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L'attribution du Prix Nobel de la Paix comme un message fort envers l'administration américaine

samedi 6 octobre 2018 à 21:35

Nadia Murad et Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018 composition provenant de photos sous license creative commons CC-BY-NC

Le prix Nobel de la paix a été décerné à la Yazidie irakienne Nadia Murad et au Congolais Denis Mukwege pour leur “efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre“. Si cette sélection peut être considérée comme une semi-surprise (le président sud-coréen Moon Jae-in et Angela Merkel étaient les favoris) mais Nadia Murad et Denis Mukwege sont certainement les plus méritants des lauréats ces dernières années.

Nadia Murad est une Irakienne de 23 ans qui été enlevée dans son village de Kocho, près de Sinjar dans le nord de l'Irak, en août 2014 par le groupe Etat islamique (EI). Pendant sa détention, Nadia a été torturée, a subi de multiples viols collectifs, a été vendue comme esclave sexuelle et a été mariée de force à un de ses ravisseurs. Elle a tenté de s'échapper plusieurs fois et parvient à rejoindre l'Allemagne. Depuis Nadia milite pour la cause de la communauté yazidie qui subit un génocide systématique de la part de l'EI.

Denis Mukwege est un obstétricien qui opère dans la région du Kivu, en République démocratique du Congo. Depuis plus de 15 ans, il œuvre en faveur des bébés et des femmes victimes de violences sexuelles perpétrées par les membres des différents groupes armés qui sèment la terreur dans la province. Comme le rappelle le Dr. Mukwege, au moins 500 000 Congolaises ont été violées en 16 ans. L'action du Dr Denis Mukwege dérange les plans des groupes armés qui détruisent les femmes de la région. Le 25 octobre 2012, il a été victime d’une agression à son domicile de Bukavu, dans laquelle son gardien a trouvé la mort. Mukwege n’est pas uniquement connu pour ses prises de position et ses critiques répétées contre les groupes armés qui font régner la terreur dans la région mais aussi parce qu’il soigne gratuitement les victimes.

Cette attribution est une affirmation forte que les droits humains devraient être la préoccupation principale des leaders du monde entier. Le timing de cette remise de prix contraste fortement avec la régression des droits  humains aux États-Unis : ce pays où des enfants sont enfermés dans des cages, où les minorités noires subissent les violences policières de manière régulière, où les droits de la presse sont bafoués et où le futur nouveau juge à la Cour Suprême, Brett Kavanaugh est accusé de violences sexuelles par trois femmes.

Le président Trump est lui même accusé par une dizaine de femmes d'abus sexuels et a été enregistré par le Washington Post sur une vidéo se vantant de « choper les femmes par la chatte ».

Si il y avait encore des doutes sur la réduction à sa portion congrue du soft power des États-Unis sur le reste du Monde, l'attribution du Prix Nobel de la Paix à Nadia Murad et Denis Mukwege est un véritable camouflet envers une administration américaine qui semble faire le maximum pour s'isoler de reste du monde, comme le slogan America First, aime à le rappeler. Le reste du monde a choisi Nadia et Denis, les États-Unis ont élu Donald et Brett. Trump voulait “rendre sa grandeur à l'Amérique” (Make America Great Again), mais pour le reste du monde, il semble que Trump a seulement réussi à rendre l'Amérique sa laideur du temps des lois de Jim Crow et du Maccarthysme.  Du prix Nobel de la Paix aux récents accords de Paris sur le climat, tout semble indiquer que le reste du monde veut se démarquer le plus vite possible du leadership américain et s'en moque même ouvertement à gorge déployée.

Le patrimoine culturel de l'Albanie, combat de l'Alliance pour la protection du Théâtre

vendredi 5 octobre 2018 à 18:18

Le Théâtre national albanais à Tirana, Albanie. Photo aimablement fournie par Aleanca Per Mbrojtjen e Teatrit, et utilisée avec son autorisation.

La lutte est ouverte pour sauver le Théâtre National en Albanie.

Depuis plus de trois mois, artistes, militants et citoyens ordinaires manifestent quotidiennement dans la capitale albanaise Tirana en réaction à la décision du gouvernement de démolir le bâtiment, un monument historique. L'idée est de lui substituer un édifice plus moderne selon le projet de l'architecte danois Bjarke Ingels.

Il s'agit d'un partenariat privé-public dans lequel l’État albanais apportera le terrain à la société Fusha qui poursuivra l'aménagement et la mise en valeur du quartier.

