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Un militant israélien anti-occupation dit pourquoi il préfère la prison au service militaire

mercredi 3 janvier 2018 à 16:44

“Il n'y a pas de justification à dominer autrui. Il n'y a pas d'occupation éthique”. Mattan Helman, capture d'écran de l'émission “Toute loi est concernée par la moralité et la conscience” publiée sur YouTube par SocialTV.

Mattan Helman, 20 ans, refuse de servir dans l'armée israélienne, même si cela lui fait enfreindre la loi de son pays.

Helman est un militant de HaOgen, dans le centre d'Israël à environ 26 km au nord-est de Tel Aviv. Affecté à la brigade Nahal, l'une des principales unités d'infanterie des Forces de Défense israéliennes (IDF) opérant dans les territoires palestiniens occupés, il est convaincu que se laisser incorporer serait légitimer le contrôle “immoral” d'Israël sur la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et Gaza. 

Au moment de l'écriture de cet article, Helman purgeait sa deuxième condamnation, à 20 jours d'arrêts, dans la prison militaire N°6, depuis le 18 décembre 2017.

Helman a expliqué sa décision dans un récent entretien avec le mouvement militant israélien SocialTV, qui a été rediffusé par d'autres mouvements connus tels que Jewish Voice for Peace [Voix juive pour la paix].

Israël s'est emparé des territoires pendant la guerre israélo-arabe de 1967 [ou Guerre des Six Jours], appelée en arabe ‘النكسة’ (An-Naksah, “le revers”), et continue 50 ans plus tard à non seulement les occuper, mais à étendre ses revendications sur les terres, malgré les condamnations de la communauté internationale.

En 2004, par exemple, La Cour Internationale de Justice (CIJ), l'instance judiciaire principale des Nations Unies, a jugé que le mur construit par Israël en Cisjordanie et autour était illégal en ce qu'il traversait du territoire palestinien, mettant en garde que le mur “pouvait équivaloir à une annexion de terres palestiniennes, et faisait obstacle au droit des Palestiniens à se gouverner eux-mêmes”.

On trouvera ci-dessous une infographie titrée “Rétrécissement de la Palestine, Expansion d'Israël” par l'organisme de visualisation de données Visualizing Palestine, qui montre “les outils militaires, juridiques et financiers utilisés pour la transformation progressive de la Palestine historique en ‘Grand’ Israël, en cartographiant l'étendue du territoire aujourd'hui défini comme ‘terres d’État’, dont les Palestiniens — même ceux détenant la citoyenneté israéliennes — sont maintenant largement exclus”.

Dans l'entretien, Helman dit qu'il savait que sa décision lui vaudrait la prison, mais il était prêt à l'accepter :

Je sais que le refus [du service militaire] enfreint la loi, mais en face de chaque loi il y a la morale, la conscience et les limitations.

Dans le passé il y a eu beaucoup d'injustices sociales qui étaient légales. La Shoah en Europe, l'apartheid en Afrique du Sud et l'esclavage aux États-Unis ont tous été des cas d'injustice légale.

L'objection de conscience à la conscription militaire est reconnue par le droit international. Comme le Quaker United Nations office [Bureau Quaker auprès des Nations Unies] l'expliquait dans un rapport de janvier 2015 :

Tant le Comité des droits de l'homme que le Conseil des Droits de l'homme de l'ONU ont reconnu le droit à l'objection de conscience au service militaire comme faisant partie du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion inscrit dans l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de de la Convention internationale des droits civils et politiques.

Malgré cela, les objecteurs de conscience en Israël encourent la prison.

Helman dit avoir pris sa décision depuis longtemps. En classe de troisième il a fait des recherches sur la question et s'est posé trois questions :

Qu'est-ce que nous y faisons, qu'est-ce que cela fait à notre société, et en quoi cela me touche ?

Quand il en a parlé à ses parents, raconte-t-il, ils l'ont d'abord très mal pris, mais ils ont fini par le comprendre et le soutenir.

Helman défend qu’ “une loi exigeant l'enrôlement dans une armée qui opprime un peuple entier n'est pas une loi morale et [il] ne se sent pas l'obligation d'y obéir”.

S'il n'est pas opposé à la nécessité d'une armée, il dit qu'elle “devrait être utilisée uniquement pour se défendre” et qu’ “une armée qui occupe un peuple entier n'est pas de la défense. L'occupation n'est pas de la défense.”

Et pourquoi Helman n'a-t-il pas intégré l'armée en essayant de changer de l'intérieur les politiques menées ? Il explique que c'était impossible :

C'est vrai qu'il y en a dans l'armée qui désapprouvent la politique d'occupation, mais ils y contribuent quand même et en font partie.

