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La légitimité de l'OTAN remise en question

vendredi 10 février 2017 à 09:30

Les pays membres ou partenaires de l'OTAN via wikipédia. CC BY-SA 3.0

Alors que Donald Trump et Angela Merkel ont réaffirmé leur soutien à l'Otan, l'Alliance militaire fait l'objet d'une défiance croissante de part et d'autre de l'Atlantique.

Rien ne va plus pour l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). Lourdement critiquée par Donald Trump quelques jours seulement avant son investiture à la Maison blanche, l'Alliance transatlantique a subitement retrouvé les grâces du chef de l'État américain à l'occasion de ses premiers pas diplomatiques. A la suite de leur rencontre le 27 janvier, la Première ministre britannique Theresa May a en effet déclaré que le président des États-Unis soutenait « à 100 % l'Otan ».

Un revirement confirmé le lendemain lors de l'entretien téléphonique entre Donald Trump et Angela Merkel, qui ont rappelé en conférence de presse l’« importance fondamentale de l'Otan dans le cadre d'une relation transatlantique plus large et de son rôle pour assurer la paix et la stabilité de notre communauté de l'Atlantique nord ». Preuve de ce réchauffement bilatéral, le président des États-Unis a d'ailleurs indiqué dans un communiqué qu'il recevrait bientôt la chancelière allemande à Washington et qu'il se rendrait au Sommet du G20 en juillet à Hambourg.

Ce que Donald Trump reproche à l'Otan

Attendu au tournant après une campagne aux propos particulièrement corrosifs, Donald Trump semble avoir considérablement modéré ses précédentes déclarations à l'encontre de l'Otan et l'Union européenne. Dans une interview accordée aux magazines Times et Bild, son discours était en effet beaucoup plus critique. « [L'UE] est en réalité un instrument au service de l'Allemagne. C'est pourquoi je pense que le Royaume-Uni a bien fait d'en sortir », affirmait-il mi-janvier.

Concernant l'Otan, il qualifiait l'organisation d’ « obsolète » faute de ne pas avoir su s'adapter à la menace terroriste. Le président américain regrettait également que tous les membres ne s'acquittaient pas des 2 % de PIB fixés en 2014 pour financer les dépenses militaires. « Les membres ne payent pas ce qu'ils doivent régler et nous sommes tout de même censés les protéger. Je pense que c'est très injuste pour les États-Unis », a déclaré Donald Trump.

Des avis partagés en Europe

Les écarts de discours du président américain traduisent la défiance croissante exprimée de toutes parts à l'égard de l'organisation transatlantique. Tandis que 65 % des Italiens et des Polonais estiment que l'UE a besoin du soutien des États-Unis et de l'Otan pour se protéger des menaces extérieurs, seuls 54 % des Britanniques, 53 % des Français et 48 % des Américains partagent cet avis, d'après un sondage réalisé par l'Ifop auprès de plus de 7 000 personnes en octobre 2016.

Fondée au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l'Otan serait un produit de la « guerre froide » appelé à disparaître avec elle, selon Filip Kovacevic, professeur en relations internationales à l'Université de San Francisco.

Cela rendrait possible la réconciliation définitive entre l'Allemagne et la Russie, tout en débouchant sur une politique de stabilité et de prospérité économique à long terme en Europe, estime l'expert. Les partis populistes de plus en plus puissants en Europe plaident explicitement en faveur de la dissolution de l'Otan.

Selon lui, Donald Trump serait lui aussi favorable « au processus de désagrégation de l'Otan qui a déjà commencé ».

L'ouverture contestée vers l'Est

Face à l'ouverture progressive de l'Alliance aux pays de l'Europe de l'Est, qui porte aujourd'hui à 28 le nombre de ses membres, le président américain préfèrerait consacrer plus de dépenses pour renforcer sa propre armée dans le cadre de son plan de « grande reconstruction » militaire. Fin janvier, le congrès américain a d'ailleurs repoussé pour la quatrième fois la ratification du protocole pour l'adhésion du Monténégro à l'Otan.

Autorisé à assister aux réunions de l'organisation depuis le 19 mai 2016, le pays des Balkans devrait logiquement en devenir le 29e membre en 2017. Mais l'intégration tant souhaitée par les dirigeants monténégrins et promise comme un tremplin vers l'entrée dans l'Union européenne semble aujourd'hui marquer le pas. La réticence de la quasi-majorité de la population, les atteintes répétées contre la démocratie et les multiples affaires de corruption qui pèsent sur les responsables du parti majoritaire constituent autant d'arguments qui alimentent la polémique autour de son adhésion.

