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Partir ou rester, le choix des Syriens d'Al-Waer les place devant un avenir incertain

lundi 29 mai 2017 à 13:08

Un enfant tient un bouquet de fleurs à la fenêtre d'un des bus utilisés pour relocaliser les habitants d'Al-Waer. Place Madinat al-Maared, Al-Waer, Homs. Photo prise le 27 mars 2017. Source : Maher Al-Khaled/SyriaUntold.

Cet article a été écrit pour Syria Untold par Jood Mahbani, journaliste et militant de la société civile de Homs, et traduit en anglais par . Il a été initialement publié le 8 mai 2017 et est reproduit ici dans le cadre d'un accord de partenariat. Lisez la première partie ci-après.

Idlib, Jarablus, ou zone rurale nord de Homs ?”

Telle est la question souvent échangée par les habitants de la cité syrienne de Al-Waer, à l'ouest de la ville de Homs et partie de la circonscription administrative du même nom, quand ils s'enquièrent de leurs destinations respectives. Les rebelles et leurs familles évacuent leur ultime bastion de la ville, qui a été surnommé “la capitale de la révolution”, à la suite d'un accord négocié par la Russie.

Après six ans d'une guerre qui a débuté par un soulèvement populaire contre le régime Assad, ce dernier est en train de reprendre le contrôle avec le soutien à la fois de la Russie et de l'Iran.

Aux termes de l'accord, signé le 13 mars 2017 par une délégation du régime et le Comité de quartier d'Al-Waer, l'exode se fera par vagues, jusqu'au départ de la dernière personne souhaitant quitter le quartier, moment où celui-ci sera transféré aux forces du régime syrien.

En l'absence de garanties concrètes, nombre d'habitants ont choisi de se risquer dans “l'inconnu” plutôt que d'attendre “l'inévitable,” selon Ibtisam Al-Masri, une mère de quatre enfants. (Tous les prénoms et noms ont été changés, pour raisons de sécurité.)

Elle imagine que le sort du quartier sera au mieux similaire à celui d’Alep- Est. “Ils pilleront absolument tout”, ajoute-t-elle avant de monter dans un des bus emmenant le cinquième lot d'exilés vers la ville de Jarablus. “Ils se vengeront sur tous ceux qui resteront, voilà pourquoi je pars… impossible pour moi de rester et de les regarder nous tuer et dévaliser nos maisons”.

Les médias d'opposition soulignent que la province de Homs est au bord d'une métamorphose démographique systématique planifiée par le régime syrien, comme c'est le cas dans des villes comme Daraya, Al-Qusayr et Alep-Est, toutes précédemment assiégées et finalement évacuées.

La situation à Al-Waer est toutefois beaucoup plus ambiguë et complexe, et on ignore encore si le régime veut réellement vider les lieux de tous leurs habitants avant d'y déployer ses forces.

L'accord d'évacuation d'Al-Waer a pour particularité l'ouverture de passages permettant aux propriétaires privées de pénétrer [dans la ville] avant l'entrée des forces du régime. Il comporte aussi l'option de rester pour ceux qui le souhaitent, à la différence de ce qui s'est passé à Alep-Est par exemple, où tous les civils furent évacués avant l'entrée des forces du régime.

Néanmoins, la méfiance envers le parrain russe, unique garant de l'accord, s'ajoutant au voisinage des villages chiites armés (Zarzuriya, Hayek et Mazraa) ont fait naître une peur générale dans le quartier. De nombreuses rumeurs ont circulé que des miliciens chiites du village de Mazraa (contigu à al-Waer) attendaient l'évacuation du dernier groupe de rebelles pour piller et persécuter les civils restants.

Résultat, la population civile est prise entre deux sombres perspectives, soit d'être déplacée et déracinée, soit de rester dans l'incertitude, un choix infiniment difficile à trancher.

‘Je ne veux pas laisser ma maison, mes possessions, mes souvenirs’

Hayyan Al-Siufi, un militant de la société civile âgé de 30 ans, décrit les cinq années qu'il vient de vivre assiégé comme des “années de pertes”.

