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L'avenir de la protection des eaux fait débat au Mexique

mardi 24 juillet 2018 à 11:40

Cascade de Agua Azul (« eau bleue » en espagnol), Mexique. Photographie de Donar Reiskoffer publiée sous licence Creative Commons (licence Attribution 3.0 Unported)

[Article d'origine publié en espagnol le 20 juin 2018] A l'approche de l'élection présidentielle mexicaine, le débat sur l'avenir de la ressource en eau du pays était ranimé une fois de plus par la publication d'un article sur la supposée privatisation [en] des réserves naturelles hydrauliques nationales. Selon cet article, cette manœuvre politique a profité de la distraction de la société civile alors concentrée sur le premier match du Mexique lors de la Coupe du Monde 2018.

Après que le site d'informations en ligne Sin Embargo a publié l'article, une douzaine de chaînes nationales l'ont repris. Ce mouvement fait suite à la signature de 10 décrets présidentiels [es] pour la Journée mondiale de l'environnement, #DíaMundialDelMedioAmbiente, le 5 juin, qui modifient le statut légal des espaces hydrauliques protégés.

Avec les hashtags #PrivatizacionAgua (privatisation de l'eau) et #ReservasDeAgua (Réserves en eau), un débat clivant se continue en ligne. D'un côté, des net-citoyens affirment que l'histoire n'est qu'une « fake news » car les décrets n'ont pas été signés le jour indiqué par l'article (le jour du match du Mexique pendant la Coupe du Monde). Ils pointent également le fait que ces décrets ne constituent pas une privatisation [es]. De l'autre côté, ceux qui remettent en question la décision disent que ces décrets rendent possibles des exploitations abusives [es], augmentant le risque de dommages environnementaux et sociaux à l'avenir :

Les armées numériques, en plus des sites d'informations Regeneración et Sin Embargo, ont diffusé l'information (et le font toujours) que l'eau a été privatisée pendant que nous regardions le match du Mexique contre l'Allemagne. Ce n'est pas vrai. Cette Fake News essaie de susciter un mouvement de colère favorable au vote pour « vous savez qui ».

Le secrétaire à l'Environnement et aux ressources naturelles au sein de la Commission nationale sur l'Eau a rendu publique une déclaration [es] affirmant que les décrets en question visent à assurer l'alimentation en eau potable de la population, et que la préservation de l'environnement répondra aux recommandations internationales. Au même moment, le Fonds Mondial pour la Nature (World Wide Fund) a qualifié de positive et « d'historique [en] » la décision de modifier les « zones interdites » en « réserves ».

Une privatisation de l'eau ? Bien au contraire : une eau en quantité suffisante pour l'environnement et pour la population. Voilà notre position sur les décrets sur les réserves hydrauliques.

Légende de la photo du tweet : À propos des réserves hydrauliques. La position du WWF sur ces réserves. Les réserves hydrauliques ne constituent la privatisation d'aucune ressource, ni la disparition d'un seul des droits existants d'accès à l'eau.

Water for All (« l'eau pour tous » en anglais), — un réseau réunissant des villages, des communautés et des organisations de défense de l'eau, et qui est l'auteur de l’Initiative citoyenne pour la législation générale sur l'eau [es] —, a lancé une pétition [es] en ligne pour faire annuler l'arrêté présidentiel, et l'université nationale autonome du Mexique a récemment tenu une conférence de presse sur cette question.

Sa lecture vous fera constater que la privatisation de l'eau n'est pas qu'une connerie de « clicktiviste »🙃

Quels sont les risques ?

Entre les qualificatifs de « excellent » et de « terrible », le silence d'acteurs clés comme la Coalition des organisations mexicaines pour le droit  à l'eau [es] et le Centre mexicain de la Loi sur l'Environnement [es], plusieurs médias ont tenté de trouver des informations pour éclaircir la question et savoir si les nouveaux décrets compromettent [es] ou non le droit à l'eau et aux écosystèmes. Le journal El País a recolté les avis de sept universitaires, dont certains avaient soutenu en 2012 la réforme de l'article 4 de la constitution reconnaissant le droit à l'eau :

Le problème des réserves hydrauliques n'est pas nouveau. Ces décrets sont dans la continuité de commentaires faits par l'OSC et le CNDH, récoltés lors d'une étude de @PdPagina. Pour des éléments de fond utiles à la compréhension du contexte de la privatisation de l'eau voir…

Le titre de l'article indique : 55 % des eaux du pays menacées en raison de la levée de la zone interdite.

En raison du flou entourant le contenu et la portée des décrets récemment publiés, beaucoup d'internautes impliqués dans le débat demandent aux personnes habituellement peu engagées sur cette question d'examiner minutieusement toutes les sources et le contexte des discussions. Le principal souci est d'éviter de réduire cette question à un sujet électoral et, au contraire, de reconnaitre que le débat doit inclure l'ensemble des sources de conflits concernant la ressource en eau au Mexique. Conscient de cela, des usagers de Twitter ont utilisé leur compte pour expliquer par des messages [es], quelques-unes des difficultés de la question.

Les tentatives d'appropriation de l'eau pour une exploitation privée sont une tendance ancienne au Mexique que le présent gouvernement continue. De tels exemples peuvent être trouvés dans l'affaire #LeyKorenfeld en 2015 ou dans celle de #LeyPichardo en 2018.

Dans le contexte actuel, il est primordial d'arriver aussi bien à une définition juridique de l'« utilité publique » qu'à une localisation et une définition de la disponibilité des 55 % de réserves hydrauliques au Mexique. La principale inquiétude des opposants à ces décrets est que le gouvernement tente d'utiliser ses prérogatives pour faire passer ce qu'il ne peut accomplir par la voie législative en raison d'un rejet massif par la société civile.

Écrire pour “briser le silence” sur l'exploitation sexuelle des jeunes femmes défavorisées en Jamaïque

lundi 23 juillet 2018 à 16:56
Author Nicole Dennis-Benn at her book party at Jamaican bookstore 'Bookophilia' in Kingston, January 2017. Photo by Emma Lewis, used with permission.

L'auteure Nicole Dennis-Benn au lancement de son livre à la librairie jamaïcaine Bookophilia à Kingston, en janvier 2017. Photo par Emma Lewis, utilisée avec autorisation.

[Article d'origine publié le 17 janvier 2017] “Une histoire en attente de récit”, voilà comment l'écrivain lauréat du Booker Prize Marlon James définit “Here Comes the Sun” (en anglais, non traduit), le premier roman de Nicole Dennis-Benn — qui comme James, est une romancière jamaïcaine qui vit aux États-Unis. Le roman a obtenu des critiques élogieuses, y compris dans le New York Times.

La récente visite de Dennis-Benn dans son île natale a coïncidé avec le tempétueux débat en cours dans les médias jamaïcains, notamment sur les médias sociaux, comme dans le public, au sujet des violences sexuelles. En Jamaïque, l'exploitation des jeunes femmes en détresse économique est passablement répandue, et les exploiteurs sont souvent des hommes âgés détenant des positions privilégiées dans la société.

Le débat a été allumé par l'affaire d'un pasteur de l’Église morave, accusé de relations sexuelles avec une jeune fille de 15 ans. Alors que le scandale, les révélations et autres échanges souvent mordants qui en ont découlé se poursuivaient, les dirigeants de l’Église ont démissionné et les allégations de pédophilie contre d'autres ecclésiastiques de haut rang font l'objet d'enquêtes. Le livre de Dennis-Benn aborde avec franchise beaucoup de ces thèmes. Global Voices a interrogé l'auteur sur l'évolution de son travail et la manière dont elle traite de ces questions difficiles dans son roman.

