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Faut-il dire adieu à la biodiversité du plus vieux lac d'Europe ?

dimanche 25 octobre 2015 à 13:30

galicica

Dans le parc national de Galitchitsa [fr] de Macédoine, un nouveau projet visant à construire un centre de ski ainsi qu'une route menace l'existence de plus d'une centaine d'espèces rares et endémiques, mettant en danger l'écosystème du plus vieux lac d'Europe.

Fin août, le gouvernement macédonien a annoncé un plan d'urbanisme d'une durée de dix ans pour le lac Ohrid [fr] et le parc national de Galitchitsa, au grand désarroi de la communauté scientifique internationale et de nombreux citoyens macédoniens. Les travaux devraient commencer au milieu du parc national de Galitchitsa, qui fait partie de la réserve de biosphère transfrontalière Ohrid-Prespa — l'une des 15 dernières de ce type au monde. Le parc national d'exception est également inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO [fr].

Galitchitsa abrite plus de 5330 espèces différentes de plantes et d'animaux, dont 114 sont endémiques et n'existent nulle part ailleurs dans le monde. Plus de 1500 espèces de papillons et autres lépidoptères vivent dans les prairies de Galitchitsa, dont le papillon Apollon (Parnassius Apollo), menacé d'extinction. Un autre habitant fascinant de Galitchitsa est la petite fleur Crocus cvijicii qui, de même que l'Apollon, figure sur la liste des espèces vulnérables de l'IUCN (l'Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles).

La décision récente du gouvernement macédonien de construire un centre de ski, une autoroute et trois zones de développement touristique au sein de la réserve de biosphère a provoqué une onde de choc chez les écologistes locaux et des citoyens macédoniens, dont certains ont décidé de contester la décision dans les médias et en lançant des pétitions contre le plan d'urbanisme.

Lors de la dernière audience tenue dans le cadre de l’évaluation environnementale stratégique du plan de gestion pour le parc national de Galitchitsa, l'un des auteurs de l'évaluation, Elizabeth Van Zyl, a expliqué que certaines zones nécessitaient d'être reclassées. Van Zyl a proposé que le site soit exclu de la Zone de gestion active (ZAM en anglais) et transféré vers la Zone d'usage durable (ZSU) pour y permettre le développement des infrastructures du projet. C'est au total environ 604 hectares de la ZAM qui devraient passer en ZSU.

Malgré ces suggestions, Van Zyl a aussi souligné que de tels reclassements devraient être évités autant que possible:

Downgrading the zoning is the last resort and should be avoided where and when possible.

Revoir à la baisse le zonage est le dernier recours et devrait être évité quand et où c'est possible.

Pour compenser la perte de biodiversité d'une grande richesse, des mesures de compensation seront appliquées et des zones du parc qui pourraient être affectées par les projets de développement prévus seront remplacées par d'autres zones avec les mêmes espèces, trouvées partout ailleurs dans le pays.

re-zoniranje galicica

“The problem with this plan is that climate change will completely change the landscape, and in a year we might see beech growing where there is now oak. Which makes this plan completely useless,” said Mr.Lazo Naumoski, a local ecologist.

«Le problème avec ce plan est que le changement climatique va entièrement modifier le paysage, et dans un an nous verrons peut-être des hêtres pousser là où il y a aujourd'hui des chênes. Ce qui rend ce projet complètement inutile», observe M. Lazo Naumoski, un écologiste local.

Cela semble n'être qu'une des nombreuses problématiques concernant le site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO en question, et la Macédoine pourrait se retrouver avec une catastrophe écologique de grande ampleur sur les bras en raison du lien étroit entre le lac Prespa [fr], les monts Galitchitsa et le lac Ohrid. D'après une étude menée récemment par des scientifiques de l'Université de Cologne, le lac Ohrid a plus de 1,2 millions d'années, ce qui en fait le plus vieux lac d'Europe.

“The water in Lake Ohrid comes from 40 springs, 17 in Macedonia and the rest are on the Albanian side. Most of those springs are very high in nutrients and have an unstable PH value, but the springs coming from Galichica are full of calcium which balances things out. There is an underground connection between Lake Prespa and Lake Ohrid as Galichica Mountain is limestone, allowing the water to flow from Lake Prespa and towards Lake Ohrid. You’d be endangering two out of three natural lakes in Macedonia,” said Mr. Lazo Naumoski.

