PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Croissance contre environnement : le Japon hypothèque son avenir

samedi 27 octobre 2018 à 22:31

Inondation dans une station de métro à Nara en 2014, alors qu'un ouragan approchait. En 2018, le Japon a vécu pendant trois mois un nombre record d'ouragans, d'inondations et de tempêtes destructrices qui ont endommagé une grande partie de l'ouest du pays. Photographie de James Gochenouer (CC BY 2.0).

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Au milieu des craintes, dans tout le Japon, que les températures estivales de 2018 atteignent le seuil sans précédent de 45 degrés, la course au pouvoir a poursuivi son approche conservatrice.

Pour le Premier ministre sortant Shinzo Abe [fr], le processus était nécessaire pour affirmer la loyauté du Parti libéral-démocrate (LDP). Il avait besoin de s'assurer que les allégeances des factions n'avaient pas changé suite aux nombreux scandales associés à son cercle proche pendant son second mandat. Mais apparemment, même le scandale Moritomo Gakuen, dans lequel le Premier ministre aurait apporté son soutien secret à la construction d'une école d'extrême-droite à Osaka, créée pour raviver le culte fanatique de l'empereur et une éducation militariste, aurait perdu son mordant. Et malgré les sondages et les enquêtes démontrant que le public suspectait que le Premier ministre avait compromis ses principes dans ce scandale et dans d'autres, M. Abe a remporté l'élection haut la main.

Quelques jours après sa victoire, il a publié un article dans le journal anglais Financial Times. Intitulé “Join Japan and act now to save our planet” [Rejoignez le Japon et agissez maintenant pour sauver notre planète, NdT], il invite les lecteurs à s'attaquer au changement climatique, alors même que son administration autorise paradoxalement l'établissement de dangereuses centrales thermiques au charbon.

Tsuruga Thermal Coal Power Station Hokuriku

Centrale thermique au charbon Hokuriku Denryoku, Tsuruga. Photographie de Nevin Thompson.

L'administration Abe a été critiquée aux niveaux national et international pour son manque de conscience environnementale et pour son exploitation impitoyable de ressources limitées. Pendant l'été 2018, alors que les collègues de M. Abe s'adressaient les uns aux autres dans un langage poliment codé, le reste du pays commençait à réclamer une réaction plus efficace aux catastrophes naturelles qui semblent maintenant courantes au Japon. En juin 2018, un tremblement de terre à Osaka a fait cinq morts et a marqué le début d'une saison record d'ouragans, de fortes inondations et de tempêtes destructrices qui ont endommagé une grande partie de l'ouest du pays. L’aéroport international du Kansai, le second du pays, a été hors d'état de fonctionner pendant plusieurs jours à cause d'une importante inondation des pistes d'envol et de l'effondrement d'un pont.

Faire du changement climatique une priorité

Même face à un indéniable changement climatique au Japon, l'agenda de l'administration Abe reste résolument fixé sur les Jeux Olympiques de Tokyo 2020, la réforme constitutionnelle, et bien entendu, la croissance économique. Bien que l'organisation des Jeux en août ait attiré de fortes critiques à cause des températures élevées et de l'humidité saisonnières, le LDP a juré de maintenir le statu quo car changer le calendrier des Jeux pourrait être défavorable à l'économie japonaise. C'est une décision ironique, puisque les Jeux d'été de Tokyo de 1964 s'étaient tenus en octobre, au moment où les festivals sportifs japonais (undokai) sont traditionnellement organisés.

“Changement climatique” (kiko hendo) et “réchauffement climatique” (ondanka) sont bien sûr des expressions japonaises familières, mais les causes de la hausse des températures n'ont pas été suffisamment associées à la croissance économique débridée et à l'avidité des entreprises. Le Japon s'était posé en nation responsable en proposant le Traité de Tokyo il y a vingt ans, mais quand M. Abe et son cercle néo-conservateur ont pris le contrôle du gouvernement, les priorités du parti ont une fois de plus tournées vers le libre-échange et moins de restrictions à la croissance économique. Malgré la vision du LDP de “Ramener le Japon (Nihon no torimodosu)” à son niveau d'ascendant économique d'avant la bulle, le fossé entre riches et pauvres devient de plus en plus difficile à ignorer.

La croissance économique favorisée au détriment de l'environnement

Les prédictions des conséquences du changement climatique sont variées, de la propagation plus rapide de la malaria et de la dengue une fois que la température se sera élevée de quelques degrés supplémentaires, à la possibilité bien plus dévastatrice que l’île de Honshu (la principale île du Japon) devienne inhabitable à moins de confiner la population à l'intérieur de bâtiments constamment climatisés. Pourtant, la réponse peut-être la plus courante consiste à conserver une réticence têtue ou à hausser les épaules en répétant le cliché shikataganai (on n'y peut rien).

