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J'ai de la chance d'avoir un passeport syrien

dimanche 16 octobre 2016 à 12:39
IMAGE: Public domain by Pixabay.

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Cet article fait partie d'une série spéciale écrite par la militante et blogueuse Marcell Shehwaro, dans laquelle elle décrit la vie en Syrie pendant le conflit armé entre les forces loyales au régime en place et celles qui cherchent à le renverser.

Monsieur l'officier,

J'ai de la chance d'avoir un passeport syrien. Vous voyez, sans lui, je n'aurais pas été sélectionnée aléatoirement, complètement par hasard, pour des interrogatoires dans tous les aéroports par lesquels je suis passée.

Sans mon passeport syrien, je serais passée à travers les mailles du filet comme tous les autres, ou pour être exacte, comme la plupart d'entre eux. Je serais passée sans remarquer les quelques malheureux sélectionnés pour interrogation. J'aurais eu le privilège d'atteindre ma destination à une heure connue d'avance.

Imaginez un peu ça ! Ça aurait été comme si mon temps était important. Si c'était le cas, j'aurais vraiment manqué de remarquer ceux qui viennent de pays qui n'ont pas autant de valeur devant la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Sans mon passeport syrien, je n'aurais jamais entendu cette phrase si polie : “Mademoiselle, pourriez-vous attendre sur le côté, près du mur, s'il vous plaît ?”, et je ne me serais pas rappelée les punitions reçues à l'école, quand j'étais petite.

De quoi est-ce que ce monde nous punit ? Ne pensez-vous pas que toutes les frontières du monde devraient être ouvertes spécialement pour nous autres Syriens, avec un mot d'excuse ?

Sans mon passeport syrien, je n'aurais pas remarqué comment nous, les suspects, sommes amenés à défendre notre innocence et à dénoncer le terrorisme ; nous, qui avons bien plus subi le terrorisme que n'importe laquelle de ces personnes qui nous interroge à ce sujet.

“Je n'aurais pas remarqué comment nous, les suspects, sommes amenés à défendre notre innocence et à dénoncer le terrorisme ; nous, qui avons bien plus subi le terrorisme que n'importe laquelle de ces personnes qui nous interroge à ce sujet.”

Le vrai terrorisme vient à vous dans des avions privés, après nous avoir tué en silence, occupe la une de vos journaux et amène vos médias à discuter l'élégance de son épouse, “la Rose du désert”.

Votre politesse, Monsieur l'officier, me fait plus de mal que votre discrimination. “Pourriez-vous s'il vous plaît…”, “Nous sommes désolés de vous retenir…”, “Nous sommes désolés de devoir vous imposer ceci…”. Ces phrases sonnent comme des clichés qu'un homme dit à une femme qu'il n'aime pas. “Ce n'est pas toi, c'est moi…”. Une politesse sirupeuse enrobant une amère vérité. Juste pour se sentir bien avec soi-même. Vous nous envoyez à des interrogatoires sans autre chef d'accusation que notre identité, mais vous le faites avec tant de politesse.

C'était une pure coïncidence, le fait que la moitié des personnes qui attendaient leur interrogatoire dans le couloir ont levé la main quand l'officier a appelé un “Mohammed”. Ce n'était qu'une coïncidence, comme tant d'autres.

Je vous prie de m'excuser : identifier des schémas est une obsession chez moi. Sans mon passeport syrien, je n'aurais probablement pas remarqué ce schéma récurrent — un schéma récurrent complètement fortuit bien entendu.

Je suis assise ici et j'attends avec les autres. Je sors un livre en arabe de Ibrahim Nasrallah, un écrivain palestinien qui parle de résistance et d'amour. Je me souviens de mes jours de militantisme, quand je me battais pour la liberté et la démocratie, quand j'allais à des manifestations et courais prendre refuge, quand j'écrivais. Je regarde le livre dans ma main. Aujourd'hui mon acte de résistance principal est de tenir un livre en arabe dans un aéroport.