Les manifestants demandent au président de mettre son veto à la Loi Spéciale. Photo aimablement fournie par Rudi Erebara, et utilisée avec son autorisation.

Pour donner une base légale à ce partenariat, le gouvernement a proposé une Loi spéciale en février 2018 (surnommée Loi Fusha par ses opposants) facilitant les marchés publics et contrats de ce genre.

L'opposition parlementaire a rejeté cette loi en affirmant qu'elle enfreignait la constitution et l'accord d'association avec l'Union européenne (UE) de 2003, en ce qu'elle brise les critères de la libre concurrence de marché.

Le Parti socialiste au pouvoir, majoritaire, a voté en faveur de la loi le 5 juin 2018, faisant fi de tous les arguments juridiques contraires.

A l'annonce du projet de Loi Spéciale, des artistes et des militants ont créé l'Alliance pour la Protection du Théâtre afin de montrer leur engagement pour la sauvegarde du bâtiment historique.

Les auditions publiques approfondissent les clivages

En réponse à la loi annoncée, l'Alliance a riposté pour défendre le Théâtre National. Le maire de Tirana Erion Veliaj a organisé trois “auditions publiques” pour le compte du ministère de la Culture en vue d'entendre les griefs du collectif. Les observateurs ont cependant insinué que ces auditions avaient paru orchestrées pour créer la discorde plus que l'unité.

Lors des auditions, lle directeur de l'Institut de la construction, Agron Hysenlliu, a affirmé que “l'activité [dans le bâtiment du théâtre] devra être suspendue en l'absence des conditions techniques de sécurité selon les normes nécessaires”, selon l'évaluation de cet organisme public. Le hic : l'institution n'a jamais rendu publique son analyse des risques, augmentant les doutes sur la véracité de ces affirmations.

Pétitions, contre-pétitions, propagande

Des citoyens signent la pétition pour la protection du Théâtre National. Photo aimablement fournie par Rudi Erebara, et utilisée avec son autorisation.

L'Alliance s'est renforcée avec l'arrivée de personnalités publiques, historiens, universitaires et journalistes albanais. L'Association des architectes albanais a aussi fait une déclaration opposée à la démolition du théâtre, insistant sur la valeur historique et esthétique de son architecture rationaliste.

Ce qu'ils ont demandé au gouvernement :

ne pas effacer la mémoire collective des générations, tout nouveau théâtre est le bienvenu mais ce n'est pas une nécessité de détruire l'ancien.

Ils ont aussi monté une pétition arguant que le théâtre pouvait être remis en état et qu'aucun document officiel n'établissait le contraire.

Néanmoins, des artistes partisans de la construction d'un nouveau théâtre ont fait une déclaration de soutien à la Loi Spéciale. Leur déclaration a reçu quelques fausses signatures de certains vivant apparemment hors d'Albanie.

Pendant ce temps, le pouvoir a produit une propagande soulignant que le théâtre à l'abandon présentait un risque pour les artistes qui s'y produisent, ajoutant que l'édifice en lui-même n'avait aucune valeur culturelle. Leur discours est, en fait, que le bâtiment a été érigé pendant la période fasciste (1939-1943) et y a servi de “dopo lavoro” soit “club du travailleur”, de quoi dévaloriser encore plus son legs.

Une affirmation réfutée par les historiens Rubens Shima, Aurel Plasari et d'autres, qui défendent que ses 73 ans d'existence doivent être préservés et respectés dans la dignité.

“Même la dictature [communiste] ne l'a pas démoli”, écrit Plasari.

A 16 millions d'euros, moins de 1 pour cent du budget de l’État, les crédits annuels de l'Albanie pour l'art et la culture sont les plus bas de la région. Les membres de l'Alliance clament que la dégradation et le manque de fonds pour une restauration ont été intentionnels.

Ils renvoient à l'intention de l'actuel premier ministre Edi Rama de démolir le bâtiment depuis 1998 quand il était au poste de ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. A l'époque, il ferma le théâtre, mais le premier ministre d'alors, Pandeli Majko, retoqua la décision. En 2002, quand Rama devint maire de Tirana, il annonça un plan de développement comportant la démolition du théâtre et la construction de tours à la place. A l'époque, les artistes étaient plus unis et une pétition bipartisane réclama la préservation du bâtiment.

Vide institutionnel et soutien international limité

En 2016, l'Albanie modifia un tiers de sa constitution et mit en place des réformes judiciaires qui créèrent un vide institutionnel, en ce que un grand nombre de juges et procureurs considérés comme inaptes à leurs fonctions furent écartés.

