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Nous sommes Global Voices en allemand !

jeudi 13 avril 2017 à 22:39

Qui trouve-t-on derrière les textes et les traductions que vous pouvez lire sur les pages de Global Voices en allemand ? On voit les profils, on peut voir qui a écrit ou traduit tel ou tel article. Mais qui sommes-nous finalement et qu'est-ce qui nous unit à Global Voices ? Dans cette galerie de portraits, nous voulons vous présenter quelques personnes qui travaillent pour Global Voices Deutsch.

Isabelle

Isabelle. Image utilisée avec autorisation.

Isabelle, 27 ans. vit au Royaume-Uni. Traductrice et éditrice pour Global Voices.

Depuis combien de temps fais-tu partie de Global Voices ?

Je traduis depuis début 2015 des articles pour Global Voices et je fais partie de l'équipe en charge des réseaux sociaux. Je suis aussi depuis peu co-rédactrice pour la version allemande.

Te souviens-tu de ta première traduction et, si oui, quel en était le sujet?

Je m'en souviens encore très bien. L'article parlait d'art visuel, d'un projet sur les enfants réfugiés du Myanmar du nom de “Forced to Flee”, publié sous la forme d'un livre en 2015.

Qu'as-tu appris chez GV?

J'ai beaucoup appris et j'apprends, avec chaque article que je traduis, des choses nouvelles. C'est ce que je trouve génial chez Global Voices : on se confronte avec des thèmes et des événements qu'on aurait laissé passer dans d'autres circonstances.

Qu'est-ce qui te plaît chez GV ?

Ce que je préfère, c'est d'aborder des thèmes plus que variés. Même si je me concentre sur les articles dont les thématiques m'intéressent particulièrement, il arrive souvent que l'on relise ou que l'on traduise des articles dont la thématique nous est complètement étrangère. Par ailleurs, c'est gratifiant de faire partie d'une communauté mondiale et pourtant très unie.

Quels sont les défis et/ou attraits de la traduction pour GV ?

Ce qui m'attire surtout – pas seulement chez Global Voices, dans la traduction de manière générale – c'est la possibilité de familiariser les lecteurs à des choses et des thèmes venus du monde entier. On les aide à s'informer sur des événements et à lire des textes qu'ils ne liraient ou ne comprendraient pas forcément. C'est surtout motivant quand il s'agit d'un thème qui nous intéresse tout particulièrement.

Des migrants ayant survécu à la traversée du désert partagent leurs histoires

jeudi 13 avril 2017 à 10:14

Migrants secourus d'un bateau gonflable. Photographie du domaine public, par U.S. Navy.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des sites internet en anglais.

Aware Migrants est une campagne lancée sur les réseaux sociaux qui vise à informer les migrants de quinze pays d'Afrique des dangers encourus en traversant le désert du Sahara, la Libye et la Méditerranée.

Pendant des années, des milliers de migrants et de réfugiés d'Afrique et du Moyen-Orient ont essayé de traverser la Méditerranée en direction de l'Europe pour échapper à la pauvreté et aux persécutions politiques.

Le projet Aware Migrants a été lancé par l’Organisation Internationale des Migrations (OMI), avec le support technique et créatif de l'agence de communication Horace, et a été financé par le service des libertés publiques et de l'immigration du Ministère de l'intérieur italien [it].

Le 10 mars 2017, l'OMI rappelait que 19 567 migrants étaient morts en mer, soit cinquante de plus qu'en 2016. La plupart d'entre eux venaient de Côte d'Ivoire, du Nigéria, de la Guinée, du Sénégal et de Gambie.

Certains migrants ont déclaré à l'OMI que cette route est bien plus dangereuse qu'ils ne l'auraient imaginé :

Many are unaware of the dangers and risks of migrating with the assistance of smugglers, not only at sea or in the desert, but also in transit countries like Libya. Recalling the life-threatening risks along their journey is often very distressing and in many instances, most migrants wish to forget and move forward with their lives and therefore tend not to share their experience with peers who are still back home.

En traversant avec des passeurs, non seulement la mer ou le désert, mais aussi en par des pays de transit comme la Libye, beaucoup d'entre eux ne se rendent pas compte des dangers et des risques encourus. Se souvenir des risques mortels subis sur ces routes est très angoissant et souvent, beaucoup d'entre eux voudraient les oublier pour avancer sans partager ces expériences avec leurs proches qui sont au pays.

