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Comment Poutine a discrètement conquis en trois ans les médias sociaux de Russie

samedi 31 janvier 2015 à 18:32
Vladimir Putin at a press conference on December 18, 2014. Kremlin press service, public domain.

Vladimir Poutine à une conférence de presse le 18 décembre 2014. Service de presse du Kremlin, domaine public

Quand je vais aux Etats-Unis, on me demande souvent à quel point la vie est dure dans la Russie de Poutine. Sachant que je travaille pour une télévision indépendante (Dojd-TV, www.tvrain.ru), ceux qui me posent cette question s'attendent probablement à des horreurs sur le cauchemar quotidien que j'endure sous la pression d'un régime totalitaire.

Répondre peut être embarrassant, car il me faut décevoir de telles attentes : je suis dans l'impossibilité de dépeindre ma vie en Russie dans des termes aussi simplistes, en noir et blanc.

Maints aspects de la vie en Russie sont bizarrement compliqués à expliquer à qui n'a jamais connu l'existence ici. Il y a un énorme fossé—un abîme d'hypocrisie—entre l'officiel et le réel, et on est supposé savoir ce qu'il ne faut pas dire tout haut. (Le film “Léviathan” d'Andreï Zviaguintsev traite largement de ce phénomène.)

Ainsi, on ne peut pas dire que la Russie n'a aucun média indépendant : je travaille pour une station de télévision indépendante, après tout. Mais le diable est dans les détails, et, en l'espèce, nous sommes désespérément dépassés en puissance de feu. La situation en Russie transposée aux Etats-Unis, ce serait Fox News qui aurait pris le contrôle des ondes, éjecté MSNBC de la télévision par câble, et réduit les libéraux [NdT : terme qui désigne aux USA la gauche] à diffuser sur internet depuis un petit appartement privé à Brooklyn.

Même mascarade pour les élections (où le pluralisme est un faux-semblant), les tribunaux (où la justice est un mensonge), et les manifestations de masse (où la participation est obligatoire).

Pendant de nombreuses années, l'Internet a été le dernier phare d'honnêteté de la Russie. C'est terminé. Ces trois dernières années, une armée des médias sociaux réunie par le Kremlin s'est emparée de ce qui était jadis une place-forte de ceux qui veulent une “Russie sans Poutine”.

Voilà comment cela s'est fait.

Avant les élections parlementaires de 2011, dont l'imposture a envoyé les manifestants dans les rues par centaine de milliers, le Kremlin se fichait complètement de l'importance politique des médias sociaux et de l'Internet. Le maître marionnettiste de la politique intérieure du gouvernement, un homme appelé Vladislav Sourkov, se satisfaisait de verser de l'argent liquide aux blogueurs en vue, en les rémunérant de temps à autre pour la publication d'articles de commande sur LiveJournal.

Lorsque la contestation hivernale a débuté en décembre 2011, les nouveaux médias sociaux, à savoir Twitter et Facebook, étaient sous le contrôle total des opposants politiques à Poutine, qui en étaient conscients et sans surprise construisirent de vastes réseaux pour organiser les manifestations contre les élections frauduleuses.

Deux rassemblements massifs à Moscou contre les résultats des élections parlementaire ont coûté à Sourkov son poste du Kremlin, suite à son impuissance évidente à contenir l'Internet. Il a été remplacé par Viacheslav Volodine, un homme moins cérébral connu pour son style de management à la hache.

Volodine passe pour ne pas connaître grand chose à l'univers numérique, mais les individus dotés d'une meilleure compréhension sont considérés comme ayant son oreille. En 2012, Volodine a promu quelques-uns de ces conseillers férus d'Internet dans un service particulier au sein du Département de Politique intérieure du Kremlin. Il a placé Timour Prokopenko, un trentenaire qui a travaillé pour les mouvements de jeunesse pro-Kremlin, à la tête du dispositif.

Au début, l'équipe médias sociaux du Kremlin a simplement copié tout ce que faisait en ligne l'opposition russe. Si les adversaires de Poutine le critiquaient avec des hashtags, les gens de Poutine ripostaient dans l'instant avec des hashtags ciblant Alexeï Navalny, le leader d'opposition le plus en vue de Russie. Quand ce mode de contre-attaque s'est avéré trop flagrant et primitif, l'équipe médias sociaux du Kremlin est passée à d'autres tactiques.

