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Malgré les obstacles, être femme et entreprendre en Afghanistan

mercredi 26 décembre 2018 à 10:59

Shukria Attaye, 50 ans, femme d'affaires afghane. Photo : Ezzatullah Mehrdad.

Tandis que le soleil se couche sur une cour misérable à l'ouest de Kaboul, la capitale de l'Afghanistan, un frère et une sœur en bleus de travail maculés mélangent et écrasent du fourrage avant l'arrivée d'une nouvelle cohorte de vaches laitières.

Il s'agit de Shukria Attaye, 50 ans, et Mohammad Ali, 55 ans. Contrairement aux conventions dans un pays où les rôles de genre sont strictement définis et la séniorité révérée, c'est Mohammad Ali qui est le salarié de sa sœur Shukria Attaye.

“Je suis fier de ma sœur”, dit Mohammad Ali, dont le salaire dans l'entreprise familiale tourne autour de 200 dollars par mois.

“Au départ, je ne croyais pas qu'elle allait réussir aussi bien. Je pensais qu’elle allait juste subsister, pas plus.”

Attaye, qui est illettrée, est la patronne de trois autres hommes qui travaillent dans la cour. Sa position de chef de la famille a été gagnée de haute lutte après que son mari, rendu invalide par les mauvais traitements des talibans, n'était plus en état de travailler.

Issue d'une famille ni paupérisée ni riche, elle a démarré l'exploitation laitière il y a cinq ans avec moins de 40.000 afghanis (700 dollars US). Aujourd'hui elle projette d'investir dans une installation de production laitière.

“Je ne voulais pas voir mes enfants travailler dans la rue”, dit Attaye pour expliquer sa motivation. “Mon courage, mon enthousiasme et ma confiance en moi me faisaient continuer à avancer et à travailler.”

Shukria Attaye debout dans la cour qu'elle a louée pour 1.000 dollars par an. Photo : Ezzatullah Mehrdad.

Les qualités de dirigeante de Mme Attaye ont été forgées dans l'adversité. Sa famille était l'une des milliers qui ont fui en Iran dans la période qui a suivi l'invasion soviétique de 1979. Là-bas, elle a acquis un rôle majeur dans un conseil de femmes qui coopérait avec l'ONU sur les problèmes de réfugiés.

En 1996, quand les combats fratricides ont fini par ralentir et que les talibans ont pris le contrôle du pays, l'ONU lui a proposé de rentrer en Afghanistan et de travailler pour les bureaux de l'organisation à Hérat, dans l'ouest du pays.

Mais peu après le retour de la famille, son mari était arrêté sans explication par les talibans et torturé si gravement qu'il allait souffrir du cœur et d'autres maladies pour le restant de ses jours, raconte-t-elle.

Subsister

La famille déménagea à Kaboul et Shukria Attaye ouvrit une boulangerie. Sa belle-famille avait coupé les ponts avec elle, dans la crainte que son mari étant invalide, sa famille se tourne vers eux pour un soutien pécuniaire. La boulangerie marchait bien, cependant, et Attaye se mit alors au commerce de voitures et de petits terrains.

Mais à mesure que la santé de son mari périclitait — il décéda en 2016 — les économies du ménage faisaient de même.

Après plusieurs voyages dans l'Inde voisine pour des traitements médicaux, “il ne me restait plus d'argent dans les poches”, se rappelle-t-elle.

Attaye a montré à Global Voices une reconnaissance de dette contractée pour les vols de retour d'Inde en 2013. 

C'est à cette époque qu'Attaye décida de se lancer dans la production laitière. Elle emprunta de l'argent à une connaissance et acheta une vache laitière à 700 dollars. La revente de la vache avec un bénéfice lui permit d'en acheter plusieurs autres. Elle en possède aujourd'hui 25.

Mme Attaye soigne ses vaches laitières. Photo : Ezzatullah Mehrdad.

Aider les autres femmes

En Afghanistan, les femmes qui travaillent sont stigmatisées dans de nombreux milieux. Laïla Haidari, qui gère le programme mondialement reconnu de réhabilitation des toxicomanes Mother Camp, dit qu'elle a été accusée par les dignitaires religieux locaux d'être une prostituée. 

En vue de financer le camp, Haidari a ouvert un restaurant en 2013. Mais pour beaucoup de ses clients, l'idée d'un restaurant géré par une femme était aberrante. Ils réclamaient souvent des services sexuels en supplément du manger et du boire, raconte-t-elle.

