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En Russie, la prison de Sibérie dont les détenus réalisent des vidéos à succès sur YouTube

vendredi 4 mars 2016 à 16:10
Image: USFIN.OMSK / YouTube

Image: USFIN.OMSK / YouTube

Quand on pense “prisons de Russie”, ça n'était pas jusqu'ici pour y associer flashmobs musicales ou cinéma amateur. Pourtant, c'est précisément ce qu'offre le pénitentier d'Etat N° 7 à Omsk, [en Sibérie], dont le directeur-adjoint particulièrement imaginatif, Andreï Ziouzko, fait équipe avec des détenus pour produire des vidéos virales sur YouTube.

Un des premiers succès sur YouTube a été une flashmob le 9 mai 2015, en l'honneur de la Fête de la Victoire, qui célèbre en Russie la défaite face à l'Union Soviétique de l'Allemagne nazie. La vidéo, vue plus de 9.000 fois en ligne, montre plusieurs centaines de détenus défiler en formation parfaite, avant de s'immobiliser pour écrire les mots “70 [ans] victoire.”

Le mois suivant, la prison a communié avec des millions de Russes dans le souvenir de Viktor Tsoï, un des musiciens de rock les plus aimés d'URSS, le jour où il aurait eu 53 ans. A nouveau, les détenus ont défilé, et écrit cette fois les mots “Tsoï vivant”. Un groupe composé de détenus interprète également une des chansons de Tsoï. A un moment de la vidéo, tous ceux qui défilent s'agenouillent, faisant apparaître les musiciens, et un peu plus tard, se relèvent et dissimulent à nouveau tous les membres du groupe. Une sympathique petite chorégraphie. La vidéo a recueilli plus de 3.500 clics.

Mais le plus grand succès à ce jour de la prison est une vidéo de quatre minutes façon “Yeralash,” un programme télévisé humoristique avec des sketches rappelant de vieux épisodes de Benny Hill. Le court-métrage du pénitentier d'Omsk met en scène un prisonnier attaquant subrepticement ses co-détenus à coups boules de neige, jusqu'à ce que ses trois victimes le débusquent et exercent des représailles. Leur vengeance est accomplie lorsqu'ils l'ont littéralement enchâssé dans un bonhomme de neige. Ce petit chef d'oeuvre a été vu plus de 241.100 fois sur YouTube.

Une popularité qui leur a donné confiance en eux, puisque la dernière en date des propositions de l'équipe, publiée le 2 mars 2016, est un court-métrage de 17 minutes qui raconte comment trois détenus déterrent une théière d'où s'échappe un génie, qui accorde à chacun la réalisation d'un voeu. Les deux premiers individus demandent à manger (des pelmeni [raviolis sibériens à la viande] pour le premier, des sushis pour le deuxième), tandis que le troisième demande en rappant – et obtient – un luxueux yacht avec une jolie fille.

Andreï Ziouzko, qui supervise le travail éducatif de la prison avec les détenus, est le cerveau de tous ces exploits cinématographiques, même si les prisonniers eux-mêmes ont commencé à jouer un rôle plus actif dans le processus de conception. (D'après le service de presse de la prison, Ziouzko s'est contenté d'écrire le script du film avec le génie, le reste du travail provenant essentiellement des détenus qui ont joué dans la vidéo.)

Si les communiqués de presse du pénitentier disent vrai, Ziouzko a accompli à Omsk une merveille, en réengageant des hommes végétant derrière les barreaux et en les motivant à créer collectivement. (Ils acquièrent aussi des compétences potentiellement utiles en réalisation et montage de vidéos, pour le cas où leurs “talents” de scénaristes resteraient non rentables.)

Amazonie extrême : sécheresses, incendies et déboisement autour du rio Tapajos

jeudi 3 mars 2016 à 21:15
¡rea de plantio de soja no arredores de SantarÈm e Belterra. FLAVIO FORNER/XIB…/INFOAMAZONIA

Plantation de soja dans les environs de Santarem et Belterra . FLAVIO FORNER/XIB…/INFOAMAZONIA

Ce reportage sur L’ “Amazonie extrême” (texte de Camila Fróis et photos de Flávio Forner) a été réalisé par InfoAmazônia, dans le cadre d'un accord de partage de contenus. Il sera republié ici en quatre parties.

BR-163, Amazonie de l'état du Para. Pour les atlas de géographie, c'est une région au climat équatorial chaud humide.

Il  y a pourtant 120 jours qu'il n'est pas tombé une goutte d'eau ici. En plein milieu de châtaigniers qui atteignent 30 m de haut, sur la route de Santa Darem dans l'état du Para, vers la localité de Jamaraquá, dans la  zone forestière nacionale de Tapajós, on est saisi par une forte odeur de fumée qui émane d'une vaste zone réduite en cendres avec des squelettes de troncs d'arbres carbonisés il y a peu de temps. Pendant deux semaines la fumée a envahi les villages des communautés voisines et pris possession des maisons des habitants.  Toux, conjonctivites et problèmes respiratoires sont devenus affaires courantes.

Quelques jours plus tard en survolant la forêt nous pouvions prendre la mesure de la dimension du désastre. Vue de haut, la Forêt Nationale (Flona) – une surface équivalente à 527 000 terrains de football – ressemble à une île de végétation dans une mer de soja et de bétail qui avance sur elle, année après année. Depuis 1988, l'état du Para est champion toutes catégories dans le “classement du déboisement”, selon les chiffres produits par Projeto Prodes, de l’Institut Nacional des Recherches Spéciales (INPE). Pour seulement l'année dernière, la superficie des zones dévastée a été de 732 km2. En moyenne, ces 40 dernières années, il y aurait eu jusqu'à 2000 arbres abattus chaque minute en Amazonie.

Pendant le vol, outre la disparition de la forêt, d'autres détails attirent l'attention. La brume matinale de vapeur d'eau habituelle dans cette région de l'Amazonie a été remplacée par une fumée dense montant des foyers d'incendie. La gigantesque transpiration naturelle de la forêt* qui participe à la formation de ce que l'on appelle les “rivières volantes” dérivant sur des milliers de kilomètres vers le sud, poussées par les vents et gérant le taux d'humidité de tout un continent, a disparu…. A sa place, la fumée des feux atteint les grandes villes de la région nord et dissipe, en lieu et place de précipitations, du CO2 et du méthane.