Comme dans d'autres pays européens et nord-américains, de nombreux citoyens japonais semblent penser que la génération de bourreaux du travail maintenant à la retraite, les dankai sedai, ont accompli un véritable miracle économique en reconstruisant un pays totalement dévasté par la guerre. La réalité de ce “miracle”, sur laquelle peu s'attardent, est qu'il a finalement privilégié un mode de vie excessif d'hyper-consommation qui ne peut pas durer dans un monde où la population continue d'augmenter et où les ressources naturelles sont épuisées, endommagées ou détruites. On pourrait spéculer que le militarisme du début de l’ère Showa [fr] [1926-1989, NdT] a simplement été canalisé en une dévotion fanatique au principe de la croissance économique.

Que penseront les générations futures ?

Comment les générations futures jugeront-ils l’Abenomie [fr], qui a privilégié la croissance économique au détriment de l'environnement ? Les entreprises japonaises subiront-elles les conséquences de l'accroissement constant des inégalités économiques, alors qu'elles exigent simultanément de leurs employés hommes et femmes, célibataires ou en couple, indépendamment de leurs obligations familiales, de plus longues journées de travail pour un salaire minime ? La destruction de tant d’espèces animales et végétales en seulement quelques décennies sera-t-elle le prix acceptable de la croissance économique ?

Même une nation qui s'accroche à son statu quo proteste de temps en temps. De tels moments décisifs ont eu lieu pendant la Restauration de Meiji [fr] à la fin des années 1860, avant et après la Seconde Guerre mondiale : le public avait accusé les dirigeants et les magnats japonais d'avoir quasiment détruit le tissu social.

Viendra-t-il un moment où la jeune génération descendra dans les rues en colère et protestera contre les dangers de la sur-consommation ?

Finies les photos de députés qui dorment ? Un règlement du parlement de Tasmanie prétend restreindre ce que les médias peuvent montrer

samedi 27 octobre 2018 à 10:36

La salle des sessions du parlement de Tasmanie. Photo par Edoddridge. Source: Wikimedia Commons

Les journalistes et les groupes de médias contestent le nouveau règlement sur les médias publié par la présidente du Parlement de Tasmanie Sue Hickey. La Tasmanie est un État fédéré insulaire de l'Australie situé au sud de l'île-continent.

Ce document de neuf pages daté d'août 2018 détaille ce que les journalistes peuvent et ne peuvent pas faire quand ils travaillent à l'intérieur de la Chambre de l'assemblée et dans son enceinte. Les groupes de médias disent que les nouvelles règles entravent leur travail et rendent quasiment impossible de rapporter la procédure parlementaire.

Entre autres règles critiquées :

L'Alliance des médias, du spectacle et des arts, qui est l'association professionnelle des journalistes d'Australie, a qualifié les nouvelles règles d’ “attaque la plus choquante contre le travail d'une tribune de la presse.”

The guidelines represent an outrageous assault on press freedom, undermine the role of the media in carrying out legitimate scrutiny of the work of the state’s elected representatives, and hinder the dissemination of news and information to the people of Tasmania.

Le règlement représente une attaque scandaleuse contre la liberté de la presse, ébranlent le rôle des médias dans l'exécution d'un examen légitime du travail des représentants élus de l’État, et empêchent la diffusion des nouvelles et de l'information aux citoyens de Tasmanie.

The Mercury, un journal tasmanien, a lui aussi rejeté ce nouveau règlement :

…these rules are nothing more than a sneaky way for our elected officials to avoid scrutiny as they go about the job taxpayers pay them to do in the building at the centre of our democratic system.

…ces règles ne sont rien d'autre qu'un moyen sournois pour nos représentants élus de se soustraire à la surveillance lorsqu'ils s'adonnent au travail pour lequel les contribuables les paient dans le bâtiment au cœur de notre système démocratique.

Il compte bien continuer à ‘s'attarder’ dans les couloirs du Parlement malgré l'interdiction par le nouveau règlement :

We therefore plan to continue to do so in the interests of open democracy and accountability. If the Speaker plans to enforce this ban, then that is a decision that would be on her head.

Nous comptons donc continuer à le faire dans les intérêts d'une démocratie ouverte et de la reddition de comptes. Si la Présidente veut appliquer cette interdiction, ce sera une décision qui retombera sur sa tête.