Je vous prie de m'excuser, Monsieur l'officier, si j'ai mentionné à quel point vos interrogatoires des syriens sont problématiques.Vous voyez, certains d'entre nous ont vécu des choses inimaginables pendant des interrogatoires, et nous ne sommes pas intimidés par une procédure aussi polie. D'autres ont tellement peur de quiconque en uniforme qu'ils avoueront des choses dont ils ne savent rien. Alors quelle est cette “vérité” que vous essayez de tirer de nous ?

Je vous prie de m'excuser également, je n'avais pas l'intention de répondre “Non” avec autant de fierté quand vous m'avez demandé de déverrouiller mon téléphone. Vous voyez, cette requête résonne profondément dans notre conscience collective de Syriens. Cette requête me ramène aux postes de contrôle dans mon pays, ou y répondre non pouvait signer votre arrêt de mort. J'ai dit “Non” avec orgueil parce que je voulais respirer un peu de votre démocratie.

Comprenez-vous ce que ça signifie, la mort d'un demi-million de mes concitoyens a la recherche de la démocratie ? De ce que ça veut dire, de pouvoir dire non sans se faire tuer ?

“J'essaierai de paraître joyeuse et heureuse dans un aéroport, mais je vais vous donner un petit truc : si vous voyez un Syrien joyeux et heureux dans un aéroport, c'est vraiment là que vous devriez être suspicieux.”

Vous me demandez pour quelles raisons de suis dans votre pays ? Je ne sais pas. Je suis venue pour parler de la mort. On me dit que j'ai tellement de talent à parler de la mort que certains d'entre vous m'applaudissent même que j'ai terminé. J'ai vu tellement de restes humains è Alep, et apparemment je suis douée pour vendre ce sujet en anglais.

Voila ce que je suis venue faire. Chercher des alliés que je puisse convaincre que nous méritons moins de mort et que peut-être, juste peut-être, bombarder une école est une honte pour toute l'humanité.

Je vous parais en colère ? Je suis désolée ! Je n'ai pas encore maîtrisé vos manières. Avoir l'air en colère rend les gens suspicieux, je sais, et vous savez à quel point nous sommes sensibles. Vous voyez, nous n'avons pas encore appris à ne pas autant nous mettre en colère quand tous les avions du monde aident notre gouvernement à nous bombarder jour et nuit. J'essaierai de paraître joyeuse et heureuse dans un aéroport, mais je vais vous donner un petit truc : si vous voyez un Syrien joyeux et heureux dans un aéroport, c'est vraiment là que vous devriez être suspicieux.

Je vous semble nerveuse ? Peut-être que c'est parce que je ne comprends pas comment quelqu'un pourrait répondre “Oui” à la question “Êtes-vous membre d'une organisation secrète interdite ?”

Non ! Non ! Tous les groupes secrets pacifiques auxquels j'ai jamais appartenu ont été détruits par notre régime, leurs membres déplacés et leur jeunesse tués sous la torture. Ai-je déjà utilisé des armes à feu ? J'ai suggéré une fois à un type que j'aimais bien d'aller tirer pour soulager un peu notre colère. Il m'a conseillé de ne pas le faire parce que ça ne ferait pas bien sur nos papiers de Syriens. Mais je l'avais seulement proposé parce que je tombais amoureuse de lui, et vous savez bien que l'amour nous fait faire des bêtises. Mais je n'ai pas l'intention de m'approcher d'une arme à feu de toute ma vie. Non monsieur l'officier, je n'utilise pas d'armes à feu, je déteste les armes, même les pistolets à eau ne trouveront pas leur place chez moi.

Malgré tout cela, j'ai de la chance d'avoir un passeport syrien, alors que des milliers en sont privés en vertu d'une décision politique. Des millions d'autres, qui ne sont pas aussi doués pour vendre la mort que nous, ou dont les histoires sont moins passionnantes pour le public, n'obtiennent pas de visa de voyage, donc ils viennent à vous par la mer. Certains meurent en route, alors franchement, que sont quatre heures dans la salle d'attente comparé à ça?