Il a décrit pour SyriaUntold les conditions extrêmes de bombardement, siège et destruction des infrastructures, admettant regretter de ne pas avoir décidé d'émigrer dès le début du conflit armé en Syrie. “Je ne sais pas à quoi tout ça a servi” ajoute-t-il, perplexe. “Pourquoi avoir gardé patience ? Pour finalement être déplacés ainsi et quitter nos maisons et nos êtres chers” ?

Hayyan n'est que l'un des milliers de jeunes hommes d'Al-Waer éligibles à la conscription forcée ou au service réserviste, et qui préférant demeurer dans l'enclave contrôlée par les rebelles depuis 2011 ne sont pas partis à l'étranger. Leurs espoirs étaient que la guerre prendrait fin un jour et qu'ils échapperaient alors au service militaire obligatoire ou à l'enrôlement comme réserviste.

Mais avec l'évacuation du quartier devenue réalité, et seulement quelques semaines restantes pour composer les lots, la plupart d'entre eux ont décidé d'inscrire leurs noms pour le départ. Ils ont refusé de rester à cause de l'éternelle peur, celle du service militaire obligatoire dans l'armée du régime syrien.

En outre, si les hommes de moins de 40 ans n'ont guère hésité à partir pour les zones sous contrôle de l'opposition, la décision a été plus difficile pour leurs familles et parentés, dont les priorités, responsabilités, peurs et attentes sont complexes.

Perdues entre leur attachement à leurs racines en même temps qu'à leurs fils sur le départ, nombre de familles se sont scindées dans leurs décisions, et certaines ont retiré leur demande d'inscription pour la destination choisie et l'ont redéposée plusieurs fois.

“Nous nous sommes inscrits pour Idlib afin de pouvoir rapidement gagner la Turquie. Puis nous nous sommes aperçus que passer clandestinement n'est pas si facile et peut coûter cher, alors nous avons décidé de changer pour Jarablus”, dit Umm Rami, justifiant sa présence avec un groupe d'habitants à un des centres d'inscription, malgré l'expiration du délai pour choisir une destination.

De ses propos à SyriaUntold, il s'est avéré qu'elle était fonctionnaire, et que son mari a dépassé l'âge d'être réserviste. Ils ont néanmoins opté pour le départ avec leurs trois enfants par souci pour eux.

“L'aîné a 26 ans, et il est recherché pour la réserve, le cadet a 20 ans et est recherché pour le service militaire obligatoire, et le plus jeune a 15 ans, ce qui veut dire qu'il approche de l'âge du service militaire”.

S'entourant le cou de ses paumes, comme pour soulager son angoisse, elle ajoute d'une voix enrouée : “Je me sens affreusement vaincue. Je ne veux pas laisser ma maison, mes voisins, mes possessions, mes souvenirs, et en même temps je ne peux pas laisser mes enfants à cet âge”.

Au centre d'enregistrement pour les destinations assignées (Idlib, Jarablus, zone rurale nord de Homs), les gens échangent des conseils et partagent les informations obtenues par ceux qui les ont précédés pour une de ces destinations.

Des affirmations à l'emporte-pièce maintes fois répétées par de nombreuses personnes prennent la forme de mantras circulant dans le voisinage comme des faits scientifiques. “Idlib a des loyers bon marché pour se loger”, “le problème d'Idlib est que c'est dangereux et sujet aux bombardements”, “ceux qui choisissent Idlib choisissent en réalité la Turquie avec les passeurs”, “les forces du régime vont arrêter tous ceux qui resteront dans le coin”, “Jarabulus est sûr, mais les logements sont très difficiles à obtenir”, “si on a pu vivre sous la tente alors on peut bien aller à Jarablus” “La zone rurale nord subira bientôt le même sort qu'Al-Waer”.

Umm Rami s'éloigne d'un groupe de femmes qui discutent, laissant les dames derrière elle continuer leur conversation. Elle traîne péniblement les pieds, retenant les larmes prêtes à déborder de ses yeux. “Tout ça n'a pas de sens”, dit-elle à SyriaUntold. “Nous sommes envahis par des détails, et nous nous distrayons avec quelle destination est la meilleure, Idlib ou Jarablus… mais nous perdons de vue l'essentiel : cela revient au même ! Nous partons !”