Coup de froid en Turquie

Le DPS est en effet le seul parti d'Europe à être encore au pouvoir depuis la chute de l'empire soviétique. À sa tête, l'ancien président et premier ministre monténégrin Milo Djukanovic traine une réputation entachée par plusieurs affaires, comme celle des télécoms, de la cassette et du trafic de cigarettes avec la mafia italienne.

Dans leur majorité, les citoyens veulent s'intégrer à l'UE comme l'avaient fait des pays prospères comme Malte ou l'Autriche, et pas dans l'Otan,

affirme Marko Milacic, leader d'un mouvement d'opposition au Monténégro. L'essoufflement autour de l'Otan concerne également la Turquie, deuxième plus grande armée de l'Alliance, qui depuis six mois coopérerait davantage avec la Russie. Samil Tayyar, député du parti au pouvoir (AKP), a même qualifié l'Otan d’ « organisation terroriste […] qui menace la Turquie ». À ce jour, aucun officiel de l'AKP n'a contredit cette attaque cinglante contre l'Otan.

La Russie dit non au crowdfunding politique

vendredi 10 février 2017 à 00:28
Russian opposition leader Alexy Navalny

Le leader de l'opposition russe Alexei Navalny. Photo: Wikimedia.

Le service de paiement électronique Yandex.Money a annoncé lundi devoir interdire sur sa plateforme le transfert d'argent à des figures politiques, et ce afin de se soumettre à la loi électorale russe. Plusieurs personnes pensent qu'il s'agit plutôt d'une attaque contre Alexei Navalny, leader de l'opposition utilisant le service pour financer sa campagne présidentielle de 2018.

Lundi après-midi, Navalny a signalé sur un blog que Yandex.Money avait envoyé le 20 janvier un mail à Leonid Volkov, son directeur de campagne et propriétaire du compte Yandex.Money duquel Navalny recevait ces dons. Dans le mail, Yandex a alerté que le financement d'actions politiques par le biais d'individus pourrait enfreindre la loi électorale russe.

L'e-mail envoyé par Yandex.Money à Leonid Volkov.

Navalny décrit une campagne de harcèlement menée par des organismes publics souhaitant entraver sa capacité à recueillir des fonds :

История моего сбора средств на общественные и политические проекты — это и история о том, как ФСБ, МВД, администрация президента, ЦБ и прочее жульё пытается запретить в России сбор средств на такие проекты.

L'histoire de ma collecte de fonds pour des projets civils et politiques— c'est comment le FSB Fédéral de Sécurité], le MVD [Ministère de l'Intérieur], le président, la Banque Centrale, et autres escrocs ont essayé d’interdire la collecte de fonds pour ces projets en Russie.

Le leader de l'opposition affirme que la Banque Centrale a forcé Yandex.Money à faire l'impossible pour bloquer les dons affluant sur le compte de Volkov. Leur but étant de mettre fin à la candidature de Navalny à la présidentielle de 2018.

S'adressant au site TJournal, le service de presse de Yandex.Money affirme que la loi russe exige de” limiter l'utilisation de payements électroniques pour des fins juridiquement ambiguës”, Le non-respect de cette consigne peut entraîner des répercussions juridiques. Yandex avoue vouloir minimiser les risques qu'il et ses millions d'utilisateurs pourraient encourir:

Мы приняли решение изменить условия пользовательского соглашения и внести пункт, ограничивающий сбор средств на кошелек в политических целях. Это ограничение — стандарт для рынка электронных платежей.

Изменения будут размещены на сайте в ближайшие дни. С момента публикации это требование вступит в силу. Несогласие с изменением оферты, согласно п.12.4, означает отказ от использования кошелька.

При этом фонд-юрлицо по-прежнему может использовать «Яндекс.Кассу» для сбора пожертвований от частных лиц в любых объёмах.

Nous avons décidé de changer nos conditions d'utilisation. Nous introduisons une clause limitant la collecte de fonds pour des fins politiques. Ceci est la norme dans le marché du paiement électronique.

Les changements seront postés sur notre site dans les jours à venir. Ces changements prendront effet dès leur publication. Refuser les changements de la clause 12.4 entraînera le blocage du porte-monnaie électronique.

Cependant, les personnes morales pourront toujours utiliser Yandex.Kassa pour recevoir de l'argent de particuliers, quelle que soit la somme.

Bien que Navalny ne puisse plus collecter des dons à travers son directeur de campagne, il le pourra en théorie grâce à son organisation à but non lucratif, la Fondation Anti-Corruption, par le biais du service Yandex.Kassa, Malheureusement, a indiqué Volkov à TJournal, le groupe n'est pas enregistré comme une organisation politique en Russie, l'empêchant donc d'avoir un rôle dans la campagne électorale de Navalny.