Haidari a utilisé sa position d'entrepreneure et d'influenceuse sociale pour autonomiser d'autres femmes, et elle soutient financièrement 35 jeunes filles et femmes pour fréquenter lycées et universités.

“Donner des moyens aux femmes afghanes n'est pas un projet américain”, a-t-elle déclaré à Global Voices en référence au dénigrement local habituel d'initiatives comme la sienne. “Il s'agit de [leur] donner la détermination et le courage de croire en elles-mêmes”.

Shukria Attaye a également eu l'inspiration d'en aider d'autres dans les dernières années. Elle héberge actuellement deux femmes, une divorcée et une veuve.

“À mesure que je développe l'exploitation laitière, je vais recueillir plus de femmes dans le besoin”, a dit Attaye à Global Voices.

La campagne de la Chine contre Noël plombe la fête pour beaucoup

mardi 25 décembre 2018 à 19:44

Écrit sur les tableaux en classe : “Agir et rejeter la fête occidentale” et “Promouvoir la culture traditionnelle, rejeter la fête occidentale”. Images sur Weibo.

À l'approche de Noël, nombreux sont ceux en Chine continentale qui au lieu de se sentir joyeux, expriment leur frustration envers la campagne idéologique de la Chine contre Noël, fête occidentale.

En 2017, le comité central et le conseil d’État du Parti communiste chinois ont publié un document officiel intitulé “Suggestions sur la mise en œuvre de projets pour promouvoir et développer l'excellence de la culture traditionnelle chinoise”. Le texte donnait un aperçu d'un projet culturel listant des fêtes chinoises comme le Nouvel an lunaire et la Fête des lanternes, entre autres patrimoines culturels valant d'être célébrés.

En vue d'appliquer ce programme, les autorités chinoises ont lancé une série de campagnes idéologiques pour réprimer les festivités non chinoises. Cette année, juste avant Noël, les autorités de certaines villes, comme Langfang, dans la province du Hebei, ont exigé des magasins qu'ils ôtent les décorations de Noël des vitrines et des rues.

Les propos contre les fêtes occidentales envahissent les médias sociaux, et célébrer Noël est un choix délicat pour certains, qui se sentent obligés de cacher leur plaisir.

Capture d'écran d'un fil d'actualité de commentaires contre les fêtes occidentales sur Weibo.

L'utilisateur de Weibo Long Zhigao a fait des copies d'écran de son fil d'informations WeChat sur Weibo pour divulguer les aspects du débat. Les titres sur le fil sont : 1. La fête occidentale approche. Célébrer ou pas, telle est la question. 2. Je suis Chinois et je ne célèbre pas les fêtes occidentales. 3. Dites non à la célébration des fêtes occidentales à l'école. 4. L’État-parti a interdit les fêtes occidentales. La célébration des fêtes est devenue un sujet politique.

A part Noël, la liste des fêtes occidentales inclut aussi la Saint-Valentin, Pâques et Halloween, et d'autres encore. La majorité des commentaires définissent les fêtes occidentales comme une “invasion culturelle” ou une “humiliation nationale”.

Par exemple, celui-ci ci qui a abondamment circulé :

如果一个民族的群体热衷于另一个民族的节日,这说明文化入侵已是极其严重了。党员干部如果认识不到这点,那就是丧失政治敏锐性,也失去了先进性。

Si les gens d'une nation sont trop enthousiastes à célébrer les fêtes des autres nations, c'est un signe que le pays subit une invasion culturelle extrêmement grave. Si les membres du parti et les responsables gouvernementaux ne s'en rendent pas compte, cela veut dire qu'ils n'ont pas de sensibilité politique et ont perdu leur progressisme.

Ce commentaire fait référence à l'épisode de l’Alliance des huit nations, une coalition formée pour riposter à la révolte des Boxers en Chine entre 1899 et 1901, lorsque les paysans chinois se sont soulevés contre le pouvoir étranger, colonial, chrétien et sa culture. Il va plus loin en arguant que l'anniversaire de la naissance de Mao Zedong, le Père fondateur de la République populaire de Chine, devrait être traité comme le Noël de la Chine :

中国人民共和国第一任主席毛泽东,是他拯救人民与水火之中,我们应该将他的诞辰定为中国的圣诞节,拒绝洋节,从自己做起!

Le premier Président de la République populaire de Chine Mao Zedong a sauvé les gens de la misère. Nous devrions faire de son anniversaire le Noël chinois. Agissons et rejetons les fêtes occidentales !