Au Chili, la longue et tortueuse route de la loi d'identité de genre

dimanche 28 mai 2017 à 22:58
"Be Not Afraid" (No tengas miedo). Foto de torbakhopper en Flickr. Usada bajo licencia (CC BY-ND 2.0)

‘(N'aies pas peur’. Photo de torbakhopper sur Flickr. Utilisée sous licence (CC BY-ND 2.0)

Le parcours du projet de loi qui “reconnaît et protège le droit à l'identité de genre” au Chili, appelée loi d'identité de genre (LIG) et qui a pour but d'en finir avec les situations de discrimination et d'exclusion qui touchent les personnes trans au Chili – avec l'impossibilité actuelle de revendiquer ouvertement et de vivre en accord avec son identité de genre – fait penser au titre de la ballade écrite par Paul McCartney, The long and winding road (la longue et sinueuse route).

Pour évoquer les débuts de ce projet de loi, il faut revenir quatre ans en arrière, le 7 mai 2013, quand la première ébauche de projet de loi LIG est entrée au Sénat, présentée par la fondation Iguales (Egaux) et l’organisation OTD (Organisant les Trans Diversités).

Comme le signale cette dernière organisation, durant ces quatre années le projet de loi a eu 15 périodes d'amendements, avec plus de 200 amendements présentés, 3 textes approuvés et même un bref changement de commission parlementaire. Lors des nombreuses périodes d'amendements – durant lesquelles à plusieurs reprises l'accès de représentants d'organisation pour la diversité sexuelle et de genre a été bloqué – le but a été de limiter ou même supprimer le droit à l'identité de genre, en imposant des critères médicaux et psychologiques au changement de prénom et de sexe à l'état civil, ou exclure la reconnaissance de ce droit pour les mineurs. De plus, le 12 avril 2017, une modification a été approuvée qui empirerait la procédure de changement de prénom et de sexe à l'état civil réalisée par une personne trans (actuellement, cela est à la discrétion des juges), en donnant le droit à des tiers de s'opposer à la demande de changement.

Finalement, le 10 mai 2017, la commission parlementaire a envoyé le projet de loi au Sénat pour un vote détaillé, c'est à dire article par article.

Enfin ! Le projet de loi d'identité de genre est envoyé à l'hémicycle!

Ce sera le moment crucial de la bataille de la diversité sexuelle et de genre au Chili, et par la suite les organisations de la société civile devront faire tous les efforts possibles pour créer des accords avec les parlementaires, et améliorer les points amputés du projet originel. Cela concerne surtout celui relatif à l'opposition de tiers, comme Franco Fuica, vice-président d'OTD le souligne :

El tema de la oposición es uno de los nudos críticos que presenta esta ley, es lamentable que se permita que terceros puedan oponerse. Al parecer saldremos del Senado sin la incorporación de niños, niñas y adolescentes, lo que pretendemos que se pueda arreglar en la sala o en la Cámara.

Le thème de l'opposition est un des points critiques que présente cette loi, il est lamentable que des tiers puissent s'opposer. Il semble que ce qui sortira du sénat sera sans l'incorporation des mineurs, ce que nous voulons faire régler au Sénat ou à la Chambre.

Batailles remportées

Pendant que la classe politique a démontré sa déconnexion des besoins des citoyens, la diversité de genre a gagné des batailles importantes dans la sphère publique et civile.

Par exemple, le 11 avril de cette année, une juge de la ville de Concepción a ordonné le changement de prénom et de sexe légal pour que soit respectée l'identité de genre d'Alex Tima, qui en octobre 2016 a commencé une procédure pour la rectification de son acte de naissance avec le soutien légal de la fondation Movilh. Alex Tima a déclaré au journal El Ciudadano (le citoyen) qu'il vivait au quotidien des atteintes à sa dignité, vu que son identité de genre ne coïncidait pas avec celle de ses papiers d'identité :

En gimnasios no podía entrar al camarín de hombres ni al de mujeres, entonces, no podía disfrutar de las instalaciones. (…) Voy a partir estudiando de cero, sin que me estén preguntando ‘eres trans’, que es lo que no quiero.

Au gymnase, je ne pouvais entrer ni dans le vestiaire des hommes ni dans celui des femmes, je ne pouvais donc pas profiter des installations. (…) Je vais démarrer mes études de zéro, sans qu'on me demande “tu es trans?”, ce que je ne veux pas.