Un été comme on n'en a jamais vu

Queimadas para abertura de campo de plantio de soja na regi„o vizinha a Flona TapajÛs. Parte das queimadas descontroladas passam para regi„o controlada pelo ICMBio. FLAVIO FORNER / XIB… / INFOAMAZONIA

Brulis pour la mise en place d'une plantation de soja dans des zones riveraines de Flona Tapajos. Une partie de ces brulis incontrôlés sont sur des zones relevant de l’ ICMBio. FLAVIO FORNER / XIB… / INFOAMAZONIA

Ces trois derniers mois, selon les informations fournies par le corps de sapeurs-pompiers de  Santarém (à la limite de la réserve forestière de Flona Tapajós), on a enregistré 350 incendies. Il faut savoir que pour une année ordinaire la moyenne annuelle tourne autour de 1000 incendies. “Nous répondons aux appels mais pour un déplacement il y en a toujours quatre qui nous attendent ailleurs et c'est comme ça tous les jours”, nous explique le commandant de brigade de l’Institut Chico Mendes (ICMBio), Giovane Oliveira, 25 ans, alors qu'il s'ouvre à coups de machette un passage sur plus d'un kilomètre à l'intérieur de la forêt en repérant les fumées. “Je n'ai jamais vu un été comme ça !”.

Quand on approche de ce qui reste des flammes, la sensation thermique donne l'impression de marcher dans une brousse épineuse du type “Caatinga”. La sueur coule sur le visage des membres de l'équipe et brûle les yeux rougis. Ils sont en majorité assez jeunes mais il y a également des hommes plus âgés et plus vulnérables aux effets des fumées. Pendant l'une des dernières sorties, Antônio Mendes, 52 anos, a été victime d'un accident vasculaire cérébral en intervenant sur un brasier – à la fin de ce reportage il était toujours à l'hôpital régional de Santarem sans que l'on sache l'importance des séquelles qu'il présentera.

Dans cette unité de santé, son cas s'ajoute à celui de près des 180 fonctionnaires qui cette année ont été victimes d'accident divers : intoxications par les fumées, aggravations de maladies respiratoires du type asthme ou bronchite chronique.

Le grand nombre d'incendies à trois explications : les brulis allumés pour créer des pâturages autour des zones protégées et dont les débris enflammés se répandent partout, les feux provoqués par les habitants pour nettoyer leurs parcelles de manioc, et les incendies facilités par un climat extrêmement sec.

Equipe do ICMBio Prevfogo combate incÍndio dentro da Flona TapajÛs. FLAVIO FORNER / XIB… / INFOAMAZONIA

Equipe de pompiers du ICMBio Prevfogo en action contre le feu dans Flona Tapajos. FLAVIO FORNER / XIB… / INFOAMAZONIA

Pour le climatologue Júlio Tota, de l'université fédérale de l'ouest du Pará (Ufopa), toutes ces causes sont liées : “Transformer la forêt en pâturages à un effet direct et immédiat sur le climat : la température augmente et les pluies diminuent, le manque de pluie à son tour rend le climat plus sec et la forêt plus “inflammable”.

Depuis 1988, des tours installées par l'équipe de Ufopa à Jamaraquá, permettent un contrôle permanent de l'hygrométrie, la température, la pression atmosphérique et d'autres variables, dans six localités du secteur. “Ce sont des variables importantes pour comprendre comment une forêt interagit à long terme avec l'atmosphère et les conséquences dans la formation des nuages et des précipitations”, dit Júlio.

A ce jour, parmi les effets du changement climatique dans la région, on note une perte dans l'écosystème et la biodiversité, une plus grande fréquence des événements climatiques exceptionnels, un bas niveau des rivières, toutes conditions favorables pour une plus grande fréquence des incendies et un retentissement sur le transfert d'humidité vers le sud et le sud-est  du continent.

Pendant ce temps, les recherches météorologiques tentent de mettre en relation les principales causes de modification des schémas de température et d'intensité des pluies, L'enseignante en écologie de l‘institut d'astronomie, géophysique et sciences atmosphérique de l'université de São Paulo (USP), Patrícia Pinho, essaie de comprendre l'impact réel de ces événements, appelés “extrêmes”, sur la vie des communautés traditionnelles: “Quand on parle de l'Amazonie, il est habituel de parler du bilan carbone, de la riche biodiversité,  de la  plus grande réserve d'eau potable du monde, mais il ne  faut pas oublier l'humain dans notre discours, ne pas oublier que 30 millions de personnes y vivent”, dit cette chercheuse dans son article “Dynamiques socio- écologiques complexes provoquées par les “événements extrêmes” en Amazonie”.

Pour les personnes qui vivent dans l'intérieur comme pour les habitants du bassin du Rio Tapajós, c'est le va-et-vient des eaux qui redessine les paysages, qui dicte le rythme du quotidien et exige différents mécanismes d'adaptation tout au long de l'année. Il y a six mois de crues et six mois de sécheresse pendant lesquels l'eau recule à 100 m du rivage. Les niveaux de précipitation peuvent varier de zéro pendant les mois de septembre et octobre à 700 mm au mois de mars. Dans les années de grande variabilité comme l'a été l'année 2009 pendant laquelle on a enregistré une grande crue, les étiages extrêmes augmentent les distances, rendent difficile l'accès et le transport des aliments, provoquent des pertes de travail et détériorent la qualité de l'air.