Sur Twitter, le présentateur de quiz télé australien Brydon Coverdale a critiqué la règle interdisant de photographier les ‘conduites non-parlementaires’ des parlementaires.

Le parlement de Tasmanie veut interdire aux médias de prendre des “photos de ‘conduite non-parlementaire’ de parlementaires.” Pour qui ces politiciens se prennent-ils ? Ils sont élus par le peuple, et le peuple a le droit de voir comment ils se conduisent.

La présidente Hickey a souligné que les règles édictées par ses services ne sont pas vraiment neuves, et qu'elles correspondent à la norme dans d'autres parlements d’États [australiens]. Certains parlementaires n'apprécieraient pas que les journalistes puissent facilement les interviewer dans l'hémicycle. Mais Mme Hickey a admis que le nouveau règlement puisse faire l'objet de critiques et s'est engagée à consulter les médias à ce sujet.

Pendant ce temps, des journalistes se sont pris en photos en train de “s'attarder” dans les couloirs du Parlement, ce que n'autorise pas le règlement.

Des journalistes s'attardant dans le Parlement tasmanien. Le genre de comportement que les nouvelles règles vont interdire.

La présidente Sue Hickey a communiqué et a assuré que ses services apprécient le travail des médias.

J'espère vous rencontrer tous la semaine prochaine pour arriver à un consensus faisable, nous apprécions nos amis des médias !

Les enseignants transgenres transforment l'éducation au Brésil et en Colombie

vendredi 26 octobre 2018 à 18:45

Fernanda Ribeiro est professeure d'art de primaire et secondaire dans une école publique de l'intérieur de l'État de São Paulo, au Brésil. Photographie : Toni Pires. Reproduite avec autorisation.

Par Vanessa de Sá

Leona Freitas est une paysanne brésilienne typique. Sa vie quotidienne tourne autour de quelques amis proches et de son couple. Elle n'a pas de grands rêves : elle veut s'acheter une maison et mener une vie tranquille. Elle s'est rarement aventurée hors de Congonhas, la ville où elle est née et où elle travaille. Elle n'a jamais visité de grande ville. São Paulo est un rêve lointain pour elle. Belo Horizonte, capitale de l’État du Minas Gerais, se trouve à seulement 80 km de sa ville natale et fait partie des lieux qu'elle aimerait visiter. « J'irai là-bas quand je pourrai », dit-elle.

Congonhas est une petite ville historique connue pour ses fêtes religieuses, qui attirent des milliers de catholiques de tout le pays. Avec ses nombreuses églises et écoles chrétiennes, elle ressemble à des centaines, voire à des milliers de villes d'Amérique du Sud : religieuse et conservatrice.

Leona est une femme transgenre. Elle a rendu son identité de genre publique après avoir obtenu son diplôme en pédagogie. L'obtention d'un poste d'instituteur n'est possible que par appels à candidature. « Je ne sais pas si je pourrai un jour trouver du travail dans une école privée, car la plupart d'entre elles ont des liens avec des églises catholiques ou évangéliques », dit-elle.

Leona enseigne donc dans une école publique. Sa vie là-bas n'est pas facile. Elle est la seule enseignante transgenre dans cette ville de 50 000 habitants et elle ressent le malaise de ses collègues de travail. Mais cela ne lui fait pas peur, bien au contraire. Elle pense avoir déjà accompli un grand pas en avant : qu'on se réfère à elle en tant que femme. « Ils ont encore du mal à m'appeler ‘Leona’. Ils préfèrent m'appeler par mon prénom de naissance plutôt que par celui que j'ai choisi : Mlle Albert », explique-t-elle.

Leona Freitas est l'unique enseignante transgenre de la petite ville brésilienne de Congonhas. Photographie : Toni Pires. Reproduite avec autorisation.

Dans de nombreux pays d'Amérique du Sud, la discrimination empêche toujours les personnes qui ne s'identifient pas avec le sexe qui leur a été attribué à la naissance (le sexe indiqué sur l'acte de naissance) d'être convenablement représentées dans la politique, des postes de direction et des emplois ordinaires tels que chauffeur, vendeur ou caissier.

Dans les écoles, cette représentation est encore plus faible. Pour le Sud-Américain moyen, le rôle d'enseignant est toujours considéré comme une position d'autorité. « Personne ne s'attend à ce qu'un transgenre soit enseignant. Il semble qu'il y ait une incompatibilité entre ces deux concepts », déclare Alanis Bello, enseignante transgenre à l'Université pédagogique nationale de Bogotá, en Colombie.

