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Réflexions d'un journaliste iranien sur la couverture des attentats du 13 novembre à Paris

mercredi 25 novembre 2015 à 14:38
Arash Azizi reported on Paris' reactions to the November 13, 2015 attacks the day after at the scene of one of the attacks at Bataclan. Image from Manoto report.

Arash Azizi durant son reportage sur les attentats de paris le  14 novembre, 2015 près du Bataclan. . Image from Manoto report.

Arash Azizi  est un journaliste iranien qui a travaillé pour la BBC et travaille actuellement pour la chaine en farsi Manoto, basée en Grande Bretagne. Il a été envoyé à Paris pour couvrir la visite officielle du président iranien Hassan Rouhani. Après l'annulation de la visite du président, suite aux attentats, sa rédaction a demandé à Azizi  de couvrir le ‘jour d'après’. Il livre ici son témoignage sur cette journée très difficile également pour les correspondants étrangers, puis son opinion sur l'ampleur de la couverture médiatique réservée à ces attentats. Nous publions son opinion.

Quand votre envoyé spécial a atterri à Paris, au lendemain du massacre, il avait environ 24 heures pour réaliser un reportage télé. Ou aurai-je du aller ? A qui aurais-je du parler ? Comment maintenir un équilibre entre les histoires personnelles et le contexte  général ? Comment montrer le superbe sentiment de solidarité dans Paris mais montrer aussi l'horrible réalité ? Ce sont les questions que les journalistes doivent toujours se poser, sachant que bien souvent ils n'ont pas les moyens nécessaires pour produire le reportage qu'ils souhaiteraient faire.

Après une journée de tournage lourde, le cameraman et moi même marchions dans les rues de Paris en nous demandant avec inquiétude si nous avions fait du bon travail durant la journée. Nous pensions en avoir terminé, mais soudain, nous avons vu des centaines de personnes paniquées courir pour fuir des coups de feu, nous en étions sûrs (il s'agissait en fait de pétards). Assistions-nous à une reprise des attaques ?
L'instinct de survie pourrait nous avoir dicté de fuir, mais le cameraman a immédiatement commencé à tourner avec sa caméra, pour que nous puissions témoigner de ce qui se passait. Nous ne voulions pas faire du sensationnalisme, mais nous ne pouvions tout simplement pas faire autrement. (….)

(En évoquant ce tournage avec ses amis et contacts, Arash Azizi s'est attiré des réflexions. Dans le passage suivant, il explique sa position sur le déséquilibre de la couverture médiatique des attentats à Paris, et celle des autres tragédies, ailleurs).

“Vous êtes comme tous les autres journalistes des grands médias” m'a écrit une amie de gauche, en colère. Je venais de remarquer que certaines morts “valent’ plus que d'autre (j'avais mis le terme entre guillemets, mais cela n'a rien changé semble-t-il).  Ma première réaction a été celle-ci : la souffrance humaine, la mort, sont des constantes tout autour du monde. Ce qui a fait des attentats de Paris une information couverte dans le monde entier n'était pas le bilan très lourd (autour de 130), mais le fait qu'ils s'étaient déroulés dans une ville du “premier monde’ habituellement considérée comme “sûre’.  Le fait que des explosions et attentats similaires, la vieille, perpetrés par le même groupe terroriste, avaient tué le même nombre de personnes ailleurs, ne changeaient rien à aucune de ces tragédies. Malheureusement, les massacres sont bien plus fréquents à Bagdad et Beyrouth, et par conséquent encore moins “dignes d'intérêt”. Par définition, plus l'événement est inhabituel, plus il attire les médias. Si, par exemple, une année entière s'était écoulée à Baghdad sans aucun attentat terroriste, cela deviendrait “intéressant” pour les médias. Dans les lieux situés en dehors des 15 pour cent du monde où les gens vivent dans des bulles de sécurité, la vie humaine est beaucoup plus facilement à risque. 

Mon amie n'avait-elle pas le droit de se mettre en colère ?

Bien sûr, elle en avait le droit. Notre monde est si inégalitaire, et c'est la conséquence de centaines d'années de colonialisme et d'oppression. Toute joyeuse célébration de la ‘mondialisation’ mise à part, il reste qu'en  2015, notre système global est toujours féodal dans un sens fondamental : le lieu où vous êtes né détermine vos probabilités de réussite (ou votre espérance de vie), plus que presque tous les autres facteurs.

L'espérance de vie dans le plus riche des pays africains, l'Afrique du Sud, est de 59 ans. C'est 20 ans de moins  qu'en Europe ou dans certaines parties de l'Asie. Pour faire une autre comparaison, c'est juste neuf ans de plus que la moyenne mondiale de l'espérance de vie en 1950, et 11 ans de moins que l'actuelle, qui est de 70 ans. Et examiner les chiffres pour les Sud-africains noirs donne une image encore plus nette du monde profondément inégal où nous vivons. Les médias doivent trouver un moyen de rappeler à leurs audiences cette vérité fondamentale.

Mais le point reste que ce ne sont pas les Médias (la majuscule est intentionnelle) qui exécutent de façon malicieuse et miraculeuse une conspiration raciste pour ‘valoriser’ certaines morts plus que d'autres. Les médias de masse ont tendance à refléter les normes existantes, les valeurs et les préjugés d'une société, meme si des médias publics, heureusement, comme la BBC ou CBC du Canada, luttent contre beaucoup de ces préjugés.