Lorsque la nouvelle politique de Yandex prendra effet, on ne pourra envoyer de l'argent à Navalny qu'à travers PayPal. Cela permettra à tous ses supporters, quels que soient leur nationalité ou pays de résidence, d'envoyer leurs dons directement à Volkov. Actuellement, la société de technologie californienne ne compte pas restreindre ses services en Russie.

Aucune frontière ni décret ne peut m'interdire d'être un médecin musulman

jeudi 9 février 2017 à 23:47

Peinture murale de Banksy : Médecin des « cœurs pacifiques ». San Francisco, avril 2010. Photo partagée sur Flickr par Kanaka Rastamon. CC BY-NC 2.0

Ce commentaire de Jalal Baig a initialement été publié le 30 janvier 2017 sur le site PRI.org. Il est publié à nouveau ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices. 

Les frontières et les murs n'ont jamais fait obstacle à la pratique médicale, tout comme la compétence d'un médecin n'a jamais été déterminée par la couleur de son passeport.

Néanmoins, le décret du président Donald Trump, qui interdit l'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane, représente aujourd'hui une menace sans précédent pour les médecins immigrants ainsi que pour les patients et le système de santé de notre pays. Son maintien et son élargissement pourraient être catastrophiques.

Les musulmans représentent 5 % des médecins américains. Alors que certains sont nés à l'étranger, d'autres, comme ma femme et moi, sont des filles et des fils d'immigrants. Mes parents sont originaires du Pakistan.

Les immigrants représentent 28 % des médecins et des chirurgiens américains. Originaires du Mexique, du Pakistan, de l'Égypte, de l'Iran ou de la Syrie, ils sont nombreux à être venus ici pour honorer le serment d'Hippocrate.

Les défis qu'ils ont surmontés pour servir les patients sont nombreux. Outre le fait d'avoir quitté leur famille, ils ont parfois échappé à la persécution ou à d'autres épreuves. Ces gens ont consacré des années à travailler et à passer les examens menant à l'obtention d'une licence pour être admissibles à un poste en résidence, où la concurrence est très forte. Seulement 51,9 % des diplômés internationaux en médecine ont obtenu un poste en 2016.

Malgré un processus qui comporte une part d'inconnu et de nombreuses difficultés, ils avancent, animés uniquement par la promesse américaine de l'égalité des chances et le désir désintéressé de préserver la vie de ceux qui souffrent.

Leur compétence et leur compassion seront nécessaires pour maintenir le système de santé du pays à flot, car il manque de médecins pour assurer les soins primaires dans les zones mal desservies, sans compter que le nombre d'adultes âgés de 65 ans plus doublera comme prévu d'ici 2030. Compte tenu de l'évolution démographique, les États-Unis bénéficieront aussi d'un éventail de médecins sensibles aux besoins culturels et linguistiques de leurs patients.

En outre, la médecine ne peut progresser sans les travaux de recherche de ces immigrants. Parmi les chercheurs des sept principaux centres de recherche sur le cancer, 42 % sont des immigrants. En tant qu'oncologue, mes efforts pour guérir le cancer d'un patient seraient considérablement réduits sans les médicaments que leur diligent travail a permis de développer. De plus, les six Américains ayant remporté les prix Nobel scientifiques de 2016 étaient des immigrants.

Tout cela doit être pris en compte, car le décret malavisé du président Trump sur l'immigration risque de faire des victimes parmi ceux qui viennent aux États-Unis armés d'un simple stéthoscope et du désir sincère de contribuer à la santé des Américains.

Il n'y a pas de terroristes ici. Il n'y a que bienveillance.

Jalal Baig est médecin à Chicago et chercheur au département d'hématologie et d'oncologie de l'Université de I'Illinois à Chicago.

Comment raconter des blagues dans l'Amérique de Trump

jeudi 9 février 2017 à 10:03

Le comique Hari Kondabolu attire le public avec ses sketches sur la couleur, l'identité et la politique. Photographie de Kyle Johnson, avec l'aimable autorisation de Hari Kondabolu

Cet article de Sarah Birnbaum est d'abord paru sur PRI.org le 1er février 2017. Une version légèrement modifiée est publiée ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices.

Le comique Hari Kondabolu a un plan machiavélique. Il peut mettre fin à l'interdiction de territoire des voyageurs en provenance de pays à majorité musulmane du président des États-Unis Donal Trump en déployant une arme secrète : le boys band anglo-irlandais One Direction.

