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#redressproject : au Canada, des robes rouges en mémoire des femmes autochtones disparues et assassinées

mercredi 28 octobre 2015 à 13:15
REDress Project installation: At the Canadian Museum of Human Rights; a response to over 1000 missing and murdered aboriginal women. Photo by Flicker user Sean_Marshall. CC BY-NC 2.0

L'installation du projet REDress: Au musée canadien des droits humains, une réponse à plus de 1000 femmes amérindiennes portées disparues et assassinées. Photo de l'utilisateur de Flicker Sean_Marshall. CC BY-NC 2.0

Des robes rouges, vides, qui représentent la mort et l'absence. Elles pendent librement et sans vie, comme si elles attendaient d'être portées par leurs propriétaires symboliques — les femmes amérindiennes disparues du Canada.

Les vêtements font partie du projet REDress [Robe rouge], un projet d'installation artistique qui cherche à attirer l'attention sur une injustice. D'après la Gendarmerie royale du Canada, environ 1200 femmes amérindiennes ont été tuées ou sont portées disparues depuis 1980. Alors qu'elles ne constituent que 4,3% de la population canadienne, les Amérindiennes victimes de meurtre représentent environ 16% de l'ensemble des meurtres de femmes à travers le Canada.

Le 04 octobre 2015, Jaime Black, la créatrice du projet, a demandé à des femmes de faire don d'une robe rouge, d'en accrocher une devant leur maison ou même d'en porter une ce jour-là. Sur Twitter, sous le hashtag , des citoyens canadiens ont rassemblé les images obsédantes des robes qui rappellent toutes les femmes autochtones canadiennes à qui l'on a ôté la vie.

Jaime Black, qui est elle-même membre de la communauté métisse [fr], a lancé le projet REDress en 2010 en collaboration avec l'Institut d'études féministes et de genre de l‘Université de Winnipeg. Le projet consistait alors à exposer une centaine de robes rouges sur le campus à la fois dans les bâtiments et en plein air. Toutes les robes avaient été données par des gens des quatre coins du pays et issus de différentes cultures.

Dans un entretien sur le portail Fondations indigènes.arts, l'artiste apporte des éclaircissements sur ce qui l'a incitée à démarrer le projet:

The REDress Project was inspired by my work as a teacher in Opaskawayak Cree Nation, also known as The Pas, where Helen Betty Osborne was brutally murdered while walking home one night by two young men who were not charged or sentenced until years later. And by a group of 300 women in Colombia who had the courage to create a moving 4 hour performance piece to protest their missing and murdered loved ones in the main square in Bogota. By a female Aboriginal scholar at a Canadian Studies conference in Germany standing up to remind everyone of Canada’s colonial past and present.

Le projet REDress s'est inspiré de mon travail comme professeure dans l'Opaskwayak Cree Nation [N.d.T réserve de la province de Manitoba qui, aux termes de la loi indienne du Canada, est gouvernée par la communauté cri qui la peuple], aussi connue sous le nom de Le Pas, où Helen Betty Osborne a été brutalement assassinée un soir alors qu'elle rentrait chez elle par deux jeunes hommes qui n'ont été inculpés et condamnés que des années plus tard. [Inspiré aussi] d'un groupe de 300 femmes colombiennes qui ont eu le courage de créer une représentation émouvante de 4 heures sur la place principale de Bogotá pour dénoncer la disparition et le meurtre de leurs proches. Et d'une universitaire amérindienne lors d'une conférence sur les études canadiennes en Allemagne qui s'est levée pour rappeler à tout le monde le passé et le présent colonial du Canada.

Malgré le nombre ahurissant de violences contre des femmes amérindiennes au Canada, bien peu sont encore conscients de la tragédie qui se joue. Linda Nothing, qui a contribué à organiser l'installation du projet à Calgary, a donné une explication dans un entretien à Metro News:

The image itself can speak to a lot of people. If they aren’t aware of the issue they are often shocked and surprised that it’s happening in Canada because there is a lot of under education and miss-education about indigenous issues here.

L'image elle-même peut parler à beaucoup de gens. S'ils ne sont pas conscients du problème, ils sont souvent choqués et surpris que cela se passe au Canada parce qu'il y a dans le pays beaucoup de lacunes en matière d'éducation sur les questions indigènes.

