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Le racisme anti-noir en Inde de nouveau à la une après le lynchage d'un Congolais

vendredi 10 juin 2016 à 11:34
A lynch mob mercilessly beat three Nigerian students in Delhi and they could not save themselves after fleeing inside a police booth. Screenshot from Video "No Country For Black Men"

Des lyncheurs ont battu sans pitié trois étudiants nigériens à Delhi en septembre 2014. Capture d'écran de la vidéo No country for black men.

Il y a quelques semaines, Mason Kitanda Olivier, un jeune homme de 23 ans originaire de la République démocratique du Congo a été battu à mort par trois hommes dans le quartier de Vasant Kunj dans le sud de Delhi. Olivier était parti en Inde pour ses études universitaires et avait récemment commencé à enseigner le français dans un institut privé. Ses assaillants auraient proféré des insultes racistes au moment de s'en prendre à lui.

C'est loin d'être le seul cas récent de violence contre des individus originaires du continent africain en Inde. Le 25 mai, un étudiant nigérian de 26 ans, Bamilola Kazim, a été frappé avec une barre de fer après une altercation avec un habitant de la ville d'Hyderabad au sujet d'une place de parking. Il a été soigné dans un hôpital local puis autorisé à sortir.

En janvier, une Tanzanienne de 21 ans qui étudiait en Inde a été frappée, déshabillée et exposée nue dans les rues de Bangalore par la foule qui pensait à tort qu'elle avait renversé et tué une de leurs concitoyennes. Trois de ses amis ont également été attaqués et on a mis le feu à la voiture dans laquelle ils circulaient. Après en avoir fini avec eux, la foule enragée s'est dirigée vers les maisons où logent les étudiants africains et s'en est pris à eux.

Au cours des dernières années, des attaques similaires ciblant des ressortissants de pays africains et des personnes d'ascendance africaine ont fait très régulièrement les gros titres. Alors, cela signifie-t-il que l'Inde a un problème de racisme avec les Africains ?

Pas si vous le demandez à Sushma Swaraj, ministre des Affaires étrangères indienne, qui s'est montrée réticence à qualifier le meurtre de Masonga Kitanda Olivier de raciste. Swaraj a assuré que l'attaque avait été perpétrée par des éléments asociaux et a soutenu que donner à l'affaire une connotation raciste ne serait pas juste envers le peuple indien, qui croit pour l'essentiel en une coexistence harmonieuse.

La ministre s'est tournée vers Twitter pour inciter les Indiens à déclarer aux Africains que l'Inde les aimait et à leur serrer la main. Toutefois, beaucoup ont trouvé cela naïf et hypocrite étant donné les violences récentes contre des ressortissants africains ainsi que les discriminations qui perdurent dans certains secteurs de la société indienne.

Une minorité de personnes sur Twitter ont semble-t-il néanmoins considéré que c'était une bonne idée.

Les « grossiers stéréotypes sur les Africains datant de l'époque coloniale »sont toujours là

Les Africains et leurs gouvernements ne sont pas restés muets après les récentes attaques. Selon Al Jazeera, un groupe d'ambassadeurs africains s'est réuni pour défendre les ressortissants de leurs pays respectifs en Inde, qu'ils estiment vivre dans un « climat croissant de peur et d'insécurité » suite à la série d'attaques visant des individus africains. Ils ont averti que, si celles-ci continuaient et que leurs auteurs restaient impunis, ils feraient pression auprès de leurs gouvernements respectifs pour qu'ils n’envoient plus d'étudiants en Inde.

Ce n'est pas la première fois que le sujet préoccupe les diplomates africains. En 2015, avant la troisième édition du sommet Inde-Afrique, les ambassadeurs de pays africains à New Delhi auraient envisagé de boycotter la journée mondiale de l'Afrique, organisée tous les ans par le Conseil indien des relations culturelles à Delhi, en raison de la xénophobie subie par les ressortissants en Inde.