La lutte pour la diversité de genre a été particulièrement rude dans les espaces publics et éducatifs. Par exemple, la superintendance de l'éducation a récemment publié une circulaire élaborée avec la participation d'organisations de diversité de genre, afin de préserver le droit à l'éducation et la non-discrimination des jeunes. Le directeur exécutif de la fondation Iguales, Emilio Maldonado, a soutenu le document et assure :

Es un hito para salvaguardar a niños/as y adolescentes trans. Sobre todo porque la tasa de deserción desde el sistema escolar de ellos/as es mayor a la de cualquier otro grupo, por lo cual va en la dirección correcta.

C'est une avancée pour protéger les enfants et les adolescents trans. Surtout parce que le taux d'abandon du système scolaire de ceux-ci est supérieur à tous les autres groupes. Aussi, cela va dans la bonne direction.

Image : les enfants et les adolescents ont droit à la reconnaissance de leur identité de genre. Nous sommes ici pour leur bien-être. #LIGahora (#LIGmaintenant). Todo Mejora (Tout s'améliore)

Nous espérons que la loi qui a été envoyée aujourd'hui au sénat n'exclura pas l'identité des enfants et des adolescents du Chili

Des victoires comme la circulaire de l'éducation, fruit de l'intervention des organisations de la société civile, sont celles qui en dernière instance améliorent la vie de personnes comme Selena, la petite fille qui nous a ému avec son témoignage courageux, d'une incroyable franchise et qui avec son sourire malicieux nous invite à réfléchir en se rappelant une autre chanson des Beatles, We can work it out (on peut y arriver).

“Je suis une fillette transgenre et je suis heureuse”. Prends le temps de connaître l'histoire de Selena, une courageuse et fière écolière chilienne trans.

Pas de consensus en Éthiopie sur l'élection du Dr. Tedros comme Directeur Général de l'OMS

dimanche 28 mai 2017 à 17:44

Des ressortissants de la diaspora éthiopienne manifestent à Genève contre le directeur général de l'OMS fraîchement élu. 22 mai 2017. Image: Ecadf Ethiopia.

En dépit d'une intense campagne menée contre lui par quelques uns de ses collègues et compatriotes, le Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus d’Éthiopie sera le prochain directeur-général de l'Organisation Mondiale de la Santé(OMS).

Communément appelé par son prénom, Tedros a battu haut la main le candidat britannique le Dr. David Nabbaro, à l'issue d'un vote à deux tours des pays membres lors de la 70ème Assemblée de l'Organisation Mondiale de la Santé à Genève. Il est le premier Africain à accéder à ce poste.

Toutefois, pour les Éthiopiens s'opposant à Tedros,son élection ne fut pas un moment de triomphe. Ses détracteurs, évoquant son passé de ministre de la santé et des affaires étrangères de son pays, disent qu'il fut complice des arrestations et tortures par le pouvoir éthiopien des leaders politiques et citoyens ayant remis en cause le statu quo. Ils craignent que son accession au poste le plus important de l'organisation de santé publique des Nations Unies, celui de Directeur Général, ne rendent légitimes les actions des autorités éthiopiennes sur le plan mondial.

Leçon essentielle de la campagne du Dr Tedros pour l'OMS. Deux armées sont nécessaires à un Africain en guerre. Une pour affronter l'ennemi, une autre pour se dépatouiller de ses compatriotes

Durant des mois, les opposants ont mené une farouche campagne en ligne visant à bloquer la candidature de Tedros, et aboutissant à des manifestations à Genève ce mois. Juste avant le vote, des groupes membres de la diaspora éthiopienne ont envahi les rues autour des bureaux des Nations Unies, brandissant des drapeaux et exhibant des banderoles avec des slogans tels que “Les criminels ne sont pas des soignants!” et “Pas de Tedros à l'OMS!”.

La veille de l'élection, un perturbateur a crié, “Pas de Tedros pour l'OMS ; c'est une parodie pour l'humanité et l'Afrique réfléchissez bien.”

La 70e Assemblée de l'OMS interrompe par un militant anti-Tedros appelant les Etats membres à “bien réfléchir”

Pendant ce temps à Addis Abeba, la capitale éthiopienné, les partisans du gouvernement attendaient anxieusement les résultats de élection, s'interrogeant sur l'impact des nombreux articles de presse sur les allégations de dissimulation du choléra concernant Tedros et la vive opposition des groupes de la diaspora éthiopienne.