Ils ont essayé de spammer les médias sociaux avec des comptes de “bots”, que des réseaux comme Twitter ont néanmoins été prompts à reconnaître et neutraliser. L'équipe du Kremlin a alors recouru à ses militants en régions, hors de Moscou et St. Pétersbourg, jusque là largement ignorés. Ils recrutèrent désormais ces gens pour servir de bots en chair et en os. Représentez-vous ces jeunes gens, hommes et femmes, de toute la Russie, enrôlés pour ne rien faire d'autre que de promouvoir des tendances sur Twitter et troller les médias libéraux sur Facebook.

Mon contact chez Twitter m'a indiqué qu'ils n'ont aucun moyen d'intervenir contre de tels comptes, puisqu'ils sont bien tenus par des personnes réelles. Le Kremlin a découvert la solution à l'armée de bots : l'armée de trolls.

Naturellement, puiser parmi les réserves régionales de militants pro-Kremlin n'a pas suffi. Ce qui a démarré avec des dizaines de boy-scouts reconvertis a grossi en centaines, mais un plafond a été atteint. Quand cela s'est produit, l'équipe de Poutine a approché les publicitaires russes. D'après mes sources, ce sont actuellement 10 différentes agences de publicité qui travaillent pour le Kremlin. Les contrats sont secrets, et les firmes prennent soin de conserver d'autres clients, non politiques.

Les agences sont en concurrence féroce entre elles pour des extensions de contrats et des marchés plus gros, ce qui rend très juteuse et étonnamment efficiente l'industrie russe de la propagande en ligne. On dirait la “main invisible” d'Adam Smith, mais à l'opposé.

Ces efforts combinés mettent à la manoeuvre une armée de milliers de trolls. A certains endroits, comme les banlieues de St. Pétersbourg, l'entreprise est si grosse que des immeubles entiers abritent ces gens.

On croirait une blague, mais des milliers de blogueurs salariés “vont au boulot” chaque jour, et écrivent sur internet à propos de la grandeur de Vladimir Poutine et du déclin de l'Occident. Ils sont sur Facebook, Twitter, les sites d'actualités, et partout ailleurs où le Kremlin se sent menacé et dépassé en nombre. Des instructions fraîches arrivent chaque jour par courriels, qui précisent ce qu'il faut dire et où le publier, avec toujours pour but de conforter la présidence de Poutine au milieu de la guerre et de la crise économique.

Hélas, ça marche. Les gens peinent à saisir l'ampleur de l'invasion d'Internet par le Kremlin, pensant inimaginable que le pouvoir soit capable d'une manipulation aussi ciblée et sophistiquée. Pourtant c'est exactement ce qu'a accompli l'équipe médias sociaux de Poutine.

Certes, la conquête de l'Internet a été largement facilitée par la réduction spectaculaire des organes de médias indépendants en Russie—un phénomène surnommé la “f#cking chain”. La prise de contrôle par le Kremlin des médias sociaux a finalement atteint les gens qui ne regardent la télévision d'Etat. La boucle est bouclée.

Le système fonctionne comme suit : des trolls inondent une section de commentaires de diatribes écrites d'avance contre l'Occident ou l'opposition libérale, puis les médias d'Etat rapportent ces propos comme de “l'indignation de blogueurs”, alimentant de nouvelles discussions en ligne et édifiant ce qui devient une préparation naturelle/artificielle. De cette manière, l'équipe de Poutine est en mesure de pousser son ordre du jour jusqu'au ghetto libéral de l'Internet russe.

Devant le succès de ce modèle en Russie, le Kremlin investit maintenant massivement dans son “exportation” aux médias sociaux populaires en Europe et aux Etats-Unis.

Habitants de l'Occident, vous voilà prévenus.

Les vues et opinions exprimées dans cet article appartiennent en propre à l'auteur d'origine, et ne représentent pas nécessairement celles de Global Voices ni RuNet Echo.

La militante iranienne des droits des femmes Mahdieh Golroo a été libérée

vendredi 30 janvier 2015 à 19:56
Mahdieh Golroo. Image edited by Kevin Rothrock.