Alanis Bello « J’adore exciter la curiosité des étudiants. Je suis arrivée à l’université en talons aiguille, très maquillée, une super drag queen. Leurs mâchoires se sont effondrées de stupéfaction ». Photographie : Toni Pires. Reproduite avec autorisation.

Ana Paula Braga Luz, professeure bénévole du projet TransPassando à Fortaleza (Brésil), reconnaît que le fait d'être transgenre est exceptionnellement compliqué. « La plupart des gens pensent que les éducateurs transgenres et transsexuels vont sexualiser les enfants et les transformer en homosexuels, en lesbiennes ou en transgenres », dit-elle.

Il existe peu de données officielles sur le nombre de personnes transgenres travaillant dans l'enseignement public, non seulement en Amérique du Sud, mais dans le monde entier. Cette population est généralement sous-étudiée ou ne fait pas l'objet de rapports, et les recherches démographiques prennent rarement en compte l'identité de genre.

Mais les personnes transgenres gagnent en visibilité grâce aux médias et à Internet. L'Institut Brésilien d'Éducation Trans (IBTE) utilise les réseaux sociaux pour rassembler les enseignants transgenres du pays. Dirigé par les éducateurs transgenres Sayonara Nogueira et Andréia Cantelli, l'IBTE a effectué un sondage en ligne en 2017 pour connaître le nombre de professionnels transgenres qui travaillent dans les écoles. « Nous avons trouvé 90 enseignants, mais je pense qu'il y en a beaucoup plus », déclare Sayonara. « Nous avons été frappés par l'histoire de quatre hommes transgenres qui se sont identifiés comme lesbiennes parce qu'ils craignaient de ne pas être acceptés par le personnel de l'école et les étudiants. »

Longtemps isolés, les enseignants transgenres trouvent leur force dans leur nombre. « Nous renforçons le réseau. Nous recherchons des éducateurs pour les dé-marginaliser et leur faire savoir qu'il existe des normes juridiques qui les protègent. Ils n'ont donc plus besoin de se cacher », explique Sayonara. « Nous les aidons également à gérer l'identité de genre et l'orientation sexuelle en classe en leur fournissant des plans de cours ».

Faire tomber les préjugés

Au début de chaque année scolaire, lorsqu’elle reçoit de nouveaux étudiants, l’enseignante brésilienne Fernanda Ribeiro fait une déclaration « Je suis une travestie ».

« C’est ainsi que je dissipe les commérages et que je me rends disponible pour des conversations », dit-elle. Les étudiants finissent par recevoir une éducation extrascolaire sur l’identité de genre. « Je plaisante souvent en disant que je suis un sujet de recherche itinérant, car il en résulte une déconstruction dans tous les sens : de la stigmatisation et des stéréotypes ». Aujourd’hui, Fernanda n’est plus « l’enseignante transgenre ». Elle est juste Prof Fernanda, « un peu stricte, mais vraiment cool ».

Peu à peu, les éducateurs trans ont vaincu les préjugés. Blasia Gómez Reinoso a pris sa retraite en 2017 après 35 années passées à enseigner et à diriger une université à Catamarca, une petite ville d'Argentine. Elle a fait sa transition en 2012 et a les larmes aux yeux quand elle évoque le moment où elle a annoncé cette nouvelle à ses élèves.

« Ils ont suivi ma transition pas à pas. Je leur ai tout expliqué. Quand je suis arrivée en tant que transgenre, je me sentais comme la personne la plus aimée au monde. Les garçons ont applaudi et les filles ont pleuré », dit-elle, en revivant ces moments. « J’ai découvert que les enfants sont ouverts d’esprit. C’est nous, les adultes, qui avons souvent du mal à accepter la diversité sexuelle ».

Les étudiants de Fernanda Ribeiro ont suivi sa transition pas à pas. « J’ai découvert que les enfants sont ouverts d’esprit. C’est nous, les adultes, qui avons souvent du mal à accepter la diversité sexuelle ». Photographie : Toni Pires. Reproduite avec autorisation.

La Colombienne Alanis Bello déclare qu'elle a dû se battre pour obtenir son poste à l'Université pédagogique nationale. « Mon prénom est Jason », dit-elle. « Je ne voulais pas changer mes papiers d'identité ». Ses élèves s'attendaient à trouver un homme pour professeur. « J'adore exciter la curiosité des étudiants », explique Alanis, sociologue. « Je suis arrivée à l'université en talons aiguilles, très maquillée, une super drag queen. Ils sont restés bouche bée de stupéfaction », dit-elle en riant. Petit à petit, elle a construit un réseau d'alliances avec des étudiants, des enseignants  et d'autres secteurs de l'institution. Alanis explique qu'enseigner du point de vue du travesti, c’est une question de guérison. « C’est une pédagogie de guérison et de poésie, parce qu'elle tente de réparer les blessures causées par la haine, la colère et la discrimination que tous ceux qui ont un corps subissent dans le système éducatif, pas seulement les transgenres ».

