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Quand les poissons dansent avec le feu : une pêche traditionnelle à Taïwan

mercredi 30 décembre 2015 à 10:01
fire chief

Tout l'équipage s'affaire pour attraper les poissons. Photo de Ming-Chih Chang.

Pōng-hué-á (蹦火仔) littéralement “le saut du feu”, est aussi le nom d'une technique de pêche largement utilisée par le peuple aborigène de Taiwan. Les pêcheurs se servaient d'un feu de bambou ou de bois allumé dans leur bateau pour attirer les poissons qui nageaient autour des embarcations.

Par la suite, cette méthode de pêche très originale a été redécouverte et les pêcheurs ont commencé à utiliser de l'essence pour faire du feu. Pendant l'occupation japonaise de Taiwan, les pêcheurs ont utilisé de l'acétylène pour produire des flammes. Le gaz était produit au contact de ce qu'ils appelaient des “pierres sulfuriques” (carbure de calcium) avec l'eau.

Cette technique au gaz acétylène est toujours utilisée de nos jours dans le port de Jinshan (金山: montagne d'or) à la pointe nord de Taïwan. Ce port avait été utilisé pour le transport du soufre extrait des montagnes proches pendant la période de présence portugaise dans l'ile (Formose, Ilha formosa ou la belle ile, a été découverte par les Portugais en 1542).

La pêche au “jet de feu” était très populaire dans le port de Jinshan sous les Qing (cette dynastie a régné sur la Chine pendant plus de deux siècles jusqu'à l'instauration de la république en 1912), c'était un spectacle incontournable pendant l'été lorsque de grands bancs d'anchois et de sardines croisaient la côte nord de Taïwan. Aujourd'hui cette pêche traditionnelle est menacée de disparition, on ne compte que quatre bateaux qui la pratique encore.

Le 31 août dernier, cette technique de pêche à l'acétylène a été inscrite au patrimoine culturel de l'ile par la direction des affaires culturelles de Taipei.

Huei-Jen Lin, journaliste au News Market, un site d'information indépendant, nous explique en quoi cette technique est écologique.

目前大多數的漁船使用強光照明,容易讓魚眼睛爆出死亡,招致許多生態上的批評,蹦火則因作業範圍小、時間短,被視為友善環境的漁法

De nos jours, les pécheurs utilisent des lampes puissantes qui font exploser les yeux des poissons…. Au contraire, avec cette technique, le temps d'exposition lumineuse est très court et la surface de la mer affectée très limitée.

L'atelier d'histoire et de culture de Jinshan a étudié la technique de pêche au “saut de feu” depuis des années, il organise des sorties permettant aux touristes de faire l'expérience de cette pêche, de mieux comprendre son intérêt:

本漁法僅需一艘船便可單獨作業[…]機動性頗高。

Le pêcheur n'a besoin que d'un bateau pour cette pratique […] .Elle est très souple.

Comment fait-il exactement pour attraper le poisson? Huei-Jen Lin, journaliste au News Market, a pris des photos illustrant l'action et décrit bien le procédé dans son reportage.

蹦火船通常在6點前就會出港,找到魚群後就定位,等待夜晚到來。

Les bateaux de pêche au “saut de feu” quittent habituellement le port vers six heures du soir. Ils repèrent exactement les endroits où se trouvent les poissons et rentrent au port pour attendre que la nuit soit complète.

fire chief

Le “maître du feu” approche le feu de la surface pour attirer les poissons. Photo de Ray J. Lee.

