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L'échange de lettres entre Arundhati Roy et Shahidul Alam, entre résilience et espoir

samedi 19 janvier 2019 à 20:31

Shahidul Alam (à gauche) et Arundhati Roy (à droite). Photos sur Flickr par Christopher Michel et UCL News. CC BY et CC BY-NC-ND.

Le 14 novembre 2018, veille de la Journée de l'écrivain en prison de PEN International, l'écrivaine indienne Arundhati Roy a écrit une lettre au photojournaliste bangladais primé Shahidul Alam, incarcéré depuis 100 jours. Shahidul Alam a été par la suite remis en liberté sous caution et a répondu à Arundhati Roy par une autre lettre. Les deux missives ont été publiées en lettres ouvertes et sont depuis abondamment médiatisées, de multiples organes de presse les reproduisant dans la section opinion de leurs pages d'actualité.

Shahidul Alam [en] un éminent photographe, activiste de la société civile et enseignant du Bangladesh, a été embarqué de son domicile à Dacca par une vingtaine de policiers aux alentours de 10h le 5 août 2018, quelques heures après la diffusion de son interview par Al Jazeera. Le lendemain il était accusé aux termes de la Section 57 de la loi sur les technologies de l'information et des communications du Bangladesh pour ses propos ‘provocateurs’ contre le gouvernement au sujet de la manifestation étudiante pour la sécurité routière, qui a duré du 29 juillet au 9 août. Ses avocats ont soumis une demande de liberté sous caution le 28 août qui a essuyé plusieurs refus. Une longue bataille de procédure a suivi, tandis que ses sympathisants du monde entier réclamaient sa remise en liberté.

Cent jours ont passé depuis que le photojournaliste primé Shahidul Alam a été arrêté sans mandat. Un collectif ici d'écrivains et de militants d'Asie du Sud exhorte Sheikh Hasina et le gouvernement bangladeshi à le relâcher sans attendre.

A la suite de la lettre d'Arundhati Roy, 34 éminentes personnalités d'Asie du Sud, parmi lesquelles des écrivains, des historiens et des acteurs, ont signé une lettre à la Première ministre Sheikh Hasina l'appelant à la libération inconditionnelle de Shahidul Alam.

L'arrestation a aussi soulevé l'indignation de sympathisants qui ont alors organisé de multiples manifestations, rassemblements de solidarité et campagnes sur internet pour exiger que justice soit rendue. La place Shahbag de Dacca a retenti des slogans de l'assistance lors d'un rassemblement public tenu le 9 septembre sous le mot d'ordre “Libérer la démocratie”, pour protester contre l'emprisonnement de Shahidul.

“Libérer la démocratie”. Une manifestation créative sur la place Shahbag à Dacca, pour exiger la remise en liberté de Shahidul Alam. Photo de Pranabesh Das, utilisation autorisée.

Arundhati Roy a fait part dans sa lettre de sa profonde inquiétude pour Shahidul, après avoir craint le pire lorsque les chaînes d'information ont diffusé les premiers détails de son arrestation. Elle a aussi exprimé sa vigoureuse désapprobation des lois sur les TIC dans le pays. Arundhati écrit :

Section 57 potentially criminalizes all forms of speech except blatant sycophancy. It is an attack not on intellectuals but on intelligence itself.

La Section 57 criminalise potentiellement toutes les formes de parole à l'exception de la flagornerie évidente. C'est une attaque non seulement contre les intellectuels mais contre l'intelligence elle-même.

Après avoir passé plusieurs mois derrière les barreaux, Shahidul a été remis en liberté le 20 novembre 2018, cinq jours après que la Haute Cour lui a accordé la liberté permanente sous caution. Les accusations contre lui n'ont pas été levées, mais il ne peut pas retourner en prison sans un ordre du tribunal.

Photo iconique du photojournaliste et militant des droits Shahidul Alam, publiée par la campagne LibérezShahidul. Il a finalement obtenu la liberté sous caution après plus de 100 jours en prison, accusé de diffusion de propagande. Il avait été arrêté après des posts Facebook sur les manifestations à Dacca.

Shahidul a écrit dans sa lettre à Arundhati que malgré les efforts considérables pour empêcher sa remise en liberté, la victoire restait de son côté. “…nous sommes donné la main et avons chanté quand j'ai franchi le portail de la prison”, détaille Shahidul.