Global Voices (GV) : Parlez-nous un peu de votre itinéraire de romancière. Est-ce que quitter la Jamaïque vous a aidée à développer votre écriture ? Quand et comment vous-êtes vous sentie habilitée à écrire ?

Nicole Dennis-Benn (NDB): When I left Jamaica at 17 years old for college in the United States, I wrote to cope with my homesickness. I realized then that it was more than a coping mechanism, [it was] my passion — a passion I wouldn’t have gotten to explore had I stayed in Jamaica. As Jamaicans, we were raised to honor traditional professions such as medicine, law, business and politics, but not the arts. I was the first in my family to attend college and thus felt it was imperative that I not let my family down by doing something of no value to them. I was determined to be a doctor then, taking pre-med courses at Cornell University, because in the eyes of every working-class household, medicine is among the top professions […] to pull us out of our socio-economic bracket. Years later, I got the courage to pursue a Master in Fine Arts in Creative Writing at Sarah Lawrence College after graduating with a Master’s in Public Health and working in the field as a researcher at Columbia University. I was still timid about fully immersing myself in writing and even calling myself a writer, though I was writing constantly. Most of that diffidence came from what I had internalized growing up. However, I am glad that I took the leap, because I would not have been happy with a flashy career doing something I don’t want to do for the sake of status.

Moreover, had I stayed in Jamaica as a working-class Jamaican, I would not have had the time or the opportunity to nurture my passion in writing, which would’ve been deemed a luxury. Also, I would not have been able to step outside the mental rut of survival to critically analyze the culture and write from an honest perspective. Therefore, it took leaving the country and processing the reasons why I felt the need to leave in the first place, which contributed to my desire to write.

Nicole Dennis-Benn (NDB): Quand à 17 ans j'ai quitté la Jamaïque pour aller étudier aux États-Unis, j'ai écrit pour surmonter mon mal du pays. J'ai compris alors que c'était plus qu'un mécanisme de défense, [c'était] ma passion, une passion que je n'aurais pas eu l'occasion d'explorer si j'étais restée en Jamaïque. En tant que Jamaïcains, nous étions élevés pour honorer les métiers traditionnels de la médecine, du droit, des affaires et de la politiqu, mais pas des arts. J'ai été la première de ma famille à aller à l'université, et j'avais donc le sentiment qu'il était impératif que je ne déçoive pas ma famille en faisant une chose sans valeur pour elle. J'étais alors décidée à devenir médecin, et j'ai suivi une classe préparatoire aux études de médecine à l'université Cornell, parce qu'aux yeux de tout foyer de la classe ouvrière, la médecine est parmi les professions au sommet […] pour nous sortir de notre écart socio-économique. Des années après, j'ai trouvé le courage de préparer un master de Beaux-arts en écriture créative au Sarah Lawrence College après mon  master en Santé publique et mon travail de chercheur en ce domaine à l'Université Columbia. Je n'osais pas encore m'immerger pleinement dans l'écriture ni même me dire écrivaine, même si j'écrivais sans arrêt. Cette frilosité provenait de ce que j'avais intériorisé en grandissant. Mais je suis contente d'avoir fait le saut, parce que je n'aurais pas été heureuse dans une carrière clinquante à faire ce que je ne veux pas pour un statut social.

De plus, si j'étais restée en Jamaïque comme Jamaïcaine de la classe ouvrière, je n'aurais pas eu le temps ni la possibilité de nourrir ma passion pour l'écriture, qui aurait été considérée comme un luxe. Et je n'aurai pas pu non plus sortir de l'ornière mentale de la survie pour analyser de façon critique la culture et écrire avec honnêteté. Il a fallu pour cela partir et examiner les raisons qui m'ont poussée en premier à partir, ce qui a contribué à mon désir d'écrire.

GV : Est-ce que vous pensez que la lecture du roman mettra certains mal à la l'aise en Jamaïque ? Il est si proche de la réalité pour beaucoup de femmes jamaïcaines.

NDB: So far, the book has been well received by Jamaicans. I think more than anything else, they appreciate the honesty and the fact that it tackles universal themes they can identify with, regardless of their personal experiences or beliefs. For example, themes such as love, loss, identity, acceptance, and displacement are all themes people can connect to. Many Jamaican women have reached out to me thanking me for writing a book like ‘Here Comes the Sun’. For one, we live in a culture of shame and secrecy; and for the first time, Jamaican women see their stories of sexual assault and questions of self-worth being tackled on the page without it demonizing them or portraying them as caricatures. It is important to them to see themselves reflected on the page by a writer who is one of them. Again, this reminds me of why I write. As Marcus Garvey says, ‘Only us can free us’, and if we don’t begin to have open dialogues about what ails us as women in our culture and society in general, then we will never heal.

NDB : Jusque là, le livre a été bien reçu par les Jamaïcain[e]s. Je pense qu'[elles] apprécient avant tout son honnêteté et le fait qu'il aborde des thèmes universels avec lesquels [elles] peuvent s'identifier, quelles que soient leurs expériences et croyances personnelles. Par exemple, des thèmes comme l'amour, la perte, l'identité, l'acceptation et le déplacement sont tous des thèmes auxquels les gens peuvent se relier. De nombreuses femmes jamaïcaines m'ont contactée pour me remercier d'avoir écrit un livre comme ‘Here Comes the Sun’. D'abord, nous vivons dans une culture de la honte et du secret ; et, pour la première fois, les femmes jamaïcaines voient leurs histoires d'agressions sexuelles et leurs questions de respect de soi mises par écrit sans qu'elles soient diabolisées ou caricaturées. Il est important pour elles de se voir couchées sur le papier par un auteur qui est l'une d'entre elles. Encore une fois, cela me rappelle pourquoi j'écris. Comme le dit Marcus Gravey, “Nous seul[e]s pouvons nous libérer”, et si nous ne commençons pas à avoir des discussions ouvertes sur ce qui nous fait abîme en tant que femmes dans notre culture et notre société en général, alors nous ne guérirons jamais.

GV : Vous dites que vous avez buté sur votre portrait du personnage de Margot et sa sexualité. Est-ce qu'elle vous ressemble par certains traits, en tant que lesbienne de la Jamaïque ?

NDB: Yes, I relate to Margot a lot. Not only because of her sexuality, which was hard for her to accept given the cultural norms; but because like Margot, I too desperately wanted upward mobility in a country I love dearly, but had no idea how to achieve it. Unlike me, Margot had the guts to make unpopular decisions to get what she rightfully deserves — which is equal opportunity in a country where wealth is unequally divided; made available to people of a certain hue, class, and last name. Margot broke that barrier, and that is why I proclaim her as my heroine.

Also, with wealth comes acceptance too. In ‘Here Comes the Sun’, Margot makes [that] clear when she expresses her desire to live in Lagoons with her lover, Verdene Moore, which promises to shield them, given that Lagoons is a wealthy gated community in Montego Bay. For in Jamaica, class and socio-economic status are determining factors in whether or not one can live freely and happily as an out gay or lesbian.

NDB : Oui, Margot me ressemble beaucoup. Pas seulement à cause de sa sexualité, qu'elle a eu des difficultés à accepter vu les normes culturelles, mais aussi parce que, comme Margot, j'ai aussi désespérément voulu l'ascension sociale dans un pays que j'aime profondément, sans avoir la moindre idée de comment y arriver. Contrairement à moi, Margot a eu le cran de prendre des décisions impopulaires pour obtenir ce qu'elle mérite tant : l'égalité d'opportunités dans un pays où la richesse est inéquitablement répartie, à la disposition des gens d'une certaine teinte, classe et nom de famille. Margot a brisé cette barrière, et je la proclame mon héroïne.

