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Malgré des défauts avérés, le système indien d’identification biométrique a été entériné par la Cour suprême. Et maintenant ?

mardi 19 février 2019 à 15:05

Un camp de collecte de données biométriques du projet ‘Aadhaar’, à Salt lake, Kolkata, Inde, 2015. Image de Biswarup Ganguly via Wikimedia Commons. CC BY 3.0

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

[Article d'origine pubié le 7 octobre 2018] Mercredi 26 septembre 2018, la Cour Suprême de l'Inde a entériné le système controversé d'Identité Unique ou Aadhaar [fr].

À la suite de la deuxième plus longue audience de l’histoire judiciaire indienne, le tribunal composé de cinq juges a remis un jugement de 1 448 pages, plus de sept après la première contestation judiciaire contre le système.

Une première lecture de la majeure partie du jugement sur l'Aadhar est effrayante. La fin du lien obligatoire vers les comptes bancaires et les téléphones mobiles, bien sûr. Mais pas de remède aux éventuelles exclusions délibérées de l'aide sociale. Pire encore, la question de “l'État de surveillance” n'est abordée qu'en disant « faire une loi plus forte contre lui ».

Le système avait également été cité dans une précédente contestation constitutionnelle sur des motifs de confidentialité. En juillet 2017, une chambre constitutionnelle composée de neuf juges de la Cour Suprême a confirmé unanimement le droit des citoyens indiens à la vie privée, mais la décision n'impliquait pas Aadhaar.

Controverses autour d'Aadhaar

Lancé tout d'abord en 2009, le système Aadhaar [fr] attribue à chaque personne un numéro d'identification unique associé à diverses informations démographiques et biométriques, et sa sauvegarde dans une base de données centralisée. En théorie, il aide les personnes à authentifier leur identité pour pouvoir accéder à une foule de services sociaux et fédéraux.

Mais le programme a souffert de la mauvaise gestion des données et d'erreurs de machine, ce qui a privé des gens d’avantages sociaux garantis par l'État, conduit à la fuite de données de citoyens et à des accusations de permettre la surveillance.

Un autre exemple choquant des échecs d'Aadhaar est survenu en 2017, avec la mort de faim d'une fillette de 11 ans qui s'est vu refuser légalement des subventions alimentaires en raison de l'absence du numéro Aadhaar. L’affaire a révélé que de nombreux magasins de rationnement refusaient aux citoyens leurs bons alimentaires, dans le but de se conformer au système Aadhaar.

Aadhaar a conduit à l'exclusion à grande échelle des plus pauvres et des plus marginalisés des programmes sociaux de l'État. Santoshi, 11 ans, est morte de faim à Jharkhand il y a exactement un an lorsque sa ration de nourriture lui a été refusée parce que sa carte de rationnement n'était pas associée à Aadhaar.

Dans la décision de la semaine dernière, la Cour suprême a confirmé les articles de la loi Aadhaar de 2016 autorisant l'utilisation de l'authentification biométrique aux fins de subventions gouvernementales et de régimes de protection sociale. Mais le jugement supprime certaines des exigences précédemment implicites du système, déclarant que « personne ne peut se voir refuser des avantages sociaux à cause d'un défaut de carte Aadhaar ».

Le tribunal a également décidé de limiter l'utilisation d'Aadhaar par les banques privées et les fournisseurs de télécommunications, mais n'a pas puni rétroactivement les entreprises privées pour avoir enfreint la loi, y compris par la collecte de données sur les citoyens en l'absence de législation entre 2009 et 2016.

Bien que des experts, des groupes politiques et des citoyens aient débattu du jugement concernant la protection de la vie privée et les liens avec l'inclusion financière, il existe une confusion quant au verdict.

Rahul Mattan a écrit dans Mint :

The Supreme Court had held that allowing the private sector to access biometric and demographic information was tantamount to enabling their commercial exploitation of this information. So, the court ruled, that portion of Section 57 that enables bodies corporate and individuals to seek authentication, was unconstitutional. There is considerable confusion as to what this statement really means. Does it imply that no private entities whatsoever can use the authentication infrastructure? If so, how does that interpretation square with the rest of the judgment that unequivocally upholds the use of Aadhaar for the purposes of dispensing subsidies and other government benefits?