 

俗稱「海腳」的漁工,負責下網、收網,組成五人抄網團隊,從船尾到船頭的人員任務分別是牽網仔、推桸竿、拿桸竿(抄網手)、踩桸竿、拉桸竿[…]船上還有一名俗稱「磺火鉗仔」的裝填人員,負責替換磺石、控制水量,掌握乙炔的釋出量[…]另一個不可或缺的關鍵人物是駕駛,有經驗的駕駛可以觀潮汐、看水流,協助火長找魚,在魚群靠近時迅速剎車或轉彎,讓抄網手找到最適合的角度下網。

Les pêcheurs ont besoin d'une équipe de cinq personnes pour préparer le filet qui a un peu la forme d'un grand haveneau articulé. Le travail des hommes postés de la proue à la poupe du bateau sera de tirer et contrôler les batons qui constituent l'armature de l'appareil, d'agripper ensuite le filet qui y est accroché pour le hisser à bord […] Il y a aussi à bord un équipe appelée “hommes du carbure” responsable de l'approvisionnement en “roche sulfurique” (en fait du carbure de calcium) et controle exactement le volume d'eau nécessaire pour produire du gaz acétylène […] Autre personne importante à bord : un pilote expérimenté qui saura observer la marée et le flux de l'océan pour aider le “maître du feu” à trouver le poisson. Quand celui-ci est proche le pilote arrête le bateau ou tourne autour rapidement pour que les hommes du haveneau trouvent le meilleur angle pour le jeter sur l'eau.

負責推桸竿的海腳高舉左邊桸竿,讓叉網斜放船緣,所有船員屏氣凝神,等待火長將火把逐漸轉向左後方的叉網,引導魚群聚集。
「下落!」火長命令一下,海腳用力將叉網推入海下,待魚入網後,三、四個海腳利用槓桿原理齊壓桸竿,把靠在船邊的叉網撐起,活跳跳的青鱗魚掃過腳邊,直入貨艙,有時漁獲太多,三、四個男人還得跳起來壓才能把桸竿撐起來。
整個過程不到十秒,所有船員各司其職,一氣呵成,魚群大量聚集時,經常可見火長連蹦四、五次,海腳必須在一明一滅間,連續下網、收網、再舉網、下網、收網⋯⋯,豐收時,一個晚上可能得重複上百次。
蹦火仔重視團隊合作,駕駛和火長、火長和抄網手的默契缺一不可。

Quand les poissons sont très proches, tout le monde retient son souffle, le pêcheur responsable du contrôle des bâtons élève celui de gauche pour rapprocher le filet du bord du bateau. Tous attendent que le “maître du feu” déclenche et incline le feu de façon à diriger la “volée” de poissons vers le filet tendu sur le coté arrière gauche du bateau.
Dès que le maître lance l'ordre “Vers le bas !” l'équipe du filet pousse le haveneau dans la mer. Dès que les poissons y entrent l'équipe appuie sur les bâtons en faisant levier sur le bordé pour ramener le filet à bord. Les sardines encore vivantes sont entraînées entre les jambes des pêcheurs et tombent directement dans le coffre à poissons. Quelquefois il y a trop de poisson dans le filet et trois ou quatre pêcheurs doivent s'y mettre ensemble pour le hisser à bord.
Toute cette manœuvre ne dure qu'environ 10 secondes. Chacun dans le bateau à sa tâche précise et tout le monde doit travailler ensemble. Quand il y a beaucoup de poissons, Le maître du feu peut décider de le déclencher quatre ou cinq fois à la suite, l'équipage doit alors sans cesse poser le filet, le tirer, le soulever, et ceci à de multiples reprises. Quand la récolte est importante, un équipage de pêche peut avoir à recommencer cette procédure une centaine de fois en une nuit
Cette technique stimule énormément le travail d'équipe. Les liens de camaraderie entre le pilote du bateau, le maître du feu et l'équipe du filet sont très importants.

Vous pouvez regarder cette vidéo sur YouTube faite par News Market pour admirer la coordination de cette équipe de pêcheurs.

Les censeurs russes lancent une traque automatisée des contenus « extrémistes » sur Internet

lundi 28 décembre 2015 à 21:59
Akin to Foucault's panopticon, Russian censors are now monitoring online media for forbidden content using an automated system. Images mixed by Tetyana Lokot.

Tel le panoptique de Foucault, les censeurs russes scrutent les médias vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l'aide d'un système automatique, à la recherche de contenu illicite. Illustration Tatiana Lokot’.

Un système qui analyse automatiquement le contenu des pages internet à la recherche de propos tombant sous le coup de la loi a été mis en place dans 19 régions russes.

