre le régime de Bachar al-Assad en 2011, plus de 65.000 personnes ont disparu, selon le Réseau syrien pour les Droits de l'homme.

Ceux qui ont été arrêtés ou “disparus de force” par le régime ont été torturés voire exécutés. A la fin de 2016, au moins 17.723 Syriens étaient morts en détention depuis 2011, selon les chiffres d’Amnesty International. Le sort de beaucoup d'autres reste inconnu.

Global Voices appelle à la libération de Bassel depuis 2012. Nous réitérons aujourd'hui notre appel dans l'espoir que cette fois soit la dernière.

Quatre blogueurs maldiviens en exil menacés d'arrestation par la police sur Twitter

mercredi 7 juin 2017 à 19:05

Le blogueur et activiste Muju Naeem. Image publiée avec sa permission.

Quatre blogueurs et activistes indépendants maldiviens résidant à l'étranger ont été convoqués par la police à la fin du mois de mai. La police les a menacés de poursuites par contumace s’ils ne se rendaient pas à Malé dans les deux semaines.

La police a diffusé des mandats d'arrêt concernant Muzaffar ‘Muju’ Naeem, Hani Amir, Dr. Azra Naseem et Aishath Velezinee au travers de communiqués de presse et de tweets publics séparés. Le mandat ci-dessous a été envoyé à Muju Naeem, un blogueur pro-démocratie et laïc originaire des Maldives, qui a fait le choix de quitter son pays il y a près de cinq ans :

Communiqué de presse

Muju Naeem a publié sur son blog une traduction du mandat :

Muzaffar Mohamed Naeem (age 37) of M. Velidhooge, K. Male’ is wanted for an investigation the Maldives Police Service [are] carrying out.

Since we have information that Muzaffar Mohamed Naeem is currently living abroad, he is asked to present himself to the Maldives Police Service within 14 days to respond in his defense to accusations against him in our investigation.

If Muzaffar Mohamed Naeem doesn’t present himself to Maldives Police Service within these 14 days, we will be forwarding evidence against him in our investigation to the Prosecutor General of the Maldives to proceed with prosecution in his absentia. This notice has been issued to inform Muzaffar Mubeen Naeem of this matter.

Muzaffar Mohamed Naeem, âgé de 37 ans et originaire de M. Velidhooge, K. Male’ est recherché dans le cadre d’une enquête des services de police maldiviens.

Sachant que Muzaffar Mohamed Naeem réside actuellement à l’étranger, il est tenu de se présenter aux services de police des Maldives dans les 14 jours afin de répondre aux accusations auxquelles il fait face dans le cadre de notre enquête.

Si Muzaffar Mohamed Naeem ne se présente pas aux services de police maldiviens dans les 14 jours, nous transmettrons les preuves récoltées contre lui au cours de notre enquête au Procureur Général des Maldives afin d’entamer des poursuites par contumace. Ce mandat a été émis afin d’en informer Muzaffar Mohamed Naeem.

Le document ne donne pas davantage d’informations sur la nature de l’enquête menée par la police, ni sur les preuves dont ils disposent contre Naeem. Ce dernier écrit :

Arrest warrants were prompted by ruling party parliamentary leader Ahmed Nihan’s call to arrest and prosecute all “irreligious” people in the country to the full extent of the law.

Ces mandats d’arrêt ont été émis en réponse aux déclarations du leader parlementaire du parti au pouvoir Ahmed Nihan qui a appelé à l’arrestation et la poursuite en justice de toutes les personnes “irreligieuses” du pays avec toute la rigueur que permet la loi.

Selon le Maldives Independent, lors d’un récent rassemblement de la coalition au pouvoir, le leader parlementaire du Parti Progressiste Ahmed Nihan a déclaré que les Maldiviens qui insultaient l’islam devaient être poursuivis en justice et punis avec toute la rigueur que permet la loi. Il est déjà arrivé que des extrémistes religieux marquent les domiciles de personnes ciblées de la mention “irreligieux” ou “laïc” aux Maldives.