Comunidade de Marip· (Resex), sofrem com a falta de ·gua. O lago È o ˙nico recurso para surprir necessidades. Com a seca dos igarapÈs e a baixa do Rio TapajÛs prejudicam tambÈm o acesso. FLAVIO FORNER/XIB…/INFOAMAZONIA

La communauté de Marip· (Resex),souffre du manque d'eau. Le lac est l'unique ressource pour faire face aux besoins élémentaires. Du fait de la sécheresse des igarapès et de la baisse du Rio Tapajos les accès sont difficiles. FLAVIO FORNER/XIB…/INFOAMAZONIA

Les crues transforment déjà habituellement les maisons des communautés de várzea en îles de palafitas (cases sur pilotis), et quand l'eau monte plus que prévu, des blocs de bois sont placés sous les meubles, de plus en plus proches de la toiture. Les petites plantations alimentaires disparaîssent et les animaux domestiques doivent être menés en sécurité sur la terre ferme. En plus de cela, beaucoup des poissons abandonnent le lit des rivières et envahissent les forêts inondées ce qui rend difficile la pêche.

Cette adaptation à la dynamique des eaux est une réalité ancienne pour les riverains, mais les changements de scénario représentent de nouveaux défis. Pour le docteur en écologie Paulo Brando, de l’Institut de recherche environnementale de l'Amazonie(IPAM), lors de la dernière sécheresse prolongée en 2010, 57%  de la forêt amazonienne a reçu moins de pluie que la normale, imposant la nécessité de nouvelles stratégies de survivance dans la région. Cette situation de basses eaux a été responsable d'une réduction des pluies sur une surface de 3 millions de kilomètres carrés de forêt .

Dans les grandes villes comme Porto Velho (Rondoña) et Rio Branco (Acre), le recul très important des niveaux d'eau des fleuves Madeira et Acre a provoqué l'arrêt de la fourniture en eau : le dispositif de captage n'atteignant plus le niveau de l'eau.

Il n'existe pas encore d'étude plus poussée sur la sécheresse de cette année qui persiste encore, mais selon Patrícia Pinho l'ordre de grandeur est le même.

Comunidade de Maripá

Il faut savoir que, selon l'étude de Patrícia Pinho, une grande variabilité climatique crée des conditions de vie de plus en plus hostiles en ce qui concerne l'habitation, la sécurité hydrique, la santé et les transports. Selon elle, les sécheresses de 2010 et 2015 ainsi que les crues sévères de 2006 et 2009 paraissent avoir outrepassés les possibilités d'adaptation des communautés locales.

Un chercheur et docteur en géosciences pour la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), Christovam Barcellos souligne qu'il s'agit d'une réalité qui va s'aggraver avec l'augmentation de température prévue par les modèles climatiques pour la région, L'évolution se faisant comme on le sait au niveau mondial. Le comité intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC) insiste sur le fait que les températures continueront à augmenter et qu'aux environs de 2050 la moyenne mondiale devrait être de deux degrés au-dessus du niveau actuel, ceci en fonction de la quantité de gaz à effet de serre émis. Pour l’ organisation météorologique mondiale (WMO), 2015 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée depuis 1880 .

Toujours selon un communiqué de la WMO, la température moyenne de surface pourrait dépasser la barrière symbolique de 1° de réchauffement depuis l'ère pré-industrielle (1880-1899). Cette étude attribue le record de 2015 au phénomène El Niño (réchauffement inhabituel des eaux du Pacifique) dont les intervalles de survenue ont coïncidés avec les périodes de sécheresse extrêmes en Amazonie. Une explication est que la présence de ces courants maritimes d'eaux chaudes provoque un changement dans la circulation des vents et le transport de l'humidité du Pacifique vers le continent. Ainsi, en plus des altérations du micro climat provoquées par la déforestation, la région souffre également du fait des anomalies climatiques mondiales.

Pour Patrícia Pinho, “ il est néanmoins nécessaire d'améliorer nos modèles d'évaluation à l'échelle locale qui ne détectent pas encore suffisamment bien les réalités locales”.

* Note du traducteur : un grand arbre, en Amazonie, peut pomper dans le sol et “transpirer” plus de mille litres d'eau par jour. L'ensemble des transpirations des arbres d'Amazonie dépasse en eau le débit de l'Amazone à son embouchure.

Envie d'attiser les passions au Pérou ? Parlez de terrorisme ou de gastronomie

jeudi 3 mars 2016 à 21:01

El ojo que llora, memorial for victims of the violence in Peru 1980-2000. Each rock represents a murdered or disappeared person. Most of the victims were quechua-speaking peasants from the highlands. PHOTO: Christiane Wilke (CC BY-NC-ND 2.0)

«El ojo que llora» [l’œil qui pleure], un mémorial pour les victimes de la violence au Pérou (1980-2000). Chaque pierre représente une personne assassinée ou disparue. La plupart des victimes étaient des paysans de langue quechua  des régions andines. PHOTO: Christiane Wilke (CC BY-NC-ND 2.0)

Je suis absolument sûr que si vous demandiez à la plupart des Péruviens aujourd'hui ce qui, selon eux, contribue le plus à la renommée du Pérou, la majorité citerait la nourriture péruvienne, le Machu Picchu et quelques autres éléments du même acabit. Mais si vous aviez posé la question il y a 30 ans, les réponses auraient été très différentes. Je suis persuadé que la plupart des gens auraient évoqué le terrorisme et le trafic de drogue.

Au cours des 30 dernières années, le Pérou est tant bien que mal parvenu à créer des points d'accord et des vecteurs d'identité nationale autour de certains éléments cohérents qui unissent les Péruviens de différents milieux qui n'ont sinon que la nationalité en commun. L'Etat failli, en lambeaux et tout juste viable il y a presque trois décennies, a même réussi aujourd'hui à transformer ses échecs en succès. Dans le même temps, cependant, le rejet catégorique du terrorisme et des terroristes dans le pays perdure, et est virtuellement unanime.

Un récent exemple de ce sentiment est la réaction des Péruviens, en décembre dernier, à la sortie de prison et à l'expulsion du Pérou qui s'en est suivie de la citoyenne états-unienne Lori Berenson. Un site web en anglais basé au Pérou, Living in Peru [Vivre au Pérou], a publié un article sur Lori Berenson, la qualifiant dans le titre d'« activiste ». Le tollé sur le web a été immédiat, tant et si bien que le site a été forcé de retirer le mot «activiste» du titre, expliquant qu'il l'avait utilisé car diverses sources étrangères de langue anglaise avaient fait référence à Berenson de cette manière.