La Cour suprême avait statué que permettre au secteur privé d'accéder à des informations biométriques et démographiques revenait à leur permettre d'exploiter ces informations à des fins commerciales. La cour a donc décidé que la partie de l'article 57 qui permet aux personnes morales et aux individus de demander l'authentification était inconstitutionnelle. Il y a une grande confusion quant à la signification réelle de cette déclaration. Cela implique-t-il qu'aucune entité privée, quelle qu'elle soit, ne peut utiliser l'infrastructure d'authentification ? Si tel est le cas, comment cette interprétation cadre-t-elle avec le reste du jugement qui confirme sans équivoque l’utilisation d’Aadhaar à des fins de distribution de subsides et d’autres allocations publiques ?

Un article dans Business Standard décrit comment des entreprises telles que Reliance Jio, une société indienne, ont acquis des clients grâce au module e-KYC assisté par Aadhaar et au recours futur :

“Though the verdict is not affecting us, we believe that this will be a regressive move for FinTech companies as they will eventually move to the traditional mode of verifying individuals and thereby the turnaround time for processing the loan will increase to a considerable extent,” said Bhavin Patel, co-founder and CEO of LenDenClub, a peer-to-peer lender.

« Bien que le verdict ne nous affecte pas, nous pensons que ce sera un un recul pour les sociétés de finTech [fr] car elles passeront finalement au mode traditionnel de vérification des personnes et, partant, le délai de traitement du prêt augmentera considérablement », a déclaré Bhavin Patel, co-fondateur et PDG de LenDenClub, un prêteur peer-to-peer.

Un éditorial de The Hindu explique comment le récent jugement rétablit le projet de loi Aadhaar sous sa forme originelle en supprimant les failles du système de distribution publique pour les segments les plus pauvres de la société :

In upholding the constitutional validity of Aadhaar and clarifying areas in which it cannot be made mandatory, the Supreme Court has restored the original intent of the programme: to plug leakages in subsidy schemes and to have better targeting of welfare benefits. Over the years, Aadhaar came to mean much more than this in the lives of ordinary people, acquiring the shape of a basic identity document that was required to access more and more services, such as birth and death certificates, SIM cards, school admissions, property registrations and vehicle purchases.

En confirmant la validité constitutionnelle d'Aadhaar et en clarifiant les domaines dans lesquels elle (la carte) ne peut pas être rendue obligatoire, la Cour Suprême a rétabli l'objectif initial du programme : colmater les brèches dans les régimes d'allocations et mieux cibler les avantages sociaux. Au fil des ans, Aadhaar a pris beaucoup plus d'importance dans la vie des gens ordinaires en acquérant la forme d'un document d'identité de base indispensable pour accéder à de plus en plus de services tels que certificats de naissance et de décès, cartes SIM, inscriptions à l'école, enregistrements de propriétés et achats de véhicules.

#AadhaarVerdict: Le Bon, la Brute et le Truand

Au cours des prochaines années, de nombreux juristes et spécialistes des sciences sociales vont probablement se pencher sur cet important jugement pour son impact considérable sur les libertés civiles et les problèmes socio-économiques.

Le jugement de la majorité (4 juges contre 1) a annulé des articles de la loi autorisant l'utilisation d'Aadhaar par des entreprises privées et limitant son utilisation par l'État au titre d'”exceptions de sécurité nationale” arbitraires. Cependant, bien qu’il ait été convenu que le profilage portait atteinte aux libertés civiles et que la surveillance était inconstitutionnelle, les juges en sont arrivés à la conclusion qu'aucun des deux n’étaient possibles dans le système Aadhaar.

Aadhaar a toujours été conçu comme un mécanisme par lequel les subventions et autres services sociaux du gouvernement pourraient être transférés plus facilement à la population. Il ne s'agissait pas d'un droit socio-économique en soi. Cependant, l’approbation judiciaire du système paralyse le droit à la vie privée des individus, pour un supposé bien commun. Malgré en avoir reconnu les failles, les juges ne trouvent pas de raisons suffisantes pour déclarer le système inconstitutionnel.