Le programme est pour le moment testé en version bêta, mais Alexandre Jarov, le chef du Roskomnadzor, l'organe de contrôle des médias russes, a déclaré au journal «Izvestia» que la version complète du système serait opérationnelle sur tout le territoire russe d'ici la fin 2016.

La tâche première du nouveau système est d'analyser les sites web pour rechercher les contenus illicites d'après l'article 4 de la loi « Sur les moyens d'information de masse » ; c'est-à-dire les appels à la violence ou au terrorisme, les contenus extrémistes, la pornographie, le langage grossier, etc. M. Jarov a déclaré aux Izvestia que même en mode test, le système permettait aux censeurs de trouver « au minimum deux fois plus » d'infractions qu'avant. « Nous n'allons pas sévir tout de suite, car le système est nouveau. Nous nous contentons de demander la suppression des contenus illicites, et je pense que cela va améliorer la qualité de l'ensemble des médias sur l'ensemble du territoire russe », a dit M. Jarov.

Les technologies et le logiciel utilisés par le Roskomnadzor analysent uniquement la partie texte du contenu des sites web. En cas de contenu multimédia, le système examine la description des fichiers multimédias, et si elle semble contenir de l'information illicite, ces fichiers sont adressés à l'organe de contrôle, où des analystes les vérifient manuellement.

Les commentaires sur le site sont aussi soumis à la vérification automatique : d'après les paroles du représentant du Roskomnadzor, si le système trouve quelque chose d'illicite dans les commentaires, il en informe l'administration du site, qui a l'obligation de supprimer le commentaire incriminé dans les vingt-quatre heures (comme le prescrit la Cour suprême russe). « Ce que tout le monde fait », affirme M. Jarov.

Le Roskomnadzor avait déjà auparavant cet objectif ambitieux de contrôler la diffusion de propos extrémistes sur le segment russe de la Toile, mais les moyens lui manquaient. « Nous sommes arrivés à la conclusion que le financement assuré par le budget actuel ne nous permettait pas de couvrir la Toile », a confié le chef du Roskomnadzor au journal Izvestia. « Nous nous contentons d'analyser les médias en ligne, sans toucher au reste de l'Internet. »

On sait peu de chose du logiciel et des particularités techniques de ce système de veille automatique. Selon le Roskomnadzor, « le noyau analytique » du système est localisé dans le Centre de radio principal de Russie, mais l'algorithme lui-même reste confidentiel.

En 2011, le Roskomnadzor avait lancé un appel d'offres pour le développement de recherches sur les systèmes automatisés et l'analyse des sites en vue d'une utilisation sur RuNet. C'est la société DataCenter qui avait remporté cet appel d'offres, mais le Roskomnadzor n'a pas été satisfait par sa proposition, qu'il a jugée non conforme à ses exigences techniques.

Au printemps 2014, les médias russes ont une nouvelle fois rendu compte de l'intention du Roskomnadzor d'automatiser la recherche de contenus illicites, de langage grossier et de discours extrémistes dans les médias et les réseaux sociaux. Le Roskomnadzor utilisait alors un système indépendant mis au point par la « Ligue pour un internet sécurisé » pour surveiller les contenus de ce type, tels que la pédopornographie et la propagande pour le suicide, mais voulait créer par ses propres moyens une solution pour contrôler les appels à l'extrémisme et à la violence.

En avril 2014, le directeur du Roskomnadzor a communiqué aux médias qu'il s'agirait d'un système en « auto-apprentissage », et que pour repérer les contenus extrémistes seraient utilisés des « marqueurs clés ». M. Jarov a fait remarquer que l'organe de contrôle des médias avait reçu des propositions des centres russes de surveillance des médias « Medialogia » et « Achmanov et associés », mais finalement c'est à une troisième société (dont le nom n'est pas encore connu) qu'a été confié le développement du système de surveillance.

Conformément à la législation russe, en cas de première publication d'un contenu interdit sur Internet, le Roskomnadzor enverra un avertissement au média concerné. En cas de récidive, il pourra porter l'affaire en justice et demander le retrait de la licence du média.

