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Data et démocratie : quel a été le rôle de Cambridge Analytica dans les élections au Kenya ?

samedi 4 novembre 2017 à 20:22
Ballot boxes. Photo by Sheila Rouge, labeled for reuse.

Urnes. Photo de Sheila Rouge, réutilisable.

La puissance de Cambridge Analytica — la firme d'analyse de données qui a contribué à la victoire de la campagne de Donald Trump aux USA — est devenue une source d'inquiétude dans le conflit actuel autour des élections nationales au Kenya.

Cette semaine, des blogueurs associés à la coalition de l'opposition National Super Alliance (NASA) ont publié une page fuitée de ce qu'ils ont dit être une note interne décrivant la tactique utilisée par Cambridge Analytica pour donner la victoire au président sortant Uhuru Kenyatta, de la Jubilee Alliance.

Un porte-parole de Cambridge Analytica a déclaré à Global Voices que le document était “créé de toutes pièces”.

L'entreprise, basée a Royaume-Uni, est sous les feux de la rampe depuis la victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis. La firme y avait été engagée pour analyser les data des électeurs indécis et leur envoyer des informations ciblées afin de les faire basculer en faveur de Trump.

La note fabriquée prétend que la firme a entrepris des “mesures à caractère psychologique” pour faire “apparaître comme violents les sympathisants et membres de l'ethnie Luo en vue de discréditer leur expression politique. Elle invite également à “manipuler émotionnellement” les sympathisants du parti au pouvoir pour s'assurer de leurs votes.

On ignore qui a forgé cette note, mais son contenu veut apparemment s'appuyer sur la défiance de plus en plus répandue envers le parti aux commandes et ses sympathisans. Elle a versé de l'huile sur le feu d'un débat déjà enflammé sur les élections nationales depuis le début de cette année. Si le président sortant Uhuru Kenyatta s'est techniquement assuré une majorité de voix aux élections d'août, sa victoire a été contestée par le chef de l'opposition Raila Odinga (de la coalition NASA) puis annulée par la Cour Suprême, au motif que les systèmes de comptage des votes étaient défectueux.

Après cette décision, un nouveau vote a eu lieu, et M. Kenyatta l'a à nouveau emporté. Mais les détracteurs et les chefs de l'opposition affirment que les systèmes de comptage des votes n'avaient pas été améliorés dans l'intervalle, et des millions de Kényans ont réagi en boycottant le nouveau tour du 26 octobre, entourant d'une incertitude encore plus grande l'avenir politique du pays. Certains chefs de l'opposition ont indiqué vouloir contester les résultats du nouveau vote.

De violents heurts ont éclaté dans différentes parties du pays, avec une petite minorité d'individus semblant inciter à la violence.

Dans ce récent cycle électoral, les acteurs sur internet — travaillant vraisemblablement dans l'intérêt du parti au pouvoir — ont entrepris de propager les stéréotypes sur une communauté, les Luo, dépeints comme violents, et à construire l'hypothèse que le principal parti d'opposition recrute ses sympathisants exclusivement dans cette communauté. Ce qui n'a fait qu'approfondir le fossé entre les Luo et le parti Jubilee au pouvoir.

Que fait au juste Cambridge Analytica au Kenya ?

“Big Data. Behavioral Micro-targeting. Political Campaign Support. Digital Support” (Big Data. Micro-ciblage comportemental. Assistance aux campagnes électorales. Assistance numérique). C'est ainsi que Cambridge Analytica décrit ses activités dans son profil Twitter.

Même si la fausseté de la note mise en circulation cette semaine est désormais confirmée, une question essentielle pour de nombreux Kenyans n'a pas disparu : que fait au juste Cambridge Analytica au Kenya ?

Le parti Jubilee au pouvoir au Kenya a bien engagé Cambridge Analytica pour l'aider à mener sa campagne. En mai 2017, le quotidien kényan The Star rapportait la signature par Uhuru Kenyatta d'un contrat avec la firme britannique.

Ce contrat n'était pas le premier entre la firme et le parti au pouvoir. L'implication de Cambridge Analytica dans la politique kényane a débuté en 2013, lorsque la firme a travaillé pour Uhuru Kenyatta et l'Alliance Nationale (TNA), le prédécesseur du parti Jubilee.

