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Au Tadjikistan, le gouvernement dicte le prêche des mosquées

vendredi 17 avril 2015 à 18:20
Une mosquée dans le nord du Tadjikistan. Photo de Rob Cavese partagée sur le blog Kiva Fellows et Flickr.

Une mosquée dans le nord du Tadjikistan. Photo de Rob Cavese partagée sur le blog Kiva Fellows et Flickr.

Lorsque les dirigeants de l'Europe médiévale utilisaient l'Eglise pour s'assurer la loyauté indéfectible des populations, sur lesquelles ils croyaient avoir un droit divin de régner, ils ne savaient pas qu'ils seraient imités par les dictateurs d'Asie centrale des siècles plus tard.

Au Tadjikistan, où plus de 90% de la population est musulmane, les responsables des mosquées et des services publics sont devenus un outil pour le gouvernement, à utiliser contre ses rivaux politiques.

A partir du jour où le président Emomali Rahmon a déclaré que l'islam n'avait pas besoin d'un parti politique, le Parti de la renaissance islamique (IRPT) – le seul rival sérieux du gouvernement au Tadjikistan – a été attaqué sans relâche.

Edward Citron du site EurasiaNet.org a écrit:

Les vendredis après-midi, les imams à travers le Tadjikistan lisent des textes rédigés par le gouvernement en guise de sermons hebdomadaires. Le thème est souvent politique et soutient l'homme fort, le Président Emomali Rahmon. Vendredi dernier, 27 mars, les imams ont invité les fidèles à demander à ce gouvernement autoritaire d'interdire le plus grand parti d'opposition du Tadjikistan, l'unique parti à orientation religieuse existant légalement en Asie centrale.

Le Parti de la renaissance islamique (IRPT) a contribué à assurer la paix à la fin d'une guerre civile dévastatrice au Tadjikistan, au milieu des années 1990. Mais le Président Rahmon a constamment manqué à sa promesse de donner 30 pour cent des postes gouvernementaux à ses adversaires. Jusqu'à ce qu'au cours d'une élection profondément suspecte ce mois-ci –  bourrages des urnes et actes d'intimidation, selon les observateurs internationaux – l'IRPT ait quand même réussi à décrocher quelques sièges au parlement.

Les résultats officiels des élections ont montré que l'IPRT n'a pas réussi à franchir le seuil de 5 pour cent requis pour remporter des sièges au parlement. Des estimations non officielles ont indiqué que la part réelle des suffrages exprimés en faveur de l'IRPT étaient beaucoup plus élevée que cela. Mais maintenant, après des pressions sans précédent, l'IRPT est hors du parlement, congelé, et son avenir est incertain.

De hauts responsables religieux tels que le mollah Saidakbar – mufti adjoint du Centre islamique du Tadjikistan – a émis un appel pour l'interdiction de l'IRPT dans la capitale Douchanbé. Des appels similaires ont été lancés dans les deux plus grandes mosquées de Khujand, une ville-clé au nord du Tadjikistan.

De son côté, selon une émission en langue tadjik de Radio Europe Libre (REL)/ Radio Liberté (RL), le sermon de quatre pages intitulé “L'unité de la société dans le choix du bon chemin” a été signé et fourni pour la prière du vendredi par un certain M. A. Mavlonov (l'enquête n'a pas pu établir où M. Mavlonov travaille mais on suppose qu'il est un fonctionnaire du gouvernement).

L'auteur du sermon a écrit:

Il est temps que nous-mêmes et notre société nous réveillons et ne restions pas neutres quant à l'avenir de notre patrie. Par conséquent, je suggère que nous bannissions l'IRPT parce qu'on en a plus besoin. Alhalmullillah, nous sommes musulmans, et c'est assez pour nous.

Qualifiant ceux qui ont voté pour l'IRPT de “séparatistes”, l'auteur du sermon a en outre prétendu que le Tadjikistan n'avait besoin que d'un parti politique travaillant pour l'avenir de la nation, parce qu'un leader et un parti étaient la clé de la paix.

Muhiddin Kabiri, leader laïc considéré comme ouvert et moderne à la tête de l'IRPT, n'a pas réagi aux appels à interdire son part. Le comité politique du parti a qualifié ces considérations d'anticonstitutionnelles.