Le Buzzfeed kirghize trolle ses lecteurs avec des stéréotypes sexistes

dimanche 27 décembre 2015 à 21:45
Limon.kg это популярный информационно-развлекательный портал в Кыргыстане. Фото с сайта Wikipedia. Надпись:

Limon.kg est un portail d'information et de divertissement populaire au Kirghizistan. Photo tirée du site Wikipedia. Inscription : “Je ne suis pas ton citron”

Cette semaine, un portail d'information et de divertissement kirghize qui agrège des contenus plus ou moins viraux a essuyé une tempête de commentaires mécontents après avoir publié un article intitulé « les 32 qualités principales que doit posséder la “kelin” idéale [fiancée]». Après avoir été bombardé d'accusations de sexisme par ses lecteurs, Limon.kg leur a répondu avec l'article suivant: « Les 32 qualités principales que doit posséder le “kouïo bala” idéal [fiancé]».

Les deux articles répertorient les normes incroyablement élevées des familles traditionnelles d'Asie centrale, à l'aune desquelles les parents jugent leur futur gendre ou (plus souvent) leur future bru. Il semble bien que le site ne voulait pas seulement “faire du clic”, mais aussi montrer à quel point ces normes sont délirantes. Mais comme la rédaction de Limon.kg ne s'est pas expliquée sur ces articles viraux, nous n'en saurons pas plus sur ses intentions.

Dans la société traditionnelle kirghize, la “kelin” (fiancée ou bru) joue un rôle important, bien que souvent subalterne. Son arrivée dans le foyer, via un mariage avec l'un de ses représentants masculins, soulage la mère de famille de nombreuses tâches ménagères.

La kelin est censée faire presque tout, ce qui explique que les mères des kouïo bala approuvent des coutumes telles que l'enlèvement de fiancées.

Selon Eurasianet [en anglais]:

The typical kelin, or live-in daughter-in-law is expected to be the epitome of servitude in most rural Central Asian families. Her mother-in-law on the other hand, is a character of unrelenting wickedness, as evidenced by her portrayal in many Central Asian films.

Take as an example Saida Rametova’s character in the well-known Uzbek comedy flick Super Kelinchak, who makes her Slavic daughter-in-law’s life a living nightmare by constantly criticising shortcomings in her vegetable-chopping skills and in other household chores. Or Turakhan Sadykova’s character in the Kazakh film Kelin, which one reviewer described as “an old hag with mystical connections to nature.”

La kelin type, ou la bru qui vit avec les parents de son mari, exerce dans la plupart des foyers d'Asie centrale une fonction d'esclave. Sa belle-mère, elle, étant un symbole de méchanceté sans pitié, dépeint dans de nombreux films centre-asiatiques.

On peut prendre comme exemple le personnage de Saïda Rametova dans la célèbre comédie ouzbèque “Super kelinchak”. Elle transforme en cauchemar la vie de sa bru russe en critiquant sans arrêt ses déboires dans l'exécution des tâches ménagères. Ou bien le personnage de Turakhan Sadykova [en anglais] dans la film caucasien “Kelin”, décrite [en anglais] par un critique comme “une vieille sorcière entretenant un lien mystique avec la nature”.

Кыргызские музыканты играют на традиционных инструментах в восточном городе Каракол. Фото с сайта  Wikipedia.

Des musiciens kirghizes jouent de leurs instruments traditionnels dans la ville orientale de Karakol. Photo tirée du site Wikipedia.

Le kouïo bala est le pendant de la kelin : l'homme qui l'invite à entrer dans sa famille. Mais revenons à la kelin, sujet du premier article de Limon.kg.

Voici, selon Limon.kg, quelques-unes des qualités qu'elle doit posséder:

Si l'article de Limon.kg a fait débat, c'est que le site recrute ses lecteurs surtout à Bichkek, la capitale kirghize, où l'internet est largement répandu et les stéréotypes de genre, hors mariage ou non, un peu moins rigides que dans les campagnes.