La condescendance de certains libéraux, leur opinion que les masses sont transformées en zombies par Les Médias n'est pas réellement vraie. Les ‘forces noires’ comme le racisme et les préjugés ont des racines profondes dans nos sociétés, et différents médias travaillent différement. Certains choisissent de lutter contre ces biais, d'autres les encouragent (pensez à Fox News). Mais la conception orwellienne d'un unique ‘Média de masse’ qui a cours dans nos cerveaux, à la 1984, ne correspond pas vraiment à la réalité des choses. 

Arash interviewed an Iranian-Parisian who explains he almost attended the concert at Bataclan that was attacked. Image from Manoto report.

Arash interviewe un parisien d'origine iranienne qui a assisté au concert au Bataclan. Image  Manoto report.

C'est vrai que l'actionnariat monopolistique des médias est un problème que connaissent la plupart des pays. Dans le monde capitaliste dans lequel nous vivons, la plupart de nos sources sont controlées par une poignée de personnes. Même un média public comme la BBC n'a pas une gouvernance de véritable contrôle démcratique et certains ‘mens in suits ‘ (les hommes en costumes) tiennent en main les informations au plus haut niveau. Mais comme ce journaliste peut vous le dire, les journalistes, les personnes qui travaillent dans les médias ne sont pas de simples moutons sans conscience, qui se contentent de restituer la propagande de leurs propriétaires. Des année de syndicalisme et de luttes de la part des journalistes signifient que nous avons acquis un certain degré d'autonomie. Ceux qui deviennent journalistes ne le font pas en général pour devenir les larbins de la classe dominante. En général, c'est parce qu'ils veulent apporter une certaine version de la vérité, et dire la vérité au pouvoir. 

Ce qui me ramène à Paris contre Bagdad et Beyrouth. 

Est-il vrai que “Les Medias” ne se sont pas fait écho de ces atrocités ? Non, bien sûr. Ils l'ont fait et le font tous les jours. Je regarde le site de la BBC en ce moment meme, les morts en Palestine et la guerre civile en Colombie font la premiere page. Ou prenez l'exemple des réfugiés. Pouvons nous vraiment dire que Les Médias n'ont pas couvert suffisamment ? Ou qu'ils étaient anti réfugiés? Bien entendu, cela dépend aussi de quel média nous parlons, mais les tabloids à la Daily Mail de ce monde ont été, il faut le reconnaitre, pas plus consultés que les médias qui ont couvert ces informations avec compassion. 

Si être au courant des informations Etranger n'est pas plus répandu dans une certaine société, ce ne peut être uniquement la faute des Médias. 

Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas critiquer la couverture des médias. Cela veut simplement dire que la critique perd de sa signification si elle est faite sans étude et réflexion et se contente de généralisations.

L'une des critiques qui pourrait être faite est la mémoire courte des journalistes. En tant que journaliste et étudiant en histoire, j'en suis très conscient. Liés pour leur pitance aux changements quotidiens de l'actualité, les journalistes ne voient parfois pas le cadre plus large, historique. Des faits divers peuvent être traités comme des événements phénoménaux. Des préjugés qu'une dose de connaissance en Histoire pourrait aisément réfuter sont pris pour argent comptant.

Pour exemple, les horribles attentats du 13 novembre ont été souvent considérés comme ‘sans précédent’. Or, le 17 Octobre 1961, 30 000 personnes manifestaient à Paris pour l'indépendance de l'Algérie. Cette manifestation a été réprimée très brutalement par la police français. Le bilan officiel est de 40 victimes, mais on pense qu'il peut s'élever à   200. 

Mais il n'y a pas de conspiration raciste derrière ce manque de couverture. C'est souvent une lacune de formation en Histoire, un sérieux problème pour les journalistes, qui sont souvent plus experts en information qu'en Histoire, même si celle ci est, on peut le défendre, plus utile, pour un exercice honnête du métier de journaliste. 

Qu'en conclure ? 

Qu'au lieu de lancer des anathèmes contre une supposée conspiration générale, il serait plus utile de communiquer au média que vous suivez ce qui ne va pas, en vous souvenant que les médias n'existent pas détachés de la société qu'ils informent. 

Il faudrait aussi garder à l'esprit que la raison la plus persistante du mauvais journalisme est le manque de moyens. 

Les récents bouleversements dans les médias, qui sont eux mêmes le résultat d'une économie capitaliste anarchique et irrationnelle, font que beaucoup de rédactions n'emploient pas assez de personnes pour produire le journalisme de qualité que les lecteurs méritent. Allez-vous faire quelque chose contre ça ? Ajouter un budget Médias à votre budget familial ? Appeler votre député et militer pour une rallonge budgétaire pour les radios et TV publiques ? 

Arash's cameraman starts rolling as shots are heard on the streets of Paris the day after the attacks. It was later revealed they were firecrackers.

Le cameraman de Arash commence à tourner alors que des coups de feu sont entendus, au lendemain des attentats. Ils se révéleront être des pétards

A la fin de la journée, il y a une chose en laquelle vous pouvez croire : quel que soient les biais, la majorité des journalistes ont un simple désir, celui de produire un bon reportage ou article.

