PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

La démission du premier ministre slovaque ne fait pas cesser les manifestations demandant justice pour le le journaliste assassiné

mercredi 21 mars 2018 à 12:28

Manifestation à Bratislava le 9 mars 2018. Photo par l'utilisateur Wikipedia Wizzard, CC BY-SA 4.0.

La démission de plusieurs figures du gouvernement slovaque, dont le premier ministre, n'a pas réussi à apaiser l'opinion réclamant justice pour l'assassinat de style mafieux d'un journaliste anti-corruption. Certains considèrent ces démissions comme un trompe-l’œil cynique visant à maintenir au pouvoir le parti actuellement aux commandes.

Après le meurtre du journaliste Ján Kuciak le 25 février, les unes de la presse slovaque regorgeaient d'accusations de corruption et de relations avec le crime organisé contre les hommes politiques influents, jusqu'aux cadres supérieurs de la police et quelques personnes nommées dans les services du Procureur de la république.

Le 3 mars, le procureur Vasiľ Špirko a intenté des poursuites pénales contre le ministre de l'Intérieur Robert Kaliňák, le président de la police Tibor Gašpar, le chef de l'Agence criminelle nationale Petar Hraško et le chef de l'Unité anti-corruption Róbert Krajmer. Parmi les charges, le détournement d'argent public et la participation à des pots-de-vin.

Une pétition signée par 145 personnalités publiques a exigé que le président de la police et le procureur spécial quittent leurs fonctions pour éviter des conflits d'intérêt dans la recherche de la vérité :

Jánova práca siahala príliš blízko k politickým špičkám. Mnohé vyšetrovacie verzie môžu ohrozovať ich povesť a kariéru, čo vytvára neudržateľný konflikt záujmov. Vládni predstavitelia preto musia vytvoriť pre orgány činné v trestnom konaní nezávislý priestor, ktorý umožní preveriť akúkoľvek potrebnú stopu bez tlakov a neformálnych vplyvov.

Le travail de Ján a approché de trop près les leadeurs politiques. Les opérations d'enquête pourraient menacer la réputation et la carrière de nombreux responsables, créant un intenable conflit d'intérêt. Les responsables gouvernementaux doivent donc créer une chambre indépendante où les autorités d'application de la loi examinent toutes les pistes nécessaires à l'abri de la pression et des influences informelles.

Après la demande du président Andrej Kiska de réforme gouvernementale plus large, le premier ministre Róbert Fico l'a accusé de tenir un discours qui “n'était pas écrit en Slovaquie” et d'avoir rencontré en septembre 2017 une “personne au nom douteux”, George Soros, “en l'absence de tout représentant du ministère slovaque des Affaires étrangères”. Les journaux ont rapidement démonté cette affirmation en montrant des photos de la rencontre ‘secrète’ à laquelle assistait aussi le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Fico, Miroslav Lajčák.

[Note de la rédaction : Global Voices est un bénéficiaire des Fondations Open Society Foundations financées par George Soros ]

L'assassinat de Kuciak et la crise politique qu'il a provoquée a engendré des manifestations de masse dans tout le pays. On estime que 100.000 personnes ont manifesté “pour une Slovaquie honnête”. La dimension de ce mouvement est comparée à la Révolution de velours qui a mis fin aux quarante années de règne du Parti communiste de Tchécoslovaquie et enclenché la transition vers la démocratie qui a suivi.

Les manifestations ont été pacifiques, malgré les mises en garde du premier ministre Fico contre “la haute probabilité d'attaques contre les bâtiments publics” après avoir montré des images de pavés devant les bureaux du gouvernement. En réalité, des citoyens ont promptement rapporté la présence d’une dizaine de pavés dans les buissons à la suite de travaux sur une place voisine.

Le 15 mars, M. Fico céda à la pression publique et présenta sa démission. Il plaça son allié Peter Pellegrini au poste de premier ministre. Les Slovaques ont largement considéré cela comme une manœuvre et ont averti que le tandem Fico-Pellegrini rappelait l'accord entre le président russe Poutine et son premier ministre Medvedev, qui ont interverti leurs rôles plusieurs fois alors que Poutine détenait tout du long le pouvoir réel. De fait, Fico a indiqué explicitement avec un large sourire qu'il “ne partait nulle part” et que son “devoir est de protéger les arrières du nouveau premier ministre”.

“Quand ils te contraignent à démissionner parce qu'ils te soupçonnent de relations avec la mafia italienne. Et toi tu nommes un type qui s'appelle Pellegrini.” Mème du blog Cynická obluda (Monstre cynique), utilisation autorisée.

La démission n'a pas calmé le jeu. Le 15 mars, quelque 65.000 manifestants exigeant des élections anticipées se sont rassemblés dans la capitale Bratislava, et d'autres milliers faisaient de même dans les rues d'autres villes.

Des milliers de personnes se rassemblent en Slovaquie pour la troisième semaine d'affilée, avec une nouvelle énorme foule à Bratislava qui scande et réclame de nouvelles élections

À la manifestation, l'acteur Richard Stanke s'est adressé à Fico dans un discours largement cité :

Váš arogantný úsmev pri včerajšom odovzdávaní vašej „akože“ demisie hovorí za všetko! Vy neodchádzate, ale naďalej chcete v úzadí ťahať za nitky vašich poslušných straníckych lokajov … Ani jeden z nich si pri triumfálnom oznámení výsledku dohody nespomenul na vraždu Jána Kuciaka a Martiny Kušnírovej. Ani jeden. A my sme išli na námestia preto, aby sme si uctili ich pamiatku a zabránili nevyšetreniu tejto ohavnej vraždy.

Votre sourire arrogant de hier en donnant votre “quasi” démission est révélateur ! Vous ne partez pas, vous voulez toujours tirer les ficelles de vos laquais dociles du parti… Aucun d'eux [les dirigeants des partis de gouvernement] dans leur annonce triomphale des résultats de l'accord, n'a mentionné le meurtre de Ján Kuciak et Martina Kušnírová. Pas un seul. Et nous voilà sur les places pour honorer leur mémoire et empêcher la dissimulation de l'enquête sur cet abominable assassinat.