Voir la vidéo du projet de 2011 ci-dessous [en anglais]:

Le projet REDress est actuellement exposé à la galerie d'art de l'Université d'Acadie jusqu'au 29 novembre. Vous pouvez suivre l'actualité du projet sur sa page Facebook officielle.

“Difret”, histoire d'une jeune Ethiopienne qui s'est défendue contre son ravisseur, et des avocats qui lui ont sauvé la vie

mardi 27 octobre 2015 à 13:42
Tizita Hagere (right) plays the role of 14-year-old Hirut Assefa in 'Difret.' Credit: Truth Aid Media.

Tizita Hagere (à droite) joue le rôle d'Hirut Assefa, 14 ans, dans ‘Difret.’ Crédit photo : Truth Aid Media.

Cet article et reportage radiophonique réalisé par Joyce Hackel et Julia Barton pour The World  ont été publiés dans leur version originale sur le site PRI.org au 22 octobre 2015, est repliés ici en vertu d'un accord de partage de contenus.

Le mot “Difret” a toute une gamme de significations en langue Amharic : il peut vouloir dire “oser” ou “avoir du courage”, mais aussi “être violé”.

Listen to this story on PRI.org »

A l'image de son titre, le film “Difret” a plusieurs dimensions : c'est un travail de fiction inspiré d'une histoire vraie de courage et de changement; c'est un des rares films éthiopiens tourné en format 35 mm ; et il a bénéficié d'une grande notoriété via sa productrice exécutive, Angelina Jolie Pitt. Mais avant tout, le film décrit une pratique coutumière à travers l'expérience d'une fille apeurée prise dans un tourbillon hors de contrôle.

“Difret” est inspiré de l'histoire de Aberash Bekele — appelée Hirut dans le film — une fille qui a été enlevée en dehors de son village rural d'Ethiopie. Cela se produit le jour où, à l'école, elle passait dans la classe supérieure. Son ravisseur — qui n'était pas parvenu à avoir la permission du père de la jeune fille d'épouser celle-ci — insiste pour l'épouser selon une tradition appelée telefa. Mais alors qu'Hirut se défend, elle tue l'homme accidentellement. Elle est alors exposée à la peine de mort jusqu'à ce que l'avocate Meaza Ashenafi intervienne pour la défendre. Au moment où cela a lieu, en 1996, la nation entière est rivée sur ce drame judiciaire.

“Les gens se remettaient à parler de la pratique de l'enlèvement,” se souvient aujourd'hui Meaza Ashenafi. “Cela était pratiqué, surtout dans le sud du pays, des femmes étaient enlevées depuis des années. Il n'y avait aucune mise en question de tout ça. Mais cette affaire a ouvert un débat et un dialogue autour de cette tradition.”

Ashenafi avait, deux ans auparavant, créée l'Association des Femmes Avocates, qui luttait pour les droits des femmes en vertu de la Constitution Éthiopienne, alors nouvellement établie.

A scene from "Difret" depicts the horseback kidnapping of the main character. Credit: Truth Aid Media

Une scène de “Difret” montre le kidnapping à dos de cheval du personnage principal. Credit photo : Truth Aid Media

“Difret” a été projeté à guichet fermé à Addis Ababa pendant six semaines. Quand les réalisateurs ont cherché à produire leur film à l'étranger, ils se sont tournés vers Angelina Jolie, défenseure des droits des femmes en Afrique, et bien connue.

“Un film d'Afrique en langue étrangère a un long chemin à faire pour trouver une audience,” admet le réalisateur Mehret Mandefro. “Donc le fait d'avoir son soutient {Angelina Jolie} nous a vraiment aidé… à toucher un public qu'on aurait pas touché autrement.”

Malgré ce soutien de renom et le succès de “Difret,” Ashenafi et Mandrefo pensent que leur travail n'est pas terminé : ils estiment à au moins 20 pourcent des mariages dans le sud de l'Ethiopie qui sont contraints par une forme de telefa.

“Cela doit cesser” affirme Ashenafi. “Cela ne peut pas être toléré.”