Des Africains ont relaté leur expérience du racisme à différents médias. Dans un article pour Scroll.in daté du 4 juin, une étudiante sud-africaine [indienne] originaire d'Asie du Sud-Est décrit les formes subtiles que prennent les stéréotypes raciaux et culturels en vigueur en Inde :

It was also not uncommon for many students to have conversations with me, which they assumed were progressive, about Africa and Africans that were based on crude colonial stereotypes of Africans as being close to nature, having a good sense of rhythm or even, and possibly the most colonial, having big penises. While many of the students at JNU had an impressively extensive knowledge of their own colonial, independence and post-independence cultural, political, social and religious, and regional histories, as well as knowledge of western theory and philosophy, and were committed to an idea of Left politics that took ideas like South-South solidarity seriously, their knowledge of African social, political and cultural histories as well as present realities was limited.

Il n'était pas rare non plus pour de nombreux étudiants d'avoir une conversation avec moi, qu'ils jugeaient progressiste, sur l'Afrique et les Africains, et qui reposait sur de grossiers stéréotypes sur les Africains datant de l'époque coloniale comme quoi ceux-ci étaient proches de la nature, avaient le rythme dans le sang et même, probablement le stéréotype qui renvoie le plus au colonialisme, avaient de gros pénis. Si un grand nombre d'étudiants de JNU [l'université Jawaharlal-Nehru à New Delhi] possédaient des connaissances incroyablement étendues sur leur propre histoire coloniale, celle de l'indépendance et de la post-indépendance sur les plans culturel, politique, social et religieux y compris au niveau régional, ainsi que des connaissances sur les théories et la philosophie occidentales, et étaient attachés à l'idée d'une politique de gauche qui prendrait au sérieux des conceptions telles que la solidarité sud-sud, ce qu'ils savaient de l'histoire sociale, politique et culturelle de l'Afrique ainsi que de ses réalités contemporaines était limité.

Des manifestations ont également eu lieu. Par exemple, après le meurtre d'Obodo Uzoma Simeon, un citoyen nigérian de 36 ans, devant un restaurant africain de Parra dans l'Etat de Goa en 2013, plus de 50 Nigérians ont bloqué l'autoroute. Ils ont arrêté le corbillard qui transportait Simeon et ont traîné son corps sur la route afin d'attirer l'attention sur l'affaire et empêcher toute tentative de dissimulation du meurtre.

En dépit de cela, les autorités ont réagi à la contestation par l'adoption de mesures répressives contre les Nigérians sans-papiers, une campagne qui semble seulement avoir accentué l'hostilité vis-à-vis des Africains. Les prises de position négatives se sont poursuivies après le meurtre de Masonga Kitanda Olivier. En réaction à un cas présumé de viol impliquant un ressortissant nigérian, le ministre du Tourisme de Goa a accusé publiquement les Nigérians de commettre des crimes dans le but de prolonger leur séjour en Inde. « Nous devrions avoir une loi stricte pour pouvoir les expulser. Mais il n'existe malheureusement pas de telle loi en Inde aujourd'hui, a-t-il déclaré.

Il fait peu de doute que la vague d'agressions contre des Africains a discrédité l'Inde aux yeux de la communauté internationale et mis à mal ses relations avec les pays africains. Afin de remédier à cette situation inquiétante, Sushma Swaraj s'est efforcée d'apporter des garanties aux ambassadeurs des Etats africains tout comme à leurs ressortissants en Inde. Un groupe d'étudiants africains a par conséquent annulé une manifestation dans la capitale indienne.

Reste à espérer que le pays s'engagera rapidement sur la voie de la paix et de la sécurité pour les Africains comme pour les communautés marginalisées en Inde.

Difficultés et incertitudes, le lot des réfugiés syriens en Turquie

jeudi 9 juin 2016 à 18:19
Yilmaz Ibrahim Basha

Yilmaz Ibrahim Basha

Depuis deux ans beaucoup a été écrit sur les réfugiés. Mais des réfugiés eux-mêmes, on entend rarement plus que des citations. GlobalPost, un organisme d'informations internationales faisant partie de PRI , a commandé des textes à cinq jeunes Syriens qui ont tous pris la difficile décision de quitter leur foyer et entreprendre le dangereux périple hors de leur pays, vers la Turquie, la Grèce et à travers l'Europe du Sud. 

Le présent récit d'Yilmaz Ibrahim Basha, 24 ans, a été originellement publié sur PRI.org le 31 mai 2016, et est reproduit ici avec autorisation. 

En 2013, j'ai été capturé et séquestré par l'EI.