Aux yeux de l'UE, ces réformes furent considérées comme une réussite, car elles éliminaient la corruption. Mais de nombreux postes de haut rang dans la justice furent laissés vacants, y compris à la Cour Constitutionnelle. Il est donc impossible dans cet état de fait de contester la Loi Spéciale, estimée contraire à la constitution par beaucoup.

Le président albanais lui-même a refusé de signer la loi et l'a renvoyée devant le parlement, mais il a seulement le droit de renvoyer une fois une loi pour nouvelle délibération et ne peut plus le faire quand la majorité a voté la loi.

Docomomo International, une organisation de défense des monuments modernistes, a publié le premier appel international à s'opposer à la démolition du théâtre, par une lettre ouverte exhortant les autorités à préserver l'édifice :

On the context of the extraordinary transformation and innovation period that the city is facing, and since a reconstruction project has been approved for the National Theatre of Albania and adjacent areas, Docomomo foremost concerns rely on the new plans for this cultural center which intent to erase its original integrity. The new, 9,300 square meters contemporary building will be placed in the heart of downtown, right close to the National Opera and the National Art Gallery, replacing the original theatre.

Dans le contexte de la période d'extraordinaire transformation et innovation que connaît la ville, et depuis qu'un projet de reconstruction a été approuvé pour le Théâtre National d'Albanie et les quartiers environnants, les principales inquiétudes de Docomomo ont trait aux nouveaux plans pour ce centre culturel qui comptent faire disparaître son unité originelle. Le nouveau bâtiment contemporain de 9.300 mètres carrés sera placé au cœur du centre-ville, juste à côté de l'Opéra national et du Musée national d'art, remplaçant l'ancien théâtre.

Europa Nostra a également envoyé une lettre ouverte au gouvernement albanais, appelant la démolition une “décision alarmante”.

“Bicoque” sans valeur ou trésor ?

“Je suis le Théâtre” – Une manifestante montre sa pancarte à Tirana. Photo aimablement fournie par Rudi Erebara, et utilisée avec son autorisation.

Sourd aux innombrables plaidoyers d'institutions et organisations de premier plan, le maire Veliaj continue à traiter le théâtre de “bicoque” ne méritant pas une remise en état.

Tout en envoyant des pétitions, en intentant des procès et en saisissant les institutions de l'UE, l'Alliance a aussi fait une déclaration publique pour souligner les multiples problèmes de la Loi Spéciale.

Mais l'Albanie n'est pas encore membre de l'UE. Elle s'y a prépare : elle a signé un Accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'UE et entrera en négociations en juin 2019.

Les militants font remarquer que si l'Albanie devient membre de l'UE, alors la Loi Spéciale sera contraire aux accords ASA. Ils soulignent que la majorité parlementaire enfreint la constitution albanaise à la fois par le contenu de la loi et par des procédures inconstitutionnelles.

La réaction officielle de l'UE à la Loi Spéciale a été de reconnaître qu'elle n'a “pas compétence pour évaluer la conformité de la Loi Spéciale au cadre juridique albanais existant”. Néanmoins, la Commission dans sa lettre encourage le gouvernement albanais “à poursuivre la mise en conformité avec les principes de l'UE sur les marchés publics et à assurer la mise en concurrence non-discriminatoire”.

Alors que l'UE a été l'un des promoteurs incontournables des réformes judiciaires de l'Albanie, elle ne se préoccupe pas du vide institutionnel qui en a résulté.

L'acteur Neritan Liçaj adresse un message au Premier ministre. Photo aimablement fournie par Rudi Erebara, et utilisée avec son autorisation.

Si la date exacte de la démolition est inconnue, elle pourrait intervenir dans les trois mois. Des membres de l'Alliance se disent déterminés à barrer avec leurs corps le chemin aux équipes de démolition, s'il le faut. Ils y voient la seule voie qui reste pour réaliser leur but de sauver le patrimoine architectural de l'Albanie.

Note de la rédaction : l'auteur de cet article est une membre active de l'Alliance pour la Protection du Théâtre.

Les femmes du Brésil se dressent contre le candidat en tête pour la présidentielle, le très droitier Jair Bolsonaro

jeudi 4 octobre 2018 à 11:56

Les manifestations conduites par les femmes disent leur refus du candidat à la présidentielle Jair Bolsonaro, à São Paulo | Image: Rovena Rosa/Agência Brasil, utilisation autorisée.

Les tensions montent au Brésil, alors que les citoyens s'apprêtent à désigner un président, un vice-président, et le Congrès National aux élections générales du 7 octobre 2018.

