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Le Kirghizistan était-il prêt pour les ‘Monologues du Vagin’ ?

dimanche 28 avril 2013 à 16:05

Sauf mention contraire, les liens dirigent vers des pages en russe.

En butte à l’opposition virulente du ministère de la Culture du Kirghizistan, le Bishkek Feminist Collective SQ, un mouvement féministe local, a joué la pièce “Les Monologues du Vagin” [en anglais] dans la capitale kirghize en mars et avril derniers. Cette pièce de la dramaturge féministe américaine Eve Ensler portant sur la sexualité féminine et l'expérience d'être femme, a suscité des réactions mitigées de la part du public de Bishkek.

Politiquement, le Kirghizistan est souvent considéré comme plus progressiste que ses voisins d'Asie centrale. A ce jour, il est le seul pays de la région qui ait eu une femme président [en français] et fut le premier à donner une représentation des “Monologues du Vagin”, en 2009. Cependant, le Kirghizistan est aussi le seul pays de la région où l'enlèvement de mariées [en français] est toujours largement pratiqué et la société kirghize demeure majoritairement conservatrice. Le Kirghizistan fut longtemps membre de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, un pays qui connut un engouement massif pour le leitmotiv “Il n'y a pas de sexe en URSS“, dont l'origine est expliquée par un blogueur [en anglais]. Ainsi, bien que la pièce soit jouée à Bishkek pour la troisième fois, il n'est sans doute pas surprenant que “Les Monologues du Vagin” aient provoqué une polémique.

Représentation des “Monologues du Vagin” à Bishkek en 2013. Source: page Facebook du Bishkek Feminist Collective SQ, photo utilisée avec autorisation.

Une érosion des valeurs morales ?

Début avril, le ministère de la Culture a recommandé aux organisateurs de mettre fin aux représentations à Bichkek de cette “pièce controversée”, faisant référence à l'inquiétude du gouvernement face à certains “épisodes contribuant à l'érosion des valeurs morales et éthiques et aux traditions nationales des peuples du Kirghizistan”.

Le communiqué du Ministère a reçu des échos aussi bien positifs que négatifs dans les médias sociaux.

Bektour Iskender, un journaliste kirghiz, a fait le commentaire suivant via kloop.kg, un plugin de Facebook:

Я, честно говоря, не хочу больше на свои налоги содержать это глупое министерство культуры.

Franchement, je n'ai pas envie que mes impôts soient utilisés pour financer ce stupide ministère de la culture.

Une opinion contraire est exprimée par un autre utilisateur de Facebook, Nazgul Nuranova:

Прошу госорганы полностью запретить эту пьесу!

Je demande aux autorités d'interdire la pièce complètement !

Un titre révélateur ?

VDAY_2013

La pièce a été donnée à Bishkek dans le cadre de la campagne V-Day, une journée internationale pour mettre un terme aux violences envers les femmes et les filles.

Aikanysh Jeenbaeva, co-fondatrice du Bishkek Feminist Collective SQ, a participé à l'organisation des “Monologues du Vagin” au Kirghizistan. Elle soupçonne le Ministère de ne s'être reposé que sur le titre pour tirer des conclusions sur la pièce. “Je crois qu'en fait aucun d'entre eux n'a vu la pièce, et qu'ils ne la jugent que par son titre” a-t-elle dit récemment lors d'une interview [en anglais].

Stuart Kahn, directeur de la Freedom House au Kirghizistan, partage cette analyse [en anglais] :

[A]pparently just the title of The Vagina Monologues announcement, an episodic play about the feminine experience, has evoked negative and threatening response from Kyrgyzstan’s Ministry of Culture… [The monologues] are on topics such as love, violence and anatomy but is primarily about female empowerment and individuality.

Apparemment, rien que le titre des Monologues du Vagin, une pièce à épisodes sur l'expérience féminine, a suscité une réaction négative et menaçante de la part du ministère de la Culture du Kirghizistan…[Les Monologues] traitent de sujets tels que l'amour, la violence et l'anatomie mais concernent principalement l'émancipation et l'individualité des femmes.

Stuart Kahn souligne aussi l'ampleur du phénomène des violences conjugales au Kirghizistan :

Over 85% of households in Kyrgyzstan experience domestic violence and bride kidnapping and rape are increasingly being documented. Until recently, punishment for stealing a cow was greater than for stealing a woman, although prosecution is still more likely just in cases of cows.  Only through an open discussion on problems confronting any society can changes be made.