Les manifestations n'ont pas plu à tout le monde. L'écrivain Gustáv Murín a porté plainte au pénal contre les organisateurs.

Je smutné, keď občan nemá pokoj na svoju prácu a život, pretože cvičení organizátori prevratov začnú svoju rozvratnú činnosť. … To sa naozaj nenájde nikto kto by zastavil tento notorický „dúhový scenár“ z dielne diverzných centrál z obnovenej Studenej vojny? … Ak nie, tak považujem za svoju povinnosť urobiť to osobne.

C'est triste qu'un citoyen n'ait pas la tranquillité d'esprit pour son travail et sa vie, parce que les organisateurs de coups de force commencent leurs agissements destructeurs. … N'y a-t-il personne ici pour faire cesser ce “scénario arc-en-ciel” notoire de la fabrique de diversions de la nouvelle Guerre froide ? … Si c'est non, alors je considère comme mon devoir de m'en charger moi-même.

Oliver Andrejčák, un étudiant en sciences politiques, donne son opinion :

… pri súčasnej situácií by si Slovensko mohlo vybrať iba dve možnosti:
1. Okamžité predčasné voľby, ktoré by skutočne mohli viesť k politickej nestabilite, a vôbec by vyšetrovanie vraždy nemuseli zlahčiť tak, ako sa zdá
2. Rekonštrukciu vlády, ktorá by ešte 2 roky predstavovala mafiánsky oligarchistický štát, avšak s vidinou úplnej porážky SMeru v roku 2020

… Dans la situation actuelle, la Slovaquie n'a le choix qu'entre deux options :
1. Des élections anticipées immédiates, qui pourraient de fait amener l'instabilité politique, et avoir pour effet que l'enquête sur le meurtre pourrait ne pas être être aussi facile qu'elle en a l'air ;
2. Un raccommodage du gouvernement, qui représenterait un État oligarchique mafieux pour deux années de plus, mais avec la perspective d'une défaite totale du [parti de Fico] SMER-Social démocratie en 2020

L'étudiant en journalisme Jakub Prok a un autre argument contre des élections anticipées :

Ak by aj poslanci pristúpili k predčasným voľbám, kým by sa do kresla dostal nezávislý človek, mohlo by to trvať mesiace. Pri dostatočnom spoločenskom tlaku by to v Pellegriniho vláde mohlo byť už budúci týždeň. … Predčasné voľby by mohli v konečnom dôsledku dostať do parlamentu iba viac extrémizmu.

Si les députés devaient opter pour des élections anticipées, il pourrait falloir des mois à une personnalité indépendante pour arriver au poste [de ministre de l'Intérieur]. Avec suffisamment de pression sociale, dans le gouvernement Pellegrini ça pourrait se faire la semaine prochaine. … Des élections anticipées pourraient au final n'amener que plus d'extrémisme au Parlement.

Le blogueur Peter Straka a annoncé avoir déjà pris une décision pivot :

Ak áno, som s rodinou rozhodnutý z tejto prehnitej krajiny, kde sa nedá už ani nadýchnuť, kde ľudia nielenže neveria vláde, polícii, ale ani jeden druhému, … Ak nebudú predčasné voľby a nebudeme mať novú vládu, a nezačne sa poriadne vyšetrovanie káuz, aby boli páchatelia obvinení a potrestaní, potom odchádzam.

Si c'est comme ça, je décide avec ma famille de partir de ce pays pourri où il n'est pas possible de seulement respirer, où les gens non seulement ne respectent pas le gouvernement et la police, mais où ces derniers ne se respectent même pas mutuellement … S'il n'y a pas d'élections anticipées, et que nous n'obtenons pas de nouveau gouvernement, ainsi qu'une nouvelle enquête incluant les causes profondes, pour que les coupables soient accusés et punis, alors je m'en vais.

La censure de retour en Tunisie ? La justice interdit le challenge en ligne ‘Blue Whale’

mardi 20 mars 2018 à 18:42

L'enquête sur des groupes VKontakte mystérieux pleins d'images de baleines et de papillons dont Novaïa Gazeta prétend qu'ils amènent des adolescents à se donner la mort a laissé l'opinion sceptique. Image de VKontakte.

Sauf indication contraire, tous les liens sont en français .

Un tribunal tunisien a ordonné aux autorités de censurer deux défis en ligne qui auraient conduit des adolescents à se suicider. La question a soulevé des inquiétudes du public au sujet de l'automutilation – mais aussi de la censure arbitraire d'Internet.

La décision demande à l'Agence Tunisienne Internet (ATI) de bloquer l'accès aux jeux Blue Whale Challenge et Mariam, même si ATI n'a aucun mandat légal pour bloquer des contenus en ligne.

Le Blue Whale Challenge (Défi de la Baleine Bleue) est un jeu en ligne décentralisé où les joueurs sont chargés d'effectuer des tâches spécifiques qui incluent l'automutilation. Après cinquante jours – dans certains cas documentés – on leur dit de se suicider. Mariam [en] est un jeu d'horreur développé en Arabie saoudite qui tourne autour d'une fille perdue, que les joueurs aident à retrouver le chemin de la maison.

À part le fait que cela emmènerait ATI au-delà des limites de son mandat légal, l'ordre du tribunal de “bloquer” le Blue Whale Challenge ne reconnaît pas non plus la nature décentralisée du jeu. Blue Whale n'est pas hébergé sur une seule plate-forme, mais il est plutôt géré par divers administrateurs anonymes interagissant avec des joueurs dans des groupes de discussion de médias sociaux privés.

Le jeu est apparu pour la première fois en Russie à la mi-2016, après avoir prétendument entraîné des suicides et des tentatives de suicide dans un certain nombre de pays. Grâce à diverses mesures légales, les autorités russes, kazakhes et kirghizes ont toutes tenté de réduire l'accès des enfants au jeu en fermant les groupes VKontakte [en] où le jeu est hébergé, aux côtés d'autres groupes considérés comme favorisant l'automutilation.

En 2017, lorsque le jeu est devenu populaire en Chine, les principales plateformes de médias sociaux comme Baidu et Sina Weibo ont commencé à fermer [en] tous les forums de discussions contenant des mots-clés comme “Blue Whale” ou “Blue Whale game”.