De même, avec la richesse vient aussi l'acceptation. Dans ‘Here Comes the Sun’, Margot en fait un évidene quand elle exprime son désir de vivre à Lagoons avec son amante, Verdene Moore, ce qui leur assure une protection, puisque Lagoons est une résidence sécurisée à Montego Bay. Car en Jamaïque, classe et statut socio-économique sont des facteurs déterminants pour pouvoir ou non vivre libre et heureux en tant qu'ouvertement homosexuel.

At the book party for her novel 'Here Comes the Sun', Nicole Dennis-Benn signs a copy of her book for Professor Carolyn Cooper. Photo by Emma Lewis, used with permission.

A la séance publique de signature de son roman ‘Here Comes the Sun’, Nicole Dennis-Benn dédicace un exemplaire pour la professeure Carolyn Cooper. Photo Emma Lewis, utilisation autorisée.

GV : “Here Comes The Sun” est un chant lumineux et optimiste, et le dessin de couverture en est aussi le reflet. Êtes-vous optimiste pour la Jamaïque ?

NDB: The title of the book certainly has nothing to do with The Beatles’ song! In my novel, the sun is symbolic — an irony, in that we were raised to fear the sun as darker skin Jamaicans. In my book, it is that very same sun that becomes an illuminating factor, revealing the realities and ugliness of desperation inherent in poverty. Like I said, we cannot begin to be optimistic about change as a people or as a society if we are not willing to face this ugliness. We have to face it, and have honest dialogues about it, in order to move forward.

NDB : Le titre du livre n'a certainement rien à voir avec la chanson des Beatles ! Dans mon roman, le soleil est symbolique, ironique en ce que nous avons été élevées dans la crainte du soleil comme Jamaïcaines à la peau plus sombre. Dans mon livre, c'est ce même soleil qui devient un facteur éclairant, un révélateur des réalités et de la laideur de la désespérance inhérente à la pauvreté. Comme je l'ai dit, nous ne pouvons pas commencer à être optimistes sur le changement en tant que personnes ou société si nous ne sommes pas prêts à regarder cette laideur en face. Nous devons la confronter, et en parler franchement, pour aller de l'avant.

GV : Qui ou quoi vous a inspirée à écrire ? Vous reconnaissez-vous des influences littéraires, notamment d'auteurs caribéens ?

NDB: I was very much inspired by Edwidge Danticat and Paule Marshall, both Caribbean authors who aren’t afraid to delve into the complexity of Caribbean women on the page. I found that growing up, I was exposed to white and male authors. I never saw writers writing who looked like me both in gender and complexion, and dare I say, class. Danticat and Marshall represented that hope I desperately needed as a young aspiring storyteller who wanted to write about the people and place I love dearly in an authentic way.

NDB : J'ai été très influencée par Edwidge Danticat et Paule Marshall, deux auteures caribéennes qui n'ont pas peur de plonger par l'écriture dans la complexité des femmes caribéennes. J'ai constaté qu'en grandissant j'ai été exposée aux auteurs hommes blancs. Je n'ai jamais vu des écrivains écrire qui me ressemblaient par le sexe et la couleur de peau, et oserai-je dire, la classe [sociale]. Danicat et Marshall représentaient cet espoir dont j'avais terriblement besoin comme aspirante narratrice voulant écrire avec authenticité sur les gens et lieux que j'aime de tout mon cœur.

GV : Votre venue en Jamaïque coïncide cette fois avec le très vigoureux débat public en cours sur l'île autour des violences contre les femmes et les jeunes filles. Avez-vous un message pour les femmes jamaïcaines ? Pensez-vous que le moment est venu pour le dialogue et la guérison ?

NDB: Now is certainly the right time for dialogue, which is a prelude to healing. Though it might seem uncanny that ‘Here Comes the Sun’ touches on the very issue being lamented currently about the sexualization of our young girls, I initially wrote the book to dismantle the silence. My female protagonists in ‘Here Comes the Sun’ have all suffered sexual abuse, Delores inevitably saying to her own daughter, Thandi — who had been through the same thing — what many Jamaican mothers would say, ‘Is nuff woman it ‘appen to. Jus’ move on.’ This is how the secret thrives. Growing up in Jamaica, I’ve always been aware of this, my own innocence destroyed by my elders’ warnings about being vigilant as a young girl in society. God forbid if anything happens, it sets the young girl up to believe it was her fault. Many girls and women suffer the aftermath of sexual assault in silence, believing it was their fault. I want to use my art to give them a voice.

Also, another elephant in the room, which we need to address as a country, is poverty. Yes, we are going to have defeated, impoverished women thinking their only value is between their legs. For what else do they have to offer without proper education and opportunities for upward mobility? We are also going to have mothers who use their daughters as currency; mothers who cannot afford to feed their children or send them to school, and thus resort to using their girl-children to pay their way forward. Again, this is a result of a deficit in better opportunities. I’m not condoning this, but it is a reality that we must address as a nation without demonizing the women desperate enough to do such things and/or have knowledge of it happening behind their back and not question it. My character Delores sold her daughter, Margot, into prostitution for the very same reason that the poor mother […] in the recent news about the Moravian Church sex scandal — who knew her under-age daughters were bringing home groceries from sleeping with that Moravian pastor — did. When I sat down to write ‘Here Comes the Sun’, my goal was to humanize this woman and the hundreds more like her in our society, especially for policy makers who have the power to change this reality; to give free education and opportunities to women and children in our society to advance.

NDB : Maintenant est certainement le bon moment pour le dialogue, qui est le prélude à la guérison. Même s'il peut paraître troublant que ‘Here Comes the Sun’ touche au sujet même que l'on déplore actuellement de la sexualisation de nos petites filles, c'est d'abord pour démanteler le silence que j'ai écrit le livre. Mes protagonistes féminines de THere Comes the Sun” ont toutes souffert de violences sexuelles, et c'est de façon prévisible que Delores dit à sa propre fille Thandi, qui a vécu la même chose, ce que diraient de nombreuses mères jamaïcaines : ”Is nuff woman it ‘appen to. Jus’ move on’ [Ça arrive plein de femmes. Y a qu'à tourner la page]. Voilà comment le secret prospère. En grandissant à la Jamaïque, je l'ai toujours su, mon innocence détruite par les avertissements de mes aînées sur la nécessité d'être sur ses gardes pour une petite fille en société. Dieu nous en garde si quelque chose arrive, cela installe la fillette dans la conviction que ce sera de sa faute. Beaucoup de filles et femmes souffrent les suites de l'agression sexuelle dans le silence, persuadées que c'est de leur faute. Je veux utiliser mon art pour leur donner une voix.

Autre “éléphant dans le salon”, que nous devons traiter en tant que pays, c'est la pauvreté. Oui, nous allons avoir des femmes paupérisées, déchues, qui croient que leur seule valeur est entre leurs jambes. En effet, qu'ont-elles d'autres à offrir en l'absence de véritables études et possibilités d'ascension sociale ? Nous allons aussi avoir des mères qui utilisent leurs filles comme monnaie d'échange : des mères qui n'ont pas de quoi nourrir leurs enfants ou les envoyer à l'école, et recourent donc à leurs enfants-filles pour leur payer leurs progrès. Encore une fois, c'est le résultat d'un déficit de meilleures possibilités. Je ne l'excuse pas, mais c'est une réalité sur laquelle nous devons agir en tant que nation sans diaboliser les femmes assez désespérées pour faire cela et/ou avoir connaissance de ce qui se passe dans leur dos sans le remettre en question. Mon personnage Delores a prostitué sa fille Margot pour la même raison que la mère démunie l'a fait […] dans la récente affaire du scandale sexuel de l'Église morave, qui savait que si ses filles mineures apportaient à manger à la maison, c'était parce qu'elles couchaient avec ce pasteur morave. Quand je me suis mise à écrire ‘Here Comes the Sun’, mon but était de rendre humaine cette femme et les centaines comme elle dans notre société, surtout à l'intention des décisionnaires qui ont le pouvoir de changer cette réalité, de donner une éducation gratuite et des possibilités d'avancer aux femmes et aux enfants de notre société.