Dans sa réponse, Shahidul Alam a souligné que ce qui distinguait la lettre d'Arundhati était que, à la différence des autres lettres envoyées à la Première ministre pour demander sa libération, celle-ci avait été adressée à lui en particulier.

Il raconte ses rencontres avec différentes personnes, les émotions causées par le fait de vivre loin du confort de sa maison, de son poisson rouge et de sa femme Rahnuma, et son expérience de la routine carcérale. Il écrit aussi sur le chagrin collectif, l'héritage et les luttes que Roy et lui ont en commun.

Arundhati concluait sa lettre sur le désir ardent de voir des jours meilleurs ; Shahidul envoyait une assurance sur la sienne, avec beaucoup d'espoir :

But yes, Arundhati, the tide will turn, and the nameless, faceless people will rise. They will rise as they did in 1971. We will have secularism. We will have democracy. We will have social equality. We will win back this land.

Oui, Arundhati, la vague se retournera, et les sans-nom et sans-visage se lèveront. Ils se lèveront comme ils l'ont fait en 1971. Nous aurons la laïcité. Nous aurons la démocratie. Nous aurons l'égalité sociale. Nous reprendrons ce pays.

Les admirateurs du monde entier ont partagé et retweeté les lettres, une marque de la camaraderie de Shahidul et Arundhati et de leur mutuelle appréciation de leurs œuvres respectives.

Amal Nassar, le représentant permanent de la FIDH à la CPI, a tweeté :

“La vague va se retourner, et les sans-nom et sans-visage se lèveront. Ils se lèveront contre la machinerie étatique toute entière”.
Une magnifique lettre de Shahidul Alam à Arundhati Roy avec une réflexion sur son temps en prison, dont il vient d'être libéré en novembre 2018.

Arabindu Deb Burma, de Tripura, en Inde, a tweeté :

La vie des gens de Tripuri en Inde ne diffère en rien de celle du Bangladesh. Nous sommes dans la même situation maintenant répression et oppression et pourtant nous vivons dans un pays soi-disant démocratique.

Le poète Bangladais-Américain Thahitun Marium a dit :

Cet échange m'a vraiment plu, surtout quand il écrit sur les gens qu'il a rencontrés dans la prison et qui lui rappellent des personnages du livre d'Arudhati. Shahidul est une belle âme.

La militante australienne Tasneem Chopra a tweeté :

Ça m'a mis les larmes aux yeux. A l'état brut.

Alors que de plus en plus de journalistes bangladais s'auto-censurent par peur de la répression, les mots de Shahidul devraient les encourager à garder le cap :

The case against Shahidul still hangs over my head and the threat of bail being withdrawn is the threat they hope will silence my tongue, my pen, and my camera. But the ink in our pens still runs.

L'affaire Shahidul est-toujours suspendue sur ma tête et c'est par la menace d'un retrait de la liberté sous caution qu'ils espèrent faire taire ma langue, mon stylo et mon appareil photo. Mais il y a toujours de l'encre qui coule de nos stylos.

Les premiers Prix Boukary Konaté décernés à Bamako, au Mali

samedi 19 janvier 2019 à 18:40

Les trois lauréats des Prix Boukary Konaté, à Bamako, au Mali. Photo Doniblog, reproduite avec autorisation

La disparition brutale de notre collaborateur et ami, Boukary Konaté, en 2017 a été un choc et une grande perte pour notre communauté Global Voice, mais également pour les blogueurs africains, pour ses amis et élèves au Mali. Boukary est reconnu unanimement comme le ‘père du blogging’ dans son pays natal. Sa personnalité riche et généreuse, son travail désintéressé pour préserver en ligne la culture et les langues africaines sont admirés, aimés, et regrettés.

Ses amis de Doni Blog Mali, l'Association des blogueurs maliens qu'il a co-fondée, ont décidé de créer un prix, le Prix Boukary Konaté, pour honorer sa mémoire.

Les premiers Prix Boukary Konaté ont été décernés le 27 décembre 2018, durant une soirée organisée avec le soutien de son ami Philip Paoletta, de Tuwindi, AGETIC, et WoManager.

Le premier lauréat est Moussa Mallé Sissoko, pour son portrait d'un pianiste malien aveugle. Le second,  Randane Ould Barka, pour sa contribution sur une ville malienne meurtrie par la guerre, Tombouctou, le troisième, Alhousseini Dicko, pour son post sur l'inestimable patrimoine des manuscrits de Tombouctou. Les trois blogueurs en herbe sont désormais publiés sur le nouveau site malien d'information citoyenne, Bembere.