Mais beaucoup sur Weibo ont relevé l'illogisme de ces arguments. Un commentateur a écrit :

洋人过春节,中国人自豪,叫传统文化振兴……
中国人过个洋节,怎么又叫外来文化入侵了呢?
年轻过个洋节,只是图个热闹,又拉动消费,哪里不好?
有些人,把过个圣诞节和160年前的民族耻辱又扯上了,何必呢? ​

Quand les Occidentaux célèbrent le Nouvel an chinois, les Chinois sont très fiers et voient dans ce phénomène la renaissance de la culture traditionnelle chinoise … Quand les Chinois célèbrent les fêtes occidentales, à quoi ça sert de les traiter d'invasion culturelle ? Les jeunes célèbrent les fêtes occidentales pour l'amusement et le plaisir. Les fêtes peuvent stimuler la consommation, quel mal y a-t-il à cela ?
Certains essaient de tracer des liens entre fêter Noël et l'humiliation nationale qui a eu lieu 160 ans auparavant. À quoi bon ?

Pression sociale et auto-censure

Le flot de commentaires anti-Noël sur les médias sociaux a créé une pression sur certains utilisateurs pour s'auto-censurer. Cet utilisateur de Weibo a exprimé sa frustration:

快圣诞了,朋友圈里的洋节反对派和反反对派又开始刚上了。爱过过不爱过拉倒呗,没必要非逼着别人认同自己的看法,所有人都站一边不挤啊?真要都站一边了,本来站在中间的我们为了保持平衡就只能站到另一边去了。

Noël approche. Dans mon cercle d'amis, c'est la discussion entre les camps des pro- et anti-fêtes occidentales. Qu'on ait envie de fêter ou pas ne regarde personne d'autre, pourquoi les gens doivent-ils donc forcer autrui à suivre leurs idées ? Si chacun est d'un seul côté ça fait trop de monde. Pour ceux d'entre nous qui sommes au milieu, pour équilibrer, ça nous oblige à nous placer de l'autre côté.

Avis dans une école contre la célébration de fêtes occidentales dans l'enceinte scolaire.

La pression va au-delà des médias sociaux et s'étend à des institutions comme l'enseignement et les entreprises.

Des utilisateurs de Weibo ont partagé des avis d'écoles distribués aux élèves. Celui-ci (à droite) se réfère à l'ordre des “Suggestions” et invite enseignants et élèves à résister aux célébrations à l'occidentale.

Il enjoint aussi les élèves de diffuser les messages anti-occidentaux à leurs amis et membres de leurs familles, sur Wechat et autres applications de messagerie mobile.

Une maman a été étonnée de voir son enfant refuser son offre de cadeau de Noël. Elle écrit sur Weibo :

👩:宝宝,你想要什么🎄圣诞礼物?
👶:我不过洋节,因为圣诞节不是我们中国人自己的节日!

好吧,
果然是党和人民的好宝宝

La maman : Chéri(e), qu'est-ce que tu voudrais pour Noël ?
Enfant : Je ne veux pas célébrer les fêtes occidentales Noël n'est pas une fête du peuple chinois.

C'est bien, tu es tout à fait un enfant obéissant du parti et du peuple.

Mais les lycéens et étudiants se sont montrés plus critiques. Celui-ci a questionné sur Weibo la politique de son école :

学校范围内不让出现一切和Christmas有关的东西,不能互赠礼物,不能有装饰物,不让过所谓的“洋节”,这到底是要弘扬传统文化,还是对自己文化的一种不自信

L'école a banni les décorations de Noël du campus et interdit aux étudiants d'échanger des cadeaux pour faire campagne contre les fêtes occidentales. Toutes ces mesures veulent-elles enrichir et promouvoir la culture chinoise, ou bien sont-elles un signe de perte de confiance dans sa propre culture ?

Certains ont choisi de célébrer la fête en secret. Un utilisateur de Weibo a écrit :

公司不让过“洋节”,人事小姐姐提前偷偷给发的平安果。预祝平平安安。

L'entreprise a interdit la célébration de fêtes occidentales. Mais la secrétaire du service du personnel a offert en secret des pommes de Noël [un présent de Noël usuel] aux membres du personnel. Souhaitons la paix..

Un autre utilisateur de Weibo a exprimé sa pensée par un souhait de Noël :

圣诞快乐!上帝我爱你!请圣诞老人给我一只大大的袜子,里面装着自由。

Joyeux Noël ! Je t'aime Seigneur ! Père Noël s'il te plaît apporte-moi une grande grande chaussette avec dedans la liberté.