Naeem est régulièrement la cible de menaces et de harcèlement en ligne perpétrés par des extrémistes pour ses vues laïques. Il est également visé par des critiques politiques pour sa série de vidéos réalisée en collaboration avec le blogueur Yameen Rasheed, assassiné le 23 avril 2017 (voir l’article de Global Voices).

Suite à la mort de Yameen, Naeem a adressé une lettre ouverte enflammée au Président et au gouvernement des Maldives dans laquelle il critiquait l’inaction du pouvoir face à l’inquiétante montée de l’extrémisme violent dans le pays. Il a récemment fait une apparition dans un podcast avec les “Djihadistes laïcs du Moyen-Orient” (The Secular Jihadists of the Middle East), un groupe d’intervenants athées et anciennement musulmans, dont font partie Yasmine Mohammad, Ali Rizvi, Faisal Saeed Al Mutar et Armin Navabi.

Le second blogueur à avoir reçu un mandat d'arrêt est Hani Amir (@Burakashi), un environnementaliste, artiste et photographe de 27 ans, actuellement étudiant en Australie. S'adressant au Maldives Independent, Hani a souligné que les blogueurs étaient pris pour cible car ils promeuvent la laïcité.

Les écrits de Yameen [Rasheed] sur les Maldives, la laïcité, la défense des minorités maldiviennes et la lutte contre le radicalisme religieux.

Un troisième mandat d'arrêt a été émis à l'encontre de Dr. Azra Naseem, l'auteure de Dhivehi Sitee, un blog progressiste sur la société et la politique maldiviennes, s'intéressant notamment à la radicalisation religieuse des Maldiviens. Dr. Naseem travaille en tant que chargée de recherche à la Dublin City University et vit à Dublin, en Irlande depuis 1998. Elle a déclaré au Maldives Independent : « Je n'ai vraiment aucune idée du motif d'une telle convocation. Je n'ai rien fait d'illégal. »

Le 23 mai, la police a également lancé un mandat similaire contre Aishath Velezinee, une activiste farouchement indépendante militant pour une réforme du système judiciaire, ancienne membre de la Commission des Services judiciaires qui vit et blogue depuis les Pays-Bas. Son compte Twitter (@Velezinee) a récemment été suspendu. Selon le portail d'informations en ligne Raajje.mv, Velezinee a dernièrement acquis une certaine notoriété suite à la publication d'une série de billets sur Facebook, dont des vidéos ayant été perçues comme sacrilèges.

La twittosphère a réagi face à cette inquiétante tendance :

Le mandat d'arrêt contre @Manje [Azra Naseem] et @mujunaeem a été ordonné par @JamiyyathSalaf [un groupe religieux conservateur maldivien]. Ils contrôlent le Président Yameen Abdulla Gamoon !

Réclamer justice, prendre la parole contre l'extrémisme violent et revendiquer nos droits sont devenus des “activités irreligieuses” aux Maldives

Bonjour @PoliceMv, lorsque vous convoquez quelqu'un, vous devez leur fournir un motif. Allez relire la section 105 de votre “Constitution”.

Ces mandats d'arrêt semblent destinés à réduire au silence les voix critiques du gouvernement ou considérées comme “irreligieuses” émanant de pays étrangers. Certains cyber-activistes résidant aux Maldives ont cessé de publier par peur d'être attaqués ou persécutés, tandis que d'autres demandent asile à l'étranger.

Les Pakistanais scandalisés par une publicité de machine à laver qui s'amuse des violences conjugales

mercredi 7 juin 2017 à 12:36

Capture d'écran de la publicité incriminée.

Une publicité ayant fait l'objet d'une fuite et circulée sur les réseaux sociaux au Pakistan a provoqué la colère du pays à cause de son attitude désinvolte envers la violence conjugale, forçant l'entreprise d'électronique derrière la vidéo à s'excuser.