Alors que quatre des cinq juges ont confirmé la constitutionnalité du projet Aadhaar, la seule dissidence du juge Chandrachud a soulevé des préoccupations importantes.

Il a soutenu que le système est une « fraude à la constitution » et « tout à fait illégal » :

Identity is necessarily a plural concept. The Constitution also recognises a multitude of identities through the plethora of rights that it safeguards….Technology deployed in the Aadhaar scheme reduces different constitutional identities into a single identity of a 12-digit number and infringes the right of an individual to identify herself/himself through a chosen means.

L'identité est nécessairement un concept pluriel. La Constitution reconnaît également une multitude d'identités grâce à la pléthore de droits qu'elle protège… La technologie mise en œuvre dans le système Aadhaar réduit les identités constitutionnelles en une identité unique composée d'un nombre à 12 chiffres et porte atteinte au droit d'un individu de s'identifier lui/elle-même par un moyen choisi.

Bien que la voix du juge dissident ne fasse pas loi, elle ouvre la possibilité de remettre en cause le jugement à l'avenir.

@ActLenguas : Luis Flores veut renforcer le tének dans la vie quotidienne, du 18 au 24 février 2019

mardi 19 février 2019 à 11:46

Photographie fournie par Luis Flores

En 2019, nous avons décidé d'inviter différents hôtes à piloter le compte Twitter @ActLenguas et à partager leur expérience sur la revitalisation et la promotion de leur langue natale. Nous nous sommes entretenus avec Luis FLores (@LuisTenek) sur ce qu'il abordera cette semaine.

Rising Voices (RV): Pouvez-vous nous parler de vous ?

Soy Luis Flores Martínez, nací en la comunidad de San Isidro, en el municipio de Aquismón, San Luis Potosí, México. Hablo la lengua Tének, también conocida como lengua huasteca. Soy licenciado en informática y maestro en estudios amerindios y educación bilingüe, por ello en mi quehacer combino ambas áreas. Mi enfoque ha sido cubrir espacios digitales como las redes sociales para la difusión de mi lengua, para ello genero materiales visuales que van desde la traducción de algunos cómics, creación de libros digitales y de otros recursos que sirvan de apoyo en la enseñanza de la lectoescritura Tének. Mi último proyecto ha sido la generación de una comunidad de más de 30 hablantes y la creación de  la página en Facebook @LenguasWeb (lenguas indígenas de  México en la web) en la cual compartimos infografías en cada una de las lenguas indígenas de los participantes.

Je m'appelle Luis Flores Martínez. Je suis né dans la commune de San Isidro, municipalité d'Aquismón, dans l'État de San Luis Potosí, au Mexique. Je parle le tének, une langue qu'on appelle aussi le huastèque [fr]. Je suis diplomé en informatique, et j'enseigne la culture amérindienne et l'éducation bilingue. Je peux donc combiner les deux domaines dans mon travail.

Mon approche consiste à utiliser les espaces numériques, comme les réseaux sociaux, pour diffuser ma langue via la création de ressources visuelles : ceci va de la traduction de comics à la création de livres numériques et d'autres ressources qui peuvent servir de support pédagogique pour l'enseignement de la lecture et de l'écriture du tenek. Mon dernier projet en date est la création d'une communauté de plus de trente locuteurs et de la page Facebook @LenguasWeb (langues autochtones mexicaines sur Internet), dans laquelle nous partageons des infographies dans chacune des langues autochtones des participants.

RV : Quel est l'état actuel de votre langue sur et en dehors d'Internet ?

No tengo un estudio actual que precisamente muestre resultados de la presencia de la lengua en internet. Sin embargo basta decir que ahora los Tének escribimos (muchas de las veces como podamos) en Facebook o WhatsApp, e incluso se pueden encontrar algunos vídeos con música en Tének, animación con información para evitar la violencia; y narraciones de los abuelos. Para el caso de la lengua fuera de línea se han generado materiales como libros con contenido literario, diccionarios, material de enseñanza de lectoescritura, también en San Luis Potosí existe una radiodifusora cuya programación se trasmite en cuatro lenguas: tres indígenas (náhuatl, tének y xi’uy) y español. En las comunidades indígenas se sigue usando la lengua en diferentes espacios, principalmente en la casa, otros ámbitos son la escuela, la iglesia, el juzgado y en ocasiones las clínicas.