Pendant la campagne d'alors, la firme a mené 47.000 enquêtes de terrain. Selon le site web de Cambridge Analytica, ceci a permis à la firme de réaliser un profilage de l'électorat kényan et d'en tirer une stratégie de campagne “basée sur les besoins de l'électorat (des emplois) et ses peurs (la violence tribale).”

Étude de cas sur le Kenya, par Cambridge Analytica. Capture d'écran du site web de Cambridge Analytica.

L'étude de cas décrivait aussi le travail de la firme sur le potentiel de mobilisation sur les réseaux sociaux de sympathisants dans la jeunesse :

Sur les publics identifiés, notre travail a fait apparaître que la cohorte de la jeunesse était un capital sous-utilisé pour le parti, qui pouvait être de grand poids si mobilisé. Pour entrer en relation avec ce public, l'équipe communication et stratégie de CA a mis au point une campagne de médias sociaux en ligne pour générer un suivi immensément actif en ligne.

Kenyatta a remporté l'élection de 2013. En 2017, quand le parti Jubilee a une nouvelle fois contracté avec leurs services, la BBC a publié un article sur Cambridge Analytica et le ‘projet’ en cours de la firme au Kenya. Un représentant de Cambridge Analytica a déclaré à BBC Trending que l'entreprise n'était pas engagée dans une quelconque publicité négative au Kenya, et “n'a jamais préconisé l'exploitation des divisions ethniques dans quelque pays que ce soit”.

Ce qui pose la question du type de stratégie qu'a pu proposer la firme (comme indiqué dans leur documentation ci-dessus) et qui aurait été basée sur les peurs de violence tribale de l'électorat.

Le reportage de la BBC a été publié cinq jours seulement avant l'élection générale au Kenya, ultérieurement annulée par la Cour Suprême.

Le travail de Cambridge Analytica pour le compte du parti Jubilee doit aussi interroger sur les conséquences de l'acquisition par un parti politique qui gouverne des données de millions de Kényans pour les partager avec une entreprise privée. Le Kenya n'a pas de loi de protection des données sauvegardant la vie privée de ses citoyens contre les conséquences potentielles de l'utilisation de leurs données personnelles, tout comme le pays n'a pas de restrictions juridiques quant au stockage et à l’accessibilité de ces données.

L'exploitation des tensions ethniques sur les médias sociaux

Implication ou non d'entreprises tierces, les descriptions de Luos comme violents par nature ont été propagées sur les médias sociaux kényans, avec des effets réels dans tout le pays. Dans des villes comme Siaya, Homabay et Kisumu, où l'internet reste un luxe, les habitants ont éprouvé un impact direct du profilage et de la description de la communauté Luo comme d'individus violents.

Selon un article d'Aljazeera sur le Kenya, au moins 37 personnes dont trois enfants ont été tués dans les manifestations qui ont suivi l'annonce des résultats de l'élection. Presque toutes les victimes des violences sont mortes dans les bastions de l'opposition dans les bidonvilles de la capitale Nairobi, ou de l'ouest du pays.

En juin 2017, l'ONG britannique Privacy International a mis en garde contre l'usage de l'ethnicité comme outil politique pour manipuler les citoyens. L'organisation décrivait les dangers de la collecte de données de millions de Kényans pour profiler, cibler, et convaincre les électeurs pour le compte du président kényan, rappelant l'élection générale de 2007 au Kenya, quand les affrontements tribaux et les violences ethniques avaient fait 1.500 morts et laissé plus de 600.000 personnes sans abri.

Il a été prouvé que le président sortant a eu un rôle dans ces affrontements. Les procureurs de la Cour Pénale Internationale ont instruit une plainte contre Uhuru Kenyatta et son vice-président actuel William Ruto, sur des allégations d'incitation à des crimes contre l'humanité ayant pour effet des incidents de violences ethniques. Néanmoins, les charges contre eux ont été levées par manque de preuves, dû en partie à ce que des témoins-clés étaient morts ou disparus.

Le Kenya est le premier pays en développement à avoir notoirement recouru aux services de Cambridge Analytica pour influer sur les résultats électoraux par le big data et le micro-ciblage. Même si les tactiques et dispositifs sur mesure mis en œuvre par la firme ne sont pas entièrement connus, son contrat avec le parti au pouvoir sonne comme un avertissement pour d'autres gouvernements — et défenseurs de la démocratie — dans le monde en développement.