L'adjoint de M. Kabiri, Saidumar Husseini, a soutenu  de façon ironique :

Бигзор, шӯрои уламо, кумитаи дин бо ширкати аҳли уламо ва намояндагони ҳизби наҳзати исломӣ мизи гирд ташкил диҳанд ва ба исбот расонанд, ки ҲНИТ бар зарари амнияти кишвар ва садди пешрафти ҷомеа аст. Исбот кунанд, ки воқеан камбуди барқ дар фасли сармо, фаъол нашудани корхонаҳои муҳим дар кишвар, вуҷуди фасод дар идораҳои давлатӣ… низ ҳама айби ҲНИТ аст, марҳамат, ҳизбро бубанданд

Laissez le Conseil des mollahs et le Comité de la religion organiser une table ronde avec la participation de représentants de l'IRPT pour leur montrer comment l'IRPT nuit à la sécurité du pays et freine le développement de la société. Qu'ils ferment ce parti s'ils peuvent prouver que, effectivement, l'IRPT est responsable des coupures d'électricité de l'hiver, de l'inactivité des usines importantes du pays et de la corruption dans les institutions publiques.

L'ironie a échappé à certaines personnes. Lola, une lectrice du site en tadjik de RFE / RL a écrit:

Бархам дода шавад!! Номи поки Исломро ба сиёсат, олуда накуненд. Худ шохид будам, ки тарафдорони чавони ин хизб, баъд аз интихоботи парлумон дар Точикистон, ба як овоз мегуфтанд, ки дар кишвари мо дигар мусалмон намодааст, барои хамин ХНИТ голиб нашуд. Бинед бародарону хохарони азиз, ин магар истифодабарии номи поки Ислом бар манфиати хизбдорон нест?!

[IRPT] devrait être fermé! Ne gâchez pas le nom de l'Islam. J'ai vu de jeunes partisans de ce parti dire après les élections que l'IRPT a perdu parce qu'il n'y avait plus de musulmans dans notre pays. Voyez, chers frères et sœurs, n'utilisent-ils pas de nom de l'islam pour les objectifs des membres de ce parti?!

Cependant, la politisation des imams et des mosquées est critiquée par certains. Dilshod dit:

акнун дар масчид муллохо ба сиёсат дахолат мекунанд. Хукумат хар чиро хохад ба имомхатибон супориш медихад онхо дар масчид ба халк мехонанд.
инак имруз аз ин нома маълум шуд ки хукумат намехохад ки дигар хизбу харакатхо дар кишвар вучуд дощта бошад. ээээ гап бисер вале гап задан бефоида

Dans nos mosquées, les mollahs s'immiscent dans la politique, aujourd'hui. Le gouvernement dit aux imams ce qu'il veut dire, et ils le lisent au peuple. Cette lettre [se référant au texte de Mavlonov pour le sermon] a montré que de nos jours le gouvernement ne veut pas d'autres partis et mouvements. Il y a beaucoup de choses que je veux dire, mais c'est inutile.

Un lecteur qui dit avoir assisté à des prières du vendredi  a qualifié le mélange de politique et d'enseignement religieux de “péché”. Il a écrit:

Окибат ин шуд ки кариб хама дуои анчоми намозро нахонда баромадем. Тасмим хамин ки дигар ба масчид намеравем. он чо чои фитна ва бози шудааст.

Nous avons quitté la mosquée avant la fin [de la prière]. Nous avons décidé de ne plus y retourner parce que nos mosquées se sont transformées en lieux de fraude.

Mais qui donc fait fuiter les textos des responsables du Kremlin ?

jeudi 16 avril 2015 à 22:09
Finding the leak in the Kremlin has been tricky business, when it comes to Anonymous International. Images edited by Kevin Rothrock. (Original photo is a scene from the spy comedy Archer.)

Trouver l'origine de la fuite au Kremlin n'est pas simple, quand il s'agit d’«Аnonymous International». Illustration Kevin Rothtock (photo originale issue de la comédie d'espionnage «Agent spécial Archer»).

Le groupe de hackers Anonymous International, spécialiste de la divulgation de données, a frappé ce mardi 31 mars en publiant  des archives internet d'environ 40 000 conversations qui, affirme le groupe, sont celles de Timour Prokopenko, un influent fonctionnaire du Kremlin.

Ce n'est pas la première fois que Prokopenko, qui a contribué à formuler la politique intérieure de l'administration Poutine dans les années 2012-2014, se retrouve dans le collimateur d'Anonymous. En fait, rien que pour le mois de février de cette année, le groupe a publié environ 9 500 courriels qui émaneraient de Prokopenko. Après les textos de la fin mars, Anonymous a divulgué une ration supplémentaire de messages début avril, en y incluant cette fois la correspondance d'une messagerie Telegram, supposée venir elle aussi de Prokopenko.

Un peu d'histoire

Anonymous International est né à la fin de l'année 2013, après avoir publié le texte intégral de l'allocution de nouvel an de Vladimir Poutine quelques heures avant que son discours soit diffusé à la télévision. Depuis, le groupe s'est consacré à dévoiler les rouages internes de certaines forces politiques en Russie.