Le choix de Helman a rencontré des soutiens parmi les Israéliens. Quand il est allé au bureau de recrutement déclarer son refus de s'enrôler, un certain nombre de militants israéliens l'ont accompagné, les yeux bandés, avec des écriteaux disant “cessez de fermer les yeux sur les crimes de l'occupation”.

A la manifestation, Omri Baranes, un militant, a dit :

De minute en minute, je comprends [davantage] l'importance et la pertinence aujourd'hui de résister à la conscription et d'aller en prison. Nous vivons dans un État fasciste et raciste, et qui y incite. Nous ne sommes pas nombreux, mais nous sommes une force.

Baranes a été lui-même emprisonné à l'âge de 18 ans pour avoir refusé de servir dans les IDF, comme Tair Kaminer, à plusieurs reprises. En juin 2016, Kaminer Tair Kaminer avait déjà passé 170 jours dans des prisons militaires quand sa cinquième peine a pris fin, avant qu'elle ne reçoive une sixième condamnation.

Ce ne sont pas les seuls objecteurs de conscience à refuser d'intégrer l'armée. En 2003, on estimait à 1.100 les soldats des IDF “déclarant ne pas vouloir servir dans les territoires occupés d'Israël”.

Les premiers “Refuzniks”, comme on les appelle, seraient apparus en 1982, en réaction à l'invasion du Liban par Israël. A l'époque, 168 personnes ont refusé de servir, pensant, selon les mots du mouvement israélien Yesh Gvul, que l'invasion était “un acte de pure et futile agression”.

Dans sa liste des Refuzniks 2017, Israel Social TV a mentionné ce qu'on appelle la ‘lettre des seniors 2017′, signée par une soixantaine de réfractaires au service militaire, dans une vidéo où certains d'entre eux sont interviewés.

Deux autres exemples, parmi beaucoup :

En 2016, Tamar Alon et Tamar Ze’evi, respectivement18 et19 ans, ont été arrêtées et emprisonnées par les autorités militaires parce qu'elles n'acceptaient pas de servir dans les territoires occupés. Alon dit :

Je crois que les voies de la guerre, de la violence et de l'oppression ne nous permettront pas de conserver un État démocratique et d'être un peuple libre sur notre terre.

Atalya Ben-Abba, une jeune femme de 19 ans de Jérusalem, a justifié sa décision d’ “objection à servir dans l'armée par des motifs de conscience”, ajoutant :

Afin d’apporter la sécurité à tous en Israël et en Palestine nous devons mettre fin à l'occupation.

De plus loin, War Resister’s International [Internationale des Résistant(e)s à la Guerre], un réseau pacifiste et anti-militariste mondial avec plus de 90 groupes affiliés dans 40 pays, a adressé une lettre au ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman lui demandant de reconsidérer le cas de Helman.

Pourquoi je ne m'identifie pas au féminisme, même intersectionnel

mercredi 3 janvier 2018 à 13:35
Détail d'une photo publiée sur Pixabay et utilisée ici sous licence CC0 Creative Commons.

Détail d'une photo publiée sur Pixabay et utilisée ici sous licence CC0 Creative Commons.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en français.

Ce post est une version adaptée d'un article d’Ayomide Zuri publié sur Afroféminas [es]. Il a provoqué un débat sérieux dans les commentaires de l'article original.

Beaucoup de femmes, en particulier les femmes blanches qui se disent féministes intersectionnelles, sont déçues quand j'affirme ne pas être féministe. Elles se demandent pourquoi je ne participe pas au mouvement. Elles ont même essayé de me convaincre en utilisant un raisonnement académique et social qui, apparemment, implique que je devrais être féministe.

Elles citent par exemple le fait qu'à éducation égale, les femmes gagnent toujours moins que les hommes. Que les femmes continuent à être soumises à un examen minutieux de ce qu'elles font de leur corps. Que cette violence contre les femmes est une épidémie mondiale. Ou que les barrières culturelles et sociales empêchent les femmes de réussir dans divers domaines, et que la discrimination entre les sexes est la norme dans plusieurs pays et communautés religieuses.

Je suis consciente de tout ça. Je le sais, je sais que c'est vrai et je l'ai vécu plusieurs fois. Je suis une femme noire.