Les campagnes de dénigrement ne marchent pour personne ! Le docteur Tedros est hautement qualifié pour diriger l'OMS. Cardiologue pour le docteur Tedros

Heureusement pour les fidèles de Tedros, ses adversaires ont été incapables de persuader assez de membres de l'OMS de lui retirer leur soutien.

Allocution du Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus à Chatham House. Photo Chatham House via Wikipedia image. Licence Creative Commons Attribution 2.0 Generic.

Une victoire qui divise, un pays divisé

Cinq mois après que le parti politique de Tedros eut proclamé une victoire électorale totale en 2015, le pays s'embrasa en manifestations qui durèrent presque une année. Selon Human Rights Watch, au moins 800 personnes moururent, et un millier d'opposants politiques furent emprisonnés et torturés.

Depuis octobre 2016 et la déclaration de l'état d'urgence, le gouvernement éthiopien, auquel Tedros participa jusqu'au 1er novembre 2016, a imposé les lois de censure parmi les plus répressives au monde.

Vous avez remporté une élection libre, félicitations. A présent, pourquoi n'essayez vous pas [cette liberté] ici en Éthiopie ?

Des protestataires réclament plus de respect et d'autonomie pour le groupe ethnique des Oromo, qui sont souvent exclus du processus de décision du pays.

En fait , les attitudes ethnocentriques ont joué un rôle important dans le brillant parcours de Tedros à l'OMS. Tedros est un membre dirigeant du Front de Libération du Peuple Tigré (TPLF), le parti dominant au sein du régime au pouvoir en Éthiopie. Son ascension fulgurante commença dés la fin de son doctorat en 1999, lorsqu'il fut chargé de diriger le département de la santé de la région de Tigré. Après deux années, il fut promu au ministère de la santé par l'ancien Premier Ministre Meles Zenawi, lui-même un Tigré. En 2012 à la mort de Meles Zenawi, Tedros devint le ministre des affaires étrangères de l’Éthiopie.

Le Tigré est une des neufs régions-États qui sont fédérées sur la base de leurs compositions ethnolinguistiques. Durant les 26 dernières années, les élites Tigré ont joué un rôle central dans les affaires politiques en Éthiopie, et cela en grande partie grâce à leur contrôle de l'économie et des forces armées.

Bien que ne constituant que 6% de la population éthiopienne, tous les postes de responsabilité de l'appareil sécuritaire et militaire national — de même que les postes les plus importants dans les autres institutions de l’État — sont occupés par les élites tigréennes. A l'inverse, la plupart des membres des élites des Oromo et des ethnies Amhara, qui ensemble forment 65 %  de la population en Éthiopie, sont soient exilés ou emprisonnés.

Ce déséquilibre a été un sujet de controverse durant des années, et certains voient en l'élection de Tedros la normalisation du pouvoir de la minorité en Éthiopie. Les partisans de Tedros, en revanche, estiment que ses détracteurs sont purement sectaires et envieux de la réussite de l'un de leur proches sur le plan mondial.

Ceux qui ont battu campagne avec passion contre Tedros rejettent ces allégations, en affirmant qu'ils encouragent toujours les athlètes éthiopiens sur la scène internationale, sans tenir compte de leur origine ethnique. Par exemple, Abbaacabsaa Guutamaa, expliqua sur Facebook:

A propos, nous nous sommes opposés au Dr.Tedros pas parce que le poste de Directeur Général de l'OMS est quelque chose de si puissant et d'une si grande importance. Dans les faits, le budget de l'OMS est moindre que la moitié de celui d'un bon hôpital aux États-Unis et notre opposition était un acte de combat pour la justice et avait pour but de saisir une occasion de révéler au monde les crimes du TPLF par le visage de ce monsieur. Nous avons fait du bon travail à cet égard.