TM2, chaine publique nationale du Mali, a consacré une partie de son JT au concours et à la mémoire d'un pionnier malien qui manque à tous ceux qui l'ont connu.

La querelle du temple de Sabarimala en Inde et la bataille des femmes contre le patriarcat religieux pour leur droit à prier

vendredi 18 janvier 2019 à 21:13

Le temple d'Ayyappa à Sabarimala

Au Kerala, le très touristique État méridional de l'Inde, une récente décision de la Cour Suprême indienne autorisant les femmes à entrer et prier dans un temple emblématique crée la controverse. Le temple de Sabarimala, où est vénéré une déité hindoue du célibat, le Seigneur Ayappa, est situé au sommet d'une colline du Kerala, et les femmes en âge de menstruations ont interdiction depuis des décennies de pénétrer le sanctuaire pour cause d’ ‘impureté‘, une croyance répandue dans le sous-continent indien.

Le verdict de la Cour Suprême, considéré comme historique par les féministes, qui autorise les femmes en âge de menstruations (de 10 jusqu'à 50 ans) de pénétrer dans les locaux du temple de Sabarimala, a soulevé une tempête politique qui a fait s'affronter autour de la décision les partisans du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de droite au pouvoir en Inde, au gouvernement de l’État du Kerala.

Dans un jugement révolutionnaire, la Cour Suprême de l'Inde a annulé l'interdiction légale et allumé des polémiques en série. Divers groupes appuyés par des mouvances politiques et des fanatiques religieux ont manifesté contre l'entrée des femmes dans les lieux de culte. Des centaines de Brahmanes, hommes et femmes, ont aussi rejoint les manifestations.

Kanaka Durga et Bindu Ammini, deux femmes entrées dans l'histoire en étant les premières depuis des siècles à pénétrer dans un temple de colline en Inde du Sud, se cachent après les menaces des groupes d'Hindous radicaux.

Kanaka Durga et Bindu Ammini ont pénétré dans le temple début janvier. Les deux femmes se sont rencontrées sur Facebook peu après que la décision de la cour a été rendue publique. Toutes deux avaient essayé précédemment d'entrer dans le temple, mais en avaient été empêchées à plusieurs reprises.

Quand les vidéos montrant Durga et Ammini entrer dans le temple sont devenues virales, d'autres femmes ont suivi l'exemple. Et des manifestations et heurts ont été signalés lorsque des mouvements religieux de droite, des familles et des partis politiques ont dénoncé leur initiative.

Une des femmes, Kanaka Durga, qui est entrée à Sabarimala, est à l'hôpital après avoir été apparemment frappée à la tête par sa belle-mère. L'incident s'est produit ce matin de bonne heure, comme elle rentrait à la maison, disent des sources proches d'elle. Etat stable, doit subir des examens.

Le Premier Ministre indien Narendra Modi, s'en est pris au gouvernement de l’État du Kerala en termes idéologiques, s'attirant les critiques des militantes.

Le Premier ministre au Kerala :”La conduite du gouvernement LDF [Front démocratique de gauche] sur l'affaire de Sabarimala passera dans l'histoire comme l'un des comportements les plus éhontés d'un parti ou d'un gouvernement. Nous savions que les communistes ne respectaient pas l'histoire, la culture et la spiritualité indiennes, mais nul n'aurait imaginé qu'ils auraient autant de haine.”

Au même moment, les partisans de l'extrême-droite, dont des célébrités du cinéma, se sont mis à commenter l'affaire :

#Sabrimala sera la chute pour beaucoup. Surtout les fakeféministes, les stupides médias et les Naxalistes urbains. Ne sous-estimez pas le Seigneur Ayappa ni ses adeptes.

L'historien Hindol Sengupta a écrit :

En tant qu'historien, je me demandais s'il était possible de faire un compte-rendu objectif, non partisan de ce qui s'est passé (et se passe) à Sabarimala, un des sanctuaires les plus sacrés de l'Inde? Essayons. Pour commencer, acceptons que dans un monde où… [NdT : le fil explicatif compte près de trente tweets de l'auteur]

Combat pour le droit

Au milieu des manifestations politiques soutenues par le parti politique au pouvoir contre les droits des femmes dans le débat sur la ‘sacralité du temple’, de nombreuses organisations défendant les droits des femmes ainsi que des militantes ont essayé de pénétrer dans le temple. Les manifestations des mouvements d'opposition ont eu pour effet des violences, des incendies volontaires, et la police est intervenue pour renvoyer les pratiquantes femmes ou les protéger quand elles entraient dans les lieux.