Ces Dropkas sont-ils les derniers éleveurs de yaks du Sikkim ?

dimanche 22 juillet 2018 à 13:42

Des gardiens de yaks au Tibet. PHOTO: Matt Ming (CC BY 2.0)

Sur les collines du nord du Sikkim, dans le nord-est de l'Inde, la vie du peuple drokpa est paisible mais difficile. Les vallons résonnent des chants dont les Drokpas accompagnent chaque activité. Ce ne sont pas des villageois ordinaires installés au même endroit depuis des décennies avec des moyens d'existence fixes. Au contraire, les Drokpas, comme leur nom l'indique, sont des nomades—“drokpa” est un mot tibétain qui se traduit à peu près par “nomade” ou “bergers des hautes altitudes”. Depuis plusieurs générations pourtant, les Drokpas s'adonnent à un métier qui pourrait bientôt disparaître du Sikkim : l'élevage des yaks.

Les éleveurs de yaks au Sikkim sont confrontés à de nombreux défis, tels que le changement climatique, les restrictions aux frontières, la raréfaction des ressources, l'incertitude économique et l'attrait d'une vie plus facile et plus confortable en ville. Ces difficultés se sont accumulées depuis les années 1960, lorsque les frontières du Tibet ont été fermées. Continuer la vie d'éleveur de yaks implique de monter toujours plus haut, ce qui fait que le nombre de personnes prêtes à garder ce mode de vie va en s'amenuisant.

Avant 1962, les Drokpas, originaires du Tibet, migraient annuellement du Tibet vers les régions septentrionales du Sikkim pour faire paître leurs yaks. Pendant les mois d'hiver, ils s'installaient temporairement au Tibet près de Khampa Dzong, où l'herbe à pâturage était plus haute, plus nutritive et n'était pas compressée par la neige. En été, ils se déplaçaient au sud vers les régions de collines du nord du Sikkim, pour s'installer brièvement dans des zones comme Dongkung, Lungma, Kerang et Lachen au Sikkim. Dans ces régions, les Lachenpas de la vallée de Lachen commerçaient avec les Drokpas pour un bénéfice non seulement pécuniaire mais aussi culturel. Ce commerce entretenait les échanges culturels et encourageait la paix entre les deux groupes. En contrepartie, les Drokpas surveillaient les troupeaux des Lachenpas et vendaient les surplus après avoir pourvu leur propre communauté soudée en lait de yak, produits laitiers et laine donnés par le troupeau. Des échanges facilités par l'accord régnant entre le Tibet et l'Inde, et les frontières ouvertes à la libre circulation des Drokpas.

Quand la Chine a occupé le Tibet, la frontière a été fermée, et en 1962 les Drokpas ont été contraints à s'établir de part et d'autre. Depuis lors, the Drokpas ont dû limiter leurs migrations à une seule région hiver comme été. Selon le Dr Anna Balikci Denjongpa, coordinatrice de recherches à l'Institut Namgyal de tibétologie du Sikkim, les Drokpas affirment qu'avant la fermeture de la frontière il y avait un millier de yaks effectuant la transhumance. Aujourd'hui ce sont moins de 12 familles qui pratiquent le mode de vie traditionnel des Drokpas éleveurs de yaks. Les autres membres de la communauté ont trouvé des métiers différents et la plupart ont cherché à s'installer dans les bourgades et villes.

Un Drokpa porte des peaux de mouton dans le village de Lachen. PHOTO: Karchoong Diyali. Used with permission.

Envers et contre tout

Le mode de vie traditionnel des Drokpas n'a rien d'aisé. Leurs mouvements restreints à l’État du Sikkim, ils subissent les hivers rigoureux, car les parties montagneuses du nord du Sikkim connaissent par moment d'épaisses chutes de neige, qui compromettent la couverture de pâturage herbeux qui profite aux yaks.

“Quand il neige, c'est très difficile pour les animaux comme pour nous”, explique Aie Chezum dans un film réalisé par l'Institut Namgyal de tibétologie, titré “Drokpa—Pâturage sur la frontière—Les éleveurs de yaks du Nord du Sikkim”.

Les Drokpas doivent compter sur la viande séchée pendant les hivers. Mais la chaleur croissante pose aussi problème. Selon les données météorologiques, le Sikkim se réchauffe en moyenne de 2,5°C chaque année. L'effet est d'amincir l'herbe, et pour les yaks de haute altitude, la chaleur est cause d'inconfort. Les animaux mal nourris finissent par être une charge, car les Drokpas doivent se résoudre à les vendre ou à les nourrir avec des aliments préparés puisque l'herbe est recouverte de neige pendant les hivers. Ce qui implique de supporter la dépense supplémentaire de l'achat de fourrage. Pour ce groupe traditionnellement autarcique, il s'agit de concepts économiques relativement nouveaux, dans la mesure où ils ont toujours dépendu du commerce pour leurs produits et biens indispensables.

Depuis que la frontière est fermée, le groupe est aussi devenu dépendant des militaires pour l'assistance médicale sur ces terrains difficiles, même si pour les maladies les plus graves l'armée ne peut pas leur venir en aide. En ces cas, la simple survie devient précaire.

Pour comprendre les Drokpas, il faut se rappeler que les yaks sont au centre de l'économie autarcique de la communauté, en fournissant la laine et le lait à partir desquels ils fabriquent divers produits, ainsi que la bouse, qui est séchée et sert de combustible. De la laine, ils font des chaussettes, des vêtements et des tapis. Autrefois ils tissaient également des habits coûteux appelés sheema et puruk portés surtout au Tibet et qui étaient des objets de négoce. Du fait des restrictions frontalières, l'activité commerciale est au point mort. Le lait des yaks est utilisé principalement pour le thé—appelé tchai dans la région—en hiver, et transformé entre autre en fromage pendant l'été. Leurs provisions de produits laitiers assurées, le fromage en surplus est traditionnellement vendu en ville, mais aux dires d'un commerçant de Gangtok, cela devient une denrée rare.

Malgré les années, les Drokpas restent considérés comme des hôtes et non comme des habitants de la région. Ils sont pris au piège par les restrictions frontalières et doivent regarder où ils posent les pieds, pas seulement parce que leurs bêtes pourraient marcher sur un champ de mines, mais aussi parce qu'ils doivent se conformer aux règles et règlements fixés par les communautés chez qui ils vivent.

L'avenir incertain du métier de berger de yaks

Enfin, à travers tout cela, certains Drokpas réussissent tout de même à vivre correctement. Ils joignent les deux bouts en surveillant les troupeaux des villageois du Sikkim dans la vallée de Lachen et en faisant des travaux divers pour les militaires. Outre le fourrage pour les bêtes, l'habillement, l'alimentation et autres nécessités, une dépense supplémentaire aujourd'hui à la charge de nombreux Drokpas est le coût de la scolarité de leurs enfants. Beaucoup ont choisi d'envoyer leurs enfants dans des écoles des villes, d'où, une fois formés et ayant pris goût à la vie urbaine, ils refusent souvent de revenir et d'accepter le genre de vie pénible associé à l'élevage des yaks. “Quand tout le reste a échoué, devenir un Drokpa est leur dernier recours”, explique le Dr Anna Balikci Denzongpa. Si les jeunes hommes Drokpa fuient aussi le métier d'éleveur de yaks, c'est  également parce qu'ils auront probablement du mal à trouver des femmes prêtes à accepter cette profession.