Elle dit que cela a provoqué des changements. « J'aide à former de futurs enseignants qui pensent à l'éducation de façon différente, qui se questionnent et se laissent toucher par la magie du travestissement ».

Laura Morales, une des étudiantes d'Alanis, déclare que l'expérience d'avoir un enseignant transgenre – ou un profe, comme le disent les Colombiens – était à la fois choquante et transgressive pour sa façon de penser et de ressentir. « C’était merveilleux», dit-elle. « Quand vous arrivez dans un endroit comme une université et que vous rencontrez une personne avec qui vous vous connectez non pas à cause de son sexe, mais à cause de son humanité… et dont l’apparence vous fait dire à vous-même : eh bien, elle est frappante physiquement, mais c’est son sourire, son être, son intellect qui est le plus attachant. Vous commencez à ne plus la voir en termes de genre, mais en tant qu’être humain. C’est crucial parce que j’ai appris qu’il y a pas seulement deux options, mais mille façons de prendre, de penser et de ressentir ».

Ce rapport a été financé par The European Journalism Centre.

Bhoutan : victoire écrasante et pacifique du parti de centre-gauche aux élections générales

jeudi 25 octobre 2018 à 10:41

Le Premier Ministre nouvellement élu du Bhoutan, Dr. Lotay Tshering. Photo : Prachatai/Flickr, CC-BY-NC-ND 2.0

Sauf mention contraire, les liens renvoient à des textes rédigés en anglais.

Un nouveau parti de centre-gauche au Bhoutan a remporté 30 des 47 sièges de l'Assemblée Nationale lors des élections qui se sont tenues le 18 octobre.

Le Druk Nyamrup Tshogpa [fr] (abrégé en DNT), qui signifie ‘Parti Uni du Bhoutan’ en bhoutanais, a fait campagne en promettant de lutter contre la pauvreté rurale et pour l'emploi des jeunes. Le nouveau Premier Ministre du Bhoutan sera Lotay Tshering [fr], un chirurgien urologue de 50 ans formé au Bangladesh et en Australie. Il a aidé à fonder le parti en 2013 et est devenu son dirigeant en mai 2018.

Ce ne sont que les troisièmes élections démocratiques à avoir lieu dans ce minuscule pays enclavé d'Asie du Sud depuis sa transition d'une monarchie absolue vers une monarchie constitutionnelle [fr] en 2008.

Les nouveaux élus du Druk Nyamrup Tshogpa (Parti Uni du Bhoutan) DNT s'apprêtent à former le nouveau gouvernement à Thimphu. Le DNT s'est rendu populaire par ses positions progressistes sur la réduction des inégalités de revenus et ses promesses dans le domaine de la santé. Lisez les explications dans l'article suivant pour plus d'informations sur l'élection.

Situé dans l'est de l'Himalaya et connu pour son indice de Bonheur national brut [fr] (BNB), le Bhoutan ne compte que 438 663 électeurs inscrits sur une population d'environ 800 000 habitants.

Les 47 membres de l'Assemblée Nationale sont élus par scrutin uninominal dans chaque circonscription. Au premier tour (appelé élections primaires), les électeurs votent pour des partis. Ensuite, les deux gagnants désignent des candidats pour le deuxième tour, indépendamment du pourcentage de voix qu'ils ont obtenu au premier tour.

Les deux principaux partis d'opposition, le DNT et le Druk Phuensum Thogpa [fr] (DPT),  se sont disputé le deuxième tour de cette année après avoir battu le Parti Démocratique du Peuple (PDP) au pouvoir.

Le DNT et le DPT avaient convenu de ne pas aborder la question des relations extérieures du Bhoutan pendant la campagne — avec ses deux grands voisins, l’Inde et la Chine, le sujet est généralement brûlant dans la société bhoutanaise. Le gouvernement a également nommé des responsables pour surveiller les forums en ligne des partis afin de garantir le respect de cet accord.

Après les résultats, le 19 octobre, le leader du DPT, Dro. Pema Gyamtsho a félicité sur Facebook le DNT pour sa victoire  :

We humbly accept the choice of the people and wish the president and candidates of DNT all success during their tenure. I hope that Dr. Lotey and his team will ensure that our people would continue to enjoy peace, unity, and harmony under the farsighted leadership of His Majesty the King.