J'ai été enfermé dans une cellule de prison à Raqqa, la capitale de l'Etat Islamique, pendant un mois. La première cellule était un minuscule placard, d'un mètre de large et à peine 33 cm de profondeur. J'y suis resté debout 12 heures avec trois autres hommes. C'était sombre comme une tombe. J'avais du mal à respirer.

A l'aube il nous ont emmené dans une cellule plus grande pour prier, et je suis resté là les deux jours suivants. La plupart des prisonniers étaient des combattants de l'Armée Syrienne Libre, des journalistes et des activistes. Ils m'ont interrogé deux fois pendant ces deux jours. Ils me croyaient un espion payé par l'Amérique et la Turquie. Finalement ils m'ont sorti de la cellule, bandé les yeux et menotté. Les uns disaient qu'ils nous emmenaient à Mossoul en Irak devant leur tribunal militaire. D'autres, qu'ils nous tueraient sur la place centrale de Raqqa, célèbre pour ses exécutions publiques.

Tout ça s'est avéré des mensonges seulement destinés à nous terrifier. Ils nous ont mis dans un minibus qui a roulé pendant environ deux heures. J'ai cru que nous allions vraiment en Irak. Puis ils se sont arrêtés dans le désert ; je pouvais seulement voir à travers le bandeau sur mes yeux. Des prisonniers ont commencé à prier, croyant que nous allions être exécutés. Ils nous ont fait nous tenir par la main,  descendre dans un sous-sol, nous ont mis dans une petite chambre et enlevé nos bandeaux. Nous étions cinq. Ils nous ont apporté un petit plat de riz et trois morceaux de pain pour nous tous. Ils m'ont battu avec un cable.

J'étais journaliste. J'avais essayé de faire un film à Raqqa. Ils m'ont pris ma caméra, mon ordinateur portable, et tout mon film. Ils ont failli me prendre la vie.

Au bout d'un mois ils ont fini par me relâcher. C'était grâce à des membres de clans locaux que j'avais connus à Raqqa, qui ont négocié ma remise en liberté. J'étais si heureux d'être libre à nouveau ; mais je n'étais pas réellement libre. Je n'étais plus en sécurité en Syrie. Les combattants de l'EI pouvaient me reprendre à tout moment. Et quand j'ai appelé ma famille pour leur dire que j'étais relâché, mon père m'a dit de ne pas retourner chez moi à Ras al-Ein, qui se trouve dans le nord-ouest de la Syrie, près de la frontière turque. C'était trop dangereux pour moi là-bas, m'a-t-il dit. J'étais recherché par le régime et d'autres factions à cause de mon travail de journaliste. J'ai alors téléphoné à des amis, et déterminé que la Turquie était l'endroit le plus sûr où aller pour moi.

A l'époque, en juillet 2013, il était encore possible de traverser sans danger la frontière avec la Turquie. J'ai décidé d'aller à Istanbul parce que c'est une très grande ville, et je pensais qu'y trouver du travail me serait plus facile. Mais l'ambassade de France à Ankara m'avait demandé de les voir, j'y suis donc allé d'abord. Ils voulaient me poser des questions sur les journalistes français enlevés par l'EI. Ils pensaient que j'aurais des informations à leur sujet. Ils m'ont aussi questionné sur l'EI en général, et sur ce que j'avais vécu à Raqqa.

Quand je suis enfin arrivé à Istanbul je suis d'abord allé dans un foyer avec des amis et j'ai essayé de toutes mes forces de trouver du travail. Mais en vain. Mes maigres économies fondaient chaque jour. Sans travail c'est difficile partout. En Turquie, chercher un travail convenable, c'est comme trouver une aiguille dans une botte de foin. On vous demande de travailler au moins 15 heures par jour pour un salaire qui ne couvrira même pas le loyer. J'ai commencé à désespérer. La langue était le premier obstacle car je ne parle pas turc. Etre Syrien est aussi un problème car ils ne nous aiment pas. Les employeurs nous discriminaient. J'ai connu des gens forcés de trimer dur et être payés une misère. Ils vivaient comme des robots. Je ne vouIais pas de ça.