Pour ce qui est du personnage principal, Mandrefo explique que la jeune fille a eu une vie difficile — après cette affaire, elle n'a pas été autorisée à retourner dans son village ou dans sa famille. Elle a été hébergée dans un pensionnat, et a décidé ensuite de changer de nom et de quitter l'Ethiopie. Mais elle est récemment revenue et travaille actuellement sur la problématique du telefa, dans l'espoir que les filles n'aient plus à subir comme elle cette épreuve.

En Ukraine, des élections locales où certains n'ont pu voter

lundi 26 octobre 2015 à 23:36
Voting in local elections at a polling station in Kiev, on October 25, 2015. Image by Alexey_Ivanov from Demotix.

Dans un bureau de vote de Kiev, le 25 octobre 2015. Photo Alexey_Ivanov sur Demotix.

En Ukraine, des élections locales ont eu lieu le 25 octobre dans tout le pays, avec de nombreux visages neufs ou anciens en compétition pour 10.000 postes de maires et 160.000 fauteuils dans les conseils régionaux et locaux. Les médias sociaux ukrainiens ont brassé les suivis de participation aux scrutins, les signalements de fraudes électorales et les résultats de sortie des urnes, sous les mots-dièses  #elect_ua et #вибори2015 (#élections2015). Et certains citoyens, privés de la possibilité de voter, n'ont pas manqué de faire retentir sur l'Internet leur voix, et leur désappointement.

Le scrutin en chiffres

Les élections du 25 octobre font largement figure de test pour l'environnement politique post-Euromaïdan en Ukraine. Si elles s'avèrent transparentes et équitables, disent les observateurs, cela augurera bien du niveau de confiance qu'accordera la communauté internationale à l'Ukraine dans la poursuite de son combat contre les difficultés économiques et sa quête de soutien international alors qu'elle ferraille contre les ingérences russes et pro-russes dans l'Est de son territoire. Si de nombreux commentateurs présentent ces élections locales comme une compétition pro-Européens contre pro-Russes, l'important est moins le nom des élus que la légitimité et la transparence reconnue (ou non) à ce processus électoral.

Ce sont au total 132 partis politiques qui ont participé aux élections dans toute l'Ukraine, sous la surveillance d'organisations civiques et d'associations, 82 ukrainiennes et 14 internationales. Les organisations internationales à elles seules ont envoyé 1.500 observateurs dans différentes régions pour garder le scrutin à l'oeil.

Le suivi en ligne des élections comportait des marathons nationaux tout comme des live blogs locaux.

Etant donné l'enjeu décisif, la participation au vote a été globalement satisfaisante, avec dans certaines régions des niveaux plus élevés qu'anticipé. En totalité, à 20 heures le 25 octobre, le réseau Opora faisait état d'un taux national de 46,5 %.

La participation aux élections locales, selon les chiffres d'OPORA, est à 20h de 46,5 %

Certains ont été déçus du niveau d'activité électorale. Sasha Borovik, un des principaux candidats à la mairie d'Odessa, a tweeté son sentiment.

Participation très faible. D'après nos chiffres, à 17h pas plus de 35 %. Les jeunes ne sont pas actifs du tout. C'est une honte totale.

Les fraudes

Comme pour les élections précédentes, les militants civiques d'Opora ont tenu à jour une carte collaborative des fraudes électorales, en collationnant et organisant la publication des signalements d'observateurs et de simples électeurs de toute l'Ukraine. A 11h heure de Kiev dimanche, la carte d'Opora enregistrait 1093 infractions de toutes sortes, dont la moitié (542 signalements) étaient des cas de campagne illégale.

A screenshot of the Opora crowdmap at around 11pm Kyiv time on October 25, 2015.

Capture d'écran de la carte d'Opora vers 11h (heure de Kiev) le 25 octobre 2015.

Si quelques problèmes électoraux relevaient de difficultés d'organisation telles que des ouvertures retardées de bureaux de vote, Il y a eu des violations caractérisées, comme de faux bulletins de vote et des fraudes d'électeurs avec la méthode dite de la “kosynka” (“foulard”), par laquelle des groupes d'électeurs portant un ruban particulier (“kosynka”) reçoivent des bulletins sans montrer de pièces d'identité ou signer le registre de vote.