GV Face : Beyrouth, Paris, Tunis, Bamako, les tragédies sont-elles égales entre elles ?

mercredi 25 novembre 2015 à 12:58


‘Certains corps sont mondiaux, mais la plupart restent locaux, régionaux, “ethniques”’

Lors de cet épisode de GV Face, la série de rencontres de Global Voices, Joey Ayoub, blogueur libanais et contributeur pour Global Voices, Lova Rakotomalala, notre éditeur linguistique francophone basé à Paris, et Laura Vidal, notre community manager en charge de l'Amérique latine, elle aussi basée à Paris, s'entretiennent autour des questions de race, de politique de la mort et des réactions inégales face aux tragédies survenant dans le monde.

Global Voices est une communauté sans frontières, propulsée par des volontaires et regroupant plus de 1400 auteurs, analystes, experts des médias en ligne et traducteurs. Nous définissons un programme d'actualités dont l'ambition est de lancer des ponts, au service de la compréhension globale et de l'amitié par-delà les frontières. Notre priorité est de relater les témoignages de communautés marginalisées et représentées de manière déformée. Notre fidèle équipe d'éditeurs et d'auteurs — formée de personnes comme Joey, Laura et Lova — rend compte de la réalité de 167 pays dans le monde entier. Nos traducteurs restituent ces histoires dans plus de 35 langues. La plupart des membres de notre communauté sont plurilingues et ont leurs attaches dans plus d'une ville et plus d'un pays.

Au lendemain des attaques ayant visé Paris le 13 novembre, Joey a rédigé un billet intitulé “Je suis Paris, je suis Beyrouth“, qui s'est rapidement propagé :

I come from a privileged Francophone community in Lebanon. This has meant that I have always seen France as my second home. The streets of Paris are as familiar to me as the streets of Beirut. I was just in Paris a few days ago.

These have been two horrible nights of violence. The first took the lives of over 40 in Beirut; the second took the lives of over 120 people and counting in Paris.

It also seems clear to me that to the world, my people’s deaths in Beirut do not matter as much as my other people’s deaths in Paris.

We do not get a “safe” button on Facebook. We do not get late night statements from the most powerful men and women alive and millions of online users.

We do not change policies which will affect the lives of countless innocent refugees.

This could not be clearer.

I say this with no resentment whatsoever, just sadness.

Je viens de la communauté francophone privilégiée du Liban. J'ai donc toujours considéré la France comme ma deuxième maison. Les rues de Paris me sont aussi familières que celles de Beyrouth. Il y a à peine quelques jours, j'étais à Paris.

Ces deux nuits de violence ont été horribles. La première a pris la vie de plus de 40 personnes à Beyrouth, la seconde, plus de 120 à Paris.

Il me paraît également évident que pour le monde, les morts de mon peuple de Beyrouth ne comptent pas autant que ceux de mon autre peuple, celui de Paris.

Nous, nous n'avons pas eu de bouton “SafetyCheck” sur Facebook. Nous, nous n'avons pas eu de déclarations officielles en pleine nuit de la part des hommes et des femmes les plus puissants de ce monde, ni de la part de millions d'internautes.

Nous, nous ne prenons pas de décisions politiques qui affecteront les vies d'innombrables réfugiés innocents.

Ça ne pourrait pas être plus clair.

Je le dis sans aucun ressentiment d'aucune nature. Uniquement avec de la tristesse.

Laura Vidal se trouvait dans un bar situé à quelques pas du restaurant qui a été la cible de la première attaque du 13 novembre à Paris. Laura a rejoint Paris il y a sept ans, depuis le Venezuela, pour étudier dans la capitale française. Elle analyse, dans “After the Paris Attacks: For It to Be Unity, It Can't Be Partial” :

Since I arrived in Paris I’ve followed the endless discussions on origins, skin colours, backgrounds and religious faiths. Part of my research work is based on—of all subjects—intercultural sensitivity. These conversations are emotional, and therefore uncomfortable. But they’re necessary. And I say this because it seems that dividing the world between “us” and “them” isn’t useful. And it never has been. In fact, the artificial creation of difference is what fuels all of this. And this is how we learn to see “ourselves” and “others”, and this is the lens through which we have studied history and watch the news. “Us” and “them”. “Here” and “far away”. I don’t think we can afford to keep this view of the world anymore—assuming we ever could—and maintain this denial of reality.

Depuis que mon arrrivée à Paris, j'ai suivi les discussions interminables sur la question des origines, de la couleur de peau, des contextes socio-personnels et des croyances religieuses. Une partie de mes recherches porte sur tous les thèmes autour de la sensibilité interculturelle. Ce sont des conversations chargées d'émotions qui constituent, de ce fait, une remise en question. Elles sont toutefois nécessaires. J'affirme cela en considérant l'inutilité de diviser le monde entre “nous” et “eux”. Hier comme aujourd'hui. En fait, toute cette histoire se nourrit de la création artificielle de la différence. C'est ainsi que nous apprenons à nous voir “nous-même” et “les autres”. C'est la loupe à travers laquelle nous avons étudié l'histoire et que nous suivons l'actualité. “Nous” et “eux”. “Ici” et “là bas”. Je pense que nous ne pouvons plus nous permettre de garder cette manière de voir le monde – à supposer que nous puissions jamais – et maintenir ce déni de la réalité.