«L'eau du lac Ohrid provient de plus de 40 sources, 17 en Macédoine et le reste du côté albanais. La plupart de ces sources sont très riches en nutriments et possèdent une teneur en PH instable, mais les sources qui viennent de Galitchitsa sont riches en calcium ce qui rééquilibre les choses. Il existe une communication souterraine entre le lac Prespa et le lac Ohrid car les monts Galitchitsa sont calcaires, ce qui permet à l'eau de couler du lac Prespa vers le lac Ohrid. Vous allez mettre en danger deux des trois lacs naturels de Macédoine», affirme M. Lazo Naumoski.

Trois zones de développement touristique sont également prévues sur les rives du lac Ohrid. Des complexes hôteliers, des aménagements de luxe et des plages artificielles remplaceront la ceinture de roseaux protégée qui fait aujourd'hui office de filtre et fournit des nutriments au lac et à ses habitants.

“Destroying the shorelines and the reed belts due to construction work, increased infrastructure, and a rise in the amount of tourism will lead to elevated nutrient input to the lake, which may, in turn, cause destruction to large parts of the habitats of Lake Ohrid’s unique fauna,” explained Dr. Bernd Wagner from the Institute of Geology and Mineralogy, University of Cologne.

Comme l'explique le Dr Bernd Wagner de l'Institut de géologie et minéralogie de l'Université de Cologne, «la destruction du littoral et des ceintures de roselières en raison des travaux de construction, de l'augmentation des infrastructures et de la hausse du nombre de touristes va générer un apport en nutriments élevé dans le lac, ce qui, à son tour, pourrait entraîner la destruction de surfaces importantes de l'habitat de la faune exceptionnelle du lac Ohrid

Pour sensibiliser sur la faune et la flore que ces projets mettent en danger, l'initiative citoyenne du nom de Ohrid SOS a publié une déclaration et lancé une pétition internationale. La déclaration a déjà été signée par 250 experts internationaux, ainsi que par des touristes qui ont visité la Macédoine et des scientifiques du monde entier qui se sont manifestés pour attester de l'importance du lac Ohrid.

Etant donné les antécédents de la Macédoine en matière d'urbanisation à ce jour, et sachant que la capitale Skopje [fr] est maintenant la ville la plus polluée d'Europe en raison de la multiplication des projets de construction [fr] depuis 2012, ce trésor national pourrait être sérieusement menacé et le pays risque de perdre beaucoup plus à Ohrid que sa seule inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Pourquoi l'Espagne célèbre-t-elle sa “fête nationale” le 12 octobre, jour de la “découverte” de l'Amérique ?

dimanche 25 octobre 2015 à 12:12
En Argentina, el 12 de octubre es oficialmente el "Día de la Diversidad Cultural". Imagen usada bajo Licencia CC.


En Argentine, le 12 octobre est officiellement « Jour de la diversité culturelle ». Image utilisée sous licence CC.

Lorsque l'on demande aux Espagnols d'où ils sont, rares sont ceux qui déclarent être « espagnol » ou « espagnole ». Et quand ils disent qu'ils viennent d'Espagne, cela s'accompagne automatiquement de leur région d'origine : « andalou, manchega, valencien, catalan, canarien, asturien ».

Cela surprend beaucoup de Latino-américains. La fierté nationale qui existe dans de nombreux pays d'Amérique latine n'est pas très répandue en Espagne. Selon les données de l'enquête « Défense Nationale et Forces Armées » réalisée en 2013 par le Centre de recherches sociologiques (CIS), un Espagnol sur cinq est peu ou pas du tout satisfait de son identité nationale. Cette absence de sentiment patriotique national s'est même accrue : de 12 pour cent en 2005 à 22 pour cent en 2013, soit presque le double.