Mahdieh Golroo. Image éditée par Kevin Rothrock.

Mahdieh Golroo, une activiste des droits des femmes iranienne, a été libérée le 27 janvier suite au paiement de sa caution de 700 millions de Toman (soit environ 200 000 dollars). Golroo a passé 93 jours en prison suite à son arrestation devant le Parlement iranien, où elle manifestait contre les attaques à l'acide perpétrées sur des femmes à Ispahan. Elle a passé 45 jours en cellule d'isolement dans la tristement célèbre prison d'Evin à Téhéran, connue pour ses conditions de détention et ses cas de torture des prisonniers politiques. 

La militante  des droits des femmes en Iran Mahdieh Golroo, qui était détenue pour avoir protesté contre les attaques à l'acide à Isfahan, a été libérée après 93 jours en prison.

En octobre dernier, une vague d'attaques à l'acide contre des femmes à Ispahan avait entrainé une forte réaction de l'opinion publique iranienne. Les autorités ont enregistré quatre attaques, mais sur les médias sociaux, les internautes en dénombrent au moins deux fois plus. Face à l'absence de réponse de la police, de nombreuses manifestations et  campagnes en ligne contre le gouvernement ont agité la nation.

Mahdieh Golroo apparaissait sur une liste de professionnels des médias et d'activistes emprisonnés publiée par Global Voices Advocacy en janvier 2015. Les internautes iraniens ont souligné l'hypocrisie de l'emprisonnement d'une activiste qui n'a fait que protester contre un fait-divers que le gouvernement lui-même a condamné. 

Mme Golroo a été détenue en cellule d'isolement durant deux mois. Les charges retenues à son encontre sont floues.

Gissou Nia, directrice adjointe de l’International Campaign for Human Rights in Iran, expliquait dans un échange avec Global Voices la signification de l'arrestation de Golroo, soulignant que les poursuites dont elle fait l'objet font partie d'une volonté plus globale des autorités de restreindre la présence des femmes dans la sphère publique.

While it is a welcome development that Mahdieh Golrou is currently out on bail, her legal process is far from over and her prosecution is part of a broader plan perpetrated by Iranian officials to silence women’s voices. Despite vigorous denials from Iranian officials that the acid attacks that Golrou was protesting prior to her arrest were anything but the work of a rogue criminal, these attacks did not take place in a vacuum. Rather, these violent acts came in the midst of systematic policies, rhetoric and legislation from Iranian officials aimed at curtailing women’s participation in the public space. Golrou’s arrest and the arrests just last week of other women activists who dared to question these developments are simply an effort by Iranian officials to suppress those who are unafraid to openly challenge this anti-women trend.

Si la libération sous caution de Mahdieh Golroo est une bonne nouvelle, la procédure judiciaire est loin d'être terminée et les poursuites dont elle fait l'objet révèlent une volonté globale des autorités iraniennes de réduire au silence la voix des femmes. Bien que ces dernières aient vigoureusement affirmé que les attaques à l'acide contre lesquelles Golroo protestait avant d'être arrêtée n'étaient rien d'autre que l'oeuvre d'un criminel, ces attaques ne sont pas dues au hasard. Au contraire, ces actes de violence ont été commis dans un contexte de politiques, d'une rhétorique et de législations systématiques déployées par les autorités iraniennes visant à restreindre la participation des femmes à la sphère publique. L'arrestation de Golroo ainsi que celles d'autres militantes la semaine dernière pour avoir osé remettre en cause ces tendances sont simplement révélatrices de l'acharnement que mettent les officiels iraniens à éliminer ceux qui n'ont pas peur de remettre en question ouvertement cette tendance anti-femmes.