La campagne se sert des réseaux sociaux tels que Facebook, YouTube, Instagram et Twitter comme plateformes d'échanges et de témoignages rassemblant images et vidéos de la traversée.

La campagne a déjà produit trente et une vidéos témoins. Ci-dessous, l'histoire de Trika parti de Sebha vers Tripoli :

Paco a partagé le calvaire qu'il a subi pendant son emprisonnement d'un an :

Lamin a perdu ses proches lors de son périple à travers la Libye :

On a dit à Ebrima de se jeter à la mer ou d'aller mourir en Lybie ou en Tunisie :

Blessing dit qu'elle a été violée et battue tous les jours :

Imasuen a vu des hommes mourir de faim dans le désert :

Des scientifiques du monde entier imaginent des solutions pour protéger le patrimoine antique syrien

mercredi 12 avril 2017 à 18:36
Syria: Ancient History - Modern Conflict

Hagar, buste de femme avec inscription en syriaque, 150 après J.-C. (prêt du Mémorial de la Guerre d'Australie). Réplique de l'Arc de Triomphe de Palmyre : image de l'utilisateur Flickr GothPhil (CC BY-NC-ND 2.0)

Après six ans de guerre, difficile de ne pas imaginer un pays totalement en ruine le jour où la paix reviendra en Syrie. La reconstruction après le carnage et la dévastation semble une gageure dépassant l'imagination.

Mais en coulisses, les archéologues et autres scientifiques du monde entier s'activent pour sauver ce qui reste du patrimoine antique du pays.

Le commerce illégal d'antiquités est l'un des nombreux obstacles qui se posent à eux. Beaucoup des groupes impliqués dans la guerre civile syrienne ont fermé les yeux sur ce commerce, quand ils n'y ont pas pris part, notamment l'organisation Etat Islamique (E.I., Daech selon l'acronyme arabe) et le régime Assad. Il semble donc que trouver une solution à cette facette de la crise syrienne ne sera pas chose facile.

Loin de Syrie, une université cherche toutefois à proposer des solutions.

Le Ian Potter Museum of Art de l'Université de Melbourne accueille actuellement une exposition qui traite précisément de ce défi de la protection du patrimoine syrien. Syrie : Histoire ancienne – Conflit moderne (سوريا: التاريخ القديم – الصراع الحديث) “explore trois décennies de travail de terrain mené en Syrie par l'Université de Melbourne dans le contexte de la guerre et de la destruction actuelles”.

Archaeological tools

Instruments d'archéologie. La photographie du haut est publiée avec l'autorisation d'Andrew Jamieson. Les photographies du bas sont celles de l'auteur.

L'exposition inclut, outre de nombreux objets, une collection d'instruments archéologiques et des appareils d'enregistrement, dont certains présentent une importance historique.

Dans une conférence publique du même nom, le Professeur Andrew Jamieson, maître de conférences en archéologie du Proche-Orient à l'Ecole d'Etudes Historiques et Philosophiques, est revenu sur les décennies de travail mené dans la vallée de l'Euphrate sur les sites d'El Qitar, Tell Ahmar, Jebel Khalid et Tell Qumlug.

University of Melbourne Fieldwork - Syria

Travail de terrain de l'Université de Melbourne, Syrie. Photographie de l'exposition prise par l'auteur.

Avant la guerre, Jamieson participait au travail des équipes œuvrant à la préservation des grandes collections qui existaient déjà. En 2010, une collaboration portant le nom de “Projet de recherche archéologique et historique syrien et australien” était mise en place pour établir une base de données au château de Qal'at Najm en Syrie. Jamieson a souligné, dans sa conférence, l'importance vitale de produire des documents en arabe.

View of Qal'at Najm from the south

Vue sud de Qal'at Najm. Photographie de Hovalp via Wikipédia. CC BY-SA 2.0

Il a aussi évoqué le travail de SHIRĪN, un organisme international dont l'objectif est de conserver et de protéger les sites, monuments et musées syriens. Formée en 2014, cette organisation cherche à documenter et à évaluer les dégâts qui lui sont déclarés. Certains chercheurs s'inquiétaient du peu d'efforts fournis malgré l'existence de 140 permis de fouilles étrangers en circulation avant le début du conflit.

Le Professeur Jamieson a souligné qu'il était crucial que les détenteurs de permis restent en activité. Les tâches comme la rémunération des gardiens de ces sites, par exemple, lorsque c'est possible, constituent “une dernière ligne de défense”.