Les femmes pénétrant dans Sabarilala sont les “plus immorales” ? Et le premier ministre, qu'est-ce qu'il est ?

Le politicien indien Shashi Tharoor a écrit :

It is all very well to say that religions must adhere to the normal rules of liberal democracy, but the truth is they don’t. Gender equality is a vital principle in civic society and in political democracy, but it is by no means universally observed in the religious world. Muslim mosques don’t allow men and women to pray together in the same space. The Catholic Church does not permit female priests. Some Shinto monasteries are off-limits to women altogether. Eight Hindu temples in India do not allow men to enter during specified periods, and the Kumari Amman temple situated in Kanyakumari does not permit them at all. The law does not interfere in such matters. But in Sabarimala, it has chosen to.

C'est bien beau de dire que les religions doivent adhérer aux règles ordinaires de la démocratie libérale, mais la vérité est qu'elles ne le font pas. L'égalité de genre est un principe vital dans la société civile et la démocratie politique, mais n'est en rien respectée unanimement dans le monde religieux. Les mosquées musulmanes ne permettent pas aux hommes et aux femmes de prier ensemble dans le même espace. L’Église catholique n’autorise pas les femmes prêtres. Certains monastères shintoïstes sont carrément inaccessibles aux femmes. Huit temples hindous en Inde ne permettent pas aux hommes d'entrer pendant des périodes spécifiées, et le temple Kumari Amman situé à Kanyakumari ne le leur permet pas du tout. La loi n'intervient pas dans ces affaires? Mais à Sabarimala, elle a décidé de le faire.

La querelle de Sabarimala s'est traduite par une bataille conflictuelle d'opinions, et le BJP au pouvoir au niveau fédéral, affilié à l'organisation de volontaires hindous Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) a pris fermement position contre le gouvernement d'État [du Kerala] et ses politiques de gauche, que le gouvernement central de droite veut démanteler pour gagner une bataille de territoire avant les élections générales.

Le Bureau du Premier Ministre de l'Inde a tweeté :

Chaque Temple a ses propres croyances.

Il y a des temples où les hommes ne sont pas admis.

Il faut lire dans les moindres détails ce que la Respectée Madame la Juge a dit dans l'affaire Sabarimala :  déclaration du Premier Ministre @narendramodi

L'analogie avec le Cachemire n'est pas oubliée :

L'apologie de la terreur atteint un niveau écœurant dans The Telegraph. Ce que mène l'armée indienne au Cachemire est une contre-offensive contre les terroristes, mais que vos arrières-pensées antinationales ne vous empêche pas de les assimiler aux fidèles de Sabrimala

La police arrête 3 femmes en route pour la mosquée de Vavaraswamy au Kerala. La même police d’État qui a introduit en douce des femmes anarchistes dans Sabrimala sur les ordres du Ministre en chef [du Kerala] prétend à présent qu'une tension communautaire était créée. Autres communautés, autres règles ?

La question féministe combinée à la contestation politique s'est retrouvée en plein milieu de la lutte en Inde pour l'équité entre les genres, avec l'utilisation de l'argument de la femme “impie” dans les mosquées, temples et autres liturgies religieuses dans le sous-continent sud-asiatique. Mais les femmes ont osé se battre devant les tribunaux et en sont sorties triomphantes.

Scandalisées, de nombreuses militantes féministes ont publié des articles et décodé ce thème labyrinthique : 

Sabrimala est une tache sur les droits des femmes. Inutile de célébrer Indira Gandhi ou le super quota d'une femme ministre de la Défense si le sang féminin reste une souillure. Mon opinion dans le Washington Post. Lisez, partagez et dites-moi combien vous désapprouvez :-)

Quand la Cour Suprême va-t-elle prendre en considération cette soi-disant “purification” du Temple de Sabrimala et virer le prêtre ? Les femmes sont des intouchables ? Absolument dégoûtant

Dieu a créé les hommes et les femmes pour se complimenter [sic]. Dieu ne discrimine pas, les hommes si. Les traditions doivent être respectées mais des concepts comme les ‘femmes impures’ doivent être dissuadés. Y a-t-il le moindre critère pour juger les hommes qui visitent le sanctuaire sacré ?