Anonymous International s'est fait connaître sous le nom de son «service de presse» — «Chaltaï-Boltaï» [Humpty Dumpty], baptisé ainsi en l'honneur du personnage des comptines enfantines anglaises.

Le groupe publie les fuites sur son site b0ltai.org. Cependant, le Roskomnadzor (l'organe de contrôle des médias et du Web) a ordonné son blocage en juin 2014, et il n'est actuellement disponible en Russie que via un réseau virtuel privé ou bien un site-miroir. Le groupe a aussi un compte Twitter, @b0ltai, lui aussi bloqué en Russie, et @b0ltai2, un compte suppléant, dont l'accès n'est pas encore fermé en Russie. Pour annoncer sa nouvelle livraison de textos, Chaltaï-Boltaï écrit ceci :

Correspondance par SMS de la Direction de la politique intérieure AP FR [Administration présidentielle de la Fédération de Russie]. 2011-2014.

Curieusement, Chaltai-Boltaï est prêt à discuter de ses activités avec les journalistes, même si obtenir un rendez-vous personnel exige des mesures de sécurité drastiques.
Par exemple, pour rencontrer le représentant du groupe, le correspondant de «Medusa» Daniel Tourovski a dû se rendre en Thaïlande.

A Bangkok, l'un des membres du groupe a fait à Tourovski d'autres révélations sur ses activités : «Tu vois, Anonymous International, ce n'est pas notre activité principale. Elle n'est qu'occasionnelle. Chaltaï-Boltaï est une sorte de produit dérivé d'autres jeux. Le coeur de notre activité, c'est la sécurité de l'internet. Nous travaillons sur l'accès [à l'information]. Nous avons un petit cercle de clients réguliers. Cela nous suffit. Nos prix démarrent à quelques dizaines de milliers de dollars. Je ne parlerai pas de la fourchette haute. Ça nous suffit à tous pour vivre et voyager.».

Ingérence dans les médias

Selon un article de «Meduza» basé sur les dernières fuites divulguées par Anonymous International, certaines des informations que recèlent les 40.000 textos de Prokonenko attirent l'attention : par exemple, une correspondance avec Nikolaï Molibog, le directeur général du groupe de médias RBK, et avec Alexandre Jarov et Maxime Ksenzov, respectivement directeur et directeur adjoint du Roskomnadzor, l'organe du Kremlin dédié aux médias.

Prokopenko aurait tenté d'influer sur la politique rédactionnelle de RBK et d'empêcher la publication d'articles ne correspondant pas à la ligne officielle du gouvernement, parmi lesquels des articles se rapportant à la situation en Ukraine. D'autres textos montreraient un lien étroit entre Prokopenko et la direction du Roskomnadzor, par exemple des échanges visant à monter une procédure pénale contre le fondateur du site nationaliste populaire «Spoutnik et Pogrom» pour activité extrémiste (Prokopenko s'y serait opposé).

Dans un texto, l'adjoint du directeur du Roskomnadzor Maxime Ksenzov aurait déclaré à Prokopenko être prêt à bloquer la BBC en Russie après la publication dans les médias d'un article sur des activistes sibériens qui réclamaient une plus grande autonomie de leur région envers Moscou. Prokopenko, cependant, aurait déconseillé cette manœuvre,  et averti Ksenzov qu'un blocage de la BBC en Russie pouvait être à l'origine de problèmes pour Russia Today en Grande-Bretagne. Ksenzov s'est arrêté là :

02.08.14 16:12 Ксензов: У меня есть основания блокировать русскоязычный сайт bbc. Но шуму будет на весь мир

02.08.14 16:14 Прокопенко: Угу. Помни, что там Russia Today может пострадать

02.08.14 16:12 Ksenzov: J'ai la matière pour bloquer le site en langue russe de la bbc. Mais ça ferait du bruit dans le monde entier.

02.08.14 16:14 Prokopenko: Hum. Souviens-toi que cela pourrait affecter Russia Today là-bas

Dans un post sur Facebook daté du 1er avril, le directeur général de RBK Nikolaï Mobilog confirme l'authenticité de la correspondance divulguée entre Prokonenko et lui. Mobilog s'est excusé pour plusieurs passages où la forme de ses propos peut sembler inadmissible pour un proche du gouvernement, mais a justifié ses liens avec Prokopenko en soutenant qu'il est «normal» pour le chef d'un grand groupe de médias de s'entretenir avec des représentants du gouvernement.