Dans un exposé présenté à TEDxBern en 2016, Cynthia Dunning Thierstein, Mohamad Fakhro et Mohamed Alkhalid ont aussi souligné les efforts faits par SHIRĪN. Ils ont expliqué à quel point ce travail est important pour la dignité et l'identité culturelle des Syriens :

Défis, solutions et controverses

Les défis sont considérables : la destruction délibérée des monuments par l'EI, largement médiatisée ; le pillage généralisé, par différents groupes, à destination du marché mondial ; les dégâts collatéraux causés par l'artillerie et les bombardements du régime Assad ou des rebelles ; ou encore la simple et inéluctable négligence.

Certaines des solutions proposées sont loin de faire l'unanimité et l'archéologie numérique est un sujet central. Par exemple, la réplique de l'Arc de Triomphe de Palmyre érigée à Londres en 2016 a soulevé quelques inquiétudes. D'après le Professeur Jamieson, certains s'interrogent sur le fait que les fouilles pourraient devenir un futur “Disneyland numérique” si des répliques sont construites sur les sites d'origine.

Cette vidéo diffusée par The Guardian aborde certains de ces problèmes. Le personnel ayant travaillé pour les concepteurs de la réplique à l’Institut d'Archéologie Numérique considèrent que :

We should not allow hostile groups of any kind to define the apparent cultural background of a nation, a country, of any kind of site. […] It's not really a matter of whether or not we should copy. It's really a question of how do we copy.

Nous ne pouvons pas permettre à des groupes hostiles de définir l'appartenance culturelle à une nation, à un pays, de quelque site que ce soit. […] La question n'est pas vraiment de savoir si nous devons où non concevoir des répliques. La question est de savoir à quoi doivent ressembler ces répliques.

S'exprimant après l'une des reconquêtes de Palmyre par l'EI, Emma Cunliffe, de l'Université d'Oxford, explore certaines de ces problématiques pour le site d'analyse de l'actualité The Conversation :

But many argue that 3D printing fails to capture the authenticity of the original structures, amounting to little more than the Disneyfication of heritage. They also point out that the fighting is still ongoing: 370,000 Syrians are dead, millions are displaced, and perhaps 50%-70% of the nearby town has been destroyed. Given the pressing humanitarian needs, stabilisation alone should be the priority for now.

Beaucoup considèrent que l'impression en 3D ne reflète pas l'authenticité des structures initiales et que cela revient à une disneyification du patrimoine. Ils soulignent également que les combats se poursuivent : 370 000 Syriens sont morts, des millions ont été déplacés, et sans doute 50 % ou 70 % des villes environnantes ont été détruites. Étant donné les besoins humanitaires pressants, la priorité doit actuellement être donnée à la stabilisation de la situation.

Le rôle et les responsabilités des archéologues faisaient partie des thèmes abordés par le Professeur Jamieson, qui a proposé la mise en place d'une charte éthique afin de faire avancer les choses.

Ceci est d'autant plus important si l'on tient compte des risques encourus par les archéologues syriens. La mort du célèbre archéologue Khaled al-Asaad assassiné par l'EI en 2015 a suscité une énorme tristesse dans la communauté. Al-Asaad a été exécuté parce qu'il aurait refusé de divulguer la localisation des objets déplacés pour être protégés.

Pour terminer, difficile de ne pas être d'accord avec ce qu'Emma Cunliffe conclut sur Palmyre, et qui s'applique au reste de la Syrie :

One thing is clear: while Palmyra may hold great significance to the world, the final decision should belong to those who have lived alongside it, cared for it, managed it, fought for it, and protected it for generations: the Syrian people.

Une chose est sûre : Palmyre est importante pour le monde entier, mais la décision finale devrait appartenir à ceux qui ont vécu à ses côtés, se sont occupés d'elle, l'ont administrée, se sont battus pour elle, et l'ont protégée des générations durant : le peuple syrien.

Joue-la comme Poonam : des adolescentes indiennes défient le patriarcat sur un terrain de football

mercredi 12 avril 2017 à 13:56

Photographie : Pixabay

Cet article a initialement été publié sur Video Volunteers, une organisation internationale primée, centrée sur les médias communautaires et basée en Inde. Une version éditée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Poonam est une adolescente de Varanasi, une grande ville de l'état de l'Uttar Pradesh, dans le nord de l'Inde. Elle croyait fermement que les filles devraient rester chez elles et se marier un jour. « Aujourd'hui, je pense que les filles devraient avoir une liberté complète », affirme-t-elle. Qu'est-ce qui a changé pour Poonam ? En un mot : le sport. Elle a appris à jouer au football avec un groupe de filles de sa communauté.