Tout cet enchaînement de manifestations et d'événements a créé un exemple pour que les femmes aient désormais des droits égaux à ceux des hommes. Après Sabarimala, un récent jugement de la Haute Cour accorde aux femmes le droit d'accès au pic Agasthyakoodam, une montagne de 1868 mètres d'altitude situé dans le district de Thiruvananthapuram dans l’État du Kerala.

Brésil : un journal mensuel pour ne pas oublier la pire catastrophe environnementale du pays

vendredi 18 janvier 2019 à 17:30

Marcelina Xavier, qui a dû s'agripper à un avocatier pour rester en vie, montre un exemplaire de A Sirene, le journal communautaire. Photo : Daniela Felix A Sirene, utilisée avec autorisation.

C'était le 5 novembre 2015, un dimanche après-midi. Marcelina Xavier, âgée de 76 ans, s'est retrouvée cramponnée à un avocatier, tentant de rester en vie alors que des tonnes de déchets miniers emportaient son village, Bento Rodrigues. Le fémur brisé, elle a prié jusqu'à l'arrivée des secours. Marcelina se trouvait au coeur de la pire catastrophe environnementale de l'histoire du Brésil.

Ce jour-là, un barrage de rétention de déchets de minerai de fer situé à quelques kilomètres en amont du village s'est rompu [fr]. En quelques minutes, 50 millions de tonnes de déchets se sont déversés dans le río Doce [fr], qui traverse 230 villes et deux états. Ce qui équivaut à “20 000 piscines olympiques de boues toxiques qui ont contaminé les sols, les rivières et les systèmes hydrographiques sur une zone de plus de 850 kilomètres”, selon un rapport des Nations unies. Dix neuf personnes sont mortes dans la catastrophe.

L'histoire de Marcelina est racontée dans le premier numéro de A Sirene, (La Sirène), un journal mensuel dirigé par un groupe de personnes touchées par la tragédie et des étudiants en journalisme. La publication, créée trois mois après le désastre, fournit les informations sur les développements récents, tels que l'état d'avancement des poursuites et l'histoire des survivants. Elle paraît le 5 de chaque mois pour rappeler la date de la tragédie. Sa devise est “pour ne pas oublier”.

Portada de la primera edición de A Sirene. Imagen: A Sirene, usada con autorización.

Le projet est né lors d'un atelier avec une agence locale de photo où les survivants ont exprimé leurs inquiétudes quant à la manière dont les grands médias brésiliens racontaient leurs histoires. Dans une interview par mail avec Global Voices, l'équipe de Sirene souligne que les événements du 5 novembre ont révélé à quel point les journalistes pouvaient être mal préparés pour couvrir de grandes catastrophes minières :

Ainda que vemos um esforço da grande mídia para tentar divulgar as informações sobre o que aconteceu/ce em Mariana (e outras cidades atingidas de Minas Gerais e do Espírito Santo), é insuficiente o modo como ela tenta representar os dois lados da situação. Primeiro, porque existe uma desigualdade clara em relação aos espaços de fala dos(as) atingidos(as) e das empresas responsáveis pelo rompimento, então, é como se a grande mídia ao usar o sistema de imparcialidade assumisse a vantagem que as mineradoras já têm. Segundo, porque normalmente a grande mídia já chega no território atingido com pautas pré-determinadas, e dificilmente eles mudam a angulação para aquilo que de fato importa para os(as) atingidos(as), suas pautas, suas causas, suas lutas. A distância, às vezes, a urgência dos veículos, com bem se sabe, acabam atropelando alguns processos essenciais do jornalismo, como o de ouvir as pessoas envolvidas, por exemplo.

Même si nous avons constaté l'effort des grands médias pour essayer de rendre compte de la réalité de ce qui s'est passé (et se passe encore) à Mariana ( et dans d'autres villes du Minas Gerais et d'Espírito Santo), la manière dont ils tentent de présenter la situation des deux points de vue est insuffisante. D'abord, parce qu'il existe des disparités flagrantes en ce qui concerne les temps de parole accordés aux victimes par rapport à ceux des entreprises responsables de la rupture du barrage. C'est comme si les grands médias, en usant d'impartialité, renforçaient un avantage déjà acquis par les sociétés minières. Deuxièmement, parce que normalement les grands médias arrivent sur le terrain avec des objectifs bien déterminés, et qu'ils ne s'écartent que très difficilement de ce scénario pour aborder ce qui compte vraiment pour les victimes : leurs objectifs, leurs idéaux, leurs combats. La distance, parfois, le caractère d'urgence des médias, c'est bien connu, finissent par prévaloir sur certains processus essentiels du journalisme, comme écouter les personnes impliquées, par exemple.