Les commentaires sous l'article et sur la page Facebook de Limon.kg ont été les suivants :

ГЕНДЕРНОМУ РАВНОПРАВИЮ – ДОРОГУ ПОЖАЛУЙСТА

PLACE A L'EGALITE DES SEXES, MERCI

кроме смеха эта статья не может ничего вызывать. А Лимон за такое женаненавистничество надо банить.

Cet article provoque, mais seulement le rire. Avec une telle mysogynie, Limon devrait être boycotté.

Un internaute a écrit ceci:

Вот такую жену и на руках носить можно, я бы даже сказал нужно!!! Да обязаны просто))) Всем девушкам счастья в браке, будьте хорошими келинками)))

C'est ce genre de femme que l'on peut, et même que l'on doit, mettre dans ses bras !!! Elles n'ont pas le choix de toute façon))) Du bonheur à toutes les filles dans leur union, soyez de bonnes kelins)))

Il a reçu la réponse suivante :

А разве у нее, бедняги, будет время на Ваших руках покататься? Она же вроде, встает и ложится раньше всех (в том числе желающего поносить ее на руках)… И еще, почему обязана? А ей, надо полагать, никто и ничего не должен… Печально!!

Mes pauvres, mais où ce genre de femme va-t-elle trouver le temps de vous tomber dans les bras ? Vu qu'elle se lève avant tout le monde (y compris celui qui la veut dans ses bras) et se couche après… Et puis pourquoi n'aurait-elle pas le choix ? Alors qu'à elle, on imagine bien que rien n'est dû… C'est triste !!

да здравствует 19 век и женщины без права голоса, молчащие при муже и его святых родственниках. Жду статью – За что можно бить женщину: За плохой бешбармак, За то, что взглянула в глаза мужу, За то, что попалась на пути, когда муж зол…

Vive le 19e siècle et les femmes sans droit de vote, qui se taisent en présence des hommes et de leurs saints parents. J'attends l'article “Les raisons de battre sa femme : pour un mauvais beshbarak, pour avoir regardé son mari dans les yeux, pour s'être trouvée là quand monsieur était en colère…

Ждем теперь идеальные качества kuyio bala)))

On attend les qualités idéales du kouïo bala)))

Un souhait qui a été exaucé quelques jours plus tard :

Selon Limon.kg, un bon kouïo bala:

Là, les lecteurs ont commencé à soupçonner que peut-être la rédaction de LLimon.kg les “trollait” tout simplement, et les commentaires se sont faits plus amènes et plus détendus :

Заметьте, нет пункта о том что куйоо бала должен быть хорош в постели

Notez que nulle part dans la liste il n'est dit que le kouïo bala doit être bon au lit

Le conflit syrien ne me volera pas mon Noël

samedi 26 décembre 2015 à 00:09
Marcell Shehwaro reminisces on a Christmas in Syria. Photograph taken in 2009 in Syria by Charles Roffey, shared  on flickr under CC BY-NC-SA 2.0

Noël en Syrie. PHOTO: Charles Roffey, partagée sur Flickr sous CC BY-NC-SA 2.0

Ce billet fait partie d'une série spéciale d'articles par la blogueuse et militante Marcell Shehwaro, décrivant la vie en Syrie pendant la guerre qui se poursuit entre les forces loyales au régime actuel, et ceux qui veulent le renverser.

Dans ma famille Noël avait une grande signification, avec ses rituels spirituels et familiaux. Enfants, ma soeur Leila et moi avions l'habitude de rester éveillées à tour de rôle pour essayer de surprendre le Père Noël “en action”. Je ne me souviens plus vraiment quand j'ai compris que c'étaient nos parents qui nous racontaient des histoires, ou quand nous avons retrouvé toutes les lettres que nous avions écrites au Père Noël, tous les ans, bien cachées par nos parents. Même adultes quand nous ne croyions plus au Père Noël depuis longtemps, ma mère insistait pour que l'échange de cadeaux sous le sapin reste un rituel annuel. Un rituel qui a disparu après sa mort bien sûr.