Plus de 85% des foyers au Kirghizistan sont touchés par les violences conjugales et on recense de plus en plus les enlèvements de mariées ainsi que les viols. Jusqu'à une époque récente, la peine pour le vol d'une vache était plus sévère que pour l'enlèvement d'une femme, même s'il est encore de nos jours plus probable d'être mis en examen dans le cas d'une vache. Ce n'est qu'en débattant ouvertement des problèmes auxquels sont confrontées toutes les sociétés que le changement pourra se produire.

Mais la pièce a été critiquée pour ce que certains considèrent comme un manque de pertinence par rapport à l'expérience des femmes kirghizes. Dans une critique détaillée de la pièce, le blogueur Georgii Mamedov a écrit :

Фактически, зритель, посетивший спектакль, осведомляется о фетишистских представлениях о своем влагалище белых американок среднего класса. Одна из них мечтает, что ее вагина будет носить бриллианты от Тиффани, другой на консультации у семейного психотерапевта рекомендуют брить вагину, чтобы удержать мужа, другая, бывшая успешная адвокатша, становится элитной проституткой, обслуживающей женщин. В своего рода кульминационном монологе – «Вагина в гневе» — героиня возмущается бумажными халатами и холодными инструментами гинекологических кабинетов. Интересно, какой процент кыргызстанских женщин вообще не охвачен гинекологическим медицинским обеспечением?

En assistant à la représentation, le public se rend compte des attitudes fétichistes des femmes américaines blanches de la classe moyenne. L'une d'elles rêve que son vagin porte des diamants Tiffany; une autre, durant une visite chez le psychothérapeute de famille, se voit suggérer de se raser les poils du vagin pour garder son mari; la troisième quitte une bonne carrière d'avocate et devient une prostituée de luxe pour femmes. Dans le monologue qui, à beaucoup d'égards, constitue l'apogée de la pièce – Mon Vagin en Colère -, le personnage en veut aux robes en papier et aux instruments médicaux froids du cabinet du gynécologue. Je me demande quel pourcentage des femmes au Kirghizistan ont accès aux soins gynécologiques pour commencer.

‘L'enfer est pavé de bonnes intentions’

La représentation a aussi été vivement critiquée par Tursunbai Bakir uulu*, un député connu pour son conservatisme. Remettant en cause l'opportunité de mettre en scène cette pièce au Kirghizistan, il a tweeté le 9 avril :

@bakiruulu: [...]Благими намерениями дорога в Ад вымощена!

@bakiruulu: [...] L'enfer est pavé de bonnes intentions.

En réponse au tweet du député, Altynai Amati a écrit le même jour :

@Altynai_Amati: @bakiruulu Вы бы пришли, послушали, а потом говорили про дорогу в ад;)

@Altynai_Amati: @bakiruulu Vous devriez venir voir la pièce, écouter [ce dont il s'agit], et seulement après parler du pavage de l'enfer ;)

Mais le pieux député a décliné l'invitation :

@bakiruulu: @Altynai_Amati Да хранит Аллах всех нас от святотатства и грешных дел! Аамин!

@bakiruulu: @Altynai_Amati: Qu'Allah nous préserve tous du sacrilège et du péché ! Amen!

Un blog satirique hébergé par le groupe de presse local Akipress se moque de ceux qui exigent que la pièce soit interdite :

В [Кыргызстане] хотят запретить показывать еще один раз спектакль «Болтливая вагина». Взамен предлагают крутить дома сколько хочешь ХХХ -видео «Упрямый пенис», которое можно купить в любом ларьке за углом. Хулители спектакля объяснили, что вагина не для того создана, чтобы ею говорить о насилии, а для того, чтобы это насилие в ней осуществлять.

Au Kirghizistan, ils veulent interdire les représentations du “Vagin Bavard”. Au lieu de ça, ils nous conseillent de regarder en boucle “Pénis Têtu”, une vidéo XXX que l'on peut acheter à tous les coins de rue et visionner à la maison. Les critiques de la pièce expliquent que le vagin n'a pas été créé dans le but de parler de la violence ; le but du vagin était de subir les violences qui lui étaient infligées.