A Vyshneve, une petite ville près de Kiev, les électeurs se voyaient offrir 300 hrivnas (12 euros) pour donner leur voix à l'un des candidats à la mairie, contre une photo de leur bulletin de vote avec une marque à côté du nom “correct”. Des scènes similaires ont été relevées à Oujhorod, en Ukraine occidentale, où des électeurs ont aussi été surpris en train de saisir leur vote avec leur téléphone.

Une photo montrant clairement un coche.

La loi électorale ukrainienne interdit de faire campagne pour tout parti ou candidat le jour du scrutin et la veille ; à Odessa, le candidat à la mairie Darth Vader et son acolyte Chewbacca ont été interpelés par une patrouille de police alors qu'ils faisaient campagne près d'un bureau de vote.

La police d'Odessa a interpelé Chewbacca.

Des élections annulées ?

Une bonne partie des signalements était centrée sur les villes de Marioupol et Krasnoarmiysk, où les opérations de vote ont été interrompues et le scrutin finalement reporté à une date ultérieure.

A Marioupol, ville sur la ligne de front dans la région de Donetsk, les membres de la commission électorale municipale territoriale ont décidé de ne pas accepter les bulletins de vote imprimés chez un imprimeur local, après qu'un lot vierge et non scellé fut retrouvé dans son atelier.

Les élections locales de Marioupol n'auront probablement pas lieu : la commission électorale territoriale a refusé les bulletins de vote

La décision de la commission électorale locale de reporter le scrutin a fait des vagues. Le président de la Commission électorale centrale d'Ukraine, Mykhaïlo Okhendovsky, a déclaré que la commission électorale locale avait vraisemblablement enfreint la loi électorale en “entravant le processus de vote” et demandé au Ministère de l'Intérieur une enquête complète sur l'affaire. L'élection à Marioupol pourrait être reprogrammée aussi tardivement que le 15 novembre 2015, comme l'ont laissé entendre certains partis politiques.

Une affaire du même genre a eu lieu à Krasnoarmiysk, aussi dans la région de Donetsk : le tribunal local a contesté le choix de l'imprimeur de la ville à qui la commission électorale a confié l'impression des bulletins de vote. A la suite de la décision judiciaire, la commission électorale locale a voté à la majorité l'invalidation des bulletins et leur non-distribution dans les bureaux de vote. Même si cette décision a été à son tour contestée par la suite, les électeurs de Krasnoarmiysk n'ont pas pu voter.

Pas d'élections à Krasnoarmiysk région de Doetsk : le choix d'une entreprise privée pour les bulletins prononcé en justice contraire à la loi

Laissés sans voix

Il n'y a pas qu'à Marioupol et Krasnoarmiysk que les élections locales n'ont pas eu lieu. Parmi les zones de non-vote, on compte aussi la Crimée, actuellement annexée et occupée par la Russie, et les morceaux des régions de Donetsk et Louhansk actuellement sous contrôle des activistes pro-Russes des républiques populaires auto-proclamées de Donetsk et Louhansk.

Autre vaste groupe de citoyens ukrainiens privés de leur droit de vote, les déplacés internes—réfugiés de la zone de guerre d'Ukraine orientale. Selon le chapitre de Donetsk du Comité des électeurs d'Ukraine, 2 216 307 déplacés internes n'ont pu exercer leur droit de vote le 25 octobre. 1 872 743 autres électeurs vivent en ce moment en territoire occupé, où voter était impossible.

La loi électorale ukrainienne actuelle ne prévoit pas que des citoyens déplacés internes puissent exercer leur droit de vote où qu'ils se trouvent à l'intérieur du pays. Une version plus progressiste de la loi, tenant compte des nécessités actuelles, reste bloquée en commission parlementaire. Les spécialistes y voient un manque de volonté politique et affirment que le seul moyen pour les déplacés internes de surmonter la difficulté est d'aller au tribunal.

A l'approche du scrutin, des activistes, pour beaucoup des déplacés internes, ont lancé une campagne-choc en ligne, montrant des citoyens déplacés internes qui posent avec le nom de leurs villes d'origine, avec le slogan “L'enregistrement qui réduit au silence. Les déplacés internes n'ont pas accès au vote.”

Déplacés internes : citoyens d'Ukraine, à qui on a enlevé le droit de vote, mais qu'on a pas encore réussi à faire taire !