L'essai de Lova, “Creating a Media of Empathy One Letter at a Time“, publié au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo, est co-signé par Nwachukwu Egbunike, contributeur nigérien pour Global Voices :

The time to have a global discussion on terror attacks, free speech, empathy and Islamophobia is not when tragedy strikes but beforehand and when cooler heads prevail.

Yet, whether we like it or not, the public thirst to make sense of the world is highest when such sad events occur. The timing might not be ideal, but we have the opportunity as media contributors to reframe the conversation for thousand of readers all over the world, while they are paying attention.

Ce n'est pas lorsqu'une tragédie frappe qu'il faut avoir une discussion globale sur les attaques terroristes, la liberté de parole, l'empathie et l'islamophobie, mais avant cela et lorsque l'on a encore la tête froide.

Pourtant, qu'on le veuille ou non, l'aspiration des gens à décrypter les événements dans le monde est plus forte dans ces tristes circonstances. Ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour cela, mais nous avons l'occasion, de par notre contribution aux médias, de recadrer la conversation pour des milliers de lecteurs dans le monde, lorsqu'ils nous accordent leur attention.

Les droits d'auteur dans le monde arabe : état des lieux

mercredi 25 novembre 2015 à 11:46
"Hardcover book gutter and pages" by Horia Varlan CC-BY 2.0

“Couverture d'un livre relié”, photo Horia Varlan CC-BY 2.0

La Journée Mondiale de la Propriété Intellectuelle est un évènement organisé par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui a lieu le 26 avril de chaque année pour “célébrer l'innovation et la créativité”. Les droits accordés par les lois sur la propriété intellectuelle, comme le droit d'auteur, ont pour but d'équilibrer entre les intérêts des titulaires pour vivre de leurs œuvres, et les droits des membres de la société d'avoir un accès équitable à ces œuvres culturelles. L'un des moyens d'atteindre cet équilibre est la mise en place d'une loi sur le droit d'auteur pour une période de temps temporaire et non pas éternellement.

Quand la protection du droit d'auteur arrive à échéance, l'œuvre tombe dans le domaine public. Les œuvres relevant du domaine public peuvent être copiées, partagées ou traduites par toute personne gratuitement, et sans avoir à demander la permission de quiconque. Il est très important pour nous d'avoir un accès libre aux œuvres relevant du domaine public car celles-ci nous servent d'éléments de base pour créer de nouvelles oeuvres culturelles et scientifiques.

Comprendre comment et quand ce terme expire pourrait être une tâche difficile car ceci diffère d'un pays à l'autre et varie selon l'œuvre en question. Par exemple, les livres et d'autres oeuvres littéraires sont protégés dans le Monde Arabe à partir du moment de leur création et ce pour la durée de la vie de l'auteur plus 25, 50 ou 70 ans après son décès.

Books

Duration of copyright protection of books

La majorité des pays arabes protègent les livres pour la durée de la vie de l'auteur plus 50 ans après son décès, compte tenu de leurs obligations internationales en vertu de l'ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) et la Convention de Berne. Le Bahrein, le Maroc et Oman fournissent une durée de protection du droit d'auteur plus longue que le reste, suite à la signature d'un accord de libre-échange avec les États Unis, qui n'est pas si différent de l'infâme PTP (Partenariat transpacifique) en cours d'élaboration.

La date d'échéance pourrait être plus complexe pour différents types d'oeuvres. Par exemple, bien que la majorité des pays Arabes protègent les photographies pour la même durée que les livres, certains pays donnent un terme plus court à la protection des photographies, calculé à partir du moment de sa prise ou de sa publication.

Photographs

Duration of copyright protection of photographs

La charte ci-dessus montre que le calcul de la durée de protection est complexe. Par exemple, “ la femme Afghane” (la fille Afghane) de Steve McCurry était prise en 1984 et publiée dans le National Geographic en 1985. La photographie est tombée dans le domaine pubic en Lybie depuis 1991, en Arabie Saoudite depuis 2010, au Yémen depuis 2011 et elle reste protégée par le droit d'auteur dans tous les pays où la date d'échéance est liée à la vie de l'auteur, car Steve McCurry est toujours en vie.

Les pays qui ont une courte durée de protection du droit d'auteur doivent-ils simplifier la vie à tous et étendre leur protection afin de concorder avec ceux qui ont la plus longue durée? L'argument souvent présenté par ceux qui supportent une plus longue durée de protection du droit d'auteur est que l'auteur de l'œuvre a consacré du temps et un effort pour donner naissance à son œuvre et de ce fait il est digne d'une protection qui lui permet d'en tirer le profit qu'il mérite, ce qui devrait par conséquent l'encourager à créer plus d'œuvres.

L'argument qui est contre le prolongement du droit d'auteur est qu'il n'y a aucune preuve que ceci inciterait les auteurs à créer plus d'œuvres si le droit d'auteur est accordé à leurs œuvres durant 70 ans au lieu de 50 ans après leur décès. Au contraire, les utilisateurs dans des pays tels que le Bahrein, Le Maroc, et Oman sont nettement désavantagés par une échéance plus longue car ils doivent attendre 20 ans de plus que leurs voisins Arabes avant que les universités, les étudiants et d'autres utilisateurs ne puissent légalement copier, traduire et utiliser d'anciennes œuvres. Cette différence de 20 ans peut facilement augmenter les coûts d'exploitation des secteurs qui dépendent du droit d'auteur, tel que l'éducation et l'industrie du divertissement, en comparaison avec leurs voisins.