La première étape ? Le groupe de cinq devrait se recomposer, et donc ramener Zayn Malik, qui l'avait quitté pour poursuivre une carrière en solo. « Ensuite, ils faudrait qu'ils prévoient une tournée mondiale qui comprennent les grandes villes des États-Unis. Mais le problème, justement… c'est que Zayn Maik est musulman. Et ça voudrait dire que One Direction ne peut pas entrer aux États-Unis. Ça va décevoir et mettre en colère des millions d'adolescentes… Les adolescentes sont les voix politiques les plus puissantes et les moins exploitées de ce pays ! Si elles se faisaient entendre, ça serait le chaos ! »

À l'origine, Kondabolu dévoila son plan en décembre 2015, bien avant que Trump soit élu, mais après que le candidat à la présidence a appelé à « une interdiction totale et complète de l'entrée des musulmans aux États-Unis ». Le 27 janvier 2017, le président Trump a signé un décret présidentiel interdisant aux citoyens de sept pays à majorité musulmane (l'Iran, l'Iraq, la Lybie, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen) d'entrer dans le pays pendant quatre-vingt-dix jours, et suspendant le programme d'aide aux réfugiés syriens indéfiniment.

Mais le comique pense que son idée pourrait encore marcher. « J'ai l'impression que plus rien n'est excessif. Donald Trump, un multi-millionaire de la télé-réalité, est président des États-Unis. Mon plan a l'air tout à fait normal maintenant. »

Depuis l'accès de l'ancien hôte du programme de télévision « Celebrity Apprentice » au rôle de leader du monde libre, Kondabolu a réfléchi au rôle que l'humour joue en politique, et tout particulièrement sur l'ambiguité morale de transformer des informations horribles en bons mots.

« Par certains aspects, ça semble inapproprié compte tenu de la sévérité des trucs dont on parle », explique-t-il. « On est en train de parler de déportations de masse, de comparer ça à d'autres régimes fascistes à leurs débuts, et du coût que ça a sur la vie des gens, sur la séparation des familles… C'est du lourd. »

Tout ceci place les comiques dans une position inconfortable. « Si vous [en tant que membre de l'audience] êtes informés, vous n'allez pas rire parce que c'est trop difficile à entendre. Et si vous n'êtes pas au courant et que c'est moi qui vous en informe, ça fait un gros morceau à digérer. »

Les comiques font maintenant face à une autre difficulté : les publics sont divisés. Lors d'une émission humoristique à Boston en novembre, Wanda Sykes s'est faite huer après avoir raconté une blague aux dépens de Donald Trump.

Kondabolu affirme qu'il e se fait pas huer, mais les divisions politiques sont claires lorsqu'il est en tournée dans le pays. Par exemple : « J'étais en train de faire un numéro improvisé à Seattle, et au moment où j'ai abordé la politique, tout le monde s'est figé. Peu importe le sujet… c'était juste de trop. » Une autre fois, alors qu'il abordait l'avortement et les droits des femmes, quelqu'un dans le public lui a lancé qu'il irait en enfer.

« Je n'ai pas entendu ça depuis un moment », dit-il avec un petit rire résigné. « C'était rétro. C'était “vintage”. C'était une impression que je n'avais pas eu, sur scène, depuis une décennie. Des gens qui ne veulent juste pas parler de ces choses et qui détestent quiconque ne partage pas leur point de vue. C'était étrange. »

Kondabolu réfléchit à adapter son personnage de scène pour avoir plus d'attrait auprès de publics plus difficiles. « J'ai beaucoup pensé à ça, à comment me rendr eplus accessible. J'ai une famille. J'ai des choses qui ont sûrement des affinités avec la majorité des gens mais dont je ne parle généralement pas. Je devrais en parler ! Parce qu'en plus d'être une tactique, c'est de la bonne comédie. C'est de la bonne comédie pour un public qui vous voit comme une personne entière. Et je pense que je devrais utiliser ça davantage. »

Aziz Ansari est un comique qui rend sa comédie accessible. Kondabolu dit avoir regardé le récent monologue d'Ansari dans l'émission « Saturday Night Live ».

Dans la routine du « Saturday Night Live» Ansari marche sur des oeufs. D'un côté, il embroche les supporteurs de Trump. Il les compare aux fans de l'artiste de hip-hop Chris Brown qui aiment sa musique mais n'approuvent pas ses « activités annexes » (parmi d'autres soucis avec la justice, Brown plaida coupable en 2009 pour agression sur sa petite amie de l'époque, la chanteuse Rihanna). Mais Ansari essaie aussi de tendre la main et avertir les Américans « d'être attentifs. On ne peut pas diaboliser tous ceux qui ont voté pour Trump. »

Pour Kondabolu, le style conciliant d'Ansari est une façon de faire, mais qui ne fonctionnerait probablement pas pour lui.