Comme dit le proverbe, quand une porte se ferme une autre s'ouvre. Il y a eu une conférence à Istanbul pour discuter de la situation en Syrie. C'était en septembre 2013. J'éi été invité parce que j'étais un activiste et un ancien captif. A la conférence, j'ai fait la connaissance d'Ahmad Tuma, le chef du gouvernement provisoire syrien en exil. Il savait que j'avais travaillé dans les médias avant, et il m'a demandé de travailler pour eux comme photographe et caméraman. J'étais enthousiaste de participer à un projet pouvant mettre en lumière la guerre en Syrie et l'existence éprouvante de tant de réfugiés syriens. Je voulais que le monde entier regarde en face ces faits, et comprenne la destruction en cours.

J'ai donc quitté Istanbul pour Gazientep, proche de la frontière syrienne. C'était là que devrait être le siège du gouvernement provisoire syrien. Quelques mois plus tard, ma famille a téléphoné. Mauvaises nouvelles : ils avaient été forcés à partir de chez eux par les Kurdes en Syrie, parce qu'ils étaient de ma famille et que je travaillais pour le gouvernement d'opposition. Les Kurdes leur ont dit que je devais me rendre, sinon ils prendraient mon frère à ma place. Ma famille a donc décidé de fuir en Turquie.

“J'ai de nouveau cherché un emploi. Mais travailler à Istanbul c'est comme de l'esclavage. Tu travailles de longues heures pour peu d'argent. Et parfois ils truandent et ne paient pas.”

Incroyable, ils ont passé. Il y avait mon père, ma soeur et ma tante, qui avait été comme une mère pour nous après la mort de ma mère d'un cancer du sein en 2010. Je suis allé les rencontrer à Urfa, qui se trouve dans le sud-est de la Turquie. Pendant ma captivité j'ai cru ne jamais les revoir. J'étais si heureux. Mais triste en même temps. Ils avaient tout perdu à cause de moi. Ils m'ont consolé en disant que tout allait bien. Ils m'ont dit qu'ils étaient fiers de moi et prêts à tout donner pour ma sécurité. Nous avons pleuré de joie. Mais je me sens toujours encore coupable de ce qui est arrivé.

A partir de ce moment je suis devenu responsable de ma famille entière au jeune âge de 22 ans. Je me suis mis en quête d'un nouvel appartement pour qu'ils puissent vivre avec moi. J'ai trouvé un petit logement à 1.000 livres turques par mois (305 euros), une grosse somme pour aussi peu de place. Mais je n'avais pas le choix. Beaucoup de gens en Turquie refusent de louer aux Syriens.

J'ai commencé à travailler avec des journalistes étrangers comme indépendant, traducteur et enquêteur. J'ai travaillé pour le Daily Telegraph, la BBC et beaucoup d'autres. Ça me plaisait ; c'était formidable de faire ce que j'aimais vraiment. Mon enthousiasme à travailler avec le gouvernement a commencé à s'effacer rapidement. Leur préoccupation pour les réfugiés, et même la Syrie, n'était pas sincère, pensais-je. Je les ai donc quittés en décembre 2014 et décidai de retourner à Istanbul.

Pour finir mon cousin m'a appelé de Syrie, et proposé l'idée d'aller en Europe. Mais c'était l'hiver, et je ne voulais pas laisser ma fiancée seule à ce moment. Elle venait d'arriver d'Irak en Turquie, aussi avons-nous reporté le départ à l'été. J'ai rencontré ma fiancée sur internet. Nous avons correspondu pendant six mois pendant qu'elle était à Erbil, en Irak. Quand elle est venue en Turquie nous nous sommes vus pour la première fois et notre relation est devenue solide. Nous nous sommes mariés en août.

Je suis allé à Istanbul cette fois avec des promesses d'amis syriens qui y habitaient de m'aider à trouver un logement et un travail. Ma famille a déménagé pour aller vivre dans une maison partagée avec mon oncle près de la frontière syrienne. Mais rien n'a été facile. Une nuit, j'ai été volé pendant mon sommeil. Notre argent et nos téléphones cellulaires ont été dérobés. Les gens que je prenais pour des amis ne faisaient que m'utiliser. Tant qu'ils ont eu besoin de mon argent c'étaient des amis. Une fois qu'ils ont eu eux-mêmes du travail, ils m'ont tourné le dos. J'ai à nouveau cherché un emploi. Mais travailler à Istanbul, c'est comme de l'esclavage. Tu travailles de longues heures pour peu d'argent. Et parfois ils truandent et ne paient pas.