Ceci ne signifie pas que les choses sont parfaites dans les pays dont la protection arrive à échéance seulement 50 ans après le décès de l'auteur, cette durée est déja trop longue et signifie pratiquement que les travaux créés par les autres ne fera probablement pas partie du domaine public de notre vivant, mais seulement après notre décès. Les législations sur le droit d'auteur offrent des exceptions qui permettent aux utilisateurs dans certaines circonstances de copier ou utiliser des œuvres sans la permission de l'auteur, mais aucun pays Arabe n'a légiféré pour une exception d’usage loyal et les exceptions existantes sont limitées et ne répondent pas aux besoins des utilisateurs d'œuvres créatives sur internet.

Les pays arabes ne devraient pas prolonger la durée de protetion du droit d'auteur sans prendre en considération les conséquences que ceci aurait sur l'accès au savoir et à la culture. Une protection additionnelle n'engendre pas nécéssairement un grand incitatif aux auteurs pour créer davantage et certainement pas un meilleur systéme de protection du droit d'auteur.

Cet article a été écrit conjointement par Riyadh Al Balushi et Sadeek Hasna. Les graphiques sont pris de Infographic on Copyright Term in the Arab World.

Molenbeek, la réalité complexe d'une commune vilipendée par les médias

mardi 24 novembre 2015 à 21:20
«Molenbeek da luz»

Affiche distribuée à la distribution de bougies organisée sur la place centrale de Molenbeek le 18 novembre, en hommage aux victimes des attaques de Paris. Photo de l'auteur.

Alors face à toutes les extrême droites, contre toutes les divisions et contre toutes les guerres, pour toutes les victimes de toutes les bombes partout dans le monde, de Paris à Alep en passant par Beyrouth et Ankara, nous, habitant.e.s de molenbeek et de toutes les communes de Bruxelles, nous lançons un appel à refuser la peur et la division, à célébrer l'unité et la solidarité pour un monde de justice et d'égalité.

Tel est le message qui sera lu au “Rassemblement pour toutes les victimes, contre toutes les guerres, pour la solidarité et contre la désunion“, qui doit se tenir le 25 novembre à Molenbeek. Cette commune belge ne quitte plus les médias du monde depuis les attaques du 13 novembre à Paris, après avoir déjà été citée en rapport avec divers attentats perpétrés par des djihadistes à travers l'Europe.

Les médias cultivent une image inquiétante de la commune, dans laquelle ses habitants ne se reconnaissent pas. Le 18 novembre, environ 2.000 personnes se sont assemblées sur la grand'place de Molenbeek pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris et montrer un visage collectif autre que celui donné par la presse.

Pour autant, la réalité de Molenbeek est d'une très grande complexité et ne peut être rendue par des descriptions et étiquettes simplistes.

Molenbeek-Saint-Jean est l'une des 19 municipalités qui composent la région belge de Bruxelles-Capitale, qui est le siège de la Commission Européenne, du Conseil de l'Union européenne, du Parlement européen et de l’OTAN. Bruxelles est à moins de deux heures de train à grande vitesse de Paris par le Thalys, et à deux heures de Londres par l’Eurostar qui emprunte le tunnel sous la Manche.

Situé du côté ouest de Bruxelles, Molenbeek est une des zones économiquement les plus déprimées de Belgique. Pour ses 95.000 habitants, la densité de la population y est le double de la moyenne dans la capitale. Le taux de chômage est énorme, 31 %, et dépasse 40 % chez les jeunes. Le quart de la population de la commune est né hors de Belgique, et plus de 100 nationalités sont représentées. Selon les estimations, 40 % de la population est musulmane, ce qui en fait la deuxième plus nombreuse de la région bruxelloise, et elle est desservie par 20 mosquées, à comparer avec les cinq églises de la majorité chrétienne (chiffres datant de 2013).

Dans une population plongée dans un avenir incertain, certains ont placé leurs espoirs dans les courants radicaux de l'islam wahhabite. Des pays supposés amis financent la construction de mosquées et dépêchent des chefs religieux qui prêchent les interprétations les plus rigoureuses de la charia. Ces dernières années, de multiples djihadistes ont transité par la commune, en particulier les exécutants des attentats de Madrid en 2004, de la tuerie du Musée Juif de Bruxelles en 2014, de l’attentat contre le magazine parisien Charlie Hebdo en janvier 2015, de l’attentat du Thalys en août 2015, et de la toute récente série d'attaques dans la capitale française. On estime que plus de 400 ressortissants belges ont rejoint Daech, l'autre nom de l'EI.