Des citoyens s'opposent énergiquement au candidat à la présidence Jair Bolsonaro, un député ancien militaire qui domine en ce moment les sondages. Des centaines de milliers de personnes sont sorties dans les rues dans plusieurs grandes villes brésiliennes samedi 29 septembre 2018, pour dire : #PasLui, #JamaisLui #EnAucunCasLui (#EleNão, #EleNunca, #EleJamais).

Selon les derniers résultats de l'Institut Datafolha, Bolsonaro rassemble 28 % des intentions de vote, suivi par le candidat du Parti des Travailleurs Fernando Haddad, avec 22 %. Néanmoins, Bolsonaro a le plus grand taux de rejet : 46 % des Brésiliens (estimés) disent qu'ils ne voteront en aucun cas pour lui. Parmi les femmes, qui représentent plus de la moitié des 147 millions de votants, ce taux atteint 52 %.

Et ce sont les voix des femmes qui se font le plus entendre dans le mouvement #PasLui contre Bolsonaro, dont la campagne ne cache nullement son discours misogyne et homophobe. La vidéo ci-dessous montre les milliers de présents aux manifestations nationales dans tout le Brésil :

Les femmes contre Bolsonaro

Des manifestations ont été organisées à la mi-septembre après que Les Femmes contre Bolsonaro, un groupe d'un million de femmes sur Facebook, a été piraté et attaqué. Les administratrices ont été toutes bloquées et le nom du groupe a été changé pour affirmer un soutien à Bolsonaro.

Quelques jours auparavant, le candidat à la vice-présidence de Bolsonaro, le général à la retraite Hamilton Mourão, et le fils de Bolsonaro, Eduardo, député comme son père, avaient répandu des rumeurs mensongères prétendant que le groupe était “bidon” avec des membres achetés.

Les Femmes contre Bolsonaro recevait plus de 10.000 nouvelles adhésions par minute, selon le site d'information UOL..

Le spécialiste des data Fabio Malini, professeur à l'Université fédérale d'Espirito Santo, a mesuré l'engagement sur les médias sociaux autour de #PasLui le jour des manifestations. Selon lui, toutes les 40 secondes, 1.000 tweets paraissaient, contenant les mots-clics #elenao, #epelavidadasmulheres, #mulherescontrabolsonaro, #elenunca (“pas lui”, “c'est pour la vie des femmes”, “femmes contre bolsonaro”, “jamais lui”).

Malini a illustré l’ “explosion” de réactions de 270.833 comptes générant 1.011.560 retweets dans le graphique ci-dessous :

Le réseau montre 270.833 profils générant 1.011.560 retweets. Une explosion d'influenceur[se]s, créant un réseau multiple, bariolé et mondial. Réseau marron : profils contre le mouvement (9%)

Des manifestations de soutien à Bolsonaro ont eu lieu le lendemain dimanche 20 septembre. Interviewé sur son lit d'hôpital, où Bolsonaro se trouve depuis qu'il a été frappé à coups de couteau pendant un rassemblement début septembre, Bolsonaro a promis de “n'accepter sa victoire que des résultats des élections.”

Bolsonaro contre l'égalité

Bolsonaro pourfend ouvertement l'égalité des sexes et les droits des femmes. En 2014, Bolsonaro a fait savoir qu'il ne violerait jamais la femme politique Maria do Rosario “parce qu'elle est trop moche” et “ne le mérite pas.” La même année, dans un entretien avec un journal local, il défendait les employeurs en disant qu'ils ne devaient pas être contraints à payer des salaires égaux aux hommes et aux femmes. En 2016, Bolsonaro a voté la destitution de Dilma Rousseff, la première femme présidente du Brésil.

Bolsonaro a aussi tenu de multiples propos homophobes du style “Je serais incapable d'aimer un fils gay.”

Pendant la campagne 2018, il s'est efforcé de redorer son image en apparaissant dans une vidéo avec sa fille, et proclamant qu'elle “a changé sa vie”. Mais les Brésiliennes n'ont pas oublié qu'il avait parlé de sa conception comme d'un “moment de faiblesse” et les contestataires ont brandi des pancartes demandant : “Avec combien de faiblesses fait-on une révolution ?”

Cette pancarte a eu un énorme impact, j'en ai eu des frissons.