Le sport professionnel peut-il prospérer en Afrique ?

dimanche 28 mai 2017 à 16:10

Luol Deng aux Chicago Bulls via wikimedia CC-license-2.0

Luol Deng est un basketteur professionnel riche et célèbre. Il a joué dans les équipes les plus célèbres de la NBA: les Bulls de Chicago, les Lakers de Los Angeles, les Cavaliers de Cleveland  et Les Heat de Miami. Deng est aussi originaire du Soudan du Sud, un pays meurtri par la pauvreté et les conséquences d'une récente guerre civile.  Il est fortement impliqué dans la réduction des conflits et de la progression du processus de  paix dans son pays natal via  l'ONG Enough Project. Il a aussi permis la construction de 12 terrains de basket et vestiaires dans son pays. Il explique ainsi:

C’est ce dont je suis le plus fier : avoir fait le plus possible sur et en-dehors du terrain, avoir aidé ma communauté et la vie des autres.

Deng voit donc dans la croissance de son sport de prédilection  un vecteur potentiel de réussite économique pour ses compatriotes. Cependant les exemples de réussite professionnelle via le sport de haut niveau sont encore trop rares en Afrique et la question se pose alors si le sport professionnel peut véritablement être un élément moteur dans le développement du continent africain.

L'impact médiatique du sport de haut niveau sur le continent africain est indéniable. Les grands événements sportifs tels que la coupe du monde de football ou les jeux olympiques sont suivis par la grande majorité de la population. De même le succès de chaque pays africain ou athlète africain est célébré comme une grande victoire pour tout le continent: par exemple le parcours de Roger Milla et des Lions Indomptables du Cameroun à la coupe du monde 1990 fut une véritable révélation pour tous les africains:

Cependant, le sport de haut niveau n'arrive pas à s'établir de manière stable sur le continent. Les compétitions nationales sont peu suivies et les meilleurs joueurs s'exilent à l'étranger. Ceci est encore plus frappant pour  les sports individuels comme le tennis. A ce jour, le seul joueur d’Afrique de l'ouest à avoir gagné un tournoi ATP est le Sénégalais Yahiya Doumbia,  vainqueur de l'open de Lyon en 1988 et celui de Bordeaux en 1995.

Pour les jeunes athlètes africains, s'engager dans la voie du sport de haut niveau est donc un pari à haut risque. Quid donc du rôle du sport dans le développement de l'Afrique?

Pour l'institut Amadeus, un think tank marocain, ce rôle reste à définir:

Dans nos états, la dimension éducative du sport n’est pas suffisamment exploitée. Le mouvement sportif international a exploité la dimension monétaire du sport. C’est aux gouvernements d’intervenir pour remplir cette lacune. Par exemple, l’engouement  autour de l’organisation de ‘méga’-évènements sportifs a attiré beaucoup d’attention autour de l’idée selon laquelle le sport constituerait un véritable vecteur de développement. Pourtant, selon le bureau de l’UNESCO pour la Jeunesse, le Sport et l’Education Physique, l’impact développemental de ce genre de manifestations reste à démontrer.

La plupart des bénéfices ne perdurent pas dans la durée. L’effet sur l’emploi, qui revient souvent dans les argumentaires des responsables politiques locaux, n’est que de courte durée, et ne porte que sur des emplois faiblement qualifiés. Accueillir ce genre d’évènements mène à une hausse généralisée des prix, qui affecte en premier lieu les populations les plus défavorisées. De plus, il reste à montrer que les investissements réalisés ne créent pas d’effet d’éviction, en siphonnant des fonds destinés à d’autres secteurs.

Au Burkina Faso,

Le développement du sport au Burkina Faso contribuerait à la création des vastes marchés pour les équipements sportifs (maillots, T-shirts, chaussures, gadgets), la vente des billets, de restauration, de droits télés avec la retransmission des matchs, le sponsoring… Le marché de l’emploi serait plus ouvert, de façon directe et indirecte. Les stades auraient par exemple besoin de personnel pour entretenir et veiller sur eux. Le développement du sport au Burkina Faso pourrait permettre aussi l’essor de la petite unité de construction de ballons de football (et bien d’autres disciplines aussi) situés dans le village de Bourzanga dans la province du Bam.

Richard Attias, hommes d'affaires marocain et ancien président de Publicis Events Worldwide pense aussi que le sport de haut niveau contribue au développement mais dans certaines conditions:

La pratique du sport a cette particularité qu'elle surpasse les limites des frontières géographiques et les classes sociales. Le sport est déjà un secteur économique à part entière représentant environ 2% du PIB dans de nombreux pays développés. Néanmoins, le défi est aujourd'hui de faire du sport un facteur du développement économique des pays moins développés afin qu'il profite à tous les citoyens de ces Etats sur le long terme.