Début décembre , elle demandait à chacun de nous de quoi nous avions besoin, ce que nous voulions, et elle s'assurait que chacun de nous ait acheté un cadeau pour les autres. On passait ensuite la matinée de Noël à s'échanger les cadeaux et les lettres, après quoi je mettais des heures à me préparer. Mise en plis, maquillage, nouveaux vêtements. Jusqu'à mes 28 ans, je m'achetais de nouveaux vêtements -“les vêtements de Noël”- tous les ans. Ma tenue était très colorée pour Noël. Contrairement à mon habitude, ma coiffure était très étudiée. J'essayais de nouvelles couleurs de fards à paupières. Parfois je sortais le grand jeu et me tatouais un papillon sur l'épaule -“C'est Noël!”. J'assistais ensuite à une messe, suivie d'une fête où le Père Noël apparaissait pour nous donner des ballons et des chapeaux, et nous dansions sur “Jingle Bells”.

A la mort de mon père, certains rituels de Noël ont quitté la maison. L'arbre de Noël, par exemple, a disparu, mais ma mère a tenu à conserver les rituels de partage et d'échanges de cadeaux. Chaque année elle insistait aussi pour que nous sortions faire la fête avec nos amis en la laissant seule à la maison. Aujourd'hui je regrette toutes les fois où, adolescente, je l'ai laissée seule pour sortir m'amuser avec des amis.

Après le mariage de ma soeur et à la naissance de son premier enfant, Noël a retrouvé une ambiance familiale et ma mère son sourire. On a repris le rituel de la décoration du sapin et elle a fêté Noël avec les petits enfants. Le nombre de lettres au Père Noël a augmenté et on a tous fait preuve d'imagination pour inventer de nouveaux scénarios pour la distribution des cadeaux par le Père Noël

Et puis la révolution a commencé.

Le premier Noël est aussi banal que possible. J'essaie d'ignorer la menace imminente pour vivre un Noël familial ordinaire, et soulager ma mère de ses peurs et de ses angoisses pour ma sécurité.

L'année suivante il est impossible de faire semblant. Mon dernier jour à la maison est prévu le 1er janvier. Les forces de sécurité m'ont déjà repérée à cause de ce que j'ai écrit, mais aussi à cause de dénonciations écrites aux forces de sécurités -de la part de gens avec lesquels j'avais fêté Noël, chanté, dansé, fait la fête.

Ce jour-là a été ma dernière journée à Alep Ouest, qui est encore maintenant contrôlée par Assad, et dont l'accès m'est donc interdit. J'ai traversé la frontière vers la Turquie et suis re-rentrée par le côté libéré de la ville. Pour faire la traversée entre les deux territoires, j'ai dû utiliser une fausse identité et me déguiser avec un foulard sur la tête. Et pour éviter les tirs des snipers du régime qui visaient ceux qui traversaient, il fallait courir entre les deux postes. Cela a été les cinq minutes les plus dangereuses de ma vie. Traverser, affronter ce danger avec pour seul but “le souvenir du Nouvel An”. Noël en tant qu'acte de résistance – je n'allais pas les laisser me voler mon Noël.

L'année suivante, ISIS me poursuit. Il est dangereux pour moi, en tant que chrétienne, de me trouver dans des zones où ils se déplacent librement, où ils kidnappent les révolutionnaires, et en priorité les musulmans. Mais malgré le danger, j'insiste pour avoir un arbre de Noël chez moi. En temps de guerre, il n'est pas facile de se procurer un arbre de Noël.

Je suis arrivée saine et sauve de l'autre côté: un “miracle de Noël” peut-être. Et j'ai fêté Noël et la nouvelle année avec les amis qui m'aimaient assez pour prendre le risque de faire la fête avec moi. Je suis ensuite retournée dans la partie d'Alep libérée, et je savais que c'était mon dernier Noël chez moi, dans ma rue.

Au même moment cette année-là il y a eu un autre miracle dans ma ville: mes meilleurs amis ont survécu à un bombardement lors d'un réveillon du 1er janvier. J'en suis encore reconnaissante. Le plus beau miracle de ma vie.