«…le Pérou est tant bien que mal parvenu à créer des points d'accord et des vecteurs d'identité nationale autour de certains éléments cohérents qui unissent les Péruviens de différents milieux qui n'ont sinon que la nationalité en commun.»

Mais l'affaire n'en est pas restée là. Mijael Garrido Lecca, directeur du quotidien péruvien en ligne Diario Altavoz,a publié une lettre ouverte à l'agence de presse Associated Press, la source de l'article de Living in Peru. Voici un extrait de cette lettre:

«[Frank] Bajak [auteur de l'article] déclare que Berenson a été condamnée pour « avoir collaboré à une entreprise terroriste» . . . . Les morts provoquées par l'idéologie meurtrière dont s'est revendiquée Lori Berenson ne sont pas un euphémisme ; pas plus que les veuves et les orphelins [qu'elles ont créés]. Comment cela se fait-il que Berenson soit rangée dans la catégorie d'activiste si elle fait partie d'une organisation qui a assassiné de sang-froid et a enlevé [des gens] comme bon lui semble? »

« Oussama Ben Lade n», ajoute Garrido, « n'était pas un “activiste”, c'était un terroriste. Les attaques tristement célèbres du World Trade Center le 11 septembre 2001 n'étaient en aucune façon un acte militant. C'étaient un acte terroriste ignoble qui a mêlé des citoyens innocents à des décisions qui n'étaient pas les leur. . . . Ce qui vient de se produire à Paris n'était pas un acte militant. C'était de la terreur. Mais ces erreurs “sémantiques” offrent aux terroristes une protection à terme, leur permettant de réécrire l'histoire et de produire un récit biaisé et abject. »

Je comprends que l'on a utilisé à outrance le terme de « terroriste » ces dernières années, et qu'on l'a amoindri par son application opportuniste à certains groupes de personnes et pas à d'autres. Toutefois, ici au Pérou, malgré des désaccords lorsque le terme est utilisé par les médias et d'autres dans des contextes particuliers comme le «terrorisme écologique» et le « terrorisme anti-extractivisme », il existe un consensus quasiment unanime quant au fait que les activités du Sentier lumineux et du MRTA [N.d.T Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, guérilla qui a participé au conflit armé péruvien] relevaient du terrorisme. Alors quand quelqu'un emploie un euphémisme, comme Bajak l'a fait, pour décrire une personne largement considérée comme une terroriste par les Péruviens, les médias sociaux— les médias dans leur ensemble — laissent éclater leur rage et leur colère.

“…au Pérou… il existe un consensus quasiment unanime quant au fait que les activités du Sentier lumineux et du MRTA relevaient du terrorisme.”

A ce stade, peut-être un peu d'histoire permettra-t-il aux lecteurs de mieux saisir le contexte. Le Sentier lumineux a été fondé dans la ville andine d'Ayacucho dans les années 1970. La première action notoire du groupe a été de mettre le feu aux bulletins de vote et aux urnes du village de Chuschi le 17 mai 1980. 12 ans, un nombre incalculable d'attaques terroristes et presque 60000 morts plus tard, la capture d'Abimael Guzman, le dirigeant du groupe, le 12 septembre 1992 a signé la fin du Sentier lumineux.

Lorsque le Sentier lumineux a commis ce premier acte à Chuschi, il ne l'a pas fait en réponse à une demande ou une protestation de la population, mais avec une violence aveugle qui a perturbé un processus électoral que les citoyens avaient revendiqué et attendu avec une grande impatience. Puis, le groupe a annoncé qu'il était en guerre contre l'Etat bourgeois, se définissant lui-même comme étant d'orientation marxiste-léniniste et adhérant à la thèse de Mao selon laquelle la violence est un élément nécessaire de la révolution. Le programme général du Sentier lumineux en 1988 établissait que le groupe cherchait à « détruire l'Etat péruvien, la dictature des profiteurs menée par la haute bourgeoisie, les forces armées répressives qui la soutiennent, et l'ensemble de l'appareil bureaucratique. »

L'une des principales caractéristiques du Sentier lumineux était son refus d'engager le dialogue : en vertu de son idéologie, tout contact non violent avec l'ennemi était une concession inacceptable. Il n'y eut ainsi jamais de possibilité de dialogue, encore moins de négociation, et si un membre du Sentier lumineux se montrait favorable à ces méthodes, il ou elle était obligé de suivre des sessions d'« autocritique ».

Ceci, ajouté à l'utilisation d'un langage obscur et profondément idéologique incompréhensible aux yeux des citoyens ordinaires, n'a pas aidé à rendre plus compréhensible pour la population les objectifs du Sentier lumineux. Y compris pour l'intelligentsia liménienne, qui pendant des années a échoué dans son analyse et son diagnostic du phénomène du Sentier lumineux, et a même dans un premier temps manifesté de la sympathie pour les tendances de gauche du groupe.

Mais la majorité des Péruviens ont rejeté l'idéologie et les méthodes du Sentier lumineux, et n'ont pas hésité à qualifier ses membres de « terrucos », une variante quechua du terme espagnol pour « terroristes » qui était souvent réduit à « tucos ». L'association entre le groupe et le concept de terrorisme est d'abord apparue parmi les couches les plus pauvres des populations urbaine et rurale, dans les zones les plus affectées par ses attaques. Puis, l'utilisation de ces mots s'est étendue à tous les secteurs de la société péruvienne.

Par conséquent, toute tentative de décrire les activités du Sentier lumineux comme autre chose que du terrorisme engendre une salve d'accusations de la part de toutes les strates de la société péruvienne. Ainsi, certains responsables politiques ont enjoint le gouvernement à agir pour exiger que les Etats-Unis qualifient Berenson de terroriste et non d'activiste. Interrogé sur cette affaire, le ministre de la Justice péruvien a affirmé que les activités du MRTA, l'organisation à laquelle Berenson appartenait, revêtaient clairement un caractère terroriste. Même l'ambassadeur états-unien a déclaré à des journalistes que « les Etats-Unis ont toujours dit que le MRTA [était] un groupe terroriste. »

Berenson, qui a été accueillie aux cris de « terruca » à l'aéroport par certaines personnes présentes alors qu'elle attendait de quitter le pays, a cependant maintenu sa position quant au fait que le MRTA n'était pas une organisation terroriste. Certaines positions sont inconciliables.