Dans sa promotion d'une machine à laver de la marque Kenwood, la publicité présente un groupe d'amis masculins en train de rire de l'histoire que leur raconte le personnage principal sur une dispute avec sa femme. L'homme fanfaronne, affirmant qu'il ne tolère pas l'« attitude » de sa femme et qu'il doit recourir à « dhulayi, » qui signifie littéralement « lavage » mais qui est utilisé comme une expression argotique pour « tabasser ».

La publicité n'a pas été officiellement diffusée, mais un groupe Facebook du nom de “Whatsapp Videos” a divulgué la vidéo et les critiques ne se sont pas faites attendre. L'utilisatrice de Facebook Wafa Zafar l'a qualifiée de :

Disgusting ad….giving concept that a man should be proud among his friends on beating his wife

Publicité ignoble… donnant l'impression qu'un homme devrait se vanter à ses amis de battre sa femme.

Un autre commentaire de l'utilisatrice de Facebook Kookie Malik détaille la plainte envoyée à l'entreprise-mère aux États-Unis : 

I have made an effort to speak to Kenwood USA and Kenwood Japan and have asked a simple question: Why is it OK to use such crass and potentially violence inciting crap to make money and promote your company or your brand?? Our women and ALL women for that matter are scared and any of you that find this funny should consider a man beating your mother, sister or daughter …and you laughing and thinking it is OK. Shame on Kenwood and its Executives that allowed this to take place – Their Disclaimer is also another eyewash and stinks of the same corporate nonsense that Delta Airlines demonstrated recently. This is not over yet.

J'ai fait l'effort de parler à Kenwood USA et Kenwood Japon et leur ai posé une simple question : comment est-ce acceptable d'utiliser une merde pareille, grossière et qui pourrait potentiellement inciter à la violence pour gagner de l'argent et promouvoir votre entreprise et votre marque ?? Nos femmes, et TOUTES les femmes d'ailleurs ont peur et ceux d'entre vous qui trouvent cela drôle devraient s'imaginer un homme en train de battre votre mère, votre sœur ou votre fille… et vous de rire et de trouver cela OK. Honte à Kenwood et ses cadres supérieurs qui ont laissé cela se produire; leur avis de non-responsabilité n'est qu'une autre ânerie et tout cela pue la même absurdité corporative que ce dont Delta Airlines a récemment fait preuve. Ce n'est pas encore fini.

Hurmat Riaz de Mangobaaz, un site web de divertissement pour la génération du millénaire pakistanaise, à écrit que cette publicité est la dernière d'une série produite par l'entreprise démontrant le mari se faisant intimider par sa femme :

Domestic violence, whether the wife is the victim, or the husband, is not a matter to be joked about. It is a serious problem, one that many people in Pakistan, and beyond, are victims. Not only is making a joke about such a thing insensitive to them, it perpetuates the idea that it’s apparently okay to not only make jokes about hitting your spouse but also doing it in practice.

La violence conjugale, que la victime soit la femme ou le mari, n'est pas quelque chose dont nous pouvons plaisanter. C'est un problème grave, et beaucoup de personnes au Pakistan et ailleurs, en sont victimes. Le fait d'en rire est non seulement un manque de respect pour les victimes, mais cela perpétue également l'idée qu'il est tout à fait normal de plaisanter sur le fait de battre votre conjoint, mais également de le faire pour de vrai.

La Commission des droits de l'homme du Pakistan a rapporté 1 843 cas de violence conjugale au Pakistan entre 2004 et 2016. Ce chiffre n'inclut pas les autres occurrences de violence telles que les crimes d'honneur, les enlèvements, les viols et les attaques à l'acide. De plus, ils ne représentent que le nombre de cas rapportés, qui est généralement bien inférieur au nombre réel d'incidents.

L'entreprise s'est depuis excusée pour la vidéo divulguée, admettant qu'il s'agit d'une « erreur de jugement » et a demandé que « toutes les pages de réseaux sociaux suppriment la vidéo car elle n'a pas été officiellement diffusée ni approuvée par Kenwood. » Au bout du compte, l'indignation provoquée par une publicité ayant fait l'objet d'une fuite indique clairement que les entreprises devront être plus vigilantes si elle veulent utiliser la misogynie comme un moyen de vendre leurs produits.