Ekaterina Vinokurova

Cette autre journaliste dont le nom apparaît dans la correspondance de Prokopenko, Ekaterina Vinokurova, de Znak.com, s'efforce elle aussi de sauver la face. Mme Vinokurova est connue pour baser ses reportages sur des sources anonymes au Kremlin, et Prokopenko, après tout, était l'une de ces sources. Dans sa correspondance avec Mme Vinokurova, pourtant, Prokopenko se montre rien moins qu'accommodant. Dans un texto, Mme Vinokurova lui demande son aide pour contacter l'ex-femme de Rustem Adagamov, qui venait justement d'accuser [en anglais] celui-ci de viol sur sa belle-fille de 12 ans. Refus de Prokonenko. Presque aussitôt, pourtant, il aurait transmis ses coordonnées à son ex-épouse, Ana Lantratova, membre du Conseil du Kremlin pour les droits de l'homme.

En dehors des cas où Mme Vinokurova tente plutôt désespérément d'obtenir une information (ou bien une accréditation pour un événement officiel, dans un autre échange), nombre de ceux qui ont mis leur nez dans les archives de ces textos ont découvert des remarques racistes émises par Mme Vinokurova au sujet d'écoliers tadjiks. «J'ai eu ma période nationaliste», a-t-elle expliqué sur Twitter, en réponse aux commentaires du journaliste Roman Dobrokhotov (dont le siteThe Insider s'est largement fait l'écho des fuites divulguées par «Anonymous International»).

Mme Vinokurova a posé la question de l'éthique de cette divulgation d'une correspondance somme toute privée et de la rédaction de reportages à ce sujet, en disant que ses commentaires n'étaient pas destinés au public. De plus, elle prétend qu'une partie de sa supposée correspondance avec Prokopenko est faslifiée.

Ce qu'en dit Oleg Kachine

Le célèbre chroniqueur Oleg Kachine a écrit dans «Slon» un article sous l'angle suivant : ces textos de Prokopenko divulgués avec des arrière-pensées ne dévoilent rien d'illégal ni même de répréhensible dans les actes de ces fonctionnaires. Ces archives montreraient même que tout le monde au Kremlin ne fait que son travail, et que c'est plutôt la presse, ici représentée par M. Molibog et Mme Vinokurova, qui se comporte d'une façon inattendue.

Kachine tourne aussi en dérision la théorie populaire selon laquelle «Anonymous International» serait pour ainsi dire l'une des «tours du Kremlin» ; selon cette théorie, ces fuites auraient pour but d'affaiblir l'un des groupes d'influence qui se battent pour une hégémonie au sein du gouvernement ou de l'économie russes.

Этот миф о межбашенной войне оказался самым живучим мифом путинского времени, старшее поколение еще помнит времена, когда политологи рассуждали о противостоянии кремлевских силовиков в лице Игоря Сечина с кремлевскими «либералами» в лице Владислава Суркова, – смешно вспомнить. Как будто это так естественно для корпорации – война между службой безопасности и пиар-отделом.

Ce mythe de la lutte entre les tours du Kremlin est l'un des plus vivaces de l'ère poutinienne, la vieille génération se souvient encore des débats des politologues sur l'opposition des militaires du Kremlin représentés par Igor Sétchine et des libéraux représentés par Vladislav Sourkov – c'est drôle de s'en souvenir. Comme si c'était si naturel pour une corporation, cette guerre entre services de sécurité et relations publiques.

Est-ce que quelqu'un écoute ?

Lors d'une conférence de presse récente, le secrétaire de Poutine Dmitri Peskov a minimisé l'importance de ces fuites, et déclaré: «Je ne pense pas que beaucoup de gens les lisent.» Mais si l'on se réfère aux débats et à l'intérêt suscité sur la Toile par ces révélations d'«Anonymous International», il est difficile de donner raison à Peskov.

[Les textos de ce responsable du Kremlin ont suscité un certain intérêt en France aussi, car il y était envisagé de “remercier” la présidente du Front national, Marine Le Pen, pour son soutien sur l'annexion de la Crimée. Peu après, une société alimentée par des fonds russes octroyait un prêt à un microparti du FN, NDLR.]

Cet article a été rédigé avec le journaliste de «RuNet Echo» Kevin Rothrock.