Nous acceptons humblement le choix du peuple et souhaitons au président et aux candidats du DNT un plein succès dans leurs fonctions. J'espère que le Dr. Lotey et son équipe veilleront à ce que notre peuple continue à jouir de la paix, de l'unité et de l'harmonie sous la direction éclairée de Sa Majesté le Roi.

Le DNT, qui s'est engagé à honorer 25 de ses promesses de campagne dans les 120 jours, a publié un communiqué de presse dans lequel il déclarait qu'il travaillerait avec les autres partis politiques pour former un gouvernement royal du Bhoutan, et pas seulement un gouvernement du DNT.

Wangcha Sangey, célèbre blogueur bhoutanais, s'est fait l'écho de l'idée d'un gouvernement de coalition au Bhoutan. 
Il reste à voir comment le nouveau Premier ministre et son parti mèneront le Bhoutan alors qu'il cherche à intensifier sa coopération avec la Chine sans contrarier l'Inde.

Un vote pacifique

L'élection s'est déroulée pacifiquement et a connu un taux de participation de 71 pour cent au second tour.

Elections générales 2018: Une longue queue d'électeurs dans un bureau de vote à Tashiding, Dagana

Bonne élection et bon vote à tous les Bhoutanais ! Puisse le Tout-Puissant conférer sagesse et force pour choisir le bon parti pour gouverner pendant les cinq prochaines années. Que le meilleur gagne.

Jour décisif pour le Bhoutan… ?
S'il vous plaît, votez avec votre voix intérieure. Avec cette élection bénie par Dassain, il s'agit de la positivité gagnant sur la négativité par la grâce de la déesse Durga.
Je prie et souhaite le meilleur résultat aux élections d’aujourd’hui pour que notre pays jouisse de la paix et de la prospérité 🙏

Cette année, la Commission Électorale du Bhoutan a utilisé des machines à voter électroniques (EVM) ainsi que le vote par correspondance. Elle a également utilisé un système d'Information électorale par SMS pour collecter des informations auprès de ses 865 bureaux de vote. Beaucoup d'entre eux sont isolés dans les montagnes.

Un nombre record : sept femmes sur les dix candidates des deux partis ont remporté des sièges.

Capture d'écran du site internet de la Commission électorale du Bhoutan

Sauveurs blancs, écoles libériennes

jeudi 25 octobre 2018 à 10:23

La fondatrice de More Than Me, Katie Meyler, au Liberia, le 19 septembre 2016, Wikimedia Commons, source: page Flickr officielle de More Than Me.

Il y a deux semaines, le projet de journalisme d’investigation américain ProPublica a publié un article intitulé “Unprotected” (“Sans protection”), mettant en lumière un scandale à grande échelle d’abus sexuels au sein de l'organisation non-gouvernementale More Than Me (MTM), dont la principale activité est de gérer des écoles réservées aux filles en situation de vulnérabilité extrême à West Point, un quartier de Monrovia, au Liberia. Le reportage a amené de nombreux commentateurs à se demander comment des négligences si graves ont pu être commises, mais les écoles privées gérées par des ONG comme MTM se multiplient aujourd'hui dans toute l'Afrique, créées à tour de rôle par des idéalistes altruistes.

Depuis la fondation de MTM en 2008 par l'Américaine Katie Meyler et le libérien Macintosh Johnson, la foi aux accents évangéliques de Meyler dans la mission de son organisation l’a amenée à lever 8 millions de dollars auprès de donateurs, de célébrités et de philanthropes du monde entier. Depuis sa création, MTM est passée de la gestion d'une à 19 écoles, enrôlant plus de 4 000 élèves.

Meyler et Johnson manquaient d’expérience dans les secteurs de l'éducation ou du développement, mais au Liberia, où 60% des enfants en âge d'aller à l'école ne sont pas scolarisés, Meyler est apparue comme une sorte de sauveur qui pourrait prendre le relais là où le système éducatif en ruine du pays avait échoué.

En 2013, la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf a qualifié le système éducatif du pays de “chaotique” , après que l'ensemble des 25 000 élèves inscrits au lycée eurent échoué aux examens nationaux. Tout juste sorti de la guerre civile et d'une épidémie du virus Ebola dévastatrice, le gouvernement libérien cherchait alors désespérément des solutions et s'est tourné vers les donneurs internationaux et les philanthropes pour obtenir de l'aide.