Cent jours pour Alaa : la famille de l'activiste égyptien compte les jours jusqu'à sa libération

mardi 25 décembre 2018 à 19:43

Alaa Abdel El Fattah, photo de Nariman El-Mofty.

[Article d'origine publié le 17 décembre 2018] Après avoir passé cinq ans en détention, le blogueur et activiste égyptien Alaa Abd El Fattah devrait sortir de prison le 17 mars 2019. Le 8 décembre, sa famille a lancé la campagne “100 jours pour Alaa” pour s'assurer de la fin effective de sa peine à la date fixée.

La date de libération en mars ne marque pas la fin de la peine d'Alaa, mais plutôt une transition vers la phase finale de celle-ci. Après sa libération, Alaa sera tenu de passer toutes les nuits au poste de police de sa localité pendant les cinq prochaines années. Il sera sous surveillance policière durant toute cette période.

Alaa a été arrêté et emmené de son domicile familial en novembre 2013. Plus d'un an plus tard, en février 2015, il a finalement été jugé et et condamné à cinq ans de prison pour avoir “organisé”une manifestation en vertu d'une loi de 2013 sur les manifestations qui interdit celles qui ne sont pas nommément autorisées. Bien qu'il ait participé à une marche contre les procès militaires de civils le 26 novembre 2013, Alaa n'a joué aucun rôle dans son organisation. Sa condamnation a été confirmée par la Cour de Cassation égyptienne en novembre 2017.

Omar Robert Hamilton, un cousin d'Alaa, a décrit les objectifs de la campagne :

  1. porter à nouveau son cas à l'attention locale et internationale pour s'assurer qu'Alaa soit effectivement libéré le 17 mars.
  2. introduire le concept de المراقبة (‘liberté surveillée’ ou ‘libération conditionnelle’) dans la conscience du public. Après sa libération, Alaa est toujours condamné, pour les cinq années à venir, à passer la nuit au poste de police. Nous devons préparer le terrain à faire pression contre cela.

Alaa a été emprisonné ou a fait l'objet d'une enquête sous tous les chefs d’État égyptiens en fonctions pendant sa vie. En 2006, il a été arrêté pour avoir participé à une marche pacifique. En 2011, il a fait deux mois de prison, lui faisant manquer la naissance de son premier enfant, Khaled. En 2013, il fut arrêté et détenu sans procès durant 115 jours.

Alaa travaille depuis longtemps sur des projets de technologie et d'activisme politique avec son épouse, Manal Hassan. Il est issu d'une famille d'éminents défenseurs des droits humains, dont l'avocat des droits de l'homme Ahmed Seif El Islam, le père d'Alaa, qui fut emprisonné à plusieurs reprises sous le régime de Hosni Moubarak. Les sœurs d'Abd El Fattah, Mona et Sanaa Seif, sont aussi des défenseurs des droits humains qui font campagne depuis longtemps contre les procès militaires des civils dans le pays. En 2016, Sanaa a purgé une peine de six mois de prison pour avoir insulté un fonctionnaire.

Le calvaire d'Alaa est similaire à celui de nombreux autres Égyptiens derrière les barreaux pour leur activisme. L’Égypte compte plus de 60,000 prisonniers politiques selon les groupes de défense des droits humains. Les personnes arrêtées pour des motifs politiques en Égypte sont souvent soumises à des disparitions forcées, des tortures, des détentions préventives prolongées et à l'isolement cellulaire.

Participer à la campagne #FreeAlaa

Dans une lettre aux participants de RightsCon, une conférence sur les droits numériques qui s'est déroulée à Toronto en mai 2018, Alaa a exhorté ses sympathisants à ”réparer leurs [propres] démocraties”.

Ma réponse à la question, comment pouvons-nous vous aider, est toujours la même. Je pense toujours que [réparer la démocratie] est la seule réponse possible. Non seulement c'est à l'endroit où vous vivez,travaillez, votez, payez les impôts et vous vous organisez que vous pouvez avoir le plus d'impact, mais un recul des droits humains dans un lieu où la démocratie est profondément enracinée servira encore certainement d'excuse à de pires violations dans des sociétés où les droits sont plus fragiles. J'espère que les évènements récents ont mis en évidence la nécessité de corriger beaucoup de choses. J'ai hâte d'être inspiré par la méthode que vous utiliserez pour réparer cela.

Nous encourageons les personnes voulant rejoindre la campagne ”100 jours pour Alaa” à envoyer ”des textes, des photos ou des actes de solidarité” qui seront publiés sur son site web :

Cette campagne est ouverte “open-source” – Nous allons lancer de nouvelles idées, mais il nous en faut plus encore, ainsi que nouvelles pensées et énergies. Alors réfléchissez avec nous !