Je ne dispose pas d'une étude actuelle qui montrerait des résultats précis sur la présence du tenek sur Internet. Cependant, il suffit de dire que les Téneks écrivent (autant qu'ils le peuvent) sur Facebook et sur WhatsApp [en tének].Vous pouvez même trouver quelques vidéos de musique en tének, des animations avec des informations sur la prévention de la violence et des histoires racontées par les anciens. Dans le cas du status du tének hors ligne, des ressources telles que de la littérature, des dictionnaires et des aides à l'alphabétisation ont été créées. À San Luis Potosi, il existe même une radio qui diffuse ses programmes en quatre langues : trois langues autochtones (le nahualtl, le tének et le xi'uy) et l'espagnol. Dans les communautés autochtones, la langue est encore utilisée dans divers espaces, principalement à la maison, mais aussi à l'école, à l'église, au tribunal et parfois dans les cliniques.

RV : Sur quels sujets allez-vous communiquer sur @ActLenguas ?

He considerado enfocarme primeramente en dar a conocer la diversidad de México, después escribir sobre mi lengua. Entre los principales puntos a tratar son la oralidad, la educación indígena, la escritura, la lengua en internet, también considero importante hacer mención a las leyes mexicanas y como estas deben ser reconocidas y cumplidas.

Je vais d'abord me concentrer sur la diversité du Mexique, puis je communiquerai sur ma langue. Parmi les principaux sujets à aborder se trouvent l'oralité, l'éducation autochtone, l'écriture et la langue sur internet. Je crois aussi qu'il est important de mentionner les lois mexicaines et comment elles devraient être acceptées et respectées.

RV : Qu'est-ce qui motive votre militantisme linguistique pour le tének ?

Primeramente dar a conocer mi lengua a personas no hablantes y motivar a los Tének a usar su lengua en nuevos espacios. La preocupación principal es que a pesar de que somos 166 mil 900 hablantes, nuestra lengua está en riesgo de desaparición, por ello planteo que una de las formas para no dejar de morir la lengua es usándola siempre que tengamos oportunidad, esto significa que mientras hablemos por teléfono con nuestra familia, mientras escribimos en Facebook, mientras enseñamos en las aulas, mientras cantamos, mientras pintamos, mientras hacemos poesía, mientras vivamos ¡La lengua Tének debe usarse!

Avant tout, j'aimerais faire connaître ma langue à ceux et celles qui ne la parlent pas, et motiver les Téneks à l'utiliser dans de nouveaux espaces. Le souci majeur est que bien que nous soyons 166 900 locuteurs, notre langue est en danger d'extinction. Mon argument est qu'une des façons d'en prévenir la disparition est de l'utiliser à chaque fois que nous en avons l'occasion, que ce soit au téléphone avec notre famille, sur Facebook, dans les salles de classe dans lesquelles nous enseignons, en chantant, en dessinant, en récitant de la poésie, aussi longtemps que nous vivons. La langue tének doit être utilisée !

RV : Qu'espérez-vous pour votre langue ?

Sueño con espacios donde se pueda usar libremente la lengua, sueño en que las autoridades nos atiendan en nuestras lenguas, en menos muertes en hospitales/clínicas por que no nos entienden, en que no se encarcelen mas personas por que no puedan defenderse por no hablar español, en escuelas donde se enseñe lo nuestro antes que lo del extranjero, en que los padres sigan transmitiendo el idioma de nuestros abuelos. Sueño que mi lengua vive.

Je rêve d'espaces où le tének pourrait être utilisé librement. Je rêve que les autorités s'occupent de nous dans notre langue, de moins de décès dans les hopitaux et cliniques parce qu'ils ne nous comprennent pas quand nous parlons tének, de moins de peines de prison parce que les accusés ne peuvent pas se défendre en espagnol, d'écoles où ma propre langue serait enseignée avant des langues d'ailleurs. Je rêve que les parents continuent de transmettre la langue de nos grands-parents. Je rêve que ma langue vive.