En attentant le décompte définitif des résultats pour savoir combien de nouveaux hommes et femmes politiques viendront introduire des réformes et combattre la corruption, et combien de visages familiers poursuivront toujours les mêmes jeux, ces élections locales laisseront un goût amer à ceux qui n'auront pas pu voter, aussi transparent et équitable qu'ait été le scrutin.

Eléctions turques : un revolver sur la tempe des journalistes

lundi 26 octobre 2015 à 13:24
Citizen video of Özgür Gün TV reporter Murat Demir and DİHA reporter Serhat Yüce being threatened by police. Video via YouTube.

Vidéo amateur montrant le journaliste d'Özgür Gün TV Murat Demir et le journaliste de DİHA Serhat Yüce en train d'être menacés par la police. Vidéo issue de YouTube.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article sont en anglais]

Les élections du 1er novembre en Turquie approchent à grand pas, et les journalistes du pays doivent faire face à des menaces de plus en plus fortes, dans une ambiance générale de peur et de violence.

Au mois d'octobre, en l'espace d'une semaine, les journalistes Ahmet Hakan et Serhat Yüce ont tous deux subi de violentes agressions, qui ont déclenché un tollé sur le manque de protection des journalistes dans le pays. L'agression qui a eu le plus d'écho sur les réseaux sociaux turcs est celle d’Ahmet Hakan, roué de coups le 1er octobre par un groupe affilié à l'AKP (Parti de la justice et du développement), parti au pouvoir. Mais l'agression de Serhat Yüce par la police le 5 octobre a elle aussi été fermement condamnée.

Et la pression sur les journalistes s'intensifie avec l'arrivée de nouvelles élections, dans lesquelles le parti au pouvoir, l'AKP, espère bien remporter la majorité. Le parti a perdu de son hégémonie politique suite aux élections de juin, qui ont conduit à un parlement divisé et à de nouvelles élections convoquées immédiatement, et qui ont intensifié l'opposition à l'une des réussites principales de l'AKP sur la dernière décennie – le processus de paix avec les Kurdes -, qui menace désormais de s'écrouler.

Face au militantisme des Kurdes et à la violence croissante du gouvernement envers les citoyens, les journalistes qui usent de leur sens critique pour enquêter et rapporter les activités du Président Recep Tayyip Erdoğan et de son parti AKP, sont particulièrement vulnérables.

Le parti du gouvernement contre le groupe de médias Doğan Media

Il faut noter que les campagnes de désinformation et les menaces physiques, qui visaient jusqu'alors les médias pro-kurdes et les médias de gauche, sont désormais adressées aussi aux grands médias.

Doğan Media, qui regroupe des médias influents comme Hürriyet, Hürriyet Daily News, Posta, ainsi que les chaines de télévision Kanal D, CNN Türk, et tv2, est l'un des plus grands groupes de médias en Turquie. Possédée par le magnat Aydın Doğan, l'entreprise a toujours été dans un fonctionnement et une ligne assez typiques des médias grand public, esquivant les sujets trop délicats, tout en essayant de garder une objectivité.

Mais c'est lors des élections du 7 juin, où l'AKP a vu ses velléités de domination du parlement détruites par l'arrivée au pouvoir législatif du parti pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples), que le groupe Doğan Media a commencé à subir des pressions. Le groupe avait laissé passer dans ses émissions des membres de l'HDP et leur leader, Selahattin Demirtaş.

Cette place accordée au HDP a été très peu appréciée dans les milieux nationalistes, qui ont accusé le groupe de “promouvoir” le séparatisme kurde et de “soutenir le terrorisme”.

Après les élections, le groupe a commencé a prendre des précautions. Ainsi qu'un journaliste le raconte [turc], l'autocensure a commencé à devenir pratique courante au sein du groupe. Les membres du HDP ne furent plus invités dans les émissions des chaines du groupe Doğan Media.

Mais même ces précautions se sont révélées inutiles. Dans les nuits du 6 septembre et du 8 septembre, le siège du groupe a été attaqué à coups de pierres et de bâtons de dynamite, lors d'un rassemblement organisé par Abdurrahim Boynukalın, député AKP et dirigeant des jeunes AKP. Abdurrahim Boynukalın avait tenu publiquement un discours menaçant en face des bureaux d'Hürriyet.