L'Espagne ne s'est pas libérée d'une « mère patrie » ou d'un royaume pour devenir le pays que nous connaissons aujourd'hui. Et l'invasion des Français et la « guerre d'indépendance » (1808-1814) qui s'en est suivie ne font pas partie de l'imaginaire actuel des Espagnols. En outre, ce patriotisme national et le recours à ses symboles fut un outil du franquisme – dont le slogan fasciste était: « Une, grande et libre ! ». La dictature de Francisco Franco [lien en français] prohibait l'utilisation de langues autres que le castillan, langues qui sont aujourd'hui pour certaines co-officielles : le catalan, le galicien, l'euskera [basque] et le valencien.

Dans quelle mesure le national-catholicisme franquiste a -t-il été remplacé par un patriotisme démocratique espagnol ? Le livre de Jordi Muñoz Mendoza « La construction politique de l'identité espagnole. Du national-catholicisme au patriotisme démocratique ? » [en espagnol] offre des pistes pour appréhender les fondements sociaux et idéologiques de l'identité espagnole actuelle.

Alors, pourquoi célèbre-t-on le 12 octobre en Espagne ?

Le nom de la fête du 12 octobre a lui-même connu des changements « euphémiques » au cours de l'histoire. En 1913, l'ex-ministre alors président de l'Union ibéro-américaine Faustino Rodríguez inventa le « Jour de la race » (12 octobre) « afin d'unir les Latino-américains et les Espagnols. » En 1931, l'écrivain Ramiro de Maeztu, dont la famille faisait des affaires à Cuba, demanda qu'on le nomme « Jour de l'hispanité. » Cependant, cette idée ne devint effective qu'à travers un décret de 1958, en plein régime franquiste.

En raison des conséquences et des connotations négatives du débarquement des conquistadores espagnols sur le continent américain, le gouvernement démocratique de Felipe González remplaça en 1987 le nom de « Jour de l'hispanité » par celui de « Jour de la fête nationale. »

Nous, les hispanophones, apprenons que c'est ce jour-là que Christophe Colomb est arrivé sur l'île des Bahamas et a « découvert » l'Amérique. De nombreux manuels scolaires d'histoire racontent encore le voyage de cet Italien vers le « Nouveau Monde » financé par ce qui était alors le Royaume d'Espagne.

Mais revenons en 2015, le gouvernement a cette année appelé le 12 octobre « le jour de tous » via une campagne du ministère de la Défense.

Sans nul doute, une allusion claire à la nécessité d'inclure ceux qui ne se sentent pas intégrés dans le concept d'Espagne, juste après les résultats des dernières élections en Catalogne où les indépendantistes ont remporté la majorité des sièges du parlement catalan.

Ce jour de célébration donne lieu à un défilé militaire critiqué qui coûte à l’État 800.000 euros. Les protagonistes en sont les nouveaux rois d'Espagne et les institutions politiques.

Une collègue vénézuélienne m'a demandé pourquoi un pays choisit dans ce cas de célébrer sa « fête nationale » le jour de la «découverte » de l'Amérique.

La Casa Real d'Espagne le justifie ainsi :

La conmemoración de la Fiesta Nacional tiene como finalidad recordar solemnemente momentos de la historia colectiva que forman parte del patrimonio histórico, cultural y social común, asumido como tal por la gran mayoría de los ciudadanos. Según recoge la Ley 18/1987, de 7 de octubre, que establece el día de la Fiesta Nacional de España en el 12 de octubre, simboliza la efeméride histórica en la que España, a punto de concluir un proceso de construcción del Estado a partir de nuestra pluralidad cultural y política, y la integración de los Reinos de España en una misma Monarquía, inicia un período de proyección lingüística y cultural más allá de los límites europeos.

La commémoration de la Fête Nationale a comme finalité de rappeler solennellement des moments de l'histoire collective qui font partie du patrimoine historique, culturel et social commun, assumé comme tel par l'immense majorité des citoyens. Selon la loi 18/1987, du 7 octobre, qui établit le jour de la Fête Nationale d'Espagne le 12 octobre, [celui-ci] symbolise la date historique qui a vu l'Espagne, sur le point de conclure un processus de construction de l’État à partir de notre pluralité culturelle et politique, et l'intégration des Rois d'Espagne dans une même Monarchie, entamer une période de projection linguistique et culturelle au-delà des frontières européennes.