« Je ne pense pas que ce soit mon truc », explique-t-il. « Je pense que ça marche pour Aziz parce que sur “Saturday Night Live” il est dans une arène où il parle à toute l'Amérique. Je suis beaucoup plus agressif. J'ai tendance à être du côté du cri de ralliement, vous savez ? Je ne veux pas trouver de compromis. »

Le combat des autochtones de Patagonie, toutes couleurs unies, contre Benetton

mercredi 8 février 2017 à 21:41
In the signs: "Productive recovery. Lof is resisting" and "The Anti-terrorism law is terrorism". Photo: Marta Music, used with permission.

Bannières à Lof en Resistencia avec les slogans : “Rétablissement productif de Lof en Resistencia” et “La loi anti-terrorisme est terroriste”. Photo: Marta Music, utilisée avec autorisation.

Le 10 janvier 2017, les forces armées argentines ont ouvert le feu sur une communauté mapuche de la région de Chubut qui lutte pour reprendre possession de ses terres ancestrales, actuellement entre les mains de la multinationale Benetton. Selon les informations locales, près de 200 gendarmes ont bloqué la route 40 et ont attaqué la communauté de Lof en Resistencia du département de Cushamen, qui compte à peine 24 adultes et cinq enfants.

La plupart des membres de la communauté ont été blessés lors de l'attaque, deux rsont d'ailleurs dans un état critique. Les forces armées ont saccagé l'habitation principale où s'étaient réfugiés les femmes et les enfants. Au moins dix personnes ont été arrêtées et depuis, la communauté est sans nouvelles d'eux. Parmi les quelques informations disponibles sur ces événements, on rapporte des cas de harcèlement et de violence physique à l'endroit des femmes et des enfants.

Cette intervention brutale constitue une violation de la loi argentine n° 26894 sur la propriété foncière, qui interdit toute expulsion des communautés autochtones jusqu'en novembre 2017. L'intervention a d'ailleurs été sévèrement condamnée par Amnesty International qui a réclamé des « enquêtes exhaustives et impartiales sur les actes de violence » perpétrés par les forces de l'ordre. L”organisation a également publié une série de mesures pouvant être prises afin de faire pression sur le gouvernement argentin. De plus, une pétition intitulée « Basta de repression al pueblo Mapuche » [La répression contre le peuple Mapuche doit cesser] circule actuellement.

Le reportage qui suit a été réalisé en 2016 auprès de la communauté mapuche de Lof en Resistencia, dans le département de Cushamen. Il relate le combat de cette communauté, son organisation et ses rêves. Pour des raisons de sécurité, les personnes interviewées dans le cadre de ce reportage ont souhaité rester dans l'anonymat. À leur demande, le terme « peñi » [frère] est employé pour désigner les interlocuteurs et le terme « lamgen » [soeur] pour les interlocutrices.

Quelque part le long de la route 40, perdue au cœur du désert de Patagonie, se trouve une vieille cabane en bois qui semble à l'abandon. De ce décor digne d'une carte postale surgit un personnage cagoulé. Il a l'air jeune. Ses vêtements sont déchirés. Sa peau est foncée. Il s'avance vers les barbelés près de la route et fait le guet. Il en profite pour replacer quelques draps suspendus à la clôture sur lesquels on peut lire, peint en rouge, les slogans : « Interdit aux propriétaires terriens », « Reconquête du territoire », « La loi antiterroriste est terroriste ».

Cette cabane est le poste de garde de la communauté Lof en Resistencia. Les Mapuches y montent la garde jour et nuit pour empêcher les interventions de la police locale. La communauté de Lof en Resistencia est l'une des nombreuses communautés autochtones de la province de Chubut qui tente de reprendre possession de ses terres ancestrales, actuellement entre les mains de multinationales telles que Benetton, Lewis, CNN et The North Face. Le mouvement d'occupation n'a pas reçu une très grande couverture de la part des média locaux depuis ses débuts, en mars 2015. Le manque d'attention de la presse internationale est d'autant plus alarmant que ce mouvement s'inscrit dans le contexte d'une lutte complexe à l'échelle mondiale, opposant les autochtones aux grandes multinationales et aux industries extractives. En effet, entre les droits fonciers des autochtones, les lois qui régissent la propriété privée et les normes internationales, ce conflit constitue un épineux casse-tête juridique qui n'a pas encore été résolu.

Ce combat, qui n'est pas sans rappeler celui de David contre Goliath, oppose une poignée d'autochtones au groupe Benetton. Le géant italien du textile, mieux connu pour ses campagnes de marketing militant pour les droits de l'homme, la paix et l'égalité ethnique que pour la possession controversée de 900 000 hectares de terre en Patagonie, a fait l'objet de nombreux scandales dans le passé. En 2002, par exemple, l'entreprise a violemment expulsé la communauté mapuche de Santa Rosa Leleque, ce qui a provoqué l'indignation internationale.