Lors de la cérémonie d’ouverture de l’école MTM, la présidente Sirleaf a publiquement appuyé Meyler, déclarant que ce qu'elle souhaitait avant tout pour son pays était que “s'étende l’initiative de Katie Meyler au plus grand nombre possible de communautés”.

Avec peu de contraintes légales, de prérequis ou d'obstacles administratifs, Meyler a établi MTM comme une organisation fiable et réputée, en promouvant partout sur les réseaux sociaux un narratif enchanteur de salut tout droit sorti d'un conte de fées.

Culpabilité sans conséquence

Dès la fin de l'année 2012, cependant, des rumeurs concernant des allégations d'abus sexuel perpétrés par Johnson avaient déjà commencé à circuler au sein de la communauté MTM. Mais à ce moment-là, Meyler voyait déjà sa popularité grimper en flèche dans le monde élitiste des philanthropes, où elle faisait figure de “star de la charité”, notamment après avoir remporté une compétition de renom organisée par JPMorgan Chase et attribuant un prix de 1 million de dollars, et après avoir été distinguée comme Personne de l'année 2014 par Time Magazine pour son travail lors de la réponse à l'épidémie d'Ebola. Selon ProPublica, Meyler avait eu dès 2011 des soupçons sur l'inclination de Johnson pour les petites filles, mais les deux étaient alors engagés dans une romance intermittente et Meyler a échoué à réagir de manière rapide et décisive pour le neutraliser. D'autres, qui soupçonnaient Johnson, ont hésité à le dénoncer de crainte que Meyler ne prenne parti pour son petit ami plutôt que pour les filles, a expliqué Iris Martor, infirmière à l'école MTM.

L'enquête de ProPublica a confirmé que Johnson avait violé et agressé près du tiers des écolières, certaines âgées d'à peine 10 ans. Le personnel de MTM a finalement signalé Johnson à la police en 2014, menant à sa mise en garde à vue et à l'ouverture d'une enquête criminelle et à plusieurs auditions devant le tribunal. Meyler a continué à communiquer avec Johnson pendant sa détention provisoire, mais n'a pas assisté à ses audiences. Johnson est finalement décédé du sida avant la fin de son procès. ProPublica confirme que plusieurs de ses jeunes victimes ont également contracté le VIH.

MTM a rejeté toute responsabilité, à l'exception de l'embauche de Johnson. Les membres du conseil d'administration affirment que l'organisation a créé un “environnement sûr” et s'est engagée de manière entière en faveur des droits et de la protection des enfants. Meyler a dépeint son rôle dans l'affaire comme celui d'une victime de plus qui aurait été dupée par Johnson, et a salué le courage des filles qui ont pris la parole, s'engageant à se battre encore davantage pour leur protection. MTM a fourni des bourses d’études et des logements à certaines des victimes de Johnson, mais d’autres ont été transférées dans d'autres écoles, et au moins l'une d’entre elles est retournée à une vie difficile dans la rue.

Sauveurs blancs, États fragiles

Aujourd'hui, MTM continue de travailler en partenariat direct avec le gouvernement libérien. En 2016, le Ministère de l'Éducation a lancé l'initiative Écoles partenaires pour le Liberia, dans le cadre du Programme de promotion de l'éducation au Liberia, externalisant la gestion de près de 100 écoles à des ONG à but lucratif et non lucratif, parmi lesquelles se trouvent, entre autres, MTM, Bridge International Academies (également sous investigation pour pratiques trompeuses) ou encore Rising Academies.

Des syndicats d'enseignants au Liberia comme à l'étranger, ainsi que des professionnels du développement qui s'opposent à la privatisation des écoles en Afrique, ont fermement condamné cette initiative. Pourtant, malgré des résultats mitigés la première année, le gouvernement prévoit de doubler le nombre d'écoles externalisées d'ici à 2019, suivant une tendance à la hausse sur tout le continent africain. Selon une étude, d'ici 2021, un enfant sur quatre en Afrique sera scolarisé dans une école privée, soit un total de 66 millions d'enfants.

Parmi les sept organisations ayant initialement passé un partenariat avec le Liberia, plus de la moitié ont été créées par des étrangers blancs, guidés par une envie d'agir qui prend plus souvent sa source dans un certain altruisme philanthropique que dans une connaissance pratique des problématiques locales. La race, le genre et les privilèges ont joué un rôle majeur dans la formation de MTM et d'organisations similaires. En tant que femme blanche américaine, Meyler a bénéficié d'opportunités qu'une ou qu'un Libérien noir n'aurait pas obtenues, a déclaré Chidegar “Chid” Liberty, membre du conseil d’administration de MTM, à ProPublica.