Rekha Chauhan est la directrice du projet Mahila Swarojgar Samiti (MSS), une organisation qui aide les adolescentes de Varanasi à asseoir leur identité et leur sexualité et à gagner en confiance à travers le football. Elle explique :

When these girls play, they play very freely: they don’t care if anyone is staring at them, their breasts. It’s an expression of complete freedom as if they are flying in the playground!

Quand ces jeunes filles jouent, elles jouent librement : elles ne font pas attention à quiconque pourrait les regarder, à leur poitrine. C'est une expression de complète liberté, comme si elles avaient des ailes sur le terrain de sport !

La discrimination sexuelle systématique implique que les adolescentes font face à de multiples défis. Les jeunes filles sont bien plus nombreuses que les garcons à abandonner leurs études secondaires. Les grossesses et mariages précoces posent de sérieux risques, et elles sont également plus nombreuses à souffrir de malnutrition et d'insuffisance pondérale que les garcons. Plus de la moitié des indiennes entre quinze et dix-neuf ans sont anémiques.

En plus de ces obstacles, les restrictions sociales limitent la mobilité et la liberté des femmes.

Faire du sport est souvent considéré comme une activité masculine, et les femmes qui remettent cette situation en question font souvent face à la pression sociale. Même lorsque leurs familles les soutiennent, les jeunes filles sont souvent négligées par les institutions et doivent abandonner leurs rêves de devenir des athlètes professionnelles. Pourtant, des succès hors du commun, comme celui de la jeune cachemirie Tajamul Islam, médaillée d'or du kickboxing à huit ans (et dont Global Voices a déjà rapporté les exploits sportifs), peuvent être d'une grande inspiration pour les filles.

Le programme de MSS veut faciliter des succès de ce genre en créant un espace où les jeunes filles peuvent faire du sport et encourager d'autres à faire de même.

MSS a ainsi créé vingt-cinq groupes féminins qui se réunissent régulierement pour parler de genre, patriarcat, sexualité et santé reproductive et, bien entendu, pour jouer au football. Chaque groupe compte vingt adolescentes issues de familles économiquement marginalisées de Varanasi.

Neha travaille pour MSS et supervise ce programme. Elle explique comment elle a vu de ses propres yeux le football aider les jeunes filles à prendre confiance en elles.

It energises their whole body and boosts health and also plays a crucial role in shaping their sexuality.

Ca donne de l'énergie à tout leur corps, stimule leur santé et joue aussi un rôle crucial dans le développement de leur sexualité.

Au début, les parents et les jeunes filles elles-mêmes ont questionné la décision d'apprendre le football. Rekha Bharati est l'une de ces adolescentes :

I had never even seen a football before in my life! I want to change my parent’s perspective so that they stop differentiating between sons and daughters.

Je n'avais jamais vu de ballon de football de ma vie ! Je veux changer l'opinion de mes parents pour qu'ils cessent de faire une différence entre les fils et les filles.

Les trois-quarts des adolescentes de ces groupes vont à l'école. Cinq sont déja mariées. Elles viennent toutes de communautés dalit [“intouchables”] ou musulmanes. Certaines expliquent que depuis qu'elles ont rejoint le programme, elles ont pu prendre des mesures concrètes pour changer l'attitude de leurs familles. Plusieurs ont réussi à ne pas se faire marier encore adolescentes : un exploit remarquable dans les communautées pauvres, bien que les mariages de mineurs soient techniquement illégaux en Inde.

Rekha explique comment une activité qui peut sembler aussi anodine que le football peut générer de profonds changements sociaux : « Le football demeure un domaine masculin incontesté. Quand [elles] réussissent dans un domaine soi-disant masculin, leur confiance en elles augmente. Elles voient qu'elles sont capables d'accomplir ce qui était pour elles un tabou, et cela leur donne envie de faire tomber d'autres barrières. »

Effectivement, des études dans le monde entier ont confirmé que le fait de participer à un sport d'équipe est une facon efficace d'augmenter l'estime de soi des adolescentes, en particulier de celles issues de milieux défavorisés. Des groupes comme MSS espèrent pouvoir ouvrir la voie à ces communautés dans tout le pays.