L'année suivante, ISIS me poursuit. Il est dangereux pour moi, en tant que chrétienne, de me trouver dans des zones où ils se déplacent librement, où ils kidnappent les révolutionnaires, et en priorité les musulmans. Mais malgré le danger, j'insiste pour avoir un arbre de Noël chez moi. En temps de guerre, il n'est pas facile de se procurer un arbre de Noël. J'ai dû l'acheter en Turquie, un prix que je pouvais à peine me permettre. Je l'ai enveloppé dans des vêtements pour le faire passer clandestinement à Alep. J'ai caché les décorations dans des boîtes de kleenex. Deux heures de route où à chaque contrôle je prenais un air très dégagé pour que l'on ne fouille pas mes vêtements et que l'on ne trouve pas l'arbre qui y était caché.

A un poste de contrôle d'ISIS à l'entrée de la ville un garde m'a demandé: “A qui est cette valise?”

“C'est la mienne”. J'ai fait mine de vouloir l'ouvrir mais le chauffeur a répondu: “C'est celle de la dame”.

Le garde s'en est désintéressé et je suis passée saine et sauve à Alep. Un autre miracle? Je ne sais pas.

J'invite des amis chez moi. Pour la plupart c'est la première fois qu'ils décorent un arbre de Noël et même si le rituel n'a pas de signification religieuse pour eux, ils sont venus et restent avec moi pour partager ma joie.

Jawad, le plus drôle d'entre eux, dit gaiment: “C'est vraiment bien les fêtes chrétiennes.” Et tout le monde rit.

Ali, mon ami de l'Armée Syrienne Libre, arrive avec un cadeau qu'il veut que je mette sous l'arbre. Je le prend – et je suis pétrifiée de peur. C'est un petit pistolet. Il dit: “Ce n'est trien. Au cas où il viennent te prendre,” -il parle d'ISIS- “ne les laisse pas te prendre vivante.”

L'idée me terrifie. C'est terrifiant de penser que quelqu'un qui vous aime vous suggère de vous suicider. Il sait que je ne peux pas tuer, alors il n'essaie même pas de me convaincre de me défendre. Le pistolet a finallement été volé, avec l'ordinateur portable et d'autre choses dans la maison, et on n'a jamais eu besoin de l'utiliser. Encore un miracle.

Aujourd'hui l'arbre de Noël est enfermé dans une maison du quartier de Al Sukkari, une maison que son propriétaire a murée avant de fuir on ne sait où.

C'est peut-être tout cela Noël.

Etre simple avec les gens que l'on aime, défier la mort et la solitude.

Ignorer le fait que ce sont les parents qui sont le Père Noël.

Défier les tirs des snipers pour passer le réveillon du 1er janver avec ses amis.

Passer en contrebande un arbre de Noël aux postes de contrôle d'ISIS.

Prendre des résolutions le 1er janvier, en sachant qu'on ne pourra pas les tenir.

Prier du fond du coeur pour que les portes ne se ferment pas au nez des réfugiés de son pays comme elles se sont fermées au nez de Marie et Joseph le soir de Noël.

Essayer de trouver un moyen miraculeux de pénétrer un souvenir extrêmement douloureux et le peindre d'amour.

C'est peut-être tout cela Noël. Etre assez naïf pour écrire une lettre et demander la “liberté”.

 

La bibliothèque à pédales de Saber Hussaini : Une histoire d'espoir en Afghanistan

vendredi 25 décembre 2015 à 23:25
quesa

Photo publiée sur Twitter par la Qessa Academy.