Un calendrier de l'histoire de l'humanité selon Eduardo Galeano

jeudi 16 avril 2015 à 15:42

Eduardo Galeano

Eduardo Galeano, l'un des écrivains les plus éminents d'Amérique Latine, est mort ce lundi. Il est l'auteur de ‘Les veines ouvertes de l'Amérique Latine’, ‘Mémoire du feu’ (trilogie), ‘Miroirs’ et beaucoup d'autres titres. Son dernier livre Children of the Days: A Calendar of Human History (Enfants des jours: calendrier de l'histoire de l'humanité) vient d'être publié en anglais en livre de poche chez Nation Books et n'est pas encore traduit en français. A World of Violence: On Women Who Refused to Live in Silence and Be Consigned to Oblivion (Un monde de violence: à propos des femmes qui refusent de se taire et d'être condamnées à l'oubli) est un extrait du livre. Galeano a reçu de nombreux prix internationaux dont le premier Prix Lannan pour la Liberté de la Culture, l'American Book Award, et le Prix Casa de las Américas.

La chaussure

(15 janvier)

En 1919, Rosa Luxembourg, la révolutionnaire, a été assassinée à Berlin.

Ses assassins l'ont matraquée à mort à coups de crosses de fusil et l'ont ensuite jetée dans les eaux d'un canal.

En chemin, elle a perdu une chaussure.

Une main inconnue a ramassé cette chaussure tombée dans la boue

Rosa aspirait à un monde où la justice ne serait pas sacrifiée au nom de la liberté, pas plus que la liberté au nom de la justice.

Chaque jour, une main inconnue relève le flambeau.

Tombé dans la boue, comme la chaussure.

La fête ratée

(17 février)

Les ouvriers agricoles qui travaillaient sur les fermes de Patagonie en Argentine se sont mis en grève pour protester contre des salaires de misère et des journées de travail sans fin. L'armée a chargé pour rétablir l'ordre.

Les exécutions sont exténuantes. En cette nuit de 1922, les soldats épuisés par la tuerie sont allés au bordel du port de San Juliàn pour une récompense bien méritée.

Mais les cinq femmes qui travaillaient là leur ont fermé la porte au nez et les ont chassés aux cris de “Assassins! assassins, dehors!”

Osvaldo Bayer a noté leurs noms. Il s'agit de Consuelo García, Ángela Fortunato, Amalia Rodríguez, María Juliache, et Maud Foster.

Les putains vertueuses.

Femmes sacrilèges

(9 juin)

En 1901, Elisa Sánchez et Marcela Gracia se sont mariées à l'église Saint-Georges de la Corogne en Galice.

Elisa et Marcela s'aimaient en secret. Pour faire les choses dans les règles, avec une cérémonie, un prêtre, une autorisation et des photos, il a fallu inventer un mari. Elisa est devenue Mario: elle s'est coupé les cheveux, s'est habillée en homme et a déguisé sa voix.

Quand l'histoire a été dévoilée au grand jour, dans toute l'Espagne les journaux ont juré leurs grands dieux – “c'est un scandale écoeurant, d'une immoralité sans nom” – et ont profité de cette occasion lamentable pour faire des records de ventes de leurs journaux, pendant que l'Eglise, trompée dans sa bonne foi, dénonçait le sacrilège à la police.

Et la cavale a commencé.

Elisa et Marcela ont fui au Portugal.

Elles ont été rattrapées à Porto et emprisonnées.

Le droit au courage

(13 août)

En 1816, le gouvernement de Buenos Aires a promu Juana Azurduy au rang de lieutenant colonel “en raison de ses efforts dignes d'un homme”.

Elle a mené la guérilla qui a pris Cerro Potosí aux espagnols durant la guerre d'indépendance.

La guerre était une affaire d'hommes et les femmes n'avaient pas le droit d'y participer, mais les officiers masculins ne pouvaient pas s'empêcher d'admirer “le courage viril de cette femme”.

Après des milliers de kilomètres à cheval, après la mort de son mari et de 5 de ses 6 enfants à la guerre, Juana s'est éteinte. Elle est morte dans la pauvreté, pauvre parmi les pauvres, et elle a été enterrée dans une fosse commune.

Près de deux siècles plus tard, le gouvernement argentin, mené par une femme, l'a promue au rang de général, “en hommage à son courage de femme”.

Les femmes qui ont libéré le Mexique

(17 septembre)

Les fêtes du centenaire se terminent et toutes ces bêtises éclatantes sont balayées.

C'est là que commence la révolution.

L'histoire se souvient des chefs révolutionnaires comme Zapata, Vila et bien d'autres hommes. Les femmes, qui se sont tues, sont tombées dans l'oubli.