Argentine : un musée restitue officiellement la dépouille d'un chef Mapuche à son village

vendredi 30 janvier 2015 à 12:41
Museo de la Plata - Argentina del usuario de Flickr Cristian bajo licencia  (CC BY-NC 2.0)

Musée  de la Plata – Argentine . Photo sur Flickr de Cristian sous licence CC BY-NC 2.0)

Le Musée de la ville de La Plata en Argentine a fait restituer à la communauté indigène Tehuelche dans la ville de Tecka, la dépouille du Cacique Inacayal, qui est mort dans ce musée. En 1994, une première restitution partielle avait concerné les ossements, l'année dernière il s'agissait de sa tête embaumée et son cuir chevelu ainsi que des restes de son épouse et de sa nièce…

En 1881, A. Roca, alors président de l'Argentine, s'est lancé dans une campagne contre les aborigènes de Patagonie. Modesto Inacayal, leur cacique, après avoir résisté, a été fait prisonnier avec sa famille. En octobre 1886, le directeur du musée de la Plata lui a offert l'hospitalité. Perito Francisco Moren voulait ainsi le remercier pour son accueil pendant son séjour en Patagonie. Il s'installa alors au musée avec sa famille et y mourut en 1888 pour des raisons inconnues.

Le blog Les mystères de la ville de la Plata propose des hypothèses sur les causes de son décès :

 Il est mort le 24 septembre 1888 pour des raisons peu claires ; les théories suivantes ont été élaborées sur la cause de son décès :

  •  Il se serait suicidé de désespoir, étant loin de son pays et prisonnier dans le musée où il voyait exposés derrière des vitrines les restes de ses ancêtres.
  •  Il aurait été poussé dans les escaliers d'accès au musée alors qu'il se dénudait en public lors d'un de ses rituels. Ten Kate, un anthropologue, a observé que le squelette avait les os du nez cassés et qu'il lui manquait plusieurs dents 
  •  Enfin, la version la plus reprise dit que Inacayal, sachant qu'il allait mourir, a réalisé un rite, après lequel il a disparu. Voici ce que décrit le naturaliste italien Clemente Onelli,  secrétaire de Moreno : “Il ne bougeait déjà pratiquement plus de son fauteuil de vieillard, et un jour, alors que le soleil couchant faisait rougeoyer le majestueux propylée de cet édifice serti dans de sombres eucalyptus, Incayal apparut,  soutenu par deux indiens, sur l'escalier monumental. Il arracha ses vêtements, ceux des envahisseurs de sa patrie, fit un un geste en direction du soleil, puis un autre longuement vers le sud, prononça des mots inconnus et dans le crépuscule, l'ombre de ce vieillard accablé, seigneur de sa terre, disparut, furtive évocation de tout un monde….

  Voici ce qu'il écrit au sujet de ses restes :

 Le squelette du cacique a été  préparé pour être exposé dans ce musée où il avait vécu ses dernières années. Il est  ainsi resté exposé à la vue du public durant plus de 50 ans jusqu'aux années 40.

 Une première réclamation de ses restes avait été faite en 1994. En 2006 le processus de restitution a commencé grâce à la loi nationale 25.517 stipulant que ‘les restes des aborigènes, faisant partie des collections des musées ou de collections publiques ou privées, doivent être mis à disposition des peuples indigènes et/ou des communautés à qui ils appartiennent et qui les réclament”.

Une video réaliste et émouvante de Movimiento Estudiantil Liberación a filmé cet acte de restitution:

Les visages de Global Voices : Juan Tadeo au Mexique

vendredi 30 janvier 2015 à 07:21
Our Contributor in México, Juan Tadeo.

Notre auteur au Mexique, Juan Tadeo.

Né à Mexico dans les années 80, Juan Tadeo a étudié le droit à l'Université autonome nationale du Mexique (Universidad Nacional Autónoma de México), Diplomé en 2009, il a lancé son blog en aout de cette même année et utilise son droit à la liberté d'expression pour écrire sur la justice, la politique, la transparence, ainsi que sur la musique et le foot. 

Il contribue à Global Voices depuis 2011 et ses plus récents posts ont porté sur la disparition des étudiants mexicains de Ayotzinapa.

Global Voices (GV):  Comment avez-vous commencé à écrire pour Global Voices?

Juan Tadeo (JT): Cela remonte à presque quatre ans, au début de l'année 2011, quand j'ai contacté l'ancienne éditrice de Global Voices pour l'Amérique latine, Silvia Viñas. J'ai beaucoup appris d'elle.  

J'avais découvert l'existence du site de Global Voices quelques mois auparavant, car l'un des auteurs avait cité un post de mon blog sur une affaire de violence, de racisme et discrimination à la frontière nord du Mexique, c'est-à dire la frontière avec les Etats-Unis. J'étais content d'être cité, ravi de voir un extrait de mon post traduit en plusieurs langues en quelques semaines.