Le blog ‘Intraduisible’ met en lumière le vocabulaire unique des petites langues

mercredi 7 juin 2017 à 12:30

Photo Andy Simmons, utilisée sous licence CC BY-ND.

Un blog appelé Untranslatable (Intraduisible) s'est donné pour tâche de fournir aux amoureux des langues une sélection de mots du monde difficiles ou impossibles à traduire.

Il existe de tels mots dans chaque langue : ils expriment des situations ou des sentiments, souvent complexes ou très spécifiques. Certains de ces mots intraduisibles sont très connus à présent (comme la célèbre saudade portugaise), d'autres sont profondément enracinés dans une culture particulière (par exemple, la sobremesa espagnole). Mais tous ont en commun l'obstination avec laquelle ils résistent à toutes les tentatives de traduction simple. Un mot ou une expression uniques n'y arrivent pas, il faut donc une explication parfois circonstanciée pour saisir l'étendue de la notion exprimée par ce simple mot.

Ces mots singuliers sont rassemblés depuis longtemps dans des listes en ligne [un exemple sur un site en français, NdT]. Mais alors que ce genre de listes s'arrête souvent au japonais, à l'allemand, au français, portugais ou finnois, Steven Bird, le créateur et linguiste d'Untranslatable, a voulu se concentrer sur les petites langues.

Le blog partage par exemple des mots de la langue mwotlap du Vanuatu, comme :

“vakasteglok” – Prendre soin de ses parents, par gratitude pour tous les soins dont ils vous ont entouré dans vos jeunes années.

Ou des mots de hunsrik parlé dans certaines parties du Brésil comme :

“kwadi” – La paresse que l'on éprouve après s'être chauffé au soleil les jours de froid.

Comme le dit Bird sur la page A propos du blog :

Ils mettent en lumière d'autres cultures, révèlent d'autres modes de pensée, et aiguillonnent notre curiosité. Parfois, ils influencent notre analyse et notre classification du monde qui nous entoure […] les linguistes contribuant à ce site ont l'intention de partager d'autres de ces mots ‘intraduisibles’, et dans le processus, de montrer en quoi ces petites langues sont particulières, importantes et puissantes.

Les locuteurs de ces “langues-trésors” aimées de Untranslatable sont invités à envoyer leur mot préféré ici.

Pour les transsexuels, le “rêve américain” se résume à trouver où vivre en paix

mercredi 7 juin 2017 à 11:46

Des militants LGBTI défilent dans les rues de San Salvador pendant la marche de la Gay Pride LGBTI. Photographie de María Cidón Kiernan, publiée avec son autorisation.

Cet article est le résumé d'un texte publié dans CONNECTAS. Il est publié sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Ils fuient le Guatemala, le Salvador ou encore le Honduras car ils sont persécutés à cause de leur identité sexuelle. A la différence des autres migrants, lorsqu'ils fuient ils sont poursuivis et harcelés encore plus. Leur “rêve américain” se résume donc simplement à trouver un endroit où ils pourront vivre en paix.

Être une femme transsexuelle au Salvador, au Guatemala et au Honduras est synonyme de discrimination. Vivre en accord avec son identité sexuelle oblige à affronter des attaques haineuses, qui très souvent restent impunies.

Les pays du Triangle nord de l'Amérique centrale ont les taux de violence contre les transsexuels les plus élevés de toute l'Amérique latine. De janvier 2008 à décembre 2016, un projet de l'organisation Transgenre Europe (TGEU) a comptabilisé cent cinquante-neuf meurtres de transsexuels dans la région: le Honduras est le premier de la liste avec quatre-vingt-neuf crimes, suivi par le Guatemala (quarante) et le Salvador (trente). Ces chiffres sont approximatifs car de nombreux crimes ne sont pas signalés.