Le seul autre sujet qui déchaîne systématiquement les passions des Péruviens est la gastronomie: à savoir, les tentatives de nos voisins du sud (les Chiliens) de s'approprier le Pisco Sour ou le Suspiro Limeño [N.d.T Le Pisco Sour est un cocktail à base de pisco péruvien auquel on ajoute du jus de citron vert, du sucre de canne, du blanc d’œuf et de l'angostura bitter. Quant au Suspiro Limeño, il s'agit d'un dessert liménien dont les deux ingrédients principaux sont la confiture de lait et la meringue.] Etrangement, ou peut-être pas tant que ça, ce sont les médias qui exagèrent la portée de ces questions sans vraiment se préoccuper de leur importance réelle. Pour eux, cela semble très important de faire apparaître aux yeux de la population péruvienne les dangereuses manœuvres des Chiliens, ou la menace imminente posée par ceux qui manquent de désigner les terroristes par leur appellation correcte.

«Nos désaccords en matière de gastronomie ne nous empêchent pas de faire des affaires avec les Chiliens ou de partager un repas entre amis qui ont des points de vue différents sur les Papa a la Huancaína. Mais la question du terrorisme est liée à des facteurs politiques et sociaux dont le souvenir nous ramène à un temps où les Péruviens étaient divisés, et qui sont donc propices à la manipulation politique.»

Les choses au Pérou sont revenues à la normale avec le départ de Lori Berenson. Mais peut-être ce calme-là est-il celui qui prévaut avant la tempête pour ce qui est des plats nationaux : c'est seulement une question de temps avant que les médias ne commencent à se montrer fébriles et avides de susciter un nouvel épisode de faux patriotisme.

Il existe néanmoins une grande différence entre le fait de s'indigner quand un site web chilien affirme que les Picarones [fr] sont une création chilienne ou de débattre pour savoir si l'on peut préparer les Papa a la Huancaína avec autre chose que des pommes de terre jaunes (c'est possible, mais certains puristes considéreraient tout écart à cette norme comme une aberration), et le genre de conflit que la question du terrorisme génère. Nos désaccords en matière de gastronomie ne nous empêchent pas de faire des affaires avec les Chiliens ou de partager un repas entre amis qui ont des points de vue différents sur les Papa a la Huancaína. Mais la question du terrorisme est liée à des facteurs politiques et sociaux dont le souvenir nous ramène à un temps où les Péruviens étaient divisés, et qui sont donc propices à la manipulation politique.

Je vais donc m'arrêter là et me focaliser sur d'autres sujets plus constructifs, comme celui d'établir quel est le meilleur ceviche au Pérou, ou si le lomo saltado [fr] est plus chinois que créole – des débats sans fin, mais qui rapprochent aussi les gens et sont sans conteste plus plaisants.

Bon appétit. [N.d.T en français dans le texte original]

En Arménie, le mouvement ‘Erevan Electrique” au crible des médias

jeudi 3 mars 2016 à 17:38
Protesters at Electric Yerevan. Screenshot from YouTube video uploaded by Raymik.

Manifestants d'Electric Yerevan (‘Erevan Electrique’). de la vidéo YouTube de Raymik.

Electric Yerevan (‘Erevan électrique’), une vaste contestation de la hausse du coût de la vie en Arménie et dénonciation de la corruption ressentie dans le secteur de l'électricité, a été un énorme événement pour un petit pays, qui a fait la tendance sur Twitter et suscité des milliers de commentaires sur Facebook pendant l'apogée des deux semaines de manifestations l'été dernier dans la capitale arménienne. Le gouvernement a été contraint de renoncer à son projet d'alourdir la facture énergétique de ses concitoyens.

Tout récemment, la première agence mondiale d'information multimédia, Reuters, a inclus la photo d'Electric Erevan du photographe arménien Vahram Baghdasaryan dans sa sélection des photos de l'année 2015.

Reuters classe la photo de Baghdasaryan sur #ElectricYerevan parrmi ses Meilleures Photos de l'année 2015

Tous les médias ne partagent cependant pas la même appréciation sur Electric Yerevan.

Du côté occidental, c'est l'aspect pacifique d'Electric Yerevan qui est souligné : les protestataires qui passent le temps avec des parties d'échecs, des danses folkloriques, et nettoient derrière eux avant de s'en aller.

Les télévisions et sites d'information russes, en revanche, ont voulu voir dans Electric Yerevan un remake du Maïdan ukrainien, qui a éjecté un président largement pro-russe et pavé la voie à un gouvernement anti-Moscou à Kiev.

Il n'y a rien de mal à avoir “l'air Maïdan”

Les mass-médias russes prétendaient qu'Electric Yerevan était orchestré de l'étranger et propulsé par la propagande américaine. Pour les copistes russes, le parallèle était évident. Le gouvernement avait pris le chemin inverse de l'Ukraine et accepté de rejoindre en 2013 l'Union économique eurasienne appuyée par le Kremlin, tournant le dos à un accord d'association avec l'Union Européenne. L'Occident glouton ne se contentait pas de l'Ukraine, raisonnaient-ils.

Les participants d'Electric Yerevan, à leur tour, n'ont vu que le côté négatif de la couverture médiatique russe.

A un moment des manifestations, on a vu un jeune garçon tenir trois ballons représentant les couleurs du drapeau arménien : rouge, jaune (ou orangé) et bleu. Le ballon rouge éclata, il ne resta que le bleu et le jaune, et les médias russes foncèrent sur la combinaison bleu-jaune supposée révéler des sympathies ukrainiennes. Belle illustration de biais médiatique où “l'on voit ce qu'on a envie de voir”.