Quelques combattantes ont refusé de disparaître:

Juana Ramona, “la Tigresse,” qui a pris d'assaut plusieurs villes;

Carmen Vélez, “la Générale”, qui commandait 300 hommes;

Ángela Jiménez, pour qui la dynamite n'avait pas de secrets, s'est fait appeler Angel Jiménez;

Encarnación Mares,qui a coupé ses tresses et est devenue sous-lieutemant en se cachant derrière les bords de son grand sombrero, “pour que l'on ne voit pas ses yeux de femme”;

Amelia Robles, qui est devenue Amelio et qui a atteint de grade de colonel;

Petra Ruiz, qui est devenue Pedro et qui a tiré plus que quiconque pour forcer l'ouverture des portes de Mexico;

Rosa Bobadilla, une femme qui a refusé de devenir un homme et a participé à plus d'une centaine de batailles;

et María Quinteras,qui avait fait un pacte avec le diable et qui n'a pas perdu une seule bataille. Les hommes, dont son mari, obéissaient à ses ordres.

La mère des femmes journalistes

(14 novembre)

Un matin de 1889, Nellie Bly s'est mise en route.

Jules Verne ne croyait pas que cette jolie petite femme était capable de faire le tour du globe toute seule en moins de 80 jours.

Mais Nellie a embrassé le monde en 72 jours, et tout au long de son périple, elle a publié article sur article pour raconter ce qu'elle entendait et ce qu'elle voyait.

Ce n'était pas le premier exploit de la jeune reporter et ce ne serait pas le dernier.

Pour écrire sur le Mexique, elle est devenue si Mexicaine que le gouvernement mexicain naissant l'a déportée.

Pour écrire sur les usines, elle a travaillé à la chaîne.

Pour écrire sur les prisons, elle s'est fait arrêtée pour vol.

Pour écrire sur les asiles d'aliénés, elle a si bien feint la folie que les médecins l'ont internée. Ensuite elle a dénoncé les traitements psychiatriques qu'elle a subis et qui sont une raison suffisante pour vous rendre fou.

A Pittsburgh, quand Nellie avait vingt ans, le journalisme était une affaire d'hommes.

C'est à cette époque qu'elle a eu l'insolence de publier ses premiers articles.

Trente ans plus tard, elle a publié son dernier, en échappant aux balles en première ligne de la 1ère guerre mondiale.

Mais ils en ont réchappé. Ils ont changé de nom et pris la mer.

Journée Internationale pour l'Elimination de la Violence contre les Femmes

(25 novembre)

Dans la jungle de la Paranà supérieure, les plus beaux papillons survivent en se montrant. Ils étalent leurs ailes noires rehaussées de taches rouges ou jaunes, et volètent de fleur en fleur sans la moindre crainte. Après des milliers et des milliers d'années, leurs ennemis ont appris que ces papillons sont venimeux. Les araignées, les guêpes, les lézards, les mouches et les chauve-souris les admirent à distance.

En cette journée de 1960 trois activistes opposées au dictateur Trujillo en République Dominicaine ont été battues et jetées d'une falaise. Il s'agit des soeurs Mirabal. Elles étaient très belles et on les appelait Las Mariposas, “Les papillons”.

En leur mémoire, en souvenir de leur indicible beauté, ce jour est la Journée Internationale pour l'Elimination de la Violence contre les Femmes. En d'autres termes pour l'élimination de la violence perpétrée par les petits Trujillos qui font la loi dans tant de foyers.

Dans la ville de Buenos Aires, la trace des fugitives s'est effacée.

L'art de vivre

(9 décembre)

En 1986, le Prix Nobel de Médecine a été attribué à Rita Levi-Montalcini.

Pendant une époque troublée, sous la dictature de Mussolini, Rita a secrètement étudié les fibres nerveuses dans un laboratoire de fortune caché chez elle.

Des années plus tard, après un travail énorme, cette détective des mystères de la vie a découvert la protéine qui multiplie les cellules humaines, ce qui lui a valu le Prix  Nobel.

Elle avait près de 80 ans quand elle a dit “Mon corps est ridé, mais pas mon cerveau. Quand je ne pourrai plus penser, tout ce que je demande c'est que l'on m'aide à mourir dans la dignité”.


Cet article est paru sur TomDispatch

Mark Fried a traduit en anglais sept livres d'Eduardo Galeano, dont Les Enfants des Jours. Il a également traduit, parmi tant d'autres, Luciole de Severo Sarduy. Il vit à Ottawa, Canada.

Bangladesh, une application pour smartphones permet aux femmes de s'exprimer librement

jeudi 16 avril 2015 à 11:03
Women’s participation in economic activities is increased but their health issues are neglected. Image by Zakir Hossain Chowdhury. Copyright: Demotix (03/10/2011)

La participation des femmes aux activités économiques a augmenté au Bangladesh mais leurs problèmes sont négligés. Photo Zakir Hossain Chowdhury. Copyright: Demotix (03/10/2011)

Quand on entend le mot Maya Apa, il sonne ici comme celui d'une personne, et pourtant ce n'est pas le cas. C'est une application pour téléphone mobile qui fonctionne sur Android. Elle fournit des conseils sur des sujets de santé, des problèmes sociaux et juridiques intéressant les femmes du Bangladesh.