Le mouvement d'occupation de Lof en Resistencia, initié il y a un an et demi, compte aujourd'hui une quinzaine de personnes de tout âge. D'autres Mapuches de la région, également impliqués dans cette lutte, viennent prêter main-forte à la communauté dans ses activités quotidiennes. L'aménagement du campement est simple, mais ingénieux. Il est établi dans une pente, de sorte qu'il n'est pas visible ni de la route ni du poste de garde. En cas d'urgence, la personne chargée de faire le guet sonne l'alarme en soufflant dans un instrument traditionnel en forme de corne.

Depuis le poste de garde, il faut descendre à travers les arbustes épineux, traverser un ancien chemin de fer puis remonter une pente avant d'apercevoir les deux grandes maisons en bois construites par la communauté. De vieilles tôles rouillées reflétant le soleil font office de toit. Chaque maison est équipée d'une cheminée, construite de pierres et de boue, servant à la cuisine et au chauffage. Quoi qu'il en soit, malgré les efforts pour isoler l'intérieur des maisons, les conditions de vie sont extrêmement difficiles, particulièrement en hiver lorsque la température descend à -10 °C. Un peu plus loin, en contrebas, coule la rivière Leleque. On trouve sur ses berges un potager, un endroit où les femmes font la lessive et des clôtures pour retenir les moutons perdus des fermes voisines appartenant à Benetton.

Bien que l'objectif de Lof en Resistencia soit d'atteindre l'autonomie et l'autosuffisance, la communauté dépend encore d'un réseau de soutien pour lui faire parvenir les denrées essentielles depuis la ville la plus proche, située à 100 km.

« Un jour, les militaires sont venus et ont massacré tout le monde »

Il y a moins de deux siècles, la nation mapuche vivait librement dans le Puelmapu, une région autochtone indépendante, aujourd'hui appelée la « Patagonie ». Entre 1878 et 1885, le gouvernement argentin a mené une campagne militaire féroce, « La Conquista del Deserto » [la Conquête du désert], afin de conquérir la région et l'intégrer à la République d'Argentine. Après sa victoire, l'Argentine a récompensé les entreprises étrangères qui l'avaient soutenue financièrement en leur accordant des parcelles de terre en Patagonie. C'est ainsi qu'en 1991, Benetton a acheté l'une de ces entreprises, la Argentine Southern Land Company, et a acquis les droits de propriété de près d'un million d'hectares que détenait cette dernière dans la province de Chubut. Depuis, la multinationale italienne pratique sur ces terres l'exploration pétrolière et minière, la production de laine et l'exploitation forestière.

Néanmoins, depuis quelques années, les mouvements d'occupation se multiplient en Patagonie. Les occupants de Lof en Resistencia affirment que la terre qu'ils occupent actuellement est une terre ancestrale qui leur revient de droit. « Cette région était considérée comme un territoire autochtone indépendant il y a tout juste 135 ans. Nos arrières-grands-parents ont vécu sur cette terre. Et puis un jour, les militaires sont venus et ont massacré tout le monde », explique le longko [chef] de la communauté. Au cours de la Conquête du désert, des milliers d'autochtones ont été tués et environ 14 000 furent réduits à l'esclavage, forcés de travailler sur la terre même qu'on leur avait enlevée. Peu après s'ensuivit une répression sans merci contre les Mapuches.

Adriana, qui travaille pour le réseau de soutien de la communauté, a accepté de révéler son nom. Elle raconte, comme lui ont raconté les anciens, l'oppression dont ont été victimes les Mapuches : « Dans les fermes des nouveaux latifundistes, on interdisait aux Mapuches de parler leur langue. Les huincas [hommes blancs] coupaient la langue et les oreilles des Mapuches qui osaient parler Mapudungun. Ils coupaient également les testicules des hommes et les seins des femmes pour empêcher toute reproduction. C'était une véritable campagne pour annihiler notre identité et nous inciter à renier notre héritage et nos racines. »

Des témoignages comme celui-ci ont été transmis oralement, de génération en génération, car le Mapudungun n'a pas de système d'écriture. Ces récits de persécution, de torture et de massacre sont donc profondément ancrés dans la mémoire collective mapuche et participent aujourd'hui à leur identité.