Les autorités tunisiennes réagissent à la peur qu'a le public de Blue Whale

Ce n'est que récemment que le jeu a pris de l'importance en Tunisie. En décembre dernier, l'Agence nationale de sécurité informatique (ANSI) a mis en garde les parents contre le jeu Blue Whale Challenge. Tout en rappelant [ar] qu'elle ne peut bloquer aucun contenu en ligne car cela ne fait pas partie de sa mission, l'agence a conseillé aux parents d'utiliser un logiciel de contrôle parental, malgré les limites de cette solution, compte tenu de la nature décentralisée du jeu.

En mars, cinq adolescents tunisiens qui auraient joué au Blue Whale se sont suicidés. Leurs parents, qui ont trouvé leurs enfants pendus dans leurs chambres, disent qu'ils sont morts en raison de leur dépendance à ces jeux en ligne. Trois autres ont tenté de se suicider mais ont été sauvés in extremis.

En février, l'association des parents d'une école locale et le délégué à la protection de l'enfance de la ville de Sousse ont intenté un procès pour ordonner à l'Agence tunisienne Internet de bloquer l'accès aux deux jeux.

Dans un jugement rendu le 6 mars 2018, le Tribunal de première instance de Sousse a ordonné à l'ATI de bloquer l'accès aux deux jeux, arguant qu'ils représentaient un danger pour les jeunes dans le pays.

Les implications de cette décision, si elles sont confirmées en appel, créeraient un nouveau précédent pour la censure d'Internet en Tunisie. Si le jugement final est en faveur des plaignants, il obligera l'agence à censurer les deux jeux. Même si cela pourrait être techniquement impossible dans le cas de Blue Whale, cela constituerait une jurisprudence sur laquelle pourraient reposer d'autres demandes de censure de contenus – qui pourraient être nettement plus préjudiciables à l'intérêt public.

Echos de l'ère Ben Ali ?

L'ATI était autrefois connue comme l'instrument de la censure de la dictature du président déchu Zine el Abidine Ben Ali. Créé en mars 1996, le mandat officiel de l'agence était de développer l'Internet en Tunisie sans se contenter d'être la seule passerelle pour la connectivité internationale en tant que point d'échange Internet. Mais en même temps, et jusqu'à la révolution, l'ATI avait reçu des ordres de la présidence et du gouvernement pour contrôler toutes les informations en ligne [en] même si elle n'avait pas le mandat légal de censurer les contenus ou d'espionner les utilisateurs.

Après les soulèvements populaires et l'éviction de Ben Ali en janvier 2011, les autorités intérimaires ont mis fin aux pratiques de censure de l'internet et l'ATI a adopté des réformes [en] pour couper avec l'image de censeur sur Internet en se concentrant uniquement sur le mandat légal qu'elle était censée remplir. Des poursuites comme celles-ci compromettraient de telles réformes et pourraient renvoyer l'ATI à un rôle de censeur.

Et la décision de justice de ce mois-ci n'est pas la première tentative de ramener la censure en ligne dans la Tunisie post-révolutionnaire. En mai 2011, un groupe de plaignants représentés par trois avocats a poursuivi l'ATI pour interdire l'accès aux contenus pornographiques en ligne, également pour des raisons de protection de l'enfance.

L'ATI a fait appel de la décision du tribunal, et a perdu en août de la même année. Mais en février 2012, l'agence a obtenu un deuxième recours et la Cour de cassation a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel. En juin 2013, la Cour d'appel s'est prononcée [en] en faveur de l'agence.

En réponse à la récente décision du tribunal sur les jeux, le patron de l'ATI, Jawher Ferjaoui, a réitéré l'engagement de son agence à respecter les droits constitutionnels des utilisateurs et la liberté de l'Internet et a promis de faire appel du jugement.

Dans une interview à la radio Shems FM, il a déclaré :

Bien que nous respections l'ordre du tribunal et la demande des parents, notre mission n'est pas de censurer Internet. Puisque la protection des droits et libertés est notre priorité absolue, nous contesterons la décision de censure dès que nous aurons reçu l'ordre officiel. Nous expliquerons pourquoi il est absurde de demander une telle solution.

[Transcription audio de l'auteur]

Ferjaoui a ajouté que l'ATI proposera bientôt un nouveau service de contrôle parental appelé “Ammar Kids”, qui est une connexion Internet filtrée “à la source”. Avec ce nouveau service, les parents pourront s'abonner à un plan Internet filtré, plutôt que de s'abonner à un plan Internet, puis d'acheter le logiciel commercial de contrôle parental à installer et à activer.

Malgré les progrès de la liberté d'expression et de la liberté sur Internet [en] notamment la constitution de 2014 [en] garantissant le droit à l'accès aux réseaux d'information et de communication à l'article 32, il semble que le public ne soit pas uniformément convaincu des valeurs défendues.

Et bien que le contenu du jeu Blue Whale soit profondément troublant, il est important que le débat public sur cette question reconnaisse que les jeux en ligne ne sont qu'un facteur parmi les tendances à l'automutilation et au suicide chez les adolescents. Il y a eu une augmentation alarmante du taux général de suicide chez les jeunes ces dernières années. Selon le rapport du ministère de la santé publié en décembre 2017, il y a eu 49 cas de suicide documentés chez des jeunes âgés de 10 à 19 ans en 2016. Ces actes ont été attribués à la violence, à la pauvreté, à la pression et au harcèlement à l'école.

Les experts ont également pesé sur la question. Sur Facebook, le journaliste et activiste H. El Mekki a commenté [ar] la nécessité pour les parents – peu importe ce qui est ou n'est pas accessible en ligne – d'apprendre à leurs enfants à naviguer sur Internet :

… pour protéger vos enfants de Blue Whale, faites la même chose que pour les protéger contre des contenus pour adultes et la pédophilie, la violence ou l'obscénité : regardez ce qu'ils font en ligne, parlez de ce qu'ils voient et entendent en ligne, installez des logiciels de contrôle parental dans leurs téléphones …. Tout comme le monde, l'Internet a des endroits qui ne sont pas pour les enfants et des lieux où même les adultes devraient plutôt ne pas aller. Si vous ne pouvez pas protéger vos propres enfants, personne ne pourra le faire, pas le système judiciaire, ni la police ni l'ATI.