Les policiers et les procureurs identifient les victimes grâce à leurs parties génitales et non pas selon leur identité de genre, de sorte que les meurtres de ces transsexuels ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles. A cela s'ajoute l'absence d'enquête qui affecte surtout les femmes transsexuelles, les plus vulnérables aux crimes de haine.

Ces dernières ne sont pas uniquement motivées par la recherche de nouvelles opportunités ni la fuite de la violence généralisée, mais elles souhaitent également trouver un lieu où elles pourront vivre sans discrimination, comme le montre ce reportage réalisé par María Cidón, Priscilina Hernández et Prometeo Lucero au Mexique, au Salvador et aux Etats-Unis.

En se dirigeant vers le nord de ces pays, les migrants transsexuels sont exposés à de plus grandes humiliations, comme celle par laquelle est passé Rafael Antonio, plus connu sous le nom d’ “Eléctrica”.

Eléctrica voyageait du Honduras au Mexique et elle décrit comment s'est passée son humiliation :

En Choluteca (Honduras) lo que existe más es la violación a los gais, golpes y maltratos. Nos agreden primero los mareros porque quieren que uno esté con ellos a la fuerza y creo que no es justo. Yo dije: voy a salir del clóset, voy a aceptarme por lo que soy, yo valgo mucho.

A Choluteca (au Honduras) ce qu'on voit le plus ce sont des viols de personnes gays, des mauvais traitements, des coups, etc. Les premiers à nous agresser sont les mareros, car ils veulent nous obliger par la force à faire partie de leur gang et je crois que ce n'est pas juste. A ce moment-là j'ai dit : je vais sortir du placard, je vais m'accepter pour ce que je suis, car je vaux beaucoup.

Au Mexique, les choses ne se sont pas améliorées. En entrant dans le pays, le 1er septembre 2016, elle s'est fait agresser et poignarder à Tenosique, dans la province de Tabasco. Eléctrica a demandé un visa humanitaire, mais il fut rejeté car il n'y avait pas suffisamment de preuves pour demander l'asile, même si elle avait été poignardée.

La Salvadorienne Mema Perdomo est un autre exemple des sacrifices faits par ces femmes afin de se protéger de leur propre entourage. Elle accuse les maras, les gangs, d'être la cause de l'abandon de son pays :

Hace 10 años yo me vine de El Salvador. [Una de] mis mejores amigas fue quemada viva en Usulután, le echaron gasolina los mareros. […] Yo conocía a los mareros, entonces ellos me amenazaron. Y por eso, yo con el miedo y el pánico, me vine.

Il y a dix ans que je suis partie du Salvador. [Une de] mes meilleures amies a été brûlée vive à Usulután, après avoir été aspergée d'essence par les mareros. […] Moi je connaissais ces mareros, donc ils m'ont menacée et j'étais tellement paniquée que je suis venue ici.

Après quelques temps elle est arrivée à Houston, aux États-Unis, où elle a vécu pendant un temps avec sa sœur, même si elle ne se sentait toujours pas tranquille.

Bien que la ville de Mexico soit considérée comme l'une des capitales de la diversité de l'Amérique latine, les transsexuels n'y vivent pas forcément dans de meilleures conditions.

Cela a été mis en évidence lorsque Paola, travailleuse sexuelle trans, fut assassinée de plusieurs coups de feu par un de ses clients, à l'intérieur de son véhicule. L'homme fut arrêté et libéré à peine quelques heures après par “manque de preuve”. Son amie Kenya et d'autres collègues ont accompagné le cercueil contenant le corps de Paola depuis les pompes funèbres jusqu'à l'Avenida de los Insurgentes, et ont placé le cercueil au milieu de la rue (qui traverse toute la ville de Mexico du nord au sud). Elles ont bloqué la rue pendant plusieurs heures jusqu'à l'arrivée de la police anti-émeutes.

Daniela, elle, a dû fuir la ville de Mexico, où elle était constamment harcelée par ses collègues de travail.