Les finalistes de Miss Pérou protestent contre les violences faites aux femmes : enthousiasme à l'international, quelques doutes au Pérou

vendredi 3 novembre 2017 à 12:40

Arrêt sur images d'Al Jazeera: “Les finalistes de Miss Pérou transforment le concours de beauté en protestation contre les violences faites aux femmes”. Visible sur YouTube

Quand les concurrentes du concours Miss Pérou de cette année ont détaillé en scène, au lieu de leurs mensurations, les chiffres alarmants des violences faites aux femmes, c'était l'ovation dans les médias internationaux. Au Pérou, en revanche, tout le monde n'a pas applaudi.

Pendant la finale, les images en rapport avec la campagne #niunamenos (pas une de plus) et les illustrations d'affaires dans la presse étaient montrées en arrière plan pendant que les finalistes défilaient sur la scène. Jessica Newton, organisatrice du concours et à l'origine de l'initiative, indique que l'idée lui est venue après avoir appris que plusieurs des 30 finalistes du concours avaient été agressées ou harcelées. Les médias sociaux péruviens ont explosé de commentaires pour et contre cette manifestation inédite.

Une tempête de réactions qui a rallumé le mot-dièse controversé #PeruPaisdeVioladores (Pérou, pays de violeurs), avec des débats enflammés en ligne. Ce mot-dièse était né en réaction à l’agression sexuelle d'une enquêtrice du recensement alors qu'elle collectait les questionnaires du recensement national de 2017.

Pour beaucoup, ce mot-dièse était une généralisation abusive, et donc une représentation injuste du pays, tandis que pour d'autres, les chiffres alarmants étaient un enjeu plus important que l'affirmation que tous les hommes du Pérou n'étaient pas des agresseurs sexuels :

15.000 cas de viol en 8 mois. Mais tu crois qu'on n'est pas un pays de violeurs parce que toi et ton papa n'en êtes pas.

Le débat s'est élargi au sens et à la contradiction de l'idée d'un concours de beauté s'associant à une campagne contre le sexisme et les violences faites aux femmes. Les critiques ont accusé l'initiative d'être un coup médiatique pour améliorer les taux d'audience et attirer l'attention sur le concours lui-même. Malgré le franc-parler des finalistes quant à la gravité de la situation, elles n'ont pas eu l'occasion de développer pendant la partie questions et réponses de la finale.

A quoi sert un Miss Pérou ‘féministe’ si les candidates ne savent que répondre quand on les questionne sur la violence contre les femmes ?

Sensibiliser aux violences contre les femmes tout en défilant sur scène en bikini semblait difficile à comprendre pour ceux qui critiquaient une protestation mettant en question les structures mêmes qui réduisent les femmes à des objets et contribuent au climat de violence contre les femmes.

Ils tuent les femmes parce qu'ils les considèrent comme des objets de leur propriété. Pour changer cette mentalité, faisons les défiler en bikini.

“Nous méritons mieux”

L'auteur féministe et activiste en ligne “Pamela” a développé ces contradictions dans son article sur Medium “Miss Pérou : ‘Exigeons plus, nous méritons plus.'” Elle y explique pourquoi tout le monde au Pérou ne se félicite pas de la méthode de l'organisatrice du concours pour protester contre les violences contre les femmes :

Primero, hay que reconocer el contexto de la situación. Miss Perú 2017. Un concurso que elige a su ganadora en base a su apariencia física y capacidad de responder preguntas en tiempo record. Donde todas las mujeres son casi idénticas: altas, delgadas […] Lima, Perú. La 5ta ciudad más peligrosa para las mujeres en el mundo […] Estas dos cosas están relacionadas, ambas son producto de una sociedad machista. La cosificación de la mujer es una forma de violencia que nace de una sociedad que solo nos valora por nuestros cuerpos y que piensa que pueden hacer lo que les da la gana con ello.

En premier lieu, il faut reconnaître le contexte. Miss Pérou 2017. Un concours de beauté qui élit sa gagnante sur la base de son apparence physique et sa capacité à répondre aux questions en temps record. [Un concours] où toutes les femmes sont presque identiques : grandes, minces […]. Lima, Pérou. La 5ème ville du monde la plus dangereuse pour les femmes. […] Ces deux choses sont reliées, toutes deux sont le produit d'une société machiste. La chosification de la femme est une forme de violence qui naît d'une société qui ne nous valorise que pour notre corps et qui pense qu'on peut en faire ce qu'on veut.