Cependant, quand je parle de race, de racisme, de femmes noires cisgenres, de femmes noires transgenres, de femmes noires LGBTiQ ou de femmes noires de la diaspora, et de la façon dont nous avons toujours subi ségrégation et discrimination ; quand je parle de la façon dont nous avons été victimes de violences physiques, émotionnelles et verbales à la fois au sein et en dehors du mouvement féministe, de nombreuses féministes blanches et intersectionnelles restent silencieuses. Pourtant, elles sont d'accord pour que les femmes, toutes les femmes, se réunissent pour “élever la voix et chanter” “Kumbuyah, mon Seigneur” pour (certains) droits des femmes.

Mais elles ne veulent pas parler de la violence racialisée de l'État comme quelque chose de séparé de la violence de genre, et dont les femmes noires sont doublement victimes. Ou du fait que les femmes noires et les autres femmes de couleur gagnent moins que les femmes et les hommes blancs. Ou que les jeunes filles noires ou immigrantes sont plus souvent renvoyées de l'école, en conséquence de ce qui est clairement un problème d'intégration. Ou du fait que les femmes issues de communautés noires ou immigrées sont plus susceptibles d'être victimes de violences domestiques que les femmes blanches.

Bien que je souhaite l'égalité pour toutes les femmes, tous les hommes et toutes les races, je ne peux pas, en tant que femme noire, m'aligner sur un mouvement centré sur les femmes blanches et refusant d'inclure l'inégalité raciale et sexuelle. J'en ai marre et je ne me battrai pas pour être incluse dans un espace tourné vers les féministes blanches duquel moi et beaucoup d'autres femmes noires avons été rejetées maintes et maintes fois. Tout comme Sojourner Truth déclarait dans son discours de 1851 : “Ain't I a Woman? [en]” [“Ne suis-je pas une femme?”, NdT], je refuse de faire partie d'un mouvement qui déshumanise et s'aliène les femmes noires. Des groupes qui se sont appropriés avec succès notre style et nos traditions afin de faire avancer leurs agendas égoïstes.

Je n'essaierai plus d'expliquer aux féministes blanches l'importance du croisement entre race et genre, car certaines continueront à ignorer la pertinence des femmes noires dans le mouvement féministe, quel que soit le nombre de femmes noires qui tentent de les éduquer. Bien que le féminisme intersectionnel ait été créé pour se distinguer du féminisme blanc et inclure les femmes d'autres ethnies, son nom contient toujours le mot “féminisme”. Je préfère me dissocier complètement du féminisme et vivre en paix dans un espace “womaniste” [en] créé en tenant compte de ma peau noire et de mon statut de femme, plutôt que de défendre un paradigme blanc et féministe qui est tellement répandu que l'intersectionnalité est vénérée comme une invention récente.

Maintenant plus que jamais, il est temps pour nous, femmes noires, de nous définir selon nos propres termes et de nous rassembler dans des espaces créés par nous et pour nous. De la même façon que Clenora Hudson-Weems, auteur de “Africana Womanism: Reclaiming Ourselves” [en] [Womanisme africain : Redevenir nous-mêmes, non traduit en français, NdT] a parlé de se défendre en se définissant selon nos propres termes, les femmes noires ne peuvent trouver de sécurité que dans des espaces où nos qualités culturelles, mentales, émotionnelles, physiques et même spirituelles sont respectées.

Certaines féministes blanches ou intersectionnelles vont crier au séparatisme et à la ségrégation après avoir lu ceci, mais s'il vous plaît, utilisez cette occasion pour vous éduquer sur l'hypocrisie et les contradictions du mouvement féministe concernant les femmes noires.

Au sein d'un mouvement “womaniste”, je peux élever des femmes noires et des femmes d'autres cultures parce que ce modèle me reconnaît. Je fais partie de ce mouvement à cause de ma peau sombre et parce que je suis une femme. Et dans un espace où ma vitalité n'est ni méprisée, ignorée ou rejetée, je peux, en tant que femme noire, prospérer.

Développement durable: avons-nous progressé depuis la publication du rapport Brundtland?

mercredi 3 janvier 2018 à 10:26

Polar Bears near the North Pole – Ours polaire au pôle nord par C. Michel sur flickr CC-BY-2.0

Cet article est une re-publication de l'article original du Professeur J. Prescott publié ici. 

En 1987, la Commission des Nation unies sur l’environnement et le développement publiait «Notre avenir à tous». Rédigé sous la présidence de Gro Harlem Brundtland qui était alors première ministre de Norvège, ce rapport présente les résultats d’une vaste consultation planétaire visant à proposer un programme global de changement en vue d’un développement durable. Trente ans plus tard, que retient-on du rapport Brundtland et quels progrès observe-ton sur la voie qu’il nous a tracée?