Abdurrahim Boynukalın n'a pas été sanctionné pour son rôle dans l'organisation de cette manifestation sauvage.

Ahmet Hakan violemment agressé en face de son domicile

Les attaques sur le groupe Doğan Media et ses journalistes ont perduré. Le célèbre présentateur Ahmet Hakan Coşkun a été agressé par quatre personnes en face de son domicile. Il s'en est sorti avec un nez cassé et plusieurs côtes brisées. D'après l'enquête, il ressort que trois des quatre agresseurs étaient des membres de l'AKP. L'AKP a par la suite annoncé que ces personnes avaient été expulsées du parti.

Au départ plutôt favorable à l'AKP et à Recep Tayyip Erdoğan, Ahmet Hakan était devenu, avec le temps, de plus en plus critique, à mesure que grandissait les aspects autoritaires et conservateurs de l'AKP. Ce changement a bien été noté par la presse pro-AKP, comme par l'éditorialiste Cem Küçük, qui a accusé à tort Ahmet Hakan de soutenir le parti des travailleurs kurdes (PKK), engagé pour l'indépendance kurde.

Cem Küçük avait écrit dans le journal Star :

Like schizophrenic patients, you [Hakan] think you are still living in the days when Hürriyet ran the country. We could crush you like a fly if we wanted. We have been merciful until today and you are still alive.

Tel un schizophrène, tu [Ahmet Hakan] penses que tu vis toujours à l'époque où [le journal] Hürriyet dirigeait le pays. Nous pourrions t'écraser comme une mouche si nous le voulions. Nous avons été cléments jusqu'à aujourd'hui, et tu es toujours en vie.

Ces mots ont été publiés moins d'un mois avant son agression.

Bien que la plupart des journalistes et de médias aient condamnés cette agression, les médias pro-AKP ont essayé de blâmer les autres. Des groupes sur les médias sociaux, connus sous le nom d'AKtroll (des utilisateurs anonymes qui soutiennent l'AKP, surtout actifs sur Twitter) [le mot “troll” désigne des messages sur les réseaux sociaux destinés à créer des polémiques] ont même célébré l'événement :

Voilà l'un des comptes Twitter anonymes les plus affluents parmi les soutiens du pouvoir, après l'agression du journaliste Ahmet Akan.

Les attaques contres les médias kurdes continuent

Le mutisme des publications kurdes, grandement encouragé par les forces de sécurité turques, est une autre caractéristique du paysage médiatique de plus en plus délabré en Turquie. Deux jours seulement avant l'agression d'Ahmet Hakan, la police avait fait une descente dans un bâtiment qui hébergeait à la fois l'agence de presse kurde DİHA et le journal kurdophone Azadiya Welat.

La descente avait eu lieu sans mandat, durant l'après-midi du 28 septembre. Les agents de police avaientt mis 30 journalistes et rédacteurs en chef en garde à vue, qui ont par la suite déclaré avoir été harcelés et intimidés. La police avait également brisé les portes et les fenêtres du bâtiment.

Une porte ouverte sur la vérité! C'est la police qui a fait une descente à l'agence DİHA qui est responsable de ça. Nous vous surveillons et vous poursuivrons. #NetouchepasàDİHA -Nedim Türfent, rédacteur en chef en anglais de DİHA.

L'une des raisons possibles de à cette descente de police est le travail de DİHA sur les conflits dans les villes kurdes, là où les indépendants kurdes et la police s'affrontent. L'AKP avait déjà montré son désir de censurer l'information venant de villes comme Cizre, Beytülşebbap, Hakkari et Şırnak, là où l'agence a été particulièrement active.

DİHA est la source d'informations la plus reconnue pour beaucoup de Kurdes du monde entier, et pour ceux qui n'ont plus confiance dans les autres médias. Son site web avait été censuré en juillet, lors d'une vague de blocages qu'avait couvert Global Voices. Depuis, leurs noms de domaines et sites miroirs ont été bloqués plus de 20 fois.

Un revolver sur la tempe d'un journaliste

Récemment, l'événement qui a choqué les journalistes du le pays montre à quel point le gouvernement va loin dans sa guerre contre les médias – jusqu'à l'inacceptable.