Les tentatives visant à limiter l'accès à ces deux jeux peuvent empêcher certains enfants d'interagir avec ce type de matériel, mais cela n'empêchera pas totalement les enfants et les adolescents tunisiens de s'auto-mutiler. Les parents et les familles auront toujours un rôle essentiel à jouer pour aider leurs enfants à naviguer dans les contenus en ligne et leurs propres difficultés émotionnelles.

Ce qui est certain, c'est que la décision du tribunal, si elle était maintenue, marquerait le retour de la censure arbitraire dans un pays qui était autrefois un laboratoire d'essais [en] pour les technologies de filtrage et de surveillance. Pour les utilisateurs tunisiens qui ont expérimenté la censure [en] sur Internet avant la révolution – et ses conséquences désastreuses – la récente décision judiciaire représente un pas dans la mauvaise direction.

La première cause de suicide est la dépression non traitée. La dépression est traitable et le suicide est évitable. Vous pouvez obtenir de l'aide auprès des lignes de soutien téléphonique confidentielles pour les personnes suicidaires et celles en crise émotionnelle. Visitez Befrienders.org [en] pour trouver une ligne téléphonique d'assistance pour la prévention du suicide dans votre pays. En France, vous pouvez contacter l'association SOS-Amitié.

Les détenus iraniens exposés aux violations de la vie privée et à des campagnes de dénigrement public

mardi 20 mars 2018 à 18:04

Iran : Atteintes à la vie privée et détentions illégales

La prison d'Evin à Téhéran est réputée pour détenir illégalement des prisonniers et les interroger, parfois sous la torture. Image de Flickr: Sabzphoto, CC BY-SA 2.0.

Une version de cet article a été écrite par Masha Alimardani pour ARTICLE19  et reproduite ici dans le cadre d'un partenariat.

Imaginez que vous êtes sur le point d’embarquer à bord d'un avion pour retourner chez vous avec votre petite fille âgée de 18 mois, lorsque une équipe des bien connus gardiens de la révolution s'empare de vous deux et vous place en détention. Ils vous retiennent prisonnières sans motif d'inculpation et vous placent à l'isolement.

Vaincue par la peur, vous voulez plus que tout être libérée et réunie avec votre famille. Vous êtes prête à faire tout ce qui pourrait vous aider à court terme. Sous la pression des autorités, vous remettez les mots de passe de vos comptes de messagerie électronique.

Peu de temps après, vos contrats de travail, documents financiers et même des photos de famille sont utilisés dans une campagne de dénigrement à votre encontre.

C’est la situation à laquelle est confrontée Nazanin Zaghari-Ratcliffe, une Anglo-iranienne à la double nationalité, qui travaillait comme chef de projet pour une association caritative, la fondation Thomson Reuters, quand elle vivait à Londres au moment de son arrestation. Elle se rendait en Iran pour rendre visite à sa famille, lorsqu'elle et son bébé ont été détenues en avril 2016. Actuellement, sa fille reste sous la garde de ses grands-parents maternels en Iran, tandis qu'elle-même est toujours retenue en détention.

Bien que les problèmes de persécutions et poursuites illégitimes ne soient pas nouveaux en Iran, de nouveaux signes de violations des procédures sont observés concernant les détentions et poursuites judiciaire ainsi que la manière dont les affaires personnelles sont saisies et le droit à la vie privée bafoué.

Les inquiétudes du public à l’égard de ces questions sont également montées d’un cran autour du cas de l’environnementaliste et universitaire canado-iranien Kavous Seyed-Emami, un autre citoyen à la double nationalité qui a été détenu en janvier 2018 et est décédé en détention à la prison d'Evin le 9 février 2018.

Tout comme dans l’affaire de Zaghari-Ratcliffe, les radiodiffuseurs nationaux iraniens ont publié des informations personnelles, des courriels et photos de Seyed-Emami, qui ont été confisqués par les autorités dans le but de l'accuser d'être un agent étranger.

Les campagnes de dénigrement public basées sur la confiscation de documents papiers et numériques telle que celle à l’encontre de Zaghari-Ratcliffe et Seyed-Emami sont rares. Mais la confiscation de documents personnels, elle, ne l’est pas ; et tandis que ceux-ci ne sont généralement pas utilisés à des fins de diffusion médiatique, ils le sont toutefois souvent par les autorités afin de poursuivre les détenus ou d’autres individus. ARTICLE 19 [Organisation britannique défendant les droits de l’homme avec un un mandat spécifique centré sur la défense et la promotion de la liberté d'expression et de la liberté d'information dans le monde entier] a précédemment illustré cette tendance en 2015, avec son rapport Computer Crimes, selon laquelle les autorités ont utilisé des méthodes d’intimidation afin d’obtenir des informations de la part de personnes détenues.

Ces affaires viennent témoigner d’un système judiciaire qui autorise des violations flagrantes de ses propres lois, procède à des interrogatoires qui frôlent la torture et viole le droit fondamental à la vie privée.

ARTICLE 19 a appelé l’Iran à mettre un terme à ces agissements, à relâcher les prisonniers comme Zaghari-Ratcliffe, ainsi qu’à mener une enquête approfondie sur la mort de Seyed-Emami et enfin, à restituer les passeports de celui-ci ainsi que celui de sa femme, Maryam Mombeini, afin qu'elle puisse quitter l'Iran.

Nazanin Zaghari-Ratcliffe

Le 7 décembre 2017, Press TV, une branche anglaise de la télévision nationale iranienne IRIB [Radio-Télévision de la République Islamique d’Iran], a diffusé un documentaire sur le supposé travail de Nazanin Zaghari-Ratcliffe encourageant à la “sédition” en Iran.

Diffusé à la veille d’une nouvelle affaire judiciaire ouverte afin de poursuivre une seconde fois en justice Zaghari-Ratcliffe, ce documentaire en anglais et perse semble confirmer que les responsables de la sécurité de l’Iran subtilisent factures et contrats en provenance de la messagerie électronique de l'accusée.