En réalité, Electric Yerevan n'était lié de près à aucun parti ni chef politique. Le mouvement était mené surtout par les jeunes et les groupes civiques. Les slogans étaient du genre “Stop à la Corruption”, “Non à la flambée des prix”, “Haute Tension”, mais jamais “Révolution”.

“Les mass média ont aidé à diffuser les thèmes soulevés. Quand il fallait faire passer le message, les médias en parlaient sans hésitation”, se souvient Vaghinak Shushanyan, un des principaux activistes de Electric Yerevan. “Pas toujours avec le contexte dont nous avions besoin, mais ils publiaient”, a-t-il expliqué à Global Voices.

Les médias sociaux ont aussi joué un rôle vital pour organiser les gens et les faire venir sur l'avenue Baghramyan et à l'épicentre des manifestations. La plupart des contestataires étant âgée de 20 à 30 ans, c'est surtout grâce à Facebook et Twitter qu'ils étaient informés de l'événement et qu'ils convergeaient à Baghramyan. En même temps, ces mêmes médias sociaux ont aussi été un outil de surveillance et de provocation aux mains du gouvernement.

Du côté des médias traditionnels ayant couvert Electric Yerevan, le journal Civilnet financé par une association locale de la société civile, et le service Arménie de RFE/RL (Radio Free Europe), financé par le Congrès des Etats-Unis, ont de loin eu le plus de poids. RFE/RL a été particulièrement important, en émettant en temps réel sur le mouvement pour une lame de fond d’auditeurs qui ont frisé les 300.000, un dixième de la population de l'Arménie, qui est de 3,2 millions.

Electric Yerevan n'a sans doute pas été ourdi par l'Amérique comme semblent le penser de nombreux organes d'informations russes. Mais des journalistes arméniens travaillant pour un organe de presse à financement américain ont beaucoup fait pour le rendre visible.

Déforestation dans le monde : en diminution ou non ?

jeudi 3 mars 2016 à 07:45
arazilian state of Aickr user Neil Palmer (CIAT). CC-BY-NC-SA 2.0.

Vue aérienne de la grande forêt amazonienne à proximité de Manaus, capitale de l'État brésilien d'Amazonas. Photo sur flick de Neil Palmer (CIAT). CC-BY-NC-SA 2.0.

Ce post de Jeremy Leon Hance a été publié  [lien en anglais comme les suivants] sur Ensia.com, une revue en ligne sur les solutions climatiques internationales. Il est republié ici dans le cadre d'un accord sur le partage de contenu.

Tout a commencé, comme cela arrive souvent, par une rumeur. En 2013, Matt Finer, un chercheur de l'Association pour la Préservation de l'Amazonie, a entendu dire par un habitant de cette région que quelqu'un était en train d'abattre des arbres au cœur de la forêt amazonienne péruvienne à l'abri des regards indiscrets.  Finer et ses collègues ont fait alors quelque chose qui aurait semblé impossible 10 ans auparavant : en utilisant des images satellites à haute résolution, ils ont trouvé quelques hectares d'arbres abattus dans un océan de verdure  apparemment impénétrable.

“On pouvait voir ces fragments de forêt perdue et on s'est dit : “on y est peut-être” raconte Finer.
Dans les années qui ont suivi, l'équipe a vu la destruction s'étendre de quelques hectares à plus de 2000. A la fin, ils ont réussi à faire le lien entre ces destructions et la compagnie United Cacao, une société qui a son siège social aux îles Caïmans, et qui ambitionne de devenir la plus grande entreprise de culture de fèves de cacao du monde, si l'on s'en tient à ce qui est écrit sur son site Web.

Fort de ces photos satellites édifiantes, Finer et ses collègues ont exposé l'histoire au gouvernement et à la presse, espèrant provoquer une réaction. L'affaire est maintenant devant un tribunal péruvien qui devra juger si l'entreprise incriminée a suivi ou non la procédure correcte avant d'abattre les arbres. En attendant, selon Finer, le ministère de l'Agriculture a réagi en envoyant à la United Cacao un ordre d'arrêt du chantier pour stopper les abattages. Pourtant, les images satellite hebdomadaires montrent à l'évidence que la compagnie n'a pas respecté cet ordre. “La déforestation est en cours en cet instant précis”, déclare Finer.

Le monde  lutte depuis des décennies pour limiter la déforestation au travers de toute une panoplie de mesures. En 2008,  Norman Myers, expert en biodiversité, a déclaré que le déboisement des zones tropicales provoquait  “une des crises les plus importantes depuis que nous sommes sortis des cavernes il y a 10 000 ans”. La disparition en cours des zones vertes alimentent la peur d'une éradication de masse. La perte des forêts, qu'elles soient tropicales ou tempérées, joue un rôle crucial dans la crise climatique globale. Les experts estiment que dix à quinze pour cent des émissions actuelles de gaz à effet de serre sont dus à un changement dans l'utilisation des terres. En outre, les forêts jouent un rôle essentiel pour limiter l'érosion des sols, les inondations et pour maintenir un bon niveau de précipitations, favorisant ainsi la santé et le bien-être des être humains.

Parmi les autres solutions adoptées pour chercher à endiguer la déforestation figurent la création de nouvelles zones protégées, l'amélioration des lois et de leur mise en oeuvre au niveau national, la création de programmes internationaux comme REDD+ et les engagements à arrêter totalement le déboisement.

Et pourtant, rien n'a plus contribué récemment à changer la manière de faire face à la déforestation que la surveillance par images satellite. Ceci a révolutionné notre capacité à suivre la progression du phénomène. Au lieu de se fier aux statistiques des gouvernements, les militants et les chercheurs sont aujourd'hui en mesure de suivre en direct les modifications de la forêt sur leur ordinateur ou leur smartphone.

Quelle est la question que l'on se pose sur les progrès de notre lutte contre la déforestation? Tout simplement de savoir ce que nous pourrons faire pour atteindre cet objectif mondial.