J'ai de la chance d'avoir mon passeport syrien. Imaginez, après tout ce que j'ai enduré, je fais encore des cauchemars dans lesquels je perds mon passeport, et je me réveille terrifiée.

J'ai cette obsession de vérifier mon passeport toutes les cinq minutes quand je voyage. Si je le perds, je ne sais pas si aucune de ces organisations internationales si inquiètes m'aiderait a obtenir d'autres documents de voyage, si jamais l'adolescent Bachar Al-Assad refusait de nous considérer comme des citoyens et nous punissait d'avoir échappé à sa laisse en nous refusant des passeports.

Je ne veux pas non plus ajouter à la crise des réfugiés dans vos pays, Dieu m'en garde.

J'ai de la chance d'avoir mon passeport. Pourriez-vous me le rendre s'il vous plaît ?

Merci.

Contre la nouvelle mouture de la loi anti-avortement en Pologne, un 2e round de grève des femmes se prépare

samedi 15 octobre 2016 à 18:43
The cover image of the Facebook event "Polandwide Womens’ Strike - Round Two," used with permission.

Page de couverture de l'événement Facebook “Grève générale des femmes de Pologne – Deuxième round”, reproduite avec autorisation.

De nouvelles propositions pour une législation plus restrictive de l'avortement continuent à alimenter la détermination des participantes aux “Marches Noires” en Pologne, qui préparent une nouvelle grève des femmes le 24 octobre.

La première grève, le 3 octobre, a été un tel succès que la proposition contestée, qui aurait interdit l'avortement dans pratiquement toutes les circonstances et allait jusqu'à jeter la suspicion sur les femmes faisant une fausse couche, a été retirée. La photo de la Vieille Ville de Varsovie remplie de parapluies est devenue le symbole des manifestations massives.

Soutenues par de nombreux employeurs, les femmes de Pologne ne sont pas allées travailler aujourd'hui et se sont habillées en noir pour protester contre la proposition de loi anti-avortement.

Mais la tempête ne s'est apparemment pas encore éloignée. A peine les médias internationaux avaient-ils félicité les femmes polonaises pour leur exploit que le mouvement féministe nouvellement créé était confronté à un autre développement visant à durcir de façon drastique la loi anti-avortement existante.

“Mon corps, mon choix” : voilà ce pourquoi les femmes et hommes de Pologne ont combattu cette semaine

Peu après les manifestations, le gouvernement polonais commença à prétendre que la proposition de loi originelle, élaborée sur la base d'une initiative civique développée avec le soutien initial du parti au pouvoir et de l'Eglise Catholique, n'était pas bien pensée quant à ses conséquences et avait donc dû être écartée. Le chef du parti PiS au gouvernement, Jarosław Kaczynski, embraya aussitôt avec une déclaration affirmant que le parti se positionne pour “la protection de la vie” et présentera prochainement son propre texte qui réduira significativement le nombre des avortements autorisés en Pologne.

Dans une récente interview, M. Kaczynski a indiqué que son parti travaillera sur une solution dans laquelle “les grossesses difficiles” se termineront elles aussi par une naissance, pour que l'enfant puisse avoir un nom et être baptisé, même s'il est atteint de graves malformations et meurt peu après.

Je compte sur une autre Marche Noire contre la décIaration barbare de Kaczyński qui veut créer un enfer. Une manifestation qui soit une défaite pour lui.

Pendant ce temps une autre proposition de loi, du mouvement anti-avortement “Głos dla Życia” (“Voix pour la Vie”) a réuni quelque 160.000 signatures, et sera débattue au Parlement.