Tout le monde est d'accord pour dire que le sport contribue au développement économique en créant des emplois et en dynamisant l'activité commerciale. Cependant, depuis quelques années, on remarque que les effets bénéfiques pour l'économie sont surtout réels sur le court terme. L'organisation d'événements sportifs n'a des effets bénéfiques sur le développement des Etats qui s'il encourage la pratique sportive des citoyens locaux et si ceux-ci peuvent ensuite utiliser les installations construites pour l'événement. Bien sûr, le sport en lui-même ne peut pas sortir un pays de la pauvreté. Par contre, il peut y aider en suscitant un changement social. Le sport n'est pas qu'une industrie, pas qu'une économie. Il doit devenir un formidable vecteur de développement pour tous les Etats du monde.

La solution pratique pour concilier sport et développement réside peut-être dans l'approche à adopter comme l'indique François Alla Yao, Directeur des Sports, Secrétariat Général de la CONFEJES (la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports de la Francophonie):

Si nous voulons sérieusement faire du sport une partie intégrante du développement social, cela doit démarrer à la base, dans les quartiers. Parmi ses succès, la fréquentation des établissements par 25% de femmes, qui pratiquent le sport de manière quotidienne pour la première fois de leur vie. Avoir un impact sur le quotidien des gens est probablement la manière la plus immédiate, opérationnelle et utile de faire du sport un véritable vecteur de développement social.

Réélu, le président iranien revient sur sa promesse de libérer les leaders du Mouvement Vert

dimanche 28 mai 2017 à 14:02

Mir Hussein Moussavi (à droite) est devenu le “chef” du Mouvement Vert quand il a changé la couleur de sa campagne pour l'aligner sur celle des manifestations contre ce que des millions de gens ont perçu comme des élections truquées. Moussavi, sa femme Zahra Rahnavard (au milieu), et un autre candidat réformiste, Mehdi Karroubi (à gauche), furent arrêtés pour “incitation à la sédition.”

Cet article a été initialement publié par le site web du Centre fdes Droits Humains en Iran. 

Dans sa première conférence de presse le 22 mai, quelques jours après avoir été proclamé vainqueur de l'élection iranienne, le Président Hassan Rohani a refusé de s'engager à mettre fin à la résidence surveillée extra-judiciaire des trois leaders de l'opposition—une promesse qu'il avait faite lors de sa première campagne présidentielle.

A la question de ce qu'il allait faire pour libérer les leaders de l'opposition Mehdi Karroubi, Mir Hosseini Mousavi et Zahra Rahnavard, aux arrêts domiciliaires depuis six ans pour avoir mené les manifestations de masse pacifiques contre les résultats contestés de l'élection présidentielle de 2009, M. Rohani a laissé entendre qu'une solution dépendait de la coopération d'autres branches de l’État.

“Notre pays est régi par des lois et nous devons tous nous y soumettre”, a-t-il dit le 22 mai. “l'exécutif, le législatif et le judiciaires ont chacun leurs responsabilités. Nous avançons sur la base de la constitution.”

“Je suis responsable des droits de chaque citoyen, même des Iraniens vivant hors de nos frontières”, a ajouté M. Rohani. “Partout où je verrai les droits des Iraniens être enfreints, j'agirai dans le cadre de mes pouvoirs. Dans les cas relevant du judiciaire, je répondrai par la communication directe ou dans des réunions paritaires. Le prochain gouvernement a l'intention de mettre en œuvre la Charte des droits des Citoyens. A cet égard, les droits de chacun m'importent”.

M. Rohani n'a fait aucune mention du Guide suprême Ali Khamenei, dont l’inflexible opposition à l'élargissement des trois opposants maintient ceux-ci dans les limbes du non-droit.

A son meeting de campagne présidentielle de l'Université Sharif à Téhéran du 13 mai 2013, M. Rohani avait dit son espoir de pouvoir les libérer tous trois dans la première année de sa présidence : “Nous pouvons créer dans l'année qui vient les conditions permettant que les personnes qui ont été emprisonnées ou mises aux arrêts domiciliaires à cause des événements de 2009 soient relâchées”.