Dans ce documentaire, les autorités ont détourné ces documents en prétendant qu’ils fournissaient des preuves des salaires mensuels versés par la BBC et cela, afin de pouvoir la discréditer. Ce n’est pourtant un secret pour personne, aussi bien pour Zaghari-Ratcliffe que pour la BBC qu’elle avait l'habitude de travailler pour la BBC World Service Trust (à présent BBC Media Action) en tant que “assistante stagiaire” et occupant un poste “de débutant et purement administratif”, au sein d’un programme dédié à la formation de journalistes iraniens de février 2009 à octobre 2010. Des photos montrant Zaghari-Ratcliffe sans foulard ont été diffusées dans les médias iraniens pour la dénoncer comme étant un agent de l’Ouest avant sa comparution au tribunal. La fausse propagande a été créée afin de stopper toute initiative en faveur de sa libération et pour justifier les abus qu’elle a dû endurer lors de sa détention.

Ce qui suit est un extrait de la narration issue du documentaire diffusé par Press TV :

Iran’s information apparatus was studying the Zaghari case before her arrest. […] A security organisation in Iran has given PressTV documents contrary to claims that she is just a mother in Iran. The said evidence shows she was a recruiter for BBC Persian service, targeting youngsters dissatisfied with the Iranian ruling body…

“Les services d’information iraniens étudiaient l'affaire Zaghari bien avant son arrestation. Une organisation chargée de la sécurité en Iran a fourni à Press TV des documents venant contester qu’elle soit une simple mère de famille voyageant en Iran. Ces documents viennent apporter des preuves qu’elle a été recrutée par le service perse de la BBC, ciblant des jeunes insatisfaits de la politique des dirigeants iraniens.

‘La guerre douce du Royaume-Uni contre l'Iran: l'affaire Zaghari’ Image: Documents diffusés par Press TV qui déclare les avoir obtenus à travers les agences de sécurité du pays.

Kavous Seyed-Emami

Kavous Seyed-Emami, un professeur de sociologie et environnementaliste à la Wildlife Fondation Perse, a été arrêté avec d'autres en janvier 2018 en raison de ce que le procureur de Téhéran justifie par la collecte d'informations classées confidentielles sous couvert de “projets scientifiques et environnementaux”. Le décès de Seyed-Emami, le 9 février 2018, fait partie d’une série de morts suspectes de détenus en prison. Le procureur de Téhéran Abbas Jafari-Dolatabad a déclaré sans la moindre preuve à l'agence de presse ILNA que Seyed-Emami s'était suicidé :

He was one of the defendants in a spying case and unfortunately he committed suicide in prison since he knew that many had made confessions against him and because of his own confessions.

Il était un des accusés dans une affaire d'espionnage et malheureusement cela a abouti à son suicide en prison car il savait que beaucoup avaient fait des aveux contre lui, mais aussi à cause de ses propres aveux.

Selon les dires de la famille de Kavous Seyed-Emami et ceux des avocats la représentant, il n’y a aucun rapport médical fourni venant étayer les raisons données pour expliquer son décès. Les autorités ont refusé à la famille l'autorisation de procéder à une autopsie indépendante.

Pendant ce temps-là, la Radio-Télévision de la République Islamique d’Iran (IRIB) a diffusé un documentaire présentant des preuves qui semblent extraites des appareils électroniques de Kavous Seyed-Emami, de ses comptes en ligne, ainsi que celles obtenues suite aux perqusitions dans sa maison familiale, incluant notamment, des photos de famille privées et des communications anodines avec ses amis et différentes connaissances.

Un des messages électronique entre Kavous Seyed-Emami et un ami américain a été utilisé dans le documentaire afin d’en déduire que celui-ci avait des liens avec les services de renseignements américains, et cela, sans aucunes preuves venant étayer ces accusations.

Photo: L'émission de 20:30 de l'IRIB diffuse un documentaire visant à calomnier Seyed-Emami en mettant en avant une correspondance apparemment bénigne entre lui et un de ses contacts “David” comme preuve du rôle d'agent étranger joué par Seyed-Emami.

Respect de la vie privée, procès équitables et légalité des interrogatoires

Ces deux affaires viennent mettre en évidence des tendances profondément inquiétantes quand à la protection des droits de l’homme et au respect des libertés fondamentales en Iran, et tout particulièrement, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée, en vertu des droits et obligations internationales concernant les droits de l’homme.

La promptitude de l’appareil judiciaire iranien et de l’IRIB à accepter des faux témoignages “d’espionnage” et des preuves subtilisées en provenance de conversations privées issues des appareils électroniques des détenus, viennent compromettre la légalité qui entoure l’obtention de ces preuves et leur utilisation.

De plus, les dispositions du code pénal iranien et la loi sur les crimes informatiques qui donnent droit au procureur d’accéder aux données personnelles des accusés, violent les normes internationales en matière de vie privée.

Le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Iran, garantit que “personne ne peut être sujet à une ingérence arbitraire ou illégale dans sa vie personnelle, professionnelle, son domicile ou ses correspondances, ni être l’objet d’attaques illicites contre sa réputation ou son honneur”. Il va plus loin en préconisant que “Tout le monde a le droit d’être légalement protégé contre de telles ingérences ou attaques”.

Le code criminel iranien dote la justice du pouvoir de saisir les comptes et données électroniques dans son article 104, et une disposition similaire est prévue par l’article 48 de la loi sur les crimes Informatiques. Bien que l’article 103 du code criminel stipule que seuls les documents relatifs à un crime peuvent être saisis, cela n’a clairement pas été le cas pour Zaghari-Ratcliffe. Le procureur a en effet accédé à toutes ses données personnelles et privées afin de poursuivre ses accusations larges et imprécises.

La détention illégale, les mauvais traitements infligés à Zaghari-Ratcliffe et à Seyed-Emami, ainsi que l’obtention d'informations par la force lors d’interrogatoires illégaux constituent une nouvelle violation du droit international.