La vidéo de cet article fut produite par Video Volunteers avec le soutien de Vikalp Sangam. Video Volunteers tient à remercier tout particulièrement leur membre Shabanam Begum du village de Cholapur dans le district de Varanasi. Shabanam participe à et donne diverses formations à Sahbhagai Shikshan Kendra. Cet article a été écrit par Madhura Chakraborty.

En Biélorussie, fini le dégel : La nouvelle vague de répression

mardi 11 avril 2017 à 14:24

Manifestation de l'opposition en Biélorussie en 2007. Source : Wikimedia Commons

L'histoire de la contestation en Biélorussie est brève : le Président Alexandre Loukachenko, étiqueté « dernier dictateur d'Europe », réprime impitoyablement toute dissidence depuis son arrivée au pouvoir en 1994. Depuis 2000, de grandes manifestations n'ont eu lieu que deux fois : en 2006 et 2010, lorsque les militants de l'opposition ont protesté contre ce qu'ils ont appelé des élections présidentielles déloyales. Et de fait, les observateurs internationaux avaient signalé de nombreuses irrégularités pendant lesdites élections, remportées par M. Loukachenko à une large majorité.

Si de petites manifestations se produisent régulièrement, avec des activistes portant des drapeaux rouges et blancs et les armoiries de la Pahonie—les « symboles interdits » qui furent les emblèmes officiels de la Biélorussie entre 1991 et 1994—ces rassemblements passent aisément inaperçus, et les militants se font arrêter. En réalité, les autorités appréhendent presque quiconque participe à des manifestations de rues, ce qui suffit à dissuader l'écrasante majorité des Biélorusses. Ceux-ci se sont habitués à subir les duretés de la vie sans mot dire ; chacun comprend que s'exprimer à haute voix peut conduire à perdre son emploi, être banni de l'université ou arrêté.

Il y aura bientôt deux ans de cela, pourtant, la situation a commencé à évoluer imperceptiblement. Après l'annexion de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass, Loukachenko a commencé à s'inquiéter de son propre avenir : comme un grand nombre de Biélorusses sont russophones, nul ne pouvait être certain que la Russie laisserait son voisin en paix.

Des Biélorusses manifestent contre la « taxation des parasites sociaux », la pauvreté et le chômage. Capture d'écran : YouTube

Ces soucis, couplés avec les préoccupations économiques, ont fait monter le ton entre Minsk et Moscou : Loukachenko, qui avait toujours maintenu un équilibre, se mit à flirter de plus près avec l'Occident. Il permit à l'opposition d'obtenir deux sièges au parlement et libéra des prisonniers politiques.

Dans le cadre de cette soudaine libéralisation, les policiers reçurent instruction de ne plus arrêter les manifestants. Même les porteurs de symboles n'étaient plus gardés à vue : on leur imposait une amende et on les renvoyait chez eux. Ce dégel politique a eu un effet visible : les Biélorusses ont commencé à s'apercevoir qu'ils pouvaient exprimer leur mécontentement sans être inquiétés.

Parasites sociaux

Dès 2015, il ne faisait plus de doutes que l'économie biélorusse était en lambeaux. Intimement liée à la Russie, la Biélorussie fut victime de la chute des prix pétroliers pendant l'été 2014. De nombreux Biélorusses, surtout des jeunes hommes, partirent travailler à l'étranger, principalement en Russie. En janvier 2015, plus d'1 million de Biélorusses travaillaient hors de leur pays, selon la Banque Mondiale. Pour mettre ce nombre en perspective, il n'y a que 9,5 millions d'habitants dans toute la Biélorussie, selon les statistiques officielles.

Il déplaît à Loukachenko qu'autant de Biélorusses travaillent à l’étranger, et de ce fait ne paient pas d'impôts tout en continuant à recevoir les avantages de l'Etat-providence. En 2011, il a déclaré que les gens ne doivent pas bénéficier de la gratuité des soins médicaux, de l'enseignement ou des allocations-logement s'ils travaillent à l'étranger. L'idée s'avérant très difficile à mettre en œuvre sous forme de dispositif, les autorités ont imaginé une nouvelle manière d'imposer les travailleurs expatriés : une taxe annuelle de 200 dollars (188€) sur les « parasites sociaux ».

A Minsk, près de 2000 personnes ont participé à la manifestation «Nous ne sommes pas des parasites».