En la Ciudad de México fui agredida y por eso decidí seguir adelante. En Tijuana me siento más acogida. Mantenerte ocupada hace que se me olviden las cosas. Se me olvida tanto bullying, tanta discriminación. A la larga tanta violencia que sufres, hace que te vuelvas violenta y no te queda otra que ser violenta cuando te toca serlo.

Dans la ville de Mexico j'ai été agressée et j'ai donc décidé de poursuivre ma route. A Tijuana je me suis sentie mieux accueillie. Se maintenir occupée te fait oublier les choses qui te sont arrivées. J'oublie tout ce harcèlement, toute cette discrimination. Sur le long terme toute la violence fait que tu deviens toi-même violente et il n'y a pas d'autres solutions que d'être violente quand la situation te le demande.

Parfois, fuir est une nécessité et demander l'asile au Mexique ou aux États-Unis est la manière la plus rapide d'obtenir une protection. Mais à l'heure actuelle, cette possibilité n'est plus garantie.

Au Mexique, à la première frontière à l'extérieur du Triangle nord, il n'y a pas assez de centres de réfugiés et ceux-ci sont également victimes de discrimination. Plus au nord, dans les villages de la frontière des États-Unis, la sécurité n'est pas non plus garantie.

Pendant que les femmes trans parcourent le Mexique afin de passer la frontière avec les États-Unis, l'un des seuls endroit qui offre un séjour sécurisé et sans haine est le Refuge La 72 à Tenosique, dans la province de Tabasco.

Yolanda dirige le Jardin des Papillons, une auberge située à Tijuana, et elle explique que la discrimination dans ces centres de récupération est importante. Il existe quatre-vingt-dix centres religieux de récupération, et aucune auberge n'est réellement adaptée aux besoins des personnes transsexuelles.

Perla Hernández dirige la Maison du Sacré Coeur Exilé. Depuis 2012, elle accueille aussi bien des sans-abri que de personnes exilées qui déambulent près de la frontière. La maison peut accueillir jusqu'à quarante personnes. Perla est transsexuelle, et elle travaille les week-ends en prenant la tension des occupants.

Rubí Juárez dirige le Centre d'attention complet aux personnes trans et a réalisé un recensement des femmes dans le secteur de la prostitution et des bars de Tijuana. Selon ele, le manque d'accès aux services de santé, d'éducation et au travail est dû au fait que de nombreuses transsexuelles ne se considèrent pas dignes d'avoir des droits ou sont fortement divisées.

Les transsexuelle migrantes qui n'ont pas réussi à trouver refuge au Mexique continuent leur chemin vers les États-Unis, où elles se présentent auprès des autorités afin de demander l'asile. Le processus est lent, et ces femmes vivent parfois des années entre la difficulté d'adaptation à un pays qui n'est pas le leur et la peur d'être déportées de nouveau dans celui qu'elles ont dû fuir.

Aux États-Unis, les politiques migratoires sont de plus en plus strictes. Depuis 2012, les demandes d'asile en attente des citoyens mexicains et des pays du Triangle nord ont été multipliées par cinq.

Même si les États-Unis reconnaissent depuis 1994 les personnes LGBTI comme étant des minorités persécutées, à ce jour aucun recensement du nombre de cas d'asiles en fonction de l'orientation sexuelle ni de l'identité de genre n'a été fait.

Le Centre du front d'action pour les Américains (CAP) a essayé de combler ce manque de statistiques en la matière en se servant des cas traités par l'organisation Immigration Equality (IE) et de Human Rights First.

Les acceptations des demandes d'asiles des transsexuels du Mexique et des autres pays de l'Amérique centrale sont passées de deux en 2010 à vingt-trois en 2016. Trois transsexuels sur dix proviennent de ces pays, mais ils ne représentent qu'une infime partie de la population qui a besoin de cette protection ou qui peut en faire la demande. Nombreux sont ceux qui restent en situation irrégulière avec la peur de l'expulsion.

Vous pouvez consulter l'enquête complète ici.