Elle continue :

Si Latina.pe y Miss Perú en verdad les importara el bienestar de las mujeres peruanas y realizar un cambio potente en nuestra sociedad machista y violenta, hubieran utilizado ese tiempo que dedicó para emitir el certamen para algo más productivo que nombrar a otra reina de “belleza” (física, específica, occidental y que no representa la apariencia de la mayoría de peruanas). Yo no le voy a tirar flores a un certamen porque por fin se dio cuenta que las mujeres peruanas estamos sufriendo en una situación crítica. Nosotras no decimos “nos están matando” o “#PerúPaísDeVioladores” porque nos gusta. Nos duele. Mucho. Nos deprime. Nos parte el alma pero lo gritamos porque es la verdad y no podemos ignorar lo que estamos viviendo.

Si Latina.pe [la chaîne de télévision qui retransmet le concours] et Miss Pérou se souciaient vraiment du bien-être des femmes péruviennes et voulaient effectuer un changement puissant dans notre société machiste et violente, elles auraient utilisé ce temps de diffusion à quelque chose de plus productif que la désignation d'une nouvelle reine de “beauté” (physique, particulière, occidentale et qui ne représente pas la majorité des Péruviennes). Je ne vais pas lancer des fleurs à un concours parce qu'on se rend enfin compte que les femmes péruviennes subissent une situation grave. Nous ne disons pas “ils nous tuent” ou #PérouPaysdeVioleurs parce que ça nous plaît. Ça nous fait mal. Très mal. Ça nous déprime. Ça nous brise l'âme mais nous le crions parce que c'est la vérité et que nous ne pouvons ignorer ce que nous vivons.

Les journalistes marocains continuent à couvrir le mouvement Hirak en bravant l'intimidation par les autorités

jeudi 2 novembre 2017 à 18:07

Manifestants à un sit-in à Imzouren, situé à 14 km de la ville d'Al-Hoceima dans le Rif. Photo : AlhoceimasOfficiel, avec autorisation

Un an après le début des manifestations d'Al Hoceima, dans le Nord du Maroc, les médias du pays affrontent toujours les intimidations et les menaces judiciaires du pouvoir marocain pour couvrir la contestation.

Le mouvement de protestation dans la région marocaine du Rif a commencé avec la mort du vendeur de poisson Mohsin Fekri le 29 octobre. Le jeune homme est mort écrasé par un camion à ordures en essayant de récupérer son poisson confisqué par la police locale. Les manifestations se sont amplifiées en un “Hirak”, ou mouvement pour des emplois et le développement économique, et contre la marginalisation et la corruption. Malgré l'interdiction des rassemblements, des manifestations ont eu lieu durant le week-end pour commémorer la mort de Fekri.

Alors que l'agitation se poursuit, les journalistes se heurtent à une multitude de restrictions, avec interdictions de médias, expulsions et menaces de poursuites.

Le journaliste marocain indépendant Omar Radi, qui couvre lui-même les manifestations, a dit à Global Voices qu'en ce qui concerne la couverture de l'agitation sociale dans le Rif, “il y a un climat de terreur”.

“Ceux qui parlent à la presse peuvent se retrouver en prison”, dit-il. “Les gens ont peur de sortir de chez eux et les flics sont partout”.

A l'heure actuelle, au moins sept professionnels des médias sont derrière les barreaux pour leurs articles sur les manifestations du Rif.

Le journaliste et commentateur Hamid Mahdaoui, habitué du franc-parler, et dirigeant du site web indépendant Badil.info, a été arrêté à Al Hoceima, où il s'était rendu pour couvrir le mouvement protestataire. Le 20 juillet 2017, les autorités marocaines avaient décrété une interdiction de manifester. Lorsque des passants qui le reconnaissaient le hélèrent et commencèrent à discuter avec lui du Hirak, Mahdaoui critiqua l'interdiction. Il a été accusé et reconnu coupable d’ “incitation” à manifester.

En appel, la condamnation de Mahdaoui fut allongée en septembre dernier de trois mois à un an, ce qui l'a conduit à commencer une grève de la faim de deux semaines.