Ce texte ne prévoit pas d'emprisonnement pour les femmes, mais instaurerait des peines plus lourdes pour la réalisation d'avortements, avec une exception : lorsque la vie de la femme est en “danger immédiat”. La proposition de loi va même plus loin, en rendant hors-la-loi la contraception d'urgence et tout contraceptif hormonal empêchant l'implantation d'un ovule fertilisé. Tout comme le texte retoqué, celui-ci définit le début de la vie comme le moment où les cellules mâle et femelle fusionnent. La législation proposée ne s'arrête pas là : elle stipule une modification des programmes scolaires ainsi que des campagnes d'institutions publiques pour promouvoir “la culture de la vie” et condamner les avortements. Pour finir, le texte prévoit des programmes d'aide pour les femmes et les familles en cas de “grossesse difficile”.

La publication en ligne indépendante OKO, qui a divulgué l'information (l'article a été partagé plus de 18.000 fois sur Facebook au moment de l'écriture du présent billet) émet la supposition que le texte semble parfaitement aligné sur la position du parti régnant et pourrait en recevoir le soutien.

Pendant ce temps, les groupes Facebook “Dziewuchy Dziewuchom” (Les Nanas pour les Nanas) et “Ogólnopolski strajk kobiet” (Grève générale des femmes de Pologne) sont devenus les points de ralliement pour le nouvement de solidarité, et se remplissent de débats, informations, projets et soutien moral. Le mouvement a élargi son objet au combat contre le mépris et les violences envers les femmes, l'influence de l'Eglise Catholique en politique, et la politisation du système éducatif.

Lorsque les projets du parti dirigeant sont apparus à la lumière et que la pétition de la “Voix de la Vie” a atterri au Parlement, ces groupes Facebook ont été inondés de commentaires de femmes outrées par la proposition de loi, et prêtes à défiler à nouveau dans les rues en scandant “Mon corps, mon choix”.

La “grève générale des femmes de Pologne – Deuxième Round” est fixée au 24 octobre. Plusieurs milliers de personnes ont confirmé sur l'événement Facebook vouloir y participer.

Elaine Diaz, journaliste cubaine et collègue, arrêtée pour son enquête sur l'ouragan Matthew “Sans permis”

jeudi 13 octobre 2016 à 16:06
Global Voices community members Marianna Breytman, Elaine Diaz, Ivan Sigal, Ellery Roberts Biddle and Firuzeh Shokooh Valle in 2015.

Marianna Breytman, Elaine Diaz, Ivan Sigal, Ellery Roberts Biddle et Firuzeh Shokooh Valle, membres de la communauté Global Voices en 2015.

Le site d'information cubain CubaNet indique le 12 octobre que la journaliste Elaine Díaz, contributrice pour Global Voices et fondatrice du site d'information cubain Periodismo de Barrio, est détenue par les autorités cubaines avec ses collègues Mónica Baró, Julio Batista Rodríguez, Tomás E. Pérez et Geysi Guía. Les cinq journalistes ont été arrêtés dans la ville de Baracoa, dans la province la plus à l'est de Cuba. [Mise à jour du 13 octobre 13 09:31- Note de la rédaction : Elaine Diaz a confirmé le 12 octobre en fin de soirée qu'elle et ses collègues ont été relâchés par la police et sont en route pour La Havane.] 

Elaine et ses collègues se trouvaient à Baracoa pour couvrir les conséquences de l'ouragan Matthew, avec quatre autres journalistes qui ont également été arrêtés. Le voyage jusqu'à Baracoa aurait été financé par une campagne de financement participatif.

Periodismo de Barrio est un nouveau projet de média qu'Elaine a lancé en 2015 pour améliorer la couverture régionale des problèmes relatifs aux catastrophes naturelles, à l'environnement et aux infrastructures locales.

Elaine et ses quatre collègues, tous résidant à la Havane, collaborent au projet depuis presque un an. La plupart des membres du groupe ont travaillé à la fois pour les organes de presse gouvernementaux et pour des sites Internet indépendants basés à Cuba. En septembre dernier, Mónica Baró a été nominée pour le prestigieux Prix Gabriel Garcia Marquez.

La tante d'Elaine, Ceire Rodríguez, témoigne dans un article de Diario de las Americas et déclare qu'Elaine avait essayé d'obtenir les autorisations pour que son équipe visite Baracoa pour couvrir les conséquences de l'ouragan, mais les autorités n'avaient accordé l'accès à la zone qu'aux médias “accrédités”.