« La Conquête du désert ne s'est pas terminée en 1885, elle a simplement pris une forme différente »

Aujourd'hui, les Mapuches font face à une nouvelle forme d'oppression : l'exclusion sociale. Les autochtones qui se sont installés dans les villes de la Patagonie vivent dans une extrême pauvreté. La plupart sont incapables de trouver du travail, et ceux qui y arrivent sont employés comme main-d'œuvre bon marché. La fille d'Adriana se rappelle avoir été constamment victime d'intimidation à l'école : « On me traitait de stupide, de pauvre, de sale, juste parce que j'étais Mapuche ». Adriana raconte avoir elle-même été faussement accusée d'abus sexuel sur les élèves de l'école de danse où elle enseignait. Malgré les protestations des élèves, elle a été licenciée et n'a pas trouvé de travail depuis.

Les inégalités sociales et l'injustice comptent, pour les occupants de Lof en Resistencia, parmi les principaux déclencheurs de l'exode vers les terres ancestrales. «La Conquête du désert ne s'est pas terminée en 1885,  elle a simplement pris une autre forme. Tout compte fait, on est bien mieux ici », explique le longko, les yeux perdus dans l'immensité de la plaine. Le charismatique leader décrit comment, ayant grandi dans une famille pauvre, il passait le plus clair de son temps à la bibliothèque plutôt que dans les rues comme les autres enfants. Il croit que les livres l'ont sauvé de la délinquance et lui ont permis d'éviter la prison. Méfiant à l'égard du système éducatif « néo-impérialiste » argentin, il se charge de superviser l'éducation des jeunes de la communauté.

Le Peuple de la Terre

Quoi qu'il en soit, derrière les conditions de vie et les droits ancestraux que défendent les Mapuches, se cache une misère encore plus profonde. C'est d'ailleurs ce sentiment de mal-être qui les a poussés à mettre sur pied le mouvement d'occupation.  Le terme « Mapuche » est composé de deux mots : « mapu » [terre] et « che » [peuple]. La nature est cœur de leur spiritualité et de leur système de croyances, un mode de vie que les huincas, à leur avis, sont incapables de comprendre.

Les cérémonies mapuches sont célébrées par le machi [chamane], la plus haute autorité spirituelle, qui est chargé d'établir le lien entre le monde spirituel et le monde physique. Les occupants de Lof en Resistencia vouent un très grand respect aux ressources naturelles dont ils disposent. Des rituels particuliers sont accomplis, par exemple, après avoir tué un animal ou pris de l'eau à la rivière. De même, seul le bois mort est utilisé pour les feux. La vie dans les villes industrielles est incompatible avec les valeurs mapuches, d'où la nécessité pour certains de retourner sur les terres ancestrales. Une jeune lamgen nous explique : « Si une société minière venait ici et détruisait cette colline pour en extraire les ressources, ce serait comme si l'on nous amputait d'une jambe ou d'un bras. On en deviendrait malade. C'est aussi simple que cela. Nous avons un lien spirituel très fort avec la Terre, c'est pourquoi nous devons la défendre à tout prix ».

L'éloignement et l'isolement n'empêchent pas les occupants de Lof en Resistencia d'avoir une vaste connaissance du monde. De la guerre d'Algérie à l'élection présidentielle américaine de 2016, Max Weber, le terrorisme islamique et la dissolution de la Yougoslavie font partie des interminables sujets débattus dans la communauté. Cette connaissance de la politique, de l'histoire et de la philosophie leur permet d'articuler leurs idées avec prudence et clarté. Un peñi explique : « Vous pouvez dire que nous sommes anti-capitalistes et anti-impérialistes. Mais nous ne voulons pas être étiquetés. Nous ne voulons pas être associés à un mouvement. Nous ne sommes pas des marxistes, des militants écologistes ou des indigénistes. Nous ne sommes que des Mapuches. Nous nous battons parce que le système économique actuel, basé sur l'exploitation industrielle des ressources naturelles, contribue à détruire la Terre avec laquelle nous devons vivre en harmonie ».

« Nous sommes le moustique agaçant sur le bras de Benetton »

Dès qu'ils sortent des rukas [maisons], les Mapuches se couvrent la tête d'une cagoule ou d'un chandail. Simple précaution pour éviter d'être identifié par les autorités. Ils craignent de perdre leurs proches, car il y a eu des cas de disparition dans le passé. L'étiquette « terroriste » que leur a accolée le gouvernement les fait rire. Elle s'est néanmoins révélée bien utile pour légitimer la brutalité des forces de police locales, dont l'intervention est justifiée au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Une stratégie que les États-Unis et certains pays d'Europe occidentale ne connaissent que trop bien pour l'avoir utilisée comme écran de fumée servant à dissimuler les abus de pouvoir et les violations des droits de l'homme. Devant la résidence principale, deux jeunes garçons jouent et se disputent le rôle du policier : « Je veux être le terroriste. À toi d'être le policier cette fois » dit l'un, « Je ne veux pas être le policier. Je veux être le terroriste », réplique l'autre.