GV: Qu'appréciez-vous le plus en contribuant comme auteur bénévole à GV ? 

JT: Je trouve fascinante cette opportunité de pouvoir collaborer à une plateforme qui agrège des actualités locales de tous les coins du monde. Sur Global Voices, les lecteurs peuvent lire les nouvelles de mon pays dans leur propre langue  (anglais, français, italien, esperanto, et plein d'autres). Pour ma part, je préfère écrire en espagnol et être traduit. Je le fais car, à mes yeux, il n'est pas facile de trouver des sites d'informations en espagnol, en dehors de ceux des médias traditionnels, qui soient impartiaux, fiables et ajournés régulièrement.

GV: Quel est l'article qui vous a le plus marqué, et pourquoi ?  

JT: Tous les posts sur la violence dont on ne parle pas et qui affecte le Mexique m'émeuvent, m'offensent et m'attristent. Chaque fois que j'écris sur des personnes disparues, ou sur la découverte de nouveaux charniers, ou d'autres problèmes brulants, j'ai l'impression que le Mexique glisse toujours plus loin de la paix et de la justice dont jouissent la plupart des autres pays du monde. L'affaire du massacre de Cadereyta et la tournure affreuse qu'a pris la disparition des étudiants de Ayotzinapa sont des exemples particulièrement frappants de ce phénomène.  

J'ai aussi écrit d'autres articles d'un genre tout à fait différent, mais là encore douloureux, comme par exemple en septembre 2014 sur la disparition de Gustavo Cerati,  un musicien de talent que j'admirais depuis des années. 

GV: Qu'avez-vous appris du journalisme citoyen ?

JT: Il ma aidé à avoir un oeil plus critique sur le journalisme mainstream – à repérer quand le travail est bâclé et à comprendre pourquoi.

Au Mexique, ces problèmes sont particulièrement graves car les groupes qui contrôlent les médias donnent aux lecteurs et spectateurs des produits très médiocres, de toute évidence à dessein afin de favoriser les puissants, qu'ils représentent en fin de compte.

Par là, j'ai appris que souvent (pas toujours, malheureusement), le travail effectué par les médias citoyens est spécial et d'une grande valeur, même si la plupart des gens, tout au moins au Mexique, ne l'apprécient pas encore.

GV: Que devraient faire les médias traditionnels dans cette nouvelle ère de participation des citoyens et des médias sociaux ? 

JT: Je pense qu'ils devraient prêter attention aux individus, qui sont devenus plus conscients et exigent des contenus de qualité. Certains médias présents à l'international ont commencé à le faire car ils ont compris que le nombre de personnes qui demandent que leurs droits soient respectés en tant que spectateurs et consommateurs d'informations augmente, lentement, mais sûrement.  

Dans mon pays, le rythme de cette évolution est plus lent qu'ailleurs. Une grande partie de la population se contente de ce que lui donnent les médias. Leurs “news” s'intéressent aux rumeurs du show biz, la télé privilégie les comédies vulgaires et les films américains des années 90 qui n'ont pas marché. Une programmation qui finalement réussit pas mal aux grands groupes de médias.  Mais peu à peu, de plus en plus de gens éteignent néanmoins la télé. Quand ils consomment des informations, ils comparent plusieurs sources (nationale et internationales) avant de se faire leur propre opinion. Ce sont ces personnes qui satisfont leur soif d'informations en se tournant vers des voix intéressantes, alternatives, que l'on trouve dans le journalisme citoyen. 

Le Panama est-il encore un pays de métissage ?

jeudi 29 janvier 2015 à 22:04

Street Scene - El Valle de Anton. Photography by Adam Jones, published under the Creative Commons license.

Scène de rue – El Valle de Anton [La vallée d'Anton]. Photographie d'Adam Jones, publiée sous licence Creative Commons.

Comment le Panama gère-t-il l'arrivée de nombreux groupes de personnes en provenance des pays voisins ? Comment les étrangers se comportent-ils dans le pays ? Du fait du flux de nombreux immigrants en provenance d'autres pays d'Amérique latine et des conflits qui surviennent à cause du vivre ensemble, le Panama subit parfois une transformation multiculturelle délicate. Les médias sociaux panaméens regorgent d'anecdotes, d'attaques et d'accusations mais également de gratitude, d'explications et d'excuses. 