Le hashtag, comme toujours, est #FreeAlaa – Merci de vous joindre à nous en préparant le terrain pour la libération d'Alaa.

Dix irrésistibles chants de Noël de Trinité-et-Tobago

lundi 24 décembre 2018 à 13:42

Les poinsettias rouges sont des plantes en pot très prisées, surtout pendant la période de Noël. Photo par Guilherme Cardoso, CC BY-NC 2.0.

Les festivités de Noël à Trinité-et-Tobago sont une combinaison magique de famille, d'amis, de nourriture et d'amusement, tout ceci soudé par un seul ingrédient : la musique ! Oubliez Mon beau sapin et autres Petit papa Noël ; les chansons de Noël préférées des lieux, des ballades locales au soca parang, ont toute la saveur de la Caraïbe.

Voici notre sélection (sans ordre particulier) de quelques-uns des airs les plus originaux de cette saison. Sans lesquels… ce ne serait tout simplement pas un Noël de Trinidad !

1. Drink a Rum — Lord Kitchener

(Bois un rhum) Voici peut-être le plus emblématique des chants de Noël trinbagoniens de tous les temps. Dès que le grand-maître du calypso chante à tue-tête “Mooma, mooma…” nous avons tous envie de rejoindre son “fiston” dans la mère-patrie, et au diable le rude hiver ! Kitchener, largement considéré comme le plus grand chanteur de calypso de l'après-guerre, rend parfaitement l'aliénation qu'ont dû ressentir ceux de la génération Windrush —surtout au moment de Noël — et leur permet adroitement de la surmonter en s'accrochant aux traditions culturelles aimées: “Drink a rum and a punch a crema, drink a rum … no time for shivering! [Buvez un rhum et un punch crémeux… pas le temps de grelotter!] ” Même sur fond d'un Noël londonien froid et gris, cette chanson vous réchauffera le coeur.

2. Oh How I Wish I Were a Child Again — Kelwyn Hutcheon

(Oh que je voudrais redevenir un enfant) Version trinidadienne de Frank Sinatra, la chanson de charme de Hutcheon évoque tout ce qu'a d'unique la célébration de Noël dans notre partie du monde : entre poinsettias rouges et bidons de kérosène, la chanson fleure bon la nostalgie de la Trinité d'autrefois, et restitue la magie de la fête vue par des yeux d'enfant. C'est un merveilleux produit sentimental de base qui vous fera chalouper en commençant vos préparatifs de Noël.

3. La Gaita — Lara Brothers

Ce groupe haut en couleurs est à la musique parang ce que The Beatles ont été au genre pop/rock. Le titre espagnol de la chanson signifie “cornemuses”, mais rien à voir avec le son des cornemuses écossaises. Ici, ce sont les instruments à cordes (cuatro et guitare) pleins d'entrain qui entraînent l'auditeur, tandis que les claves (appelés le “toc toc”) et la caisse basse autochtone propre au parang tiennent avec constance le rythme rustique de cet hybride amérindien-latino-américain-africain.Même si vous ne comprenez pas un mot d'espagnol, la virtuosité de l'instrumentation vous subjuguera.

4. Hurray, Hurrah — Singing Francine

Le riff de guitare distinctif qui introduit cette chanson rendrait joyeux même le Grinch. Francine touche à la raison d'être même des fêtes de fin d'année : “Hurray, hurray, hurrah, hurrah, hurrah they say, our Saviour is born today” (Hourra… disent-ils, notre Sauveur est né ce jour”). Indépendamment de la voix sucrée de Francine, le génie de cet air est que son message religieux est présenté dans un rythme qui vous invite à danser, ce qui le rend typiquement trinbagonien.

5. Hooray, Hoorah — Daisy Voisin

À ne pas confondre avec le cadeau de Singing Francine, voici la Reine du parang au mieux de sa forme. La voix sirupeuse et pourtant autoritaire de Voisin prend les commandes et pilote la chanson exactement là où elle doit aller. Son espagnol est impeccable, sa joie palpable. Lorsqu'elle intervient avec son caractéristique “Ohhhhhhhhhhh…”, une note perçante qui s'attarde au-dessus des battements imperturbables des percussions et des ululements musicaux en arrière-plan, vous vous demandez si Noël a jamais pu exister sans l'exubérance de la musique parang.