Cependant, en marge des réceptions diplomatiques et institutionnelles protocolaires, il n'y a rien ou presque de cette « rencontre avec l'Amérique » dans les activités citoyennes de ce jour férié.

Si nous voulons considérer cette journée dans son aspect le plus optimiste, de «projection linguistique et culturelle» en-dehors de l'Europe, pourquoi personne ne fait-il en sorte que ce jour soit utilisé pour réaliser des activités qui illustrent l'échange réel entre les 350 millions de citoyens qui partagent cette langue ?

Sur les réseaux sociaux, la polarisation est évidente. Le hashtag #eldiadetodos [le jour de tous] s'est opposé à celui de #nadaquecelebrar [rien à fêter]. 52,8 pour cent des 2477 Espagnols interrogés en 2010 par le CIS associaient le mot « patriotisme » avec le fait « d'être de droite ». Et, comme cela se produit dans des pays qui, à l'image de l'Allemagne, ont connu le fascisme, brandir le drapeau, ou l'avoir sur ses vêtements, son porte-clé et sa voiture continue d'être associé à une tendance nationaliste de droite. Seule la sélection espagnole de football et son triomphe lors d'un Mondial et d'un récent Championnat d'Europe de football est parvenue en faire en sorte que de nombreux Espagnols se décident à afficher temporairement le drapeau.

La maire de Barcelone, Ada Colau, et celui de de Cádiz, José María González, n'ont laissé aucun doute sur leur position:

Honte à cet État qui célèbre un génocide, et par-dessus le marché avec un défilé militaire qui coûte 800.000 € !

Nous n'avons jamais découvert l'Amérique, nous avons massacré et soumis un continent et ses cultures au nom de Dieu. Rien à fêter.

« Je crois en l'Amérique latine et dans les Latino-américains. Le Jour de l'hispanité, les hispaniques d'Europe, unis, soulignons ce que nous sommes et ce que nous devons à ceux d'Amérique. Le moment est venu de les en remercier », a déclaré le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, dans un article à El País. Un signal envoyé aux électeurs latino en pleine campagne pour les élections générales du 20 décembre prochain ?

Le côté obscur de l'hydroélectricité au Bhoutan

samedi 24 octobre 2015 à 10:06
Mountains, rivers and bridges in Bhutan. Image from Flickr by Ryanne Lai. CC BY-NC 2.0

Montagnes, rivières et ponts au Bhoutan. Photographie de Ryanne Lai sur Flickr. CC BY-NC 2.0

Le Bhoutan est un pays enclavé, surchargé de hautes montagnes quadrillées par un réseau de rivières rapides. Toute cette eau est idéale pour générer de l'électricité : le potentiel hydroélectrique du pays est estimé à presque 24,000 MW, bien que seulement six pour cent en soient produits par les cinq centrales hydroélectriques du pays.

Près de soixante-quinze pour cent de l'électricité générée au Bhoutan est exportée vers son voisin indien, avide d'énergie. Pourtant, à peine soixante-six pour cent des foyers bhoutanais et trente-neuf pour cent de ses villages sont électrifiés. Ces dernières années, les revenus de l'électricité ont fourni presque quarante pour cent du revenu total du gouvernement et ont constitué vingt-cinq pour cent de son PIB. Vingt-cinq pour cent supplémentaires sont basés sur la construction d'infrastructure hydroélectrique. Le Bhoutan vise à augmenter sa capacité à 10,000 MW à l'horizon 2020.

D'après la Banque mondiale, les projets hydroélectriques du Bhoutan profitent d'une réputation d'être pour ainsi dire sans risque. Le gouvernement bhoutanais a opté pour des investissements rapides dans l'hydroélectricité via des emprunts lourds et qui n'ont suscité que peu d'inquiétude jusqu'à récemment. En 2007, le Bhoutan a pu se vanter d'être la seconde économie à croître le plus rapidement au monde avec un taux de croissance annuel de 22,4%, en grande partie grâce à la mise en service de la gigantesque centrale hydroélectrique Tala, la plus importante en opération dans le pays.