L'intégralité des fonds récoltés par les représentations des “Monologues du Vagin” ont été alloués à un centre de crise qui travaille avec des femmes victimes de violences domestiques et sexuelles et leur propose un hébergement d'urgence.


* Les initiatives radicales lancées par Bakir uulu ont donné lieu à plusieurs articles sur Global Voices Online depuis la formation du Parlement actuel en octobre 2012 :

Pas de caméra numérique ? Aucun problème. Créez votre propre vidéo pour les langues en danger

dimanche 28 avril 2013 à 13:46

Grâce à un nouvel outil disponible sur le site internet du projet Langues en danger (Endangered Languages Project, ELP) [anglais/français, en/fr], les défenseurs des langues qui n'ont pas accès une caméra numérique peuvent dès à présent apporter leur propre contribution en ligne pour revitaliser une langue en danger d'extinction. La nouvelle option “Ajouter une vidéo” [en/fr] permet aux utilisateurs de créer leurs propres contributions en enregistrant une vidéo directement depuis une webcam pour la charger et la partager avec la communauté.

addavideoCe projet de l'Alliance pour la Diversité Linguistique cherche à “mettre la technologie au service d'organisations et d'individus qui s'efforcent de contrer le danger d'extinction des langues en les documentant, en les préservant et en les enseignant” [en/fr]. A l'origine lancé par Google, l'ELP est maintenant géré par le Conseil Culturel des Peuples Autochtones [en] et par l'Institut de l'information et de la technologie du langage [en] (The Linguist List) de l'Université Eastern Michigan aux Etats-Unis.

En plus de permettre le chargement d'autres vidéos ou le partage de liens vers des vidéos déjà disponibles sur YouTube, cette option d'enregistrement direct peut être un moyen d'entendre plus de voix de diverses communautés linguistiques. Une fois la vidéo enregistrée, elle peut être chargée, taguée, et partagée avec la communauté grandissante d'ELP. Les créateurs des vidéos peuvent choisir un thème particulier comme la nourriture, l'humour, les salutations ou les chansons, afin de pouvoir regrouper leur contenu avec d'autres [en]. Les thèmes peuvent également encourager la créativité en offrant des suggestions de nouveaux sujets à filmer. Une fois qu'une vidéo est chargée et classée dans une catégorie, elle est disponible sur la page de sa langue respective.

L'ELP est prudent et encourage les utilisateurs à ne charger et ne créer que des vidéos qui respectent la confidentialité des communautés linguistiques. Il demande aussi à avoir l'autorisation de chaque individu filmé. Il existe également une section de consignes relatives aux contenus qui décrit certaines de ces recommandations.Par l'option de signalement, les utilisateurs peuvent indiquer au site un contenu qui ne respecte pas les consignes. Une fois signalé, il peut être examiné par les modérateurs qui peuvent décider de supprimer complètement le contenu inapproprié ou les vidéos qui peuvent être vues par certains comme de nature sacrée ou privée.

Ce nouvel outil est relativement récent, mais l'espoir est qu'il ouvre l'accès à de nouveaux activistes des langues voulant se lancer avec leur propre contribution dans la préservation et la revitalisation de leurs langues natales.

Un juge saoudien interdit aux femmes d'assister au procès d'un réformiste

dimanche 28 avril 2013 à 13:20

Cet article fait partie de notre dossier central en anglais  Procès des réformistes en Arabie Saoudite

À peine dix jours après que la première femme saoudienne ait été habilitée à exercer la profession d’avocat, un juge a interdit aux femmes d'assister au procès public de l’activiste  Abdualkareem al-Khudar, membre fondateur de la plus importante organisation des droits de l’homme du royaume, l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ASDCP).

A cause des restrictions imposées par la loi saoudienne, il est très difficile pour des organisations comme ASDCP de fonctionner. La monarchie ne reconnait  pas des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression ; elle interdit presque toute forme d’association et restreint la liberté de réunion.

Plus de 40 militants et militantes sont venus au tribunal de Buraidah pour assister à la quatrième audience du procès d'Abdualkareem al-Khudar, le 20 avril 2013, la dernière d’une série de représailles judiciaires contre les militants d’ASDCP.  En 2012, des dizaines de défenseurs des droits de l’Homme avaient été emprisonnés en Arabie Saoudite.