Ceux qui renoncent au métier d'éleveur de yaks finissent par s'engager dans l'armée, la fonction publique, ou toute autre activité urbaine. L'essor récent du tourisme au Sikkim crée aussi des emplois dans ce secteur. Un dernier recours pour ceux qui n'ont pas trouvé de travail est de s'installer dans les camps de réfugiés tibétains. L'aide accordée par l’État n'est pas un encouragement suffisant pour que les jeunes poursuivent le style de vie traditionnel drokpa, pas plus que l'intérêt montré par quelques ONG.

En dépit de tout cela, certains continuent toujours à exercer le métier traditionnel et à mener la vie d'éleveurs de yaks dans les montagnes vallonnées et accidentées du Sikkim. Mais même ceux qui bravent les rudes conditions pour ce faire sont conscients du fait que leurs enfants pourraient choisir de vendre leurs troupeaux et de s'installer dans les villes avec d'autres emplois. Cette génération particulière pourrait bien être en train d'écrire le dernier chapitre de l'histoire des éleveurs dropkas de yaks du Sikkim.

Accès refusé : Comment la taxe sur les médias sociaux de l'Ouganda transforme les informations en produits de luxe

samedi 21 juillet 2018 à 23:20

Une manifestation contre la taxe sur les médias sociaux le 11 juillet 2018. Photo largement diffusée sur Twitter.

Les Ougandais sont descendus dans les rues de Kampala le 11 juillet pour exiger la fin du régime fiscal qui frappe les moyens de communication, d'information et de paiement pour les utilisateurs de la téléphonie mobile à travers le pays. Des plaignants contestent également la constitutionnalité de la taxe devant les tribunaux.

Introduite le 1er juillet, la nouvelle loi oblige les Ougandais à payer une taxe quotidienne sur les applications mobiles “over the top” (OTT), notamment – Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, Viber, LINE, Snapchat, Skype, LinkedIn, Tinder et Grindr.

La loi impose également une taxe de 1% sur l'utilisation de la téléphonie pour l'envoi d'argent, qui est maintenant la méthode requise pour recharger les cartes SIM.

Dans l'ensemble, ces nouvelles politiques rendront plus coûteux pour les Ougandais – en particulier ceux qui vivent dans la pauvreté – de communiquer et d'effectuer des tâches quotidiennes en utilisant leurs appareils mobiles.

Le président Yoweri Museveni dit que la taxe sur les médias sociaux vise à réduire les commérages en ligne et à augmenter les revenus publics. Ce qu'il semble ne pas savoir, c'est que la taxe fera beaucoup plus que limiter les conversations.

Cette taxe coûte trop cher

Les Ougandais sont littéralement confrontés à un pare-feu chaque jour lorsqu'ils utilisent l'une des 58 applications OTT identifiées dans la loi. S'ils veulent continuer, ils doivent payer 200 shillings ougandais (0,05 USD).

Avec un PIB moyen par habitant de 604 dollars américains, l'utilisation quotidienne des médias sociaux ou des applications de messagerie pourrait représenter jusqu'à trois pour cent des revenus annuels moyens de l'Ougandais. Cela vient s'ajouter au coût d'un téléphone mobile, à un forfait de conversation / textos / données et à la taxe de 1% sur la recharge des cartes SIM.

Selon la l'organisme Collaboration sur la politique internationale des TIC pour l'Afrique de l'Est et du Sud (CIPESA), basé en Ouganda, la taxe fera que les habitants les plus pauvres de l'Ouganda verront leurs coûts de connexion internet augmenter de 10 %. L'utilisation de seulement 1 Go de données coûtera désormais près de 40 % de leur revenu mensuel moyen.

Il reste à voir dans quelle mesure la nouvelle taxe fera baisser l'utilisation et l'accès à Internet en Ouganda, où la pénétration d'Internet est estimée à près de 22 % en 2016, selon les données de la Banque mondiale.

Un véhicule de MTN en Ouganda, le 28 novembre 2005, CC BY 2.0

Une violation de la neutralité du net

La taxe viole carrément la neutralité du réseau, le principe selon lequel les fournisseurs de services doivent traiter tout le trafic Internet de la même manière et ne pas bloquer ou restreindre l'accès à des contenus et services en ligne.

L'Ouganda n'a pas de protection juridique de la neutralité du net, le gouvernement et les compagnies de téléphone ont violé le principe par le passé, avec des prix différenciés et le blocage des médias sociaux.

En plus de censurer les médias sociaux pendant les élections (à la demande du gouvernement), les compagnies de téléphonie offrent des forfaits spéciaux permettant aux utilisateurs d'accéder uniquement à WhatsApp, Facebook et Twitter, pour un tarif inférieur à celui d'un forfait complet. Bien qu'il ne soit pas techniquement détaxé, le package a un effet similaire: il offre des économies aux utilisateurs qui s'abonnent uniquement à ces applications. Dans le même temps, cela rend l'Internet “entier” plus cher que le simple “Internet” et pousse les utilisateurs à budget limité à dépendre de ces applications particulières.

Alors que la nouvelle taxe viole la neutralité du net, elle élimine en même temps les avantages de forfaits comme ceux-ci – cette offre particulière était au prix de 200 dhilings par jour, mais avec la nouvelle taxe, le coût double officiellement. Pour les personnes qui pouvaient payer le prix du forfait spécial, mais pas beaucoup plus, la taxe peut signifier qu'elles seront tout simplement coupées de ces services.

Limiter l'accès à l'information (à ceux qui peuvent se le permettre)

La justification originale de la taxe a été décrite par le président Museveni comme suit:

Je ne vais pas proposer une taxe sur l'utilisation d'Internet à des fins éducatives, de recherche ou de référence … celles-ci doivent rester gratuites. Cependant,  pour olugambo (les commérages) sur les médias sociaux (opinions, préjugés, insultes, conversations amicales), les publicités par Google et je ne sais quoi d'autre, il faut payer des impôts parce que nous avons besoin de ressources pour faire face aux conséquences de leur olugambo.

La catégorisation par Museveni de l'utilisation des médias sociaux en tant qu'activité de luxe révèle d'importantes lacunes dans la compréhension par le gouvernement de la façon dont les gens utilisent et dépendent de ces technologies.

Comme n'importe quel utilisateur expérimenté dans la région le sait, WhatsApp n'est pas seulement un endroit où les gens discutent et bavardent sans rien faire. En Ouganda (comme dans de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine), WhatsApp est une plate-forme clé pour la distribution d'informations communautaires, de nouvelles et d'alertes publiques en cas d'urgence. Les Ougandais plus pauvres qui n'ont pas les moyens de payer la taxe seront ainsi exclus de ces réseaux d'information et de diffusion de nouvelles déjà existants. Bien qu'ils puissent créer de nouvelles méthodes d'échange d'informations, cela demande du temps, de la main-d'œuvre et un savoir-faire difficile à trouver, en particulier pour les personnes vivant dans la pauvreté.

Les Ougandais ont manifesté leur opposition à la nouvelle taxe sur les médias sociaux du pays lors d'un rassemblement le 6 juillet 2018.

La popularité, la polyvalence et la convivialité d'applications comme WhatsApp et Facebook – combinées à des offres de services à prix réduits, comme mentionné ci-dessus – signifient également que pour beaucoup de gens (en Ouganda et dans le monde), ces services sont le seul service en ligne qu'ils savent utiliser.

Activiste ougandaise et auteur pour Global Voices, Prudence Nyamishana a écrit [fr]:

La taxe ignore également le manque critique de culture numérique, en particulier chez les Ougandais pauvres. Lorsque j'ai interviewé des femmes vivant à Bwaise, un bidonville de Kampala, j'ai appris que pour elles, WhatsApp et Facebook sont Internet. Ce sont les seules plates-formes qu'elles savent utiliser. Donc, avec la nouvelle taxe, elles en seront complètement exclues.