Les informations vont de l'histoire des arbres arrachés à comment un cabinet d'avocats de Londres poursuit en justice BHP Billiton [fr], l'une des entités mères de l'exploitant du barrage, Samarco. On leur donne aussi des explications sur la terminologie légale, ainsi que sur certains profils personnels, comme celui de Geralda Bartolomeu, une survivante âgée de 97 ans.

La publication a fait preuve d'une innovation audacieuse en faisant co-signer les articles par les reporters et leurs sources. Le contenu de l'article est toujours approuvé par les sources avant publication. En règle générale, le journal ne prétend pas être un support neutre. Pour donner un exemple, la catastrophe est toujours cataloguée comme “un délit”.

Comme ils l'ont dit à Global Voices, l'une des réalisations les plus importantes de la revue est de conserver un enregistrement public de la lutte de la communauté pour la défense de ses droits et la réparation intégrale pour les dommages causés :

É possível por meio das edições do jornal entender os principais acontecimentos na vida desses atingidos(as), principalmente dos moradores de Mariana e Barra Longa. Ainda que de maneira insuficiente, por se tratar de um veículo independente e com poucos recursos, há um apanhado significativo dos momentos de dor e de alegria experimentado por essas pessoas.

En consultant les archives du journal, on a une vision des événements majeurs survenus dans la vie des victimes, notamment des habitants de Mariana et Barra Longa. Même si c'est insuffisant parce que c'est un journal indépendant et a petit budget, il cerne bien les moments de douleur et de joie vécus par ces personnes.

Collaborateurs de A Sirene dans leur première salle de rédaction à l'Université de Ouro Preto. Photo : A Sirene, utilisée avec autorisation.

Le projet est coordonné par un journaliste et deux rédacteurs en chef, ces deux derniers étant toujours des personnes touchées par la catastrophe. Avant d'avoir leur propre bureau à Mariana, ils utilisaient un laboratoire informatique de l'Université de Ouro Preto comme salle de rédaction.

Les survivants attendent réparation

En octobre 2018, Samarco est enfin parvenu à un accord avec les juges brésiliens au sujet des compensations dues. C'est à dire trois ans après l'accident mortel, et ça ne sera pas effectif avant un an. Près de 4 000 personnes sont en droit d'exiger des indemnisations, d'après le tribunal. Et environ 500 000 personnes de deux états brésiliens ont été directement ou indirectement touchées par l'accident. Le niveau de contamination du bassin versant du río Doce reste incertain.

Mais la bataille n'est pas terminée. Les prochaines étapes pour ces communautés sont, d'abord, faire en sorte que les autorités garantissent leurs droits de propriété sur les terres où se situaient leurs foyers, et, deuxièmement, de faire reconnaître officiellement les ruines de leurs villages comme lieux de mémoire de la tragédie.

Mujer lee el periódico escrito por su comunidad. Imagen: Lucas de Godoy/Jornal A Sirene, usada con autorización.

L'équipe de Siren explique :

Nesse sentido, o que assistimos são as vitórias das empresas responsáveis pelo crime em relação ao controle e posse das terras, o quanto elas atingiram esses espaços e hoje parecem ser as donas deles. Ou seja, existe uma grande inversão dos valores, para quase tudo o que envolve esse crime de Fundão. No caso das memórias não é diferente. Mas, nem por isso achamos que o tema seja algo que as comunidades vão abrir mão, acreditamos que elas irão lutar por essas memórias, porque entenderam antes de todos nós que sem elas será muito mais difícil retomarem a vida de antes. (…) o objetivo do jornal, hoje, mais do nunca, é esse, o de não esquecer!