La tension et l'insécurité sont omniprésentes au sein de la communauté, avec raison. Dans le passé, il y a eu des tentatives d'expulsion et de l'intimidation, non seulement de la part des autorités, mais aussi des civils. Les occupants de Lof en Resistencia ne sont pas près d'abandonner pour autant. Une lamgen nous explique : « Si nous n'avions pas espoir de récupérer nos terres, nous ne serions pas en train de nous battre ».  « Si nous n'y arrivons pas, ce sera nos enfants, mais il est trop tard pour reculer maintenant. Nous avons connu la torture, la prison et la mort. Nous n'avons pas peur. »

Leur stratégie est simple : une occupation lente, mais progressive des terres. Comme l'explique le longko, « Nous croyons que chaque communauté doit suivre sa propre voie vers l'autodétermination. Nous souhaitons reconstruire notre nation. Nous avons en quelque sorte choisi d'entamer un processus de décolonisation. Nous voulons nous débarrasser des propriétaires fonciers actuels et reconstruire le Puelmapu. Nous ne cherchons pas à empiéter sur les terres de l'État. Honnêtement, nous ne voulons pas de l'État. Nous refusons de négocier, car il n'y a rien à négocier. Cette terre nous appartient. »

Si le mouvement d'occupation de Lof en Resistencia semble modeste, son impact pourrait être important. Comme le souligne un peñi, « Nous sommes le moustique agaçant sur le bras de Benetton. En fait, un mouvement d'occupation comme le nôtre va bien au-delà du simple agacement, car il peut mettre en danger l'existence même d'autres sociétés nationales et transnationales dans la région. Ce genre de mouvement en inspire toujours d'autres ailleurs. Tranquillement, nous semons l'idée qu'il est possible de reprendre le contrôle du territoire. »

Benetton, « impliquée malgré elle dans un conflit historique

Benetton, qui n'a pas souhaité commenté cet article, a néanmoins pris position dans une déclaration rendue publique en décembre 2010 concernant l'occupation de Santa Rosa Leleque. L'entreprise a affirmé s'être « retrouvée impliquée malgré elle » dans un « conflit historique lié à la création de l'État argentin au 19e siècle et à sa relation avec les peuples autochtones déjà présents ».

Le conflit est un vrai casse-tête juridique. Bien que le groupe Benetton ait dû être au courant des circonstances historiques ayant permis à la Argentinean Southern Land Company Ltd d'acquérir ces terres, peut-on vraiment le tenir responsable ? Qu'en est-il des droits de propriété que l'entreprise fait valoir devant les tribunaux ? D'un autre côté, l'article 75 (alinéa 17) de la Constitution de l'Argentine reconnaît clairement la préexistence des autochtones sur son territoire et leur assure des droits sur les terres qu'ils occupaient traditionnellement. L'Argentine a également ratifié la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT), ainsi que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui garantit les droits constitutionnels des populations autochtones. Pourtant, selon Human Rights Watch et l’International Work Group for Indigenous Affairs, elle n'a respecté aucune des législations internationales.

L'enjeu ne se limite pas à la simple légalité. En 1991, Benetton a acheté 900 000 hectares de terre pour 80 millions de dollars. Depuis, la valeur de ces terres a considérablement augmenté. Il est inconcevable de penser que l'entreprise italienne rendra les terres aux Mapuches sans problèmes, ce qui signifie qu'elles devront être rachetées par le gouvernement argentin avec l'argent des contribuables, ce à quoi s'opposent fermement les gens de la région.

Une course contre la montre

La portée de ce conflit va bien au-delà des droits des peuples autochtones de Patagonie, car l'occupation de Lof en Resistencia s'inscrit dans le contexte d'une lutte mondiale menée par les autochtones à travers le monde pour défendre la souveraineté de leurs territoires et les ressources naturelles qui s'y trouvent, aujourd'hui menacées par les grandes multinationales et les industries extractivistes.

Le temps presse et aucun accord n'a encore été conclu. D'après la loi argentine n° 26894 sur la propriété foncière, toute expulsion est techniquement interdite jusqu'en novembre 2017. Ce qui, au moment d'écrire ces lignes, laissait moins d'un an au gouvernement argentin pour trouver une solution. Entre temps, Benetton maintient ses positions, alors que les mouvements d'occupation se multiplient dans la région. Ces luttes devraient servir à inspirer ceux qui cherchent des solutions de rechange viables au modèle économique néo-libéral qui favorise les compagnies aux dépens du peuple, les profits aux dépens des ressources naturelles et les individus aux dépens de la collectivité.