Depuis son origine, le Panama a été un pays de transition. L'étroitesse de son territoire a poussér de brillants esprits à imaginer un canal qui relierait deux océans, même si la technique ne le permettait pas encore. Produit de sa situation géographique et des coups de chance survenus au cours de l'histoire, le Panama est parvenu aujourd'hui à atteindre une économie stable mais avec dans son sillage un passé confus. En tant que tels, les Panaméens ont tendance à se sentir comme venant de partout et de nulle part en même temps. Géographiquement, le Panama est situé en Amérique centrale, et culturellement, le pays se rattache aux Caraïbes. Cependant, historiquement, les liens qui unissent le Panama à l'Amérique du Sud sont forts, dans la mesure où le pays faisait partie de la Grande Colombie –  république d'origine qui a tenté d'unir ensemble le Panama, le Venezuela, la Nouvelle Grenade (aujourd'hui, la Colombie) et l’Équateur.

Sa position de carrefour a fait du Panama un lieu de rencontre pour beaucoup de populations, et en conséquence l'immigration a constitué une part vitale du pays. Néanmoins, ces dernières années, l'instabilité politique, sociale et/ou économique des pays voisins a fait augmenter le nombre d'immigrés, contraignant les Panaméens à faire face, de manière plus intense, aux défis du vivre ensemble.

Beaucoup réagissent par le rejet, particulièrement vis-à-vis de l'immigration en provenance du Venezuela et de la Colombie. C'est pourquoi, le Panama, qui a toujours été fier d'être un “melting pot”, ou en espagnol “crisol de razas” [litt. creuset de races, ou Terre de métissage] (en fait, c'est le nom que le gouvernement a donné à ce programme cherchant à régulariser un grand nombre d'étrangers dans le pays), est aux prises avec la question du devenir des étrangers, devenue un sujet courant de conversation.

Un certain nombre de groupes Facebook ont été lancés pour débattre du sujet, tels que “On ne veut pas de vous au Panama, Nilka Janeth“, qui a été créé suite à un commentaire d'un utilisateur de Facebook dénommé Nilka Janeth, lequel affirmait que les emplois créés par le canal de Panama resteraient dans les mains des étrangers au détriment des Panaméens. La véritable identité de l'utilisateur fait toujours à l'heure actuelle objet de débats, mais l'effet explosif de sa déclaration poursuit sa course.

Sur cette base, le groupe, qui a environ 7.000 followers, a continué à rapporter les supposés dégâts causés par les étrangers dans le pays et a appelé à un contrôle plus étroit du système migratoire. D'autres groupes ont émergé sous le slogan “No More Melting Pot” [non au melting pot]. Ces groupes affirment que leur objectif est de maintenir le calme dans le pays et d'empêcher la propagation d'actes illicites, tels que la vente à la sauvette, dont les étrangers seraient les spécialistes. Un autre problème que l'on remarque à travers ces groupes est celui de la participation des étrangers aux actes criminels. Pour les internautes Panaméens, déjà peu à l'aise avec la présence de travailleurs étrangers dans le pays, la nationalité de ceux qui violent la loi devient un critère important. Dans un des posts publiés par les groupes, les internautes ont commenté le kidnapping d'une fille qui, selon la presse, a été enlevée par sa baby-sitter, une Colombienne : 

Aqui uno mas de los frecuentes casos perpetrados por foráneos del mal vivir consecuencia del mal filtro en el tema migratorio.
Gracias a la efectiva acción de la [Dirección de Investigación Judicial] se logró recuperar a una menor de dos años en este caso fue aprehendida una mujer de nacionalidad colombiana.

Pero si nos levantamos como ciudadanos en contra de estos actos y exigimos una politica migratoria responsable nos llaman xenófobos y racistas.

Et voilà déjà un autre cas fréquent de méfaits perpétrés par les étrangers de mauvaise vie qui vivent ici à cause d'une politique migratoire laxiste.

Grâce à l'action effective de [l'enquête judiciaire] une enfant âgée de 2 ans a été retrouvée. Dans le cas présent, c'est une femme de nationalité colombienne qui a été appréhendée.