Le journaliste Murat Demir, qui travaille pour Özgür Gün TV, ainsi que le journaliste pour l'agence DİHA Serhat Yüce, ont tous deux été menacés, battus, puis mis en garde à vue par des policiers en civil, dans la ville de Silvan, dans le partie Kurde de la Turquie, à l'Est.

Alors qu'ils se préparaient à photographier la cille sous couvre-feu, un officier de police en voiture s'est arrêté près d'eux, a chargé son arme, et l'a pointée sur Serhat Yüce, tout en le menaçant verbalement.

Et maintenant, que va-t-il arriver ?

Être journaliste n'a jamais été facile en Turquie. L'histoire des médias en Turquie regorge d'histoires de menaces, agressions, tortures et même assassinats de journalistes.

Les attaques des bureaux des publications et des travailleurs des médias fait remonter le souvenir des jours les plus sombres, et a provoqué à juste titre l'installation d'une peur au sein de la presse indépendante et critique. Des événements comme l'arrestation des journalistes de VICE et l'expulsion de Frederike Geerdink montrent aussi que les attaques envers la presse libre ne se limitent pas aux citoyens turcs.

Prédire l'avenir est difficile, où que ce soit, mais c'est encore plus difficile en Turquie. Ces dernières années ont été un vrai challenge économique et sécuritaire, et tout cela a contribué à rétrograder la Turquie vers son passé violent et morose.

Mais il semble certain qu'il n'y aura pas de relâche avant le 1er novembre, et tous les journalistes auront à choisir entre l'auto-censure ou la prise de risque croissante.

De la neige sur les lacs de Bangalore ? Non, une mousse toxique

dimanche 25 octobre 2015 à 17:57
Its not snow covered waters it is foam covered waters! Its the way water flows in the 130yrs old Bellandur lake! The place had a heavy pungent smell. Image from Flickr by Kannan B. CC BY-NC-ND 2.0

Ce n'est pas de la neige mais de la mousse qui flotte à la surface. Voilà ce qui se jette dans le lac de Bellandur, vieux de 130 ans. L'endroit dégage une forte odeur âcre. Photo sur Flickr de Kannan B. CC BY-NC-ND 2.0

Non, il ne neige pas à Bangalore. Ce qui flotte à la surface des lacs pollués de la troisième ville d'Inde est en fait une mousse toxique.

Elle trouve son origine principalement dans le lac Bellandur, dans lequel on a longtemps déversé des eaux usées et des déchets chimiques en l'absence de systèmes d'épuration. Lorsqu'il pleut, l'eau toxique du lac forme une couche épaisse de mousse blanche, qui finit souvent emportée par le vent jusqu'aux villages voisins.

Vous avez sous les yeux de l'eau riche en ammoniac, en phosphate et pauvre en oxygène, formant une mousse extrêmement toxique.

Est-ce que c'est bien vrai ? On vit sur Terre ou bien en Enfer ? Effrayant. Et la pollution invisible de l'air est tout aussi toxique.

« Neige empoisonnée »

Bangalore, qu'on appelait « la ville des mille lacs », ne compte plus que quelques dizaines de lacs vivants. La plupart de ces étendues d'eau sont reliées entre elles, mais il n'y a pas de rivière proche pour évacuer les eaux et la saleté. L'urbanisation rapide de la région a eu un impact grave sur ces lacs jadis magnifiques, et désormais seuls dix-sept d'entre eux sont encore en bonne santé, contre cinquante-et-un en 1985.

Certains des anciens lacs ont été convertis en station de bus, en terrain de golf ou de jeu, ou en résidences. Les lacs reçoivent plus de 490 000 mètres cubes d'eaux usées par jour, la plupart non-traitées et venant de maisons et d'usines dans toute la ville. Grâce à la pollution, Bangalore a un nouveau surnom : « le pays des milles réservoirs d'eaux usées ».

Il ne neige pas à Bangalore, alors on a donné des effets spéciaux à nos lacs pour qu'ils moussent comme s'il avait neigé…

Le lac Byramangala à Bidadi qui mousse, grâce à tous les affluents de Bangalore.