Selon les déclarations de la famille de Zaghari-Ratcliffe, celle-ci a étét détenue sans aucune charge après son arrestation à l’aéroport, conduite dans la province de Kerman dans une cellule à l'isolement et s’est vue refuser le droit de faire appel à un avocat quand ses comptes ont été saisis.

Cela va à l’encontre même de la procédure criminelle iranienne sous les articles 12 et 13 du Ccde pénal. En outre, le dossier Zaghari-Ratcliffe, construit à la suite d’interrogatoires longs et exténuants, est également illégal en vertu du code pénal iranien (article 106) qui stipule que toute confession “obtenue sous la contrainte, force, torture, ou par le biais d’abus physiques ou psychologiques, ne doit se voir conférer aucune validité ni aucun poids et que la cour doit dès lors, procéder à un nouvel interrogatoire de l’accusé”.

Les procédures légales iraniennes utilisées pour accéder aux appareils et comptes électroniques de ces deux prisonniers restent opaques. Mais les preuves utilisées dans les narrations médiatiques et les jugements à l’encontre de Zaghari-Ratcliffe et Seyed-Emami, prouvent que les agissements des agences de renseignement iraniennes, à savoir les gardiens de la révolution, ont monté des dossiers d’accusation en dépit de tout respect pour la procédure pénale, les lois et les règlements en vigueur.

Il est plus important que jamais que les autorités iraniennes reconnaissent les droits à la protection de la vie privée prévus par la législation nationale et les obligations des organisations Internationales dont la République islamique d'Iran fait partie et qu’elles mettent un terme à leur habitude, sous couvert de “sécurité nationale”, de cibler des individus pour asseoir leur pouvoir.

Les jeunes de la Ghouta se font reporters de guerre pour donner à voir les souffrances des civils

mardi 20 mars 2018 à 12:09

Noor et Alaa filment la destruction causée par les frappes aériennes du régime syrien dans la Ghouta orientale. Utilisation autorisée.

Ce qui suit est une série de témoignages depuis la Ghouta orientale (dans les faubourgs de Damas) après ceux d'une infirmière et d'un dentiste, que nous avons traduit respectivement les 21 février et 6 mars 2018, et publiés par le collectif Act For Ghouta. Global Voices a aussi publié des témoignages recueillis à Damas, que vous pouvez lire ici.

Contrôlée par les rebelles anti-régime, la Ghouta orientale est assiégée par le régime syrien et ses alliés depuis la fin de 2013. Mais ces dernières semaines, la violence a atteint un paroxysme. Dans les deux semaines entre la soirée du 18 février et celle du 3 mars, les données médicales de Médecins Sans Frontières (MSF) indiquent 4.829 blessés et 1.005 morts, soit 344 blessés et 71 morts par jour. Les infrastructures civiles sont aussi gravement endommagéesavec plus de 25 hôpitaux et centres de santé bombardés, certains plus d'une fois en quatre jours.

Deux sœurs de la Ghouta orientale, Noor, 12 ans, et Alaa, 8 ans, vont sur Twitter avec un compte commun pour raconter avec leurs mots le siège en cours.

Les fillettes et leur mère, Shams Al-Khateeb, ont vu des dizaines d'orphelins et d'enfants à la rue après la perte de leurs parents. Shams Al-Khateeb a créé le compte Twitter pour ses filles dans l'espoir que les gens voient ce qui se passe dans la Ghouta et réclament des actes.

Global Voices (GV) a rencontré la jeune Noor, qui a dit pourquoi elle voulait devenir journaliste :

Je veux devenir journaliste pour transmettre les souffrances des innocents, ou étudier la chimie pour faire des médicaments pour les gens.

Malgré le siège, Noor allait à l'école et était l'une des élèves les plus brillantes de sa classe de sixième. Mais son école a été récemment bombardée par des avions supposés du régime Assad, et les opérations militaires en cours l'ont empêchée de rejoindre un autre établissement.

Désormais, Noor et sa famille passent la plupart de leur temps chez elles.

Elles ont survécu à une frappe aérienne qui visait leurs voisins, et dans laquelle Alaa a été légèrement blessée.

De temps en temps, les sœurs marchent dans les rues ou se rendent dans des abris pour filmer et parler de la crise humanitaire qui s'approfondit. Parlant à GV, leur mère a dit qu'elles ont perdu espoir :

La plupart du temps les filles restent près de moi, m'enlacent, et se mettent à pleurer quand une frappe aérienne atteint le voisinage. Nous n'avons pas grand chose à manger, seulement quelques herbes comme du persil, pas d'eau à boire ou pour la douche.

Les suites de la frappe du 22 février 2018 ont été filmées et postées sur Twitter. Avertissement : images choquantes.

Pour l'amour de Dieu, aidez-nous ! #SauvezLaGhouta

Dans la vidéo, Noor crie :

Why is he bombing us? What have we done to him? And what does he want from us?

Pourquoi il nous bombarde ? Qu'est-ce qu'on lui a fait ? Et qu'est-ce qu'il nous veut ?

Noor et Alaa, comme les autres enfants, veulent que les bombardements cessent pour pouvoir retourner à l'école et reprendre une vie normale, raconte leur mère à GV.

Documenter la guerre

La guerre syrienne est souvent qualifiée de conflit le plus documenté de l'histoire, car documenté par les Syriens eux-mêmes.

Lorsque Mahrous Mazen, 20 ans aujourd'hui, était sur les bancs de l'école il y a sept ans, jamais il n'aurait pensé devenir un photojournaliste couvrant les souffrance des gens de Douma, sa ville et une des cités de la Ghouta orientale.

Mais les horreurs de la guerre infligées à la Syrie l'ont décidé à se faire photographe.

Mahrous Mazen tient un appareil photo et filme les raids aériens du régime syrien. Source: Twitter

Mazen sort chaque jour avec son appareil pour photographier les destructions, les morts et les blessés résultant des opérations de bombardement du régime syrien et de son allié russe.

Mazen publie des photos quotidiennes sur Twitter, Facebook et Instagram ou les envoie aux agences d'information “pour que le monde voie ces horreurs,” explique-t-il à GV.