“On ignorait à quel point les choses auraient pu mal tourner si les bonnes structures de gouvernance n’avaient pas été en place”, a déclaré Liberty, employé libérien-américain basé à temps partiel à Monrovia.

L’ignorance délibérée de Meyler va de pair avec le “complexe du sauveur blanc”, un terme servant à désigner des blancs qui se donnent pour mission d'aider les populations non blanches défavorisées et dont l'origine prend racine dans un héritage colonialiste et raciste qui perpétue des stéréotypes dégradants d'une Afrique noire “non civilisée”. L'écrivain Teju Cole l'appelle quant à lui le complexe industriel du sauveur blanc — car il apparait clairement qu'interférer ainsi dans la vie d'autrui peut se révéler un business juteux.  

Liberty, qui a quitté le conseil d’administration en 2015, a déclaré à ProPublica qu’il estimait que l’organisation “avait en fait joué un rôle significatif dans ce qui est un crime institutionnel majeur contre ces filles”.

“Partout ailleurs dans le monde, toutes les personnes impliquées auraient, d'une manière ou d'une autre, été tenues pour responsables”, a déclaré Liberty, suggérant que le cadre éthique de MTM, tout comme ses actions, portent la marque des “privilèges de blancs” dont bénéficient Meyler et son organisation.

Augmenter ou réduire

Les projets du Liberia visant à intensifier les partenariats public-privé dans le secteur de l'éducation sont sans précédent sur le continent. De Bill Gates à Mark Zuckerberg, les philanthropes appartenant à ce que ProPublica appelle le “monde élitiste des solutionneurs des problèmes du monde” rôdent autour des gouvernements défaillants comme des prédateurs autour d'une proie. Ces derniers savent qu'investir dans l'éducation en Afrique présente des opportunités, et que ces investissements peuvent facilement se faire passer pour de l'altruisme.

Les partisans de la privatisation des écoles insistent sur le fait que les écoles privées ont tout simplement de meilleurs résultats que les écoles publiques manquant de ressources. Cependant, comme le montre la débâcle de MTM, leur acharnement à multiplier au plus vite les écoles – leur permettant ainsi de rentabiliser rapidement leurs investissements émotionnels et financiers – peut conduire à des violations massives des droits de l’homme.

Si les nations comme le Liberia échouent à voir dans l'éducation un droit humain universel qui doit être du ressort de l'État, leurs difficultés à renforcer leur système éducatif continuera de créer un appel d'air pour des organisations comme MTM qui viendront combler le vide, perpétuant cette dépendance.

Dans une lettre datée du 14 octobre et publiée sur le site internet de MTM, Meyler a annoncé quitter temporairement son poste de PDG, le temps que l'organisation mène une enquête interne sur les allégations présentées dans le reportage de ProPublica.

Il est indiscutable que des crimes horribles ont été commis dans l'enceinte des écoles de MTM, sans qu'aucune responsabilité en soit assumée. Tout en ayant recours au discours enjolivé du développement à la sauce “bon samaritain”, Meyer a soumis les filles les plus vulnérables de Monrovia à un fantasme évangélique de “salut” qui a terriblement mal tourné et qui les a mises en danger.

Mais quiconque ayant passé du temps en Afrique connaît une personne comme Meyler, voire même se retrouve un peu dans son idéalisme. Malgré les critiques virulentes, l'industrie du tourisme humanitaire [aussi appelé “volontourisme”], estimée à 173 milliards de dollars , est en plein essor sur le continent. Elle offre aux jeunes idéalistes la possibilité de vivre leurs fantasmes de sauveur au détriment des communautés vulnérables. D’Instagram aux conférences TED, ces bons samaritains mondialisés tiennent prêt leur prochain sermon.

Un puissant amalgame de privilèges et d'incompétence conduit souvent à faire de graves erreurs. J'en ai moi-même commis quelques-unes, et je connais des amis, des collègues et d'anciens étudiants qui ont également maladroitement navigué sur la complexité de projets de développement pour lesquels ils manquaient d'expérience ou de savoir. Le développement, le vrai, prend du temps – il n'y a pas de solution miracle. 

Tous les projets ne dérapent pas dans des proportions aussi importantes que MTM, et tous les blancs travaillant en Afrique ne sont pas irresponsables. La compétence, bien sûr, transcende les races, les classes et les sexes. Mais l'histoire de Meyler tire la sonnette d’alarme sur l’impérieuse nécessité pour plus de structure, de solidarité, de responsabilité et d’intégrité quand on parle de développement – si du moins nous avons l’intention de poursuivre cette voie.