De nombreux Ougandais utilisent maintenant des VPN pour contourner la taxe, mais le gouvernement menace de bloquer ces services également.

Transformer le discours libre en un privilège

Alors que le gouvernement semble vouloir augmenter les recettes fiscales provenant du secteur des télécommunications, les militants ougandais mettent en cause les véritables intentions du gouvernement, en particulier à la lumière de l'histoire récente de la censure en ligne en Ouganda.

Les électeurs font la queue devant un bureau de vote à Nyendo Masaka, en Ouganda, le 18 février 2011. Photo par Peter Beier. Copyright Demotix.

Lors de la dernière élection présidentielle en février 2016, l'Uganda Communications Commission a contraint les opérateurs à bloquer l'accès aux services de médias sociaux. Au cours des dernières années, les autorités ont arrêté plusieurs utilisateurs pour des critiques envers le gouvernement et le président Museveni, en vertu de la loi de 2011 sur l'utilisation abusive des ordinateurs.

”Pour les Ougandais, la taxe sur les médias sociaux n'est pas juste une autre taxe”, a écrit la journaliste ougandaise Lydia Namubiru pour Quartz Africa. ” C'est le dernier effort du gouvernement pour punir et décourager l'expression en ligne ”.

Le gouvernement tient à sa taxe, les compagnies de téléphonie restent silencieuses

Après avoir promis d'examiner les nouvelles mesures la semaine dernière, le gouvernement ougandais maintient sa décision de taxer l'utilisation des services OTT. Un projet de loi modifiant la loi de 2018 sur les droits d'accise, qui a été soumis au parlement le 18 juillet, prévoit une réduction de la taxe sur les retraits d'argent mobile de 1 % à 0,5 %, mais n'introduit aucun changement à propos de la taxe sur les médias sociaux.

Dans l'intervalle, les fournisseurs de services opérant dans le pays ont été pour la plupart silencieux. Alors qu'un petit opérateur, Smile, a offert de payer la taxe pour le compte de ses clients pendant trois mois (dans une tentative probable d'attirer plus de clients), les trois plus gros fournisseurs, MTN Ouganda, Airtel India et Africell, n'ont publié qu'un avis annonçant au grand public la mise en place de la nouvelle taxation.

“Les compagnies de téléphone ne réagissent pas parce qu'elles protègent leurs propres intérêts”, nous a dit Prudence Nyamishana. “Oligopolistes, elles peuvent se comporter comme elles le veulent sans mettre les gens au centre de leurs intérêts.”

En l'absence d'un régulateur fort et indépendant pour défendre les intérêts et les droits des utilisateurs, les militants ougandais doivent combattre seuls cette taxe. Alors que l'Uganda Communications Commission, qui réglemente l'industrie des télécommunications, est “indépendante” sur le papier, tous les membres de son conseil d'administration sont nommés par le ministre des TIC et approuvés par le gouvernement. En outre, un projet de loi proposé par le gouvernement et approuvé par le parlement l'an dernier a éliminé l'année dernière un système de freins et de contrepoids parlementaire sur la supervision du secteur des communications par le ministre des TIC.

Pour la mise en place de ces règlements, l'UCC peut seulement obéir aux ordres du gouvernement, et cela se reflète le mieux dans le soutien de la commission à la taxe sur les médias sociaux. Ibrahim Bbossa, le directeur des affaires de consommation de l'UCC, a déclaré aux médias locaux que le gouvernement avait “raison” et qu'il “avait été perspicace” dans la mise en œuvre de cette taxe parce que “la taxation de la voix était en train de disparaître”. La commission a également ordonné aux opérateurs de bloquer les VPN pour empêcher les utilisateurs de contourner le paiement de la taxe.

Cette taxe ne sera pas abolie sans un combat

Le lendemain de la mise en œuvre de la taxe, des plaignants ont intenté une action contre le gouvernement, arguant que la taxe viole les droits des citoyens à la liberté d'expression et à l'accès à l'information. Ces droits sont également protégés par des traités internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [fr] et la Déclaration universelle des droits de l'homme [fr]. L'Ouganda est signataire de ces deux documents.

Des campagnes en ligne #Notosocialmediatax (non à la taxe sur les médias sociaux) ont été lancées à la fois sur Facebook et Twitter, avec des célébrités et des dirigeants politiques qui ont invité le gouvernement à reconsidérer la taxe. Et dans les rues, les manifestations ont attiré de nombreux supporters – et la police, qui a utilisé des gaz lacrymogènes ainsi que la violence pour disperser les manifestations.

Les citoyens attendent une réponse à l'amendement proposé le 19 juillet et les requérants, une date daudience pour contester la constitutionnalité de la loi.

Lesley Lokko : “Dans une grande partie du monde post-colonial, ce qui nous motive vraiment est supprimé” (2/3)

samedi 21 juillet 2018 à 20:27

L'architecte, romancière et éducatrice d'origine ghanéenne et basée en Afrique du sud, Lesley Lokko, lors de sa visite à Trinité-et-Tobago, en juin 2018. Photographie de Mark Raymond, utilisée avec autorisation.

Cet article est la deuxième partie de notre série d'entretiens avec le professeur Lesley Lokko [fr], directrice de la Graduate School of Architecture de l'Université de Johannesburg en Afrique du Sud. Vous pouvez lire la première partie ici [fr].

Quand vous pensez au rôle d'un architecte dans la société, vous pensez peut-être à l'importance de créer un environnement physique qui soit un instantané de la civilisation humaine. Ou à l'organisation de l'espace en fonction des besoins, des aspirations et des espoirs d'une culture particulière.

Mais des sociétés comme celles des Caraïbes, souvent à leur détriment, n'utilisent que peu les services d'un architecte. Pour quelles raisons ? Lesley Lokko, architecte et écrivain qui a récemment visité Trinité-et-Tobago à l'invitation de l’Institut des architectes de Trinité-et-Tobago et de Bocas Lit Fest, a son idée.

Elle pense que cela pourrait être lié la façon dont les gens perçoivent la motivation d'un architecte. Peu de gens se rendent compte que cette motivation va au-delà de la conception et des plans : elle est liée à beaucoup d'autres choses, y compris la technologie et les relations humaines.

Global Voices (GV) : Alors, quel est véritablement le rôle d'un architecte dans la société moderne ?

Lesley Lokko (LL): I’m always drawn to Spain as a model because I believe it takes in more architecture students per capita than any other country. However, although record numbers of people study architecture there, Spain graduates the smallest number — in relation to the number that its schools take in — who go on to work as practising architects. So architecture is seen as a really interesting, fundamental degree, and even if people go through the full five years, they often go into many other fields that may have something to do with the built environment but not necessarily architecture or design. The mayor of a small village, for instance, might have studied architecture and therefore understands the power and value of a really good piece of civic architecture — so big cities like Madrid and Barcelona are not the only places where projects are happening. Spain is quite democratic in the way in which good architecture or civic space is commissioned.

In the post-colonial world, there's an insecurity around our relationship with education and training that’s just part and parcel of our thinking — so, the attitude generally is, if you start studying architecture, by God you’re going to finish, and then work for a big practice, earn a good living and so on, which perpetuates the idea that architecture is a professional discipline for those who can afford it. I think that’s the complete wrong way to think about it. I run an architecture school now in Johannesburg. It’s the biggest postgraduate school in South Africa, we are now into our third cycle of graduates, and it’s been quite a radical curriculum change. We’ve got graduates now who go off into multimedia, theatre design, web design… things that are sort of spatial, alternative forms of practice. Architecture is a much more lateral, broader, much more diffuse discipline than the way it has conventionally been taught. To make the point more clearly, unlike medical students, for example, who practice on the body of a patient; unlike lawyers, who train with language and rhetoric, students of architecture never build buildings — only representations of them.