Mais si nous nous élevons contre ces actes, en tant que citoyens, et que nous demandons une politique migratoire responsable, on nous accuse de xénophobie et de racisme. 

Du point de vue des immigrés, l’article du Vénézuélien Enrique Vásquez a été diffusé et a fait l'objet de débats pendant un bon moment. Il essaie d'expliquer le comportement de certains Vénézuéliens au Panama, à ceux qui sont accusés de racisme à leur encontre : 

La mezcla de razas en Venezuela es muy parecida a la de Panamá. Somos descendientes de los indios originarios, mezclados con los negros africanos y antillanos, que a su vez se mezclaron también con los españoles. Dicho de otro modo, el “venezolano puro”, al igual que el “panameño puro”, puede ser de un color cualquiera ubicado entre el blanco europeo y el negro africano.

Sin embargo, hoy en día en Venezuela pasa algo que difícilmente ocurra en cualquier otro país del mundo. Los niveles de inseguridad son tan alarmantes que nos hemos acostumbrado a estar en las calles con miedo; con profundo y genuino miedo. La paranoia y el terror son algo del día a día.

Le mélange des races au Venezuela est très similaire à celui qui existe au Panama. Nous sommes descendants des Indiens autochtones, mélangés avec les Africains et les noirs des Antilles, qui à leur tour se sont également mélangés avec les Espagnols. En d'autres termes, le “pur Vénézuélien”, tout comme le “pur Panaméen” peut être de n'importe quelle couleur entre le blanc d'origine européenne et le noir d'origine africaine.

Cependant, aujourd'hui au Venezuela, il se produit quelque chose qui arrive rarement dans d'autres pays du monde. Les niveaux d'insécurité sont si alarmants que nous devons nous habituer à marcher dans les rues avec la peur au ventre, une peur profonde et véritable. La paranoïa et la terreur font partie du quotidien.

La complexe discussion sur le racisme au Venezuela a également fait partie des commentaires apparaissant encore sous le post, comme celui posté par Anna Gabriella Quiroz : 

Lo siento, pero soy venezolana, me han [asaltado] ya 5 veces de distintas formas, y no acepto esto. Esto es una manera (un poco infantil a mi parecer) de justificar el racismo internalizado que SI, si existe en nuestro país como en gran parte del mundo [...] 

Je suis désolée mais je suis Vénézuélienne. J'ai été [agressée] 5 fois, à présent, de différentes manières et je ne l'accepte pas. C'est (selon moi une manière un peu immature) de justifier le racisme intériorisé qui OUI, oui, existe dans notre pays tout comme dans bien des endroits du monde [...]

Le débat sur l'immigration se poursuit sur Twitter, où quelques uns des utilisateurs ont exprimé leur mécontentement au sujet de la régularisation systématique des étrangers : 

Les Vénézuéliens, les Colombiens, les Nicaraguayens, les Dominicains et les Cubains sont un poids social et économique dans notre pays.

Les médias traditionnels prennent également part au débat. Le commentateur sportif Juan Carlos Tapia s'est exprimé sur le sujet et le journal La Estrella de Panamá [l’Étoile de Panama] a posé des questions aux passants sur le programme [Terre de métissage] qui a provoqué des réactions en faveur et contre l'arrivée d'immigrés dans le pays. Les opinions en faveur de l'immigration reconnaissent les difficultés qui peuvent avoir encouragé les gens à quitter leur pays d'origine et soulignent les aspects positifs de l'immigration dans le pays :

Estoy de acuerdo [con el programa "Crisol de Razas"] porque creo que es una oportunidad para el país de poder traer otras personas que también [puedan] compartir de sus cualidades, desarrollarse dentro del país.

Je suis d'accord [avec le programme "Terre de métissage"] parce que je pense que c'est une bonne opportunité pour le pays d'être capable d'attirer des personnes qui peuvent également partager leurs qualités et grandir ici.

De la même manière, en réponse aux campagnes de rejet, des mouvements politiques ont émergé, tels que le “groupe Arena”, qui cherche à soutenir les immigrés résidant au Panama et dont l'objectif est de “maintenir l'unité de toutes les nations”.