Un contact proche rapporte qu'Elaine aurait déclaré qu'elle et ses codétenus ont été informés qu'ils seraient transférés dans la ville Guantanamo, qui est proche mais séparée de la baie de Guantanamo.

Le journaliste Maykel González Vivero de Diario de Cuba a également été détenu à Baracoa par la sécurité nationale cubaine alors qu'il couvrait les événements de l'ouragan Matthew. Il a été libéré aujourd'hui, le 12 octobre, après avoir passé trois jours en détention. González a déclaré à Diario de Cuba qu'à l'origine il était détenu “dans l'intérêt de la sûreté de l'Etat”, mais que les charges furent modifiées ultérieurement pour “activité économique illicite.”

Elaine Diaz a travaillé comme professeure de journalisme à l'école de communication de l'Université de la Havane pendant plusieurs années, tout en bloguant indépendamment pour son site, La Polemica Digital (La Polémique Numérique) et en écrivant pour l'Instituto de Prensa y Sociedad. Elle est une voix influente dans la blogosphère cubaine depuis le milieu des années 2000, construisant sa réputation grâce à sa connaissance des problèmes d'intérêt pour le public, comme l'éducation, les infrastructures et les réseaux d'approvisionnement (eau, gaz, électricité…) à Cuba. 

Elaine Diaz a reçu la bourse Nieman de l'Université de Harvard pour 2015-2016 (elle fut la première journaliste cubaine à la recevoir). A cette période, elle étudie avec des journalistes d'Egypte, du Chili, de Chine, de Russie, d'Espagne et des Etats-Unis ainsi qu'auprès de la célèbre auteure Anne Bernays et d'Ethan Zuckerman, professeur au MIT et co-fondateur de Global Voices.

Nous connaissons et travaillons avec Elaine depuis 2010, notre communauté est bouleversée par cette nouvelle et nous exhortons les autorités cubaines à libérer immédiatement Elaine et ses collègues.

Nostalgique des épices de l'Ethiopie, un entrepreneur décide de les cultiver en Californie

jeudi 13 octobre 2016 à 15:44
Menkir Tamrath holds up two jars of Ethiopian spice blends, Berbere and Mitmita, from plants he grows on his farm in Sunol, California. Credit: Meradith Hoddinott

Menkir Tamrath presente deux bocaux de mélanges d'épices éthiopiens, Berbere et Mitmita, à base de plantes qu'il cultive sur son exploitation à Sunol en Californie. Crédit: Meradith Hoddinott

Cet article de Meradith Hoddinott a été publié le 30 septembre 2016 sur PRI.org. Nous le republions ici dans le cadre d'un accord d'échange de contenu. 

En bordure de son exploitation agricole, Menkir Tamrat  se dirige vers un plant de piments et écarte les feuilles vert foncé pour révéler plusieurs douzaines de piments rouges lustrés.

« En voilà toute une ribambelle qui est mûre, des rouges, prêts à être cueillis» nous dit-il en se frottant les mains.

Pendant les prochaines semaines, Tamrat récoltera les longues rangées de piments. Puis il les fera sécher, les pulvérisera et s'en servira pour réaliser les mélanges d'épices essentiels à la cuisine éthiopienne. Tamrat utilise plus d'une douzaine d'ingrédients différents dans ces mélanges en essayant d'équilibrer au mieux la saveur épicée et la couleur, tout en renforçant le goût.

Listen to this story on PRI.org »

Tamrat n'a pas toujours été agriculteur. Il a grandi à la campagne en Ethiopie dans les années soixante. Puis au début des années quatre-vingts, il a débarqué dans la baie de San Francisco, en Californie, a décroché un MBA et  a démarré une carrière dans la gestion des technologies de pointe. La cuisine de sa terre natale n'a jamais quitté son cœur, mais ses tentatives pour la recréer en utilisant les ingrédients disponibles en Californie n'ont jamais tout à fait réussi.