J'ai réessayé de travailler avec des journalistes étrangers. Je voyageais entre Istanbul et la frontière syrienne, et enquêtais sur les réfugiés et les anciens membres de l'EI. Le printemps est enfin arrivé, et avec lui le retour des idées de commencer une nouvelle vie en Europe. Je voulais réaliser mon rêve d'étudier la photographie. Poursuivre mes rêves en Syrie était trop dangereux, et impossible en Turquie car je n'étais pas résident. L'Europe paraissait le seul endroit où je pourrais les changer en réalité.

Yilmaz lands in Greece after leaving Turkey by boat. Photo by Yilmaz Ibrahim Basha

Yilmaz accoste en Grèce après son départ de Turquie en bateau. Photo Yilmaz Ibrahim Basha

Mon cousin est arrivé de Syrie et nous avons passé un mois à préparer soigneusement notre voyage. Nous avons étudié les itinéraires et pris toutes les dispositions nécessaires. Avec un groupe nombreux, nous nous sommes rendus à Izmir, une ville de Turquie sur la Mer Egée. De là nous allions nous embarquer, connaître de nouveaux dangers et défis, et, si tout allait bien, commencer une nouvelle vie. Peut-être pourrais-je ressusciter mes vieux rêves. Quitter ma fiancée a été dur, mais nous n'avions pas d'autre choix : je ne voulais pas qu'elle passe par tout le parcours clandestin d'entrée en Europe. J'ai pensé que si je partais le premier et obtenais l'autorisation de séjour en Europe, elle pourrait me retrouver ensuite.

Mais après quatre mois de séparation, c'était trop lent. Elle a donc décidé de faire le voyage elle aussi.

Yilmaz a obtenu son permis de séjour de trois ans il y a quelques mois. Il vit maintenant à Berlin, où il étudie l'art et la photographie à l'université. Sa femme est Zozan Khaled Musa, qui a raconté elle aussi sa traversée de l'Europe pour le retrouver.

Et si la future Silicon Valley africaine se trouvait au Gabon ?

jeudi 9 juin 2016 à 15:29
Vue sur Libreville la nuit. Par Hugues sur FlickR CC-BY-2.0

Vue sur Libreville la nuit. Par Hugues sur FlickR CC-BY-2.0

Le Gabon a dit oui au numérique. Le pays semble aujourd’hui en passe de devenir un véritable hub des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette réussite a été soutenue par une politique volontariste de l’Etat, portée par son programme de transformation structurelle de l’économie nationale dénommé Plan Stratégique « Gabon Emergent », qui vise notamment à faire du pays un pôle régional d’excellence dans les services numériques. La preuve que le rêve d’une Afrique connectée n’est plus un rêve, justement, mais se matérialise dans certains pays.

En 2014, l’Union internationale des télécommunications (UIT) dévoilait son classement des pays africains les plus développés, selon son l’indice des technologies de l’information et de la communication (IDI). Sans surprise, le Gabon y figure en bonne place. Il est en effet le seul pays d’Afrique centrale d’une part et d’Afrique francophone d’autre part dans le top 10. Et les louanges de l’organisation n’ont eu de cesse depuis. Ali Bongo Ondimba a ainsi reçu à l’automne 2015 des mains du Président de l’UIT le très prestigieux prix des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) au service du Développement durable, à New-York. Aussi, progressivement, le développement d’activités tertiaires à fort contenu technologique et de savoir est devenu à la fois un levier de croissance pour le Gabon, et l'axe majeur de diversification d’une économie longtemps focalisée sur la rente (pétrole, bois rares, minéraux…).

L’une des principales voix à avoir appelé puis mis en œuvre cette transition vers un Gabon 2.0 est le directeur du cabinet présidentiel, Maixent Accrombessi.  Son analyse du modèle économique gabonais a permis de jeter les fondements de la réforme qui a porté le pays, en faisant aujourd’hui un véritable hub numérique régional que certains comparent déjà à une Silicon Valley africaine. Le cheval de bataille d’Accrombessi ? Lutter contre l’économie de rente pétrolière, un secteur créant peu d’emplois et non durable, car confronté au risque d’un épuisement rapide de ressources non-renouvelables.