6. Around My Christmas Tree — Lennox Grey

(Autour de mon arbre de Noël) Accords mineurs entêtants et cloches carillonnantes, voix opulente de Grey, ou imagerie d'un Noël des Caraïbes, ceci est sans conteste un favori. C'est une mélodie dans laquelle le message de Noël scintille à travers les rites quotidiens de la période de Noël : enfants rieurs tirant “M. Père Noël” par son manteau, odeurs émanant de la cuisine, cadeaux et présence : c'est tout cela qui fait de ce chant l'un des plus demandés de la période des fêtes.

7. Ah Want a Piece ah Pork — Scrunter

(J'veux un bout de porc) L'attente de Noël chez de nombreux Trinis est ce qui nourrit ce refrain entraînant de Scrunter, un calypsonien qui excelle dans l'hybridation soca/parang. Qu'est-ce qu'il se souhaite pour Noël ? “A piece ah pork” (un bout de porc), purement et simplement. Ni manicou, ni callalou, ce qu'il faut à un homme c'est son jambon. L'intéressant est que cette chanson, malgré son sujet précis, parle en réalité de la camaraderie, du partage et de la bienveillance propres au temps de Noël.

8. Christmas on Sesame Street — Relator

(Noël sur Sesame Street) Ce petit numéro dansant et décalé accroche immédiatement les petits – et les grands eux non plus ne peuvent pas retenir quelques gloussements. Raconté du point de vue d’Oscar the Grouch, il combat l'esprit de Noël becs et ongles : “Il n'y a pas de bon vieux Père Noël, parole d'Oscar, il n'y a pas de Noël sur Sesame Street.” Après tout, il n'y a pas que des fans de Noël, et ceci est une des rares chansons qui légitiment d'être grognon (même si à la fin Oscar change d'avis).

Les autres contributions notables de Noël de Relator sont “Christmas is Yours, Christmas is Mine” (Noël est à toi, Noël est à moi), et “Bottle and Spoon” (Bouteille et cuiller), une ode aux modestes “instruments” qui donnent au parang (et aux autres formes de musique caribéenne) son accessibilité et par extension, son cœur.

9. It’s Christmas — Baron

(C'est Noël) “Le gentil de la soca”, comme est appelé Baron, fusionne à la perfection soca et parang dans cette chansonnette très aimée. L'invitation du voisin, la constitution du “lime” (repas simple partagé entre amis, complet avec les quantités requises d'alcool), et le refrain exubérant “Oy yo yo, ay yay yay” : impossible de ne pas être entraîné dans l'esprit de Noël. Après tout, “c'est Noël … Joyeux Noël !”

Baron rend aussi hommage au parang dans un autre favori de la période, “Come Go”, dans laquelle il essaie de partager son amour de la musique avec sa tendre moitié jusqu'à ce que tous deux soient emportés.

10. Christmas on the Hill — Johnny Gonsalves and Friends, featuring Nigel Ferreira

(Noël sur la colline) Cette chanson déconstruit l'image du “Noël blanc” qui imprègne le narratif de la culture populaire sur la saison des fêtes. “Il n'y a pas de neige qui tombe, pas de marrons qui rôtissent, pas de feu qui rougeoie dans la cheminée”, commence la chanson, avant d'expliquer que Noël est partout où on “se sent chez soi”. Le message est que l'amour et le sentiment d'appartenance sont au cœur de cette fête. Ode aux souvenirs de Noël de l'enfance du parolier, la chanson déborde d'amour, de joie et de gratitude … et c'est bien de cela qu'il s'agit à Noël, non ?

Note de la rédaction : Une version de cet article a été initialement publiée ici et ensuite adaptée pour Global Voices.

Adrian Gomes, un militant culturel du clan des Wapishana du Guyana, tente de ranimer une langue presque éteinte

lundi 24 décembre 2018 à 10:02

La première promotion sortante (2011) de professeurs de wapishana. Une fois diplômés, ils retournent dans leurs villages pour appendre aux autres membres de la communauté à lire en wapishana. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Adrian Gomes.

En plein milieu de la forêt tropicale luxuriante, niché entre la rivière Rupununi et la frontière brésilienne, habite le clan autochtone des Wapishana. Le militant linguistique et culturel Adrian Gomes, originaire d'un village isolé, parle pourtant davantage l'anglais que le wapishana, une langue arawakienne autochtone parlée au Guyana et au Brésil.

A présent, il tente de ranimer cette langue moribonde.