Badil.info, qui traite d'une multitude de sujets au Maroc, dont la politique, les droits humains et la corruption, est l'un des rares sites web indépendants à avoir pu parler des manifestations. Mais le 22 octobre 2017, ses collaborateurs annonçaient que le site allait cesser de publier, à cause de ce qu'ils ont appelé des contraintes financières.

Mahdaoui est aussi connu pour critiquer ouvertement en ligne le pouvoir marocain. Il s'exprime essentiellement par sa chaîne YouTube, où il analyse la situation politique et des droits humains dans le pays.

Dans une affaire distincte, Mahdaoui a été accusé de “non-dénonciation d'un crime mettant en danger la sécurité de l’État”, à cause d'une conversation téléphonique (dont un enregistrement officiel a été obtenu par écoute) entre lui-même et un militant anti-monarchiste marocain installé aux Pays-Bas, au cours de laquelle le militant détaillait un plan pour introduire des armes dans le pays.

Outre Mahdaoui, six journalistes-citoyens arrêtés pour leur couverture des manifestations dans le Rif sont actuellement derrière les barreaux. Parmi eux, Mohamed El Asrihi et Jawad Al Sabiry de Rif24.com, un site web local de média citoyen qui a fourni une couverture extensive du mouvement de protestation à Al Hoceima et dans d'autres villes.

El Asrihi, rédacteur en chef et directeur de Rif24.com est accusé de “pratique illégale du journalisme” parce qu'il ne possède pas de carte de presse. Si le site n'est plus mis à jour depuis mi-juin, la page Facebook de Rif 24 continue à donner des informations sur le Hirak et les manifestations.

Même si les effets ont été pour eux moins rigoureux, la répression a aussi touché les professionnels étrangers des médias. Le 27 septembre, la police a interpelé le journaliste britannique d'origine iranienne Saeed Kamali Dehghan à Al-Hoceima et l'a expulsé du pays au prétexte qu'il n'avait pas d’ “autorisation” de travailler depuis le Maroc. Dehghan, qui travaille pour le Guardian, s'était rendu dans le Rif pour un reportage sur le mouvement protestataire et des interviews de militants.

Le Maroc est classé 133ème dans l'édition 2017 de l'Index mondial de la liberté de presse de Reporters Sans Frontières. RSF y a noté “un lent mais régulier déclin de la liberté des médias” dans ce pays où “les autorités du royaume usent de pressions politiques et économiques pour dissuader les médias indépendants locaux de couvrir des sujets hautement sensibles”.

La fin de Badil et la répression de divers professionnels des médias qui ont joué un rôle essentiel dans la couverture du mouvement protestataire dans le Rif, laisse les Marocains — et ceux hors du pays — avec encore moins de moyens de rester informés sur le mouvement social.

Un site de désinformation relie faussement le futur chancelier autrichien et le philanthrope George Soros

mercredi 1 novembre 2017 à 21:24

Capture d'écran de l’agrégateur macédonien Time.mk affichant des liens vers des articles propageant les fausses informations d'une interdiction par Sebastian Kurz des fondations Soros en Autriche. Cliquer pour agrandir.

Note de la rédaction : Global Voices est bénéficiaire des Fondations Open Society.

Quelques jours après l'obtention par le parti de Sebastian Kurz de la majorité des suffrages aux élections en Autriche, ce qui fait de lui le futur chancelier, un fournisseur notoire de fausses nouvelles a répandu la désinformation que sa première mesure prise est l'expulsion hors du pays des Fondations Open Society, l'organisation philanthropique du milliardaire hongrois-américain George Soros.

L’article, publié le 19 octobre par un site web du nom de YourNewsWire.com, est une invention pure et simple. M. Kurz n'a pas encore pris ses fonctions, il le fera en novembre, et il n'a donc pas pu ordonner aux Fondations Open Society de “cesser et arrêter leurs activités en Autriche”. Et de toute façon, les Fondations Open Society n'ont pas de bureaux en Autriche.

Comme le relève Media Matters for America, un organisme de suivi des médias basé aux USA, YourNewsWire répand souvent la désinformation et a été accusé d'être un intermédiaire du gouvernement russe :

YourNewsWire est classé comme un “mandataire” de la Russie par l’East StratCom Task Force de l'Union Européenne, un groupement tactique créé pour contrer la propagande russe. Joel Harding, agent du renseignement américain et expert de la propagande du Kremlin, a de même indiqué que le site est “utilisé par les Russes comme un site proxy pour propager la désinformation.” Ce site est l'un des colporteurs les plus en vue de fausses nouvelles à recevoir les coches de vérification de Facebook, ce qui lui accorde un niveau de légitimité permettant la diffusion de ses récits truqués. La vérification contribue aussi à l'argument que Facebook est impuissant quand il s'agit de combattre l'influence russe dans la politique américaine.