Après une année derrière les barreaux, huit écologistes iraniens risquent la peine de mort

lundi 18 février 2019 à 16:32

Une affiche de la campagne #anyhopefornature montrant les militants écologistes Taher Ghadirian, Niloufar Bayani, Amirhossein Khaleghi, Houman Jokar, Sam Rajabi, Sepideh Kashani, Morad Tahbaz et Abdolreza Kouhpayeh .

Une version de cet article a été originellement publiée par l'organisation de défense de la liberté d'expression ARTICLE 19, le texte est reproduit ici par Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenus.

Huit activistes environnementaux iraniens sont incarcérés depuis plus d'un an à la suite de leur arrestation sur des accusations “d'espionnage” et de “propagation de la corruption sur la terre” retenues contre eux. Ils ont finalement été traduits en justice le 30 janvier 2019.

En vertu du code pénal iranien, l'accusation de corruption à laquelle ils doivent répondre est passible de la peine de mort.

Niloufar Bayani, Sam Radjabi, Houman Jowkar, Taher Ghadirian, Morad Tahbaz, Sepideh Kashani, Amir Hossein Khaleghi et Abdolreza Kouhpayeh : ces huit activistes travaillaient tous pour la Persian Wildlife Heritage Foundation (PWHF) et ont été arrêtés en janvier 2018 aux côtés de Kavous Seyed-Emami, le directeur général de PWHF. M. Seyed-Emami est décédé le 8 février 2018 pendant sa détention à la prison d'Evin. Bien que la justice a déclaré que M. Seyede-Emani s'est suicidé, la communauté iranienne et internationale ont toutes deux demandé l'ouverture d'un examen indépendant sur les circonstances de son décès ; une enquête qui n'a pas encore débuté.

L'argumentaire du gouvernement contre les écologistes est principalement axé sur le travail de l'équipe pour la protection du guépard asiatique, un félin sauvage originaire de l'est de l'Iran et sur le point de disparaître. La plupart des membres du groupe ont étudié à l'étranger, principalement au Canada et aux États-Unis, et ils entretenaient des liens avec des groupes d'experts environnementaux du monde entier, dont certains se sont rendus en Iran afin d'en apprendre plus sur les félins et éventuellement aider à les protéger. Les autorités iraniennes se sont appuyées sur les relations des prévenus avec des universités étrangères et les ont utilisées pour soutenir les accusations selon lesquelles les militants seraient des agents des services de renseignements étrangers qui se feraient passer pour des experts de l'environnement.

Tous les prévenus avaient initialement été accusés “espionnage” et étaient maintenus en détention en l'attente du procès. Jusqu'au 24 octobre 2018 tout du moins, lorsque Abbas Jafari Dowlatabadi, le procureur de Téhéran, a annoncé que les accusations portées contre quatre d'entre eux avaient été transformées en “propagation de la corruption sur terre”, un crime passible de mort.

Les procureurs ont bâti une grande partie de leurs poursuites contre le groupe sur la base d'aveux forcés faits par l'une des militants et qui ont depuis été rétractés.

Les 30 janvier et 2 février 2019, les huit défenseurs de l'environnement ont été jugés par la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire, présidée par le juge Salavati, qui a souvent émis des condamnations disproportionnées et très répressives à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme. Selon le Centre pour les droits de l'homme en Iran (CHRI), la moitié des 300 pages de l'acte d'accusation ont été lues lors de ces deux audiences, un document qui se fonde entièrement sur les confessions de l'une des huit prévenus, Niloufar Bayani. Mme Bayani a interrompu le tribunal à nombreuses reprises pour faire objection, affirmant que ses aveux avaient été faits sous la contrainte, qu'ils étaient faux et qu'elle s'était depuis rétractée.

D'autres accusations graves et préoccupantes ont été faites au sujet des audiences, notamment sur le fait que ces dernières se déroulent à huis-clos, que les prévenus n'ont pas le droit de choisir les personnes qui les représentent et que les avocats commis d'office pour la défense ne sont pas tous présents au tribunal.