Ainsi, le Gabon a mis en place un cadre attractif favorisant les investissements dans le numérique – et tout particulièrement la fibre optique – afin de développer l’accès à l’Internet haut débit sur l’ensemble de son territoire. Le Plan stratégique Gabon émergent prévoit la construction d’un réseau en fibre optique de près de 7 000 km. En parallèle, le pays a investi environ 110 millions dans des infrastructures permettant d’étendre la couverture des réseaux large bande et de diminuer les coûts des services de communication, ce qui accompagne l’implantation profonde du numérique dans la culture économique gabonaise – le taux de pénétration de l’internet mobile au Gabon est de 76%. Le blog Alliativ précise par ailleurs que le Gabon est le premier pays d'Afrique à se doter de la technologie 4G. Ces mesures ont porté leurs fruits : 293 milliards de Francs CFA générés par le secteur des TIC en 2014 ; 12 000 emplois créés la même année ; une croissance soutenue de l’économie gabonaise pour le premier mandat présidentiel d’Ali Bongo (+ 5,9% sur la période 2010-2014) qui se base sur les performances du secteur hors pétrole, en particulier dans les services (+7,2% de croissance).

Michel Rogy, conseiller en politiques des TIC à la représentation gabonaise de la Banque mondiale, a d’ailleurs salué cette action:

 Un excellent départ dans le très haut débit  au Gabon et une politique de développement de l’Internet et de l’économie numérique qui prend bien en compte tous les éléments nécessaires pour que cela soit un succès.

Et c’est peut-être là le secret de la réussite gabonaise : une approche à la fois horizontale (facilité d’accès à la technologie) et verticale (formation de la jeunesse). Les exemples sont aussi nombreux que variés : le Gabon a par exemple organisé avec la Banque mondiale le raccordement du pays au Central Africa Backbone (CAB) en 2012. Le réseau de fibre optique CAB vise à connecter le pays au câble sous-marin ACE (Africa Coast to Europe) reliant la côte ouest africaine à l’Europe, afin de distribuer cette capacité haut débit au moyen de câbles terrestres à fibre optique. On peut aussi évoquer le projet de construction des villages numériques, lancé en février 2015, (un grand chantier de construction de plus de 2 500 centres ou villages équipés d’infrastructures numériques à travers le pays).

L’annonce de la seconde édition du Salon International de l’Economie numérique et de l’innovation au Gabon, rassemblant les acteurs gouvernementaux, le secteur privé, la Société civile, les collectivités locales et les mouvements de jeunesse, et s’articulant autour d’ateliers de formation technique de haut niveau et de stands d’exposition d’innovations, montre l’ambition d’inscrire cette dynamique au cœur du l’éducation de la jeune génération. Dans cette optique, on peut aussi citer le projet « Train my Generation », lancé au mois de mai dernier en partenariat avec l’UNESCO et l’opérateur de téléphonie mobile AIRTEL GABON, qui vise à former 5 000 jeunes âgés de 17 à 35 ans sur trois ans dans le domaine des TIC. Autant d’initiatives tous azimuts qui montrent que le Gabon souhaite accélérer sa course au progrès, et laissent à penser qu’il pourrait bien s’imposer comme la Silicon Valley made in Africa de demain.

Ouganda: Arrêté pour avoir endossé un T-shirt avec l'effigie du chef de l'opposition

mercredi 8 juin 2016 à 11:07
Une capture d'écran extraite de la page Facebook de M. Samson Tusiime.

Une capture d'écran extraite de la page Facebook de Samson Tusiime.

Twitter était en effervescence en Ouganda le dimanche 29 mai avec le hashtag #FreeSamwyiri. La campagne faisait suite à l'arrestation d'un Ougandais dénommé Samson Tusiime parce qu'il aurait porté et distribuait des T-shirts avec la photo du leader de l’ opposition, Kizza Besigye.

La police soutient qu'il organisait des manifestations “illégales” et planifiait la distribution de T-shirts similaires dans tout le pays. Selon un journal indépendant, deux autres Ougandais, Ismail Muyinda et en Asia Nanyanzi, ont également été arrêtés.