En avril dernier, International Rivers a publié un rapport sur l'état des centrales hydroélectriques du Bhoutan, en montrant cinq en opération, six encore en construction et cinq nouvelles propositions de projets. Combinés, ces projets sont responsables d'un montant significatif de la dette extérieure de l'économie bhoutanaise, qui est l'une des plus petites au monde. En 2015, la dette a aussi dépassé la taille de son économie entière de douze pour cent.

Yeshey Dorji, photographe et blogueur, écrit :

Un rapport intitulé “Le Nouveau piège de la dette“, publié par l'entreprise anglaise Jubilee Debt Campaign, classe le Bhoutan parmi les pays “à haut risque de crise de la dette du gouvernement”. Le rapport liste le Bhoutan parmi quatorze autres pays qui se dirigent rapidement vers une crise de la dette.

Dans une série de billets intitulée “le côté obscur de nos centrales hydroélectriques”, dans laquelle il discute des problèmes liés aux projets hydroélectriques du Bhoutan, Dorji écrit :

Aujourd'hui, la bulle de l'hydroélectricité a éclaté, nos rêves sont anéantis et nos espoirs frustrés. Nous nous retrouvons coincés sous des emprunts énergétiques supérieurs à notre PIB et pourtant, nous osons encore marcher sur les sables mouvants de la dette et du désastre avec aplomb et  bravoure !

Nos dirigeants semblent trouver du réconfort dans ces deux mots magiques qu'ils continuent de nous lancer : “coût majoré” et “auto-amortissement”. Ils doivent vraiment nous prendre pour des idiots, ou alors ils n'ont aucune idée des mathématiques qui se cachent derrière ces mots accrocheurs.

Le blogueur Wangcha Sangey pense que le Bhoutan ne devrait pas se préoccuper du futur marché de l'électricité dans la région. Il dit que le vrai problème réside dans le coût élevé de l'infrastructure et de la production, qui menace d'augmenter la dette nationale encore plus :

Ce qui est dangereusement inquiétant, c'est l'énorme escalade dans les coûts de construction et le temps qu'il faut pour terminer les projets en cours. On dirait que les coûts et la durée vont tous les deux doubler. Les coûts pourraient même tripler. Quand ces projets seront terminés, les dix pour cent d'intérêts sur les soixante-dix pour cent du capital emprunté auront explosé de telle sorte que même une fois que toutes les centrales fonctionneront normalement, le Bhoutan sera obligé d'emprunter de l'argent à différentes sources pour réussir à payer ses traites.

Le Bhoutan a été félicité à l'international pour son rôle dans la protection de l'environnement, mais ces derniers temps cette réputation a été remise en question. D'épais nuages de poussière recouvrent plusieurs villes bhoutanaises à cause de la construction lourde sur plusieurs projets hydroélectriques. La plupart des emplois créés par l'hydroélectricité sont dans la construction, qui n'attire généralement pas les jeunes Bhoutanais malgré un taux de chomâge des jeunes élevé. A travers tout le pays, le bord des routes abrite des bidonvilles pour les milliers de travailleurs migrants.

Yeshey Dorji dit que d'autres dangers de l'hydroélectricité sont souvent ignorés :

La plupart de nos rivières, foisonnantes de vie, sont emprisonnées dans des barrages qui déplacent humains et animaux ainsi que des formes de vie aquatiques rares et même inconnues.

Certains barrages planifiés et en construction sont destinés à créer d'énormes retenues d'eau qui modifieront les conditions météorologiques et causeront des tremblements de terre, parce qu'ils sont situés dans des zônes sismiquement actives.

Il y a un danger clair et présent qu'un désastre environnemental se produise à un moment.

Des conditions d'exécution défavorables et inéquitables des projets ont causé la faillite de nombreuses entreprises bhoutanaises. Même la vente de légumes a été usurpée par les sous-traitants indiens, ce qui prive les Bhoutanais de monter leurs petites entreprises.

Des centaines d'enfants nés hors mariage de mères bhoutanaises mais de pères indiens, ouvriers sur les centrales, vagabondent dans les rues, sans inscription a l'état civil et sans droit à l'éducation. Comme nos lois sexistes ne reconnaissent pas les mères bhoutanaises comme des citoyennes dignes de ce nom, leurs enfants ne sont pas reconnus comme des citoyens naturels du Bhoutan.