Abdualkareem al-Khudar a protesté contre cette mesure et a refusé d’entrer dans la salle d’audience. Alors qu'il se trouvait devant le tribunal, un policier l'a arrêté. Son avocat Abdulaziz Shubaily (@a_abdulaziz300) [arabe] a demandé au président de la Cour pénale de Buraidah pourquoi son client avait été détenu et a tweeté [ar]:

@ a_abdulaziz300 Je suis allé au tribunal et j’ai discuté avec le président de la Cour, Ali al-Omar. Il a dit que le juge Ibrahnim al-Hussni avait émis un ordre de placement en détention de quatre mois.

Le mois dernier, un jugement a été rendu après le procès long de 9 mois de deux autres membres fondateurs de ASDCP,  Mohammad al-Qahtani et Abdullah al-Hamid. Ils ont été condamnés respectivement à dix et onze ans de prison pour “rompre l'allégeance au souverain, et à son successeur” et “tentative d'entraver le progrès du pays”. L’ASDCP a révélé que le gouvernement avait affirmé qu’il renoncerait à l’action en justice si al-Qahtani et al-Hamed acceptaient de mettre fin à leurs revendications mais les deux hommes ont préféré aller en prison plutôt que se taire.

Les femmes avaient été autorisées à assister à ce procès, mais par la suite, le juge a cité un verset coranique pour les en empêcher.  Un membre de ACPRA, Abdullah al-Sied (@ abdulllah1406) a tweeté [ar] :

@ abdulllah1406: Le juge Ibrahim al-Hosni cite le verset du Coran “et demeurez dans vos maisons” pour interdire l'accès des femmes au procès d’ACPRA.

L'Arabie saoudite suit officiellement la charia. Le code pénal du pays ne repose pas sur des lois écrites mais sur des commentaires et des interprétations du Coran et d'autres écrits de la charia, souvent faites de façon arbitraire par des juges qui font partie du clergé et sont nommés par le gouvernement.

Le réformiste Bandar Shammari (@xalshammari) s'est rendu à Buraydah pour assister au procès, mais on ne lui a pas permis d’entrer dans la salle d’audience à cause de son apparence physique. Il a tweeté [ar] :

@ xalshammari: Les gardes de la Cour pénale de Buraydah ne m'ont pas permis d'entrer parce que je n’étais pas “assez saoudien”.

 

L'activiste Waleed Abualkair (@abualkhair) [ar]:

@abualkhair: Le régime politique dit aux étrangers qu'il défend le droit des femmes, mais la racine du problème réside dans cette société…

Lors d'une audience précédente, al-Khudar avait demandé que l'instruction soit confiée à un autre juge, en raison d'un conflit personnel qu'il a eu avec ce juge avant le procès. Mais ce dernier a refusé sa demande en disant que ce conflit n’influencerait aucunement son impartialité.

L'Arabie saoudite est l'une des rares monarchies absolues subsistant dans le monde et dispose d'un bilan accablant en matière des droits de l'Homme; elle détient arbitrairement plus de 30 000 personnes.

 

Cet article fait partie de notre dossier central en anglais  Procès des réformistes en Arabie Saoudite

Tchernobyl : “La plus horrifiante conversation téléphonique du 20ème siècle”

dimanche 28 avril 2013 à 08:56

chernobyl dispatchers

Le 26 avril 2013 marque le 27ème anniversaire du désastre de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Andriy Pryimachenko de peredova.com a créé une transcription vidéo [en russe] de l’enregistrement audio de la conversation que les responsables de l’unité de lutte contre les incendies de l’usine ont eu avec d'autres équipes de sécurité et les fonctionnaires territoriaux, peu après l’explosion. Dans son blog Korrespondent.net, Ivan Mateyko trouve qu'il s'agit [en ukrainien] de  la “plus horrifiante conversation téléphonique du 20ème siècle”.

“Difficile de deviner ce que ces gens pensaient à l'époque, s'ils connaissaient la gravité de la situation ou s’ils envisageaient toutes ses conséquences possibles, mais l'horreur dans leurs voix est évidente.”