Un constat et des recommandations lucides

Le rapport de la Commission Brundtland identifie clairement les problèmes environnementaux les plus criants des années 80 : croissance démographique incontrôlée, déboisement et pâturage excessifs, destruction des forêts tropicales, extinction des espèces vivantes, augmentation de l’effet de serre causant les changements climatiques, pluies acides, érosion de la couche d’ozone stratosphérique, etc. Il insiste aussi sur les aspects sociaux-économiques et en particulier sur les effets pervers d’une croissance économique débridée et de la surconsommation des ressources par les plus nantis.

La Commission propose une définition du développement durable qui fera école : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. »

En vue d’un développement durable, la Commission identifie une série d’objectifs stratégiques qui incluent notamment la modification de la qualité de la croissance économique, la maîtrise de la démographie, la satisfaction des besoins humains essentiels, la préservation et la mise en valeur de la base de ressources, la prise en compte de l’environnement dans la mise au point de nouvelles techniques et l’intégration des préoccupations écologiques et économiques dans la prise de décision.

Elle propose ensuite des solutions s’appliquant à l’échelle mondiale. Par exemple, diminuer la consommation énergétique dans les pays industrialisés et favoriser le développement des énergies renouvelables, encourager le reboisement massif dans les pays touchés par la désertification, réaliser des réformes fiscales et foncières pour réduire les pressions sur les écosystèmes, adopter une convention internationale pour la protection des espèces. Bien que ces mesures visent essentiellement la protection de l’environnement, le rapport Brundtland insiste sur l’importance de combattre la pauvreté et l’injustice, qui sont à la fois causes et effets des problèmes environnementaux.

Pour réaliser et financer ce virage écologique, la Commission Brundtland propose une réforme des institutions internationales notamment la Banque mondiale et le FMI qui devraient mieux tenir compte des objectifs sociaux et environnementaux et alléger la dette des pays les plus démunis. La Commission recommande aussi une réorientation des dépenses militaires au profit de la lutte contre la pauvreté et les inégalités et interpelle les grandes entreprises pour qu’elles s’engagent sur la voie d’une production et d’une consommation plus responsables.

Le rapport Brundtland démontre en fait que l’économie et l’écologie mondiales sont désormais profondément imbriquées. Au-delà de l’interdépendance économique des nations il faut dorénavant composer avec leur interdépendance écologique. Puisque la crise du développement est mondiale, les solutions doivent l’être aussi.

Des retombées internationales impressionnantes

Les recommandations du rapport Brundtland ont catalysé la démarche de développement durable des Nations unies et encouragé l’engagement des gouvernements, des entreprises et de la société civile partout dans le monde. En 1992, lors du Sommet de la terre de Rio, les participants ont défini les principes fondamentaux et établi le programme d’action, nommé Action 21, sur lequel se fondent aujourd’hui de nombreuses initiatives en faveur du développement durable. Suivant les recommandations du rapport Brundtland, ce sommet vit aussi l’adoption d’une déclaration sur la gestion durable des forêts et de trois importantes conventions sur la diversité biologique, la lutte aux changements climatiques, et la lutte contre la désertification (3).

Le Sommet du Millénaire, qui s’est tenu en septembre 2000 au Siège de l’ONU à New York, s’est conclu avec l’adoption de la Déclaration du Millénaire, dans laquelle ont été énoncés les huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) (4); ces objectifs inspirés du rapport Brundtland ayant pour échéance l’année 2015.

Pour leur succéder, l’ONU a travaillé avec les gouvernements, la société civile et les différents partenaires pour exploiter la dynamique dégagée par les OMD et élaborer un programme ambitieux pour l’après-2015 : «Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030». Il s’articule autour de 17 objectifs mondiaux pour le développement durable (ODD).

Les OMD et les ODD, à l’instar du programme Action 21, constituent des stratégies de développement auxquelles doivent se soumettre les États membres au risque d’être ostracisés sur la scène internationale. L’adoption des ODD a entraîné une myriade d’initiatives visant à encourager les États à les mettre en œuvre : principes et cadres d’intervention, indicateurs de suivi, évaluation de la situation, etc.

Bien que le concept de développement durable se présente comme une solution pleine de promesse, l’imposition du schéma directeur du développement durable se heurte à des visions différentes du développement et peut être considérée comme une ingérence dans la gouvernance des États et plus particulièrement des pays émergents qui doivent dorénavant suivre ce schéma directeur, pour avoir accès au financement international.