Un photographe couvre la vie quotidienne dans la Ghouta orientale assiégée, depuis Douma.
Soutenez le compte !
Merci à tous

Mahrous a dit à GV que son père a été tué dans un raid aérien des avions de chasse du régime en 2014. Il vit aujourd'hui dans un abri de la Ghouta avec sa famille et ses voisins.

Les abris sont juste des caves ordinaires sans installations propres à protéger les civils des frappes aériennes.

Every shelter hosts 30 to 40 family, I've visited one in Arbin that hosts 120 families.

Chaque abri compte 30 à 40 familles, j'en ai visité un qui en comptait 120.

Mazen poursuit :

It's very hard to get an internet connection in order to upload the photos and videos because of intensive shelling. Many families are still buried under the rubbles and can't be reached by White Helmets.

Il est très difficile d'avoir une connexion internet pour charger les photos et vidéos, à cause du pilonnage intense. Beaucoup de familles sont ensevelies sous les décombres et ne peuvent être atteintes par les Casques Blancs.

Mazen dit à GV qu'il refuse de quitter la Ghouta. Il craint une destruction totale de la Ghouta, pensant à la ville d’Alep, dévastée en 2016. Mazen n'a aucune confiance dans les déclarations actuelles du régime disant garantir une évacuation sécurisée, au vu de ses fréquentes violations des accords.

Il souligne aussi que même l'ONU en Syrie a été ciblée, quand les avions ont frappé des localisations à proximité de camions d'aide humanitaire de l'organisation qui distribuaient de la nourriture. Des fournitures médicales à destination de la Ghouta ont aussi été saisies par le régime le 5 mars.

Les attitudes sociétales sont la principale menace contre les minorités sexuelles et de genre en Equateur

mardi 20 mars 2018 à 11:13

La structure sociale, certaines croyances religieuses et l'absence de réponse judiciaire de la part de l'État sont une combinaison dangereuse qui entraîne l'existence et l'activité continue d'institutions qui offrent des traitements pour “réorienter” la sexualité des personnes LGBTQ. Illustration de Mónica Rodríguez. Utilisée avec permission.

Le texte qui suit est le troisième et dernier d'une série en trois parties, la republication d'un article écrit par Carlos E. Flores, publié à l’ origine par Connectas et adapté avec l'aide de l'auteur. L'article complet présente des données et des analyses de cas qui contrastent avec la position de l'Équateur devant les institutions internationales de protection des droits de l'homme. La première partie de cette série présentait les témoignages des victimes de l'emprisonnement forcé et peut être lue ici [fr]. La deuxième partie traitait du fonctionnement du système judiciaire en Équateur face à ces pratiques. L'article a été réédité pour Global Voices avec l'aide de l'auteur.

Cette dernière partie rend compte du travail des organisations et des militants qui luttent pour les droits des personnes LGBTQI et contre le plus puissant obstacle à l'avancement de leur cause : les conventions sociales.

En février 2017, la ville de Cuenca, dans le sud de l'Équateur, a approuvé une ordonnance municipale pour l'inclusion et le respect de la diversité sexuelle. Cette ordonnance interdit les centres offrant des remèdes supposés pour l'homosexualité, la bisexualité ou les identités trans.

En dépit de ces règles qui visent à réglementer et empêcher l'enlèvement et la maltraitance des personnes LGBTQI, les cas n'ont pas cessé.

Lorsque ces cas se produisent, le règlement susmentionné stipule à l'article 8 que “les autorités municipales chargées du contrôle de l'utilisation des terres procéderont à une fermeture définitive. Une fois le processus de sanction terminé, par l'autorité municipale compétente, les résultats seront envoyés à l'autorité pénale correspondante.”

Cependant, cette même année et dans la même ville, deux femmes lesbiennes ont été emprisonnées contre leur volonté, une affaire qui a mobilisé les activistes et les autorités locales pour les rechercher.

Il y a eu aussi le cas d'Elías dans la province côtière de Guayas. Le garçon avait ouvertement déclaré son homosexualité et sa mère, qui avait de fortes convictions religieuses et avait pris des dispositions pour le confiner d'abord dans une école adventiste à Santo Domingo de Tsáchilas, puis dans une clinique clandestine à Quinindé, dans la province d'Esmeraldas, à la frontière avec la Colombie.

Selon son cousin, Elías a été enfermé et forcé à frapper ses compagnons dans cette école “parce que c'est ainsi qu'un homme est fait”. Quand il s'est enfui, il est resté un moment chez son cousin, mais Elías s'est rapidement réconcilié avec sa mère et est revenu pour rester avec elle. Un jour, il a disparu et c'est alors que son cousin a porté plainte auprès du Conseil de protection des droits de Guayaquil.

Après son admission de force, Elías et sa mère se sont réunis et ont reçu des soins psychologiques. Elías, selon son cousin, est revenu à une vie normale. Lui et Elías vivent ensemble du lundi au vendredi et, le week-end, le garçon rend visite à sa mère. Selon Ludovico Garcés, l'avocat qui a suivi l'affaire, il n'y a pas eu de poursuites puisque la mère, du moins en théorie, a reconsidéré sa position. Il a dit que ces “cliniques” et les familles tendent à dissimuler leurs motivations aux autorités: “Évidemment, ces centres de torture ne vont jamais vous dire que “nous l'avons admis parce qu'il est gay”. C'est punissable par la loi. “

En dehors de ces cas, Cayetana Salao, de l'atelier de communication des femmes, souligne que son organisation a été informée “de quatre cas [récents], plus deux [dont la personne a été victime à plusieurs reprises].” Ces cas ont été rendus publics dans un texte qui a été présenté en octobre 2017, intitulé “Portraits de confinement, survivants des cliniques de déshomosexualisation”.

“Nous ne déshomosexualisons pas”

De nombreux militants ont été surpris par l'absence de réaction de la municipalité à l'adoption de ces mesures réglementaires à Cuenca, alors même que l'emprisonnement forcé des deux femmes lesbiennes mentionnées précédemment a été révélé. Une des femmes a été admise dans un centre de désintoxication appelé Mujer de Valor (Femme de Courage). Lorsque nous avons parlé avec Marcelo Campuzano, le directeur et propriétaire, il a admis que l'une des jeunes lesbiennes était en effet dans l'établissement, mais il a soutenu que son admission était due à des problèmes d'alcool. “Nous ne déshomosexualisons pas les gens, parce que ce n'est pas notre travail.”