Lesley Lokko (LL) : Je suis toujours attirée par l'Espagne en tant que modèle parce que je crois qu'elle compte plus d'étudiants en architecture par habitant que n'importe quel autre pays. Cependant, bien qu'un nombre record de personnes y étudie l'architecture, l'Espagne compte le plus petit nombre de diplômés (par rapport au nombre de recrues de ses écoles) qui continuent à travailler dans ce domaine. Le diplôme en architecture est donc perçu comme fondamentalement intéressant, et même si les gens complètent les cinq années d'études, ils travaillent souvent dans d'autres domaines qui peuvent avoir quelque chose à voir avec l'environnement bâti, mais pas nécessairement l'architecture ou le design. Le maire d'un petit village, par exemple, a peut-être étudié l'architecture et comprend donc l'importance et la valeur d'une très bonne architecture civique; ainsi, les grandes villes comme Madrid et Barcelone ne sont pas les seuls endroits où des projets sont en cours. L'Espagne est assez démocratique dans la façon dont une bonne architecture ou un bon espace civique est utilisé.

Dans le monde post-colonial, il y a une insécurité autour de notre relation avec l'éducation et la formation qui fait partie intégrante de notre pensée : l'attitude générale est que si vous commencez à étudier l'architecture, oh que oui vous irez jusqu'au bout, puis vous travaillerez pour un grand cabinet, gagnerez bien votre vie et ainsi de suite, ce qui perpétue l'idée que l'architecture est une discipline professionnelle pour ceux qui peuvent se le permettre. Je crois que c'est la pire façon d'y penser. Je dirige une école d'architecture à Johannesburg. C'est la plus grande école de troisième cycle en Afrique du Sud, nous sommes maintenant dans notre troisième promotion de diplômés, et ce fut un changement radical du programme d'études. Nous avons maintenant des diplômés qui se lancent dans le multimédia, la conception théâtrale, la conception web… des choses qui sont en quelque sorte spatiales, des formes alternatives de pratique. L'architecture est une discipline beaucoup plus latérale, plus large, beaucoup plus diffuse que la façon dont elle a été traditionnellement enseignée. Pour rendre cette idée plus claire, contrairement aux étudiants en médecine, par exemple, qui pratiquent sur le corps d'un patient; contrairement aux avocats, qui s'entraînent avec la langue et la rhétorique, les étudiants en architecture ne construisent jamais de bâtiments, seulement des représentations de ceux-ci.

Des étudiants de l'École supérieure d'architecture de Johannesburg pendant le Summer Show 2017. Photographie utilisée avec l'aimable autorisation de Lesley Lokko.

Lesley Lokko (LL): Representation, in effect, is almost its own discipline. It’s their language, whether that’s in film, multimedia, photography, collage, montage — the range of visual tools available to students today is almost endless. The historical tools — plans, sections, and elevations — are absolutely vital in terms of instructing someone how to build. But they’re not the only means by which a project can be drawn or represented. To add to the complexity, modern construction methods are their own speciality. If you were to look at the façade of a building today, even as an architect at the top of your game, you’d be hard-pressed to explain how it ‘works’. But just because something is new or modern doesn’t mean it’s without complications and challenges.

Where new means of communication have been very successful — and it goes back to this issue of social media — is in disguising themselves in the language of the old. Facebook uses terms like “Like” and “Friend” — but you are not my friend in the conventional sense of the word. Young people today have less and less sense of the conventional or traditional meaning of words and as a result, their understanding of the world has shifted. When I talk to my students about things like scale and distance and proximity and adjacency, all the architectural terms of my own training, they understand them completely differently. Distance means little to them because they can be friends with someone they've never actually seen who’s 6,000 miles away. They’re used to seeing things on a screen, not in three-dimensions. Their worlds are networked, fluid, mobile, where mine was fixed, grounded, solid. And these terms are still the fundamental terms of our trade. You have to be able to understand things in scale, but if you don’t understand what scale is, because your world has no scale… We’re being altered, somehow slowly, without us even noticing it.

LL : La représentation, en fait, est presque une discipline en soi. C'est leur langage : que ce soit dans le cinéma, le multimédia, la photographie, le collage, le montage, la gamme d'outils visuels à la disposition des étudiants aujourd'hui est presque infinie. Les outils historiques, plans, coupes et élévations, sont absolument vitaux pour enseigner à quelqu'un comment construire. Mais ce ne sont pas les seuls moyens par lesquels un projet peut être dessiné ou représenté. Pour ajouter à la complexité, les méthodes de construction modernes sont leur propre spécialité. Si vous regardez la façade d'un bâtiment aujourd'hui, même en tant qu'architecte au sommet de votre art vous aurez du mal à expliquer comment il “fonctionne”. Juste parce que quelque chose est nouveau ou moderne ne signifie pas qu'il est sans complications ni défis.

Là où les nouveaux moyens de communication ont eu beaucoup de succès, et cela remonte à cette question des médias sociaux, c'est en se déguisant dans le langage de l'ancien. Facebook utilise des termes comme “j'aime” et “ami”, mais vous n'êtes pas mon ami au sens conventionnel du terme. Les jeunes ont aujourd'hui de moins en moins le sens conventionnel ou traditionnel des mots et, par conséquent, leur compréhension du monde a changé. Quand je parle à mes étudiants de choses comme l'échelle et la distance ou la proximité et la contiguïté, tous des termes architecturaux de ma propre formation, ils les comprennent complètement différemment. La distance signifie peu pour eux parce qu'ils peuvent être amis avec quelqu'un qu'ils n'ont jamais vu à 10.000 km de distance. Ils ont l'habitude de voir des choses sur un écran, pas en trois dimensions. Leurs mondes sont en réseau, fluides, mobiles, là où le mien était fixe, ancré, solide. Et ces termes sont toujours fondamentaux dans notre métier. Vous devez être capable de comprendre les choses à grande échelle, mais si vous ne comprenez pas ce qu'est l'échelle, parce que votre monde n'a pas d'échelle … Nous sommes en train d'être altérés, d'une manière ou d'une autre, sans même que nous nous en apercevions.

Des étudiants de l'École supérieure d'architecture de Johannesburg pendant le Summer Show 2017. Photographie utilisée avec l'aimable autorisation de Lesley Lokko.

GV : Comment cela affecte-t-il la façon dont vous enseignez la discipline ?

LL: The one luxury of education is that it gives you time and freedom to reflect…very different from when you have deadlines and budgets. But I find that very few people are talking really about those things, certainly in Africa. We’re still talking about productivity and efficiency and employability and test results — we’re not really talking about the deep things that I think matter. We operate at such a speed now that those opportunities to reflect critically on what’s happening to us in scale and time and distance and taste are important.

LL : Le grand luxe de l'éducation, c'est qu'elle vous donne le temps et la liberté de réfléchir… très différent de quand vous avez des délais et des budgets. Mais je trouve que très peu de gens parlent vraiment de ces choses, certainement en Afrique. Nous parlons toujours de la productivité et de l'efficacité, de l'employabilité et des résultats des tests, nous ne parlons pas vraiment des choses profondes qui, à mon avis, sont importantes. Nous fonctionnons à une telle vitesse maintenant que les occasions de réfléchir de façon critique à ce qui nous arrive en termes d'échelle, de temps, de distance et de goût sont importantes.

GV : Alors, comment l'architecture inclut-elle cette relation entre les gens et l'environnement dans un monde où la technologie a une telle influence et change si vite ?