Le rapport Brundtland et les grands sommets onusiens ont aussi guidé l’action des gouvernements, de la société civile et des entreprises. Au fil des ans, on a vu se développer l’agriculture biologique, la certification environnementale, la responsabilité sociale des entreprises, la production d’énergie renouvelable, l’investissement responsable, l’économie verte, l’analyse de cycle de vie, l’écologisation des processus de production et le marketing vert, trop souvent dévoyé en écoblanchiment («greenwashing») offrant aux entreprises peu scrupuleuses l’opportunité de polir indûment leur image de bon citoyen corporatif.

Quels «progrès» depuis Brundtland?

Le développement durable souhaité par la Commission Brundtland en 1987 invitait à un changement de paradigme. S’il s’est produit depuis un changement de paradigme dans le monde, ce n’est certainement pas celui qui était décrit dans « Notre avenir à tous ».

De grands progrès ont certes été réalisés depuis la publication du rapport Brundtland. Nous avons considérablement réduit le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, plus de personnes ont accès à de l’eau potable, moins d’enfants meurent dans la petite enfance et moins de mères décèdent lors de leur accouchement.

Malgré le fait que certains pays connaissent des niveaux de prospérité sans précédent, cette prospérité n’est qu’apparente. Le pillage des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement se poursuivent à un rythme effréné, les changements climatiques menacent plus que jamais les populations et les écosystèmes les plus vulnérables, et la capacité de support de la planète est sur le point d’être dépassée. L’écart entre riches et pauvres s’élargit constamment, l’insécurité alimentaire et l’endettement progressent, la démocratie bat de l’aile et la pensée unique envahit les médias. Et, statistiques inquiétantes illustrant la dégradation des conditions de vie, en 40 ans le nombre de spermatozoïdes produit par les hommes a baissé de près de 60% dans les pays riches, le nombre d’enfants et d’adolescents obèses a été multiplié par 10, et les populations de vertébrés sauvages ont diminué de 58%.

Le progrès dicté par la croissance économique s’appuie en réalité sur l’appauvrissement des classes moyennes, l’endettement des nations et des individus, l’hégémonie et le contrôle économique des banques, la surconsommation et le gaspillage des ressources de la nature et la croissance des inégalités entre les humains. Sans oublier la délocalisation des emplois industriels (33) et l’exploitation sociale des travailleurs du Sud. Notons qu’en 2017, l’endettement public et privé des 44 pays les plus riches atteint 235 % du PIB contre 190 % en 2007.

Au chapitre de la gouvernance, la corruption des élus et des fondés de pouvoir continue de progresser. La majorité des médias mainstream sont sous le contrôle de grands groupes industriels et de banques. Les budgets militaires sont en constante progression (une hausse de 43,6% depuis 2000 aux USA pour atteindre 611 milliards $ en 2016).

Malgré un engagement ferme des gouvernements envers le développement durable, les actions significatives sur cette voie tardent à s’imposer. J’ajouterai que les dirigeants politiques me paraissent plus enclins à répondre aux exigences des lobbies oligarchiques qu’aux attentes légitimes de leurs électeurs.

2017, une année de plus de contre-pouvoir féministe en Amérique latine

mardi 2 janvier 2018 à 12:53
Nous voulons rester en vie" Photo d'Emergente. Utilisé avec permission.

Nous voulons rester en vie” Photo d'Emergente. Utilisée avec permission.

2017 a été une année de plus de chiffres alarmants et aussi de réaction des femmes. L'Amérique latine a fait entendre sa voix contre la violence de genre avec des mouvements féministes qui ont vu le jour et se sont répandus dans toute la région, créant ainsi des ponts avec d'autres mouvements de femmes dans le monde.

Ces mouvements mondiaux se sont fait entendre dans le monde entier et les principaux médias s'en sont fait les échos : Le dictionnaire Merriam Webster a choisi le mot «féminisme» pour mot de l'année et le magazine américain Time a désigné la campagne #MeToo dans laquelle des milliers de femmes ont partagé leur expériences personnelles d'agression sexuelle, comme personnalité de l'année.

Global Voices a suivi plusieurs des mouvements qui ont secoué l'Amérique latine et, à la fin de l'année, nous voulons revenir sur certains moments où les luttes des femmes ont pris le devant de la scène.

"La même semaine où l'Amérique latine a défilé dans les rues et ont utilisé la Toile pour défendre les droits des femmes, le public régional a été choqué par la mort de 41 jeunes femmes à l'intérieur d'un refuge aux environs de la ville Guatemala." Photo: Carlos Sebastián pour les médias en ligne Nómada. Utilisé sous Creative Commons - non spécifié - licence.