Cependant, le seul document lié à l'affaire qui était disponible pour examen était l'unique exemplaire de la décision de la Direction provinciale de la santé de Cuenca, qui stipule qu'une des femmes avait des problèmes d'alcool et qu'elle avait été emmenée à la clinique. Pourtant la femme n'a jamais signé le formulaire de consentement, poursuit le document ; ceci est contraire à ce que le centre Mujer de Valor avait attesté. Malgré cela, le bureau provincial a libéré le centre de toute responsabilité et lui a seulement ordonné de se conformer aux exigences énoncées dans le règlement.

Lorsqu'on pose des questions sur les cas de déshomosexualisation dans d'autres centres de traitement de la toxicomanie, les réponses des administrateurs sont les mêmes : nous ne déshomosexualisons pas. Certains affirment, catégoriquement, que les admissions qui ont eu lieu étaient toujours dues à la dépendance de la drogue, et que les cas ont été dûment démontrés devant les autorités judiciaires.

Jorge Betancourt de l'organisation Verde Equilibrante, à Cuenca, a déclaré qu'il ne faut pas oublier que la première agression a lieu à la maison :

Muchas veces, en los grupos focales nos han comentado, [que] llegan a consumir el alcohol u otras sustancias porque es un medio que les ahonda sus penas, o la angustia de que en la casa los están martirizando, burlándose o muchas veces, hasta pegándoles. Luego las familias los internan por el uso de alcohol y drogas.

Plusieurs fois, on nous a dit dans les groupes de discussion qu'ils finissaient par consommer de l'alcool ou d'autres substances pour noyer leurs peines, ou leur angoisse d'être martyrisés, ridiculisés et souvent battus à la maison. Ensuite, les familles les font admettre pour avoir consommé de l'alcool et de la drogue.

Annie Wilkinson, l'auteur de “Sin sanidad, no hay santidad” (Sans santé mentale, il n'y a pas de sainteté), un livre qui traite des thérapies de changement d'identité sexuelle forcée en Equateur, a identifié un modèle de ceux qui gèrent les cliniques :

El director de un centro salió desde otro centro. Luego una persona sale de ese segundo centro y abre otro, y de allí sigue igual, creando una cadena o red informal de centros. Algunos están vinculados a personas en el gobierno y muchos tienen relaciones con iglesias cercanas que les ayudan en su trabajo.

Le directeur de l'une de ces cliniques vient d'une autre clinique. Puis une autre personne de cette deuxième clinique part et en ouvre une autre. Cela continue, créant une chaîne ou un réseau informel de cliniques. Certains sont liés à des gens au gouvernement et beaucoup ont des relations avec les églises voisines qui les aident dans leur travail.

“Nous devons décriminaliser l'homosexualité dans les esprits et les cœurs”

Ce ne sont pas seulement les centres de toxicomanie qui offrent ces types de “thérapies”. Les églises font aussi un tel travail sous le nom “d'aide spirituelle”.

La zone grise entre l'expression de la foi, la thérapie psychologique et le changement forcé de l'identité sexuelle produit des réactions variables. Patricio Aguirre, qui a été interviewé alors qu'il était responsable de la Direction nationale des droits de l'homme, du genre et de l'inclusion du ministère de la Santé publique, a assuré que les églises ne devraient pas offrir de tels “traitements”.

Quant à Patricio Benalcázar du Département de la protection des droits des citoyens, il a exploré les limites d'un autre point de vue :

Si las personas libremente consienten en ir a un culto y a un tipo de apoyo espiritual con el ejercicio de su autonomía qué puede hacer usted, qué puedo hacer yo […] otra cosa es si es que hay manipulación, si es que hay abuso y hay algún atentado a tu integridad psíquica, física o moral, donde por supuesto el eje de los derechos humanos tiene que participar.

Si les gens acceptent librement d'aller à un culte ou un type de soutien spirituel, en exerçant leur propre autonomie, que pouvez-vous faire? Que puis-je faire? […] S'il y a manipulation, c'est autre chose. S'il y a une atteinte à votre intégrité mentale, physique ou morale, alors, bien sûr, un représentant [défenseur] des droits de l'homme doit être présent.

Lorsqu'on lui a demandé s'il connaissait des églises impliquées dans des pratiques illégales, il a répondu que non.

Cependant, ceux et celles qui ont été victimes de maltraitance par ces institutions religieuses connaissent très bien la réalité de tout cela. Dans plusieurs de ces cas, les victimes sont enlevées par leurs propres proches avec l'aide d'agents travaillant pour les cliniques, qui les emmènent de force ou sous de faux prétextes. La même méthode est utilisée lorsque les cliniques en question sont des centres de désintoxication. Ceux qui sont confinés de force parviennent à quitter cette réclusion avec l'aide d'autres parents, amis ou partenaires. Néanmoins, après avoir déposé plainte auprès des instances judiciaires, les affaires sont rarement suivis d'actes.

Gabriela Alvear, qui a participé à certaines des inspections qui ont eu lieu dans des centres soupçonnés d'effectuer des “thérapies” de réorientation sexuelle, a conclu :

Vamos a cumplir 20 años de la despenalización de la homosexualidad, pero se requiere despenalizar la homosexualidad de la mente y del corazón de la gente y la sociedad y, adicionalmente, de que el Estado de manera progresiva deje de mirar a la comunidad GLBTI como una minoría y como ciudadanos y ciudadanas de segunda clase.

Nous sommes sur le point de célébrer les 20 ans de décriminalisation de l'homosexualité, mais nous devons décriminaliser l'homosexualité dans les esprits, dans le cœur et dans la société et, en outre, progressivement, l'État doit cesser de considérer la communauté LGBTI comme une minorité et des citoyens de seconde classe.

Pour des descriptions détaillées des cas et plus de témoignages concernant les mauvais traitements subis par les victimes de ces cliniques, lire l’article complet sur Connectas [en espagnol].