“Ses idées sont mauvaises pour presque tout le monde”

Le mouvement #PasLui s'est attiré le soutien d'un large spectre de groupes. Les supporteurs brésiliens de football ont publié une série de manifestes, parmi lesquels Corinthians Gaviões da Fiel, l'un des plus grands et plus anciens clubs de football, le premier à prendre position :

Hoje, com mais de 112 mil associados, entendemos existirem diferentes formas de pensar e posicionar-se numa sociedade democrática. Respeitamos essa pluralidade de ideias, pois ela é a essência da democracia pelo qual nossos fundadores lutaram. Não podemos, portanto, concordar jamais com quem se posiciona justamente contrário aos valores básicos do Estado Democrático de Direito.

Aujourd'hui, avec plus de 112.000 affiliés, nous comprenons qu'il existe différentes façon de penser et de se positionner dans une société démocratique. Nous respectons cette pluralité d'idées, puisqu'elle est l'essence de la démocratie pour laquelle luttèrent nos fondateurs. Pour autant, nous ne pouvons être en aucune façon d'accord avec quiconque se positionne à l'exact opposé des valeurs fondamentales de l’État de droit démocratique.

Le mouvement a aussi attiré le soutien international de célébrités comme Madonna et Cher, avec un message du compte officiel de Time’s Up, un mouvement mondial de plaidoyer pour les femmes :

A nos sœurs au Brésil : Nous sommes toutes concernées. Nous vous voyons et vous entendons. Nous sommes avec vous.

La Brésilienne Maria Soares, parmi les milliers qui ont défilé à Rio de Janeiro samedi, a formulé ses raisons de manifester :

Madame Maria Soares toujours en lutte, nous montre que la résistance à la barbarie est de tous les âges !



As ideias dele são ruins para a maioria das pessoas. Só podem votar para o Bolsonaro as pessoas egoístas, as pessoas homofóbicas, as pessoas racistas, as pessoas desumanas. A minha preocupação não é só com Bolsonaro, mas com essas pessoas que vão votar nele. Não sei o que essas pessoas querem do mundo.

Ses idées sont mauvaises pour la majorité des gens. Seuls peuvent voter pour Bolsonaro les égoïstes, les homophobes, les racistes, les déshumanisés. Et mon inquiétude, ce n'est pas Bolsonaro, mais les gens qui vont voter pour lui. Je ne sais pas ce que ces gens veulent pour le monde.

L'anthropologue Rosana Pinheiro-Machado et l'écrivaine Joanna Burigo ont analysé pourquoi #PasLui est devenu plus qu'un hashtag :

Se nada disso se converter em ganho eleitoral, ainda assim não há motivos para pensar diferente ou manifestar nossa indignação de outra forma. Esta luta – que conta com hashtags e memes, mas não só, pois a estamos carregando com nossos corpos – não é sobre percentuais apenas. É sobre como nós, mulheres, estamos ocupando e reinventando a política.

[Même] si rien de cela ne se convertit en gains électoraux, il n'y a pourtant aucune raison de penser différemment ou de manifester sous une autre forme notre indignation. Cette lutte — qui compte des hashtags, des mèmes, mais pas seulement, puisque nous la portons aussi avec nos corps — n'est pas seulement pour des pourcentages. Elle concerne la manière dont nous, femmes, occupons et réinventons la politique.

De nouveaux appels à des manifestations nationales contre le candidat ont déjà été lancés pour le 6 octobre, veille des élections.

Certains Brésiliens veulent apprendre aux Allemands ce qu'est le nazisme, d'autres ont honte pour eux

mercredi 3 octobre 2018 à 15:34

Dans sa vidéo titrée “Comment on enseigne l'histoire en Allemagne”, l'ambassade de ce pays dit que les Allemands ne cachent pas leur passé | Image: Reproduction/Facebook

Depuis quelques années, il est devenu tendance au Brésil d'affirmer que Hitler et son parti nazi étaient des gauchistes. Une idée basée sur le simple fait —et vraiment littéral—que le nom complet du parti est Parti national-socialiste des travailleurs allemands. Et “socialiste” veut bien dire de gauche, non ?

C'est faux, bien évidemment. Pourtant, cette théorie absurde a ressurgi une fois de plus parmi les Brésiliens quand le consulat allemand de Recife, dans l’État de Pernambouc, dans la partie nord-est du Brésil, a mis en ligne une vidéo expliquant la valeur qu'attache l'Allemagne à “la connaissance et la préservation de son histoire, pour qu'elle ne puisse pas se répéter.”

En moins d'une minute, la vidéo, qui totalisait 829.000 vues lors de l'écriture de cet article, demande ce qui se passerait “si l'extrême-droite revenait au pouvoir ?” Elle répond en citant le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas :

“On doit s'opposer aux extrémistes de droite, on ne doit pas les ignorer, on doit montrer son visage contre les néo-nazis et les antisémites (…) Celui qui manifeste contre les nazis n'est pas de gauche, il est normal”.