Les Biélorusses qui sont employés moins de 6 mois dans le pays devront payer la prétendue « taxe anti-parasites ». Les individus qui exercent des emplois non qualifiés et mal payés en Russie (principalement des ouvriers du bâtiment) ne sont habituellement pas enregistrés en Russie, et tombent donc dans cette catégorie, tout comme comme ceux qui ont perdu leur travail, ou pour quelque raison ne sont pas employables.

La taxe sur les parasites sociaux a provoqué la fureur de cette catégorie de personnes et les a fait descendre dans les rues exprimer leur mécontentement. Les manifestations ont atteint des villes qui n'avaient pas vu de rassemblements de l'opposition depuis des années. Les autorités ont même autorisé la tenue d'un grand rassemblement à Minsk en février. Les gens ont défilé à travers le centre-ville en criant « le président est le principal parasite » et « Loukachenko va t'en ».

Mais si beaucoup avaient l'espoir que le dégel post-Crimée allait apporter un changement durable, les autorités n'ont pas tardé à revenir à leurs tactiques répressives pour étouffer la contestation.

Fini le dégel

Le 25 mars, l'opposition pro-européenne a célébré le Jour de la Liberté, une fête non-officielle commémorant l'anniversaire de la création de la république populaire de Biélorussie en 1918. L'étendue du mécontentement populaire et la nouvelle taxe anti-parasites ont fait croire à beaucoup que plus de 10.000 personnes pourraient prendre part à la manifestation du Jour de la Liberté de cette année, qui d'ordinaire en attire à peine un millier, en majorité de l'intelligentsia libérale. Et certes, si l'opposition biélorusse avait été en mesure d'amener des milliers de gens dans la rue, elle aurait remporté une importante victoire symbolique.

Mais le pouvoir ne l'a pas permis : les arrestations préventives ont commencé plusieurs jours avant, et nombre de militants et chefs de l'opposition furent emprisonnés pour 15 jours pour avoir participé aux manifestations anti-«parasitisme social ».

Le 20 mars, les médias gouvernementaux ont rapporté qu'un camion identifié chargé de fusils et d'explosifs avait tenté de franchir la frontière entre la Biélorussie et l'Ukraine, bien que les garde-frontières ukrainiens maintiennent qu'un tel camion n'a jamais passé leur frontière, laissant entendre que l'histoire a été inventée pour créer la peur. Le lendemain, Loukachenko annonçait que la police avait attrapé « deux douzaines de combattants armés » entraînés dans des camps en Ukraine et financés par de l'argent transférés à travers la Lituanie et la Pologne. Dans le but, a-t-il dit, de renverser le gouvernement de la Biélorussie—et son président..

Des combattants armés venus d'Ukraine préparaient une provocation en Biélorusie, annonce Loukachenko

Les arrestations ont commencé sitôt après l'allocution de Loukachenko. La police a mis en garde à vue plusieurs dizaines de personnes, dont beaucoup étaient des militants politiques il y a de longues années de cela. Quelques jours plus tard, certains ont été relâchés, et neuf personnes ont été accusées d'incitation au désordre civil.

La police anti-émeutes barre la rue pendant une manifestation de l'opposition à Minsk. Source: Wikimedia Commons

Pendant ce temps, les préparatifs du Jour de la Liberté se poursuivaient, en dépit du fait que la manifestation n'avait pas été autorisée par les autorités, et que ses organisateurs étaient en prison pour avoir organisé d'autres rassemblements. Le 25 mars, la police barra les accès au lieu prévu pour la manifestation, pendant que plusieurs centaines de personnes affluaient près de la place Yakoub Kolas. Les autorités étaient apparemment préparées pour une guerre. La ville regorgeait de véhicules de police et de voitures cellulaires. Même les canons à eau et les engins de franchissement de barricades étaient présents.

La police anti-émeutes a rapidement bloqué les rues où s'étaient amassés les gens, et commencé à arrêter tout le monde, même les personnes âgées, les femmes, et les journalistes (bien qu'on ait pu entendre les ordres sur les radios des policiers disant que les journalistes ne devaient pas être arrêtés). En un quart d'heure la manifestation était terminée, avec au moins 700 personnes en garde à vue.

Et le dégel était terminé aussi. Loukachenko continuera à vouloir cajoler l'Occident car il a besoin d'argent, mais on ignore pour le moment comment les pourvoyeurs supposés réagiront à la récente contestation. Ce dont on ne peut plus douter, c'est que le régime biélorusse n'a pas changé : il fait juste semblant d'être démocratique pour obtenir ce qu'il veut.