Les slogans pour la libération de Moussavi et Karroubi ont été un leitmotiv des partisans de Rohani tout au long de la campagne électorale et des célébrations de sa victoire.

Les [slogans] en soutien à Rohani et Moussavi des rassemblements et marches qui ne cessent de remonter ValiAsr vers le nord

Contrastant avec le quasi silence de Rohani sur la question pendant son premier mandat, d'autres hommes politiques l'ont évoquée maintes fois, et même le vice-président conservateur du Parlement Ali Motahari, qui a redit à plusieurs reprises la nécessité d'une solution.

Dans un entretien le 8 mai 2017, Motahari a renouvelé sa proposition d'un règlement négocié de la question.

“Quelques pas ont été faits vers la résolution des assignations à domicile, et nous devons écouter les arguments de la partie adverse”, a-t-il dit. “Nous devons avancer vers une amélioration de la situation dans le pays et empêcher les problèmes de tourner à la crise”.

Motahari expliquait précédemment que Khamenei est le facteur déterminant de la poursuite de l'assignation à domicile.

“Un des obstacles à leur liberté est l'insistance de certains responsables que l'absence d'excuses et de repentir de leur part portera atteinte à l’État et au Guide suprême”, a indiqué M. Motahari. “ce n'est pas une faute d'avoir sur les événements de 2009 une opinion différente de celle des gens au pouvoir…maintenir [Moussavi, Rahnavard et Karroubi] sous arrêts domiciliaires depuis six ans n'est compatible ni avec la loi ni avec les préceptes de la religion”.

A la conférence de presse du 22 mai, le président nouvellement réélu a également été questionné sur ses [futures] mesures de protection de droits des artistes, notamment dans les secteurs de la musique et du cinéma.

“Un des résultats des élections de cette année a été que tout le monde est en paix avec la musique”, a réspondu M.Rohani. “Néanmoins, nous n'apprécions pas trop la musique de mauvaise qualité. Certains disent qu'elle va aussi, mais quoi qu'il en soit, je suis sûr que notre nouveau gouvernement soutiendra davantage la communauté culturelle”.

“La situation s'est réellement améliorée pour la musique pendant nos quatre années précédentes, mais nous allons accroître nos efforts dans les quatre prochaines”, a-t-il ajouté.

Depuis 2013, quand Rohani a été élu à la fonction sur la promesse d'une société plus ouverte, de nombreux musiciens cautionnés par l’État, parmi lesquels les artistes populaires Alireza Ghorbani et Sirvan Khosravi, ont vu leurs concerts annulés au dernier moment.

Les religieux conservateurs ont justifié leurs attaques contre les musiciens par de vagues déclarations et décrets de chefs religieux de haut rang. Khamenei de son côté a souvent mis en garde contre les dangers supposés de la musique, qui selon lui “détourne de la voie de Dieu”.

Rohani a aussi indiqué que son gouvernement adopterait les propositions basées sur les directives pour l'enseignement établies par l'Agenda 2030 de l'ONU—combattues avec véhémence par les conservateurs—qui n'enfreignent pas les principes Islamiques.

“Les ministres des affaires étrangères, de la science et de l'éducation ont écrit au guide suprême en expliquant dans les détails à Son Excellence que la République Islamique s'est réservé le droit d'ignorer les éléments de l'agenda 2030 qui ne seraient pas conformes à notre culture et nos valeurs nationales”, a dit M. Rohani.

Au sujet de la place des femmes au travail, Rohani a dit que son gouvernement en ferait plus pour augmenter les perspectives d’emploi féminin.

“C'est une erreur de penser que les hommes ont un statut supérieur ou qu'ils sont plus capables que les femmes”, a-t-il dit.

En même temps, Rohani a reproduit les idées sexistes de Khamenei en affirmant que certains emplois conviennent mieux aux hommes qu'aux femmes : “Évidemment les hommes sont meilleurs dans certaines professions et les femmes dans d'autres. (Dieu) leur a donné aux uns et aux autres leurs qualités particulières”.

“Mais les femmes ne sont pas inférieures aux hommes et garder celles-ci à la maison n'a pas de sens d'un point de vue social ou juridique”, a-t-il ajouté.