 

 

Boston, quelles conséquences pour la cause tchétchène ? L'avis d'une blogueuse sur RuNet

samedi 27 avril 2013 à 23:43

Depuis l'arrestation de Djokhar Tsarnaev, le “2e poseur de bombe présumé”, d'origine tchétchène, du marathon de Boston, il y a eu étonnamment peu d'analyses pertinentes de la part de blogueurs tchétchènes actifs sur l'internet russe. Certes, il en est qui ont abordé le sujet; mais surtout pour faire le lien avec des théories du complot en vogue (certaines citées dans l’article initial de notre série RuNet Echo [GV] ; un examen plus approfondi va suivre).

Un billet récent d'une jeune blogueuse tchétchène n'en est que plus intéressant. Comme beaucoup d'autres, Zulikhan [en russe], “Tchétchène, Itchkérienne [wikipédia], musulmane, épouse et mère” qui tient sur LiveJournal un blog très suivi, souscrit à la théorie que l'attentat de Boston a été monté par Poutine et les services spéciaux russes, entre les mains de qui les frères Tsarnaev n'étaient que des pions. Son premier billet sur l'attentat examinait les motivations possibles d'une telle manoeuvre :

Ну вот, что-то уже прояснилось. Путин и Обама, по инициативе российской стороны, договорились по телефону о координации усилий в борьбе с международным терроризмом. Считаю, что за событиями в Бостоне торчат уши российских спецслужб. По принципу “кому выгодно”. [...] Путину выгодно – чтобы Штаты не мешали России творить на Северном Кавказе все, что угодно, под видом борьбы с терроризмом.

Eh bien, quelque chose est devenu plus clair. Poutine et Obama, à l'initiative des Russes, ont convenu par téléphone d'une coordination de leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme international. Je pense que derrière les événements de Boston on voit pointer le nez des services spéciaux russes. C'est le principe “à qui profite [le crime]. [...] Il profite à Poutine — de sorte que les USA laissent les mains libres à la Russie dans le Nord-Caucase sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Indépendamment de ses suspicions (plutôt bénignes à côté de celles professées par d'autres), Zulikhan donne par la suite une analyse qui vaut qu'on s'y attarde, de ce que l'attentat de Boston signifie pour les Tchétchènes, pour la cause de l'indépendance de la Tchétchénie, et pour le Nord-Caucase en général. Ses opinions doivent être lues à travers le prisme du nationalisme tchétchène. Elle n'aime guère Poutine, et cite comme son héros personnel Djokhar Doudaev, le militaire de l'ex-URSS qui a été à la tête de la revendication indépendantiste de la Tchétchénie au début des années 90, (en l'honneur de qui a probablement été prénommé Djokhar Tsarnaev). (Pour conforter les adeptes de complots, Doudaev [mort en 1996] est né le 15 avril 1944, l'attentat a donc eu lieu le jour de son anniversaire. [Mise à jour : La date réelle de naissance de Doudaev semble sujette à caution. De nombreux médias en ligne russophones (dont la version russe de l'article Wikipédia) indiquent le 15 février, tandis que certaines sources donnent bien le 15 avril, voire le 15 mai (la version tchétchène de l'article Wikipédia). La controverse remonte à un fil de discussion de 2004 du forum Kavkaz Center où le 15 avril était affirmé date de naissance. Mais, l'article Wikipédia en anglais sur Doudaev ayant été corrigé de 15 février à 15 avril postérieurement à l'arrestation de Tsarnaev, on peut douter des motifs de la correction.]

Dzhokhar Dudaev addressing his Chechen troops. YouTube screenshot. April 24, 2013.

Djhokhar Doudaev s'adresse aux troupes tchétchènes. Capture d'écran YouTube. 24 avril 2013.

Ceci dit, voici quelques extraits de son billet le plus récent [en russe]. D'abord, Zulikhan prend soin de remarquer que les répercussions de l'attentat de Boston seront ressenties dans tout le Nord-Caucase, y compris le Daguestan et l'Ingouchie où se concentre actuellement une grande partie du mouvement indépendantiste :

Если бы несчастные Тамерлан и Джохар устроили мозговой штурм именно с этой целью – как сильнее навредить своему народу – вряд ли додумались бы до такого. [...] для Запада все кавказцы, которые что-то такое творят – чеченцы. Бренд работает. Как в том анекдоте про ингушей, которые позавидовали чеченцам, что весь мир их знает, решили переплюнуть их достижения и захватили Кремль. После чего все СМИ сообщили: “Группа чеченских террористов захватила Кремль. Непонятно почему они называют себя ингушами”.