Les Allemands ne cachent pas leur passé. Sachez comment on enseigne l'histoire en Allemagne : #histoire #allemagne #musées #deutschland #passé #futur

Après la publication de la vidéo, la page Facebook officielle du consulat a été inondée de commentaires de groupes de droite doutant de la vision du nazisme qu'ont les Allemands eux-mêmes :

L'ambassade d'Allemagne dit ce qu'elle veut qu'on croie. Le pire, ce sont les commentaires d'historiens qui n'ont jamais lu de BD. Le nazisme n'a jamais été de droite. Il suffit de lire l'histoire comme elle est écrite. Ceux qui croient tout ce qu'on dit sont des bouffons.

Un autre commentateur sur la page Facebook du consulat d'Allemagne a contesté l'affirmation de la vidéo que le pays a créé une loi en 1976 interdisant de mettre en doute “la véracité de l'Holocauste, parce que les spécialistes démasquaient cette farce”. Une autre personne a répondu en disant que “les jours de l'holofraude sont comptés.”

En mai dernier, un présentateur chevronné du journal télévisé de TV Globo, Alexandre Garcia, avait déjà tweeté une affirmation soutenant cette théorie :

Vous voulez que je vous dise le nom du parti nazi de Hitler ? Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei. Traduction : Parti socialiste des travailleurs allemands. Je pense que c'est clair. D'après les méthodes qu'ils utilisent, ce n'est pas une coïncidence.

Cette fois, cependant, la réaction n'a pas tardé. Si certains Brésiliens avaient honte pour leur pays (au point qu'un utilisateur de Twitter a plaisanté que c'était pire que le score de 7 à 1 à la Coupe du monde de foot de 2014), d'autres ont présenté des excuses pour leurs compatriotes :

L'ambassade d'Allemagne se trompe. Celui qui a raison, c'est Jojo de l'épicerie du coin, qui s'informe par les mèmes sur WhatsApp.

Un utilisateur a même forgé un nouveau terme spécialement pour la circonstance :

BRAZILIANSPLAINING : Brésilliens émotifs qui n'ont jamais été branchés par la politique (mais dans les derniers mois ont vu une ou deux vidéos, sont entrés dans des groupes facebook et aujourd'hui se prennent pour des autorités SUPRÊMES en la matière) voulant expliquer aux ALLEMANDS ce qu'ont été le NAZISME et l'HOLOCAUSTE.

A la suite de la polémique, l'ambassadeur allemand au Brésil, le Dr. Georg Witschel, a déclaré dans un entretien avec le journal O Globo que “dire que le nazisme était un mouvement de gauche est une connerie”.

Mettre les points sur les “i”

Dans un entretien avec le journal El Pais, Damaris Jenner, la chargée de presse de l'ambassade, a expliqué comment est venue l'idée de la vidéo :

“Na semana em que pensamos em fazer esse vídeo, aconteceram as manifestações em Chemnitz e vários jornais brasileiros noticiaram”, diz ela. Os protestos foram realizados por militantes da extrema direita desde o final de agosto contra a morte de um alemão, supostamente esfaqueado por dois imigrantes, e que terminaram em atos de violência. “Achamos que seria interessante ligar esses dois assuntos para mostrar essa discussão na Alemanha”, afirma Jenner. Mas a reação dos internautas surpreendeu. “Não imaginávamos que repercutiria dessa forma”, diz.

“Dans la semaine où nous avons pensé faire cette vidéo, les manifestations de Chemnitz ont eu lieu et divers journaux brésiliens en ont parlé”, dit-elle. Les manifestations étaient organisées par des militants d'extrême-droite depuis fin août contre la mort d'un Allemand, supposé poignardé par deux immigrants, et qui se sont terminées par de nouvelles violences. “Nous avons pensé qu'il serait intéressant de lier les deux sujets pour montrer ce débat en Allemagne”, affirme Mme Jenner. Mais la réaction des internautes a surpris. “Nous n'imaginions pas des répercussions sous cette forme.”

L'article mentionne aussi qu'il y a un mot allemand pour qualifier cet épisode : Fremdschämen—la honte éprouvée pour les actions de quelqu'un d'autre.