Les accusés ont déclaré avoir été soumis à des mois d'isolement et de tortures psychologiques, parmi lesquelles des menaces de mort et d'injection de drogues hallucinogènes ainsi que des menaces d'arrestation et de mort à l'encontre de membres de leurs familles.

Les prévenus ont été confrontés à un traitement en violation de leurs droits à la vie, à la liberté d'expression, à un procès équitable et à une procédure judiciaire régulière. C'est aussi symptomatique de la tendance à réduire au silence par des accusations d'espionnage ceux qui s'expriment sur les questions environnementales dans le pays.

ARTICLE 19 ainsi que d'autres organisations de défense des droits de l'homme ont demandé leur immédiate et inconditionnelle libération ainsi que l'ouverture d'une enquête approfondie, immédiate et impartiale portant sur les allégations de torture et autres mauvais traitements.

Le ministre camerounais de la justice rationalise l'Holocauste à la télévision nationale

dimanche 17 février 2019 à 20:23

Jean de Dieu Momo, Ministre délégué à la Justice du Cameroun. Photo officielle pour le site internet du gouvernement camerounais.

Le 3 février, dans un entretien officiel à la télévision publique du Cameroun, Jean de Dieu Momo, ministre délégué à la Justice, a fait sensation quand il a mis en garde le chef de l'opposition, Maurice Kamto, contre le fait supposé de mener les Bamilékés du Cameroun à un destin semblable à celui des Juifs lors de l'Holocauste pendant la deuxième guerre mondiale.

M. Momo a tenu ce langage dans une émission de la télévision publique intitulée News Weekly (Informations de la semaine) lors d'un échange avec M. Kamto sur la situation au Cameroun et le conflit en cours entre les régions francophone et anglophone qui paralyse le pays. Les Camerounais anglophones, qui sont 20 % de la population, se sentent de plus en plus marginalisés par les gouvernants de la majorité francophone. La crise a conduit à une répression dans les régions anglophones du Cameroun et ravivé un mouvement sécessionniste après “des centaines de morts, près de 500.000 déplacés, et des rafles et incarcérations de militants”, selon le Washington Post.

Le débat télévisé a commencé en se centrant sur la tension ethnique plus particulière entre deux des principaux groupes ethniques du Cameroun, les Beti et les Bamiléké. Les Beti s'alignent sur le Cameroun francophone et le président camerounais Paul Biya, lui aussi un Beti. Les Bamilékés ont plus d'affinités avec le Cameroun francophone et sont notoirement représentés par le principal adversaire politique de Biya, Maurice Kamto, un Bamiléké.

Au bout de vingt minutes d'échanges, Momo a dit :

On raconte qu'en Allemagne, il y avait un peuple qui était très riche, qui avait tous les leviers économiques, c'étaient les Juifs. Ils étaient d'une arrogance telle que le peuple allemand se sentait un peu frustré. Puis un jour est venu au pouvoir un certain Hitler, qui a mis ces populations-là dans les chambres à gaz. Je pense quand même qu'il faut que les gens qui sont instruits, comme M. Kamto puissent savoir où ils emmènent leur peuple.

Voici un extrait de l'entretien (en français) :

Ironie de l'histoire, Momo est lui-même un Bamiléké. Vu sa position de pouvoir, les analystes politiques pensent que ses propos outranciers se voulaient un avertissement à sa communauté de ne pas aggraver une situation à l'équilibre ethnique déjà tendu et fragile.

De fait, les Bamilékés ont été victimes d'un génocide il y a cinquante ans. Les spécialistes pensent qu’entre 100.000 et 400.000 Bamilékés ont été tués entre 1959 et 1964 pendant la “guerre secrète” de la France au Cameroun. Les Français et leurs alliés locaux ont commis ces massacres essentiellement dans les régions occidentales du Cameroun, où les Bamilékés étaient installés depuis des siècles.

Les Bamilékés continuent à subir la discrimination, l'abandon et l'absence de représentation dans l'espace politique et social, et c'est eux que visaient les expulsions de 2012 hors de la capitale Yaoundé.