Si les malheureux Tamerlan et Djokhar avaient élaboré leur plan avec précisément ce but — comment nuire au maximum à leur peuple — il est douteux qu'ils seraient arrivés à cela. [...] pour l'Occident tous les Caucasiens qui font quelque chose de mal sont des Tchétchènes. La marque fonctionne. Comme dans la blague des Ingouches [une tradition voisine et rivale de montagnards, similaire aux Tchétchènes], devenus jaloux des Tchétchènes parce que connus dans monde entier, qui ont décidé de surpasser les performances de ceux-ci en s'emparant du Kremlin. Grands titres dans tous les médias : “Une bande de terroristes tchétchènes se sont emparés du Kremlin. On ignore pourquoi ils se disent Ingouches.”

Elle prédit, plutôt ingénieusement, que les jours sont comptés, où l'Occident acceptaient sans hésitation les Tchétchènes comme réfugiés politiques :

Из-за этих двоих чеченцев – всего лишь двоих! – и в Штатах, и в Европе кавказцам перестанут давать убежище. Будут высылать чеченцев прямо в руки Путину и Кадырову – не только каких-нибудь грабителей, но и воинов, т1емлой. Тех, кто будет сидеть тихо-тихо, может, и не вышлют – просто будут мучить и унижать всевозможными проверками.

A cause de ces deux Tchétchènes — il a suffi de deux ! — aux USA comme en Europe on cessera de donner l'asile aux Caucasiens. On expulsera les Tchétchènes pour les remettre directement à Poutine et Kadyrov — pas seulement les cambrioleurs quelconques, mais aussi les guerriers, les “tlemloi”. Ceux qui se tiendront tranquilles ne seront peut-être pas extradés, mais on les tourmentera et on les humiliera avec tous les contrôles possibles.

Elle évoque aussi la difficulté à distinguer un véritable extrémiste de quelqu'un comme elle, qui ne fait que soutenir l'idée d'une Tchétchénie indépendante :

Какие-то американские сенаторы или конгрессмены уже возмущаются, почему ФБР не отреагировала должным образом, получив от российских спецслужб сведения, что Тамерлан Царнаев связан с террористами. Значит, теперь ФСБ сможет про любого беженца, любого эмигранта заявить, что он террорист, и ФБР отреагирует. “Доказательства” долго искать не придется – ведь все мы регулярно посещаем “сепаратистские” сайты и форумы. Значит, все связаны с террористами.

Certains sénateurs ou représentants américains s'indignent déjà que le FBI n'ait pas réagi comme il fallait après avoir reçu des services spéciaux russes les renseignements selon lesquels Tamerlan Tsarnaev avait des liens avec des terroristes. A présent, le FSB peut donc déclarer que n'importe quel réfugié, n'importe quel émigré, est un terroriste, et le FBI réagira. Inutile de chercher longtemps des “preuves”, car nous visitons tous régulièrement les sites et forums “séparatistes”. Nous avons donc tous des liens avec les terroristes.

Elle conclut en prédisant une répression générale contre les organisations tchétchènes en Occident :

Чеченцев в Европе и Штатах начнут преследовать за любую политическую и общественную активность. Станут невозможны мероприятия, подобные этому – когда чеченская молодежь из разных стран собралась в Эстонии под ичкерийским флагом для знакомства и обсуждения политических и культурных проблем.

On commencera à pourchasser les Tchétchènes d'Europe et des USA pour toute sorte d'activité politique et sociale. Deviendront impossibles les manifestations telles que le rassemblement de la jeunesse tchétchène de différents pays en Estonie sous le drapeau itchkérien, pour se rencontrer et discuter de problèmes politiques et sociaux.

Selon Zulikhan, de telles réunions sont importantes si les séparatistes Tchétchènes en exil veulent s'organiser un jour pour gouverner la Tchétchénie quand elle finira par obtenir son indépendance (ce qui pour elle ne fait pas de doute).

Des prédictions dont certaines vont trop loin ? Peut-être. Mais même si on ne partage pas l'analyse dans tous ses détails, une chose est sûre : la vie des émigrés tchétchènes est assurément devenue plus compliquée.