En Afghanistan, l'instruction commence au foyer.
Ceci est le message de Saber Hussaini, un auteur et conteur de 35 ans qui, à bicyclette, a passé plus d'un mois à distribuer des livres d'enfants dans des villages où il y a une demande de matériaux de lecture et un programme d'enseignement auxquels l'administration locale ne peut subvenir.
Ne vous attendez pourtant pas à lire l'histoire de Saber sur CNN, ou même sur les médias dominant la scène en Afghanistan.
Les récits positifs sur ce pays de 30 millions d'habitants ne sont pas vendeurs, ce qui laisse des histoires méritoires injustement ignorées et un pays à la mauvaise image. Cependant on trouve encore des personnes et des organisations qui, malgré la violence et la guerre, s'engagent à travailler dur pour un avenir plus brillant et plus paisible.
Vers la fin d'octobre, Saber Hussaini, auteur et conteur de 35 ans, a créé une bibliothèque mobile couvrant 5 villages par jour au centre de Bamiyan, une province de population majoritairement Hazara au beau milieu de l'Afghanistan, où les étagères des bibliothèques pauvrement garnies ne renferment pas un seul livre pour enfants.
Saber Hussaini a décidé de distribuer ses 200 volumes de livres d'enfants aux élèves des écoles durant son temps libre de façon à répondre symboliquement à l'énorme soif de lecture au Bâmiyân coupé de tout.
La bibliothèque mobile de Saber, dont la capacité est d'une quinzaine de livres grosso modo, a rapidement attiré nombre d'enfants. En peu de temps, les livres de contes et les livres illustrés qu'il a transportés derrière son vélo se sont substitués aux pistolets en plastique et autres jouets inutiles.

#MonHérosAfghan est Saber Hussaini, l'homme qui fait fonctionner sa propre bibliothèque mobile pour enfants pour 5 villages de Bamiyan

Saber représente une génération éprouvée par la guerre, qui a une grande faim d'instruction et lutte pour l'obtenir, et trouve son idéal dans le livre et la plume.
Les gens de son âge sont trop jeunes pour avoir connu un temps où la violence et la guerre n'étaient pas permanentes, mais pas trop vieux pour croire que l'avenir de l'Afghanistan puisse être différent.
L'utilisateur de Facebook Saeid Madadi a fait l'éloge de Saber, se référant aux mots d'un poème populaire :

Le matin, je me suis réveillé sur cette information. J'ai souri. “Bamiyan est un monde de miracles.”

L'histoire de Zainab Karimi
Saber Hussaini, bien sûr, est loin d'être le seul héros à promouvoir l'accès à l'instruction en Afghanistan.
Zainab Karimi, une femme de 50 ans qui aussi vit dans la province de Bamiyan, à enseigné lire et écrire à 500 femmes durant les cinq dernières années, à ses frais.
Adulte, Zaina a suivi des cours d'alphabétisation qui lui ont permis de continuer son instruction jusqu'à la terminale. Ensuite elle s'est fait enseignante, déterminée à enseigner dans les villages de sa région jusqu'à ce que l'illettrisme soit éradiqué.
Les années de l'adolescence de Zainab ont coïncidé avec un état de guerre incessant en Afghanistan. En enseignant des centaines de femmes de son âge, elle prouve passionnément que la guerre ne peut pas vaincre la volonté d'apprendre de l'être humain.

La province de Bamiyan a le plus grand taux d'instruction des filles du pays. De ses 135.000 élèves, près de la moitié sont des filles.

Croire au Bamiyan
Entouré de partout de montagnes majestueuses dans un pays déjà sans ouverture à la mer, Bamiyan est une des provinces les plus pauvres d'Afghanistan. Toutes les universités du pays sont désastreusement sous-financées, avec seulement 1000 dollars alloués pour les livres à chacune.
L'Université de Bamiyan semble en quelque sorte avoir souffert doublement. Cependant malgré sa pauvreté la province est numéro un en termes d'accès à l'éducation pour les garçons et filles.

De toutes les provinces en Afghanistan, Bâmiyân est formidable en ce qui concerne l'instruction et l'égalité entre sexes malgré la pauvreté

Les étudiants à Bamiyan sont très actifs, et ceux de l'Université d'État de Bamiyan protestent régulièrement contre les mauvaises conditions là-bas.
En 2013 ils ont manifesté pour attirer l'attention sur la dégradation du dortoir des étudiants. Plus récemment, début avril, ils ont fait une grève protestant contre l'inéquitable distribution du budget de l'enseignement supérieur, qui d'après eux désavantage Bamiyan.
Les deux fois, le gouvernement les a ignorés. Mais ils sont devenus habitués à cela. En Afghanistan, le droit à l'instruction n'est pas un droit acquis à la naissance. C'est un droit pour lequel vous devez peiner et vous battre.