Présence israélienne au Cameroun

Les propos antisémites de Momo en ont troublé plus d'un et n'ont pas échappé à l'ambassade d'Israël à Yaoundé. L'ambassade a publié une déclaration officielle exprimant son indignation et exigeant des excuses immédiates.

Israël a une présence diplomatique dans 11 des 54 pays africains, et entretient des relations diplomatiques avec le Cameroun depuis 1986. L'ambassade israélienne indique que la relation remonte même à l’indépendance du Cameroun d'avec la France en 1960.

Le gouvernement camerounais a désavoué le ministre, déclarant que Momo “s'était exprimé en son nom personnel” et ne reflétait pas les positions du gouvernement. Les autorités ont même dénoncé ses “propos inappropriés”, se désolidarisant entièrement de la déclaration antisémite, sans avoir encore décerné à M. Momo une quelconque réprimande officielle.

Le Middle East Monitor rapporte que le Président Biya “utilise des unités spéciales de sécurité et de l'armée entraînées par des entreprises de sécurité israéliennes pour mater les manifestations contre son régime”, avant tout dans les régions anglophones du pays.

Réactions au Cameroun

Les propos provocateurs de Momo se sont propagés comme un feu de brousse sur les réseaux sociaux, questionnant sa spécialité qui l'a rendu familier des affaires de génocides et de crimes contre l'humanité. Momo est surtout connu pour son travail d'avocat au Tribunal pénal spécial pour le Rwanda depuis 2006, et son militantisme sur la question des droits humains.

Pourtant, ses propos contribuent à alimenter la montée mondiale des mouvements d'extrême-droite qui raniment les tropes racistes selon lesquels les Juifs dominent la finance mondiale. Son discours, au prétexte de “parler vrai”, paraît à l'opposé de son expérience antérieure et son identité de Bamiléké, un groupe historiquement opprimé.

Dibussi Tandé, auteur camerounais pour Global Voices, a tweeté :

Momo Jean de Dieu, ministre délégué camerounais à la Justice, met en garde l'ethnie Bamiléké qu'ils pourraient finir comme les Juifs “arrogants” que Hitler a mis dans les chambres à gaz. L'ambassade israélienne au Cameroun a condamné la déclaration de Momo, disant qu'elle rationalise l'Holocauste et la traite avec légèreté.

L'utilisateur de Twitter Adjani Okpu-Egbe a aussi déploré l'ignorance que prouvent les propos de Momo :

Quelle ignorance, surtout venant du ministre de la Justice ! Tant que le régime Biya sera aux manettes, les minorités seront effacées de la surface du Cameroun et des progrès substantiels sont faits avec des offensives actives au Cameroun du Sud.

D'autres n'ont pas été aussi révulsés :

Et celui-ci a évoqué le sophisme de crier à l’ “antisémitisme” à la lumière des politiques discriminatoires d'Israël envers les Palestiniens :

Qu'Israël se taise. Il a eu tort de faire ça, mais je suis las que vous utilisiez ce mot “antisémitisme” et l'holocauste pour justifier vos atrocités contre les Palestiniens. Plus de gens ont été tués pendant le génocide belge au Congo.
Défendez la justice au Cameroun.

Pour autant, “aucun des deux ministres n'a songé à s'excuser auprès des Bamilékés“, a relevé AllAfrica. Alors que le Cameroun reste embourbé dans les conflits économiques, sociaux, politiques et ethniques, ses citoyens se débattent dans une absence de direction claire qui puisse mettre un terme aux violences et souffrances prolongées.

#MetooOuïgours, pour demander au gouvernement chinois des preuves de vie des détenus du Xinjiang

samedi 16 février 2019 à 18:59

Collage de photos d'Ouïgours disparus au Xinjiang. Image de la campagne #MetooUyghur circulant sur les médias sociaux.

Alors que les récits de mauvais traitements et de torture dans les “camps de rééducation chinois de la province occidentale du Xinjiang continuent à circuler, les communautés ouïgoures hors de Chine réclament que Pékin publie des informations sur leurs proches et amis disparus.

La campagne #MeTooUyghur (#MeToo ouïgour) sur les médias sociaux a été déclenchée par la mise en ligne par les autorités chinoises d'une vidéo dans laquelle le célèbre musicien détenu en camp Abdurihim Heyit dément avoir été torturé à mort dans une prison du Xinjiang.