Evaluation mondiale

L'année dernière, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a publié sa dernière évaluation des ressources forestières au niveau mondial, révélant une perte de 129 millions d'hectares depuis 1990, une surface aussi grande que le Pérou. Mais ce rapport quinquennal a également découvert que le taux de déforestation s'est ralenti pendant les cinq dernières années. Les forêts ont disparu à une vitesse inférieure de 56 % à ce qui se produisait dans les années 90. Cette évaluation a montré un ralentissement sensible de la déforestation dans les zones tropicales alors que la couverture forestière des régions tempérées restait stables ou en augmentation.

Ainsi, M. Pekkarinen, qui dirige l'équipe d'évaluation et de surveillance des forêts, a déclaré qu'ils sont pratiquement certains que la déforestation est en ralentissement dans les régions tropicales. Entre 1990 et 2000, les forêts tropicales ont perdu plus de 9 millions d'hectares par an, mais depuis ces cinq dernières années la perte annuelle a été “seulement” d'un peu plus de 6 millions d'hectares par an au niveau mondial. Toutefois des critiques soutiennent que les données de la FAO sont biaisées à cause de leur dépendance vis à vis des gouvernements locaux qui ont plusieurs niveaux de compétence et d'intérêt dans la surveillance précise ou la dénonciation du déboisement. En outre, la définition précise du type de forêt est variable selon les gouvernements et les périodes de l'année, rendant bien difficile  les comparaison portant sur des pertes de zones vertes.

Entre temps, une des études les plus rigoureuses de ces dernières années aurait découvert qu'entre 1990 et 2010, la déforestation en zone tropicale aurait présenté une augmentation de 62%.

Le principal auteur de l'étude est Do-Hyung Kim, un chercheur qui fait son doctorat à l'université du Maryland. Il a écrit ceci dans un rapport, publié en 2015 sur la revue Geophysical Research Letters, pour fournir une alternative aux données de la FAO, avec des définitions et des méthodes cohérentes. Pour cette analyse, Kim et ses collègues ont étudiés 5444 photos du satellite Landsat, comparant les couvertures forestières actuelles et passées.

Les conclusions de Kim sont confortées par une étude de 2013 publiée dans la revue Science, révélant une augmentation de la déforestation de près de 200 000 hectares par an dans la période qui va de 2000 à 2012. Cette recherche a montré que les effets du récent changement de stratégie du Brésil ont été annulés par les augmentations de destructions dans d'autres pays tropicaux comme l'Indonésie ou la Malaisie.

“Le Brésil a réduit son taux de déforestation mais c'est une exception, certainement pas la règle”, déclare Matt Hansen, le principal auteur de l'étude, un scientifique spécialisé dans les relevés à distance, à l'Université du Maryland.

En revanche, tout concorde sur le fait que la déforestation a subi un ralentissement dans les régions tempérées. Les données sont généralement plus fiables dans cette zone. Selon ces évaluations, la couverture forestière nette est au contraire en augmentation dans les pays comme les États-Unis et la Russie et la Chine depuis les 15 dernières années. Et ceci ne signifie pas que ces pays ne continuent pas à abattre des forêts, mais seulement que le total de la surface destinée aux forêts est en augmentation. La Chine par exemple a lancé un ambitieux programme de reboisement pour combattre la désertification et l'érosion des sols (malheureusement, la majeure partie de ce programme est réalisée en monoculture au lieu de privilégier la plantation d'essences diversifiées).

Pommes et Oranges

Global Forest Watch, un outil en ligne de cartographie interactive, a permis de découvrir que la perte en forêt augmente au niveau mondial, si ce n'est quelques fluctuations entre 2001 et 2014. Rachel Petersen, chargée de recherche au World Resources Institute à Washington et qui gère le Global Forest Watch, explique que comparer les données de la  FAO et celles du GFW, c'est comme “”comparer des pommes et des oranges” : la FAO mesure surtout les changement d'utilisation des terres alors que le GFW couvre la déforestation. Par exemple, abattre une forêt dans le sud des États-Unis n'est pas considéré comme une déforestation pour la FAO dans la mesure où ces terres restent considérées comme une forêt de production qui est abattue et replantée à intervalles réguliers. Le GFW de son côté signale la perte parce que les satellites ont repéré des arbres abattus même si la forêt sera rapidement replantée.

La FAO déclare ne pas inclure les plantation de palmier à huile ou les monoculture d'arbre à fruits dans sa définition d'une forêt, mais elle est y inclus en revanche les plantations d'arbres pour la production de pâte à papier et les efforts de reboisement réalisés sur la base d'une seule espèce d'arbre. “Regroupées les données du GFW et de la FAO  donneront une idée plus complète du changement dans le panorama forestier du monde”, affirme Rachel Petersen.

Une autre importante question qui perturbe les données aujourd'hui est de savoir si les monocultures peuvent être considérés comme des forêts. La majeure partie des analyse basées sur les données satellitaires ne font pas la distinction entre les plantations et les forêts diversifiées. Ainsi, l'on considère comme forêt les plantations de palmiers à huile, d'hévéas, d'acacias ou autres. Ceci tout simplement parce que vues de l'espace elles sont toutes semblables à une forêt.

Mais l'idée que n'importe quel monoculture soit une forêt rend furieux les écologistes.

“D'un point de vue biologique, elles ressemblent autant à des forêts vierges que la pelouse de ma maison”, explique William Laurance, un expert en forêt tropicale de l'université James Cook en Australie.

Indonésie contre Brésil

Finalement, aucune mesure de la déforestation n'est parfaite. Mais l'on peut aussi se tromper en se concentrant sur les taux relatifs de déboisement global. Même si l'on s'en tient à la meilleure hypothèse, celle du ralentissement, la déforestation est de toute façon en cours à un taux insoutenable. Chaque année, notre planète à moins de forêt que l'année précédente et surtout beaucoup moins de forêt primaire. Chaque année, de plus en plus d'espèces souvent encore inconnues sont menacés d'extinction ou disparaissent. Et chaque année plus de carbone responsable du réchauffement climatique et provenant de la destruction des forêts monte dans l'atmosphère.

Dans aucun autre pays ce processus n'est plus évident que dans l'Indonésie qui pendant la seule année 2015 a transformé en fumée 2,1 millions d'hectares de forêt.