Selon l’UNESCO, plus de 40 pour cent des langues du monde sont menacées. En 1997, préoccupé par le nombre décroissant d'adultes alphabétisés en wapishana, Gomes a formé le Wapichan Wadauniinao Ati’o (WWA, signifiant « Wapishana pour nos descendants »), pour aider à ranimer la langue wapishana.

En 2011, le WWA a entrepris pour quatre ans un programme d'alphabétisation des adultes en wapishana pour préserver la langue de la communauté, la culture et les ressources du pays, conformément aux recommandations de la Déclaration des droits des peuples autochtones. Gomes explique qu'en préservant les langues menacées, la population accède à son histoire dans sa propre langue. Ce qui lui permet de rester ainsi fortement enracinée.

La langue est un outil de communication — mais aussi un instrument de connaissance et de pouvoir.

Gomes affirme :

Dans notre région du monde des pays anciennement colonisés, « la vraie décolonisation » est toujours insuffisante, car il y a encore des structures et des mentalités coloniales maintenues dans le contexte des nations indépendantes.

Global Voices a interrogé Gomes par courriel sur sa vision de l'avenir de la langue wapishana.

Le militant linguistique et culturel, Adrian Gomes, à Leyde, aux Pays-Bas, où il enseigne à l'université. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Adrian Gomes.

Global Voices (GV) : Qu'est-ce qui a motivé votre volonté de préserver cette langue et comment vous voyez-vous faire la différence ?

Adrian Gomes (AD) : Malgré le fait d'être capable de parler la langue wapishana, j'ai réalisé que je ne connaissais pas très bien mes propres héritage et origine culturels. Pourtant le savoir n'était pas caché. Mais très exposé à la culture dominante, je n'étais pas activement impliqué dans les activités de ma culture. J'ai raté beaucoup de voyages dans la forêt profonde et la vaste savane … ainsi que les enseignements pratiques de nos aînés à travers les évènements sur le terrain … Quand il a s'agit de connaître mes racines, je me suis senti incomplet. Je n'ai pas ressenti le sentiment d'appartenance, d'être Wapishana. J'ai alors voulu y remédier.

Au Guyana, il y a 9000 Whapishana pour 5000 locuteurs ou moins. Car la population a privilégié la langue nationale, l'anglais, aussi bien que le créole ou même le portugais. Notre langue autochtone n'était donc plus transmise à la génération suivante. Il y a ainsi un nombre croissant de jeunes adultes qui parlent uniquement l'anglais.

Le programme d'alphabétisation du WWA a redonné un souffle à la langue wapishana dans les 17 villages du sud de Rupununi en augmentant le niveau de base d'alphabétisation. Ceci … a conféré à la population un sentiment de fierté et de confiance en soi renforcé. Il y a désormais approximativement 1000 personnes alphabétisées en whapishana.

GV : Quelles autres activités le WWA a-t-il entrepris ? 

AG : Au centre WWA, nous archivons les données linguistiques, renforçons les compétences des tuteurs WWA locaux pour former les autres, favorisons la langue à travers des compétitions de lecture et d'orthographe. Enfin nous collaborons avec des partenaires animés du même esprit. La population a même été motivée pour fabriquer ses propres matériels de lecture. Le WWA est reconnu comme l'autorité locale de traduction de certains documents. Et nous avons reçu l'accord du Ministre de l’Éducation pour un projet pilote whapishana/anglais dans trois villages …

GV : Quels ont été quelques-uns des défis ?

AG : À travers les cours d'alphabétisation, nous avons réussi à préserver la langue dans une large mesure ; pourtant, la participation a diminué vers la fin de la quatrième année du programme. La lutte portait aussi sur le besoin d'un programme plus perfectionné. Un nombre considérable de jeunes n'étaient pas été assez motivés à participer … l'anglais tend à être promu, célébré et exalté au détriment des langues natives, considérées comme démodées.

Le WWA doit créer des programmes pour des générations entières … ; « créer un espace » propre à la langue wapishana dans la technologie moderne …

Des étudiants apprenant à lire et à écrire dans la langue wapishana. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Adrian Gomes.

GV : Les outils technologiques profitent-ils à la préservation de la langue ?

AG : Les médias et la technologie numériques ont aidé à l'archivage des matériels … à la disposition des jeunes Whapishana qui désirent renouer avec leur héritage culturel. La station de radio communautaire encourage les programmes et les chansons en whapishana. Elle promeut aussi les narrations et cours d'alphabétisation. Cette radio envoie ainsi le message que notre langue autochtone est soutenue et précieuse.