A cet égard, ce à quoi nous assistons, c'est à la victoire des entreprises responsables du crime en ce qui concerne le contrôle et de la propriété des terres quand on voit à quel point elles ont endommagé ces endroits et comment aujourd'hui elles semblent les posséder. C'est à dire, c'est la grande inversion des valeurs pour tout ce qui touche au crime du barrage de Fundão. Pour le devoir de mémoire, c'est pareil. Mais nous ne pensons pas que ce soit quelque chose que les communautés vont laisser tomber. Nous pensons qu'elles vont se battre pour la mémoire, parce qu'elles ont compris bien avant nous que sans souvenirs, il est beaucoup plus difficile de vivre comme avant. (…) l'objectif du journal, maintenant plus que jamais, c'est de ne pas oublier !

L'ambassadeur russe en Guinée se prononce en faveur d'un 3ème Mandat pour Alpha Condé

jeudi 17 janvier 2019 à 22:54

Capture d’ ecran d’ une video de l'ambassadeur Russe donnant le speech par Africa Guinee TV sur YouTube

Le 9 Janvier 2019 à Conakry, Alexander Bregadze, ambassadeur de la Fédération de Russie à Conakry, a prononcé les voeux de nouvel an devant Alpha Condé, Président de la République de Guinée au nom de tout le corps diplomatique.

Dans son discours, l'ambassadeur a abordé un sujet particulièrement sensible en évoquant la possibilité que les guinéens changent de constitution pour permettre au Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, à l'expiration de son mandat en 2020:

Depuis que la Guinée est devenue la Guinée d’Alpha Condé, elle est vraiment en marche. Monsieur le Président vous êtes un exemple phare pour la jeunesse guinéenne. Malheureusement le principe d’alternance qui domine beaucoup de Constitutions dans le monde, mais pas toutes heureusement,  impose la mentalité de revanche. C’est notre tour, maintenant c’est nous qui devons diriger le pays…

Mais les Constitutions ne sont pas ni dogme, ni Bible, ni Coran. Les Constitutions s’adaptent à la réalité », s’est-il exclamé devant le chef de l’Etat, Alpha Condé, ajoutant que ce ne sont pas les réalités qui s’adaptent aux Constitutions « Même chez les chrétiens,  il y a le nouveau testament et l’ancien testament ».

Selon l'ambassadeur, tout va bien en Guinée. Cependant, les faits reflètent une autre réalité. Le chômage s'étend dans tout le pays. Une grève générale des enseignants dure depuis 3 mois et le pays a été en 2018 le principal pays d'origine des migrants clandestins arrivant en Europe, avec 13 068 personnes.

L'ambassadeur ajoute:

Sous nos yeux la Guinée devient le pays le plus électrifié de l’Afrique. D’une année à l’autre,  on circule mieux sur les routes entre Conakry et les régions guinéennes.

Dans un article du journal Vision Guinée, le journaliste Pathé Bah écrit qu’ Ousmane Kaba, un ancien conseiller du Président Alpha Condé, chargé des questions stratégiques, avait reconnu lors d'une intervention en public:

La Guinée est dans l’obscurité, Il n’y a pas d’électricité dans notre pays. C’est pourquoi, je me suis battu pour avoir l’argent pour construire Kaleta sur le Konkouré. On se bat pour avoir beaucoup de barrages sur le Konkouré, parce que cela fait avancer le pays’’, se félicite Dr Ousmane Kaba.

En ce qui concerne l'économie du pays, le ministre du budget estime le taux de croissance à 5,8% pour 2018 avec un taux d’inflation de 8%.  La Banque africaine de développement fait l'estimation que la Guinée a enregistré une croissance du PIB de 6,6 % en 2016 et de 6,4 % en 2017. Cependant, cela n'empêche pas l'ambassadeur de déclarer que:

Çela fait presque 8 ans que je suis Ambassadeur de Russie en Guinée. Depuis le 9 mars 2011, j’observe le développement de la Guinée, la bonne dynamique de son économie qui ne cesse de s’accroître avec des chiffres impressionnants : ces dernières années on a constaté la croissance entre 10,5% en 2016 et de 6 au 7% en 2018 avec le pronostic de 7% en 2019…
Connaissez-vous beaucoup de pays en Afrique qui font mieux ?
L'état des routes a été un des points que l'ambassadeur a ajouté dans son bilan élogieux au Président Alpha Condé. Pourtant  Alimou Sow, blogueur émérite guinéen, publiait sur son blog lims.mondoblog.org:

Je suis debout dès potron-minet pour affronter, en solitaire, le tronçon jugé le plus difficile, Conakry-Kindia. 135 km que l’on accomplissait, il y a quelques années, en un peu moins de deux heures montre en main. Maintenant, il faut rajouter deux heures supplémentaires pour crapahuter sur la même distance devenue un parcours de rêve pour un rallye raid de type « Paris-Dakar », tant la route est en piteux état.