L'histoire particulière Kurz-Soros a été diffusée sur les médias sociaux et d’autres sites prétendant combattre “le nouvel ordre mondial”. Soros est un personnage controversé, et sa philanthropie progressiste promouvant des sociétés ouvertes est souvent diabolisée dans certains cercles d'extrême-droite, et figure même dans les théories complotistes de domination mondiale.

Ceci n'est pas le premier essai de désinformer en mettant en rapport Kurz et Soros, mais fait intéressant, le précédent exemple tentait de présenter le futur chancelier autrichien comme un pion de l'homme d'affaires. Comme le rapportait le 15 octobre le journal britannique The Guardian :

Le scandale du Schmutzkübel (seau de boue), qui a secoué la politique autrichienne il y a deux semaines, était centré sur au moins deux sites Facebook postant des images et vidéos Photoshoppées qui accusaient Kurz de secrètement paver la voie à une nouvelle vague d'immigration en provenance de pays islamiques, et de faire partie du “douteux réseau politique” du financier hongrois-américain George Soros.

La désinformation emprunte le web macédonien

Les politiciens d'extrême-droite et leurs sympathisants dans les Balkans ont célébré la victoire électorale de Kurz et du Parti populaire autrichien (ÖVP), trouvant dans cette victoire la preuve que leur cause est populaire. La prédominance de l'ÖVP pourrait aussi apporter un bénéfice tangible en termes d'influence sur les institutions de l'Union Européenne.

Toutefois, la désinformation liant l'allié qu'ils perçoivent en Kurz à leur ennemi juré désigné Soros semble avoir laissé de marbre les médias sous leur contrôle, à l'exception de la Macédoine.

En Macédoine, seuls les médias appartenant à la machine de propagande de l'ex-parti au pouvoir VMRO-DPMNE ont tenté de pousser la fausse information Kurz-Soros, en l'intégrant à leur opération permanente de promotion de théories du complot centrées sur Soros.

Le VMRO-DPMNE a reçu ces dernières années un soutien diplomatique ouvert de la Russie, et l'un de ses propagandistes a même été décoré par Poutine en 2015. A plusieurs reprises pendant les campagnes électorales des dernières années, Kurz s'est rendu en Macédoine pour leur apporter son soutien dans le cadre de leur coopération au sein du Parti populaire européen.

Une recherche par le principal agrégateur d'information du pays, Time.mk, qui ne couvre que 160 environ des sites les plus influents de Macédoine (sur plusieurs milliers), fait apparaître que trois organes de médias ont répété l'article de YourNewsWire, et qu'ils sont directement possédés par des dirigeants du parti ou leurs amis proches.

Une recherche  Google avec les mots “Soros” et “Kurz” affiche de nombreux articles basés sur la récente fake news. Cliquer pour agrandir.

Les articles ont été relevés ensuite par des sites plus petits, qui peuvent être rangés en deux catégories. Dans la première, des blogs d'extrême-droite qui promeuvent des positions pro-VMRO-DPMNE, c'est pourquoi sur un de ces sites l'article de YourNewsWire a été titré “Voici comment les Sorosoïdes finissent dans un pays normal : le nouveau chancelier autrichien Sebastian Kurz chasse Soros d'Autriche.” Le terme “Sorosoïdes” est une invention des propagandistes du VMRO-DPMNE pour désigner et cibler les dissidents pendant leur règne.

Dans la seconde, on trouve des sites web qui se disent à thèmes, par exemple, une ressource sur la religion chrétienne. De tels sites ne s'affichent pas comme des sources d'informations politiques, et leur rédaction est la plupart du temps anonyme.

Dans un des cas, l'essentiel du contenu du site consiste en conseils sur l'observance d'une fête particulière, ou comment se purifier des démons de Halloween par un pèlerinage à un certain monastère, organisé par un voyagiste annonceur. Mais un rédacteur du site web, qui signe “Christ” (Hrist), a jugé nécessaire de désinformer les lecteurs que “Kurz expulse Soros – le prochain sera Rothschild !!!”, allusion à la célèbre famille de banquiers qui figure si souvent dans les théories du complot antisémites.