Les rumeurs de la mort de Heyit devinrent virales sur diverses plateformes de médias sociaux les 8 et 9 février. Puis le 10 février, le ministère des Affaires étrangères de la Turquie publia une déclaration critiquant vertement la politique chinoise au Xinjiang et appelant à la fermeture des camps de rééducation.

Le porte-parole Hami Aksoy y disait :

Systematic assimilation policy of Chinese authorities towards Uighur Turks is a great embarrassment for humanity…It is no longer a secret that more than one million Uighur Turks, who are exposed to arbitrary arrests, are subjected to torture and political brainwashing in concentration centers and prisons.

La politique d'assimilation systématique des autorités chinoises envers les Turcs ouïgours est une grande honte pour l'humanité… Ce n'est plus un secret que plus d'un million de Turcs ouïgours, exposés aux arrestations arbitraires, sont soumis à la torture et au lavage de cerveau dans des centres de concentration et des prisons.

Aksoy poursuivait en affirmant que Hyeit était mort :

In such an environment, we’ve learned with great sorrow that dignified poet Abdurehim Heyit, who was sentenced to eight years in prison for his composition, died in the second year of his imprisonment.

Dans un tel contexte, nous avons appris avec une grande tristesse que le noble poète Abdurehim Heyit, condamné à huit ans de prison pour sa composition, est mort dans la deuxième année de son incarcération.

Heyit est un maître du dotâr (luth traditionnel) et a été condamné à huit ans de prison pour un des chants qu'il a composés.

Le lendemain, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Hua Chunying a publié une vidéo pour prouver qu'Abdurehim Heyit est bien vivant. Dans cette vidéo, le poète ouïgour disait qu'il n'a pas été torturé et est en bonne santé.

Hua a qualifié la déclaration de la Turquie de “très grande erreur” et dit que les informations sur la mort de Heyit étaient un “mensonge absurde”. Elle a indiqué que Heyit faisait l'objet d'une enquête pour motifs de sécurité nationale.

La publication de la vidéo n'a pas apaisé la tension publique autour du traitement des détenus. Les communautés ouïgoures à travers le monde se sont mises à utiliser le mot-clic #MeTooUyghur pour exhorter le gouvernement chinois à donner des preuves de vie de leurs familles et amis disparus au Xinjiang.

@HalmuratU, un militant des droits humains vivant en Finlande et dont le père a disparu au Xinjiang, a annoncé la campagne sur Twitter :

Merci de vous joindre à notre campagne de médias sociaux #MeTooOuïgour !
Comme vous savez les autorités chinoises ont répondu au scandale Abdurehim Heyt par la publication d'une vidéo le montrant en vie.
Les millions de prisonniers sont-ils aussi en vie ?
Petite action, grand effet ! Votre action compte, rejoignez-nous !

La campagne a reçu beaucoup d'attention et d'échos. @TarimUyghur a publié des photos de son père, sa mère, ses frères et ses sœurs sur Twitter et demandé à Pékin de montrer des vidéos d'eux et de prouver qu'ils sont toujours en vie :

PCC, où sont mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs.
Gouvernement chinois, montrez aussi leurs vidéos comme vous l'avez fait pour Abdurehim Heyt.
Où sont-ils ?

Le gouvernement chinois a remarqué la campagne. La porte-parole du Ministère des Affaires étrangères Hua Chunying a dit à la presse le 12 février :

China has more than 1 billion people, do we need to release a video of everyone?

La Chine a plus d'un milliard d'habitants, faut-il publier une vidéo pour chacun ?

@ferkat_jawdat, dont la mère est toujours dans un camp de rééducation du Xinjiang, a réitéré l'appel avec une référence insolente au dispositif de surveillance massive que la Chine a déployé au Xinjiang :

Au point presse habituel du mardi, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying a dit de la campagne #MeTooOuïgour : “La Chine a plus d'un milliard d'habitants, faut-il publier une vidéo pour chacun ?” En tous cas, vous le pouvez, puisque vous avez 2 caméras pour chaque individu !!!