Au travers de cette application toute femme peut poser des questions sans donner son nom. Elle garantit en effet un total anonymat pour ses utilisateurs, qui ont seulement besoin de s'enregistrer avec une adresse email. En réponse les conseils des spécialistes sont habituellement données dans les 24 à 48 heures par une équipe de médecins, avocats ou conseillers. Ils répondent dans la langue utilisée par la personne qui a posé la question.

C'est une startup appelée maya.com.bd  qui a lancé cette application pour téléphone mobile destiné aux femmes du Bangladesh. Les développeurs : Achia Khaleda Nila et Shubrami Moutushy Mou, toutes deux des femmes, font valoir  que cette application peut être utilisée de manière à donner plus de pouvoir aux femmes dans ce pays.  Elle était financée par l'organisme de développement  BRAC.

L'état de santé des femmes au Bangladesh n'est pas satisfaisant.  Chaque année 600 000 femmes meurent de complications liées à la grossesse. Plus de 66 % des filles adolescentes sont mariées avant l'âge de 18 ans et 64,3 % sont  enceintes avant cet âge. Ces jeunes femmes ne peuvent pas parler de leurs problèmes de santé à cause de la stigmatisation sociale qui s'y attache. Ainsi de nombreux problèmes sociaux juridiques ou de santé ne sont pas gérés. Ces femmes sont la principale cible de cette application.

Shahana Siddiqui, responsable de contenu et communication à Maya, fait la déclaration suivante au New York Times :

Au Bangladesh on parle de la santé et du corps des femmes uniquement dans le cadre de la grossesse et, plus que cela,  c'est comme si leur santé n'était pas un problème en soi. Maya est une plate-forme d'échange où les femmes pourront parler librement et anonymement de leurs problèmes émotionnels, médicaux, légaux et sociaux.

Taniza T. est docteur en médecine. Elle a constaté de près au Bangladesh les problèmes de santé des femmes. Elle a écrit un commentaire sur cette application pour Google Play Store :

C'est impressionnant, en tant que médecin je sais combien elles hésitent longtemps avant de parler de leurs problèmes de santé et de consulter un professionnel. J'adore ce concept,  cette application est phénoménale et je lui donne quatre étoiles, je lui vois de grandes possibilités mais je voudrais déjà voir des réponses rapides aux questions posées.

Maya village, la page Facebook de maya.com.bd, signale qu'ils ont obtenu des réponses positives de la part de femmes qui ont commencé à utiliser cette application. Aanika Islam espère que toutes les femmes du Bangladesh seront en mesure de bénéficier de cette application. Elle tweete :

Maya apa : Apporter l'information à toutes les femmes du Bangladesh

L'application Maya Apa peut être téléchargée gratuitement à partir de Google Play Store. Samsung Mobile Bangladesh a également annoncé que cette application est maintenant uitilisable par tous les smartphones Samsung vendus au Bangladesh. Elle est arrivée à un moment dans ce pays où le marché des communications ne montre aucun ralentissement de sa croissance. Il y avait  en effet dans ce pays 121,8 millions d'utilisateurs de mobiles fin janvier 2015, dont la moitié sont des femmes. De plus 80 % des mobiles seront  connectables en 2016. Cette application a été développée avec pour cible le smartphone classique, accessible à tous, spécialement les femmes de la campagne. Au-delà du Bangladesh, des femmes de n'importe quel pays du monde pourront se servir de Maya et recevoir des conseils sur leurs problèmes. Ivy H Russell, la créatrice  de Maya, a déclaré à des média locaux qu'elle souhaitait continuer à développer son application :

Nous sommes bien décidés à progresser vers une amélioration de l'application Maya. Notre mission est de fournir aux femmes, grâce à la technologie, les connaissances qu'elles souhaitent, et cette année, notre feuille de route est remplie.

Voici une video de Madame Russel, de TEDxDhaka présentant ce projet:

A noter que l'équipe de Maya a gagné au Forum Bangladesh Brand Le prix de l'innovation féminine 2015 dans la catégorie de la meilleure startup.