Aucun des organes de médias ayant diffusé la fausse information n'a publié de rectificatif ou de rétractation, bien que les utilisateurs de médias sociaux aient réagi à presque tous les exemples de partages.

Au Cachemire, d'aucuns soupçonnent les autorités indiennes de faire couper de force les tresses des femmes dans les rues

mercredi 1 novembre 2017 à 18:19

Des Cachemiris scandant des slogans lors d'une manifestation contre l'assassinat d'un civil à la périphérie de Srinagar, capitale d'été de l'Etat du Jammu-et-Cachemire. Image Instagram d'Ieshan Wani. Utilisée avec son autorisation

[Article d'origine publié le 21 octobre] Au cours des deux derniers mois, au moins 200 femmes ont déclaré avoir été attaquées au Cachemire indien par des agresseurs masqués qui leur ont par la suite coupé les tresses. Selon les déclarations de plusieurs victimes, les agresseurs ont tendu une embuscade aux femmes, à l'intérieur ou aux alentours de leurs maisons. Certains pulvériseraient même leurs victimes de produits chimiques afin de les rendre inconscientes et pouvoir ainsi leur couper les cheveux.

Étant donné que la longueur de la chevelure de la femme est associée à son honneur, la réduire de force est non seulement une attaque sur sa personne mais également une attaque sur son honneur. Malgré leur nombre, ces agressions demeurent non-résolues, et les manifestations deviennent au fil des jours de  plus en plus violentes.  Cette situation a remis au grand jour la dangereuse confiance qui existe entre les populations et les autorités, dans cette région connue pour son instabilité.

Depuis trois décennies, les populations de la vallée du Cachemire réclament le droit d'organiser un référendum sur leur indépendance. Dans ce laps de temps, plus de 68 000 personnes ont été tuées dans des soulèvements populaires sporadiques et au cours des répressions qui ont suivi. L'armée indienne a été accusée de nombreuses violations des droits de l'homme, dont les disparitions forcées de plus de 8 000 personnes.

Beaucoup de Cachemiris, qui vivent avec une forte présence militaire dans leur région, doutent de l'ignorance réelle des forces de sécurité concernant les auteurs de ces attaques. Certains accusent même le gouvernement d'orchestrer ces agressions dans le but de forcer la population à se soumettre.

Dans le quotidien indépendantiste en ligne The Citizen, Seema Mustafa à expliqué :

Il est difficile de croire que ces personnes peuvent agir aussi facilement, entrer dans les maisons, et s'enfuir au Cachemire, un pays où même les mouvements d'oiseaux et de feuilles sont traqués. Les services de renseignement, capables de déloger les manifestants dans tous les coins du pays, n'ont “aucune idée” sur l'identité de ces personnes qui sèment la panique au sein de la population, à tout moment qu'ils souhaitent.

Les “théories de la rumeur et de la conspiration” qui circulent sont nombreuses, a déclaré Raees –ul-Hamid Paul à Kashmir Reader :

Certaines personnes pensent qu'il s'agit de la résurgence des vielles tactiques de New Delhi, consistant à créer la peur et la psychose au sein de la population dans le but de la détourner du sentiment de liberté. Cependant, une contre-question peut être posée, quel était la nécessité d'utiliser cette tactique au moment où il régnait un calme relatif dans les rues de la vallée et où les gens vaquaient normalement à leurs occupations ?

Tandis que certains pensent que les mobiles de tels incidents sont de redorer le blason de la police et des politiciens traditionnels à qui les personnes effrayées racontent ces histoires d'horreur, l'autre théorie proposée est une réduction de l'espace pour les militants de la vallée dès lors contraints de rester chez eux […] parce que la population locale se méfierait de tout étranger […] Le [chef de la police], de son côté, reproche aux séparatistes d'avoir exploité cette situation pour attiser les troubles dans la vallée.

La méfiance à l'égard des autorités et la peur entourant les attaques au Cachemire ont conduit à des cas parfois meurtriers de violence collective. Un homme de 70 ans,  pris pour un “coupeur de tresse” a été lynché par ses voisins à Anantnag. Travailleurs migrants, étrangers y compris les touristes ont été pris à partie par la foule qui doute des motivations de leur présence.