Le journaliste Mario Moratalla du site espagnol d'information VozPópuli est d'avis que Molenbeek-Saint-Jean est devenu de longue date “un terreau de haine ethnique et culturelle travestie en lutte des classes”. Françoise Schepmans, la bourgmestre de Molenbeek, a détaillé la problématique de la radicalisation à l'intérieur de la commune :

On a assisté au cours de ces dernières décennies à un repli identitaire, un repli religieux. Puis, avec les évènements internationaux, à un fondamentalisme qui s'est parfois transformé en radicalisme violent
Je pense que les autorités n'ont pas suffisamment pris la mesure de ce phénomène. Et le politique n'a pas assuré l'intégration et l'accueil des personnes d'origines étrangères. Certains sont restés en marge de la société

Molenbeek, Brussels. Atendees of the Music Festival in June of 2008. Photo by Lieven Soete on Flickr, licenced CC BY-NC-SA 2.0

Molenbeek, Bruxelles. L'assistance au Festival de musique de juin 2008. Photo Lieven Soete sur Flickr, licence CC BY-NC-SA 2.0

Johan Leman, prêtre dominicain, chercheur en anthropologie culturelle et professeur émérite à l'Université de Louvain, connaît de près la réalité de Molenbeek. L'association qu'il préside, Foyer, cherche à intégrer les minorités dans la commune. Dans un article publié par le Guardian, il insiste sur le fait qu'en dépit des apparences, la zone n'est en rien un centre de sympathisants de Daech.

Pour les autorités la leçon est double : investir dans l'avenir des enfants (améliorer la scolarisation), pour que les jeunes adultes entrevoient un avenir pour leurs enfants (voire pour eux-mêmes). Ensuite : montrer du respect aux habitants. S'abstenir de slogans faciles tels que “on va faire le ménage”. Cesser de traiter les gens en meurtriers potentiels, ce qu'ils ne sont pas. On a besoin d'eux comme amortisseur social contre les recruteurs de djihadistes, les trafiquants de drogue et les prédicateurs de haine.

Le professeur Leman fait allusion aux propos de Jan Jambon, le ministre belge de l'Intérieur, qui, quelques heures après les attentats de Paris, a exprimé sa détermination à “nettoyer Molenbeek.” M. Jambon a aussi reconnu l'échec des mesures prises pour combattre le radicalisme après la dissolution d'une cellule djihadiste en janvier. Dans ce dispositif figurait l'utilisation d'unités spécialisées pour identifier les individus susceptibles de tomber dans la violence ou de se rendre en Syrie.

Molenbeek. Photo by Antonio Ponte on Flickr, licensed CC BY-NC-SA 2.0

Molenbeek. Photo Antonio Ponte sur Flickr, licence CC BY-NC-SA 2.0

Quoi qu'il en soit, les média continuent largement à ignorer un problème non résolu en Belgique : la complexité de la structure politique du pays réduit l'efficacité des forces de sécurité. La BBC a mis le doigt dessus, en écrivant :

Una de las dificultades que enfrenta el gobierno en controlar el radicalismo yace en la limitada efectividad de sus servicios de seguridad y de policía.
Bélgica está compuesta de dos principales nacionalidades rivales: la valona, de habla francesa, y la flamenca, de habla holandesa.
Para aliviar la tensión entre las dos, se le ha dado más independencia a los gobiernos locales, lo que ha creado varios niveles de burocracia.
Es una estructura muy densa para que fluya eficientemente la información de las agencias de inteligencia y que puedan operar y obtener resultados positivos.

Une des difficultés qu'affronte le gouvernement pour contrôler le radicalisme gît dans l'efficacité limitée de sa police et de ses services de sécurité. La Belgique est composée de deux principales nationalités rivales : la wallonne, francophone, et la flamande, néerlandophone. Pour alléger la tension entre les deux, plus d'indépendance a été donnée aux autorités locales, ce qui a créé plusieurs niveaux de bureaucratie. C'est une structure trop dense pour une circulation efficace de l'information entre les services de renseignement et la capacité à agir pour l'obtention de résultats positifs.

S'ajoutant à cela, les frontières de l'Europe continentale manquent d'unités cohésives capables de contrôler efficacement la criminalité sur une échelle internationale. Selon Jean-Charles Brisard, président du Centre français d'Analyse du Terrorisme :

(…) on est dans un phénomène qui concerne plusieurs pays européens et pas seulement les pays individuellement.
(…) il y a des choses que la France et d’autres pays européens ont demandé à l’Union européenne de mettre en place depuis de nombreuses années pour accroître et systématiser un centre d’information, à travers Europol notamment, s’agissant des djihadistes.
L’Europe, malheureusement, dans le domaine de l’antiterrorisme, est une énorme force d’inertie jusqu’à ce jour.

À 81 ans, elle tweete ses souvenirs de la guerre au Japon

mardi 24 novembre 2015 à 10:30
まっちゃこさんと両親と弟。1939年頃、神戸市東灘区にて。許可を得て使用。

Macchako, ses parents et son frère à Kobe en 1939. Photo publiée avec permission.

Alors qu'après 70 ans de pacifisme le Japon vient de s'armer de lois l'autorisant à entrer en guerre, certains Japonais reviennent sur leur expérience amère de la Seconde Guerre mondiale.

Le Japon a joué un rôle actif dans la Seconde Guerre mondiale. Il envahit la Chine et étend son combat contre les forces alliées américaines et britanniques aux pays d'Asie du Sud-Est. L'empereur japonais annonce la fin de la guerre dans un discours radiodiffusé le 15 août 1945, après la destruction des plus grandes villes du pays et le bombardement atomique d'Hiroshima et de Nagasaki.

D'après le gouvernement japonais, plus de 80 pourcent des Japonais seraient nés après la Seconde Guerre mondiale. Il n'y a plus que très peu de Japonais aujourd'hui qui ont encore des souvenirs d'enfance de la guerre, sans parler de ceux qui sont allés au front ou qui ont subit ses dévastations.