Les membres de l'Association des blogueurs de Guinée a lancé en 2016 une campagne pour dénoncer l'état des routes de leur pays et montrer leur ras-le-bol avec le hashtag #montronsnosroutes.

Image pour le lancement d la campagne #montronsnosroutes de l'Aassociation des blogueurs de Guinée. Utilisée avec permission.

Comme il fallait s'y attendre ce discours a créé l'embarras au sein de la société civile et du corps diplomatique.

Le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo a fustigé l’attitude du diplomate en ces termes cités par Balla  Yombouno sur le journal Le Djely:

 Il a été manipulé par Alpha Condé [le Président de la Guinée] lui-même. Et nous savons qu’il est le représentant d’une grande nation, d’un grand pays qui a participé activement à la décolonisation du continent africain, et qui a eu une relation exemplaire avec la Guinée dans le respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures », (…) Nous allons essayer aussi de saisir le gouvernement russe pour faire état de cette prise de position…

Pour les membres de la société civile,  Gabriel Haba, président de la brigade d’action citoyenne, déclare toute l'indignation provoquée par le discours de l’ambassadeur de la Russie, en faveur de la continuité du pouvoir, dans un billet du journaliste Ibrahima Sory Barry pour le site Aminata.com:

La question de l’alternance est une question de souveraineté. Et la souveraineté appartient au peuple. Il n’est pas du rôle d’un ambassadeur de dicter à la Guinée sa destinée. C’est de l’ingérence dans les affaires internes de notre pays

L'organisation de la société civile Cellule Balai Citoyen a publié un communiqué de presse, dans lequel on peut lire:

La Guinée vit sous le risque d’un embrassement sans précèdent susceptible de découler d’un forcing politico-social en faveur d’un 3e mandat en violation de l’actuelle constitution mais aussi de l’éthique dans la gouvernance démocratique. Cette tentative qui se fait de plus en plus sentir peut être source d’une violence politique aux graves violations de droits de l’homme dans notre pays qui peine encore à cicatriser le lourd passif dans cette matière, de l’indépendance à nos jours.

Les victimes du massacre du 28 septembre 2009 et la souffrance de leurs familles pèsent toujours lourds dans la conscience des femmes et des hommes épris de justice en Guinée et dans le monde. Les morts et blessés enregistrés de 2011 à nos jours pour une banale expression des libertés publiques prévues par le constituant, ne cessent de placer la Guinée dans la catégorie des pays à haut risque pour la sécurité humaine.

Les réactions ont été nombreuses sur les réseaux sociaux, surtout sur Facebook. L'utilisateur de celui-ci, Ibrahima Marie Sanoh, écrivain et commentateur très écouté a écrit sur sa page Facebook:

C'est fort que ce soit un étranger qui doit saluer les prouesses du pouvoir guinéen et plaider à ce qu'il lui soit accordé d'autres années pour faire du pays le plus électrifié du contient le plus industriel du monde, tandis que le peuple qui l'a investi manifeste une cruelle indifférence et ne pipe mot. Soit que les Guinéens sont ingrats, ne saluent pas les efforts du gouvernement, soit que les réformes magnifiées ici et là sont abstraites et sans incidences réelles sur les vies. Il y a-t-il eu des réformes ? Oui . Nous ne les percevons pas… Le dehors est épanoui, il a un paradis: la Guinée . L'intérieur étouffe et n'a pas un radis, il a un enfer: la Guinée…

Ce qui a attiré l'attention de Nouhou Baldé, blogueur guinéen sur Facebook, c'est le comportement des autres ambassadeurs:
Cette déclaration est tellement grave que le silence des autres n'est pas à excuser si facilement. D'autant que certains de ceux qui ont pris la parole par la suite (l'ambassadeur du Maroc, le représentant de la Banque mondiale…) ont dit ne pas dire mieux que le russe. Personne ne s'est désolidarisé de cette déclaration et aucune ambassade n'a publié un communiqué…
Le 14 janvier, les organisations de société civile ont organisé une manifestation devant l'ambassade de Russie pour protester contre les propos, qui a été dispersée par les forces de sécurité.