‘Tentatives de création d'une hystérie générale’

Certains ont lié cette série d'agressions de coupures de tresses au Cachemire aux cas de tresses de femmes mystérieusement coupées, en début de cette année, dans de nombreux États en Inde.

D'après les habitants, l'essentiel de ces phénomènes est l'œuvre de forces surnaturelles, mais les psychiatres ont accusé une hystérie collective : “D'après les preuves disponibles, les femmes se coupent les cheveux soit consciemment soit dans un sensorium altéré, dans le but d'attirer l'attention”, a déclaré en août l'ancien directeur du département de psychiatrie de l'Institut indien des sciences médicales de New Delhi au Hindustan Times.

Des mesures ont toutefois été prises pour réduire les actes de coupures de tresses. a écrit Mustafa à The Citizen :

Au début des événements, une troisième hypothèse avait été émise. Mais elle avait fait long feu car les fantômes en faisaient de trop. Le fait de dire que les femmes du Cachemire sont hystériques et que les actes de coupures de tresses sont un produit de leur imagination fertile semble avoir été balayé par l'ampleur des actes […] En outre, si tel était le cas, on s'attendrait à ce que les autorités le prouvent, et mettent ainsi fin à la terreur inspirée par les tresses.

D'après le Premier Ministre de l’État de Jammu-et-Cachemire, les événements qui se sont déroulés au Cachemire visaient à “créer une hystérie générale” :

Ces actes de coupures de tresses visent à créer une hystérie générale et saper la dignité de la femme dans l’État.

L'inquiétude des Cachemiris reste sans réponse. En réaction, des habitants ont créé des patrouilles nocturnes. La police a déjà enregistré des douzaines de premiers rapports d'incident (FIR) sur de prétendues coupures de tresses et rumeurs au Cachemire. Selon la police, tous les suspects détenus jusqu'à présent se sont révélés innocents et n'étaient aucunement liés à ces actes. La police n'y comprend rien, incapable d'arrêter les auteurs de ces actes elle menace d'engager des poursuites contre ceux qui propagent les rumeurs. Des récompenses en espèces ont été également annoncées pour encourager les gens à dénoncer les coupables.

‘Nous les femmes du Cachemire ne nous sentons pas en sécurité dans notre propre pays’

La situation a sérieusement affecté le sentiment de sécurité des femmes du Cachemire, a posté une utilisatrice de Twitter :

Nous les filles du Cachemire ne nous sentons pas en sécurité dans notre propre pays, c'est horrible.

Cela risque également de réduire l'espace où les femmes peuvent se rendre sans voile et aussi de les empêcher d'aller où elles le souhaitent, a écrit Arshie Qureshi dans Feminism in India. Elle a décrit les «réactions patriarcales» qu'elle a connues depuis que le phénomène de coupures de tresses a commencé :

Au cours de la semaine passée, à plusieurs reprises, il m'a été demandé par des hommes et des femmes dans la rue de me couvrir la tête. Et quand j'ai refusé, la réponse récurrente était que ce sont les femmes comme moi qui sont à l'origine de la généralisation de ce phénomène de coupures de tresses. En le disant, elles manifestent non seulement leur mécontentement que je ne me couvre pas la tête, mais également un certain soutien aux phénomènes de coupures de tresses des femmes qui ont refusé de se couvrir la tête.

[…] Mes parents ont commencé à s'inquiéter de mes sorties matinales et tardives de la maison, durant les heures où les rues sont pour la plupart désertes. J'observe que dans la plupart des écoles, les filles attendent aux arrêts de bus accompagnées de leurs parents, surtout les hommes. […] Ce comportement ne permet pas seulement d'éviter de se faire couper les tresses, mais il rétrécit aussi progressivement la participation déjà limitée des femmes à la vie publique.

Des manifestations se sont répandues dans toute la région du Cachemire :

Des étudiants de l'université du Cachemire protestent contre les actes de coupures de tresses.

Une commission a été mise en place par le gouvernement local du Cachemire pour faire face aux attaques et offrir une assistance médicale et des conseils aux victimes. Mais les tensions demeurent fortes. Sans réponses crédibles, la place des femmes dans l'espace public, ainsi que la paix dans la région, semblent de plus en plus menacées.