Dorji argumente que le Bhoutan a besoin d'au moins une rivière libre de tout barrage pour servir de réserve pour les diverses espèces aquatiques connues et inconnues du pays. Il a également lancé une pétition pour interdire la centrale sur la rivière Chamkar Chhu.

Dorji remet également en question la hâte du gouvernement à démarrer de nouveaux projets, alors que ceux qui ne sont pas encore terminés traînent :

Malgré les pertes d'argent et d'occasions monumentales, le gouvernement est toujours pressé de commencer davantage de projets. Pourquoi ne peut-on pas attendre que ceux qui sont en chantier soient terminés et mis en service ?

A International Rivers, Shripad Dharmadhikary adresse lui aussi un avertissement et recommande une pause dans les travaux pour évaluer l'impact environnemental du développement rapide de l'hydroélectricité au Bhoutan :

Bien que l'hydroélectricité restera une composante important de son économie, le Bhoutan devrait réfléchir à l'utilité de poursuivre un développement aussi agressif pour gagner de l'argent mais au coût aussi élevé pour son écologie et sa population. Cette situation soulève des inquiétudes quant à la dépendance excessive d'une seule source de revenus, la création d'emplois en nombre suffisant et le simple fait qu'elle ne règle pas les pénuries hivernales. Le Bhoutan devrait s'arrêter pour le moment et décider s'il serait plus judicieux d'explorer d'autres options de génération de revenus, de création d'emplois et de développement général qui permettront de préserver son riche patrimoine écologique.

Les deux faces d'une réalité : Un été dans l'île grecque de Chios

jeudi 22 octobre 2015 à 10:43
A family of refugees sits on the ground in Piraeus Harbour, watching out towards the sea, waiting for the bus to bring them to the metro station. Photo by Michael Debets Copyright Demotix (28/9/2015).

Une famille de réfugiés assise par terre dans le port du Pirée, regarde la mer en attendant le bus qui les emmènera à la station de métro. Photo Michael Debets Copyright Demotix (28/9/2015).

par Artemis Touli 

L'été a été dur—non, on ne commencera pas avec l'habituel “Allez, on n'est qu'en septembre….” L'été est fini, voici l'automne. Et cet été finissant a apporté une leçon qui va perdurer en automne, en hiver et longtemps après, aussi longtemps que persistera la détresse à l'intérieur et à l'extérieur de notre pays.

Au milieu du monde de crise, polarisation, dénuement et rancœur qu'est la Grèce, nous avons eu ici à Chios une saison touristique qui n'a pas été en crise du tout, j'en ai été témoin.

Puis sont venues les multitudes de réfugiés. Ou “migrants illégaux” ? Immigrants ? Je les appellerai simplement “personnes pourchassées”, personnes en quête d'espoir. S'est ajouté au besoin de survivre des habitants locaux celui des étrangers. Qui alors n'ont fait qu'un.

Chaque jour dans le port de Chios c'est la même image qui se répète : les patrouilleurs des garde-côtes amènent au rivage les gens qu'ils ont recueillis au cours de la nuit précédente et du petit matin. Même chose avec les barques venant de Psara et Egnousa, deux petites îles voisines de Chios. Tout l'été, les débarquements avaient lieu en journée et début de soirée sur chaque plage faisant face aux côtes turques. Parfois, des bus venaient ensuite prendre les gens et les transférer aux autorités portuaires, où la Croix Rouge était à pied d’œuvre pour les premiers secours et autre aide médicale.

Chaque matin, le port devient un séchoir géant où s'empilent vêtements, chaussures et autres objets personnels, que le coucher du soleil trouvera secs, rangés dans des sacs à dos et prêts pour la prochaine étape du voyage de l'espoir. Chaque jour, les mêmes personnes gardent les côtes par roulement, recueillent les naufragés, les enregistrent, les fournissent en documentation nécessaire et leur permettent de poursuivre leur voyage d'espoir. Chaque jour. Chaque matin. Au port. Autorités portuaires, travailleurs de la Croix Rouge, bénévoles, sauveteurs. Gens ordinaires qui vont au Jardin Public de Chios et donnent tout ce qu'ils peuvent.