“La même semaine où l'Amérique latine a défilé dans les rues et a utilisé la Toile pour défendre les droits des femmes, l'opinion de la région a été choquée par la mort de 41 jeunes femmes à l'intérieur d'un refuge aux environs de Guatemala City.” Photo: Carlos Sebastián pour les médias en ligne Nómada. Image utilisée sous licence Creative Commons – non spécifiée -

Mars a été un mois tragique pour le Guatemala. Ce mois-là, 41 jeunes filles ont péri dans un foyer d'accueil géré par l'État dans la banlieue de Guatemala City, un incident qui a déclenché de nombreuses initiatives de groupes de la société civile. Plus particulièrement, la tragédie a conduit à la campagne mondiale Les 56 nous font mal (#NosDuelen56 ). L'initiative a réuni un groupe d'artistes internationaux qui ont réalisé le portrait [fr] de chaque jeune fille décédée dans l'incendie, exigeant des mesures des autorités guatémaltèques.

Indira Jarisa Pelicó Orellana, une des victimes du massacre de "Hogar Seguro", avait 17 ans lorsqu'elle est décédée. Portrait de l'artiste mexicaine Claudia Navarro. Utilisé avec permission.

Indira Jarisa Pelicó Orellana, une des victimes du massacre de “Hogar Seguro”, avait 17 ans lorsqu'elle est morte. Portrait de l'artiste mexicaine Claudia Navarro. Utilisé avec permission.

#NosDuelen56 es un grito por la justicia desde el arte, el periodismo, el medioactivismo y los feminismos. Es un ejercicio de memoria colectiva y de dignificación por las 56 niñas que fueron encerradas y quemadas en un hogar estatal en Guatemala el pasado 8 de marzo del presente año. De ellas, 41 murieron como resultado de este crimen femicida y 15 están con heridas de gravedad.

# NosDuelen56 est un appel à la justice à travers l'art, le journalisme, l'activisme en ligne et le féminisme. C'est un exercice de mémoire collective pour la dignité des 56 jeunes filles qui ont été enfermées et brûlées dans une maison d'État au Guatemala le 8 mars de cette année [2017]. De ces filles, 41 sont mortes à cause de ce féminicide et 15 sont gravement blessées.

En juillet, une étape importante a été franchie par une initiative indépendante de données ouvertes qui visait à cartographier les féminicides [fr] au Mexique (en espagnol, MFM). La carte fournit les coordonnées géographiques et le contexte des féminicides qui ont eu lieu depuis 2016. À la fin de 2017, la carte avait enregistré 1 824 cas.

En août, un mouvement initié par un étudiant de l'École de médecine du Paraguay à l'Université d'Asunción a révélé le chemin compliqué et puissant qui met en péril la carrière [fr] de nombreuses étudiantes en médecine.

En septembre, le féminicide de Mara Castilla [fr] par un chauffeur de Cabify a choqué toute la région. Le meurtre de Castillo a suscité des manifestations dans onze États du Mexique, les manifestants critiquant l'État pour son manque de mesures de sécurité et l'impunité régnante qui entoure la violence contre les femmes. En même temps, plusieurs hashtags en ligne reliant sa mort à des cas de violence de genre antérieurs (notamment, la campagne #IfTheyKillMe) exigeaient la sécurité pour les femmes et la fin de la culpabilisation en ligne des victimes.

Ouvrir des espaces, riposter

Les participantes au concours de beauté Miss Pérou de cette année ont attiré l'attention sur le nombre alarmant de cas de violence contre les femmes dans le pays. L'initiative a choqué les médias internationaux, mais les internautes péruviens ont rapidement ajouté de la nuance. Pour beaucoup, le concours lui-même faisait partie du système complexe qui chosifie les femmes :

Capture d'écran d'Al Jazeera: “Les concurrentes à Miss Pérou transforment le concours de beauté en manifeste contre la violence de genre”. Disponible sur YouTube

Primero, hay que reconocer el contexto de la situación. Miss Perú 2017. Un concurso que elige a su ganadora en base a su apariencia física y capacidad de responder preguntas en tiempo record. Donde todas las mujeres son casi idénticas: altas, delgadas […] Lima, Perú. La 5ta ciudad más peligrosa para las mujeres en el mundo […] Estas dos cosas están relacionadas, ambas son producto de una sociedad machista. La cosificación de la mujer es una forma de violencia que nace de una sociedad que solo nos valora por nuestros cuerpos y que piensa que pueden hacer lo que les da la gana con ello.