Red Mimita peppers grown on Menkir Tamrath's farm. He'll dry and crush them for an Ethiopian spice mix. Credit: Meradith Hoddinott

Les piments rouges Mimita cultives sur l'exploitation agricole de Menkir Tamrath. Il les fera sécher et les réduira en poudre pour realiser un melange d'epices ethiopien. Credit: Meradith Hoddinott

Tamrat explique : «Parce que je ne pouvais pas fabriquer la poudre de piment à partir des piments du commerce, c'était au petit bonheur la chance, comment savoir lequel se rapprocherait le plus ?»

Tamrat est donc retourné en Ethiopie et a ramené avec lui les graines nécessaires pour commencer à planter un jardin. Il l'a rempli de fines herbes, de légumes et de piments et a découvert que ces saveurs fraîches faisaient toute la différence.

Tamrat nous montre une tige d'herbe séchée  «Cette feuille s'appelle koseret. Elle est introuvable. Aucune autre cuisine ne l'utilise. Et elle a son propre goût particulier».

Pendant plusieurs dizaines d'années, le jardin deTamrat était juste une passion. Mais quand son entreprise de technologie a réduit ses effectifs en 2009, Tamrat a saisi cette opportunité pour cultiver ces saveurs éthiopiennes à plus grande échelle. Il s'est associé à une exploitation agricole locale. D'ici l'été il avait planté 5000 plants de piments dans le sol californien.

Une fois que Tamrat eut établi un approvisionement régulier en piments, il parcourut livres, articles et recettes à la recherche du mélange d'épices parfait. Mais quand il commença à mélanger différentes saveurs ensemble, il réalisa qu'un ingrédient secret très important manquait : le tour de main de maman!

«La cuisine éthiopienne, c'est du genre, «la maman d'untel est réputée pour la préparation de ceci-cela,» nous dit Tamrat avec un sourire. “Et elle y rajoute un petit peu de quelque-chose qui fait que deux familles préparant le même ragoût n'obtiendront jamais le même résultat.»

Menkir Tamrath began growing Ethiopian peppers on a large scale after his Bay Area tech company downsized. Credit: Meradith Hoddinott

Menkir Tamrath commenca la culture des piments éthiopiens à grande échelle apres la décision de son entreprise de technologie située sur la baie de San Francisco de réduire ses effectifs. Credit: Meradith Hoddinott

Il a donc cherché de l'aide auprès d'une amie de sa mère résidant à Oakland. Il a aussi suivi sa belle-mère dans la cuisine, carnet en main, lors d'une de ses visites en Ethiopie.

Et finalement il est arrivé à créer un mélange d'épices digne de ceux de son pays natal.

Tamrat ajoute : «J'ai même apporté des échantillons à un restaurant en Ethiopie, juste pour frimer et dire «hé, goûtez-moi ça!» Et la dame n'arrivait pas à croire que j'avais amené ça d'Amérique et que ça avait été fait par un homme !»

Menkir Tamrath picks peppers at his farm for his spice blends. He says when he was a kid in Ethiopia his father never set foot in the kitchen. Credit: Meradith Hoddinott

Menkir Tamrath ramasse des piments sur son exploitation pour réaliser ses mélanges d'épices. Il nous confie que quand il etait enfant, son pere ne mettait jamais les pieds dans la cuisine. Crédit: Meradith Hoddinott

La compagnie deTamrat, Timeless Harvest, vend ses épices aux restaurants de la Baie. Mais cette saison, il partage son temps entre la Californie et l'Ethiopie, où il s'est lancé dans un nouveau projet.

Il a démarré une exploitation dans son pays pour la culture de légumes occidentaux comme des bettes ou des choux kale toscans (très difficiles à trouver en Ethiopie). La capitale, Addis Ababa, est le siège de nombreuses organisations politiques internationales. Tamrat espère tirer profit du marché florissant des restaurants occidentaux haut-de-gamme qui s'y est développé durant ces dix dernières années.