LL: I travel a lot. So when I was packing for this trip [to Trinidad], I left Joburg, went to Paris, Venice, London, Miami, Santo Domingo, here, going to Chicago, back to London, then to Madrid and then I go home. Everything fits in a fairly small suitcase because I know most of the hotels I stay at I can launder a clean shirt; I stick to a palate of mostly black and white because that’ll go everywhere; my clothes are neither too heavy nor too light — so in a sense, my environment is elastic — it’s moving with me. And I'd put on Instagram that I’ve been to Santo Domingo, I’ve been to Trinidad, but I could just as easily cut and paste those images from the internet and no one would ever know. So in a weird way, it’s strange to me that I’m going to travel halfway round the world, but at another level, it’s almost as if I didn’t go. In that construct, my relationships with people become really important. So it’s less my relationship with the environment or even the architecture. I’m looking for more meaningful connections with people that I meet.

We run a very different programme in the graduate school which involves what’s sometimes referred to as ‘cracking’ students open. In a less brutal sense, I’m really interested in what drives them. In a post-colonial context, the majority of students are black — and for me, it’s not so much a skin colour as the fact that they come with emotional relationships to the rest of the world that are different from the white students — through things like history, class, privilege, etc. I don’t want those students to miss the opportunity of being honest. So students need to tell me what really drives them, what they are really interested in, and I will find a way to facilitate that interest. In a lot of the post-colonial world, I would argue that what’s required is a kind of creative therapy because so much of what really drives us is suppressed.

LL : Je voyage beaucoup. Alors quand j'ai fait mes bagages pour ce voyage [à Trinité-et-Tobago], j'ai quitté Johannesbourg, je suis allée à Paris, à Venise, à Londres, à Miami, à Saint-Domingue, ici, puis j'irai à Chicago, à nouveau à Londres, à Madrid et ensuite je rentrerai chez moi. Tout rentre dans une valise assez petite car je sais que je peux donner une chemise à laver dans la plupart des hôtels où je séjournerai; je m'en tiens à une palette de noir et blanc parce que ça va partout; mes vêtements ne sont ni trop lourds ni trop légers : d'une certaine manière, mon environnement est élastique, il se déplace avec moi. J'ai publié sur Instagram que je suis allée à Saint-Domingue, à Trinité-et-Tobago, mais je pourrais tout aussi facilement couper et coller ces images sur Internet et personne ne le saurait jamais. D'une façon bizarre, c'est étrange pour moi de voyager à l'autre bout du monde. À un autre niveau, c'est presque comme si je n'y allais pas. Dans ce contexte, mes relations avec les gens deviennent vraiment importantes. Donc c'est moins ma relation avec l'environnement ou même l'architecture. Je cherche des liens plus significatifs avec les gens que je rencontre.

Nous menons un programme très différent à la Graduate School of Architecture, ce qui implique ce que l'on appelle parfois à “forcer” les étudiants à s'ouvrir. Dans un sens moins brutal, je suis vraiment intéressée par ce qui les motive. Dans un contexte post-colonial, la majorité des étudiants sont noirs et pour moi, ce n'est pas tant une couleur de peau que le fait qu'ils viennent avec des relations émotionnelles au reste du monde différentes de celles des étudiants blancs, à travers les choses comme l'histoire, la classe, le privilège, etc. Je ne veux pas que ces étudiants manquent l'occasion d'être honnêtes. Ils doivent donc me dire ce qui les motive vraiment, ce qui les intéresse vraiment, et je trouverai un moyen de nourrir cet intérêt. Dans une grande partie du monde post-colonial, je dirais que ce qui est requis est une sorte de thérapie créative parce qu'une grande partie de ce qui nous motive vraiment est supprimé.

La couverture d'un des romans de Lesley Lokko. Image reproduite avec l'aimable autorisation de Lokko.

GV : Qu'en est-il des synergies entre l'écriture et l'architecture ?

LL: Architects are narrators. They tell a story through the way in which they manipulate space. That story might be subliminal, but all architecture is storytelling — even more so at the level of student architecture, because you don’t build the building, so whatever representation of it that you have is its own narrative.

For me, writing — because architecture was so resistant to these issues around race, identity, gender, power — writing was actually an easy discipline to deal with because it’s more forgiving. If you think about English literature as a body, it has been so enriched by the post-colonial world. You can’t really think of English literature without that influence — it’s impossible. Architecture is different. It’s historically been really resistant to the idea of ‘difference’ — perhaps less so now than 30 years ago — but when I was studying, if you wanted to talk about race or identity, people would say, ‘Go study sociology, not architecture!’

But I don’t see them as different at all. Someone once suggested to me that I must have an affinity for situations that are neither one thing nor the other and that is connected to childhood. Being half-Scottish, half-Ghanaian, there was a comfort in things that can’t quite be reconciled. When I finished studying sociology, I decided I wanted to be an architect and then I wanted to be a writer, so there’s always been an instinct to move out of something just because I like that tension. And probably now, after so long, I understand that tension is productive. It’s not problematic. But the same impetus is there to tell a story.

LL : Les architectes sont des narrateurs. Ils racontent une histoire à travers la façon dont ils manipulent l'espace. Cette histoire peut être subliminale, mais toute l'architecture est une narration; d'autant plus au niveau des étudiants en architecture, parce que vous ne construisez pas le bâtiment, donc quelle que soit la représentation que vous avez, celle-ci est son propre récit.

Pour moi, écrire (parce que l'architecture était si résistante à ces problèmes de race, d'identité, de genre, de pouvoir) était en fait une discipline facile à gérer parce qu'elle est plus tolérante. Si vous considérez la littérature anglaise comme un corps, il a été tellement enrichi par le monde post-colonial. Vous ne pouvez pas vraiment penser à la littérature anglaise sans cette influence, c'est impossible. L'architecture est différente. Elle a toujours été très résistante à l'idée de “différence” (peut-être moins maintenant qu'il y a 30 ans) mais quand j'étudiais, si vous vouliez parler de race ou d'identité, on disait: “Allez étudier la sociologie, pas l'architecture !”

Mais je ne les vois pas comme différents du tout. Quelqu'un m'a suggéré une fois que je devais avoir une affinité pour des situations qui ne sont ni une chose ni une autre et qui sont liées à l'enfance. Étant mi-écossaise, mi-ghanéenne, il y avait un réconfort dans les choses qui ne peuvent pas vraiment être réconciliées. Quand j'ai fini mes études de sociologie, j'ai décidé que je voulais devenir architecte, puis que je voulais devenir écrivain, donc j'ai toujours eu l'instinct de sortir de quelque chose juste parce que j'aime cette tension. Et probablement maintenant, après si longtemps, je comprends que cette tension est productive. Ce n'est pas un problème. Mais le même élan est là pour raconter une histoire.

GV : Vous avez transformé cette tension en un outil.

LL: Yes, and I use it in writing and in teaching. To me, my novels were always didactic — all about crossing racial barriers and political histories — and half of the people reading would think it’s a love story. I realised that what you think you’re doing and what other people read into it…you’ve got no control over that.

And I think it’s the same in teaching now — there’s a lot I want to say and I’m saying it through students’ work. And in much the same way that the books go off and do their own thing, so do the students and that’s really satisfying, that there are no conclusions.

LL : Oui, et je l'utilise dans l'écriture et dans l'enseignement. Pour moi, mes romans ont toujours été didactiques, toujours sur la traversée des barrières raciales et des histoires politiques, et la moitié des gens qui les lisent pensent que ce sont des histoires d'amour. J'ai réalisé qu'entre ce que vous pensez faire et ce que les autres lisent… vous n'avez aucun contrôle sur ça.

Et je pense que c'est la même chose dans l'enseignement maintenant, il y a beaucoup de choses que je veux dire et je le dis à travers le travail des étudiants. Et de la même manière que les livres partent et vivent leur vie, les étudiants aussi et c'est vraiment satisfaisant, qu'il n'y ait pas de conclusions.

Dans la troisième et dernière partie de cette série, nous aborderons la littérature, la culture et l'identité.