En premier lieu, il faut reconnaître le contexte. Miss Pérou 2017. Un concours de beauté qui élit sa gagnante sur la base de son apparence physique et sa capacité à répondre aux questions en temps record. [Un concours] où toutes les femmes sont presque identiques : grandes, minces […]. Lima, Pérou. La 5ème ville du monde la plus dangereuse pour les femmes. […] Ces deux choses sont reliées, toutes deux sont le produit d'une société machiste. La chosification de la femme est une forme de violence qui naît d'une société qui ne nous valorise que pour notre corps et qui pense qu'on peut en faire ce qu'on veut.

Conclusion :

Si Latina.pe y Miss Perú en verdad les importara el bienestar de las mujeres peruanas y realizar un cambio potente en nuestra sociedad machista y violenta, hubieran utilizado ese tiempo que dedicó para emitir el certamen para algo más productivo que nombrar a otra reina de “belleza” (física, específica, occidental y que no representa la apariencia de la mayoría de peruanas). Yo no le voy a tirar flores a un certamen porque por fin se dio cuenta que las mujeres peruanas estamos sufriendo en una situación crítica. Nosotras no decimos “nos están matando” o “#PerúPaísDeVioladores” porque nos gusta. Nos duele. Mucho. Nos deprime. Nos parte el alma pero lo gritamos porque es la verdad y no podemos ignorar lo que estamos viviendo.

Si Latina.pe [la chaîne de télévision qui retransmet le concours] et Miss Pérou se souciaient vraiment du bien-être des femmes péruviennes et voulaient effectuer un changement puissant dans notre société machiste et violente, elles auraient utilisé ce temps de diffusion à quelque chose de plus productif que la désignation d'une nouvelle reine de “beauté” (physique, particulière, occidentale et qui ne représente pas la majorité des Péruviennes). Je ne vais pas lancer des fleurs à un concours parce qu'on se rend enfin compte que les femmes péruviennes subissent une situation grave. Nous ne disons pas “ils nous tuent” ou #PérouPaysdeVioleurs parce que ça nous plaît. Ça nous fait mal. Très mal. Ça nous déprime. Ça nous brise l'âme mais nous le crions parce que c'est la vérité et que nous ne pouvons ignorer ce que nous vivons.

D'autres initiatives artistiques ont dénoncé les abus, comme les séries de photographies qui critiquaient les cliniques illégales visant à “corriger” les femmes homosexuelles en Équateur, tandis que d'autres projets louaient les contributions des femmes scientifiques latino-américaines. Dans le même temps, ces mouvements et initiatives ont ouvert des espaces de dialogue (en ligne et hors ligne) sur les intersectionnalités entre race et genre et la nécessité de discussions sur la discrimination au sein des mouvements d'égalité :

Maintenant, plus que jamais, il est temps pour nous, femmes noires, de nous définir selon nos propres termes, et de nous rassembler dans des espaces créés par nous et pour nous […] Certaines féministes blanches / intersectionnelles vont crier au séparatisme et à la ségrégation, mais utilisez cette opportunité pour vous éduquer sur l'hypocrisie et les contradictions du mouvement féministe concernant les femmes noires.

Dans l'ensemble, la lutte continue et les communautés combattant pour la cause ne font que se renforcer. Alors que les mouvements de femmes continuent à gagner du terrain dans la région, 2018 devrait être une année où de nombreux autres projets pousseront à des changements fondamentaux dans la société et plaideront en faveur d'un monde plus sûr et plus juste pour toutes les femmes.

Portraits de traductrices : Jade Dussart, l'Asie et les droits humains à cœur

mardi 2 janvier 2018 à 12:07
Jade Sommet GV 2017

La traductrice de Global Voices en français Jade Dussart au Sommet #GV2017. Photo Suzanne Lehn

Ils et elles font la vie quotidienne des sites Lingua de Global Voices. Les traductrices et traducteurs de Global Voices en français forment un ensemble nombreux aux horizons et aux lieux de vie des plus variés. Leurs parcours les emmènent, pour certains, successivement sur plusieurs continents. Pour les rencontrer “IRL”, dans la vie réelle, il faut parfois voyager aussi : c'est grâce au Sommet Global Voices, la réunion mondiale de Global Voices qui a lieu tous les deux ans, et qui vient de se tenir à Colombo au Sri Lanka, que nous avons pu nous entretenir face à face avec Jade Dussart, qui partage ici avec nous ses enthousiasmes.

Global Voices (GV): Raconte-nous ce qui t'a amenée à rejoindre l'équipe de traducteurs de Global Voices en français – et à y revenir après une absence de plusieurs années ?