Bien sûr, il peut y avoir des dérapages, des débordements et des dégâts. Des gens disparaissent dans la foule, des disputes éclatent, des innocents sont punis quand ils n'y étaient pour rien. Mais n'oublions jamais qu'il y a des personnes en service 24 heures sur 24, chaque jour, qui sauvent des vies. On les voit chaque jour, chaque matin. Rien ne doit empêcher leur travail.

Un jour j'ai croisé un couple syrien qui cherchait un bureau de change. C'était un dimanche. Ils ont demandé quel pays c'était, et quelle était sa devise—ils croyaient avoir débarqué en Italie. De plus, beaucoup de réfugiés arrivant de nuit sur les côtes turques, on leur dit pendant la traversée qu'ils franchissent seulement un grand fleuve. Un des moments les plus touchants que j'aie vécus, c'est quand un réfugié m'a demandé s'il y avait une mosquée sur l'île, parce qu'il voulait prier. J'ai été mal à l'aise de n'avoir eu rien d'autre à lui dire que “Oui, il en existe une, mais vous ne pourrez même pas l'approcher car elle est perpétuellement ‘en travaux’.” Images et expériences abondent et resteront pour toujours dans nos mémoires, parce que ç'a été une saison différente, un été différent des autres, et cela a modifié toutes nos idées et notre vision.

L'été a passé. Nous avons appris à être humains, nous avons appris à organiser nos besoins ; nous avons appris qu'il y a toujours des situations pires que la nôtre, et que rien dans la vie ne doit être considéré comme acquis. Que si nous avons du surplus, il faut le donner à notre voisin, quel qu'il soit, au lieu de le jeter. Nous avons appris à ne rien jeter et à tout réutiliser. Nous avons vu les deux faces de la réalité.

Cet article a été originellement publié en grec sur le portail StasiNews.

Timisoara, le nouveau rendez-vous de l’art contemporain

mercredi 21 octobre 2015 à 18:17
Timisoara art encounters - Photo par Annick Lederle avec sa permission

Timisoara art encounters – Photo par Annick Lederle avec sa permission

*Toutes les photos ont été prises par l'auteur du texte Annick Lederle et republiées avec sa permission.

Depuis deux semaines, Timisoara est métamorphosée en galerie d’art contemporain à ciel ouvert. Du 3 au 31 octobre 2015, la ville accueille la première édition de la Biennale “Timisoara Art Encounters”.

Cette intitiative est un vrai défi dans cette ancienne capitale du Banat, endormie depuis plusieurs décennies dans les souvenirs glorieux de l’Empire austro-hongrois et de ses élites multiculturelles d’alors. Depuis plusieurs années pourtant, les initiatives individuelles se multiplient pour relancer la création et la vie culturelle autour des artistes, écrivains et galeristes de la ville.

Avec le lancement de la première Biennale d’art contemporain, on aurait enfin trouvé le détonnateur, capable d’éveiller l’attention et de mobiliser les énergies. Le pari, disons-le d’emblée, est réussi, aussi bien par la qualité et le niveau des collections exposées, que par la participation des artistes reconnus internationalement ( de Mircea Cantor à Dan Perjovschi, en passant par les maîtres “historiques” du mouvement Sigma) et le déplacement en masse des collectionneurs, galeristes et curateurs. Il faut dire que la ville de Timisoara a su jouer cette fois-ci de ses atouts : son histoire, on l’a dit, mais aussi sa situation géographique idéalement postée au carrefour entre est et ouest, entre moderrnité européenne (Vienne, Berlin, Milan)