Pendant la saison sèche, les cultivateurs habituellement défrichent les terres en brûlant la forêt, créant ainsi un brouillard toxique qui recouvre une grande partie de l'Asie du sud-est. Mais  l'année dernière, en partie à cause du phénomène El Nino et du réchauffement planétaire, les incendies de forêts se sont révélés particulièrement violents et prolongés. Erik Meijaard, un écologiste en poste en Indonésie les a définis comme “les crimes environnementaux les plus graves du XXIe siècle”, bien que cette catastrophe qui s'est prolongée plusieurs mois n'ai pas réussi à attirer l'attention des médias autant que la marée noire de la  Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique en 2010. Ce désastre a pourtant causé la mort directe de 21 personnes, au moins un demi-million de graves infections pulmonaires, des centaines de vols aériens annulés et un impact incommensurable sur l'environnement. La Banque mondiale a estimé que la perte totale pour l'économie indonésienne avait été d'environ 16 milliards de dollars soit 14 milliards d'euros. En plus les incendies ont fait exploser une “bombe au carbone”, qui au moment de son pic maximum, émettait plus d'anhydride carbonique par jour que l'économie des USA toute entière.

Pour ceux qui ont suivi les tribulations politico-économiques autour de la forêt de l'Indonésie, ce n'était pas une surprise. Après des décennies de corruption, de loi trop permissives, après l'intervention de gouvernements décentralisés et de puissantes figures locales de l'industrie, la forêt indonésienne est en crise.

Ce pays devrait tourner les yeux vers le Brésil : considéré à une époque comme un paria à cause de la destruction de la grande forêt pluviale, il est aujourd'hui aux yeux des experts un exemple de bonne gestion de la déforestation, un leader dans l'application des techniques de surveillance par satellite.Le Brésil a bénéficié de nouvelles technologies, d'un gouvernement fort, de lois forestières sévères et créé de vastes zones protégées. Et ça fonctionne : le déboisement a diminué de 70 à 80 % depuis le début des années 2000, bien qu'il soit en légère augmentation ces dernières années.

“À ce jour, le Brésil est le meilleur exemple d'une manière d'intervenir dans la dynamique de déforestation en réussissant à la réduire de façon notable”, dit Hansen. Il estime qu'une société civile responsable, des élus du gouvernement et un secteur privé  qui se sentent concernés” sont des facteurs cruciaux pour le succès de cette opération. Pour faire prendre en main ce problème par les différentes parties concernées, les brésiliens se sont réunis pour faire face a un problème très complexe mais  non insoluble. La bataille est loin d'être terminée dans le pays, mais elle progresse dans la bonne direction.

“Il pourrait être difficile de reproduire ces conditions dans une autre nation”,déclare Hansen. En Indonésie par exemple l'industrie de l'huile de palme minimise régulièrement le problème et le gouvernement n'a pas encore pris position sur l'importance de la protection des forêts, a tel point que récemment il a été jusqu'à critiquer les promesses de certaines sociétés de vouloir arrêter la déforestation.

Des pas en avant

Ils sont nombreux à espérer que l'accord sur le climat approuvé à Paris en décembre et signé par presque toutes les nations du monde, puisse mener vers une nouvelle ère pour la forêt. Selon cet accord, les pays doivent conserver et valoriser leurs forêts pour limiter les émissions de carbone.

L'accord de Paris a été, en plus, un appui important pour la REDD+ (réduction émission, déforestation et dégradation des forêts), un programme très controversé par lequel les nations riches paieront les pays tropicaux pauvres pour qu'ils conservent leurs forêts. Après des décennies de débats, ce programme doit encore démontrer son efficacité et affronte de nombreuse critiques. Néanmoins, lors des négociations du traité de Paris, un investissement de 4,5 milliards d'euros à été annoncé par la Norvège, l'Allemagne et le Royaume-uni, pour la REDD+, permettant de faire démarrer le programme.

Entretemps, on voit chaque année un peu plus de sociétés ou de groupes industriels dans le monde annoncer leur engagement  pour arrêter la déforestation. La tendance a été initié par le Brésil dès 2008. La plus grande partie de ces promesse ne verront leur réalisation avant 5 ou 15 ans et surtout, ne concernent que les forêts dites à haute valeur environnementale : une définition qui fait encore l'objet de débats et qui comporte les forêts à haut contenu en carbone ou des espèces rares. Cependant cet engagement montre qu'une parti du secteur privé commence à penser que ce type de déforestation n'est plus admissible.

Enfin les experts estiment que reconnaître les droits des populations locales et des groupes indigènes sur leurs forêts traditionnelles pourrait être une des méthodes les plus simple et plus économique efficace pour protéger les forêts existante de la disparition. Dans les pays tropicaux beaucoup de peuples indigènes sont encore privés de tout droit légal sur la possession de leur territoire traditionnel. Par contre dans les endroits où ils ont réussi à faire valoir leurs revendications (par exemple dans quelques zones du Brésil), quelques études ont montré que les forêts sont bien protégées. Dans certains cas les peuples indigènes ont réussi à arrêter la déforestation d'une façon beaucoup plus efficace que dans les zones protégées instaurées par le gouvernement. Les efforts pour restituer les zones vertes aux indigènes sont constants mais trop lents pour ces groupes qui voient leur forêt et leur mode de vie disparaître à coup de tronçonneuses.

Dans d'autres parties du monde, on voit aussi les citadins préoccupés essayant de jouer leur rôle, portaer attention à la commercialisation de produits qui pourraient être responsables de cette déforestation : papier, bois, viande, huile de palme. Au moins aussi important est le soutien de tous aux groupes et aux individus qui font pression sur les leaders mondiaux pour qu'ils protègent les forêts. Le Brésil peut être un bon exemple, mais nous avons réellement besoin de toutes les bonnes volontés à disposition (gouvernements, industries, citoyens) pour mettre fin à la déforestation.

Jeremy Leon Hance écrit pour mongabay.com. Il écrit également  pour le site Yale 360 et la revue Conservation. Auteur d'un nouveau livre “Life is Good: Conservation in an Age of Mass Extinction”, son compte twitter est @jeremy_hance.