En principe, il n'y a pas de raison pour ne pas avoir accès aux outils numériques tels que WhatsApp ou Facebook. Afin d'augmenter notre portée, comme la communauté Wayana au Suriname, nous pouvons utiliser la langue wapishana pour envoyer mutuellement des messages via ces plateformes de mise en réseau.

Adrian Gomes à l'université de Leyde aux Pays-Bas, où il est chercheur. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Gomes.

GV : Comment faites-vous pour attirer les élèves ?

AG : En intégrant la lecture et l'écriture en wapishana dans des compétitions amicales dans les quartiers et les régions où est célébré une fois par an l'héritage autochtone, nous défendons l'idée que l'apprentissage de la langue peut être amusant. Et en traduisant des histoires du clan wapishana en anglais, nous ouvrons une voie possible à la production de livrets bilingues … Nous essayons de concevoir un cours d'initiation spécial à l'université du Guyana pour les étudiants ne parlant pas le whapishana. Mon travail à l'université de Leyde est de permettre de construire un réseau avec d'autres universitaires autochtones travaillant sur de nouvelles méthodes …

Le Ministre de la culture a sollicité les traductions anglaises d'un grand nombre d'histoires en wapishana … L'unité de recherche amérindienne de l'université du Guyana nous a aussi contacté concernant un cours d'initiation en langue wapishana. À l'université de Leyde, je suis régulièrement sollicité pour donner aux visiteurs des lectures et des séminaires. J'y forme aussi les étudiants à adopter les nouvelles méthodes en travaillant avec les populations autochtones.

GV : Des efforts ont-ils été nécessaires pour intégrer des non-locuteurs de langue wapishana à ceux qui parlent cette langue ?

AG : … [D]eux dirigeants des Macushi, un autre clan d'autochtones, nous ont demandé de partager nos expériences pour les aider à débuter leurs programmes d'alphabétisation dans la langue locale. Ainsi, alors que les langues sont nettement différentes, les groupes peuvent bénéficier du travail sur les stratégies communes pour enseigner nos langues à nos populations et également à des groupes non autochtones.

Une éducation multilingue bien planifiée accorde une valeur à la communauté nationale. Le sentiment d'éloignement de ceux qui sont différents ne revient pas au même qu'être conscient des différences. Le recours à l'éducation bilingue est alors un moyen possible d'accroître la fierté de la diversité et renforcer l'unité nationale. En outre, si nous affaiblissons la culture autochtone, nous réduisons une partie intégrante de la culture guyanaise.

GV : L'isolement du Rupununi limite-t-il vos actions ?

AG : Une des principales contraintes est le manque d'accès à internet et aux télécommunications dans la plupart des villages, y compris Maruranau, où le centre WWA est implanté. Nous attendons encore l'internet mobile. Un système postal peu fiable à Rupununi gêne la communication et empêche l'accès aux informations en temps voulu.

Adrian Gomes et sa femme. Il explique qu'elle l'a soutenu dans sa mission pour réanimer la langue wapishana. Photo fournie avec l'aimable autorisation de Adrian Gomes.

GV : Que pensez-vous de la théorie du linguiste Noam Chomsky selon laquelle les enfants ont uniquement besoin d'apprendre certaines caractéristiques étroites de leur langues maternelles ?

AG : Un point de vue similaire qui accorde moins d'importance à la langue autochtones était exposé par Lightbown et Spada, qui ont remarqué que la plupart des enseignants travaillant avec les communautés autochtones Inuit ont cru que la langue maternelle était principalement importante à l'extérieur de l'école. Ceci suggère qu'elle n'est pas importante à l'école et que seul l'usage externe suffira à la préservation de la langue …Il peut exister de l'incompréhension entre les parents wapishana et les professeurs ; en fait, certains sont opposés au programme pilote bilingue.

A ce sujet d'ailleurs, je partage les bienfaits scolaires, sociaux et intellectuels procurés aux enfants suite à une alphabétisation tant dans leur langue maternelle que dans leur langue dominante. Les dernières actions éducatives bilingues dans les communautés wapishana ont montré une amélioration significative concernant les résultats des enfants. Avec un programme plus soutenu, nous pouvons même espérer de meilleurs niveaux de réussite.

GV : D'autres idées pour de nouveaux projets ?

AG : … Le Guyana accueillera un atelier d'interprétation et de traduction au début de l'année prochaine. Les autres organisations autochtones au Guyana et au Suriname ont déjà exprimé leur souhait d'y participer. Nous sommes fiers de l'élargissement de notre réseau ; de rapprocher des communautés avec les mêmes défis pour chercher ensemble des solutions.