Tusiime avait posté un message sur Facebook le 28 mai vêtu du T-shirt en question, en disant qu'il était à la recherche de son ami Ysmyl Muyinda (présumé être le même Ismail Muyinda qui aurait été arrêté comme signalé ci – dessus), dont l'entreprise les aurait imprimés et produits. Il a écrit qu'il était allé à différents postes de police à la recherche de son ami. Quand ses amis ont remarqué que M. Tusiime lui – même avait disparu, ils ont lancé le hashtag #FreeSamwyiri. Plus tard, la police a confirmé son arrestation.

L'affaire a agité de nombreux Ougandais, en état de choc qu'un T-shirt puisse suffire pour arrêter quelqu'un. Joel Nevender, un blogueur, a demandé à la police :

Vous arrêtez @Samwyri pour avoir exercé sa liberté d'expression? Pour des t-shirts? Des T-shirts ?

Alors que Ogutu Daudi tweetait :

Peut-on arrêter d'appeler ça démocratie car ce n'en est pas une. Fichus T-shirts. Mettez-nous donc les combinaisons jaunes [tenues des prisonniers], ne vous gênez pas.

Ces derniers mois, les autorités ougandaises se sont montrées particulièrement intolérantes envers la critique. Le Président Yoweri Museveni a remporté, en février 2016, un cinquième mandat suite à des élections controversées que l'opposition a qualifié de truquées. Les opposants et autres militants dénoncent la victoire de M. Museveni avec une série de manifestations qu'ils ont surnommé “campagne de défi.

Depuis l'élection de février, les autorités ont arrêté Kizza Besigye [principal leader de l'opposition] et d'autres figures de l'opposition à plusieurs reprises et bloqué les médias sociaux à deux reprises dans l'intérêt de la “sécurité nationale“.

Après l'arrestation de Tusiime, Josephine Karungi se demande :

Certaines choses sont terriblement difficiles à retourner … maintenant nous l'avons arrêté parce que … vous ne pouvez pas vraiment dire que c'est à cause du t-shirt, n'est-ce pas ?

L'étudiant Patoranking pense que cet acte est pire qu'à l'époque d'Idi Amin, le dictateur qui a gouverné l'Ouganda de 1971 à 1979 :

Nos parents ne peuvent même plus nous dire “Au temps d'Amin, …..” parce que cette fois c'est encore pire que du temps d'Amin

Chapter Four Uganda, (Chapitre quatre Ouganda), une organisation d'assistance juridique, a répondu à ce tollé en envoyant une mission juridique à la station de police :

Notre agent est à SIU Kireka pour obtenir une déclaration de @Samwyri pour une action en justice

SIU Kireka signifie Unité des enquêtes spéciales à Kireka à Kampala, la capitale.

On ne connaît pas encore les accusations exactes portées contre lui. Cependant, Qatahar Raymond, un journaliste qui a suivi l'affaire de Tusiime depuis son arrestation, suppose qu'il pourrait être accusé d'incitation à la violence.

Nous apprenons que @Samwyri et son ami seront probablement accusés d'”incitation à la violence”, si accusation il y a.

Au Portugal, une prospection de pétrole offshore soulève la polémique

mardi 7 juin 2016 à 23:46
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Une prospection de pétrole et de gaz naturel dans l'Algarve inquiète les défenseurs de l'environnement. Photo de MALP utilisée avec autorisation.

La Société nationale des hydrocarbures  (ENI) est un géant du pétrole en Italie également présent dans plus de 70 pays. Elle s'est alliée à la GALP – partenaire portugaise – pour rechercher du pétrole dans l'Algarve et dans l'Alentejo au sud du Portugal. Ces entreprises se préparent à démarrer, le premier juillet, un premier sondage qui devrait forer le fond de la mer à 46 km des côtes de Aljezur à la recherche d'hydrocarbures. Pourtant, les projets de ce consortium n'obtiennent pas de consensus car ils pourraient mettre en péril des sites naturels comme les plages de l'Alentejo et de l'Algarve, affectant la principale activité économique de la région, le tourisme de l'Algarve.

O algar da Praia de Benagil, Lagoa. Foto: Bruno Carlos CC BY-SA 3.0

L'algar de la plage de Benagil, Lagoa, Algarve. Photo: Bruno Carlos , sous licence CC BY-SA 3.0

Une association locale, l’ASMAA (Association algarvienne pour le développement du surf et des activités liées à la mer) est préoccupée par l'impact environnemental et économique que cette recherche de pétrole pourrait entraîner :

Estamos seriamente preocupados com os impactos adversos que a perfuração offshore pode ter sobre o ambiente; que não só vai levar à degradação do meio ambiente, mas também a impactos sociais e económicos negativos.