Comment les Malgaches s'en sortent-ils avec si peu ? Avec beaucoup d'ingéniosité

mercredi 15 avril 2015 à 09:55
ady gasy

“Ensemble, nous deviendrons une force” Capture d'écran de la bande-annonce de “Ady Gasy”, un documentaire les façons joindre les deux bouts à Madagascar, par Lova Nantenaina via YouTube

Madagascar a eu une série de malchances au cours des dernières années. Son économie a encore du mal à se remettre après avoir été frappée à plusieurs reprises par des cyclones et des crises politiques. La population malgache a pris l'habitude de joindre les deux bouts en dépit des défis de taille.

Ady Gasy (La débrouillardise malgache) documente ce mode de vie qui est unique à la culture et à la société malgaches. Rejetant la surconsommation qui sévit dans le monde développé, le film examine comment les Malgaches ont adopté un mode de vie écologiste de réorientation et d'autonomie au milieu d'une crise économique mondiale, grâce à l'ingéniosité.

Malgré la pauvreté, la disette et l’inondation endémiques de Madagascar, le documentaire, par le cinéaste prometteur Lova Nantenaina, ne cherche pas la sympathie des téléspectateurs. Il se concentre plutôt sur la façon dont le peuple malgache a surmonté  ses luttes quotidiennes, comme on le voit à travers les yeux d'un enfant (le personnage principal du documentaire). Le film a reçu des critiques quasi unanimement positives par le public et les critiques. Le critique de cinéma français Rémy Roche relate comment le documentaire montre cette ingéniosité dans les moindres détails :

Ce que veut montrer Ady Gasy (prononcer as “Ad Gash”), du nom d'une expression commune là-bas: débrouillons-nous. Et il savent faire, pour survivre. Un briquet jetable ne se jette pas, il se répare et se recharge de gaz, de vieux pneus on fait de belles sandales inusables, on transforme une ampoule grillée en lampe à pétrole, des boites de conserves vides on fabrique des jouets

Scenes from the documentary Ady Gasy

Scène du documentaire “Ady Gasy”

Pour les Malgaches, il était essentiel que le film donne une représentation exacte de la situation tout en évitant de présenter les citoyens comme des victimes. Kalabasivava, chercheuse malgache résidant en France, explique pourquoi:

C'est un vibrant hommage à la résistance et au courage d'un peuple longtemps abandonné et soumis à diverses contraintes extrêmement difficiles

Regardez la bande annonce ci-dessous :

Tomavana, un citoyen malgache qui a regardé la première mondiale du documentaire en Suisse, a été séduit par la vision du cinéaste :

Lova Nantenaina donne la parole au rocher sur laquelle la société malgache est solidement bâti: le peuple. Sans fard ni complaisance, le regard qu’il propose est une incursion dans le quotidien des « gens ordinaires » à Madagascar. Le spectateur est invité à cheminer au travers des dédales de ruelles, de quartiers qui abritent ces petits ateliers, autant de repères pour des petits métiers où la vie bouillonne et où l’espoir foisonne, un terreau fertile pour la résilience du peuple malgache.

Lova Nantenaina at the projection of his film - with his permission

Lova Nantenaina à la première de son film. Utilisée avec permission

Sandrine Marques, sur son blog sur Le Monde, ajoute que la narration orale fait partie intégrante aussi bien de l'identité malgache que du film :

De l'art oratoire pour conjurer la misère et célébrer les vertus de la solidarité. Voilà en quoi consiste l'argument de ce documentaire aussi humble que son sujet et qui nous montre les différentes facettes de la débrouille à Madagascar. L'expression « ady gasy » recouvre plusieurs sens dans la culture malgache et concerne autant les pratiques culturelles, culturales que médicinales.

Chose étonnante, il est intéressant de noter que l'industrie du cinéma malgache connait un boom créatif en dépit de l'impasse économique. Colin Dupré de l'INA Global explique ce paradoxe :

Sur l’île rouge, il n’existe plus de salles de cinéma et aucune structure étatique n’est véritablement en mesure d’œuvrer pour le développement du secteur, faute de volonté politique, faute de financements… le véritable renouveau est venu du format court. Un court-métrage coûte moins cher, et le réalisateur n’a pas à besoin de chercher un apport financier auprès des financeurs du Nord. Ainsi donc, libéré de toute contrainte scénaristique et esthétique, le court-métrage s’émancipe du formatage subi par le long métrage… ll y a une vraie mutualisation des compétences durant le processus de création. Il s’agit d’un des rares secteurs artistiques à Madagascar où les acteurs collaborent afin d’optimiser les résultats.

Lova Nantenaina est très clair sur ce qu'il espère que son film fera réaliser. Il affirme dans sa dernière interview :

Il est de notre devoir de donner confiance à tous ces héros du quotidien

Le documentaire est à l'affiche en Europe et à Madagascar jusqu'en juin. Voici une liste des endroits où on peut aller voir une séance.