Le site web Life in Bangalore a diffusé une vidéo sur Youtube en mai 2015 où l'on peut voir la mousse polluée flotter à la surface du lac Bellandur :

Debasish Ghosh, spécialiste en informatique et photographe à Bangalore, a publié un reportage-photo dans le Guardian. Il écrit :

Bellandur Lake, in India’s technology capital, now carries huge volumes of snowy froth which blocks the adjacent canals. After a downpour, the mass of lather in the canal rises so high that it lands on the roads and causes inconvenience to those travelling on two wheels.

This froth, which would otherwise have been a sight to behold, has a pungent smell and causes irritation on contact with skin. Although the residents have raised their concerns to the authorities, the government has not taken adequate measures to curb the problem.

Le lac Bellandur, dans la capitale technologique de l'Inde, véhicule désormais une importante quantité de mousse qui bloque les canaux voisins. Après la pluie, l'épaisse mousse monte si haut qu'elle atteint la route et incommode ceux qui se déplacent en deux-roues.

Cette mousse mériterait d'être observée si elle ne dégageait pas une odeur âcre, irritant la peau de ceux qui la touchent. Les riverains ont fait part du problème aux autorités, mais le gouvernement n'a pris aucune mesure convenable pour enrayer le fléau.

En mai, la mousse de deux lacs a pris feu à cause des déchets industriels rejetés dans leur eaux, un mélange contenant des détergents, de l'huile et de la graisse.

Jusqu'où cela devra-t-il aller ?

Une page Facebook intitulée Save Bellandur, Save Bangalore [Sauvez Bellandur, Sauvez Bangalore] tente de faire entendre les voix des habitants afin de pousser le gouvernement à mettre fin à la pollution et à nettoyer les lacs. Sanchita Jha y a publié quelques points soulevés lors d'une réunion le 11 octobre 2015, réunion où étaient présents plus d'une centaine d'activistes et de membres de la presse locale :

* Huge [froth] at outlets, was forming even back in 2000
* More than 40% of Bangalore sewage enters the Bellandur lake via many inlets like direct drainage; storm water drains (SWD) filled with industry affluent carried all the way from different parts of the city.
* Pumping stations of sewerage treatment plants attached to Bellandur lake are either not functioning or not up to the capacity of incoming water.
* Due to its size and level of contamination of Bellandur lake, it has been continuously ignored/neglected/feared by government authorities.
* The air is contaminated and also due to lot of mosquitoes from lake, there are around 5-10 Dengue cases reported daily.
* The toxic smell around the lake is so bad that it turns silver articles to black!

* De la mousse se formait déjà en grande quantité au niveau des arrivées d'eau depuis 2000.
* Plus de 40 % des eaux usées de Bangalore sont déversées dans le lac de Bellandur grâce à de nombreuses arrivées d'eau directes ; des canalisations pour l'évacuation des eaux pluviales remplies de déchets industriels viennent de toute la ville pour terminer leur course dans le lac.
* Les stations d'épuration rattachées au lac de Bellandur ne fonctionnent pas ou ne peuvent pas faire face à la quantité d'eau à traiter.
* Le problème du lac de Bellandur est en permanence ignoré/négligé/craint par les autorités gouvernementales du fait de sa taille et de l'importance de la contamination.
* L'air est également contaminé et à cause de nombreux moustiques en provenance du lac, on déplore 5 à 10 cas de dengue par jour.
* Les émanations toxiques autour du lac sont si fortes qu'elles noircissent les objets en argent !

Sanchita a aussi demandé à ce que les habitants signent une pétition et fassent circuler des informations afin de mettre fin à la pollution. Siddaramaiah, le premier ministre de Karnataka, a finalement répondu et ordonné aux autorités locales d'examiner l'endroit et de trouver une solution au problème.

J'ai parlé à BBMP Com et leur ai demandé de prendre des mesures pour réduire de façon permanente la pollution du lac de Bellandur.

Le conseil du contrôle de la pollution de l'Etat de Karnataka a décidé de créer des comités de défense pour la protection du lac, dont les habitants seront les acteurs principaux, afin d'encourager la réduction de la pollution. Ashlesh Garate, habitant de Bangalore, rappelle cependant sur Facebook qu'en 1999, la Cour Suprême avait demandé aux autorités civiles de nettoyer Bellandur. Dix-sept ans plus tard, il est toujours pollué. Il reste à savoir combien de temps il faudra pour rendre sa propreté au lac et éviter la contamination d'autres lacs de Bangalore.