Nous sommes sérieusement préoccupés par l'impact négatif que la prospection offshore pourrait avoir sur l'environnement. Il existe un risque de dégradation de l'environnement mais également d'un impact social et économique négatif pour la région.

Le gouvernement précédent a signé plusieurs contrats accordant des permis d'exploitation à des sociétés pétrolières, mais  le nouveau gouvernement a manifesté sa volonté de révoquer ces permis. Il souhaite maintenant mettre en place une consultation publique avant de prendre une décision sur le développement de la prospection de pétrole et de gaz naturel au large des côtes de l'Algarve et de l'Alentejo. En outre, le mouvement “Algarve libre de pétrole” (MALP) accuse le gouvernement d'être en train d'organiser cette consultation “en se moquant du monde ” soulignant que :

O Governo Português liderado por António Costa decidiu à pressa e mais uma vez no maior secretismo avançar com uma consulta pública à população para atribuir (ou não) a prospeção e exploração de petróleo ao largo de Aljezur nos mares do sul de Portugal à concessionária ENI/GALP. Porque consideramos que uma decisão desastrosa para as regiões do Algarve e do Alentejo com possíveis impactos do foro ambiental, económico e sobre a vida das populações inaceitáveis apelamos ao Governo Português que diga um rotundo não à exploração de petróleo e gás nas regiões a Sul de Portugal. (…)

Le gouvernement portugais dirigé par Antonio Costa vient de prendre une décision, dans la précipitation et une fois de plus dans le plus grand secret. Il veut réaliser une consultation publique pour attribuer ou non un permis de prospection et d'exploitation du pétrole au large de Aljezur dans les eaux du sud du Portugal à l'entreprise ENI/GALP. Étant donné que nous considérons cette décision comme désastreuse pour les régions de l'Algarve et de l'Alentejo du fait d'un impact inacceptable sur l'environnement et la vie des populations locales, nous demandons que le gouvernement portugais exprime son opposition à l'exploitation du gaz et du pétrole dans les régions du sud du Portugal. (…)

Zonas marítimas e terrestres para prospeção de petróleo no sul de Portugal.

Zones maritimes et terrestres des forages pétroliers potentiels dans le sud du Portugal. Image: PALP, utilisée avec autorisation.

Le MALP appelle la population à se joindre à un mouvement de protestation devant la mairie de Aljezur :

Mais uma vez, afirmarmos em conjunto um rotundo não à exploração de petróleo e gás natural no mar e nas terras do Algarve.

Nous exprimons une fois de plus un non catégorique à l'exploitation de pétrole et de gaz naturel en mer et sur les terres de l'Algarve.

La consultation publique a commencé le 31 mai et devrait se terminer le 22 juin. Pendant ce temps, une pétition lancée par l'ASMAA circule sur le net. Elle appelle les citoyens à signer une lettre ouverte d'opposition aux forages dans le bassin de l'Alentejo qui sera transmise aux autorités compétentes.

A Aljezur est prévue, le 11 juin, la réalisation d'une chaîne humaine face à la mairie en signe de protestation :

Apela-se à população de Aljezur para que se mobilize para o cordão humano de dia 11 de junho contra a exploração de petróleo em mar ao largo de Aljezur. É muito importante que apareça o maior número de pessoas. Vamos mostrar um cartão vermelho às empresas petrolíferas (Galp/ENI) e ao governo que não respeitam a vontade dos algarvios de terem um Algarve Livre de Petróleo. Vem dizer não à exploração de petróleo e gás na costa algarvia

La population d'Aljezur est appelée à se mobiliser sous forme d'une chaîne humaine le 11 juin pour protester contre l'exploitation du pétrole en mer au large de cette commune. Il est très important que le plus grand nombre possible de personnes soient présentes. Nous allons sortir un carton rouge pour les sociétés pétrolières (GALP/ENI) et le gouvernement qui ne veut pas respecter la volonté des habitants de la région de vivre dans un Algarve “Libre de pétrole”. Venez dire non à l'exploitation du pétrole et du gaz sur les côtes algarviennes.