Les quelques uns à qui il reste des souvenirs de cette époque ressentent ainsi le besoin de partager leur expérience publiquement.

Ma mère, qui se fait appeler “@まっちゃこ” (Macchako) sur Twitter, y raconte ses souvenirs de la guerre. Le jour du 70ème anniversaire de la fin du conflit, elle a publié une série de courts tweets.

Le 15 août 1945, il a fait chaud !

Ce seul tweet a été partagé plus de fois que les photos qu'elle a mises en ligne d'un récent voyage (la plupart de ses contacts sont des utilisateurs plus jeunes partageant avec elle un intérêt pour le voyage et les personnalités japonaises de l'industrie du divertissement).

 

Le 15 août 1945, j'avais onze ans. Je jouais dehors avec les autres enfants du quartier. Tout a changé en un instant.

Quatre ans plus tôt, la guerre commençait (le 8 décembre 1941), l'année de mes sept ans.

Fujita-sensei, notre professeur principal, nous l'a annoncé de la plus stricte des manières. Nous n'étions pas surpris car le Japon avait déjà été en guerre.

Dans les années 1930, le Japon met en action de nombreux plans pour envahir la Chine, ce qui accroît l'étendue du conflit dans la région.

Comme le désir de combattre augmente parmi la population, le Japon entre en 1940 dans l’Axe aux côtés de l'Allemagne et de l'Italie. On célèbre l'évènement en offrant aux enfants japonais des drapeaux aux couleurs des trois puissances de l'Axe.

 Lorsque j'étais en maternelle, on nous faisait chanter une chanson qui disait : « Le Japon, l'Allemagne et l'Italie seront toujours très bons amis. »

Puis, à l'école primaire, je suis retournée en maternelle pour aider à fabriquer des drapeaux des pays de l'Axe.

Bien sûr, le drapeau japonais était le plus facile à faire. À l'époque, le Japon n'était pas encore entré en guerre.

L'alliance de l'Axe en sortirait vaincue. Nous étions alliés à l'Allemagne d'Hitler ! Je frissonne rien que d'y penser.

Au début de la guerre, le Japon se donne le rôle d'aider les petits pays d'Asie à faire face au reste du monde. Le peuple japonais soutient l'effort de guerre avec ferveur.

L'opposition à la guerre est brutalement étouffée. Ceux qui rendent publique leur opinion dissidente sont  emprisonnés, torturés et ostracisés en accord avec les lois de préservation de la paix (治安維持法) japonaises.

« On ne voyait qu'une mer de feu » 

Macchako est née à Kobe, dans la préfecture de Hyogo, et elle a vécu le terrible bombardement de la ville le 5 juin 1945. Le film d'animation « Le Tombeau des lucioles » des studios Ghibli traite de la destruction de Kobe et d'autres villes japonaises par les forces Alliées à la fin de la guerre en 1945.

Ses parents tenaient un magasin de confiseries à Kobe dans l'arrondissement d'Higashi Nada. Avec Macchako, son frère et sa sœur, ils formaient une famille de cinq.

Comme son père était atteint d'une maladie chronique, il ne fut pas envoyé au front. Le rationnement de la nourriture rendait difficile le bon fonctionnement de la boutique familiale. En 1944, alors que la guerre touchait à sa fin, Macchako avait dix ans et des sirènes d'alerte interrompaient souvent les journées de classe.

L'année suivante, Macchako venait d'avoir onze ans quand son père commença à travailler comme concierge pour une famille riche.

Toute la famille emménagea ensemble et un matin, la semaine suivante, Kobe subit d'importants bombardements aériens :

Le 5 juin 1945, alors que j'avais onze ans, les sirènes ont retenti et notre famille a trouvé refuge dans un abri anti-aérien. Oh non ! Notre maison allait brûler !

« Ne vous inquiétez pas, votre père et moi éteindrons l'incendie. Allez en sécurité, au temple de la colline Shonin [hors de la ville], » nous a dit ma mère.

Avec ma petite sœur de quatre ans sur le dos, je ne pouvais pas faire un pas. Mon frère de six ans m'a alors pris la main et m'a tiré dans la direction du temple.

On ne voyait qu'une mer de feu. De petites boules de feu rebondissaient sur le sol comme des pièces de monnaie enflammées.

Les enfants se cachèrent dans un cimetière alors qu'ils n'avaient fait que la moitié du chemin, l'accès au temple étant trop difficile car le feu des mitrailleuses était toujours après eux.

La route qui menait au temple était connue pour ses villas appartenant à de riches marchants. Au loin, on pouvait entendre le bruit sourd des bombes. Nous nous sommes cachés dans un fossé, et j'ai demandé à mon frère et à ma sœur de se boucher les oreilles avec leurs pousses, de couvrir leurs yeux de leurs mains, et de se coucher sur le ventre. Ils m'ont écoutée.

Regardant aux alentours, nous avons repéré des gens qui avaient trouvés refuge dans un cimetière, à trente mètres. Nous les avons rejoins. Une villa à notre gauche a pris feu.

Au fond de l'abri anti-aérien, il y avait une statue de Bouddha. Une vingtaine de personnes s'étaient pressées dans le refuge, et il y avait une fille encore plus jeune que moi qui tenait un bébé. Une femme folle s'est mise à chanter des prières d'une voix aigüe, tremblante de terreur.