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Cette rencontre d’art visuels, dédiée à l’art roumain contemporain d’hier et d’aujourd’hui, est pilotée par un entrepreneur et collectionneur d’art Ovidiu ȘSandor. La manifestation a pris pour thématique “Apparence et essence”, selon la belle formule de Brancusi lui-même. Les deux curateurs Nathalie Hoyos et Rainald Schumacher, recrutés à Berlin et à Vienne, experts de la scène créative de l’Europe de l’Est, se sont livrés à un travail de reconstitution des itinéraires et des emplois du temps des artistes qui ont, souvent dans l’ombre, façonné le paysage intérieur des artistes roumains jusqu’à la production actuelle. On retrouve ainsi de fabuleux trésors de documents, d’archives minuscules, de textes d’enseignement, de témoignages fragiles sur les actions des artistes à Timisoara sous la période communiste. Pas de déclamation dans ces textes et dans ces projets, ils frappent par leur rejet du spectaculaire, leur fausse naïveté, mais surtout par cette ambition de tout connaître, de tout embrasser des savoirs, des sciences, jusqu’aux disciplines les plus éthérées et de les faire converger dans une discipline esthétique qui est un véritable manifeste contre la grandiloquence imposée du réalisme socialiste.

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La Biennale est l’occasion d’ouvrir les lieux et les espaces, galeries et musées, mais aussi des espaces non conventionnels comme la Halle Timco, friche industrielle, ou la CazarmaU ancienne caserne désaffectée depuis plus de 20 ans qui a été ouverte pour l’occasion.

 

Le choix de la thématique s’inspire d’une citation de Constantin Brancuși (Brummer Gallery catalogue, New York, 1926) : “Ce qui est réel, ce n’est pas la forme extérieure, mais l'essence des choses. En partant de cette vérité, personne ne peut exprimer la réalité en imitant la surface extérieure des choses.”. Au delà de la question de l’authentique et de la copie, il faut y lire aussi la recherche des origines, des traces qui se poursuivent et se prolongent jusqu’à nos jours.

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Nous avons déjà mentionné le groupe “Sigma” avait fait bouger les lignes dans les années 1970 en développant une approche expérimentale et interdisciplinaire. Puis, juste après la révolution de 1989, née elle aussi à Timisoara, la ville a été le théâtre d’un festival de performances d’avant-garde, le festival “Zone-Europe de l’Est”, créé et piloté par Ileana Pintilie comme un souffle nouveau après la période de la dictature de Nicolae Ceaucescu.

 

Faire le choix de Timisoara aujourd’hui pour accueillir cette rencontre d’art visuels, c’est certes renouer avec un passé emblématique mais aussi proposer un futur, offrir une autre image de la Roumanie grâce à l’art contemporain.

 

La manifestation “Art Encounters” se décline selon quatre grandes orientations : un programme d’expositions, un programme de résidences pour jeunes artistes et curateurs, un programme de conférences et de débats avec des experts nationaux et internationaux et un programme éducatif.

Ce dernier volet est piloté par l’Institut français de Timisoara. Un kit pédagogique composé de jeux et de cahiers

Tout un dispositif a été mis en oeuvre pour organiser les visites scolaires. Les professeurs réservent leur créneaux de visite par téléphone et par email. Une rubrique du site www.artencounters.ro leurs est dédiée – éducation.Un bataillon de volontaires (lycéens et étudiants) a été formé à la médiation culturelle pour. Un kit pédagogique a été conçu pour animer les activités pendant et après les expositions. Il est composé de dessins issus de l’exposition (une dizaine qui sont distribué de façon alléatoire) et de passeports, conçus comme des cahiers d’activité en fonction de différents niveaux : maternelle, écolé primaire, collège et lycée. Les professeurs enchaînent les visites et les élèves s’éveillent à l’art contemporain. Pour la majorité des participants, petits et grands, c’est la première fois qu’ils découvrent des oeuvres d’art, qu’ils vont dans des galeries et au musée. L’idée est de les senbiliser, de proposer une éducation au regard pour le grand public.

 

“Art Encounters” est en ce sens une vraie plateforme de rencontres pour les artistes, les professionnels et le grand public. Cette manifestation est un laboratoire expérimental : une première en Roumanie en termes de manifestation d’art contemporain de cette ampleur et de cette qualité, de richesse et de diversité de la pallette de l’art contemporain roumain, d’ouverture et d’accès au grand public.

 

“Art encounters” est un tremplin pour positionner Timisoara sur l’échiquier de l’agenda culturel européen. Après deux semaines de fonctionnement, “Art Encounters” a déjà accueilli plus de 12 000 visiteurs. En ce sens, le pari est déjà réussi!