Alors qu'il semblerait que Tamrat soit tenté de retourner au bercail,il est très attaché à l'idée d'appartenir à deux pays.

Il explique: «J'ai la chance de pouvoir dire que j'ai deux pays, et je n'ai pas à choisir entre eux. Ces deux endroits offrent des opportunités différentes. Je pense que plus de gens devraient appartenir à deux pays. Ou au moins à plus d'un !

Le Pakistan mettra-t-il à exécution sa menace d'expulser deux millions et demi de réfugiés afghans ?

jeudi 13 octobre 2016 à 13:20
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Des réfugiés afghans de retour attendent leur enregistrement dans un centre du Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU (UNHCR) dans un faubourg de Kaboul. Photo : page Facebook du Khaleej Times.

Pendant que l'attention de la planète est captée par les millions de migrants laissés dans les limbes aux frontières de l'Europe, une crise de dimension plus modeste mais tout aussi inquiétante couve en Asie du Sud.

Cet été, les plus de 2,5 millions de réfugiés afghans vivant au Pakistan se sont entendu dire qu'ils devraient quitter ce pays et rentrer en Afghanistan. Le Pakistan a invoqué des motifs sécuritaires et économiques et fixé l'échéance de l'exode à mars 2017.

La décision d'Islamabad a été critiquée par les défenseurs des droits humains, qui l'ont appelée “l'un des plus vastes renvois forcés de réfugiés de l'histoire moderne”. La détérioration de jour en jour de l'environnement sécuritaire en Afghanistan rend imprévisible l'état du pays que retrouveront les réfugiés à leur retour.

Les réfugiés afghans vivent au Pakistan depuis le début des années 1980s, début de l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. En 2002, le Pakistan a signé un accord avec le Haut Commissaire aux Réfugiés de l'ONU (UNCHR) et l'Afghanistan s'engageant à un “rapatriement basé sur le volontariat et la dignité” des réfugiés afghans.

Le Pakistan a à maintes reprises fixé et reporté les dates limites du départ des réfugiés afghans. Malgré cela, le gouvernement pakistanais a déclaré que cette fois, pour des raisons de sécurité nationale, il n'y aura plus de prolongation et que les Afghans devront partir.

La police mène la vie dure aux réfugiés

Les organisations de défense des droits humains avertissent que la police pakistanaise et les autorités provinciales, par des mesures coercitives et des mauvais traitements, mettent déjà la pression sur les réfugiés afghans au Pakistan pour leur faire quitter le pays. Les signalements de ces mesures ont accru les tensions entre le Pakistan et l'Afghanistan.

Selon Human Rights Watch, près de 90.000 réfugiés afghans sont déjà rentrés chez eux en 2016 à cause :

des difficultés économiques au Pakistan (liées à la perte d'accès aux marchés de l'emploi du fait d'une détérioration de la liberté de circulation), du harcèlement et de l'intimidation, des arrestations arbitraires, des extorsions et de la corruption.

La police pakistanaise harcèle et détient ces réfugiés, leurs propriétaires ont révoqué leurs contrats de location, leurs comptes bancaires ont été clôturés et leurs cartes sim annulées, et l'accès à l'école et aux soins médicaux leur est refusé. Ce déplacement de population de fait n'a aucune base juridique.

Le Dr. Abdullah Abdullah, Chef de l'Exécutif Afghan, a demandé au gouvernmement pakistanais de permettre aux réfugiés de rentrer volontairement au pays .

Nous demandons au Pakistan et à l'Iran d'accompagner ce processus de retour des réfugiés. Le rapatriement doit être volontaire et non pas forcé.

Human Rights Watch a appelé Islamabad à cesser “les mesures coercitives et autres mauvais traitements qui chassent des dizaines de milliers de réfugiés afghans du Pakistan”.