Le magazine SuperInteressante a tenté de clarifier la discussion, expliquant que le nazisme était beaucoup plus aligné sur la droite que sur la gauche. Bien qu'ayant “socialiste” inscrit dans sa dénomination, le régime honnissait le communisme à la soviétique et penchait plutôt vers le libéralisme économique, un système politique ayant traditionnellement des affinités avec la droite.

Mais importante do que estar à direita ou à esquerda, o que realmente definia as políticas e os objetivos de Adolf Hitler não era nem o capitalismo nem o socialismo: era o racismo. O nazismo, da forma como se consolidou na década de 1930, era caracterizado por um nacionalismo para poucos, os alemães “arianos”. Qualquer outro grupo que não se encaixasse nisso não poderia participar do Estado alemão.

Plus important que d'être à droite ou à gauche, ce qui définissait réellement les objectifs et les politiques d'Adolf Hitler n'était ni le capitalisme, ni le socialisme : c'était le racisme. Le nazisme, sous la forme où il s'est consolidé dans les années trente, se caractérisait par un nationalisme pour peu de gens, les Allemands “aryens”. Tout autre groupe qui n'y rentrait pas ne pouvait pas participer à l’État allemand.

L'Holocauste fut “l'un des épisodes les plus brutaux de l'Histoire“. La “Solution finale”, un plan pour exterminer les Juifs d'Allemagne et des pays conquis, fit des millions de morts. Et, comme l'explique la BBC,

The Jews were not the only victims of Nazism. It is estimated that as many as 15 million civilians were killed by this murderous and racist regime, including millions of Slavs and ‘asiatics’, 200,000 Gypsies and members of various other groups. Thousands of people, including Germans of African descent, were forcibly sterilised.

Les Juifs ne furent pas les seules victimes du nazisme. On estime qu'au moins 15 millions de civils furent tués par ce régime meurtrier et raciste, dont des millions de Slaves et d’ ‘Asiates’, 200.000 Tziganes et des membres de divers autres groupes. Des milliers de personnes, y compris des Allemands d'ascendance africaine, furent stérilisés de force.

Cinquante ans après leur mouvement de 1968, les étudiants mexicains continuent à marcher contre la violence et l’impunité

mercredi 3 octobre 2018 à 15:09

À gauche, 2018 : manifestation organisée par les étudiants à l'occasion de l'anniversaire de la “Marche du silence” de Mexico. À droite, 1968 : manifestation estudiantine sur la place principale de Mexico. Photographies respectives par “Cel·lí” (domaine public) et “ProtoplasmaKid” (publiée sous licence Creative Commons CC-BY-SA 4.0).

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.

Des manifestations massives d'étudiants [en] contre la violence ont eu lieu dans toute la ville de Mexico tout au long du mois de septembre 2018. Les étudiants d’aujourd’hui font face aux mêmes difficultés que ceux qui, il y a 50 ans, avaient soutenu le Mouvement mexicain de 1968 [en], une suite de protestations et de manifestations réclamant la fin des violences exercées par l’État.

La lutte contre la violence se poursuit alors que 30.000 étudiants universitaires, y compris ceux de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM), la plus grande université publique [fr] du Mexique, s'étaient rassemblés le 6 septembre 2018 pour une manifestation massive :

HISTORIQUE !
Des milliers et milliers d'étudiants de l'UNAM, l'IPN, l'UAM, l'UACM, l'ENAH, l'UPN, des étudiants normaux (parmi plusieurs autres) sont venus du CU avec une réclamation :

Dégagez les porros de l'UNAM !
Dégagez les porros des universités !
Longue vie aux étudiants !

Cette protestation fait suite aux évènements survenus trois jours plus tôt lorsque des groupes de choc [en] appelés « porros » auraient attaqué des étudiants au sein de la faculté des Lettres et Sciences humaines. Les étudiants réclamaient pacifiquement l’embauche d’enseignants et la justice pour le meurtre de l'étudiante de cette faculté Miranda Mendoza, assassinée en août 2018.

De manière générale, les manifestants réclament une plus grande sécurité dans les dizaines de facultés, écoles, centres et instituts de recherche de l’UNAM. Leurs exigences portent aussi sur l’expulsion des groupes porros qui auraient reçu des gratifications politiques ou économiques pour avoir attaqué violemment les manifestations et déstabilisé la vie estudiantine.

“Nous sommes les petits-enfants de 68″

Les manifestations actuelles représentent le symbole du cinquantième anniversaire du Mouvement mexicain de 1968 dont les revendications similaires exigeaient la libération des prisonniers politiques, la démission du parti au pouvoir, une plus grande liberté politique, ainsi que des changements démocratiques pour mettre fin à l’autoritarisme.