Soudain, la femme m'a interpellée : « Pourquoi tu n'aides pas à s'occuper du bébé là-bas ? »

J'ai répondu d'une petite voix : « Parce qu'ils ne sont pas de notre famille. »

Lorsque les bombes cessèrent de tomber, les enfants retrouvèrent leur mère, qui était venue à leur recherche.

Lorsqu'il a semblé que le bombardement était fini, nous sommes sortis. Des employés du temple ont donné à chacun un morceau de tempura dans le hall principal. J'ai aussi reçu un bout de racine de lotus, que j'ai donné sans réfléchir à la petit fille plus jeune.

Après ça, j'ai toujours eu la mauvaise habitude de faire comme si j'étais plus cool qu'en réalité, haha.

Ma mère, qui pensait que nous étions allés plus loin dans les collines, nous a finalement trouvés dans le cimetière et a pleuré en nous voyant.

Une pluie de suie tombait du ciel, recouvrant notre visage de noir.

Ils retournèrent à la ville pour découvrir la maison dans laquelle ils vivaient, ainsi que la boutique familiale, entièrement détruites.

Lorsque les avions ennemis sont partis, nous avons retrouvé notre maison tombée au sol, où de petites flammes continuaient de brûler.

Notre père était retourné chercher ce qu'il pouvait encore sauver, mais il n'a pu ramener que deux albums photos et un tonneau de riz. Il a attendu longtemps avant d'essayer de l'ouvrir, mais quand l'a finalement ouvert, un nuage de cendre en est sorti.

J'ai éclaté en sanglot parce que mon père me faisait pitié. Ou bien est-ce que je pleurais parce que moi non plus, je n'avais rien à manger ?

« C'était la première fois que je voyais un cadavre. »

Les amis de Macchako sur Twitter ont dit que ses messages les faisaient pleurer. Pourtant, les souvenirs suivants ont révélé encore d'autres traumatismes.

Le lendemain du bombardement, les parents de Macchako allèrent chercher des nouvelles d'une voisine. Ils avaient complètement perdu la trace de cette personne, qu'ils considéraient comme un membre de la famille.

C'était une dame sans autre famille qui avait vécu dans la confiserie et s'était occupée de Macchako, de son frère et de sa sœur.

Des témoins ont dit qu'ils l'avaient vue sortir de l'abri au milieu des bombardements. Mon père a eu un doute alors qu'il fouillait les débris de notre boutique avec un sarcloir…

« Ici, peut-être ? » Un os est apparu. Son corps était un bloc calciné de couleur olive. J'avais onze ans et c'était la première fois que je voyais un cadavre qui ressemblait à ça.

Ce n'était pas normal à l'époque d'exprimer son opinion publiquement, mais les victimes des bombardements étaient aussi victimes du régime impérial japonais.

On l'avait laissée à la charge de mes parents, mais elle n'avait aucune famille. Elle survivait chaque jour avec une ration de 330 grammes de riz et avait ronchonné lorsque la ration était passée à 300 grammes.

Elle s'était bien occupée de mon frère et de ma sœur. Elle avait aussi utilisé une photo de l'empereur à cheval découpée d'un journal pour fabriquer un pot de chambre pour ma sœur.

« Si je suis prise à faire ça, on m'arrêtera pour lèse-majesté, » m'avait-elle dit.

À l'époque, les photos de l'empereur étaient vénérées comme des objets religieux. Pendant la guerre, mourir pour l'empereur était considéré comme le plus grand service que l'on pouvait rendre au pays. Alors même qu'il était clair que le Japon perdait la guerre, les destructions se poursuivaient sous le slogan des « 100 millions de bijoux brisés » (一億玉砕, ichioku gyokusai ; il y avait environ 100 millions d'habitants au Japon).

Prépare-toi : les vents du changement sont sur nous

Après avoir été manipulés par le régime en guerre et des médias glorifiant le conflit, de nombreux japonais se sont promis de ne jamais laisser leurs enfants vivre une nouvelle guerre.

Pendant l'occupation américaine qui dura sept ans, on promulgua la constitution japonaise d'après-guerre selon laquelle le pays renonçait à la guerre.

Malgré cela, en août 2015, pour le 70ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les médias relataient en gros titres les efforts du gouvernement Abe pour instaurer un cadre législatif permettant une nouvelle entrée en guerre.

Après la destruction de leur maison dans le conflit, la famille de Macchako fut hébergée chez de la famille pendant plusieurs jours. Puis, il emménagèrent avec une connaissance qui habitait dans les montagnes de la préfecture de Shimane, une région rurale et à l'écart. Ils y vécurent en tant qu'évacués jusqu'à la fin de la guerre.

La famille rencontra quelques difficultés liées à la vie rurale dans la préfecture de Shimane, mais à la différence des enfants du « Tombeau des lucioles », ils ne moururent pas de faim.

Macchako a échappé de justesse à un tel destin, et a vécu les soixante-dix années suivantes en louant le Japon en paix.

En fait, j'ai grandi en écoutant les récits de ma mère sur les attaques aériennes.

“Même si je vieillis et que je perds la tête, même si je ne reconnais plus ton visage, je continuerai à raconter les bombardements » dit-elle. « Prépare-toi. Les vents du changement sont sur nous, et le monde de jadis n'est pas si loin du présent. Nous ne pouvons pas laisser la guerre recommencer. »