Jade: J'ai rejoint l'équipe de traductrices et traducteurs de GV Français lorsque j'étais en fac de langues à Aix-en-Provence. L'un de mes professeurs nous a parlé de GV en tant que source fiable pour s'informer sur l'Asie (j'étais à l'époque en licence de Chinois et de Coréen). Dès que j'ai remarqué la section “Nous rejoindre”, je n'ai pas hésité. C'était en mars 2011. Je cherchais un moyen de m'engager pour une cause qui me tenait à cœur et ajouter une expérience de volontariat à mon CV. Mon assiduité a varié durant toutes ces années, mais je n'ai jamais réellement quitté Global Voices. Lors de mon année en Chine, je n'ai rien pu traduire étant donné que le site était censuré.

GV: Tu as des préférences marquées pour les articles relatifs à l'Asie (Chine notamment). Pourquoi ? Et est-ce que ces articles ont changé ta compréhension de ces pays ?

Jade: Effectivement, je pense que si l'on analyse mes traductions ces six (bientôt sept !) dernières années, seuls deux ou trois articles traitent de régions autres que l'Asie. C'est une zone qui me fascine, j'y ai consacré toutes mes études et en ai aujourd'hui fait ma région de spécialité, en tant que chercheuse sur les droits humains. J'ai vécu en Chine et en Corée du Sud et suis fortement attirée par la culture sud-asiatique (musique et films). Les articles que je traduis se concentrent surtout sur des thématiques liées aux droits humains. C'est donc à la fois une façon pour moi d'effectuer une veille sur la situation des droits humains dans la région, mais aussi de partager ces informations avec un public francophone, qui n'est pas forcément au courant de ce qui se trame en Asie.

GV: Tu viens d'assister au Sommet 2017 de Global Voices. Comment est née ta décision de t'y inscrire ?

Jade: Lorsque j'ai appris que le processus de participation était plus ouvert que les années précédentes, j'ai décidé de ne pas laisser passer cette occasion et ai soumis ma candidature, pour ne rien regretter. Il fallait que je tente ! Le fait que le Sommet soit organisé au Sri Lanka, au coeur de ma zone de travail, a beaucoup joué. J'étais curieuse de rencontrer des activistes sri-lankais et maldiviens, que je sais nombreux à Colombo, ainsi que la communauté Global Voices, dont je fais partie depuis 2011 sans en avoir jamais rencontré aucun membre ! J'étais tellement fière de voir mon nom sur la liste des heureux élus !

GV: Quels mots choisirais-tu pour décrire cette expérience ?

Jade: Pour moi, ce Sommet s'est en quelque sorte assimilé à une thérapie. Un exercice de confiance en soi, pas toujours évident lorsque l'on est entourés de personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres, avec des parcours impressionnants, des combats courageux, des projets innovants. Le Sommet a été très enrichissant de ce point de vue-là, car je me suis rendue compte en en discutant avec tout un chacun que beaucoup de GVers souffrent de ce syndrome de l'imposteur, peu importe leur profil ! Cela m'a permis d'établir des connexions plus profondes avec d'autres GVers, émotionnellement très fortes.

GV: As-tu ramené de ce Sommet des nouveaux projets, de nouvelles envies ?

Jade: J'ai ramené dans mes bagages l'envie de commencer à écrire pour Global Voices, boostée par Sahar [Sahar Habib Ghazi, rédactrice en chef de Global Voices] Gwen [Gwenaëlle Lefeuvre, co-éditrice de Global Voices en français] et Lova [Lova Rakotomalala, éditeur région francophone]. J'aimerais également être associée au développement d’Advox – qui est en lien direct avec mon travail de plaidoyer pour les droits humains – et notamment son projet Threatened Voices.

GV:  Parle-nous un peu de ta vie professionnelle. Comment ton activité de traductrice pour GV s'y insère -t-elle ?

Jade: Je viens de terminer un contrat auprès de l'ONG Front Line Defenders à Dublin, où j'officiais en tant que chercheuse sur la situation des défenseurs des droits humains en Asie. Depuis la fin de mes études en 2015, j'ai gravité au sein de plusieurs ONG “droits humains” telles que Reporters Sans Frontières ou Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme, un travail qui me plait énormément. Mon activité de traductrice est, je dois l'avouer, un petit peu dépendante de la charge de travail de la semaine. Ces derniers mois, les journées étaient si chargées que je ne consultais Global Voices qu'en tant que source pour mes recherches. Mais en attendant de retrouver du travail, je compte bien reprendre mon activité de traductrice, et pourquoi pas débuter une activité d'autrice !