A l’époque, le gouvernement avait vu en ces protestations une tentative de coup d’État orchestrée par des groupes communistes et une atteinte à la sécurité nationale. De ce fait, il y avait répondu avec agressivité et brutalité.

Plusieurs marches, sit-ins, manifestations et protestations ont eu lieu en 1968, dont la « Marche du silence » du 13 septembre 1968 au cours de laquelle les manifestants ont couvert leurs bouches de bandanas blancs pour protester contre le silence du gouvernement sur le Mouvement, ainsi que son utilisation de la force brutale contre les étudiants lors de précédentes manifestations cette année-là.

Le 2 octobre 1968, environ 10.000 étudiants ont organisé une marche pacifique dans le quartier de Tlatelolco à Mexico mais leur rassemblement a été violemment réprimé par le gouvernement mexicain. Près de 300 personnes ont perdu la vie [en] et on se souvient aujourd'hui de cette tragédie comme du “massacre de Tlatelolco.”

Cette année, à l’approche de l'anniversaire de ces événements historiques, les étudiants ont décidé de montrer leur solidarité avec l’histoire en répétant la Marche du silence le même jour, le 13 septembre. C’est aussi pour eux un moyen de rendre hommage aux personnes qui ont défilé dans ces mêmes rues pour des raisons semblables.

Cinquante ans après, des marches, des mémoriaux et des photos présentant le contraste entre les manifestations du passé et celles du présent ont été partagées sur les réseaux sociaux avec des mots-clics comme #MarchaDelSilencio et #A50Del68 :

Photo historique
Assemblées générales dans la Cité Universitaire.
En haut à gauche en 1968, à droite 2014 et au-dessous le rassemblement d'aujourd'hui en 2018.
Pouvoir aux étudiants!

Animal Político a préparé une série de chroniques de 1968, publiées à la même date que les marches historiques. D'autres journalistes comme Leopoldo Gómez se sont penchés sur les mouvements estudiantins d'hier et d’aujourd’hui :

La protesta ya no es por la represión, sino por la incompetencia del gobierno. En el 68 se luchó contra los excesos del gobierno; ahora se exige más, un buen gobierno. A 50 años subsiste un reclamo común: el fin de la impunidad. En 1968, la del propio gobierno, y en 2018, la de los criminales a los que el gobierno no les hace frente.

Il ne s'agit plus d'une manifestation contre la répression, mais contre l'incompétence du gouvernement. En 1968, des manifestants ont combattu contre les abus du gouvernement. A présent, ils réclament davantage : ils veulent un bon gouvernement. Cinquante ans après, les revendications n'ont pas changé : mettre fin à l'impunité. En 1968, ils envisageaient de mettre un terme à l'impunité au sein du gouvernement lui-même. En 2018, l'objectif est de mettre fin à l'impunité des criminels avec qui le gouvernement conclut des affaires en secret.

La violence endémique au Mexique, où plus de 70 personnes sont tuées chaque jour, n’est que l’une des causes des manifestations. Cette année marque également le quatrième anniversaire de la disparition des 43 étudiants d'Ayotzinapa [en], tous commémorés :

Des manifestants rassemblés devant l'anti-monument Ayotzinapa rendent hommage aux 43 étudiants disparus à Iguala.

L'historien Octavio Solís souligne la force symbolique des manifestations de 1968 au cours desquelles « l'imagination a vaincu le pouvoir » :

“El movimiento estudiantil de 1968 condensó el reclamo de muchos sectores que no habían podido encontrar un cauce. […] A cada acto represivo o intento de control surgía una respuesta imaginativa y contundente […] Sólo dos meses duró el movimiento, pero como bien se dice, hay días, semanas, meses que condensan años […] como la apuesta de aquellos jóvenes por el silencio [durante la marcha de ese mismo nombre], que logró poblar el olvido de dignidad; imagen viva que perdura hasta hoy, después de medio siglo.”

“Le mouvement estudiantin de 1968 a rassemblé les revendications de nombreuses sphères sociales incapables de s'exprimer en toute liberté. […] Chaque acte répressif ou tentative de contrôle, engendrait une réponse imaginative et énergique.[…] Le mouvement n'a duré que deux mois, mais comme on ne cessera jamais de le dire, il y a des jours, des semaines et des mois qui peuvent contenir des années entières […] Tout comme le pari de ces jeunes pour le silence [pendant la marche du même nom] qui a apporté de la dignité dans l'oubli : une image vivante qui dure jusqu'à nos jours, un demi-siècle plus tard”.