De son côté, le Pakistan se sent injustement singularisé par les critiques. Dans son discours devant le Sommet sur les Réfugiés de l'Assemblée Générale des Nations Unies le 19 septembre, le Premier Ministre Pakistanais Nawaz Sharif a rappelé à la communauté internationale son manque de soutien financier aux réfugiés :

Le soutien financier de la communauté internationale décline, mais pas l'hospitalité du Pakistan.

Relations délicates

Beaucoup en Afghanistan voyaient dans l'hébergement de longue durée des réfugiés par le Pakistan un moment inusité de bonne volonté de leur incommode voisin.

Dans une réflexion sur ces relations épineuses, lors de la signature en septembre d'un accord trilatéral avec l'Iran et l'Inde, le Président afghan Ashraf Ghani a fustigé les antécédents pakistanais d'hébergement de terroristes qui vont ensuite commettre des attentats en Afghanistan :

Il y a des pays qui n'exportent que du terrorisme. Nos exportations trilatérales sont la confiance en soi, la coopération, et l'exploitation à fond des opportunités que nous donne notre région d'apporter à notre pays bien-être et stabilité.

Au début de son mandat, le Pésident Ashraf Ghani avait fait des ouvertures au Pakistan pour améliorer leurs relations, mais elles n'ont guère abouti. Tout récemment, l'Afghanistan a décidé de bouder le sommet de l'Association sud-asiatique pour la coopération régionale (acronyme anglais SAARC) tenu au Pakistan.

Bilal A. Nikyar, un auteur undépendant d'Afghanistan a écrit en juin sur son blog que le Pakistan joue des réfugiés comme d'une “carte” dans ses relations avec son voisin plus pauvre :

Depuis l'accord sur le barrage de Chabahar, pas un instant où le Pakistan n'ait sali, dénigré et pris pour boucs émissaires les réfugiés afghans de tout ce qui va mal dans le pays. Et en même temps ils en faisaient l'exemple parfait de la bonne volonté du Pakistan envers l'Afghanistan. On dirait que c'est la seule carte qui leur reste à jouer pour faire levier sur l'Afghanistan.

[…]

Nous serons éternellement reconnaissants pour la générosité du Pakistan vis-à-vis des réfugiés afghans. C'est un fait. Mais c'est aussi un fait que le Pakistan a reçu des millions de dollars d'aide au cours des années […] à cause de ces réfugiés, et c'est aussi un fait que les institutions pakistanaises n'ont pas cessé d'user et d'abuser pendant des années de ces pauvres réfugiés.

D'autres estiment que le Pakistan brandit l'imminence d'une crise de réfugiés comme appât dans ses négociations avec les USA après la frappe du drone américain qui a tué l'ex-chef des talibans, le mollah Akhtar Mansour dans la province du Baloutchistan, face au refus du Congrès des Etats-Unis de voter le financement de l'acquisition souhaitée par Islamabad d'avions de combat.

Derrière la politique il y a la logistique. L'Afghanistan peut-il gérer un aussi grand nombre de retours ? Des millions d'Afghans sont déjà rentrés depuis la chute du régime taliban en 2001. L'insurrection des talibans n'a fait que se renforcer ces dernières années, aggravant l'insécurité et la stagnation économique qui plombent le pays.

Un conseiller au Ministère afghan des Réfugiés et du rapatriement à Kaboul l'a souligné :

L'Afghanistan n'est pas préparé aujourd'hui à s'ouvrir à une vaste arrivée d'immigrants afghans depuis les pays voisins, vu les problèmes de sécurité et le manque de ressources.

La récente conférence internationale des donateurs le 5 octobre à Bruxelles a réuni les dirigeants des différents pays et ONG pour examiner les réalisations et le projet du gouvernement afghan, et renouveler les engagements en faveur de ce pays. Le Pakistan, à son tour, s'y est engagé pour 500 millions de dollars d'aide.

Cela peut aplanir dans une certaine mesure les tensions croissantes entre les deux pays, mais n'aura que peu d'effet si Islamabad tient sa promesse d'expulser les 2,5 millions de refugiés (équivalant à 8 % de la population actuelle de l'Afghanistan) vivant toujours sur son territoire.